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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 112ème jour de séance, 286ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 23 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS

          SOMMAIRE :

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 1

    UNIVERSITÉS 1

    KOSOVO 2

    LANGUES RÉGIONALES 2

    LÉGISLATION RELATIVE À LA CHASSE 3

    ÉPREUVE D'HISTOIRE-GÉOGRAPHIE AU BAC 4

    POLITIQUE DU MÉDICAMENT 4

    RECONSTRUCTION DES BALKANS 5

    AVENIR DES RETRAITES 6

    IMPÔT SUR LA FORTUNE 7

    IVG ET CONTRACEPTION 7

ACTION PUBLIQUE EN MATIÈRE PÉNALE (suite) 9

    MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 14

    ARTICLE PREMIER 21

La séance est ouverte à quinze heures.


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QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au gouvernoement.

UNIVERSITÉS

M. Jacques Guyard - Il y a un an, le 25 mai 1998, à l'occasion du 800ème anniversaire de la Sorbonne, vous aviez réuni à Paris les ministres de l'Education nationale des principaux pays européens pour réfléchir à la cohérence de nos enseignements supérieurs. Vendredi dernier, à Bologne, 26 ministres et de nombreux présidents d'universités étaient réunis pour aligner l'ensemble des formations sur les niveaux Bac + 3 et Bac + 5. Bologne, la Sorbonne, ce sont deux des plus vieilles universités d'Europe, et elles nous rappellent un temps où les formations, les grades, la langue d'enseignement même était commune.

Avant-hier, le CNESER a voté largement le principe de trois niveaux, licence à Bac + 3, mastaire à Bac + 5 et doctorat à Bac + 8. Sur ce vote se sont rassemblés les étudiants, les employeurs et la majorité des syndicats. Pourriez-vous informer le Parlement de cette réforme majeure et des perspectives nouvelles qu'elle offre aux étudiants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Je vous remercie de votre question ("Ah !" sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). Il y a 450 ans, l'Université européenne s'est disloquée à la suite de la Réforme. Quant à notre enseignement supérieur, il est partagé entre la filière universitaire et celle des grandes écoles. L'an passé, nous avons ébauché une harmonisation européenne avec les ministres allemand, anglais, italien. Cette année, à Bologne, ce sont près de trente pays européens qui étaient représentés, et la nouvelle architecture a été adoptée par l'Italie, l'Allemagne, la Belgique, la Suède, le Danemark, l'Autriche, ainsi que l'ensemble des pays de l'Est. Le CNESER l'a approuvée par 32 voix contre 11.

Par ailleurs, un rapprochement est amorcé entre les universités et les grandes écoles : pour la première fois, celles-ci décerneront un grade -le mastaire-, et elles ouvriront un concours d'entrée au niveau de la licence.

Dans la perspective de l'harmonisation européenne, le Gouvernement souhaite que dans cinq ans, tous les élèves du supérieur aillent passer au moins six mois dans un autre pays. Si on a pu ainsi rapprocher les points de vue, c'est que nous avons respecté la diversité européenne, nous n'avons pas essayé d'uniformiser. Et l'an prochain, sur la proposition de la France, c'est à Prague que nous nous réunirons : les pays de l'Est ont été sensibles à cette marque de confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

KOSOVO

M. René Mangin - La paix s'installe enfin au Kosovo, mais la KFOR découvre l'étendue d'un désastre humanitaire qui devrait susciter un élan de solidarité. Le G8 vient d'évoquer la situation dans les Balkans et la gestion de l'après-conflit. Quelle aide internationale apportera-t-on à la reconstruction du Kosovo ? Quelle position prendra la France à propos de l'aide au peuple serbe ?

Les besoins sont énormes, et il me semble primordial de réguler la solidarité et d'encourager les parrainages par des communes françaises, car la proximité pourrait servir l'efficacité.

M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Après le retrait des troupes serbes, on découvre en effet d'énormes destructions, provoquées en majorité par les forces serbes. L'UE évalue à 3 milliards d'euros le coût de la reconstruction, que la Banque mondiale chiffre pour sa part à 2,2 milliards de dollars. Le cadre stratégique et politique existe déjà, c'est le pacte de stabilité pour l'Europe du sud-est adopté en avril dernier. Une "task-force" (Murmures sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) a été constituée par la Banque mondiale et l'Union européenne, en attendant que se mette en place vers septembre l'Agence européenne dont le principe a été posé à Cologne.

La France participera, quant à elle, à l'effort multilatéral, mais cela n'exclut pas une action de caractère bilatéral, à laquelle les collectivités locales pourraient contribuer. Pour les rapports avec le peuple serbe, la coopération civile peut prendre le relais d'une coopération d'Etat devenue difficile, et les collectivités locales ont leur rôle à jouer. Le problème, c'est de coordonner les initiatives : nous avons mis en place une cellule spécifique des Affaires étrangères, et j'ai déjà emmené les présidents des grandes fédérations d'élus à Tirana et à Skopje -car il ne faut oublier ni le Monténégro, ni l'Albanie, ni la Macédoine. Plusieurs dizaines de projets locaux sont déjà engagés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

LANGUES RÉGIONALES

M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Premier ministre, en jugeant contraires à la Constitution le préambule et l'article 7 de la charte européenne des langues régionales, le Conseil constitutionnel a rendu sans effet sa signature par le gouvernement français. Vous aviez pourtant pris soin d'ajouter une déclaration interprétative précisant que cette charte ne pouvait porter atteinte à l'unité du peuple français. Avez-vous l'intention de prendre une initiative pour nous sortir de cette impasse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UDF)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - J'ai toujours manifesté, à l'égard des langues et cultures régionales, compréhension et confiance. Quand j'étais ministre de l'éducation nationale, j'ai fait en sorte de développer l'enseignement de ces langues. J'ai continué dans cette voie depuis que je suis à la tête du Gouvernement. J'ai demandé à Nicole Péry, puis à Bernard Poignant, un rapport sur cette question.

Le Gouvernement a décidé de prendre une mesure hautement symbolique, préconisée dans le rapport Poignant : signer, à l'instar de dix-huit autres pays européens, la charte européenne des langues régionales et minoritaires.

Cette décision a été soutenue par un important mouvement d'opinion, relayé depuis plusieurs années par un grand nombre d'élus de toutes tendances.

La charte a donc été signée le 7 mai dernier par Pierre Moscovici au nom de la France. Une déclaration interprétative est venue en complément de cette signature à l'occasion du cinquantième anniversaire du Conseil de l'Europe.

Le 20 mai, le Président de la République a décidé de saisir le Conseil constitutionnel, au titre de l'article 54 de la Constitution, à propos de la compatibilité de cette charte avec nos principes constitutionnels. Sur cette question en effet, les avis des spécialistes divergeaient.

M. Yves Fromion - Langue de bois !

M. le Premier ministre - Il y a le bois, le petit bois et les copeaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Plusieurs députés RPR - Et la sciure !

M. le Premier ministre - Je ne vois pas en quoi la fraction différerait du tout.

Le Conseil constitutionnel a estimé que certaines dispositions de la charte étaient contraires à la Constitution, mais il a aussi admis que ce n'était pas le cas des trente-neuf engagements pris par notre pays.

Conformément à l'article 89 de notre Constitution, qui dispose que "l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement", j'ai proposé ce matin au chef de l'Etat de prendre l'initiative d'une telle révision (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe RCV ; interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Cette démarche, Mesdames et Messieurs les députés de l'opposition, répond d'ailleurs à la demande de certains de vos amis, comme M. Josselin de Rohan Chabot... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR)

Telle que je l'ai proposée, cette révision consisterait à ajouter un article 53-3 à notre Constitution, article qui autoriserait la ratification de cette charte sans remettre en cause les principes de la République.

M. Jacques Myard - N'importe quoi !

M. le Premier ministre - Je sais à quel point cette question est sensible. Nous sommes tous attachés à l'unité du peuple français et à l'indivisibilité de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe RCV)

M. Yves Fromion - Le "peuple corse", c'est vous !

M. le Premier ministre - Il ne s'agit pas de remettre en cause nos valeurs fondamentales, mais de reconnaître et de sauvegarder un patrimoine qui fait partie de notre richesse (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR). La France est suffisamment forte pour accepter l'existence des cultures régionales sans qu'il soit porté atteinte à l'unité nationale ni à la langue de la République.

Nous observons tous la même loi, nous sommes égaux en droit, mais ne sommes pas tous identiques. Je souhaite que notre pays reconnaisse sa diversité, qui est aussi sa richesse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et quelques bancs du groupe RCV).

LÉGISLATION RELATIVE À LA CHASSE

M. René André - Nous sommes nombreux, sur tous ces bancs, à reprocher au Gouvernement de reporter depuis trop longtemps le règlement du contentieux qui l'oppose aux chasseurs.

Ce n'est certes pas facile, mais vous taire plus longtemps, ce serait montrer du mépris envers 1,2 million de Français, qui ont voté pour la défense des droits des chasseurs. Chacun conviendra, Monsieur le Premier ministre, que l'attitude de Mme Voynet ne vous a pas facilité la tâche.

Il n'est pas raisonnable que la question des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse au gibier d'eau ne soit toujours pas résolue. Il est anormal que l'avenir de la loi Verdeille soit toujours incertain. Il est temps que cesse cette guerre que Mme le ministre de l'environnement donne l'impression d'entretenir à plaisir, comme elle l'a encore montré hier soir au Sénat.

Je voudrais, Monsieur le Premier ministre, vous tendre un rameau d'olivier (Sourires). Le groupe RPR a déposé une proposition de loi, signée par Patrice Martin-Lalande et Jean-Claude Lemoine, qui devrait régler tous les problèmes. Hier soir, le Sénat a adopté, à l'unanimité, un texte de ce type.

Je vous invite à saisir sans tarder l'Assemblée d'une de ces deux propositions. Etes-vous prêt à le faire ? Et de grâce, ne nous parlez pas d'une nouvelle commission pour gagner du temps (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - La parole est à Mme la ministre de l'environnement (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Vous conviendrez qu'en vingt ans, aucun ministre de l'environnement n'a pu trouver d'accord avec les chasseurs. On ne peut régler un tel conflit par des textes provisoires votés dans l'urgence.

Vous affirmez que le texte du Sénat constitue une avancée. Cependant, la chasse de nuit est interdite depuis 155 ans... (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe communiste).

Les tolérances ne valent que pour l'aube et le crépuscule. J'ai dit hier au Sénat que j'étais disposée à les valider, pour des durées limitées. La Commission européenne insiste cependant sur la nécessité de pouvoir identifier les oiseaux : c'est indispensable à la crédibilité des plans de gestion, dont vous avez approuvé la création.

La Cour européenne des droits de l'homme, à propos de la loi Verdeille, a exigé que le droit de gîte soit reconnu et qu'il soit mis fin à l'inégalité de traitement entre grands et petits propriétaires.

Je regrette, à cet égard, que les chasseurs aient refusé l'année dernière toute modification de cette loi. Nous aurions pu, de la sorte, éviter des sanctions. J'ai demandé au Conseil d'Etat de détacher un de ses membres pour évaluer les conséquences de notre condamnation.

Le Gouvernement se prépare à vous présenter une loi d'orientation... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Nous avons bien l'intention de légiférer (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

ÉPREUVE D'HISTOIRE-GÉOGRAPHIE AU BAC

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, le recteur de l'académie de Versailles vient d'adresser aux correcteurs des copies d'histoire-géographie du bac une circulaire leur demandant de se montrer très, très indulgents. L'épreuve est scindée en deux parties, l'une notée sur 12 et l'autre sur 8, mais il est demandé de noter la seconde jusqu'à 10 si elle est convenable !

Monsieur le ministre, je pense aux enseignants, aux élèves et à leurs parents. Pour les enseignants, est-ce valoriser ces matières que de brader les épreuves ? Certains élèves ne seront-ils pas tentés de cesser de travailler, si au terme de l'année, l'épreuve d'histoire-géo du baccalauréat est de toute façon couronnée de succès ? Quant aux parents, quelle sera leur inquiétude quand leurs enfants ainsi peu formés vont entrer à l'université avec un diplôme dévalué ?

