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Assemblée nationale

COMPTE RENDU

ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 1998-1999 - 114ème jour de séance, 292ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 29 JUIN 1999

PRÉSIDENCE DE M. François d'AUBERT

vice-président

          SOMMAIRE :

MODIFICATION DU RÈGLEMENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE 1

    EXPLICATIONS DE VOTE 9

COOPÉRATION INTERCOMMUNALE -CMP- 9

LIAISON TRANSMANCHE (procédure d'examen simplifiée) 18

NUISANCES SONORES AÉROPORTUAIRES (Procédure d'examen simplifiée) 23

La séance est ouverte à vingt et une heures.


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MODIFICATION DU RÈGLEMENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution tendant à modifier les articles 50, 91 et 108 du Règlement de l'Assemblée nationale.

M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois - Cette proposition de résolution visant à améliorer les conditions de travail de notre Assemblée fait suite à de nombreuses réunions de travail au cours desquelles j'ai rencontré des représentants de l'ensemble des groupes. Modeste, elle permettra néanmoins, dès la rentrée 1999, à chacun d'exprimer ses opinions tout en fixant des règles -desquelles aucune démocratie ne saurait se passer.

"Gloire aux pays où l'on parle, honte aux pays où l'on se tait" : c'est en ces termes que Georges Clemenceau défendait la démocratie parlementaire à la tribune de la Chambre en 1888. Vingt ans après, le même Clemenceau, devenu président du Conseil, déplorait : "On perd trop de temps en de trop longs discours et une grande économie de temps pourrait être faite dans cette Assemblée"...

Le dilemme est inhérent au régime parlementaire : comment assurer la libre expression des forces politiques représentées dans les assemblées sans paralyser le fonctionnement de l'institution ? Selon que l'on se trouve dans la majorité ou dans l'opposition, on sera tenté de répondre différemment. Pour ma part, je me suis efforcé dans mon rapport de ne prendre en compte que l'intérêt général.

Comme le rappelait à juste titre Mme Tasca dans son rapport relatif à la dernière réforme du Règlement, il est sans cesse nécessaire de "s'attaquer à l'un des plus vieux ennemis de l'institution parlementaire, contre lequel nous menons un perpétuel combat et qui, jamais, ne nous laisse de répit : le temps". Et la proposition de résolution présentée par le président Fabius ne déroge pas à la règle : elle vise à améliorer l'organisation du travail parlementaire en tirant au mieux parti de la contrainte temporelle.

Elle comporte deux dispositions. Son article premier prévoit de déplacer la séance consacrée à l'ordre du jour d'initiative parlementaire du vendredi au mardi matin. Son article second tend à limiter la durée des interventions lors de la discussion des motions de procédure.

Le débat sur le Pacs à l'automne dernier a mis en lumière tout l'intérêt de l'ordre du jour d'initiative parlementaire mais aussi les difficultés d'organiser l'examen des textes de cette importance le vendredi matin. Il a également révélé les excès qui pouvaient apparaître lors de la défense des motions de procédure. Le président Fabius propose de mettre un terme à ces débordements tout en préservant la liberté d'expression des députés. En lien avec la prochaine réforme de la discussion budgétaire, sa proposition permettra d'améliorer nos travaux sans porter atteinte aux principes qui fondent l'édifice parlementaire.

La loi constitutionnelle du 4 août 1995 dispose qu'une séance par mois des assemblées est réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée. Jusqu'alors, l'ordre du jour était fixé par priorité selon les souhaits du Gouvernement, en application de l'article 48 de la Constitution. La séance supplémentaire introduite en 1995, à laquelle le Gouvernement ne peut s'opposer, constitue un pas vers le renforcement de la fonction parlementaire, que préconisait le rapport du comité Vedel.

Une réforme entreprise par le président Fabius l'an passé a par ailleurs permis d'étendre cette "plage parlementaire". Possibilité a été ouverte de prolonger la séance du vendredi matin par une séance le vendredi après-midi, cette fois dans le cadre de l'ordre du jour complémentaire, si bien que le Gouvernement peut fixer, en lieu et place, une séance relevant de l'ordre du jour prioritaire. Il n'a cependant jamais usé de cette faculté et ne s'est jamais opposé à la tenue de cette séance.

Le bilan de ces "plages parlementaires" est tout à fait satisfaisant. De 1995 à 1999, 36 textes ont été adoptés dans ce cadre sur des sujets importants : la responsabilité pénale des élus locaux, le surendettement des ménages, le fonctionnement des conseil régionaux, la situation des chômeurs de moins de 60 ans, les mines antipersonnel...

Pour autant, le choix du vendredi pour la tenue de ces séances a soulevé des difficultés. L'ubiquité n'étant pas un don naturellement garanti aux parlementaires qui doivent se rendre dans leur circonscription, une insuffisante assiduité risque de discréditer ces séances.

C'est pourquoi il a été décidé, à partir de décembre 1998, de réunir l'Assemblée le jeudi matin pour examiner les propositions de loi. Cette solution n'est pas non plus apparue optimale dans la mesure où le jeudi matin, se tiennent de nombreuses réunions au Palais-Bourbon qui peuvent détourner les députés de l'hémicycle. Il vous est donc aujourd'hui proposé de réserver la matinée du mardi à ces fenêtres parlementaires. Je ne m'étends pas sur la conformité à la Constitution de cette disposition, nous y reviendrons. Mais je tiens à souligner l'excellent travail réalisé par la commission des lois, lequel devrait nous permettre d'éviter une censure du Conseil constitutionnel.

Le deuxième article de la proposition de résolution a trait à la défense des motions de procédure. Moment privilégié de la vie parlementaire, elle permet à l'opposition d'affirmer avec force son rejet du texte discuté, à la majorité d'exprimer à la fois sa cohésion et son soutien au texte. La question préalable, l'exception d'irrecevabilité et la motion de renvoi en commission ont été largement utilisées, quelle que soit la majorité au pouvoir. De ce point de vue, l'opposition d'aujourd'hui et celle d'hier peuvent être renvoyées dos à dos.

Certes, les chances de succès sont minces... Au cours des Xème et XIème législatures, une seule motion de procédure a été adoptée, dans des circonstances sur lesquelles je ne reviendrai pas.

M. Thierry Mariani - Les députés de la majorité n'étaient pas là...

M. le Rapporteur - Néanmoins, le recours aux motions de procédure est fréquent car c'est pour l'opposition une occasion de s'exprimer.

Cependant, la marge est grande entre l'expression normale de ses convictions et l'obstruction stérile aux textes défendus par une majorité... La discussion du Pacs en est une belle démonstration. Parler pendant cinq heures sur une motion de procédure est sans doute une performance d'ordre athlétique, mais n'apporte rien au débat.

Le Sénat, pour éviter de tels débordements, a limité le temps de parole sur une motion de procédure à quinze minutes. Nous aurions pu, bien sûr, nous appuyer sur cette référence, mais j'ai senti une résistance au sein de certains groupes.

M. Thierry Mariani - Le Sénat devient une référence pour les socialistes : c'est nouveau !

M. le Rapporteur - L'important, outre l'image que nous donnons au pays, est le message que nous lui adressons : il nous faut impérativement assurer la lisibilité de nos débats. Or, une fois les enjeux d'un texte posés, l'essentiel est de débattre des modifications à y apporter. C'est la raison pour laquelle nous proposons qu'en première lecture, sur chacune des trois motions de procédure possibles -exception d'irrecevabilité, question préalable, motion de renvoi en commission- le temps de parole soit limité à 1 heure 30, tout en laissant à la Conférence des présidents la faculté d'en décider autrement ; en deuxième lecture, ce temps de parole serait limité à trente minutes, et pour les lectures ultérieures, à quinze minutes.

Certains auraient souhaité que la possibilité de déposer des motions de procédure fût supprimée à partir de la deuxième lecture.

Cela paraît difficile : il est nécessaire, par exemple, de pouvoir défendre une exception d'irrecevabilité car rien n'empêche qu'un amendement modifie fondamentalement le texte en discussion et puisse éventuellement être jugé contraire aux dispositions constitutionnelles.

Je suis persuadé que cette réforme, à laquelle s'ajoutera ce que nous proposera dans quelque temps le président Laurent Fabius sur la discussion budgétaire, facilitera nos débats et en donnera une meilleure image. Je souhaite qu'à l'instar des présidents de groupe, l'Assemblée nationale manifeste son accord, en l'adoptant à l'unanimité -ce qui serait le gage de la réussite (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Cette proposition de résolution assure un juste équilibre entre le droit d'expression et la bonne programmation des travaux de l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a lui-même contribué à celle-ci depuis le début de l'année puisque aucune séance n'a été programmée en dehors des mardis, mercredis et jeudis, sauf pour un débat sur le Kosovo et, le vendredi 18 juin, pour achever la discussion d'une proposition de loi, engagée lors d'une séance réservée à un ordre du jour fixé par les parlementaires.

Soyez certains que le Gouvernement veillera à appliquer ces mêmes principes au cours de la prochaine session. Il apporte son entier soutien à cette proposition de résolution ; je remercie le président de l'Assemblée nationale d'en avoir pris l'initiative, et le rapporteur pour son excellent travail. Je remercie également l'ensemble des députés qui adopteront ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Thierry Mariani - Le sujet est tellement grave que je serai beaucoup plus concis que d'habitude ! (Rires) Ce texte, en apparence séduisant, est terriblement dangereux. Comment la majorité d'aujourd'hui peut-elle s'apprêter, par son vote, à censurer l'opposition qu'elle ne tardera pas à être ? (Sourires)

M. François Goulard - Bravo !

M. Thierry Mariani - Avant d'en venir au fond de cette proposition de résolution, je souhaiterais vous faire part de mon inquiétude quant aux conditions dans lesquelles nos débats sont organisés sous cette législature.

Lors de l'instauration de la session unique, il avait été clairement établi que nous ne devrions plus siéger de nuit, sauf durant la discussion budgétaire ou en cas de circonstances exceptionnelles ; depuis deux ans, les séances de nuit sont monnaie courante et concernent des textes de plus en plus importants. Le Pacs, la CMU, la loi sur la nationalité, la loi RESEDA ont été discutés des nuits durant.

Mme Monique Collange - La faute à qui ?

M. Thierry Mariani - Ce n'est pas la meilleure façon de faire un travail de qualité.

J'en viens à la proposition de résolution.

Nous pouvons comprendre les motivations de l'article premier, mais son application ne sera pas aisée. En effet, fixer la niche parlementaire le mardi matin revient à priver notre Assemblée de questions orales sans débat une semaine sur deux. Le nombre de ces questions devrait ainsi passer de 70-72 à 58-60 par mois.

Or la séance des questions orales sans débat est un moyen privilégié pour un parlementaire d'exercer son contrôle sur le Gouvernement et de questionner un ministre sur un sujet précis. Pourquoi ne pas la fixer au jeudi matin ?

La réforme proposée nous semble d'autant moins justifiée que le délai de réponse aux questions écrites ne cesse de s'allonger, de même que la liste des questions restées sans réponse. La procédure des questions écrites signalées permet d'obtenir une réponse dans un délai de quinze jours, mais celle-ci est la plupart du temps extrêmement succincte.

L'adoption de l'article premier nécessite donc un engagement préalable du Gouvernement à respecter les délais de réponse aux questions écrites. Chacun sait qu'il est très difficile d'obtenir une réponse du ministère de l'environnement, par exemple...

M. François Goulard - Et des affaires sociales, alors !

M. Thierry Mariani - Quant à l'article 2, nous lui sommes totalement opposés, car il met à mal le droit d'expression de l'opposition.

Mme Monique Collange - En une heure et demie, on peut dire des choses !

M. Thierry Mariani - D'ailleurs, si l'on considère le faible nombre des amendements de l'opposition adoptés au cours de cette législature... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Didier Boulaud - Il fallait oser !

M. Thierry Mariani - ...on ne peut que se féliciter de disposer d'un temps illimité pour défendre les motions de procédure.

D'autre part, et surtout le soir, à un moment où nous pourrions être disposés à en présenter moins, nos amendements ne reçoivent pour toute réponse du ministre que "Rejet", "Contre" ou "Défavorable" (Mêmes mouvements). Encore heureux si le ministre prend la peine de se lever pour prononcer ces quelques syllabes ! (Mêmes mouvements)

La majorité n'est décidément pas mûre pour répondre à l'opposition !

Mme Odette Grzegrzulka - Et vous, vous n'êtes pas mûr pour le perchoir !

M. Didier Boulaud - N'avons-nous pas vu un 49-2 venant sur un 49-3 ?

M. Thierry Mariani - On aurait pu admettre cette réduction du temps alloué à la défense des motions si la discussion des amendements était une véritable discussion...

Mme Odette Grzegrzulka - Il faudrait aussi participer aux travaux des commissions !

M. Thierry Mariani - Le reproche vise sans doute d'autres ! Mais n'oubliez pas qu'en défendant notre liberté d'expression, c'est aussi la vôtre que nous défendons, lorsque vous serez dans l'opposition à votre tour !

Au reste, avons-nous jamais compté le temps, sous la précédente législature, à MM. Brard et Dray, lorsqu'ils défendaient une question préalable ? Pourquoi changer ainsi les règles du jeu ? Si nous commençons ainsi à rogner le temps dont dispose l'opposition, pourquoi ne pas décider demain que les amendements identiques seront défendus par un seul orateur, avant de trier les amendements selon leur importance ?

Un Parlement sans opposition n'est pas un Parlement. Or la principale ressource de l'opposition est la parole (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). L'en priver, c'est réduire à néant le débat législatif, d'autant que seuls les textes les plus importants donnent lieu à des motions de procédure.

Vous devez donc accepter que notre assemblée puisse continuer à débattre sans limitation de temps. Il y va de son crédit à un moment où certains la tiennent déjà pour une simple chambre d'enregistrement ! Pour sa part, le groupe RPR ne saurait voter cette proposition de résolution et, en défendant ainsi ses droits, il ne fera, je le répète, que défendre les vôtres pour demain ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Didier Boulaud - On termine sur un message d'espoir...

M. Jacques Brunhes - Les députés communistes voteront la réforme du Règlement proposée à l'initiative du président Fabius car elle est de nature à améliorer certaines de nos conditions de travail : je pense en particulier aux dispositions tendant à permettre un examen régulier des propositions de loi présentées par les groupes.

S'agissant des trois motions de procédure, il importait d'en confirmer avant tout la validité : elles ne relèvent pas d'un vain formalisme et c'est en général quand on est dans la majorité qu'on en conteste le bien-fondé, mais il faut clairement dire qu'il s'agit d'un droit légitime de l'opposition, essentiel à la bonne organisation de la vie parlementaire. Chaque formation étant tour à tour dans l'opposition, elle trouve là le moyen d'alerter l'opinion...

M. Germain Gengenwin - Très bien !

M. Jacques Brunhes - En une heure et demie, un orateur a tout le temps de développer des arguments de fond (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Germain Gengenwin - Non !