Est-ce là l'égalité des chances ? N'est-ce pas plutôt l'harmonisation par le bas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - L'épreuve d'histoire-géographie au bac a été créée par mon prédécesseur, M. Bayrou, je n'ai rien à voir avec cela (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Il est de tradition, quand une nouvelle épreuve est instituée, de demander à l'inspection générale un texte d'orientation : ce texte a été rédigé avant mon arrivée, je n'y suis également pour rien (Protestations et huées sur la bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

Ce texte a été transmis depuis un an et demi - deux ans aux recteurs. Je crois être connu ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) pour la rigueur dans l'Éducation nationale et non pas pour le laxisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

POLITIQUE DU MÉDICAMENT

M. Jacques Godfrain - Madame la ministre de la solidarité, demain les professionnels de la santé vont manifester massivement pour exprimer leur inquiétude.

Les salariés de l'industrie du médicament connaissent également l'angoisse. Pourquoi ? Parce que les mesures que vous avez prises contre tous les secteurs de la santé -les hôpitaux publics et privés, les radiologues, les cardiologues, les biologistes etc. (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)- les obligent à se poser des questions sur la politique que vous voulez mener à leur égard (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

L'informatisation des cabinets n'avance pas. A la place d'une réforme globale nécessaire, nous avons des mesures à la foi pénalisantes et disparates.

Actuellement le président du comité économique du médicament envoie aux entreprises pharmaceutiques des lettres visant à leur faire accepter, d'ici le 14 juillet, des prélèvements arbitraires. Demain des centaines de brevets ne seront pas déposés, des milliers de chercheurs français se demanderont pourquoi ils cherchent.

Parviendrez-vous à expliquer aux Français pourquoi, du fait de vos mesures prises, ils risquent demain d'être moins défendus contre la maladie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Demain en effet, des professionnels de la santé vont manifester leurs inquiétudes pour leur avenir. Mais je sais aussi que depuis plusieurs mois de nombreux professionnels ont compris qu'on ne pouvait pas continuer à dire qu'on pouvait tout rembourser sans limite et maintenir en l'état les rapports avec la CNAM et le Gouvernement.

Je me réjouis des accords signés avec les radiologues, les cardiologues, les laboratoires biologiques. Je remarque que MG France, très important syndicat de généralistes, a signé depuis deux ans une convention avec la CNAM et respecte strictement les honoraires convenus.

Nous travaillons avec l'industrie pharmaceutique pour éviter que les prix et les taux de remboursement des médicaments ne soient plus fixés en fonction du poids et des pressions des laboratoires, mais en fonction de l'efficacité des médicaments ou de leur caractère innovant.

Si M. Mesuré, président du syndicat national de l'industrie pharmaceutique, a déclaré à un journal du matin, il y a quinze jours, que sa profession était prête à faire des économies car pour la première fois, il y avait une politique du médicament répondant aux intérêts des malades et à l'innovation pharmaceutique, c'est sans doute qu'il ne partage pas votre avis. Je me réjouis qu'en deux ans, pas à pas, le déficit de la Sécurité sociale soit passé de 55 milliards à peut-être 5 milliards fin 1999 (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), sans augmenter les cotisations ni baisser les remboursements, mais en étroite concertation avec les professions de santé (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Croyez bien que nous continuerons dans cette voie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

RECONSTRUCTION DES BALKANS

Mme Marie-Thérèse Boisseau - Après trois mois de guerre, le République fédérale de Yougoslavie est en ruines et ses voisines exsangues. La reconstruction des Balkans est la plus grande entreprise de ce type depuis la seconde guerre mondiale. Certes les moyens à mettre en oeuvre feront l'objet, à l'automne, d'une conférence internationale. Mais sur le terrain il y a urgence : un million de réfugiés vont retourner dans leurs villages dévastés et dans trois mois c'est l'hiver.

Or des contacts se tissent dans tous les sens : des délégations yougoslaves se sont rendues en Allemagne et en Italie, qui ont délivré des centaines de visas à leurs chefs d'entreprise, alors qu'en France on les compte sur les doigts de la main. Pourquoi ?

La France devrait être beaucoup plus présente dans la restructuration de cette région et ne pas se limiter à une participation financière, M. Strauss-Kahn l'a d'ailleurs reconnu.

La semaine dernière, le ministère anglais du commerce et de l'industrie a envoyé une mission au Kosovo. Que pense faire le Gouvernement français pour encourager les entreprises françaises à participer à cette reconstruction ? Il en va de l'intérêt des populations, mais aussi, bien sûr, de l'intérêt de la France et, à terme, de cette reconstruction harmonieuse de l'Europe dont nous rêvons tous (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe DL).

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Avec le retour de la paix au Kosovo, vous avez raison de poser la question de la participation des entreprises françaises à la reconstruction. Si les besoins humanitaires sont les plus urgents, il nous faut aussi refonder les structures administratives, économiques et européennes.

L'Union européenne assurera l'essentiel du coût de cette reconstruction et une prochaine conférence des donateurs devrait se tenir rapidement.

Naturellement nous voulons aider les entreprises françaises à bénéficier de ces crédits : une structure de coordination va être créée dans les prochains jours à cette fin. Mais les attributions de marchés obéissent à des règles transparentes et bien connues en ce qui concerne les appels d'offres et la passation des marchés au niveau communautaire. Le MEDEF organisera le 28 juin une rencontre avec les principaux acteurs de l'aide internationale pour répondre aux questions des entreprises.

Il faut agir vite, mais il faut aussi respecter les procédures en vigueur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

AVENIR DES RETRAITES

M. Francis Delattre - Monsieur le Premier ministre, vous venez de déclarer que le grand soir des retraites n'était pas pour demain. Depuis dix ans, nous assistons à une escalade verbale sur ce dossier difficile mais aucune décision n'est prise.

Or nous avons chaque année 110 000 retraités de plus, à partir de 2005-2006 ce seront 250 000 retraités supplémentaires et en 2040 un Français sur trois sera en retraite.

Depuis deux ans, qu'a fait votre Gouvernement ? ("Rien !" sur les bancs du groupe DL)

M. Didier Boulaud - Il a fait baisser le chômage, c'est déjà pas mal !

M. Francis Delattre - Il a pris une décision, il a enterré une promesse électorale et il a commandé un rapport au commissariat au Plan.

D'abord la décision : vous avez choisi de rendre inapplicable la loi Thomas qui ouvrait la possibilité de retraites par capitalisation. Résultat, 40 % du capital boursier des grandes entreprises françaises est aux mains des fonds de pension américains.

La promesse électorale enterrée, c'est l'indexation des retraites sur les salaires. Vous y avez renoncé et c'est sage.

M. Christian Bourquin - La question !

M. Francis Delattre - Elle arrive !

Le rapport Charpin évoque trois scénarios possibles. Nous aimerions savoir lequel le Gouvernement entend retenir. Si rien n'est fait, les retraités verront leurs revenus progressivement amputés de 40%. Si l'on décide d'augmenter les cotisations, il faudra le faire de 50 % puisqu'il faudra trouver 300 milliards : l'objectif paraît difficile à atteindre étant donné que les revenus de nos concitoyens sont déjà fortement ponctionnés. Autre possibilité, qui semble d'ailleurs avoir la préférence de M. Charpin : allonger la durée de cotisation pour tous à 42,5 ans, auquel cas c'en est bel et bien fini de la retraite à 60 ans (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - Posez votre question, je vous prie.

M. Francis Delattre - Que choisira le Gouvernement ? Est-il déterminé à réduire la profonde inégalité, qui va d'ailleurs se creusant, des Français devant la retraite ? Sinon, cela différencierait encore davantage majorité et opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Non, Monsieur le député, il n'y a sur ce sujet, comme sur aucun autre, aucune escalade verbale. Le Gouvernement applique simplement la méthode que le Premier ministre a définie et qui consiste d'abord à poser un diagnostic, à engager la concertation puis à décider.

S'agissant des retraites, le rapport Charpin, sans doute pour la première fois, dresse un bilan complet de la situation dans le secteur privé et dans le secteur public. Il conclut que la répartition doit demeurer la base de notre système, ce qui conforte la décision prise par le Gouvernement de ne pas lui substituer la capitalisation (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ne cédant ni au catastrophisme qui n'est pas de mise ni à la précipitation qui ne l'est pas non plus, nous prendrons les décisions qui conviennent en les replaçant dans un contexte global. Les personnes âgées sont aujourd'hui confrontées à de multiples difficultés : niveau de leur retraite bien sûr, mais aussi prise en charge de la dépendance, reconnaissance de leur rôle dans la société. Beaucoup de salariés aussi sont inquiets qui ont commencé de travailler très tôt et sont aujourd'hui usés par le travail. Voilà tous les éléments dont nous avons à tenir compte pour trouver des solutions qui, rassurez-vous, ne tarderont pas mais seront néanmoins mises en oeuvre progressivement. Car vous êtes bien payés pour savoir que c'est ainsi qu'il faut décider et non, de façon technocratique, depuis un cabinet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

IMPÔT SUR LA FORTUNE

M. Félix Leyzour - Ma question s'adresse au ministre de l'économie et des finances.

D'une enquête publiée par le magazine américain Forbes, il ressort que les grandes fortunes françaises se portent bien. Mme Bettencourt ("Ah !" sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), PDG de l'Oréal, reste en tête du classement français avec 83,5 milliards. Elle précède M. Mulliez du groupe Auchan-Flunch-Décathlon dont la valeur du portefeuille représente 59 milliards, M. Pinault du groupe Printemps-La Redoute-Fnac avec 38,5 milliards, la famille Seydoux du groupe Gaumont-Pathé, etc. (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je ne cite là que les premiers de la classe sur les quelque 200 000 personnes détenant un patrimoine supérieur à 4,7 millions.

La hausse de la Bourse et la reprise du marché immobilier ont largement profité aux détenteurs de fortune, leur patrimoine progressant même à un rythme plus soutenu que la croissance elle-même. Dans la loi de finances pour 1999, des mesures ont été prises qui ont permis d'accroître le produit de l'ISF. Mais il y a encore de la ressource. Et le dossier de l'impôt sur la fortune comme celui de l'impôt sur les sociétés doivent être rouverts. Il le faut pour que la fiscalité conjugue justice et efficacité au service de l'emploi, de la formation, de l'enseignement et de la santé, au lieu de nourrir la spéculation. J'y insiste d'autant plus que nous venons d'apprendre que le SMIC ne serait prochainement revalorisé que du montant légal, sans bénéficier d'aucun coup de pouce.

Monsieur le ministre, êtes-vous disposé à engager le débat sur cette importante question ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je vous remercie d'avoir souligné l'effort engagé par le Gouvernement et sa majorité pour accroître le rendement de l'impôt sur la fortune qui participe de la solidarité.

Nous avons intégré dans le barème de façon définitive la surtaxe de 10 % ; nous avons relevé de 10 % le taux de la tranche supérieure ; nous avons durci les règles de plafonnement ; nous avons supprimé la possibilité de réfaction de 20 % pour les résidences secondaires ; nous avons soumis à l'ISF les biens immobiliers possédés par des non-résidents ; nous avons révisé les règles qui permettaient de soustraire des dettes de l'actif, à l'origine de scandales qui avaient ému la représentation nationale ; nous avons révisé le mode de calcul de la valeur vénale des biens immobiliers occupés de façon qu'ils n'échappent pas à l'ISF. Toutes ces mesures, qui découlent directement d'une proposition de loi déposée par M. Hue au nom du groupe communiste, devraient permettre d'accroître le rendement de l'ISF de 30 % en 1999. Ainsi, depuis 1997, celui-ci aura crû de près de 50 %...

M. Maxime Gremetz - Cela représente combien ?

M. le Ministre - Dix à quinze milliards.

M. Maxime Gremetz - Ce n'est pas beaucoup !

M. le Ministre - Il faut aussi tenir compte, Monsieur Gremetz, des 25 milliards supplémentaires qu'a rapportés l'institution de la CSG sur les revenus du capital.

Un rééquilibrage important a donc été opéré entre fiscalité du travail et fiscalité du capital, comme le Premier ministre s'y était engagé. Dès que le produit exact de l'ISF pour 1999 sera connu, il sera communiqué à la représentation nationale. Si vous le voulez bien, je vous donne ce rendez-vous, mais sachez que d'ores et déjà en deux ans les 10 % des Français les plus riches auront vu leurs impôts augmenter tandis que les autres les auront vu commencer à diminuer, du fait de certaines réductions de TVA et du transfert des cotisations d'assurance maladie vers la CSG qui s'est traduit par un gain de pouvoir d'achat de 1,1 % (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et plusieurs bancs du groupe communiste).