M. Jacques Brunhes - Nous sommes donc, chacun en conviendra, devant une simple adaptation fonctionnelle.

Cependant, elle nous fournit l'occasion de poser la question plus générale des droits du Parlement et de la place de notre assemblée dans les institutions.

Nous souffrons à cet égard d'un déséquilibre persistant qui ne tient toutefois pas à la seule Constitution : la France n'a-t-elle pas été engagée pendant plus de deux mois dans une guerre meurtrière que le Parlement n'avait pas autorisée ? Et que penser de ceux qui s'émerveillent que le Parlement européen puisse mettre en cause la Commission de Bruxelles, mais trouvent normal d'apprendre par une interview télévisée que le Président de la République a décidé d'abandonner l'armée de conscription ? Enfin, que penser de ces ministres qui s'engagent devant un Conseil européen sans mandat ni consultation préalable du Parlement ? L'irresponsabilité parlementaire favorise les dérives supranationales.

Cet abaissement du Parlement est la cause première de l'absentéisme et de l'inefficacité de réformes comme celle qui a institué la session unique. Le quinquennat, renforçant l'exécutif, aggraverait encore ce déséquilibre. D'ailleurs, en optant pour la cohabitation, les Français n'ont-ils pas manifesté leur refus d'un présidentialisme inopérant et leur volonté de voir la politique nationale déterminée par les élections législatives ?

Pour leur part, les députés communistes souhaitent un renforcement notable du rôle du Parlement et demandent que le Gouvernement s'appuie encore davantage sur les initiatives des groupes de sa majorité. La législature ne doit pas s'achever sans une réforme inspirée des travaux de la commission Vedel !

Telle est la volonté que je tenais à exprimer à propos de cette proposition que, je le répète, nous voterons (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. François Goulard - Je veux d'abord saluer l'auteur de cette proposition de résolution... que les orateurs ne sont pas habitués à dominer ainsi ! (Sourires)

Modifier, même de façon minime, notre Règlement n'est pas un acte mineur, car nous touchons à l'organisation des pouvoirs publics. La Constitution de 1958 a restreint les pouvoirs du Parlement, au nom du "parlementarisme rationalisé" : fixation de l'ordre du jour par le Gouvernement, limitation du nombre des commissions permanentes, réduction de la durée du mandat des autres commissions, article 40... Notre rôle n'a été accru en définitive que sur un point : sous le septennat de M. Giscard d'Estaing, nous avons obtenu de pouvoir saisir le Conseil constitutionnel.

Or chacun conviendra que, dans l'équilibre des pouvoirs, le contrepoids principal est l'opposition. Dès lors, préserver les droits de celle-ci est un impératif. Cette résolution y contribuerait-elle ?

Avant de répondre à cette question, permettez-moi de regretter que cette discussion intervienne en fin de session, mais aussi de me réjouir qu'on ait finalement renoncé à comptabiliser ensemble la discussion générale et la discussion des articles et à modifier l'organisation de cette dernière. Celle-ci est en effet un moment de respiration indispensable, fournissant l'occasion à chacun de s'exprimer autant qu'il le souhaite et à tous d'aller au bout des problèmes.

Cela dit, changer le jour consacré à la "niche" parlementaire et organiser la discussion des propositions de loi le mardi matin, en alternance avec les questions orales sans débat, est-il un progrès, comme vous le dites ? J'observerai que, ces propositions ayant très peu de chances d'être adoptées lorsqu'elles viennent de l'opposition, c'est la majorité surtout qui en bénéficiera.

Quant aux questions orales sans débat, si leur est intérêt est avant tout local, elles ont le mérite de permettre un échange, certes rapide, mais souvent riche avec les membres du Gouvernement : ainsi ai-je pu ce matin dialoguer avec le secrétaire d'Etat à l'industrie sur les compétences d'EDF. Il est donc dommage d'en restreindre la durée et le nombre.

Mme Monique Collange - Des monologues !

M. François Goulard - Il y a souvent de véritables échanges.

Quant au temps de parole pour les motions de procédure, je n'ai pas le sentiment qu'il ait donné lieu à débordement depuis deux ans que je suis député, sauf dans le cas du Pacs. Motiver pendant une heure ou une heure et demie une exception d'irrecevabilité, cela demande déjà beaucoup de travail ! Quant à certains débats passionnés, exceptionnels, ils ont vu certes l'opposition s'exprimer très longuement, mais c'est le moyen d'exprimer ce que ressent vivement une partie de l'opinion, et cela sert en quelque sorte d'exutoire, de catharsis à l'hostilité farouche de certains : je crois que c'est utile à la démocratie.

Enfin, le droit d'amendement reste imprescriptible, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, et si l'opposition veut livrer une bataille de "flibustiers", elle peut toujours le faire avec cette arme.

Voilà pourquoi votre proposition de résolution ne recueille pas notre assentiment -et en la récusant, nous servons la cause de l'opposition de demain aussi bien que celle de l'opposition d'aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

M. Rudy Salles - Les arguments avancés par le président Fabius à l'appui de cette réforme du Règlement semblent légitimes, voire évidents. Tous, nous souhaitons mieux maîtriser les débats, préserver les droits de l'opposition, travailler de façon plus pertinente et sereine. L'organisation des travaux justifierait de véritables changements -aujourd'hui encore, nous avons eu le rapport à 17 heures, et l'article 2 de la proposition est apparu en cours de journée ! Voilà de quoi nous aurions aimé débattre ! Nous aimerions aussi que ne surgisse pas souvent in extremis un amendement bouleversant l'équilibre d'un texte.

Mais au lieu de vrais changements, on nous propose une modification du calendrier hebdomadaire.

En fait de droits nouveaux, voici qu'on limite la durée des motions de procédure. Mais ce n'est pas tout. Les réformettes ne vont pas sans inconvénients. Avancer au mardi l'examen de l'ordre du jour complémentaire, cela entraînera une réduction de l'horaire consacré aux questions orales sans débat, qui reviendra de quatre fois deux heures trente à deux fois quatre heures, soit deux heures de moins. Or ces questions, et les réponses, sont souvent très intéressantes.

Par ailleurs, le mardi matin est consacré habituellement aux activités des groupes parlementaires -ce fut encore le cas ce matin. Il sera plus difficile de concilier ces réunions de groupes et une séance réservée à la "fenêtre" parlementaire.

Quant à la durée laissée à la présentation des motions de procédure, certains disent qu'elle est trop longue -mais cela dépend de quel côté on se place ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Didier Boulaud - Ça, c'est sûr ! (Rires)

M. Rudy Salles - Un jour, vous regretterez peut-être d'avoir voté ce texte !

M. Germain Gengenwin - Très bien !

M. Rudy Salles - Dans la discussion d'un texte, le temps de parole du ministre n'est pas limité, ni celui du rapporteur : on entend donc beaucoup plus la majorité que l'opposition. Au reste, dans la pratique, il est rare qu'une motion soit défendue plus d'une heure ou une heure et demie. Et lorsque les interventions sont plus longues, elles sont souvent très intéressantes -je me rappelle avoir écouté avec intérêt aussi bien Philippe Séguin sur Maastricht que Julien Dray sur la Sécurité sociale. Enfin Christine Boutin sur le Pacs ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste). Si vous aviez autant de talent qu'elle, Madame Casanova... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Ce n'est pas si facile de parler cinq heures à la tribune ! Au reste, dans ces cas-là, je crois me rappeler que la majorité avait auparavant malmené quelque peu le Règlement, en représentant au bout d'un mois un texte rejeté par le vote d'une motion de procédure.

Cela me rappelle un propos de M. Monory ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste) : "Pour être entendu à l'extérieur de l'Assemblée, il faut faire beaucoup de bruit à l'intérieur". Or l'opposition ne peut exister qu'en s'opposant. Vous nous proposez de limiter la durée des motions de procédure...

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Tout le monde le souhaite !

M. Rudy Salles - Il aurait fallu accorder au moins certaines contreparties à l'opposition. A défaut, nous ne pouvons accepter une réforme qui réduira encore un peu plus le Parlement au rôle de chambre d'enregistrement.

Sur une réforme telle que celle-ci, vous auriez dû vous donner un peu plus de temps et, surtout, rechercher un consensus général, afin qu'elle ne soit contestée ni aujourd'hui ni demain. Nous n'avons pas la même conception que vous de la démocratie ! (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Didier Boulaud - C'est la République de Nice !

M. Rudy Salles - Je vous prie de ne pas insulter la ville dont je suis l'élu, ni ses habitants. Nous voterons contre cette régression des droits de l'opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Rapporteur - Fréquentant cet hémicycle depuis 1973, je pensais naïvement, je le dis avec quelque solennité, qu'il y avait dans le débat politique une part, fût-elle modeste, de sincérité, mais je me suis rendu compte aujourd'hui d'une chose : vérité au pied des marches, hypocrisie en haut de la tribune ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Lorsque le président Fabius a proposé de réformer notre Règlement, plusieurs sujets ont été explorés : les temps de parole sur les motions de procédure, la place des textes d'initiative parlementaire, les conditions de dépôt des amendements, la globalisation des temps de parole dans la discussion générale et celle des amendements. Tous ces points ont fait l'objet d'une concertation, nous ne sommes pas arrivés cet après-midi avec une proposition surgie du néant, à prendre ou à laisser : au contraire, j'ai rencontré à plusieurs reprises tous les présidents de groupe, de la majorité comme de l'opposition, et tous, sans exception, m'ont dit leur accord, éventuellement au prix de quelques atténuations que nous avons naturellement acceptées. Aussi, lorsque j'entends M. Salles réclamer une réforme de fond au lieu d'une "réformette", est-ce plus que je n'en peux supporter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) D'ailleurs, mes chers collègues, si vous aviez vraiment le sentiment que les droits de l'opposition -celle d'aujourd'hui ou celle de demain- sont en péril, vous seriez sans doute plus nombreux ce soir ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Je ne puis accepter non plus que soit déformé le texte qui vous est présenté. Ainsi, le mardi matin, il y aura bien, de toute façon, une séance publique, qu'elle soit consacrée aux questions orales sans débat ou à un texte d'initiative parlementaire. Certes, on peut juger ridicule le défilé hebdomadaire de députés (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) qui viennent poser une question, chacun pour disparaître aussitôt après, tandis que se succèdent, au banc du Gouvernement, les ministres escortés d'une armada de fonctionnaires mobilisés à cette fin. Mais si la procédure des questions écrites fonctionnait mieux, si les réponses étaient plus fréquentes et moins tardives, sans doute le besoin d'intervenir dans le cadre des questions orales sans débat se ferait-il moins ressentir (Applaudissements sur divers bancs).

Si nous avons proposé cette réforme du Règlement, ce n'est pas dans l'illusion -absurde- qu'elle garantira la pérennité de notre majorité dans l'hémicycle. Elle n'est pas destinée à servir les intérêts exclusifs de la majorité du moment, mais ceux du Parlement lui-même, et si j'avais eu le sentiment que la démarche engagée cet automne consistait à restreindre la liberté d'expression des parlementaires, je n'aurais pas accepté d'en être le rapporteur ce soir. Lorsque j'entends dire que, sur des sujets tels que Maastricht, par exemple, plus d'une heure et demie sont nécessaires, j'en suis absolument d'accord, mais la proposition de résolution laisse précisément à la Conférence des présidents la faculté d'en décider ainsi.

MM. Rudy Salles et Thierry Mariani - Cela veut dire que c'est la majorité qui en décidera !

M. le Rapporteur - J'ai siégé en Conférence des présidents sous plusieurs présidents de notre Assemblée, et je puis témoigner que Laurent Fabius, comme d'autres avant lui, recherche toujours le consensus au sein de cette instance, au point même que d'aucuns lui en font parfois le reproche. Interrogez vos présidents de groupe : je n'ai jamais vu aucun différend, en Conférence des présidents, sur le volume ou la répartition des temps de parole.

Je ne puis donc accepter que l'on déforme nos intentions. Nous entendons participer, fût-ce modestement, à la nécessaire revalorisation du travail et de l'image du Parlement ("Très bien !" sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Si nous n'avions pas recherché le consensus, nous serions même allés beaucoup plus loin (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), mais comme nous ne considérons pas le Règlement comme un instrument d'exercice du pouvoir ni comme un outil à la disposition d'une majorité par définition éphémère, nous proposons au vote de nos collègues ce dispositif limité. Mais, conclurai-je non sans amertume, si l'on ne peut plus se fier à la parole des présidents de groupe, à qui se fiera-t-on ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme la Présidente de la commission - Je partage la déception du rapporteur, compte tenu de tout le travail qu'il a accompli ces derniers mois à la demande du président de notre assemblée, tant la proposition a été présentée de façon fallacieuse par ses contradicteurs (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). L'alternance est, nous le savons tous, l'un des acquis les plus incontestables de ces vingt dernières années : il y a un temps pour la majorité et un temps pour l'opposition, chacun ici en est conscient. Les orateurs de l'opposition, allant contre l'avis exprimé par leurs présidents de groupe, ont jugé que le texte bridait le droit d'expression de l'opposition, mais s'il est une assemblée qui échappe à l'alternance, c'est bien le Sénat (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), et son Règlement est beaucoup plus rigoureux que les dispositions qui vous sont proposées ce soir, qu'il s'agisse du temps de parole ou du délai de dépôt des amendements.

Il est trompeur de prétendre que ce texte limite les droits de l'opposition sauf à considérer que le Sénat brime lui aussi l'opposition en son sein.

Il y a un travail parlementaire qui s'accomplit au sein de la majorité et de l'opposition et notre élaboration législative est le fruit de ce travail. Vous êtes simplement guidés par des préoccupations politiciennes !

M. Thierry Mariani - Caricature ! (Vives protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme la Présidente de la commission des lois - Votre position est nuisible pour notre travail comme pour notre image (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - Je partage les propos de M. Forni.

M. Thierry Mariani - Ça ne mange pas de pain !

M. le Ministre - Je partage, dirais-je, son souci de rendre plus performant le travail des cabinets ministériels en améliorant encore le taux de réponse aux questions écrites. Député depuis 1988, je sais qu'il est parfois difficile d'obtenir des réponses. Cependant, malgré l'augmentation du nombre de questions -1 858 d'octobre 1998 au début du mois de juin 1999- le taux de réponse s'établit à 67,8 % et depuis 1995, tous les gouvernements ont répondu à toutes les questions écrites signalées. Je m'engage cependant à réintervenir encore auprès des cabinets ministériels pour améliorer ce taux de réponse.

M. Rudy Salles - Cela ne changera rien !

M. le Ministre - Laissez-moi évoquer d'une manière un peu badine mon attachement, en tant que ministre des relations avec le Parlement, au bon exercice du bicamérisme en vous demandant, Messieurs les députés de l'opposition de ne pas vous montrer trop durs avec vos amis de la majorité sénatoriale.

Il est vrai qu'ici, sous l'impulsion du président Fabius, les demandes d'inscription à l'ordre du jour de vos propositions valent presque droit de tirage automatique alors qu'au Sénat, elles sont soumises au vote de la majorité.

Comment expliquer que la majorité serait ici liberticide et libérale au Sénat ?