IVG ET CONTRACEPTION

M. Guy Hascoët - Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, vous avez le 19 mars dernier rendu public le rapport commandé au professeur Nizan sur l'IVG en France. Celui-ci souligne dans son étude l'actuelle discontinuité du service public en ce domaine, ainsi que les inégalités d'accès des femmes tant à la contraception qu'à l'avortement ; il formule 25 propositions pour y remédier.

Le professeur Nizan fait actuellement l'objet d'une campagne d'insultes antisémites et de menaces de mort, le tout orchestré par l'association Droit de naître, sous-groupe de "Tradition-famille-propriété" qualifié de mouvement sectaire dans le rapport de notre collègue de Jacques Guyard.

Quelles mesures compte prendre le Gouvernement et selon quel calendrier pour venir en aide aux femmes en détresse, en particulier mineures, étrangères ou ayant dépassé le délai de dix semaines de gestation ? Prévoit-il des programmes de sensibilisation et d'éducation aux différentes méthodes de contraception ?

Nous ne doutons pas par ailleurs qu'il défende l'autorité de la République et la sécurité de ses agents lorsqu'elle est menacée en raison de leurs fonctions. Comment entendez-vous soutenir juridiquement et protéger le professeur Nizan ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le professeur Nizan, qui nous a remis des propositions visant simplement à appliquer la loi de 1975, fait en effet l'objet d'une campagne d'insultes antisémites et reçoit, comme moi et d'autres personnes, des menaces de mort. Je regrette que 25 ans après le vote de la loi sur l'IVG, certains profèrent encore les mêmes insultes que Mme Veil entendit ici même (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Nous convenons tous que l'IVG n'est qu'une solution de dernier recours et que tout doit être fait pour l'éviter, notamment en développant la contraception. Mais lorsqu'il n'est pas possible pour une femme de faire autrement, elle doit pouvoir y avoir accès de manière égale sur l'ensemble du territoire.

Le rapport de M. Nizan montre que la loi Veil n'a pas contribué à banaliser l'IVG, comme certains le craignaient. Il souligne aussi les difficultés rencontrées par certaines catégories de femmes, comme les mineures qui n'ont pas l'autorisation de leurs parents ou les femmes qui sont enceintes de plus de dix semaines. Il porte aussi certaines insuffisances du service public en certains endroits.

Nous travaillons à remédier à ces carences. Parallèlement, nous allons, avec Nicole Péry et Bernard Kouchner, annoncer des mesures destinées à faciliter la contraception. Car il importe d'éviter, autant que faire se peut, l'IVG. Nous prévoyons donc une grande campagne sur la contraception, en particulier auprès des jeunes. Nous avons renégocié avec les laboratoires pharmaceutiques en ce qui concerne les pilules de troisième génération. Et nous voulons que le RU 486 continue à être produit en France et disponible à un tarif abordable dans l'ensemble des pharmacies.

C'est bien l'ensemble de ces problèmes qui doit être traité. Le professeur Nizan ne dit pas autre chose et le Gouvernement est à ses côtés. S'il porte plainte, le Gouvernement l'accompagnera, financièrement et politiquement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).


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CONVOCATION DU PARLEMENT EN CONGRÈS

M. le Président - J'ai reçu de M. le Président de la République la lettre suivante du 23 juin 1999 :

"Monsieur le Président,

Les projets de loi constitutionnelle suivants :

    - Projet de loi constitutionnelle insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale,

    - Projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes,

ont été votés en termes identiques respectivement par l'Assemblée nationale le 10 mars 1999 et le 6 avril 1999 et par le Sénat le 4 mars 1999 et le 29 avril 1999.

J'ai décidé de soumettre ces projets au Congrès en vue de leur approbation définitive dans les conditions prévues par l'article 89 de la Constitution.

Par ailleurs, dès lors que le Congrès envisage de modifier son règlement, il a paru souhaitable, conformément au précédent du décret du 18 décembre 1963, d'ajouter à son ordre du jour la modification de ce règlement.

Je vous adresse, ci-joint, avant sa publication au Journal officiel, le décret de convocation du Congrès auquel sont annexés les textes de projets de loi constitutionnelle que cette assemblée aura à examiner, sous votre présidence, dans la journée du 28 juin 1999.

Veuillez croire, Monsieur le Président, à l'assurance de ma haute considération.

          Signé Jacques Chirac".

Le décret de convocation du Congrès auquel sont joints les textes des projets de loi constitutionnelle que cette assemblée aura à examiner seront annexés au compte rendu de la présente séance.

En ma qualité de président du Congrès, j'ai fixé à 9 heures 30 et 15 heures les heures d'ouverture des deux séances que le Congrès tiendra le lundi 28 juin 1999.

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15 sous la présidence de M. Paecht.

PRÉSIDENCE DE M. Arthur PAECHT

vice-président


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ACTION PUBLIQUE EN MATIÈRE PÉNALE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale et modifiant le code de procédure pénale.

M. Gérard Gouzes - Dans une affaire récente, un de nos collègues Jacques Heuclin, député de Seine-et-Marne, a fait l'objet d'un non-lieu il y a seulement quelques jours. Le directeur de la police judiciaire de Versailles écrivait dans un rapport du 22 avril 1996 : "au vu des investigations, notamment des auditions des personnes citées dans les différents courriers anonymes, il semble que cette dénonciation avait pour but de déstabiliser Monsieur Heuclin avant les élections municipales de juin 1995".

C'est dans ces conditions que, sur rapport du procureur de la République de Melun, et par dépêche du 30 octobre 1996, le procureur général près la cour d'appel de Paris, M. Alexandre Benmakhlouf, proposait le classement sans suite de l'affaire Heuclin, que les médias avaient déjà abondamment commentée, on s'en doute.

Début janvier 1997, notre collègue Heuclin était désigné par les instances locales du PS candidat aux prochaines législatives. Mal lui en prit, car dès le 12 février 1997 et sans aucun élément nouveau, M. Alexandre Benmakhlouf écrivait au procureur de la République de Melun : "Un nouvel examen des faits résultat de l'enquête préliminaire, me conduit à formuler un certain nombre de réserves et à reconsidérer le bien-fondé de la décision de classement sans suite".

Dès cet instant notre collègue, mis en examen, subira toutes les infamies possible de son adversaire RPR, M. Jean-Pierre Cognat, bien connu pour son amitié avec M. Jacques Toubon, alors Garde des Sceaux.

Aujourd'hui M. Heuclin a bénéficié d'un non-lieu et on ne peut que s'interroger sur les conditions dans lesquelles il aura été, à deux reprises, mis en cause chaque fois, à la veille de consultations électorales.

Certes, cela aurait pu n'être que le fruit du hasard, mais lorsque l'on connaît les conditions de la nomination de M. Alexandre Benmaklouf, ancien juriste à la mairie de Paris, contre l'avis du CSM, comment les relances des poursuites contre un adversaire politique ne seraient-elles pas entachées de suspicion ?

Cet exemple vécu illustre un système qui a affecté la justice d'une partialité déshonorante et lui interdit de prétendre à l'objectivité indispensable à sa mission. Les électeurs de M. Heuclin ne s'y sont pas trompés, qui l'ont réélu maire et député. Mais si nous voulons redonner à notre justice la crédibilité républicaine à laquelle aspire une majorité de Français, il était indispensable de réformer une justice soumise aux manipulations politiques.

Comme le soulignait M. Sainati, secrétaire général du syndicat de la magistrature, les élus ont une occasion historique de provoquer un rééquilibrage de nos institutions. Qui s'y refuserait et pourquoi ?

Avec la réforme du CSM dont nous nous étonnons qu'elle n'ait pas encore été inscrite à l'ordre du jour du Congrès, puis avec ce projet, nous allons, Madame la ministre, fixer dans la loi la pratique que vous avez instaurée depuis deux ans à la tête de votre ministère.

Dans notre pays, le parquet est constitutionnellement le garant de la liberté individuelle. Donnons donc au CSM rénové le pouvoir de donner un avis conforme sur la carrière des parquetiers sur proposition du Garde des Sceaux. Aucun chantage, aucune menace sur la carrière ne sera plus possible.

Séparons en outre ses deux missions principales de l'institution : l'application de la politique pénale décidée par le Gouvernement et la conduite de l'action publique dans chaque affaire.

Il est délicat de concilier le principe de séparation entre parquet et exécutif -que l'on appelle à tort le principe de l'indépendance du parquet quand il s'agit en fait de son impartialité- et la nécessité d'une certaine cohérence dans la politique pénale du Gouvernement. Vous y parvenez pourtant, parce que vous ne confondez pas autonomie et gouvernement des juges, impartialité et indépendance.

Nous ne sommes pas pour l'indépendance pour l'indépendance. Nous ne voulons pas laisser la politique pénale aux mains de magistrats tout-puissants. Il ne peut y avoir autant de politiques pénales que de procureurs et nous voulons que soient conservées l'unité de direction, la subordination hiérarchique, l'indivisibilité qui font la caractéristique du ministère public sous l'impulsion du Garde des Sceaux.

Le ministère public est bien plus que le simple agent du pouvoir exécutif auprès des tribunaux.

Comme l'action publique n'appartient pas au ministère de la justice, il peut bien prescrire de l'intenter mais la loi ne l'autorise pas à en interdire l'exercice.

A Mme Catala, qui cherchait en vain une contradiction entre mes propos de 1993 et mes positions d'aujourd'hui, je répondrai par une autre citation de M. Sainati : "Personne ne nie l'exigence d'un contrôle du judiciaire, mais du contrôle à la tenue en laisse il n'y a qu'un pas". Ce pas, on ne pouvait le franchir, Mme Catala, sans porter atteinte à l'égalité et à l'impartialité que chaque justiciable attend dans le cadre des choix de société faits par les électeurs.

Cela posé, où voit-on matière à critique ? A propos de la nécessaire mise en place d'un véritable régime de mise en responsabilité des magistrats du parquet ? Vous nous avez donné des assurances sur la manière dont vous entendez faire respecter vos directives générales. Et nul ne saurait ignorer que cette responsabilité exige des dispositions organiques.

Notre collègue Jacques Floch a proposé d'attendre le futur projet de loi organique sur le statut des magistrats. Mais nous voulons adresser un signal fort au Président de la République qui bloque, en particulier, la réforme du Conseil de la magistrature.

Quant au "gouvernement des juges", la formule est contradictoire et tient plus du fantasme que de la réalité...

Le pouvoir politique, en France, a toujours nourri le martyrologue judiciaire. Tous les pouvoirs politiques, quels qu'ils soient, certains peut-être plus que d'autres, jusqu'à la caricature ces dernières années, tous ont cherché à disposer d'une magistrature docile. Ne pas "tenir ses juges", c'était pour un Garde des Sceaux commettre une faute politique.

Montesquieu le disait clairement : "Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ses trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers".

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé le 24 novembre 1994, qu'un tribunal, au sens de l'article 6 de la Convention, doit répondre à une série d'exigences telles que l'indépendance à l'égard de l'exécutif comme des parties en cause.

De Montesquieu à la Cour européenne, et grâce à ce Gouvernement, qui tient ses promesses, la France nourrit enfin l'espoir de disposer d'une autorité judiciaire impartiale et responsable.

Un éminent juriste écrivait : "On peut craindre qu'un ministère public aussi fortement constitué que le nôtre et entièrement soumis au pouvoir exécutif ne soit, au point de vue politique, une arme trop puissante dans les mains d'un gouvernement".

Est-ce donc par un remords tardif que le Président Chirac a parlé de "couper le lien entre le Parquet et la Chancellerie" ? Cette formule, vide de sens, serait-elle à l'origine du trouble de l'opposition aujourd'hui ?

Ni trompe l'oeil, ni gouvernement des juges, votre projet, Madame la Garde des Sceaux, rétablit la justice républicaine, égale, impartiale et juste ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste) que notre démocratie exige pour tous ses citoyens. Voilà pourquoi il est attendu et pourquoi nous serons à vos côtés pour le faire adopter par notre Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Arnaud Montebourg - Ce discours sera apprécié du ministre de l'intérieur.

M. Jacques Floch - "La justice puise sa légitimité de sa relation avec le peuple souverain... Elle doit d'autant plus être préservée des ingérences partisanes". En deux phrases, la conclusion du rapport Truche avait tout dit ou presque -mais c'est le "presque" qui est important, car on a entendu bien des déclarations fracassantes depuis quelques années pour annoncer que la justice allait être indépendante ! De quoi, comment, nul ne le précise, mais elle va être indépendante, et les magistrats pourront enfin respirer librement : le pouvoir politique ne dictera plus leurs décisions.