La proposition de résolution du président Fabius représente une avancée bien comprise de nombre de nos concitoyens qui nous incitent à arrêter nos débats interminables.

M. Thierry Mariani - Il n'y a qu'à supprimer tous les débats !

M. le Ministre des relations avec le Parlement - Mais rassurez-vous ! les droits de l'opposition seront préservés dans notre système où l'alternance est la règle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - J'appelle à présent dans les conditions prévues à l'article 91, alinéa 9, du Règlement les articles de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

Les articles 1, 2, 3, successivement mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de résolution, j'indique à l'Assemblée que conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition de résolution est ainsi rédigé : "proposition de résolution tendant à rétablir l'article 135 et à modifier les articles 50, 91 et 108 du Règlement de l'Assemblée nationale".

EXPLICATIONS DE VOTE

M. François Goulard - Brièvement, je souhaite écarter le faux parallélisme introduit par Mme la présidente de la commission des lois entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Dans la tradition parlementaire, l'Assemblée a toujours été le lieu de l'affrontement, du débat politique le plus vif (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Cette tradition explique les différences de Règlement entre les deux assemblées (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Forni est excessif quand il parle de "manquement à la parole donnée".

Le débat mené ce matin même au sein de notre groupe nous a conduits majoritairement à nous opposer à ce projet de résolution. Qu'y a-t-il là de critiquable ?

M. Germain Gengenwin - Il y a toujours un risque à modifier un règlement sur un fait précis. Ayant connu cinq ou six réélections et trois dissolutions...

M. Jean-Paul Bret - Envoyez-le au Sénat 

M. Germain Gengenwin - ...et étant très présent dans cet hémicycle, je mesure le danger des modifications de circonstance des règlements. J'observe de surcroît que chaque fois que l'utilisation de la procédure a entraîné, sur des sujets importants, des débats longs, cela a permis à l'opinion publique de s'en saisir. C'est parce que le débat relatif au Pacs a duré que l'opinion publique s'en est saisie. Il en est allé de même lorsque M. Philippe Séguin a parlé quatre heures contre le traité de Maastricht. N'oubliez pas que les réformes de circonstance se retournent contre ceux qui les ont proposées. N'oubliez pas que les changements de majorité surviennent comme des orages d'été !

M. Thierry Mariani - Vous vous appuyez sur un excès, celui de la discussion sur le Pacs, pour changer la règle. Je regrette ce soir l'absence de M. Julien Dray, de M. Brard, de M. Hage, que nous avons dû naguère écouter durant des heures. Quelle aurait été leur réaction à cette proposition ? Je sais bien, je pense notamment aux privatisations, que tout ce que propose la gauche est nécessairement merveilleux alors que les positions de l'opposition sont forcément horribles.

Enfin, qu'on ne nous parle pas de manquement à la parole donnée, car il n'y a pas de mandat impératif et nous ne sommes responsables que devant nos électeurs.

L'ensemble de la proposition de résolution, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - Conformément à l'article 61 de la Constitution et à l'article 17 de l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958, la résolution sera soumise au Conseil constitutionnel.


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COOPÉRATION INTERCOMMUNALE -CMP-

M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre me demandant de soumettre à l'Assemblée le texte proposé par la CMP sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la commission mixte paritaire.

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois - Après dix heures de débat, la CMP chargée de proposer un texte pour le projet de loi relatif à l'intercommunalité a abouti à un accord. C'est un succès pour le Gouvernement et pour le Parlement. C'est un gage de réussite pour le renforcement de la coopération intercommunale, et partant, de nos collectivités.

Une telle issue est assez rare en ces temps pour être saluée. Je remercie tous les membres de la CMP, en particulier le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. Hoeffel, et le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Mercier, dont l'ouverture d'esprit a permis d'aboutir à un compromis. Mes remerciements vont également aux administrateurs de la commission des lois qui ont réalisé, à nos côtés, un travail considérable sur un texte très technique.

La première lecture au Sénat avait été décevante. Diverses dispositions adoptées par la Haute Assemblée nous avaient laissé sceptiques sur l'issue de la CMP, qu'il s'agisse des dérogations admises à la règle de la continuité territoriale, de la suppression des procédure dérogatoires d'extension de périmètre, de la dévolution progressive des compétences optionnelles aux communautés d'agglomération, de l'instauration d'un vote à la majorité qualifiée renforcée pour la création d'un EPCI à fiscalité propre. Enfin, le Sénat qui avait facilité les règles de dissolution des EPCI avait totalement rejeté les dispositions relatives à la démocratie locale comme l'élection au suffrage universel des conseillers des communautés urbaines ou la création des comités consultatifs. Cette approche restrictive nous avait inquiétés sur l'état d'esprit de la Haute Assemblée, censée représenter les collectivités locales.

Mais la délégation de l'Assemblée nationale, défendant, à la quasi-unanimité, l'esprit du texte voté en première lecture, est parvenue à trouver quelque écho chez les sénateurs.

Nous avons réussi à conserver les seuils fixés ici même, à savoir 500 000 habitants pour les communautés urbaines et 50 000 habitants pour les communautés d'agglomération avec une ville d'au moins 15 000 habitants, sauf bien sûr dans les départements où le chef-lieu n'atteint pas 15 000 habitants. Lors de la création d'un EPCI, les enclaves ne pourront être qu'exceptionnelles.

Nous avons convaincu les sénateurs qu'il ne fallait pas admettre une discontinuité du territoire pour les communautés d'agglomération issues de la transformation d'un EPCI, même si nous avons concédé la suppression de l'obligation de ne créer qu'une seule communauté d'agglomération sur un territoire présentant une continuité urbaine.

Nous avons accepté la scission de la compétence en matière d'eau et d'assainissement en deux compétences distinctes et la suppression de la compétence en matière d'équipements scolaires. Cette souplesse sera utile à certains syndicats à vocation unique.

Nous avons encadré l'extension dérogatoire des périmètres dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi. La saisine de la commission départementale de coopération intercommunale sera obligatoire et aucune commune ne pourra être contrainte si elle appartient par ailleurs à un EPCI à taxe professionnelle unique. Le préfet reste le mieux à même de juger de la pertinence des périmètres dans un espace de solidarité cohérent.

Nous avons supprimé la compétence des communautés urbaines en matière d'aide sociale facultative et leur contribution aux contrats de plan. Nous avons supprimé le passage automatique, sauf délibération contraire du conseil municipal à la majorité des deux tiers, au nouveau régime des communautés urbaines pour les communautés existantes, ce passage pouvant être décidé à la majorité simple.

Nous sommes revenus au texte de notre assemblée sur le maintien du rôle du préfet notamment dans la création des EPCI ainsi que sur le caractère réputé favorable d'une commune à l'intercommunalité sauf manifestation contraire de sa part. Tous les délais pour la transformation des EPCI ont été harmonisés au 1er janvier 2002. Nous sommes également revenus au texte de l'Assemblée pour l'obligation faite au président de l'EPCI d'informer chaque commune. Nous avons obtenu le maintien des dispositions relatives aux comités consultatifs. En revanche, les sénateurs ont refusé le dispositif qui prévoyait l'élection au suffrage universel des délégués aux conseils des communautés urbaines, le jugeant prématuré. Estimant indispensable la modernisation de nos structures territoriales et convaincus que cette réforme ne peut être faite à moitié nous avons renoncé à ce qui n'aurait finalement été qu'une demi-mesure. Nous espérons que cette réforme pourra être menée à son terme ultérieurement.

En ce qui concerne les dispositions fiscales et financières, nous avons généralisé la règle de la majorité simple pour le passage à la taxe professionnelle unique.

Nous avons plafonné les dotations de solidarité communautaire en cas de recours à la fiscalité mixte, limité la variation à la hausse du taux de la taxe sur deux ans et rétabli la prise en compte des taux pratiqués par les EPCI dans les règles de liaison des taux.

Nous avons aussi maintenu le système de péréquation propre à l'Ile-de-France ; assoupli les critères d'attribution de la DGE pour les EPCI de plus de 20 000 habitants ; limité le prélèvement sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle pour financer les communautés d'agglomération à l'horizon 2000-2001.

Nous avons supprimé la forfaitisation de la DGE pour les communautés urbaines et apporté divers correctifs au CIF.

Les organes délibérants des EPCI déterminent désormais eux-mêmes, en toute liberté, les critères d'intérêt communautaire des projets. Ainsi sera sauvegardé ce qu'en d'autres lieux, on nomme le principe de subsidiarité. Les communes conserveront ainsi les prérogatives que nos concitoyens identifient comme le pouvoir municipal.

La CMP a également modifié la loi du 28 novembre 1990 relative aux agents occupant des emplois fonctionnels d'une région, d'un département, d'une commune de plus de 5 000 habitants ou d'un EPCI de plus de 20 000 habitants : ceux-ci bénéficieront désormais des moyens d'exercer leur fonction "par nécessité absolue de service". Le législateur aura ainsi répondu aux observations des chambres régionales des comptes.

Nous avons aussi supprimé les districts et les communautés de villes qui auront jusqu'au 1er janvier 2002 pour se transformer. De la même façon les syndicats, qui exercent les compétences dévolues aux communautés, pourront subir des transformations décidées localement par chaque EPCI.

Les communautés rurales qui feront l'effort de choisir la TPU et les compétences élargies des communautés d'agglomération verront leur dotation portée, en moyenne, à 175 F et les communautés d'agglomération à 250 F.

Les moyens financiers de favoriser l'intercommunalité existent pour l'heure... si les prévisions du ministère de l'intérieur sont exactes. Mais si le succès de cette loi est aussi grand que vous le souhaitez et va même au-delà de vos espérances, il faudra que l'Etat suive !

L'un des objectifs de ce texte est de répondre aux difficultés de notre temps : pollution des centres-villes, manque de repères et de cohésion sociale dans les quartiers périphériques, dépeuplement, voire désertification des zones rurales.

Certes, l'Etat ne peut pas tout faire : c'est d'ailleurs pourquoi la décentralisation était nécessaire. Il faut aujourd'hui aller plus loin.

Le compromis auquel nous sommes parvenus sur ce texte permettra à nos collectivités locales de relever les défis de l'environnement, de l'aménagement urbain, du développement économique, de la politique de la ville et du maintien de la vitalité des zones rurales.

Les outils proposés seront d'une importance capitale pour l'évolution des structures territoriales de notre pays en marche vers la construction européenne.

Mais ce n'est qu'un point de départ. L'application de ce texte posera de nouveaux problèmes. Il nous faudra veiller à la transparence et à l'utilisation démocratique de ces nouveaux outils ; réfléchir à l'empilement de six strates de collectivités locales, ainsi qu'aux financements croisés et aux chevauchements de compétences ; envisager la mutation des structures départementales et des périmètres régionaux.

Cette loi, loin de clore l'évolution de notre organisation territoriale, ouvre au contraire de nouvelles perspectives pour le XXIème siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Nous arrivons au terme d'un débat qui fait honneur au Parlement. Je tiens à rendre hommage au travail effectué par la CMP et à saluer l'accord trouvé entre les deux assemblées. Le mérite en revient incontestablement au rapporteur, M. Gouzes, et à son suppléant, M. Darne. Je remercie également la présidente de la commission des lois, Mme Tasca, et les commissaires, en particulier MM. Charles, Chouat, Daubresse, Vaxès et M. Perben qui avait en son temps préparé un projet dont celui-ci s'est largement inspiré. La parfaite connaissance du sujet qu'avaient les membres de la CMP ainsi que leur esprit de compromis ont permis d'aboutir à un texte équilibré. J'en suis heureux : cela nous permettra de gagner quelques mois dans l'application de la loi et cela augure bien de la mise en oeuvre des dispositions sur le plan local. Mais surtout, cela marque un succès pour la décentralisation, l'intercommunalité et l'aménagement du territoire.

Au-delà des affrontements traditionnels entre Jacobins et Girondins, chacun est aujourd'hui conscient qu'une décentralisation rationalisée est nécessaire. Rationalisée car la France compte rien moins que 36 000 communes...

M. Jean-Jacques Weber - Et alors ?

M. le Ministre - Je ne le déplore pas : l'institution communale est précieuse et à beaucoup d'égards nos 500 000 conseillers municipaux jouent un rôle irremplaçable.

Ce texte donne une forte impulsion au développement local ; il constitue une nouvelle étape dans le processus continu de la décentralisation, qui n'a de sens que si elle est au service du progrès social et de l'intérêt général. L'intercommunalité réaffirme la pertinence de nos institutions locales en même temps qu'elle donne à nos communes les moyens de mieux répondre aux défis des temps présents.

Le projet gouvernemental a été amélioré. Sur les dispositions où subsistaient des divergences importantes entre l'Assemblée nationale et le Sénat, la CMP est parvenue à des compromis, sans altérer l'esprit.

S'agissant de la définition des périmètres, un équilibre a été trouvé entre la préservation de l'intérêt communal et la nécessaire recherche de l'intérêt général. Les préfets devront travailler avec les élus dans un esprit de dialogue.

Vous avez maintenu les exigences nécessaires en matière de compétences, tant pour les communautés d'agglomération que pour les communautés de communes qui bénéficieront d'une DGF bonifiée. Je vous en remercie car il fallait éviter de se diriger vers une intercommunalité d'aubaine.

Vous avez renoncé à la désignation par le suffrage universel des délégués au conseil des communautés urbaines, en considérant que cela pouvait porter atteinte aux communes. Néanmoins vous avez maintenu les dispositions favorisant un fonctionnement démocratique de l'intercommunalité qui avaient été proposées par les députés communistes.

Le législateur confie aux trois formes de coopération -communauté urbaine, communauté d'agglomération, communauté de communes- des missions essentielles. Les communautés d'agglomération devront s'attaquer aux problèmes de la ville -où la ségrégation spatiale redouble la ségrégation sociale- en utilisant les ressources d'une taxe professionnelle unique. Leur institution à partir de 50 000 habitants entraîne le relèvement à 500 000 habitants du seuil de création des communautés urbaines -dont il est souhaitable que les nouvelles optent pour la TPU. Dans les espaces ruraux, l'intercommunalité, au sein des communautés de communes, s'appuiera également sur la TPU et permettra de sauver les petites communes. Je me réjouis de ne plus avoir entendu les critiques opposant le rural à l'urbain qui avaient été développées précédemment.

Une dotation globale de fonctionnement améliorée, portée à 175 F par habitant, encouragera les communautés de communes à taxe professionnelle unique, qui vont ainsi devenir des pôles structurants du monde rural.

L'intercommunalité devrait également être un succès pour l'aménagement du territoire. La taxe professionnelle unique réduira les inégalités entre communes, ainsi que les concurrences stériles ; elle permettra en outre de rationaliser les choix d'aménagement.