Chaque tentative de réforme de notre système judiciaire engendre une forte dose d'hypocrisie, car beaucoup souhaitent que rien ne se fasse, afin de préserver leur tranquillité dans leur petit coin. Le projet dérange car il précise le rôle du garde des Sceaux, la forme de ses relations avec les procureurs généraux et des relations de ces derniers avec les procureurs de la République.

Seuls les inconséquents ou les nostalgiques peuvent essayer de nous faire croire que le ministère de la justice, responsable de la politique pénale soit étranger à des poursuites qui intéressent l'ordre public sur l'ensemble du territoire national. C'est une responsabilité éminente du Gouvernement. Mais cela ne veut pas dire que la soumission hiérarchique des membres du parquet est absolue, car ils ne sont pas obligés de venir chercher des instructions. Un procureur, très médiatisé, le disait à ses collègues : "Si vous ne voulez pas d'instructions particulières, n'en demandez pas !".

De très nombreux magistrats n'ont jamais été soumis à la moindre pression, ils faisaient leur travail, et je ne suis pas sûr que leur carrière en ait pâti. D'ailleurs, quel mépris manifestent ceux qui affirment que l'indépendance des magistrats est liée à leur déroulement de carrière : je n'ai jamais compris que cela ne soit pas dénoncé comme outrage à magistrat !

Votre projet est équilibré, mais pour bien le comprendre il ne faut pas le sortir de son contexte : la réforme globale du système judiciaire, dont les autres volets sont une justice accessible et compréhensive par tous, grâce à un meilleur accès au droit, une réelle alternative aux poursuites, une simplification de la procédure civile ; et une justice moins liberticide, par le renforcement de la présomption d'innocence et un véritable droit des victimes.

Avec le présent texte, des magistrats vont avoir l'obligation de rendre des comptes, et à travers vous à l'ensemble des citoyens. Certains ont parlé de "soviets judiciaires" : heureusement que le ridicule a cessé de tuer. Il faut parler non de subordination, mais de l'émancipation de l'autorité judiciaire.

Il reste cependant un frein majeur, le fait que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature n'étant pas une réalité, les lois organiques qui en découlent ne puissent être votées : cela déséquilibre le bloc de la réforme, et le Président de la République en est le seul responsable, comme s'il ne souhaitait pas voir appliquer les engagements pris en 1995 et en 1997.

L'indépendance qu'il s'agit de garantir à la justice est un exercice de liberté à l'abri de toutes contraintes, sauf celles de la loi. C'est un pouvoir considérable, et l'évolution que vous préconisez conduit à poser la question de sa responsabilité. Mais l'institution judiciaire, c'est aussi la situation des magistrats : indépendance, transparence, régulation vont de pair avec la responsabilité. C'est pour cela que j'ai déposé un amendement liant l'application du projet au sort que réservera le Président de la République à l'ensemble de la réforme de l'institution judiciaire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Guy Hascoët - Lors de sa déclaration de politique générale, en juin 1997, le Premier ministre a annoncé vouloir restaurer la confiance, moraliser la vie publique et rendre à la politique toute sa place. Depuis, nous avons ouvert plusieurs chantiers, la parité, le cumul des mandats, les modes de scrutin, ainsi que celui de la justice, dont nous avons déjà examiné plusieurs volets. Après les lois sur l'accès aux droits, sur la résolution amiable des conflits, sur l'efficacité de la procédure pénale ; après la loi sur la présomption d'innocence ; voici un projet sur l'indépendance de la justice.

Nous approuvons la philosophie de ce texte, qui correspond à l'évolution de notre société. D'aucuns se réfèrent à Montesquieu, mais il ne pouvait imaginer la société de communication dans laquelle nous vivons...

M. Gérard Gouzes - Montesquieu est moderne !

M. Guy Hascoët - Cette réforme instaure un nouvel équilibre qui ne nous effraie pas, entre l'exécutif et les magistrats. Avec l'obligation de motiver les classements sans suite, il introduit un élément important de démocratisation. Combien de plaintes de victimes ou de recours associatifs qui n'aboutissaient pas, sans que l'on sache pourquoi, créant peu à peu le sentiment que la justice était étrangère aux citoyens. Cette disposition me paraît particulièrement significative, car elle concerne des milliers de nos concitoyens.

Par ailleurs, vous proposez de donner aux magistrats une responsabilité accrue. Vous mettez fin aux instructions particulières, c'était une urgence. D'autre part, sera précisé l'esprit dans lequel l'exécutif souhaite voir appliquer les lois. Certains collègues s'inquiètent de la façon dont sera contrôlée l'application des textes par les magistrats : cela nous renvoie à la question du statut de ces derniers, c'est-à-dire à la réforme du CSM, suspendue comme on sait à une décision présidentielle.

Nous proposerons très peu d'amendements au projet. Mais un point mérite d'être soulevé, nous semble-t-il, dans l'esprit même du projet : la question du statut de la police judiciaire. Ne serait-il pas logique d'aller au bout de la réforme, en créant des unités de police judiciaire directement rattachées au ministère de la justice, l'avancement de leurs membres ne dépendant plus de l'Intérieur ou de la Défense ? Je sais que c'est un débat délicat, mais je souhaite qu'il soit ouvert à l'occasion de ce projet, car il s'y rattache directement.

La discussion générale est close.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - En écoutant certains orateurs de l'opposition, j'imaginais le Persan de Montesquieu projeté soudain dans notre hémicycle. Il se serait demandé à quel âge d'or ce gouvernement renonçait, époque bénie où le Garde des Sceaux n'envoyait d'instructions individuelles que pour protéger la veuve et l'orphelin, où les procureurs s'inclinaient sans discuter et n'utilisaient jamais la liberté de parole à l'audience, comme si jusqu'à 1997 tout n'avait été que confiance et sérénité dans les relations entre les citoyens et la justice. Une grande confiance régnait aussi entre l'exécutif et le pouvoir judiciaire.

Assez vite sans doute, ce Persan se serait rendu compte qu'une succession d'instructions individuelles n'a jamais fait une politique pénale impartiale et cohérente. Ces instructions, d'ailleurs, n'ont jamais fait l'objet d'une quelconque évaluation. Il est même difficile d'en retrouver la trace. Qu'il s'agisse de la sécurité publique, de la maîtrise des conflits sociaux ou de la lutte contre le terrorisme, on a pu se passer de ces instructions, avec des résultats au moins aussi bons qu'auparavant. Quant à la crise de confiance qui commençait à ébranler les fondements de notre démocratie, elle me semble moins aiguë.

Aux orateurs qui doutent du nouveau dispositif, je veux dire qu'il vise à élaborer une véritable politique pénale. Les responsabilités de chacun seront décrites.

Quand j'ai décidé, avec le Premier ministre, que nous n'aurions plus recours aux instructions individuelles, j'ai aussi décidé qu'il n'y aurait aucune exception à ce principe. Il aurait suffi d'une seule, en effet, pour qu'on me reproche de n'avoir pas tenu parole. J'ai respecté mon engagement, y compris dans les affaires civiles. Nous avons bien été sollicités, mais je considère que toute affaire commerciale peut avoir des développements pénaux.

S'agissant des nominations, je n'ai pas non plus changé de ligne de conduite. Contrairement à mes prédécesseurs, y compris les plus récents, je n'ai ni écarté ni évincé aucun procureur général et je ne nomme personne sans avoir l'aval du CSM, ce qui est une grande nouveauté.

A ceux qui se sont permis de mettre en cause nommément des magistrats, je rappelle que ces fonctionnaires ont tous été nommés sur avis conforme du CSM.

Certains se sont interrogés sur le rôle du Garde des Sceaux, développant parfois des conceptions éloignées des miennes. Le Garde des Sceaux a pour mission d'assurer le bon fonctionnement des services régaliens que sont la justice, l'administration pénitentiaire et l'accompagnement des mineurs délinquants. Il reçoit des informations sur les affaires en cours et joue un rôle interministériel important, puisqu'il est constamment sollicité pour assurer la sécurité juridique des réformes entreprises. Il veille à l'application de la loi -c'est tout le sens des directives de politique judiciaire- et entretient des relations de coopération avec les autorités judiciaires européennes et internationales.

On m'a demandé à quoi serviraient les informations dont est destinataire le Garde des Sceaux, en l'absence d'instructions individuelles. Elles serviront tout simplement à ceux qui les fournissent, aux procureurs généraux, à qui nous enverrons des synthèses, des comparaisons, des informations. C'est ainsi qu'au vu des premières expériences, j'ai pris une nouvelle circulaire pour préciser le contenu des contrats locaux de sécurité.

Les informations serviront aussi au Garde des Sceaux pour élaborer sa politique pénale, pour évaluer l'efficacité des lois et procéder aux réformes nécessaires. Ainsi, en préparant le projet relatif à la lutte contre la délinquance des mineurs, nous nous sommes appuyés sur des rapports fournis par les parquets.

Ces informations nous permettront aussi de déceler les conduites aberrantes, de renseigner les autorités de l'Etat sur les principales procédures en cours et enfin d'informer le Parlement. Il m'arrive en effet d'être interrogée par les députés, sur la Corse, ou les violences urbaines... Faudrait-il que le Garde des Sceaux soit la seule autorité qui ne puisse rendre compte au Parlement de son activité ?

Oui, je vois les procureurs, les procureurs généraux, et il m'arrive même de recevoir des premiers présidents ou des présidents de juridiction. Il est de ma responsabilité de connaître les acteurs de la justice et de dialoguer avec eux. J'ai entendu hier des propos insultants. Quand je reçois des magistrats, j'ai à coeur de respecter leur dignité, comme eux respectent les engagements pris par le Premier ministre.

On peut avoir une autre vision de la justice et vouloir des magistrats soumis qui attendraient leurs instructions comme le malade, l'oxygène. Telle n'est pas ma conception de la justice. Telle n'est pas non plus le voeu des magistrats que je rencontre, qui ont compris le sens de la réforme.

Je mets au défi quiconque de prouver que je profite de ces rencontres, comme on l'a dit, pour donner des instructions déguisées aux magistrats. Si tel était le cas depuis deux ans, croyez-vous vraiment que la presse l'ignorerait ?

Dans une démocratie adulte, il faut se comporter en adulte, c'est-à-dire agir conformément à ses engagements, sans avoir peur d'assumer ses responsabilités devant l'opinion publique.

S'agissant de la police judiciaire, c'est pour moi une grande conquête démocratique que l'article 12 du code de procédure pénale, en vertu duquel la police judiciaire s'exerce sous la direction du procureur de la République.

Certains ont souhaité que la police n'obéisse pas trop à la justice. Je ne suis pas d'accord. Je ne pense pas que le droit brûle ceux qui l'approchent, mais au contraire, qu'il protège notre liberté.

Les citoyens disposeront d'un droit de regard. Les procureurs généraux devront appliquer les directives du Garde des Sceaux et motiver les classements sans suite, qui pourront être contestés.

En matière de responsabilité, personne avant moi n'avait osé imaginer un CSM qui ne serait pas majoritairement composé de magistrats, ni envisager la publicité des audiences disciplinaires, ni limiter la durée de fonctions des chefs de juridiction.

M. Gérard Gouzes - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Personne non plus n'avait voulu revoir notre régime de responsabilité sans faute et d'indemnisation en cas de détention provisoire injustifiée. Je suis prête à améliorer sur ce point le projet relatif à la détention provisoire. Mais personne n'avait voulu suivre M. Tourret dans cette voie, ni proposé la création d'une commission chargée d'examiner les plaintes des justiciables en cas de dysfonctionnement des tribunaux.

D'autres pistes doivent être explorées, comme la distinction entre responsabilité collective de l'Etat et responsabilité personnelle des magistrats. Nous y travaillons et le récent colloque organisé sur ce thème par l'Ecole nationale de la magistrature était intéressant.

Pour les magistrats du parquet, l'article 43 de l'ordonnance de 1958 dispose que la faute commise s'apprécie en tenant compte des obligations qui découlent de leur subordination hiérarchique. L'article 5 de la même ordonnance qui place ces magistrats sous l'autorité de leur chef hiérarchique et du Garde des Sceaux, n'est pas modifié.

Le problème de la responsabilité des magistrats se pose avec une actualité nouvelle en raison de la judiciarisation de notre société. N'oublions pas, cependant, que les magistrats du siège eux aussi sont soumis à un régime de responsabilité, puisque l'article 43 de l'ordonnance de 1958 dispose qu'ils peuvent faire l'objet de poursuites disciplinaires en cas de manquement aux devoirs de leur état.

On me dira qu'il s'agit là de principes purement théoriques. En un an pourtant, j'ai saisi trente fois les chefs de cour pour demander des explications, que ce soit à propos d'une certaine mission au Gabon, d'enseignements dispensés par certains magistrats dans des entreprises ou encore lorsque des polémiques publiques impliquent des magistrats. C'est ainsi qu'un procureur adjoint dans le Nord, vient de mettre en cause le SRPJ. J'ai demandé à l'inspection générale des services judiciaires de diligenter une enquête.

Ce service, d'ailleurs, a été renforcé : cinq postes se sont ajoutés aux dix existants, ce qui m'a permis de saisir quinze fois le CSM en un an pour divers manquements -violation du secret de l'instruction, corruption- dont six fois pour insuffisance professionnelle. Ce n'est pas rien !

Je rappelle que les textes en cours d'adoption sur le CSM et la présomption d'innocence vont renforcer la responsabilité des magistrats en fixant des délais, des recours, des contrôles etc.

Quant aux futurs projets de lois organiques, celui sur la réforme du CSM dit que les décisions disciplinaires seront publiques et motivées et celui sur le statut des magistrats limitera la durée de certaines fonctions. Les plaintes éventuelles des justiciables feront l'objet d'une procédure d'examen. Enfin la réforme de l'Ecole nationale de la magistrature intégrera tous ces éléments dans la formation des futurs magistrats.

Frédérique Bredin a cité hier le cas d'un homme accusé injustement du viol de deux fillettes. Il a été mis en examen le 4 septembre 1998 et les prélèvements de sperme et de sang ont été immédiatement effectués. Mais malgré deux rappels du juge, c'est seulement le 15 mars 1999 que le laboratoire a rendu les résultats des analyses qui ont innocenté cet homme. Deux jours après, il a été remis en liberté. C'est dire qu'on accuse parfois les juges de dysfonctionnements dont ils ne sont pas responsables, voire de violations du secret de l'instruction imputables à d'autres.

Vous avez évoqué le problème des moyens. Les deux derniers budgets de la justice ont augmenté dans une proportion 2,5 fois supérieure à la moyenne du budget de l'Etat et 70 postes de magistrats ont pu être créés en 1998, 140 en 1999.

Les crédits pour la protection judiciaire de la jeunesse ont fortement progressé. En 1997 le nombre d'éducateurs était identique à celui de 1985 alors qu'entre-temps le nombre de délinquants déférés à la protection judiciaire de la jeunesse était passé de 100 000 à plus de 150 000. Les recrutements d'éducateurs, qui avaient fortement chuté de 1986 à 1988...

Mme Véronique Neiertz - ...spécialement en Seine-Saint-Denis !

Mme la Garde des Sceaux - ...ont repris à partir de 1998.

Ce que je vous propose, c'est donc de restaurer la responsabilité du parquet en la fondant exclusivement sur l'intérêt général.

Pour opérer une rupture aussi radicale avec le passé, il faut inscrire dans la loi que les instructions individuelles sont interdites. C'est une garantie nécessaire pour que les prochains Gardes des Sceaux ne soient pas tentés de le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Claude Goasguen - Il est toujours facile de faire de la justice indépendante un slogan politique. La méthode n'est pas nouvelle, elle a été employée par le Premier ministre, après bien d'autres...

M. Arnaud Montebourg - Le Président Chirac ! (Rires)

M. Claude Goasguen - L'indépendance voulue aujourd'hui a pour but de sanctionner l'envoi d'un hélicoptère, en oubliant les camarades d'Urba, les camarades de l'OM, les camarades de la MNEF...

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - ...les camarades de la mairie de Paris !

M. Claude Goasguen - Cela me rappelle la parabole de la paille et de la poutre. Quand on a été proche d'un Président de la République dont on a découvert, encore hier, avec quel cynisme il gérait l'indépendance de la magistrature, on devrait éviter les leçons de morale. Il est toujours périlleux de légiférer dans ce domaine à coup de slogans et de caricatures. Le remède est souvent pire que le mal et ce projet en est l'illustration.

D'abord, précisons la terminologie. Il n'est pas question dans ce projet des juges, mais du Parquet, du ministère public. Le rôle du parquet est de représenter la société et l'Etat devant le juge. Sous l'ancien régime, on les appelait les "gens du Roi", c'était plus significatif. Si les Français connaissaient ce sérail au langage ésotérique, ils céderaient moins aux emportements démagogiques et aux phrases hypocrites. Vous ne faites d'ailleurs rien pour les informer objectivement de leurs droits et des dangers qui les menacent.

Au contraire, vos amalgames entretiennent le sentiment que la justice dans son ensemble était jusqu'à présent aux mains du pouvoir politique, sans s'interroger sur la nature des officiers du ministère public, investi d'une mission de défense de l'intérêt public.

Nous voilà donc face à votre texte électoraliste, que l'on nous présente parmi une multitude d'autres. Sous le nom de réforme de la justice, vous vous contentez d'une addition de slogans : le débat sur la présomption d'innocence nous a montré que vous préfériez les effets d'annonce aux solutions modernes.

Vous avez multiplié les consultations, rencontré les pires oppositions, notamment celles des magistrats qui dénoncent le déséquilibre de votre texte. Même vos alliés de la majorité plurielle se sont montrés virulents à l'encontre de ce projet de loi, et ont failli défendre des motions de procédure... avant de changer d'avis. Je n'ose suggérer que le parti socialiste, lui-même divisé sur ce point, ait fait jouer les rapports de force...

Cette révolution judiciaire doit mettre fin, selon vous, "à la tradition de soumission du parquet au pouvoir politique".

A vos yeux, la suppression de toutes instructions individuelles doit garantir l'impartialité de l'accusation, une meilleure transparence et le respect des libertés publiques. La soumission du parquet au pouvoir politique étant une caractéristique infamante, la solution passe par l'autonomie accrue des chefs de parquet, sans contrepartie en termes de responsabilité.

De votre propre aveu, ce texte ne prendra sa vraie signification qu'avec l'adoption de deux autres projets, dont l'un, sur le CSM, est déjà voté, mais non sanctionné constitutionnellement, l'autre étant une loi organique dont nous découvrons des bribes par ci, par là. Singulière méthode de discussion !

Mais ce qui vous importe, c'est d'affirmer la fidélité à votre slogan électoral. Vous voulez abattre un hélicoptère, faites-le, mais n'hypothéquez pas l'avenir des relations entre le juge et le citoyen !

En tant que libéraux soucieux de l'équilibre de nos institutions et de la défense des droits de l'homme, nous nous élevons en faux contre votre affichage politique. La hiérarchisation de l'accusation résulte de la volonté de garantir sa légitimité et le caractère démocratique de cette prérogative si importante.

Nous nous opposons aussi à votre vision d'un système d'accusation totalement soumis aux aléas d'un pouvoir politique partial. Votre responsabilité politique, issue du suffrage universel, fonde celle d'un procureur, qui n'a pas vocation à représenter la société par lui-même.

On peut donc s'interroger sur l'opportunité de rendre l'accusation indépendante du pouvoir démocratique. A nos yeux, c'est la pire des réponses à la problématique suivante : l'accusateur public, celui qui détient l'arme absolue d'ouvrir des poursuites à l'encontre du citoyen, n'est-il pas obligé de rendre des comptes à la société ? Comment pourrait-il le faire sans responsabilité ni contrôle ?

Votre texte porte atteinte à la légitimité même du parquet. Loin de garantir l'impartialité de l'accusation, il multipliera les sources de partialité de la justice, au mépris de la liberté et de l'égalité des citoyens.

De surcroît, comme vous craignez les dérives ultérieures nées du corporatisme judiciaire que vous aurez fait naître, votre texte attente à la dignité du parquet en prévoyant des sanctions indignes de sa tradition et une substitution de pouvoir infamante qui n'améliorera pas la confiance de nos concitoyens dans la justice.

Tour de force en somme que de manier avec la même maladresse à la fois l'indépendance et la dépendance excessives !

L'absence d'équilibre de ce texte comme l'absence d'évaluation de ses conséquences justifient pleinement le renvoi en commission.

Votre ambition de rompre le lien entre parquet et pouvoir politique n'est qu'affichage politique. Avec la fin des instructions individuelles, vous croyez faire plaisir aux médias et vous confortez vous-même dans le sentiment d'inaugurer une pratique "propre". Vous ne convainquez que vous-même.

Vous faites semblant de croire que la suppression formelle de ces instructions pourrait changer la nature et les fonctions du parquet. Quelle hypocrisie ! Il faut maintenir la possibilité pour le Garde des sceaux d'intervenir dans certaines affaires, y compris à caractère individuel, au nom même de la préservation de l'ordre public et des libertés individuelles.

Représentants de la nation et de l'intérêt général au procès, investis de la mission de défendre l'intérêt public, les procureurs exercent une mission de souveraineté qui va de pair avec une légitimité démocratique. Celle-ci passe par une soumission au Garde des Sceaux, laquelle n'est d'ailleurs pas inconditionnelle. Ainsi les procureurs voient-ils leur liberté de parole garantie. Dans 99 % des cas, ils disposent d'une totale liberté pour conduire l'enquête et engager des poursuites.

M. Gérard Gouzes - Ce sont les 1 % de cas restants qui posent problème.

M. Claude Goasguen - Faut-il légiférer aveuglément pour les 1 % restants, même si l'importance de ces dossiers n'est pas contestable, Monsieur Gouzes ? Procédant de la sorte, vous risquez de jeter le bébé avec l'eau du bain.

La réforme de 1993 avait renforcé les garanties statutaires des magistrats du parquet sans remettre en question la distinction des fonctions entre magistrats du siège et magistrats du parquet. Votre réforme, elle, entretient la confusion et risque de conduire à des abus de pouvoir de juges multipotents. Les avocats comme les magistrats s'en inquiètent. Les 35 premiers présidents de cours d'appel, réunis en assemblée plénière le 28 mai dernier, se sont prononcés à l'unanimité pour le maintien d'une distinction franche.

Mme la Présidente de la commission des lois - Mais elle demeure !

M. Claude Goasguen - Dans la mesure où les responsabilités du siège et du parquet diffèrent, il convient que nos concitoyens puissent les distinguer clairement, alors même que leur image est de plus en plus brouillée, les membres du ministère public étant de plus en plus souvent pris pour des juges. Telle est bien la réalité du système judiciaire, à laquelle vous vous heurtez. Vous avez donc opté pour l'affichage politique et les faux-semblants. Le système que vous préconisez sera inapplicable, et provoquera de nouvelles dérives.

Suppression des instructions individuelles, tel est votre slogan, à la fois inconséquent et hypocrite. Inconséquent tout d'abord dans la mesure où vous prenez le risque de déséquilibrer nos institutions républicaines en légiférant pour remédier à quelques dysfonctionnements.

Le sentiment que l'exécutif pouvait plus ou moins discrètement intervenir dans des affaires particulières pour des raisons étrangères à l'intérêt général a en effet pu nourrir le soupçon de partialité à l'égard de la justice.

L'article 36 du code de procédure pénale qui permet notamment au Garde des Sceaux d'enjoindre au procureur général d'engager des poursuites, serait responsable. Cet article, qui permet justement au Garde des Sceaux de veiller au respect de l'intérêt général en ordonnant au parquet de poursuivre, a en effet pu servir de prétexte à demander de ne pas poursuivre dans des situations délicates. Ce soupçon à lui seul menaçait gravement le pacte social et les institutions. Nous avons donc suggéré d'encadrer cette procédure et d'en garantir la transparence par le biais d'instructions écrites et versées au dossier. Cette mesure était bien préférable à la suppression pure et simple de l'article que vous proposez.

Depuis votre entrée en fonction à la Chancellerie, aucune instruction n'aurait jamais été donnée dans aucune affaire individuelle. Pouvez-vous nous éclairer sur le sens de cette affirmation ? N'avez-vous jamais enjoint de poursuivre lorsque vous avez eu connaissance d'une infraction quelconque ? Sur des affaires de haute importance intéressant l'intérêt général n'avez-vous jamais fait part "à chaud" aux procureurs généraux de l'opinion du Gouvernement ? Je ne me préoccupe pas ici d'affaires sensibles où seraient impliquées des personnalités publiques mais bien de la responsabilité du Gouvernement en matière pénale. Je pense, en conscience que la Chancellerie doit pouvoir intervenir, au nom même de l'intérêt général, dans certaines affaires particulières. Certaines affaires ont une dimension politique, au sens noble du terme, dont un gouvernement ne peut se désintéresser. Beaucoup partagent d'ailleurs cet avis dans votre majorité.