Il appartient maintenant aux élus locaux et aux citoyens de se saisir de cette réforme, inspirée par le souci de faire vivre la démocratie et de donner un nouveau souffle à la décentralisation. Je vous remercie de votre soutien et de votre contribution (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Guy Lengagne - Monsieur le ministre, je vous félicite car cette loi s'est appliquée avant même d'avoir été votée : j'avais demandé à passer en communauté urbaine et cela a été refusé ! (Murmures sur divers bancs)

Vous avez protégé les aristocrates que sont les communautés urbaines : cela me chiffonne. Au lieu de critères de population, on aurait pu retenir des critères de compétences, c'est-à-dire définir chacune des trois strates en fonction du nombre de compétences. Le résultat aurait été assez proche du vôtre, mais le système aurait été plus juste.

Par ailleurs, je voudrais évoquer une difficulté que j'ai rencontrée tout à l'heure. En député consciencieux, j'ai sorti à la bibliothèque le code général des collectivités territoriales pour étudier le texte de la CMP ; j'ai dû renoncer car votre loi, Monsieur le ministre, a été préparée avec un code périmé : celui de 1999 a une numérotation différente...

Enfin, je constate que certains problèmes ont échappé à la CMP. Ainsi, la combinaison de l'article 14 ter et de l'article premier peut dans certains cas entraîner des difficultés.

J'en viens au sujet essentiel de mon intervention : la fiscalité.

Jusqu'ici, quand il y avait une taxe professionnelle unique, on n'introduisait pas de coefficient d'intégration fiscale. On m'objectera que des "dépenses de compensation" sont prévues, mais je doute qu'elles suffisent à rétablir l'équilibre : une agglomération riche en industries, et donc en taxe professionnelle, bénéficiera d'une DGF plus élevée même si son potentiel fiscal est relativement faible. Je me suis livré à quelques simulations : l'attribution de la compensation se faisant graduellement, sa prise en compte dans le coefficient d'intégration fiscale favorisera les EPCI percevant le plus de taxe professionnelle !

Je n'ai pas de solution à proposer mais je reste convaincu qu'en l'absence d'une nouvelle définition, ce recours à la notion d'intégration fiscale est critiquable. La loi va accroître les moyens à la disposition des structures intercommunales : il est simplement dommage que, d'une bonne loi, vous n'ayez pas fait une loi excellente ! Je la voterai, mais avec un certain sentiment de déception.

M. Dominique Perben - Je me réjouis de l'accord intervenu entre les deux assemblées et donc entre la majorité et l'opposition. L'application de la loi ne pourra qu'en être facilitée, l'intercommunalité reposant largement sur la collaboration de majorités diverses.

Ce texte a d'abord le mérite de simplifier, mais un peu seulement. Sans doute la variété des situations interdisait-elle d'aller plus loin dans cette direction...

Cela étant, le plus important est sans doute que vous avez réformé la taxe professionnelle -car vous l'avez bien réformée, quoi qu'en dise le ministre des finances. L'extension du champ de la taxe unique contribuera à réduire la diversité des taux, pourvu que l'on convainque les municipalités de surmonter leurs égoïsmes. Le texte n'est cependant pas exempt de contradictions : ainsi vous renforcez quelque peu les pouvoirs des préfets et vous encadrez strictement la transformation des communautés de communes en communautés d'agglomération, de sorte que ce passage ne se fera sans doute pas avant les prochaines élections municipales : aucun préfet n'osera en effet, je pense, "bousculer" les communes qui rompent la continuité territoriale -celles que, dans notre jargon, nous avons appelées les "taches blanches". On peut donc s'attendre à un blocage, dont le ministre des finances sera d'ailleurs ravi car le magot de 500 millions ne sera guère écorné d'ici à 2001 ou 2002.

D'autre part, même si le projet a été amélioré par la CMP sur ce point, gare à la coupure entre villes et campagnes. Contrairement à ce que j'avais envisagé moi-même il y a quelques années, vous avez choisi de vous fonder, non sur le coefficient d'intégration fiscale, mais sur les strates de population. Cela aura l'inconvénient d'afficher des inégalités de traitement selon les structures intercommunales et, même si vous avez accepté au Sénat d'atténuer le contraste entre milieu rural et milieu urbain, le problème subsistera dans certains endroits, notamment dans les espaces ruraux proches des villes, les seules pratiquement où l'habitat se développe.

Nos débats nous ont conduits à aborder, ou plutôt à effleurer, la question du suffrage universel dans les structures intercommunales. Fort heureusement, le texte approuvé par l'Assemblée n'a pas été conservé, car il était inapplicable. Vous-même, Monsieur le ministre, avez manifesté une certaine prudence et, de fait, il aurait été inopportun d'introduire le suffrage universel dans les EPCI à la faveur de ce projet. En revanche, la question se reposera certainement lors des élections de 2007 : à mesure que la TPU et le partage des compétences s'étendront, nos concitoyens refuseront un fonctionnement de la démocratie à deux vitesses.

M. Carrez, qui est plus compétent en la matière, y reviendra sans doute, mais je pense que, comme beaucoup d'entre nous, vous ne considérez pas que la coopération intercommunale soit le bon moyen d'assurer la solidarité fiscale en Ile-de-France. Attention, notamment, à ne pas transférer les produits fiscaux d'une commune à une autre : cela nuirait à l'esprit de responsabilité indispensable au bon fonctionnement de nos institutions locales. Nous sommes ici parvenus à un compromis : aller au-delà serait facteur de déséquilibre.

Le projet lui-même m'apparaissant, dans son ensemble, comme un compromis intelligent, je le voterai (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jacky Darne - Très probablement, les élus locaux sauront se saisir des possibilités offertes par ce texte, mais cela relève de leur responsabilité. La nôtre est de tirer parti du bon projet présenté par le Gouvernement pour leur donner le moyen de mener les politiques dont ont besoin nos concitoyens.

Les faiblesses de notre organisation communale sont connues : l'émiettement des communes et la diversité des structures ne permettent pas d'agir vite et bien ; la dilution des pouvoirs et la concurrence entre territoires sont sources d'incompréhensions et de gaspillages. Il convenait donc de favoriser la coopération intercommunale, notamment dans les agglomérations, les ruraux ayant déjà amplement développé le partenariat, de moyens et de projets.

L'ossature du projet actuel est encore celle du projet initial, chacun ayant approuvé une logique qui tient en trois mots d'ordre : simplifions, organisons et finançons !

Simplifions : nous avons distingué trois niveaux de collectivités -les communautés de communes là où il y a peu de fonctions urbaines à assurer ; les communautés d'agglomération, de 50 000 à 500 000 habitants, c'est-à-dire là où l'urbanisation plus forte exige un effort pour la cohésion sociale et pour le développement économique ; enfin, les communautés urbaines, qui, dépassant 500 000 habitants, sont appelées à devenir des métropoles d'équilibre, si possible de dimension européenne. Monsieur Lengagne, les fonctions urbaines varient selon la taille des agglomérations. L'on ne peut donc opposer les seuils aux compétences et, si nous n'avions retenu que celles-ci, nous aurions manqué de critères et n'aurions pu garantir les financements !

Organisons, c'est-à-dire organisons la création de groupements, par une heureuse collaboration entre l'Etat et les élus locaux. Les deux sont en effet nécessaires pour travailler dans l'intérêt général, en fonction des données du terrain.

Nous organisons les compétences, nous organisons la désignation des membres, nous améliorons le fonctionnement démocratique : le texte permettra d'avoir des groupements qui ne soient pas de simples cercles d'amis politiques, mais des communautés de projet.

Et puis nous finançons, avec la taxe professionnelle unique -dont on parlait depuis des décennies- et qui, si elle ne résout pas tous les problèmes, répond à certains : la concurrence économique, le financement des engagements, la simplification fiscale. Nous finançons par l'Etat -500 millions, ce n'est pas rien !

Le travail parlementaire a été très important, pour ce qui concerne notamment les articles 28 et 29 du code des collectivités territoriales. Au-delà, certains commentateurs ont paru considérer avec un peu de condescendance que nous avons cherché à adapter la loi aux réalités locales. Je revendique cela ! Il est normal qu'une telle loi concilie une ligne politique simple et claire avec la complexité du réel. J'ai d'ailleurs trouvé chez tous ceux qui ont travaillé sur le projet un grand esprit d'ouverture -et je rends hommage à notre rapporteur, mais aussi à ses homologues du Sénat.

Les questions qui nous ont le plus occupés avaient trait aux périmètres -pour les créations ou extensions de groupements-, aux compétences -nous avons cherché à concilier la subsidiarité et la collaboration-, aux finances -il fallait éviter d'opposer la ville à la campagne et nous y sommes parvenus avec des montants d'aide de 175 F pour celle-ci et de 250 F pour celle-là.

Enfin, nous avons su faire preuve de souplesse pour les délais d'application de la loi : qu'importent six mois de plus ou de moins, ce qui compte, c'est de se donner les chances de réussite. Le report au 1er janvier 2002 de l'application automatique de certaines dispositions permettra d'éviter les turbulences électorales et laissera tout le temps nécessaire à la réflexion.

Cette loi ne sera pas, pour autant, la dernière consacrée à l'intercommunalité. Il reste la question du nombre de niveaux, celle de l'élection des délégués de groupements qui devra se faire un jour au suffrage universel direct. Nous aurons aussi à revenir sur les financements -la TP peut encore évoluer. Une réforme de la taxe d'habitation, particulièrement injuste, sera inévitable.

Cela dit, je suis fier d'avoir participé à l'élaboration de cette loi, qui s'inscrit dans la lignée des lois de décentralisation de 1982. C'est une loi solide, qui donne un cadre et suscite une dynamique. Tout en préservant le tissu démocratique de nos communes, elle crée les dispositifs de solidarité indispensables. Et cela avec un large accord politique dans les deux assemblées : le succès de la CMP me semble la promesse d'une mise en oeuvre rapide des communautés d'agglomération (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Francis Delattre - Nous nous interrogeons parfois sur l'opportunité de discuter un texte : mais sur celui-ci, nous sommes tous d'accord, il faut légiférer, et notamment à propos des grandes communautés urbaines et de la coopération rurale.

Nous avons voté le projet en première lecture, car il nous semblait courageux : il n'était pas facile de faire passer l'idée de taxe professionnelle unique -et il y avait longtemps que les collectivités territoriales n'avaient pas vu arriver de moyens supplémentaires ! A propos de l'imbrication, en Ile-de-France, des zones résidentielles et des quartiers difficiles, vous avez bien vu les choses -et je félicite le rapporteur d'avoir tenu sur cette ligne.

Certes, le texte comporte encore des ambiguïtés, par exemple sur le rôle des préfets. Nous regrettons aussi le déficit démocratique : si on accorde de gros moyens, une fiscalité, il faudra bien permettre à l'administré de savoir qui le représente. On peut s'inquiéter sans doute de voir s'effilocher le rôle traditionnel des communes, mais il faudra bien réfléchir à l'empilage de nos collectivités. Il est clair qu'en secteur urbain, les cantons n'ont plus grand sens.

Nous entrons dans une période transitoire, et si la CMP, composée d'élus de terrain, est parvenue à un compromis intelligent, le problème de la représentation des élus dans les EPCI reste posé, tout comme celui de l'identification des responsabilités. Il nous faudra donc aller plus loin, dans le cadre d'une relance de la décentralisation (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe RPR).

M. Jean Vila - Qui peut se réjouir de la précipitation avec laquelle va être réformée en profondeur l'organisation territoriale de la France ? Qui peut se satisfaire de l'adoption en catimini d'un projet qui transfère de façon rigide certaines compétences essentielles des collectivités locales à des structures répondant à des critères de rentabilité financière et d'uniformisation européenne ? Qui peut justifier, aux yeux des dizaines de milliers d'élus locaux et de la population qu'ils représentent, l'absence d'un vaste débat public ? Certainement pas les députés communistes.

Si les communes sont le creuset de la citoyenneté à la française et le lieu privilégié du développement d'un service public de proximité, ne faut-il pas s'appuyer sur cette richesse démocratique pour favoriser la mise en commun librement consentie des volontés et des moyens ? Certes, les besoins évoluent, la réalité se transforme, mais force est de constater que ce dont manquent, pour s'y adapter, les 36 000 communes et les 1 800 EPCI, ce sont les moyens financiers nécessaires, problème majeur que le Parlement se serait honoré de prendre à bras-le-corps, au lieu de s'engager dans l'effacement des institutions départementales et communales au profit de nouvelles structures instaurées à l'insu des citoyens.

Le caractère volontaire de la coopération intercommunale est fortement remis en cause par la disposition qui autorise l'inclusion d'office de communes au nom de la cohérence spatiale, ainsi que par celles qui attribuent autoritairement des compétences importantes aux nouvelles structures créées, sans que les communes participantes aient choisi le contenu de leur coopération. Non seulement les communes sont ainsi dessaisies de leurs prérogatives, mais les citoyens eux-mêmes se trouvent éloignés des lieux où se prennent les décisions.

Quant aux dispositions fiscales et aux incitations financières, elles s'apparentent davantage à des "carottes" budgétaires et à des redéploiements de moyens qu'à des ressources nouvelles ou à des péréquations entre collectivités. Comment fera-t-on face, au bout de cinq ans, aux besoins, sinon en utilisant l'intégralité de la TPU et en augmentant les impôts prélevés sur les ménages ? Et pourquoi n'est-il pas prévu de dispositions équivalentes pour les communautés de communes et les syndicats existants ? Nous sommes évidemment favorables à la péréquation de la taxe professionnelle, mais la vraie question est celle de son assiette, que nous proposons de rendre plus juste en y incluant les actifs financiers des entreprises.

Pour les députés communistes, le regroupement des communes n'est pas un objectif en tant que tel, mais un moyen de mettre en oeuvre des projets dont l'importance dépasse le territoire communal. Attachés à la démocratie et aux valeurs de la République, ils voteront contre ce projet qui légitime la supracommunalité au détriment des libertés communales et de la démocratie locale (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Gilles Carrez - Le groupe RPR avait abordé la première lecture dans un esprit constructif, le projet du Gouvernement reprenant très largement celui qu'avait préparé Dominique Perben, et qui tendait également à favoriser l'intercommunalité en milieu urbain et à créer une taxe professionnelle unifiée. Nous craignions cependant que la majorité ne gauchisse le dispositif, et la concrétisation partielle de ce risque nous a conduits à nous abstenir. Nous nous réjouissons donc aujourd'hui que la CMP soit parvenue à un accord, grâce aux méritoires efforts consentis par la majorité et par l'opposition, et en particulier par les rapporteurs des deux assemblées, que je félicite à mon tour. La loi entrera ainsi en vigueur sans attendre, et tous ceux qui souhaitent bénéficier des mesures fiscales et des incitations financières pourront le faire dès l'exercice 2000.

Notre premier souci était que la coupure ne soit pas trop forte entre le monde rural et le monde urbain. Dans le projet initial, en effet, les communautés d'agglomération recevaient une dotation de 250 F par habitant, les communautés de commune une dotation limitée à 100 ou 105 F. Le ministre a bien voulu porter celle-ci à 150 F en première lecture, et à 175 F lors de la discussion au Sénat, et s'est même résolu à intégrer les chefs-lieux de département dont la population est inférieure à 15 000 habitants. L'injustice est donc en grande partie réparée.