Devrait-on par exemple laisser le procureur général gérer seul le problème du terrorisme corse, en ignorant la dimension nationale de la question corse ? Le Gouvernement doit pouvoir donner son avis sur la poursuite de tel ou tel individu impliqué dans une opération terroriste et contrôler les poursuites en matière de séparatisme corse. Les orientations générales de politique pénale que vous proposez seront très insuffisantes en pareil cas.

Comment le Gouvernement pourra-t-il réagir promptement à une occupation illégale d'antenne Assedic ou à une grève des transporteurs routiers ? Dans de tels cas, la préservation de l'ordre public ne peut être laissée à l'appréciation d'un procureur, quelles que soient ses compétences. D'ailleurs si le procureur se trompait, vers qui le souverain, c'est-à-dire la représentation nationale, se tournerait-il ? Que répondriez-vous au banc du Gouvernement ? Vous ne pourriez que faire le geste de Ponce Pilate. En réalité, votre projet bute sur la définition d'une "affaire individuelle". En droit pénal, toute affaire est individuelle.

En supprimant délibérément l'article 36, vous priverez le Gouvernement d'un instrument important de la politique pénale dont il est responsable.

La suppression des instructions individuelles est par ailleurs hypocrite.

Cela empêchera-t-il le Garde des Sceaux de rencontrer les procureurs généraux, de leur téléphoner ? Alors que vous vous félicitez de ne jamais intervenir dans de telles affaires, comment interpréter la "sollicitude" que vous manifesteriez, au dire de certains hebdomadaires nationaux, pour des dossiers brûlants qui concerneraient des élus de votre majorité ? N'est-il pas surprenant qu'il ait suffi, dans l'affaire des paillotes corses, que le procureur d'Ajaccio affirme "qu'aucun élément ne permettait de remonter plus haut que le niveau local" pour que l'on ne songe plus à auditionner les conseillers du cabinet du Premier ministre ? Et les lenteurs du procureur de Paris, qui appartient à votre famille politique puisqu'il conseillait M. Nallet à la Chancellerie, sur le dossier de la MNEF vous laissent si indifférente que vous ne jugez pas utile de lui en parler lorsque, par hasard bien sûr, vous le rencontrez. Ce même M. Dintilhac nous explique d'ailleurs avec beaucoup d'humour à la télévision, les charmes de l'autonomie comparés aux affres de l'indépendance.

L'hypocrisie est à son comble ! Vous avez parlé, Madame, de "devoir d'information", qui était auparavant toujours "lié aux interventions dans les affaires individuelles et présentait un caractère aléatoire". Si l'on vous suit, avant vous c'était le néant, depuis la lumière. Quelle modestie ! Mais qu'est-ce qui, dans votre texte, garantit le caractère non "aléatoire" de ce devoir d'information ? Le procureur général informe le ministre de toute affaire qu'il estime devoir porter à sa connaissance tandis que le ministre s'informe de toute autre affaire qu'il estime digne d'intérêt. Où est la transparence ? Par rapport au "dialogue" entre le ministre et le procureur général mentionné par la commission Truche, il manque un détail essentiel : les échanges d'avis et d'informations devaient être écrits et publics.

Cette disposition reprend d'une main ce qui a été donné de l'autre, car elle permettra à coup sûr au Garde des Sceaux de donner son avis sur telle ou telle affaire, bref de revenir à ce que vous faites mine de condamner.

Vous m'objecterez que dorénavant, les procureurs généraux auront les moyens de résister à de telles pressions. Le rapporteur écrit même que si d'aventure un procureur recevait des instructions, en particulier téléphoniques, les nouvelles garanties apportées à son statut lui permettraient de les ignorer sans prendre le risque d'entraver sa carrière. Fallacieux argument : d'une part, les procureurs ont toujours eu la possibilité de ne pas obéir à une injonction illégale de ne pas poursuivre car comme tous les fonctionnaires, ils ont le devoir de ne pas obéir à un ordre manifestement illégal. Ensuite, parce que leur parole est libre. Peut-être de nouvelles règles viendront-elles atténuer le pouvoir du Garde des Sceaux dans la gestion des carrières des magistrats, mais à ma connaissance, celui-ci entend bien garder la main sur l'avancement et la nomination des parquetiers. Il reste l'autorité qui propose des noms et qui déclenche les poursuites disciplinaires. Du reste, Mme la ministre a déclaré devant la commission des lois que tout procureur un tant soit peu indiscipliné verrait sa carrière sanctionnée. Quel aveu !

Mais vous ne parviendrez pas, Madame, a traiter les procureurs en préfets judiciaires puisque par d'autres aspects du projet, vous leur donnez de nouveaux pouvoirs et contribuez à la naissance d'un corporatisme judiciaire.

Ce projet ne répond donc en rien à l'objectif affiché. Il risque au contraire d'accroître les cas de partialité. Car 33 procureurs généraux font 33 tentations de partialité. On peut même parler de 33 Gardes des Sceaux puisque le projet fait d'eux les seuls juges de l'opportunité des poursuites. Certes, le ministre peut mettre en mouvement l'action publique en cas d'inaction du procureur général. En réalité, ce système remplace l'instruction individuelle à poursuivre, sauf que la décision du ministre déconsidèrera publiquement le choix du procureur. En revanche, aucun contrôle de l'inopportunité de poursuivre n'est prévu : les procureurs généraux auront donc un pouvoir absolu de poursuite, même lorsque cela apparaîtra contraire à l'ordre public.

Vous paraît-il normal que cette compétence soit déléguée du Garde des Sceaux, désigné démocratiquement et responsable devant la représentation nationale, à un fonctionnaire de catégorie A du ministère de la justice ? A mon sens, cette disposition porte gravement atteinte à la hiérarchie des normes et aux règles d'ordre public de compétences dans notre organisation administrative. Elle pose plus fondamentalement une grave question de légitimité démocratique, que le Conseil constitutionnel sera certainement amené à étudier.

La concentration de pouvoirs entre les mains du seul procureur général est d'autant plus inquiétante que sa nouvelle autonomie va faire de lui une personnalité locale de premier plan, situation peu propice à le protéger des pressions partisanes. Il se transformera en autorité politique locale ayant en outre un ascendant supplémentaire de fait sur les magistrats du siège. Votre modernité, c'est la justice d'Ancien régime ! Il deviendra localement plus puissant qu'un préfet, lui qui pourra en outre décider par lui-même des moyens de police judiciaire dont il aura besoin. Nous sommes certes favorables à la constitution de brigades de police judiciaire sous le contrôle des magistrats, tandis que l'Intérieur aurait en charge la police administrative et la police de sécurité. Mais accorder une telle maîtrise des moyens de la police judiciaire à un procureur général aussi indépendant me semble dangereux. Qui tranchera en cas de conflit entre le commissaire de police et le procureur général sur l'affectation des moyens ?

Accorder autant de pouvoir au procureur dans la gestion des poursuites, c'est favoriser des situations de conflits attentatoires à la liberté et à la sécurité de nos concitoyens.

Le système que vous instituez est en outre contraire à l'égalité des citoyens devant la justice dans la mesure où il favorise l'atomisation de la politique pénale. Nous aurons ainsi copié ce qu'il existe de pire dans le système italien, soit de sérieux problèmes de coordination de l'action publique, et de phénoménales divergences juridiques selon la partie du territoire où l'on se trouve. Vérité en deça, erreur au-delà des Pyrénées -ou des Alpes. Là encore, votre politique a un sérieux parfum d'Ancien Régime qui réclament des précisions à ce sujet et qui, y compris dans votre majorité, soulignent les risques que présente ce texte. Mme la Garde des Sceaux préfère jouer à cache-cache sur ce sujet en nous faisant croire qu'il faut attendre le vote du Congrès sur le CSM avant d'avoir connaissance des dispositions sur le statut de la magistrature. En réalité, rien ne vous empêche de nous faire connaître dès maintenant les dispositions statutaires qui permettraient d'accroître la responsabilité des magistrats. Cela vous éviterait de nous demander un blanc-seing total.

J'en viens à votre fausse bonne solution de l'indépendance de l'accusation publique. L'indépendance de la justice est certes une notion moderne et libérale, affirmée par la Convention européenne des droits de l'homme comme par la Constitution française. Elle n'est cependant pas un absolu en soi, mais plutôt un instrument en vue d'une meilleure garantie des droits du justiciable. En France, elle résulte d'une conception particulière de la théorie de la séparation des pouvoirs. En réalité, le système français est assez équilibré et seuls quelques événements marginaux ont pu entacher la crédibilité d'une institution dans l'ensemble très respectable. En y regardant de plus près, on peut même considérer que les défauts de la justice française sont moins criants qu'ailleurs. Voyez l'importance des contestations de décisions aux Etats-Unis, les condamnations du Royaume-Uni sur la base de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ou encore les dérives du système italien.

M. Arnaud Montebourg - C'est sans rapport.

M. Claude Goasguen - Ne sommes-nous pas en Europe ? N'y a-t-il pas eu récemment des élections ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste)

M. Alain Tourret - Dures pour vous !

M. Claude Goasguen - L'indépendance de l'accusation est-elle le moyen de mieux garantir les droits des justiciables ? Nous ne le pensons pas. Toute l'histoire du droit démontre en effet que l'indépendance croissante du juge aboutit inévitablement à un conflit entre la justice et les deux autres pouvoirs. La justice, lorsqu'elle n'est plus une institution responsabilisée, peut être tentée par les dérives corporatistes.

Outre que vos intentions sont dangereuses, on perçoit dans votre texte une volonté insidieuse de reprendre d'une main ce qui a été donné de l'autre. L'omnipotence virtuelle du procureur général est en effet compensée de trois manières.

Le maintien du principe d'opportunité des poursuites est atténué en premier lieu par la motivation de la décision de classement sans suite et la possibilité de recours contre de tels classements. L'objectif est louable, la procédure choisie complexe et aléatoire. En effet, l'ouverture de ce recours à toute personne n'ayant pas qualité pour se porter partie civile mais ayant un intérêt suffisant pour agir nous fait craindre des dérapages. D'une part, elle pénalise la partie civile, qui ne pourra que supporter le coût financier et moral de la constitution de partie civile, tandis qu'une autre partie, par définition moins directement concernée par le dommage, aura une voie de contestation plus facile. D'autre part, qu'est-ce qu'une partie n'ayant pas qualité pour se porter partie civile mais ayant un intérêt suffisant à agir ? N'y a-t-il pas là un mélange approximatif de droit pénal et de droit administratif, qui risque d'ouvrir ce type de recours à toute association ou tout groupe de personnes animées d'un esprit partisan et procédurier ? Va-t-on davantage encore vers une certaine privatisation de l'action publique ?

Quant aux "orientations ou directives générales de politique pénale" qui prétendent maintenir un certain lien entre la Chancellerie et le parquet et qui sont considérées comme le nouvel et unique instrument de la conduite de la politique pénale par le Garde des Sceaux, elles ne font que remplacer les circulaires qui définissent les axes de la politique pénale. Mais il semble que le projet leur donne un caractère normatif, du fait de leur publication et de l'obligation faite aux procureurs de s'y conformer. Est-ce à dire que les citoyens justiciables pourront s'en prévaloir pour contester une décision du procureur, par exemple en cas de classement sans suite ?

Le projet reste silencieux sur la nature juridique de tels actes. S'agit-il d'actes réglementaires ? Non puisqu'ils ne seraient pas susceptibles de recours administratifs. Compte tenu des droits qu'ils confèrent, ils ne peuvent pas non plus être considérés comme des circulaires ou des directives au sens administratif, quand bien même le vote d'un amendement de la commission des lois les désignerait comme telles. S'agit-il alors d'actes de gouvernement, non susceptibles de contestation ? Drôle de modernité, dans un ordre juridique administratif qui voit justement cette catégorie décliner au nom des principes de transparence et de démocratie !

Ces actes feront évidemment grief aux personnes visées par des orientations même générales et elles pourront s'en prévaloir. En vertu d'une jurisprudence constante depuis l'arrêt du Conseil d'Etat Jamart de 1936, les ministres ne disposent d'aucun pouvoir réglementaire, sauf en ce qui concerne l'organisation interne de leurs services. Or ces orientations vont bien au-delà, puisqu'elles définissent les priorités de la politique pénale du Gouvernement.

Dans la mesure où de tels actes doivent être pris conformément à la loi, toute orientation- directive ne peut que reproduire et expliquer la loi. C'est aujourd'hui le cas des circulaires, qui n'ont qu'une valeur indicative et ne font pas grief. La classification des lois, le choix de poursuivre tel délit plutôt que tel autre déterminé par un acte normatif et obligatoire me semble donc constituer une violation de la loi, d'autant que ces actes, non attaquables, ne peuvent donc être sanctionnés juridiquement. Qu'en sera-t-il dans l'hypothèse où des instructions individuelles seraient déguisées sous la forme d'orientations générales ?

C'est un vrai pouvoir de substitution au parquet que votre texte octroie au Garde des Sceaux qui s'arroge une fonction juridictionnelle lorsqu'il met en marche lui-même l'action publique. Le principe, à savoir tempérer la toute puissance du procureur général, est louable mais cette notion d'intérêt général laisse une latitude très grande au Garde des Sceaux, qui pourrait même choisir par avance le type d'affaire pour lesquelles il préférerait être à l'origine de la poursuite.

Nous aurons bientôt des infractions à deux vitesses : celles du Garde des Sceaux, sulfureuses, sensibles et médiatiques, celles procureur général, qui auront peu de chances d'être commentées aux 20 heures ! Je vois là une atteinte dangereuse à l'unité de la politique judiciaire.

Votre pouvoir de substitution ressemble à la pratique de l'évocation, chère aux rois de France, qui laissaient le plus souvent la justice indépendante et qui justifiait la colère des juges dans les cas rares d'intervention brutale. Il n'est pas inintéressant d'étudier l'histoire car les juges restent les juges, pouvoir quelquefois concurrent du politique sous le contrôle d'une opinion publique omniprésente.

L'indépendance de l'accusation n'est qu'un leurre, accordée de façon irresponsable là où le maintien de l'autorité du Garde des Sceaux aurait été essentiel, et repris brutalement pour désavouer cette autonomie. Cette confusion ne peut que nuire à l'équilibre de l'institution judiciaire. Consacrant l'irresponsabilité de l'accusation, le projet compense maladroitement ce mouvement en usant de véritables voies de fait morales sur les magistrats.

Alors qu'un débat serein sur les relations de la justice avec le pouvoir et le citoyen devait s'ouvrir, vous avez déposé des textes décousus et vous avez esquivé le débat.

Pour le statut de l'accusation on pouvait hésiter entre plusieurs systèmes. Le premier, l'indépendance absolue de l'accusateur, ouvrait la voie à un corporatisme judiciaire naturellement contrebalancé par une forte responsabilité du juge. L'exemple italien, où les juges prennent des assurances pour se prémunir contre une responsabilité civile et pénale démesurée montre qu'une meilleure justice n'est pas garantie ainsi. La séparation totale des fonctions de juge et de parquetier, par la création d'un corps d'avocats de de l'Etat, fonctionnarisé et hiérarchisé, comme en Allemagne, où l'indépendance de la justice n'est pas un thème politique, semble trop éloignée de notre tradition juridique. Pour ma part, je préférerais une réforme souple et progressive du statut des magistrats du parquet et de l'accusation par une distinction plus franche entre les fonctions de magistrats du siège et de magistrats du parquet et l'institution, à l'intérieur d'une magistrature unique, d'une fonction de parquetier. On pourrait pour cela s'inspirer du modèle ibérique, notamment portugais.

Une plus grande différenciation de ces fonctions au sein du statut de la magistrature, par une modification du déroulement des carrières et du fonctionnement du CSM, serait une solution d'avenir, plus respectueuse de la tradition juridique française et surtout des libertés.

Cela permettrait sans doute d'aborder avec plus de courage la seule vraie réforme, celle que vous évitez soigneusement, celle qui défend les droits de l'individu devant le juge, bref, d'en finir avec notre procédure inquisitoriale centrée sur la recherche de l'aveu, et dont le maintien artificiel nécessitera désormais toutes les hypocrisies pour éloigner le soupçon de la pression politique.

Ce projet est donc déséquilibré, paradoxal et dangereux pour l'avenir de la justice en France. Il ne pose pas les vraies questions sur la modernisation de notre justice. C'est pourquoi je défends, au nom du groupe Démocratie libérale le renvoi en commission qui permettrait de réfléchir sur les moyens propres à rétablir la confiance des Français en leur justice.

Mme la Garde des Sceaux - Vous avez défendu, plutôt bien, la théorie de l'impartialité à 99 %, mais le problème tient au 1 % qui reste, zone de tous les dangers ou les principes se perdent...

En Corse, fallait-il que le Gouvernement donne des instructions pour aboutir à Tralonca ou qu'il n'en donne pas pour aboutir à l'arrestation des suspects de l'assassinat du préfet Erignac ? Je l'affirme ici, ma pratique des orientations générales est la même en Corse que dans tous les départements.

Vous avez par ailleurs défini de façon inédite mais imprécise les procureurs généraux comme des fonctionnaires de catégorie A du ministère de la justice. Mais la Constitution, dans ses articles 64 à 66, fait des magistrats les garants de la liberté. C'est leur mission, leur statut, leur devoir ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste).

Dans le système que je propose, la hiérarchie existe, elle est même pour la première fois inscrite dans la loi. Le lien n'est pas coupé mais refondé sur la base de l'intérêt général.

Enfin vous avez dit que je n'avais rien proposé sur la responsabilité. Mais si vous m'aviez écoutée, vous auriez eu des indications précises sur les futurs projets de lois organiques qui vous seront soumis dès que le Congrès aura approuvé le projet de loi constitutionnelle réformant le CSM (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Vallini, rapporteur de la commission des lois - Vous avez bien analysé ma pensée, Monsieur Goasguen : il est évident que la réforme du CSM qui est en gestation et qui sera définitive une fois que le Président de la République se sera enfin décidé à nous convoquer à Versailles, permettra aux magistrats du parquet de résister aux injonctions illégales ou déguisées du Garde des Sceaux, qui n'aura plus le pouvoir de nommer seul un magistrat du parquet. C'est un progrès considérable de l'indépendance.

En ce qui concerne les circulaires, les orientations du projet ou les directives -si l'on retient mon amendement-, l'arrêt Notre-Dame du Kreisker du Conseil d'Etat de 1954 leur confère une valeur interprétative et non normative en droit public. Le Conseil a en outre reconnu dans un avis de 1996 que le ministre de l'intérieur pouvait par circulaire encadrer le pouvoir discrétionnaire du préfet en matière de régulation des étrangers. Evidemment, le Garde des Sceaux a ainsi un pouvoir hiérarchique sur les magistrats du parquet.

Enfin, s'il y a un texte qui ne doit pas être renvoyé en commission c'est bien celui-là, qui a été déposé sur le bureau de l'Assemblée en juin 1998, sur lequel nous avons commencé à travailler dès la rentrée 1998, à propos duquel nous avons auditionné l'Association des avocats pénalistes, la Conférence des bâtonniers, le Conseil national des barreaux, l'Ordre des avocats à la cour de Paris, l'Association française des magistrats chargés de l'instruction, l'Association professionnelle des magistrats, la Conférence nationale des premiers présidents, la Conférence nationale des procureurs généraux, le Syndicat de la magistrature, l'Union syndicale des magistrats, le Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale, le Syndicat national des officiers de police, le Syndicat Synergie officiers.

MM. Pascal Clément et Claude Goasguen - Ils sont tous contre !

M. le Rapporteur - Vraiment, il est bien tard pour dire qu'en neuf mois nous n'avons pas travaillé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote.

M. Arnaud Montebourg - Nous avons compris que l'opposition ne voulait pas de ce texte ...

Et tous les moyens lui sont bons pour justifier son refus. Nous avons fait un énorme travail en commission, mais il est vrai qu'on n'y a guère vu l'opposition argumenter.

A l'origine de cette loi, il y a eu un constat universel, que le Président de la République lui-même a fait lorsqu'il a installé la commission Truche le 21 janvier 1997 : "Nos concitoyens soupçonnent la justice d'être parfois soumise à l'influence du Gouvernement. J'ai souhaité que soient examinées la réalité et l'ampleur de ce manquement aux textes fondamentaux".

Les propositions de la commission Truche, elles sont dans ce projet et nous les adopterons malgré vous. Vous pourriez au moins reconnaître que nous tirons la leçon de tout un passé, quel qu'il soit. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler ici les petites scélératesses de certains magistrats, qui se conduisaient en sous-préfets aux ordres de certain gouvernement, tel le procureur Benmakhlouf, chargé de contrôler les affaires de la ville de Paris, alors qu'il avait auparavant milité à Paris, et qui s'est acharné sur un parlementaire socialiste, tout en classant successivement les affaires Juppé 1, Juppé 2, Juppé 3.

M. Claude Goasguen - Ca suffit ! Et le Président Mitterrand ?

M. Arnaud Montebourg - L'opposition est décidément incorrigible, et je ne suis pas étonné qu'elle soit rejetée régulièrement par le corps électoral !

M. Charles Cova - Nous reviendrons ! Et nous nous souviendrons de tout ça.

M. Arnaud Montebourg - Je demande évidemment à mes collègues de repousser la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

M. Pascal Clément - Si on avait des doutes, ce qui vient d'être dit justifierait le renvoi en commission. Nous pourrions citer de part et d'autre de longues listes d'affaires. A quoi bon ? Le vrai problème, c'est que l'article 36 du code de procédure pénale n'est pas appliqué : vous en concluez qu'il faut une autre loi. Mais en interdisant au Garde des Sceaux d'enjoindre à un procureur de poursuivre, vous lui permettez de se substituer au juge pour mettre en mouvement l'action publique. A sa racine, votre texte est inconstitutionnel. Il aurait été plus simple de reconnaître que sa légitimité politique donne au Garde des Sceaux le droit d'exiger des poursuites (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Luc Warsmann - Mme la Garde des Sceaux a relevé tout à l'heure que je n'étais pas dans l'hémicycle, mais j'ai suivi son propos à la télévision. Il y a plusieurs façon d'aborder ce débat. On peut s'envoyer quelques gracieusetés bien choisies. Moi, j'ai lu Le Monde d'hier, où j'ai trouvé quelques exemples des interventions du feu président. Mais je préférerais que nous échangions des arguments de fond. M. Goasguen a bien montré les problèmes que pose ce projet et le RPR votera la motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - Conformément à l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle les articles du projet dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER

M. Pascal Clément - Ce qui est choquant, ce n'est pas qu'un Garde des Sceaux puisse donner des instructions individuelles de poursuivre, mais qu'il donne des instructions de ne pas poursuivre. Pourquoi s'amputerait-il de ce droit ?

Tout votre système repose sur la fiction selon laquelle l'article 36 du code de procédure pénale portait en lui tous ses dévoiements. Ce n'est pas le cas et les dévoiements doivent être sanctionnés.

La France est un pays extraordinaire : si une loi n'est pas appliquée, on en vote une autre.

Pourtant, il y aura des dévoiements, des instructions, des directives qui ne seront pas individuelles et qui seront données de manière indirecte.

Vous nous dites que le Parlement sera informé chaque année. Mais tout ministre doit rendre compte de sa politique devant les parlementaires. Il est inutile d'inscrire dans la loi une telle évidence.

On aura bientôt un Garde des Sceaux qui donnera l'impression de suivre toutes les affaires sans en diriger aucune.

M. Jean-Luc Warsmann - L'article premier tend à supprimer les instructions individuelles, qui constituent pourtant un moyen de régulation de la politique pénale. Elles ont servi, par exemple, à montrer l'intérêt de la Chancellerie pour certaines poursuites ou à infléchir une jurisprudence.

Je l'ai déjà dit cependant, je suis favorable, personnellement, à la suppression de ces instructions individuelles. Cependant, on ne peut prétendre qu'il s'agit d'une révolution et que cette mesure suffira à rendre transparent le fonctionnement de la justice. En premier lieu, il y aura toujours des instructions individuelles en matière commerciale : Mme le Garde des Sceaux l'a admis en s'engageant à ne pas en donner. En outre, ce que vous donnez d'une main, vous le reprenez de l'autre, puisque vous allez disposer d'un droit de déclenchement direct de l'action publique. Ainsi, quand un magistrat refusera de poursuivre, le Garde des Sceaux pourra le faire à sa place. On imagine à quel point l'affaire en question attirera l'attention. Si le tribunal prend une décision de relaxe, ce sera un grave désaveu pour le Garde des Sceaux. Si une condamnation est prononcée, en revanche, on soupçonnera toujours les magistrats d'avoir suivi les indications du Gouvernement.