Nous avions également émis la crainte que l'intercommunalité ne soit source de dérapages fiscaux. En définitive, la CMP a opté, contrairement au texte initial, pour une fiscalité mixte, assortie d'un encadrement de la déliaison des taux à la baisse. Une inquiétude demeure cependant : selon les premiers éléments dont nous disposons sur la réforme de la taxe professionnelle, la dynamique des bases est, compte tenu de la suppression de la part salariale, plus faible que par le passé.

La seule recette des organismes intercommunaux sera la taxe professionnelle et il est à craindre que sa stagnation n'entraîne un appel à la taxation des ménages. Je crains, Monsieur le ministre, que votre réforme ne soit quelque peu contradictoire avec celle de M. Strauss-Kahn.

Mon troisième point concerne le fonds de solidarité de l'Ile-de-France. Comme l'a parfaitement dit notre collègue Francis Delattre, les efforts réalisés par les communes riches au titre du second prélèvement représentent plusieurs dizaines de millions de francs chaque année.

Je me réjouis des concessions qui ont été faites, qu'il s'agisse de l'étalement sur une période de cinq ans au lieu de trois ou de l'écrêtement, le montant étant plafonné au niveau du premier prélèvement. Je souligne, au-delà, la nécessité de faire apparaître dans l'avis d'imposition des ménages concernés cette contribution et je vous engage, M. le ministre, à défendre cette disposition devant votre collègue de Bercy car il importe que les contribuables locaux sachent exactement pourquoi ils paient.

Mon quatrième point vise les améliorations techniques qui ont été apportées, qu'il s'agisse du problème des contingents d'incendie, de la distribution de la DGF entre les différentes catégories d'établissements publics à fiscalité propre ou des garanties d'autofinancement des communautés urbaines. Une question récurrente a trouvé sa solution, celle de l'organisation dans le cadre intercommunal de l'élimination des ordures ménagères, qu'il s'agisse de la répartition de la taxe ou de celle des compétences entre collecte et traitement.

En conclusion, j'appelle toute votre attention sur le problème du financement de l'intercommunalité qui se posera dès l'année 2000 pour la DGF. Je crains que vous ne disposiez pas des moyens nécessaires au financement de vos engagements avec une hausse de la DGF limitée pour l'année prochaine à 0,8 % et à 0,4 % pour les communes soumises au calcul forfaitaire. Il sera extrêmement difficile dans ce contexte de financer des besoins supplémentaires. Il risque en effet de ne rien rester pour financer les dotations de solidarité urbaine et de solidarité rurale.

Nous voterons pour ce texte qui fait progresser l'intercommunalité mais nous souhaitons, Monsieur le ministre, que le ministère du budget vous donne les moyens nécessaires (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Marc-Philippe Daubresse - Au terme de l'examen de longue durée -près de dix-huit heures- de ce texte en CMP, notre groupe donnera un avis cohérent avec celui des groupes RPR et DL. L'UDF est le parti de la décentralisation, invariablement favorable à la clarification des compétence et aux expériences locales de décentralisation. Votre texte, parce qu'il n'est pas révolutionnaire, permet la réforme. Nous restons dans l'épure de la CMP : un équilibre entre une intercommunalité accentuée et le respect de l'identité communale.

Cet équilibre difficile a été rendu possible par le travail des rapporteurs qui a permis de revenir sur certaines aberrations nées des propositions de certains députés de la gauche plurielle. Nous sommes parvenus à un certain degré de sagesse et d'harmonie.

Parmi les apports de la CMP, je note, comme l'a dit M. Perben, qu'il a été évité d'engager le débat sur l'élection au suffrage universel des communautés urbaines par l'introduction d'un mécanisme complexe de distinction de deux catégories de communes à l'intérieur des communautés urbaines.

La CMP a également tenu à augmenter les pouvoirs des agglomérations et des communautés urbaines élues au suffrage universel.

Mais ces évolutions posent le problème du nombre de niveaux de décentralisation et donc de l'existence du département. Ce point appelle une révision de fond qui ne pouvait intervenir dans le cadre d'un amendement présenté à la sauvette.

Le groupe UDF, malgré des réserves fondamentales sur l'extension des périmètres, votera pour ce projet mais a demandé un scrutin public. Nous n'estimons pas admissible la possibilité qu'une commune se voie inclure dans une communauté urbaine contre son avis. La CMP a réalisé un progrès en proposant un système défensif évitant l'inclusion automatique d'une commune dans une communauté. Mais cela n'est pas suffisant et notre groupe votera conformément à la position exprimée par notre collègue Michel Voisin.

En matière de fiscalité, les transferts de compétence ou le passage à la taxe professionnelle unique à l'initiative d'un tiers des communes composant les communautés urbaines ou d'agglomération allaient à l'encontre de la liberté des communes. Il y a donc lieu de se réjouir de l'amendement de la CMP qui prévoit pour le faire un vote à la majorité simple et porte au 1er janvier 2002, soit en dehors des passions électorales, le passage à la taxe professionnelle unique.

Soucieuse de démocratie, la CMP a intégré les conseils consultatifs mais elle n'a pas retenu l'amendement du Sénat relatif aux fusions de communes. Or la loi Marcellin est obsolète et il ne doit plus y avoir de fusions de communes contre l'avis des électeurs, comme cela se prépare actuellement avec l'annexion par M. Mauroy à Lille de certaines communes pour servir les intérêts électoraux de Mme Aubry.

Un député socialiste - C'est faux !

M. Marc-Philippe Daubresse - L'UDF juge ces pratiques lamentables.

En matière de financement, ne créons pas une intercommunauté à deux vitesses, favorisant les communautés d'agglomération contre les communautés rurales. Les 175 F vont dans le bon sens mais reposent la question des moyens. Ces problèmes fiscaux, liés à la fiscalité mixte, inquiètent tous ceux qui redoutent un alourdissement de la fiscalité locale. L'intercommunalité doit être perçue comme un muscle supplémentaire, pas comme une voie pour renforcer les impôts locaux.

Nous nous réjouissons que la CMP ait convaincu les députés de la gauche plurielle de reprendre les mécanismes "anti-yoyo" qui tendent à éviter la manipulation des taux pour augmenter la taxe professionnelle. C'est une bonne nouvelle pour les entreprises.

Nous autres Girondins sommes aussi favorables à l'affirmation du rôle de conseil des commissions départementales de coopération intercommunale. Il faut une intercommunalité affirmée mais elle doit intervenir dans le cadre d'un dialogue harmonieux entre le préfet et la commission départementale.

Je le répète, les avancées significatives de la CMP créent un compromis acceptable. Le projet enclenche un mouvement en direction d'une intercommunalité modérée, respectueuse des équilibres communaux.

Malgré ces progrès, notre groupe maintient ses réserves sur l'extension des périmètres comme sur les fusions de communes. Pour autant, le groupe UDF émettra un avis favorable sur le projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. le Président - Conformément à l'article 113, alinéa 3, du Règlement, je vais appeler l'Assemblée à statuer d'abord sur les amendements dont je suis saisi.

Je suis saisi de quatre amendements du Gouvernement.

M. le Ministre - Il s'agit de quatre amendements techniques. Le premier vise l'introduction d'un titre portant dispositions transitoires.

Le deuxième concerne le maintien des délégations de signature prévues à l'article 75.

Le troisième porte sur la commission de conciliation et le dispositif d'avis sur la coopération intercommunale prévus à compter du 1er janvier 2000.

Le dernier a trait à la composition du comité des finances locales que nous proposons de conserver inchangée jusqu'à son prochain renouvellement en juillet 2001.

M. le Rapporteur - La commission n'a naturellement pas examiné ces amendements. J'y suis personnellement favorable : des dispositions transitoires sont en effet nécessaires.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté, de même que les amendements 2, 3 et 4.

M. le Président - Je suis saisi par le groupe UDF d'une demande de scrutin public sur l'ensemble du projet de loi.

A la majorité de 83 voix contre 19 sur 102 votants et 102 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté.

La séance, suspendue le mercredi 30 juin à 0 heure 5, est reprise à 0 heure 15.


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LIAISON TRANSMANCHE (procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant approbation d'un avenant à la concession concernant la conception, le financement, la construction et l'exploitation d'une liaison fixe à travers la Manche.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Lors du sommet franco-britannique du 30 novembre 1984, les chefs d'Etat ou de gouvernement avaient affirmé leur volonté de réaliser une liaison fixe à travers la Manche. Il s'agissait, après deux siècles de tentatives avortées, de traduire en termes d'infrastructures la volonté du Royaume-Uni de s'arrimer à l'Europe.

L'exploitation commerciale du tunnel a démarré en mai 1994. Dès 1995, le système Eurotunnel a assuré une part importante des flux de transports sur l'axe Calais-Douvres. Cette part n'a cessé de croître depuis, malgré l'incendie du 18 novembre 1996, qui a entraîné une interruption des services pendant plusieurs semaines.

Le choix fait à l'origine d'un financement et d'une gestion privés excluait toute participation et toute garantie financière des Etats ; mais ceux-ci ont dû intervenir pour remédier aux difficultés rencontrées.

Le montage financier s'est révélé moins solide que les prévisions initiales de délai et de coûts de construction, de trafics et donc de revenus, ne l'avaient laissé penser. Les difficultés financières ne remettant en cause ni l'utilité ni la viabilité de l'ouvrage, les gouvernements ont accepté une première prolongation de dix ans de la concession.

Autorisée par le Parlement au début de l'année 1994, elle a permis de boucler le plan de financement de l'ouvrage. Une nouvelle augmentation du capital propre de la société et une augmentation parallèle des possibilités de recours à l'emprunt, pour porter la capacité totale de financement à cent cinq milliards, s'étaient révélées indispensables. Il était nécessaire de faire face à l'augmentation des coûts de construction, au retard de près d'une année dans la mise en exploitation et au déficit prévisible des premières années.

La situation financière d'Eurotunnel s'est rapidement dégradée sous l'effet des trafics moins importants que prévu et de recettes unitaires amoindries par la concurrence des autres modes de transport. La progression prévisible du chiffre d'affaires ne permettait pas d'espérer couvrir avant plusieurs années les charges de la dette, considérable, accumulée au cours des années de construction. Le conseil d'administration a donc décidé de suspendre le paiement des intérêts sur la dette principale, comme l'y autorisaient les dispositions de la convention de crédit qui le lie aux banques.

Une nouvelle fois, les gouvernements ont accepté d'accompagner la restructuration financière de la société par une prolongation substantielle de la durée de la concession. Dans un communiqué commun, le 1er juillet 1997, ils ont fait connaître leur accord de principe pour porter la durée totale à 99 ans. Le plan de restructuration de la dette, approuvée à une très large majorité par l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires d'Eurotunnel le 10 juillet 1997, a ensuite été formellement signé par les banques prêteuses en janvier 1998. Il crée les conditions de la survie de l'entreprise et, de ce fait, assure la meilleure protection possible des actionnaires qui, pour près des trois quarts, sont français. En acceptant d'accompagner cette restructuration financière, l'objectif du Gouvernement aura été de sauvegarder au mieux les intérêts des petits porteurs.

Les discussions sur les conditions de mise en oeuvre de ce nouvel allongement ont abouti, en février 1998, à un accord entre les quatre parties à la concession, les gouvernements français et britannique et les deux concessionnaires, France Manche et Channel Tunnel Group, réunis dans la société en participation Eurotunnel.

Cet accord comporte deux séries de mesures. Les unes visent à faciliter le développement du fret ferroviaire à travers le tunnel et, au-delà, vers les frontières franco-italienne et franco-espagnole par la création de corridors de fret, dans le droit fil des directives communautaires et des orientations proposées par le conseil des ministres des transports de l'Union européenne du 17 juin 1997. Elles prévoient également l'instauration de tarifs spécifiques qui devraient, à terme, faciliter le développement du transport de marchandises par voie ferrée entre le Royaume-Uni et l'Allemagne.

Les mesures qui sont directement liées à la concession ont été formalisées dans un avenant signé le 29 mars dernier, qu'il vous est aujourd'hui demandé d'approuver.

Il vous est proposé de prolonger la concession jusqu'au 28 juillet 2086.

De 2052 à 2086, c'est-à-dire pendant la durée de la nouvelle prolongation, les concédants recevront une somme totale annuelle, incluant toutes les formes d'imposition sur les sociétés, égale à 59 % des bénéfices avant impôts.

Le principe de cette disposition était parfaitement connu des actionnaires d'Eurotunnel lorsqu'ils ont approuvé, en juillet 1997, le plan de restructuration financière de la société. En déclarant leur volonté de prolonger la concession, les deux gouvernements avaient clairement précisé que cette prolongation devrait s'accompagner d'une participation des concédants aux profits des concessionnaires à partir de 2052. Celle-ci a fait l'objet de négociations délicates avec nos partenaires britanniques. Le souci constant du gouvernement français, et particulièrement de Lionel Jospin, qui est intervenu auprès de Tony Blair, aura été de préserver, fût-ce à très long terme, les intérêts des actionnaires et d'éviter que la participation des gouvernements aux bénéfices vide la prolongation d'une grande partie de son intérêt économique pour la société.

La prolongation est accordée au bénéfice exclusif des concessionnaires initiaux, c'est-à-dire d'Eurotunnel et de ses actionnaires. En cas de substitution des prêteurs aux concessionnaires, en application de certaines dispositions de la concession, celle-ci expirera en juillet 2052, si la substitution est toujours en vigueur à cette date. Le mécanisme de substitution permet aux banquiers prêteurs, dans des circonstances précises énumérées dans la concession, comme l'abandon du projet ou la cessation de paiement, de jouir de l'ensemble des droits et d'assumer l'ensemble des obligations prévues envers les concédants, en lieu et place des concessionnaires défaillants. La concession est retransférée aux concessionnaires initiaux, après paiement de toutes les sommes restant dues aux prêteurs. A la demande des concédants, ce mécanisme ne pourra plus être mis en application au-delà de juillet 2052.

La mise en vigueur de l'avenant est une condition sine qua non de la mise en application d'une disposition du plan de restructuration de la dette des concessionnaires. Je rappelle que les actionnaires initiaux ont reçu des bons gratuits de souscription d'actions sur la base d'un bon par action détenue. Deux types de bons ont été délivrés, des bons exerçables jusqu'en octobre 2003 et des bons exerçables jusqu'au 31 décembre 2001, mais uniquement à partir du moment où la prolongation de la concession sera effective. L'exercice de ces bons ouvrira aux actionnaires initiaux la possibilité de conserver la majorité du capital de la société.

En approuvant ce projet vous marquerez la volonté des pouvoirs publics d'accompagner la restructuration financière de l'ouvrage et vous affirmerez votre confiance dans le renouveau du fret ferroviaire en Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Dominique Dupilet, rapporteur de la commission de la production - Le tunnel sous la Manche dont on parle depuis deux cents ans va donc à nouveau alimenter nos discussions, puisqu'il nous est proposé ce soir de prolonger la durée du traité de concession signé en 1986 par la France, la Grande-Bretagne et les deux sociétés d'exploitation regroupées sous le signe Eurotunnel. Mais, si nous acceptons, nous repousserons toute nouvelle discussion d'un siècle puisque nous prolongerions la concession jusqu'en juillet 2086, date à laquelle nos successeurs, si tout va bien, prendront acte de la fin de cette concession. La France et la Grande-Bretagne prendront possession de cet ouvrage, prouesse technique à l'origine d'une grande déception financière pour beaucoup de petits actionnaires.