Je veux aussi dénoncer cette obligation fantastique que vous voulez donner aux procureurs généraux en exigeant qu'ils vous informent de toutes les affaires en cours.

Vous dites avoir besoin de ces informations pour élaborer votre politique pénale. C'est faux. Pour lutter contre le trafic de drogue, vous n'avez besoin que de données générales, pas de l'identité des personnes poursuivies ni des actes de procédure ! Vous avez exigé d'être avertie dans l'heure de toute affaire sensible. C'est ce que vous appelez "l'information des autorités de l'Etat". Non, le Parlement n'a pas à vous donner le droit d'accéder à toutes les pièces dans l'affaire Dumas. Nous ne pouvons l'accepter.

Mme Nicole Catala - Je vous proposerai tout à l'heure de supprimer l'article premier, car votre réforme est fallacieuse. Vous savez bien que des instructions individuelles pourront toujours être données par voie téléphonique. Pour peu que nous ayons un Garde des Sceaux interventionniste, votre objectif ne sera pas atteint. Vous aurez donc porté atteinte pour rien aux principes fondamentaux de notre système judiciaire, dans lequel le Garde des Sceaux porte seul la responsabilité politique des décisions prises. Dans une affaire délicate ou quand l'ordre public est menacé, un simple magistrat ne peut porter cette responsabilité. Vous ne pouvez la lui transférer.

En outre, vous savez bien qu'il n'est pas possible de distinguer les instructions individuelles des instructions à portée générale. Cette réforme est mauvaise et dangereuse.

M. Pierre Albertini - De la rareté des instructions individuelles Mme le Garde des Sceaux conclut à leur inutilité. Nous sommes bien d'accord avec elle pour estimer qu'on ne construit pas une politique pénale à coups d'instructions individuelles, mais c'est là enfoncer une porte ouverte.

Il aurait fallu laisser à la loi de 1993 le temps de s'appliquer. Quant à la vôtre, elle ne remédiera pas aux problèmes, car dans le fonctionnement de la justice, le non dit restera aussi important que les règles explicites.

Nous voulons bien croire aux bonnes paroles que vous nous prodiguez depuis deux ans, mais au-delà de votre personne, c'est le fonctionnement global de l'institution qui nous préoccupe.

Votre réponse à la motion de renvoi m'a semblé un peu idyllique. Si la justice se portait bien, on le saurait. S'il y a bien une institution en crise dans notre pays, c'est elle.

Personne n'est en mesure d'évaluer la performance de notre système judiciaire.

Si les premiers présidents des cours d'assises ont pris position en faveur d'une séparation totale du siège et du parquet, c'est peut-être parce qu'il existe des problèmes dans la gestion du matériel, des conflits de préséance, mais c'est surtout parce qu'il est prévu, dans un esprit de confusion, d'étendre aux magistrats du parquet l'indépendance dont jouissent ceux du siège. Or les magistrats du parquet ne peuvent disposer que d'une indépendance statutaire et non fonctionnelle.

Le métier de "parquetier" n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a vingt ou trente ans. Le procureur est le plus souvent hors du palais de justice. Il participe à des actions de prévention, il est sollicité au titre de la politique de la ville, il est confronté à l'opinion publique quand il doit répondre à des problèmes de délinquance de masse. De plus en plus souvent, il réclame des sanctions extrajudiciaires. Dans ces conditions, comment voulez-vous que ces magistrats ne s'interrogent pas sur leur rôle et que leurs collègues du siège ne se demandent pas s'il reste des points communs aux deux catégories de juges ?

Votre texte nous effraierait moins s'il y avait dans notre pays un pouvoir politique fort, dont la responsabilité pourrait être engagée. Or il n'y a plus de responsabilité politique ! Sous la IIIème République, aurait-on vu des ministres résister à des affaires comme celles du sang contaminé ou de la vache folle ? Ils auraient dû démissionner ou le Gouvernement aurait été renversé. Aujourd'hui ce n'est plus le cas. Aussi la judiciarisation de la société se développe, sans satisfaire personne. Quand la responsabilité est collective, que le système entier est en cause, comment désigner un coupable ?

Si le pouvoir politique avait vraiment la force de fixer le cap et que nos concitoyens adhéraient plus fondamentalement aux valeurs de notre République, nous aurons sans doute approuvé votre réforme. Mais c'est précisément parce que ce n'est pas le cas et que le risque d'une corporatisation de la justice est réel que nous vous demandons de bien réfléchir aux conséquences de votre projet.

Puisque la vertu nous gagne les uns et les autres, cessons de nous envoyer à la figure les dérives très nombreuses sous le double septennat de François Mitterrand et celles plus récentes, que l'opinion publique a d'ailleurs sanctionnées. Cessons ce petit jeu et préoccupons-nous de l'avenir, de rétablir le pouvoir politique dans son rôle.

Mme Huguette Bello - Symbole de notre liberté, l'indépendance de la justice reste l'une des plus précieuses conquêtes révolutionnaires, qu'il nous faut renforcer pour le progrès de la démocratie. Si la mémoire collective garde le souvenir d'une justice soumise aux injonctions du politique, ce temps semble aujourd'hui révolu. La vie a précédé la loi et on nous propose aujourd'hui d'inscrire dans un texte ce qui est déjà une réalité.

Souhaiter une justice indépendante renvoie à la question de la responsabilité des magistrats. Beaucoup de choses ont été dites sur ce thème, mais avant toute considération juridique, une question générale se pose.

Personne ici n'aura la naïveté de penser qu'aucun Gouvernement, aucun ministre n'a jamais été tenté d'intervenir mal à propos dans les affaires de la justice. De tels errements doivent être désormais combattus.

Mais ne pensez-vous pas que d'autres tentations autrement plus fortes menacent l'indépendance de l'autorité judiciaire, quelle que soit l'intégrité des magistrats ? Que dire du pouvoir des médias, des campagnes qu'ils sont capables d'organiser ? Peut-on être sûr qu'un juge saura résister à l'ivresse de se bâtir par l'image une notoriété rapide ? Qu'il gardera tout son sang-froid pour juger, sous une telle pression ? Les magistrats sont-ils des surhommes ?

Le peuple a besoin de sentir que la justice est rendue en son nom. Si ce n'est pas le cas, quel moyen aura-t-il pour ramener les magistrats à la règle ?

Les conséquences des décisions des juges sont souvent très lourdes. Est-ce l'intérêt de la justice, est-ce leur propre intérêt que de pouvoir décider du sort de chacun sans être soumis à aucune forme objective de responsabilité ?

Les Français veulent une justice indépendante mais surtout impartiale. Nous devons nous demander comment corrélativement au renforcement de l'indépendance de l'autorité judiciaire vis-à-vis du pouvoir politique, garantir l'indépendance des magistrats vis-à-vis d'eux-mêmes.

Le plus juste des hommes peut-il se libérer de ses préjugés, de ses craintes, de ses appartenances sociales, culturelles, philosophiques ou politiques ? Et, dans nos sociétés insulaires ce risque n'est-il pas encore plus grand ? A la Réunion, un magistrat peut-il s'extraire, seul, des contingences d'une société encore marquée par le souvenir de l'esclavage et de la colonisation ?

La volonté morale d'impartialité peut-elle subsister s'il n'y a jamais de comptes à rendre ? A la Réunion, à une époque pas si éloignée, le parquet s'est senti tellement à l'abri qu'il a pris la liberté de constituer, sans aucune base légale, une officine dénommée cellule anti-corruption qui s'était chargée, avec la complicité de certains services de l'Etat, d'ouvrir des enquêtes sur des personnes sur lesquelles allaient s'abattre les foudres de la justice.

Si ces pratiques contribuent à nourrir la défiance des Réunionnais vis-à-vis de la justice, elles ternissent également, outre-mer, l'image de l'Etat.

Rétablir la crédibilité de la justice pour tous les citoyens suppose de combattre tous les arbitraires, qu'ils soient politiques ou judiciaires.

Parlant de l'indépendance de la justice, Montesquieu disait que "le pouvoir doit arrêter le pouvoir". Pas d'excès de pouvoir du politique. Pas d'abus de pouvoir des magistrats (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV).

M. Jacques Brunhes - M. Albertini a évoqué les problèmes de la vertu en politique. J'avais déjà abordé cette question dans cet hémicycle en 1997, au moment du plan Juppé. Pour Socrate, la vertu était la première chose à apprendre à un citoyen ayant à exercer des responsabilités publiques. Qu'est-ce que la vertu en politique ? C'est d'abord de mettre en oeuvre le programme sur lequel on a été élu.

En novembre 1997 le plan Juppé allait exactement à l'encontre du programme sur lequel s'était fait élire le Président de la République, à savoir la lutte contre la fracture sociale.

Vous devriez donc réfléchir, Monsieur Albertini, aux raisons de l'échec de cette politique...

M. Pierre Albertini - Il y a longtemps que j'ai fait cette analyse !

M. Jacques Brunhes - Et vous devriez reconnaître que ce gouvernement-là est vertueux : ce qui a été annoncé par M. le Premier ministre dans son discours d'investiture et par Mme la Garde des Sceaux dans son discours d'orientation de janvier 1998 est absolument suivi à la lettre. Nous avons donc un discours vertueux, vous ne pouvez pas le nier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 58 de Mme Catala supprimant l'article premier a été défendu.

L'amendement 58, repoussé par la commission et le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - Comme cette séance devra être levée au plus tard à 19 heures, je propose que nous entendions les interventions sur l'amendement 12 rectifié et que nous arrêtions là, avant l'examen des sous-amendements qui sont très nombreux.

M. le Rapporteur - L'amendement 12 rectifié procède à une réécriture de l'article 1er pour réaffirmer plus clairement que les magistrats sont placés sous l'autorité du ministre de la justice et préciser le contenu du droit d'action de ce dernier.

A l'article 30, le terme d'"orientations" est remplacé par celui de "directives", moins vague, et il est précisé qu'elles sont transmises aux parquets pour application, tandis que les magistrats du siège ne les reçoivent que pour information.

Il est clairement précisé que le ministre ne peut plus donner aucune instruction individuelle, ceci afin que cette règle soit gravée dans le marbre de la loi.

L'article 30-1 distingue les conditions de mise en mouvement de l'action publique par le ministre des modalités de cette mise en oeuvre. Il précise que lorsque le ministre estime que l'intérêt général commande des poursuites pénales, il doit mettre en mouvement l'action publique et peut faire appel ou former un pourvoi en cassation contre une décision mettant fin à ces poursuites.

Enfin je propose de regrouper dans l'article 30-2 toutes les dispositions relatives à l'information.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis tout à fait favorable à cet amendement qui renforce la cohérence et la lisibilité de l'article premier.

Le terme de "directive" met mieux l'accent sur la responsabilité du Garde des Sceaux et les obligations qui en découlent pour les magistrats du parquet, tenus de les mettre en oeuvre.

Je suis également favorable à la précision qu'aucune instruction ne peut être donnée dans une affaire individuelle.

Je suis favorable au regroupement dans un même article des dispositions relatives à la publicité des directives, à l'exercice du droit d'action et à l'information du Parlement.

Je suis enfin, à la réflexion, favorable à la possibilité donnée au Garde des Sceaux de former un appel ou un pourvoi dans les procédures qu'il a lui-même engagées contre les décisions de refus d'informer, de non-lieu ou de relaxe.

M. Jean-Luc Warsmann - Que ces orientations deviennent des directives changera-t-il leur nature juridique ?

Le non-respect de ces directives par un magistrat du parquet peut-il entraîner des sanctions disciplinaires ? En a-t-on déjà pris à ce motif ?

M. Alain Tourret - Cet amendement, qui tend à réécrire l'article, représente un progrès incontestable par rapport au texte initial.

Il resserre les liens entre le pouvoir politique et l'autorité judiciaire. Le droit pour le Garde des Sceaux d'interjeter appel d'une décision, même s'il est encore insuffisant, limité au non-lieu et à la relaxe, est également une bonne mesure. Il faudrait aller plus loin et j'ai d'ailleurs déposé des amendements en ce sens. Mais je tiens d'ores et déjà à remercier le rapporteur qui a bien voulu tenir compte des observations pressantes que je lui avais adressées.

M. le Président - Cet amendement fait l'objet de 17 sous-amendements. Je propose donc de lever la séance avant de commencer leur examen.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, ce soir, à 21 heures.

La séance est levée à 18 heures 50.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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