Aux termes du traité de Cantorbéry, la liaison devait être financée sans recourir à des fonds ni à des garanties des gouvernements. Pour avoir assisté à la signature de cet instrument dans la grande salle du chapitre de la cathédrale, je me souviens du discours de Mme Thatcher à cette occasion. Il se résumait à "Not a public penny !" La concession affirmait d'ailleurs expressément que les concessionnaires agissaient à leurs risques et périls, jusqu'au terme fixé alors au 28 juillet 2042.

En cas de difficultés, les gouvernements ne pouvaient donc agir qu'en modifiant la durée de cette concession. Or les coûts de construction, estimés à 28 milliards, se sont élevés en définitive à 105 milliards et, avant même l'ouverture du tunnel, en 1994, nous avons dû voter une loi approuvant un premier avenant prolongeant la concession de dix ans.

Depuis, l'évolution des taux d'intérêt, le report de l'ouverture d'un an, les frais financiers liés à l'endettement de la société, un chiffre d'affaires inférieur aux prévisions et un résultat d'exploitation déficitaire ont obligé Eurotunnel à suspendre en 1995 le paiement des intérêts sur la dette principale. S'ouvrirent alors des négociations entre les établissements financiers prêteurs et deux mandataire désignés par le tribunal de commerce de Paris, négociations qui aboutirent à un plan de restructuration approuvé en 1997 par l'assemblée générale des actionnaires et, l'année suivante, par le syndicat bancaire. La dette était ainsi réduite d'environ 23 %. En outre, pour annuler l'effet des intérêts cumulés, étaient prévus un financement à taux zéro pendant neuf ans, un allongement de la durée de la dette de plus de vingt ans, l'ouverture d'un droit à des refinancements sans pénalité, les actionnaires initiaux ayant la possibilité de conserver le capital de l'entreprise grâce à l'attribution gratuite de bons de souscription. Enfin, le plan de restructuration indiquait qu'une prolongation de la durée de la concession était souhaitable.

C'est à quoi tend le présent projet. La prolongation sera de 34 ans, de sorte que la concession expirera, non le 28 juillet 2086 comme l'a dit le ministre mais, selon nos calculs, le 29 !

La mesure ne sera qu'au bénéfice des concessionnaires initiaux. Quant aux concédants, c'est-à-dire les Etats, ils recevront 59 % des bénéfices avant impôt.

Quid des actionnaires ? Le capital d'Eurotunnel est détenu pour 6,8 % par 141 000 actionnaires individuels anglais, pour 40,9 % pour 556 000 actionnaires individuels français, pour 6,3 % par des investisseurs institutionnels français. Ce sont donc les petits actionnaires qui ont assuré une grande part du capital et ils sont en droit de se demander, après les pertes qu'ils ont subies, pourquoi le gouvernement français veille à garantir ses recettes avant de se préoccuper d'eux. Il faudra les rassurer ! Même s'ils ont approuvé dans leur majorité les mesures arrêtées, celles-ci ne font pas l'unanimité.

Eurotunnel sera-t-il sorti d'affaire avant le vote de cette loi ? Certes, son chiffre d'affaires est en progression, tout comme le nombre de passagers, mais la société manque de fonds propres et demeure trop endettée. D'autre part, avec l'arrêt des ventes hors-taxes, elle perdra un tiers de son chiffre d'affaires, à partir du 1er juillet ! Les mesures prévues pour la liaison transManche doivent donc lui être étendues.

Enfin, la construction du deuxième tunnel reste prévue pour 2020 et cela représente une lourde charge pour Eurotunnel. Quelles sont les intentions du Gouvernement ?

En attendant, la prolongation proposée apparaissant nécessaire au redressement de la société, la commission vous demande d'adopter ce projet dans le texte voté par le Sénat en première lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Franck Dhersin - Ce projet vise donc à prolonger la durée de la concession du tunnel sous la Manche de 34 ans, soit jusqu'au 29 juillet 2086. J'aurai alors 124 ans... Et vous, Monsieur le ministre ?

Cette prolongation est accordée au bénéfice exclusif des concessionnaires initiaux, ce qui signifie que les créanciers ne pourront pas s'en prévaloir en cas de substitution. Pour les concédants, ils recevront pendant ces 34 années une somme annuelle égale à 59 % des bénéfices avant impôt.

Le tunnel sous la Manche est une véritable prouesse technique et la réalisation d'un vieux rêve, mais ce fut aussi, pour les 550 000 petits porteurs français, un véritable Waterloo financier. Le traité de Cantorbéry indiquait expressément que la liaison devait être financée sans qu'il soit fait appel à des fonds gouvernementaux, ce que Mme Thatcher avait en effet résumé par l'expression "Not a public penny". En contrepartie, il était stipulé que les concessionnaires disposaient d'une entière liberté de gestion. Or, dès le début des travaux, il est apparu que les coûts de construction avaient été très nettement sous-estimés. De 28 milliards en 1987 ils sont passés à 45 cinq ans plus tard, pour atteindre 105 milliards en 1994. D'où une première prolongation de la concession jusqu'en 2052.

La cotation du titre a reflété ces vicissitudes : souscrite au prix de 35 F en novembre 1987, l'action atteignait 119,80 F en mai 1989, avant de tomber à 28,50 F lors de la deuxième augmentation de capital en novembre 1990, de remonter à environ 55 F en janvier 1994, puis de connaître, à partir de cette date, une chute continue. L'action valait 8,05 F eu 19 septembre 1995... Un plan de restructuration a donc été élaboré en 1997-1998. Il comportait une diminution de 40 % des charges financières, une réduction du montant de la dette de 23 %, l'octroi d'une ligne de crédit à taux zéro pendant neuf ans, un allongement de la durée de la dette de plus de vingt ans et la possibilité pour Eurotunnel d'accéder à des refinancements sans pénalités.

Le capital d'Eurotunnel étant réparti entre 141 000 actionnaires individuels anglais, 556 000 actionnaires individuels français, 490 investisseurs institutionnels anglais et 2 250 investisseurs institutionnels français ; la participation française l'emporte nettement sur la participation britannique, grâce en particulier aux tristement célèbres petits porteurs, dont les économies ont été ici englouties.

Cependant, avec la restructuration de son endettement, Eurotunnel a enregistré d'incontestables succès commerciaux. Les produits d'exploitation ont ainsi crû de 26 % en 1998 et de 18 % au premier trimestre 1999 ; 20 millions de personnes et 11 millions de tonnes de fret ont franchi le tunnel en 1998, contre 15 millions de personnes et 6 millions de tonnes de fret en 1997. Les navettes tourisme ont transporté 3,35 millions de voitures et 96 324 autocars, soit 45 % et 49 % de plus qu'en 1997. Le 21 juin dernier, le conseil d'administration a annoncé pour 2003 un doublement de la capacité des navettes pour le transport de fret par camion.

L'avenant devrait faciliter l'application du plan de restructuration financière et assurer la survie de l'entreprise en réduisant la charge annuelle d'amortissement, en améliorant le bénéfice après impôt et en permettant, sans doute, d'avancer à 2004 ou à 2006 la date à laquelle un premier dividende pourra être versé aux actionnaires. Les petits épargnants, eux, se sentent floués.

Cependant, malgré des produits d'exploitation en hausse et un bénéfice net de 726 millions, la situation financière d'Eurotunnel demeure incertaine : les fonds propres ne sont que de 6,8 milliards, l'endettement net se monte à 73,2 milliards et les frais financiers à 3,4 milliards en 1998, soit le double du résultat d'exploitation et la moitié des fonds propres.

Le groupe Démocratie libérale prend acte de cette prolongation de concession. Nous regrettons cependant que les intérêts des petits porteurs ne soient pas mieux pris en compte alors que l'action Eurotunnel vaut aujourd'hui près de 9,58 F. Nous nous abstiendrons donc.

M. André Capet - La prolongation de 34 ans de la durée de cette concession contribuera à améliorer la situation financière d'Eurotunnel et de ses actionnaires, en particulier de ces milliers de petits actionnaires qui ont cru dans cette aventure humaine et technologique. Et il faut en effet souligner que l'ensemble du trafic de fret transManche a progressé pendant cinq années de plus de 17 % par an en moyenne.

La réalisation du lien fixe entre la Grande-Bretagne et la France a entraîné un boom des transferts entre les deux pays.

D'autre part, la prolongation de la concession intervient après un plan de restructuration de la dette financière de l'entreprise, négocié avec les banques.

Ces différentes mesures, associées à des perspectives de développement du fret, permettront d'assurer la pérennité de l'opérateur Eurotunnel, qui a également une mission d'aménageur du littoral Nord - Pas-de-Calais et de la région tout entière.

N'oublions pas que la construction du lien fixe transManche a été décidée au plus haut sommet, que les collectivités territoriales se sont fortement mobilisées autour du plan d'accompagnement qui a permis de raccorder le tunnel aux grands axes de communication, désenclavant ainsi tout le littoral du Nord - Pas-de-Calais.

Le choix d'un tunnel avec navettes, et la rupture de charge qu'il engendre, témoigne de la volonté des pouvoirs publics de donner à cette région toutes les chances d'un développement économique.

Eurotunnel n'est donc pas une société comme les autres, puisque l'Etat lui a confié une mission d'aménagement sur une centaine d'hectares à la sortie du tunnel. Sa politique de développement s'inscrit dans le cadre d'une stratégie d'agglomération, en partenariat avec les collectivités locales. Avec ses 2 500 emplois directs et indirects en France, elle est un acteur majeur dans le Calaisis. Enfin la suppression des ventes hors taxes au 1er juillet doit être prise aussi en considération.

Si le plan de restructuration offre de meilleures perspectives, il a pour effet de soumettre les petits actionnaires au poids des banques, entrées dans le capital à hauteur de 45,5 %. Quant à l'Etat, sa participation aux profits avant impôts s'élèvera à 59 % à compter de 2052.

Le temps court donc contre les petits actionnaires, qui ne bénéficieront que partiellement des dividendes. Ne pourrait-on envisager un traitement plus attentif en faveur des petits actionnaires ?

Il faut donner à Eurotunnel toutes les chances de réussir, parce que des milliers de petits actionnaires ont fait confiance à ce projet, et qu'Eurotunnel est un acteur essentiel du développement et de l'aménagement du Calaisis et du littoral (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean Marsaudon - Le projet vise à faciliter la mise en oeuvre du plan de restructuration financière d'Eurotunnel, approuvé par les actionnaires et les banques, en prolongeant la concession de 2052 à 2086. Une première prolongation avait été décidée en 1994, les besoins de financement étant passés alors de 50 à 100 milliards depuis 1987, du fait de nouvelles contraintes de sécurité, du retard de l'ouverture au trafic, de problèmes de matériaux, d'une révision à la baisse des perspectives de trafic. La dette cumulée atteignait 80 milliards en 1994, et coûtait 6 milliards par an en intérêts. Eurotunnel dut suspendre un moment le paiement des intérêts, tandis que le cours du titre s'effondrait.

En 1997, il y avait encore 81 000 actionnaires individuels en France, et la viabilité de l'entreprise étant menacée, on fut conduit à envisager diverses mesures, dont celles qui figurent dans ce projet. L'allégement des frais financiers de 40 % a pour contrepartie la conversion en actions d'une partie de la dette et l'allongement de la durée de la concession.

Le projet devrait permettre à l'entreprise de développer ses activités, et Eurotunnel, de cauchemar financier, redeviendra un rêve un peu fou. Le RPR soutiendra ce projet de loi.

M. Georges Hage - En 1986 la France et la Grande-Bretagne signaient à Cantorbéry un traité prévoyant la construction et l'exploitation d'une liaison fixe transManche par des sociétés privées concessionnaires.

L'histoire contemporaine a retenu le caractère humaniste et aventureux de grands travaux, visant à remédier aux inconvénients planétaires de la distribution géographique des continents -le canal de Panama, le canal de Suez- sur lesquels a plané je ne sais quelle malédiction financière consubstantielle aux maléfices boursiers. Le tunnel sous la Manche perpétue ce travers historique du libéralisme.

Le traité de Cantorbéry stipulait que la liaison devait être financée uniquement par des fonds privés et excluait toute participation publique -les concessionnaires disposant d'une totale liberté de gestion. Est-il un exemple plus révélateur des méfaits d'un ultralibéralisme sans partage ?

Cependant, on nous propose d'approuver un nouvel avenant prolongeant de 34 ans la durée de la concession, après celui déjà voté en 1994, Eurotunnel s'avérant incapable de couvrir les charges de la dette accumulée au cours des années de construction. Le tunnel sous la Manche fait partie de ces grands travaux qui ne sauraient, sauf aberration ultralibérale, être soumis aux aléas et turpitudes de l'économie de marché.

Mais cet avenant nous pose un autre problème, qui a été souligné par notre rapporteur : la situation des petits actionnaires, qui se sentent "spoliés". 600 000 petits porteurs, fascinés par l'aventure financière, entraînés dans l'aliénation nouvelle qu'est l'actionnariat, ont connu une perte voisine de 75 %, alors que leur apport a été de 25 milliards. Il leur faudrait attendre encore une trentaine d'années avant de toucher une petite rente de situation. Ils réclament, avec une candeur que je respecte, qu'on attribue les dividendes en priorité aux petits porteurs, avant de rembourser les banques prêteuses.

Personnellement, je m'interroge : que diable allaient-ils faire dans ce tunnel ? Notre commission a souligné, à juste titre, qu'il fallait mettre en place un groupe de travail et engager une réflexion sur la situation des petits porteurs. Mais je m'interroge : est-il convenable d'approuver cet avenant, d'un point de vue juridique ? D'un point de vue marxiste ? Peut-il y avoir un vote évasif ? Ou élusif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Léonce Deprez - Nous voici appelés à approuver la prolongation, pour trente-quatre ans, de la convention signée en 1986 pour ce qui restera comme l'un des grands chantiers de ce siècle : le tunnel sous la Manche, qui concerne non seulement la vie des régions du Nord - Pas-de-Calais et du Kent, mais encore celle de deux pays si longtemps séparés, et pourtant fraternellement unis en temps de guerre.

Les grandes oeuvres ne naissent pas sans de grandes douleurs, le rapporteur est bien placé pour nous le rappeler. Nous avons déjà dû, en 1991, proroger une première fois, de dix ans, la concession. Quand on sait que le développement du trafic est encore insuffisant à assurer la sécurité financière d'un investissement qui a coûté 110 milliards au lieu des 28 prévus, on ne peut refuser la nouvelle prorogation demandée. Cela ne nous empêche pas de demander justice pour les 600 000 petits porteurs qui ont contribué au financement, et qui ont mal accueilli la déclaration de M. Strauss-Kahn devant l'assemblée générale des actionnaires, subordonnant la prolongation de la concession jusqu'en 2086 à une participation des gouvernements aux bénéfices à partir de 2052. Spoliés par la chute de leurs actions, dont la valeur avoisine 8 F alors qu'elle était trois ou quatre fois supérieure lors des appels de fonds lancés en 1987, 1990 et 1994, ils n'acceptent pas que les pouvoirs publics, qui n'ont pas financé l'ouvrage, s'arrogent 59 % des futurs excédents d'exploitation ! Ils réclament en conséquence des clauses de transparence et de protection de l'actionnariat "historique". Quelle réponse pouvez-vous, Monsieur le ministre, leur apporter ? Il faut au moins les associer, ainsi que les membres de la commission de la production, à l'élaboration d'un plan d'intéressement aux profits d'Eurotunnel.

Vous ne pouvez être insensible à l'interpellation de M. Hage, dont vous êtes proche par la pensée, et dont les remarques pleines de coeur et d'humour m'ont touché, moi aussi. Il faut réviser la condition mise par l'Etat. Alors, le groupe UDF pourra approuver l'avenant. L'Etat a beaucoup obtenu de la région Nord - Pas-de-Calais, qui a beaucoup donné de ses ressources minières et maritimes sans toujours recevoir grand-chose en retour. Nous avons l'occasion de faire un grand geste pour ceux qui ont cru en cette grande oeuvre et qui méritent, de ce fait, la reconnaissance de la nation. Il nous faut créer un climat et un élan nouveau pour que le tunnel sous la Manche soit considéré comme ce qu'il est : une réussite du siècle finissant et de celui qui commence.

M. le Ministre - Je remercie les orateurs de la qualité de leurs interventions sur ce sujet qui comporte de nombreux aspects techniques. Le rapporteur, en particulier, a eu raison de préciser que la convention n'expirerait pas le 28 juillet 2086, mais le 29 - à zéro heure ou à vingt-quatre heures, nous verrons bien à ce moment-là... (Sourires)

Il a également soulevé, comme M. Capet, la question du "duty-free", qui est d'actualité puisque sa suppression vient d'être confirmée. Selon certains avis, Eurotunnel est moins concernée que le transport maritime, mais devra néanmoins bénéficier des mesures d'accompagnement que nous préparons avec le gouvernement britannique, sous le contrôle de Bruxelles.

M. Marsaudon a insisté sur la différence entre le coût final de l'investissement et les prévisions. Une chose est sûre : il nous faudra mieux cadrer à l'avenir, pour des projets de cette envergure, les études préliminaires, afin d'éviter les surprises douloureuses.

M. Hage a souligné à juste titre le caractère privé de l'investissement, qui a été affirmé dès le départ. Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'il faille nationaliser les pertes et privatiser les profits, mais si le gouvernement français ne s'était pas battu avec énergie, notamment contre son homologue britannique qui ne souhaitait pas impliquer la puissance publique dans une affaire privée, pour obtenir une solution préservant les intérêts des actionnaires en général et des petits porteurs en particulier, le cours de l'action serait aujourd'hui proche de zéro !

J'ai indiqué les mesures prévues pour leur conserver la majorité via les bons de souscription. Mais l'Etat n'a pas la possibilité de restaurer la valeur des actions autrement qu'en prolongeant la concession. J'ai noté la convergence de vues de MM. Hage et Deprez sur la proposition de réunion d'un groupe de travail consacré aux petits actionnaires. Mais ce n'est pas l'Etat qui décide de la répartition des dividendes d'une entreprise privée. Je ne suis pas en capacité au nom de l'Etat de le faire. Je comprends l'utilité d'une telle démarche mais votre proposition de groupe de travail ne répond pas à l'objectif de préservation des intérêts des petits actionnaires.

Si vous n'approuvez pas l'avenant qui vous est soumis, le plan de restructuration financière tombe et la valeur de l'action risque de devenir nulle, eu égard à la situation de faillite et à la substitution des banques. Vos collègues du Sénat ont approuvé cette démarche qui ne constitue certes pas une panacée mais qui semble la plus opportune pour éviter un blocage et le risque de faillite. Ce plan de relance permettra une valorisation à terme des engagements des actionnaires.

L'article unique du projet de loi, mis aux voix, est adopté.


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NUISANCES SONORES AÉROPORTUAIRES (Procédure d'examen simplifiée)

L'ordre du jour appelle la deuxième lecture du projet de loi portant création de l'autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires.

M. le Président - Je rappelle que la discussion fait l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Ce projet est très attendu.

Comme vous le savez, je me suis attaché à créer les conditions favorables au développement du transport aérien dans notre pays.

La construction des pistes de Roissy, l'ouverture du capital de la compagnie nationale Air France, les mesures prises pour enrayer le déclin d'Orly participent du même objectif : développer l'activité économique et l'emploi que génère le transport aérien, en prenant en compte l'environnement des riverains. C'est pour nous un choix de société.

Pour donner toute garantie à l'ensemble des partenaires, en particulier aux riverains, j'ai souhaité qu'une instance indépendante puisse contrôler l'ensemble des dispositions de lutte contre les nuisances sonores.

Au cours de la première lecture, vous avez contribué à renforcer le dispositif proposé par le Gouvernement. A ce titre, l'action de M. le rapporteur a été déterminante.

Le changement de dénomination de l'Autorité en ACNUSA -Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires- s'est accompagné d'une composition élargie et d'un pouvoir étendu.

C'est maintenant à l'Autorité que revient le pouvoir d'établir des amendes administratives, sur proposition de la commission nationale de prévention des nuisances sonores. Le montant maximal des amendes a été relevé.

S'agissant, ensuite, des commissions consultatives de l'environnement, vous avez également étendu leurs missions et leur pouvoir de consultation, en particulier sur les grands aérodromes où existe un dispositif d'aide à l'insonorisation des riverains.

Cette commission sera notamment dotée d'une instance permanente de travail, le comité permanent. Il lui est conféré un pouvoir de saisine de l'Autorité indépendante.

Enfin, quant à l'urbanisme, l'extension des plans d'exposition au bruit à une quatrième zone dans laquelle une insonorisation des constructions nouvelles serait exigée me paraît aller dans la bonne direction.

Admettant la nécessité d'étoffer les pouvoirs de l'Autorité, le Sénat s'est rallié dans une large mesure à ces dispositions, en précisant la rédaction de quelques unes d'entre elles.

Je constate avec satisfaction la volonté commune de progresser, face à une exigence unanimement reconnue.

Je voudrais féliciter votre rapporteur pour la qualité de son travail et vous remercier de l'esprit constructif du travail en commission qui traduit -me semble-t-il- la proximité des points de vue entre l'Assemblée et le Sénat.

Je souhaite maintenant que l'autorité indépendante puisse être mise en place dès l'automne : c'est un temps considérable qui serait gagné au bénéfice des riverains. Certes le texte pourrait être encore amélioré, mais parfois le mieux est l'ennemi du bien.

L'objectif est maintenant que nous apportions, le plus rapidement possible, aux citoyens habitant à proximité des aérodromes des garanties quant à la préservation de leurs droits, tout en permettant le développement économique des plates-formes aéroportuaires (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Blazy, rapporteur de la commission de la production et des échanges - Par le vote de ce soir, nous allons mettre en place la première autorité administrative indépendante dans le domaine de l'environnement, l'ACNUSA.

Un travail important a été effectué en première lecture par notre Assemblée, consciente de l'exigence environnementale. Nous avons souhaité faire de cette Autorité un réel acteur de la lutte contre les nuisances sonores.

Ainsi, son indépendance a été renforcée par un encadrement strict des aptitudes de ses membres et par la diversification de leurs compétences. Le président devra occuper son poste à plein temps et la diversité de l'origine des experts garantira leur impartialité.

L'Assemblée a confié à l'ACNUSA des pouvoirs importants, qui permettent de "crédibiliser" le dispositif et de créer une réelle attente de la part des acteurs mais aussi des élus et des riverains. L'Autorité a ainsi été investie d'un pouvoir de recommandation, dont la saisine a été élargie aux CCE et aux associations agréées de protection de l'environnement sur toute question relative à la mesure du bruit, ce qui inclut la définition des indices de mesure de la gêne sonore, et sur toute question relative à la maîtrise et à la limitation de l'impact environnemental des nuisances sonores liées à l'activité aéroportuaire. En outre l'Autorité sera obligatoirement consultée sur les plans d'exposition au bruit -définis par la loi de 1985- les PGS -définis par la loi de 1992-, les projets de textes réglementaires relatifs à l'environnement des aéroports, sur les projets d'élaboration ou de modification des procédures de départ, d'attente et d'approche aux instruments ainsi que sur les valeurs maximales de bruit.

L'ACNUSA est également investie d'un pouvoir réglementaire de définition des prescriptions applicables aux stations de mesure du bruit dans les neuf plus grands aéroports français.

Elle exercera un pouvoir de contrôle et une mission d'information. Elle s'assurera que les exploitants d'aérodromes respectent les prescriptions qu'elle a définies dans le cadre de son pouvoir réglementaire. Par ailleurs, elle contrôlera le respect des engagements pris en vue de réduire les nuisances sonores. Le rapport qu'elle rendra public chaque année constituera un élément important de la transparence du dispositif. En outre, l'Autorité établira un programme de diffusion de l'information.

Elle disposera d'un pouvoir d'arbitrage en cas de désaccord sur le respect des engagements pris par les différentes parties lors de l'élaboration d'une charte de qualité de l'environnement sonore aéroportuaire.

Enfin, elle se verra dotée d'un pouvoir de sanction qui lui donne un rôle de "juge de paix" et une réelle crédibilité. Ce pouvoir, qui avait été assorti d'un doublement des amendes infligées aux responsables d'infraction, a permis de lever de façon définitive les doutes sur la transparence du dispositif de sanction.

Le dispositif est à deux étages. L'Assemblée a souhaité renforcer la présence des riverains et les attributions ainsi que les moyens de fonctionnement des commissions consultatives de l'environnement. Dorénavant, les commissions consultatives d'aides aux riverains y seront intégrées au travers d'un comité permanent, qui permettra de garantir leur bon fonctionnement. En outre, la composition des CCE a été révisée : les riverains comme les élus seront représentés à hauteur d'un tiers chacun, les acteurs de l'activité aéroportuaire disposeront du dernier tiers. De plus, la commission se réunira de droit à la demande d'au moins un tiers des membres.

L'Assemblée a également renforcé les interdictions et restrictions relatives aux vols d'hélicoptères au-dessus des zones densément peuplées.

En matière d'urbanisme, elle a souhaité l'assouplissement des prescriptions en matière de constructivité dans la zone C des PEB, afin d'éviter le dépérissement de villes situées dans ces zones, sans toutefois permettre un accroissement du nombre d'habitants subissant des nuisances de plus en plus importantes. Enfin, une quatrième zone de PEB a été instaurée à l'intérieur de laquelle les constructions sont autorisées mais doivent faire l'objet de mesures d'isolation acoustique. A cet égard, je réitère ma demande d'une harmonisation des PEB et des PGS dans les délais les plus brefs, et je souhaiterais avoir des précisions quant au calendrier et aux modalités qu'il serait possible de définir.

Conscients de la nécessité que ce texte trouve une conclusion législative rapide du fait de l'urgence de l'introduction de ce nouvel acteur dans le ciel français, nous avons entrepris, avec le rapporteur du Sénat, de parfaire le texte issu de nos rangs en intégrant les engagements concernant un certain nombre d'éléments pertinents qui avaient été présentés en première lecture mais qui nécessitaient d'être approfondis. Le Sénat a donc repris en deuxième lecture le texte issu de l'Assemblée.

Ainsi, le nombre de membres passe de 7 à 8, même si, Monsieur le ministre, vous aviez accepté le principe de 9 membres, donnant alors satisfaction au souhait de M. Cochet : un expert en gêne sonore et un expert en navigation aérienne ont été prévus, tandis que l'expert en urbanisme a été sacrifié sur l'autel de la sagesse sénatoriale.

Je me félicite qu'un amendement sénatorial permet à toute association, agréée ou non, concernée par l'environnement sonore aéroportuaire de saisir directement l'ACNUSA. Il s'agit d'un progrès incontestable.

Un amendement du Gouvernement a étendu le pouvoir de sanction à l'ensemble des aéroports français, suivant ainsi la volonté de l'Assemblée de voir être mis en place un dispositif cohérent.

Deux interrogations demeurent. Le dispositif actuel de sanction continuera-t-il bien à s'appliquer jusqu'à la mise en place de l'ACNUSA ? Le décret en Conseil d'Etat qui permettra de créer la nouvelle CNPN sera-t-il bien publié dans un délai de six mois ? Nous serons vigilants sur ce point : il convient en effet de corriger les dysfonctionnements de cette instance et de restaurer sa crédibilité.

Le Sénat a abaissé à 80 000 F le montant maximal des sanctions : je me rallie à cette proposition. C'est tout de même dix fois plus qu'à Manchester ! Mais il serait bon que, comme au Royaume-Uni, le produit des sanctions soit versé à un fonds d'aide aux riverains.

Le Sénat a aussi renforcé le régime des responsabilités et précisé le contenu du rapport public qui devra informer sur les sanctions. Il a estimé inutile de préciser que les associations avaient "qualité d'expert". Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que les associations concernées par l'environnement sonore aéroportuaire ont vocation à être retenues lors d'un appel d'offres en vue d'une expertise ? De même, conformément à l'engagement que j'avais pris, toute personne concernée pourra également être entendue par la commission consultative de l'environnement.

Le Sénat a cru utile de préciser que le dernier tiers de cette commission serait constitué de représentants d'associations de riverains et d'associations concernées de protection de l'environnement et du cadre de vie. Cet ajout n'est pas dénué de risques. En effet, sur un tout petit aérodrome, il est possible qu'il n'existe pas d'association de riverains à proprement parler. Entend-on ce terme de façon assez large pour qu'il soit possible dans tous les cas de constituer une CCE ?

Le Sénat a voté l'article trois en des termes identiques.

Concernant la quatrième zone de PEB, il a rétabli la proposition originelle de l'Assemblée : cette zone est de droit pour les neuf plus grands aéroports et reste une possibilité pour les autres.

Enfin; le Sénat a introduit deux dispositions a priori difficilement applicables, voire inapplicables.

La première autorise la construction d'immeubles collectifs en zone C à condition qu'elle s'accompagne dans un délai d'un an d'une réduction équivalente de la capacité d'accueil dans la même zone. Monsieur le ministre, si la mesure se révèle en effet inapplicable, la modifierez-vous dans le projet de loi relatif à l'urbanisme et aux déplacements que nous devons examiner début 2000 ? Deux écueils devront être évités. D'une part, provoquer le dépérissement des bourgs situés en zone C ; d'autre part, accroître le nombre de personnes subissant les nuisances. Il faudra aider les communes à surmonter ces difficultés, notamment sur le plan financier.

Quant à l'obligation d'informer les locataires de biens immobiliers situés dans une zone de PEB, c'est assurément une idée qui part d'un bon sentiment. Mais la disposition paraît difficilement inapplicable.

Dans le souci d'aboutir rapidement, je vous propose de voter le texte conforme à celui adopté par le Sénat. L'attente est forte sur le terrain et la création de l'ACNVSA marquera une étape importante dans l'histoire de la politique aéroportuaire française.

Monsieur le ministre, vous vous étiez engagé en première lecture à l'Assemblée puis de nouveau au Sénat à étendre à Orly et aux principaux aéroports de province les mesures, destinées à préserver la qualité de vie des riverains, expérimentées à Roissy. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le calendrier et les modalités de cette extension ?

En effet, si 80 % des mouvements aériens sont actuellement réalisés par des appareils les moins bruyants, plusieurs centaines de milliers de riverains d'aérodromes civils et militaires ont à se plaindre d'un bruit excessif de jour comme de nuit. Si les avions les plus bruyants, dits de chapitre deux, ainsi que les avions de chapitre 3 Hushkité seront totalement retirés du trafic le 1er avril 2002, la gêne provoquée par l'augmentation du trafic est subie le jour et le plus souvent la nuit. En réalité, si l'énergie sonore globale a diminué au-dessus de Roissy, les nuisances augmentent cependant. Les riverains attendent des solutions.

L'ACNUSA devrait être un excellent outil. Le fait qu'elle soit la première autorité administrative indépendante en matière d'environnement lui confère une lourde responsabilité. Elle aura à relever un défi de taille face à l'ampleur de ses missions et à l'espoir qu'elle suscite déjà. En votant ce texte attendu, nous concrétisons la recherche d'un développement aéroportuaire respectueux de la qualité de l'environnement et du développement durable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Félix Leyzour - La philosophie générale de ce texte donne satisfaction aux députés communistes.

La création d'une Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires permettra de renouer le dialogue entre les autorités aéroportuaires et les riverains d'aéroports. Elle mettra fin à la position hégémonique de l'autorité gestionnaire qui était jusque là juge et partie. Elle permettra aussi de renforcer la concertation entre les différents acteurs du transport aérien. Nous avions souligné en première lecture la nécessité de supprimer le terme "régulation" dans le nom donné à cette Autorité. Cette notion, introduite par le Sénat, diluait en effet l'objet essentiel de l'action de l'Autorité, qui consiste à contrôler les nuisances sonores. L'Assemblée nous a suivis et le Sénat, en deuxième lecture, n'est pas revenu sur cette modification. Nous estimons essentiel que le Gouvernement ne soit pas dessaisi de ses pouvoirs au détriment d'une Autorité sans responsabilité politique.

Nous avions également déposé deux amendements qui ont été adoptés par l'Assemblée. Ils tendaient à prendre en compte la spécificité des vieux villages, situés à proximité des aéroports. Nous regrettons que le Sénat ait dénaturé le texte sur ce point. Mon ami François Asensi a donc déposé des amendements sur ces dispositions qui risqueraient de compromettre le devenir des vieux bourgs.

Néanmoins, le Sénat ayant conservé dans une large mesure le texte voté par l'Assemblée et n'ayant pas remis en cause sa philosophie générale, le groupe communiste, soucieux que l'Autorité soit mise en place dans les plus brefs délais, votera ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Christian Martin - Ce texte, qui fait l'objet d'un large accord, recueillera l'approbation du groupe UDF.

Il met en place, sur le modèle d'institutions telles que la COB ou le CSA, une nouvelle autorité administrative indépendante chargée du contrôle des nuisances sonores aériennes, dotée d'un budget propre et d'un pouvoir de sanctions. Elle élaborera également des prescriptions techniques et aura devoir d'informer les riverains des neuf principaux aéroports du pays.

Cette Autorité sera composée de membres désignés par les présidents de l'Assemblée et du Sénat, ainsi que d'experts compétents en matière de bruit, d'aéronautique et de santé. L'indépendance de ses membres sera garantie par un mandat de six ans, non renouvelable, incompatible avec certaines activités privées ou publiques, ainsi que par l'indemnisation de leurs fonctions.

Parallèlement, le projet prévoit de renforcer le rôle des commissions consultatives de l'environnement et de restreindre le trafic d'hélicoptères dans les zones fortement peuplées.

En première lecture, notre assemblée a amendé le texte sur plusieurs points. Elle a notamment modifié le nom de l'Autorité ; prévu l'indemnisation de ses membres ; étendu le droit de saisine de l'Autorité au ministre chargé de l'urbanisme et aux associations agréées de protection de l'environnement ; renforcé son pouvoir de mise en demeure des exploitants et son pouvoir de sanctions ; étendu les prérogatives de commissions consultatives de l'environnement ; interdit certains vols d'hélicoptères au-dessus de zones densément peuplées ; autorisé sous conditions, des constructions à usage d'habitation dans les zones C des PEB et créé une zone D dans les PEB où les constructions seront autorisées à condition de faire l'objet d'une isolation acoustique.

Dans l'ensemble, le Sénat n'a que légèrement modifié ce dispositif. Il a notamment porté de 7 à 8 le nombre des membres de l'Autorité ; élargi le régime d'incompatibilité des membres de l'Autorité, étendu à tout titulaire d'un mandat électif ; prévu que toutes les associations concernées, agréées ou non, puissent mettre en oeuvre le droit de recommandation de l'Autorité ; étendu le pouvoir de sanction de l'Autorité à l'ensemble des aérodromes français ; fixé à 80 000 F le plafond des sanctions applicables aux personnes morales ; amélioré la consultation des riverains qui pourront être entendus, à leur demande, par la CEE ou son comité permanent ; autorisé en zone C des PEB les constructions si la capacité d'accueil dans des constructions existantes dans la même zone est réduite à due concurrence dans le délai d'un an ; créé une quatrième zone de PEB, obligatoire pour les neuf aérodromes les plus importants, facultative pour les autres.

Comme il convenait d'adopter rapidement un texte qui réponde aux attentes légitimes des riverains, souci partagé par le groupe UDF, le rapporteur s'est rallié au texte du Sénat. La commission a donc adopté le texte sans modification.

Je souhaiterais toutefois appeler l'attention sur les nuisances sonores consécutives à la création d'aérodromes, même modestes, dans des zones considérées comme calmes.

M. le Président - Je vous prie de conclure.

M. Christian Martin - Je demande à M. le ministre de bien vouloir répondre à mes questions, que je lui transmets par écrit...

Le groupe UDF votera ce projet.

M. Yves Cochet - Comme les riverains de Roissy - Charles-de-Gaulle, qui attendent la création de l'ACNUSA depuis l'annonce regrettable de la construction de deux pistes supplémentaires, les riverains des autres aéroports, quelle que soit leur taille, supportent de moins en moins l'augmentation du trafic. Il est donc nécessaire d'adopter rapidement cette loi ; c'est pourquoi je n'ai pas déposé de nouveaux amendements.

Je rappelle cependant que j'aurais souhaité des sanctions pénales en cas de récidive d'infraction aux mesures de restrictions de vol des avions, aux procédures particulières de décollage ou d'atterrissage, aux règles relatives aux essais moteurs et aux valeurs maximales de bruit à ne pas dépasser. Mon but était de responsabiliser les compagnies qui auraient tendance à préférer payer une amende administrative plutôt que de respecter les règles. Je regrette que les sanctions administratives aux personnes morales aient été réduites de 100 000 à 80 000 F.

Néanmoins, ce projet de retour du Sénat me paraît assez satisfaisant : premièrement, la grande majorité des amendements adoptés par l'Assemblée en première lecture ont été conservés ; deuxièmement, le Gouvernement a présenté plusieurs amendements, qui ont été adoptés, et dont un étend à l'ensemble des aéroports français l'application du dispositif de sanctions ; enfin, un amendement donne la possibilité à toute personne subissant les nuisances sonores résultant des trajectoires de départ, d'attente et d'approche et non représentée au sein de la commission consultative de l'environnement, d'être entendue à sa demande par celle-ci ou son comité permanent.

Cependant, j'aimerais savoir s'il est bien entendu que les associations "concernées par l'environnement aéroportuaire" sont des associations locales, départementales ou nationales non riveraines d'un aéroport, mais dont l'objet ou l'un des objets de travail concerne les problèmes liés à l'environnement aéroportuaire.

Si cette précision est apportée, je ne verrai plus aucun obstacle à mon vote favorable car ce projet, en dépit de ses imperfections, constitue une étape importante. Je souhaite que l'ACNUSA soit opérationnelle au 1er janvier 2000 ; ce serait un symbole de l'entrée dans le monde du développement durable.

M. Jean Marsaudon - L'examen de ce texte aura été marqué par le pragmatisme et la concertation, qui honorent nos deux assemblées.

Le Sénat a apporté au texte des modifications qui complètent judicieusement les dispositions initiales. Cependant je reste dubitatif sur la nécessité de rendre obligatoire l'insertion dans les contrats de location d'une clause informant le locataire que le bien est situé dans une zone de bruit. L'autorité de contrôle voit sa crédibilité définitivement établie. Néanmoins je renouvelle ma surprise de constater que le régime des incompatibilités concernerait toute personne détenant des intérêts non seulement directs, mais également indirects dans une entreprise des secteurs aéronautiques ou aéroportuaires. La notion de "lien indirect" ne couperait-elle pas l'autorité de contrôle d'un vivier de compétence et d'expertise ? Ne risque-t-on pas d'en faire une simple émanation de la DGAC ?

Le développement aéroportuaire, l'aménagement du territoire et l'environnement n'étaient pas nécessairement voués à faire bon ménage, mais l'intérêt général a su s'imposer et transcender les clivages traditionnels ou partisans. Le groupe RPR apportera donc sans surprise son soutien à ce projet.

Permettez-moi quand même, Monsieur le ministre, de vous interpeller sur un sujet brûlant : quid du troisième aéroport ?

M. André Godin - La libéralisation du transport aérien en Europe a entraîné le développement rapide de l'activité des aéroports ; dans le même temps, une exigence forte de la part des riverains s'est affirmée.

La législation existante ne pouvait subsister sans aboutir à une impasse. Le recours déposé vendredi par l'association des riverains de l'aéroport de Lyon-Satolas, l'ACENAS, devant le tribunal administratif, contre une subvention du conseil régional de Rhône-Alpes, destinée à l'amélioration de la plate-forme, en est une récente illustration.

Véritablement indépendante, directement accessible aux citoyens, dotée de réels moyens de contrôle et de sanctions, l'ACNUSA correspond aux futurs outils de contrôle démocratique du monde économique.

Je ne doute pas que ce projet augure une politique cohérente des transports aériens, permettant tout à la fois l'essor de ce secteur, le développement équilibré du territoire et l'émergence d'un environnement respectueux de la quiétude des riverains. Le groupe socialiste, bien entendu, le votera.

M. Francis Delattre - La création de cette Autorité de contrôle résulte d'abord de l'incapacité d'Aéroport de Paris à dialoguer avec les riverains et à prendre certaines sanctions... Mais vous ne vous en tirerez pas à si bon compte, Monsieur le ministre. De toute façon, tous les grands aéroports internationaux disposent de structures équivalentes. Mais le problème est ailleurs : il est dans l'augmentation du nombre des mouvements d'avions, bien supérieure aux 4 ou 5 % prévus, notamment à Roissy. Si vous voulez vous en tenir à 55 millions de passagers, il vous faudra rapidement prendre des décisions. Mais avec quatre pistes, l'aéroport Charles-de-Gaulle sera bientôt saturé et nous craignons qu'on ne prenne sur le tiers des réserves foncières encore disponibles, ce qui rendra la situation intenable.

Nous avons été échaudés, par exemple, en ce qui concerne les avions du chapitre II : on dit qu'il n'y en aurait pratiquement plus, mais j'ai le regret de vous annoncer qu'ils continuent de voler !

M. le Ministre - Ils auront disparu en 2002, conformément aux prescriptions européennes.

M. Francis Delattre - Si l'on veut donner confiance aux riverains, il faut cesser de leur raconter des histoires et annoncer rapidement un plan pour l'élimination des appareils les plus polluants.

Se pose aussi la question du troisième aéroport. Pour construire une telle plate-forme, il faut dix ans et l'on ne peut pas, en toute certitude, détourner une partie du trafic vers les aéroports de province. Pour éviter de se trouver là aussi dans une impasse, il faut encore des décisions.

Enfin, ne peut-on envisager pour Roissy la trêve de nuit qu'observent tous les grands aéroports internationaux ?

M. le Ministre - La qualité de vie des riverains et le rôle de la nouvelle autorité étant en jeu, je m'efforcerai de vous répondre à tous précisément.

Monsieur le rapporteur, comme M. Asensi en première lecture, vous avez posé le problème de la constructibilité en zone C du PEB. Nous comptons mener sur chaque cas une analyse démographique et urbanistique et cela concernera bien entendu le pays de Tremblay-en-France. Les nouvelles dispositions de l'article 4, précisées par le Sénat, devraient permettre de redynamiser ces vieux bourgs, pour leur partie située en zone C, dans la mesure où le bâti vétuste ne présenterait pas de caractère historique. En effet, le Sénat a assoupli les contraintes pesant sur ces zones exposées aux nuisances pourvu que la capacité d'accueil n'y augmente pas à moyen terme.

Le délai d'un an fixé à l'article 4 bis peut se révéler peu propice à des opérations d'une certaine ampleur, je le reconnais, et la précédente rédaction de l'article 4 ne peut résoudre tous les problèmes. Cependant, je m'engage à mener une réflexion approfondie en vue de corriger éventuellement le dispositif, par exemple dans le cadre de la loi sur l'habitat, l'urbanisme et les déplacements.

Je suis favorable à une harmonisation entre plans d'exposition au bruit et plans de gênes sonores. Mme Voynet et moi-même nous sommes engagés à réviser les règles d'établissement de ces plans, pour tenir compte de la gêne réellement constatée. Une requête est en cours de dépouillement : les résultats en seront transmis à l'ACNUSA dès qu'elle sera installée.

Je remercie MM. Godin et Cochet de leur soutien et de leurs contributions. Les associations susceptibles de saisir l'ACNUSA ou de siéger à la commission de l'environnement sont, aux termes du projet, celles qui travaillent à améliorer l'environnement des aéroports, Monsieur Cochet. Quant à l'appel d'offres lancé par l'Autorité pour expertise de l'environnement sonore, il va de soi que ces associations pourront y répondre au même titre que les entreprises, puisque l'Autorité devra appliquer le code des marchés publics.

Le projet transfère le pouvoir de sanction à l'ACNUSA et cette disposition prendra effet dès que les membres de celle-ci seront nommés. En attendant, le dispositif prévu par les articles R. 226-1 à 226-6 du code de l'aviation civile reste en vigueur et le ministre peut donc continuer à prononcer des amendes.

Monsieur Leyzour, j'ai refusé un amendement qui tendait à autoriser l'ACNUSA à édicter des normes de bruit car j'estime comme vous qu'il appartient de ne pas dessaisir le pouvoir politique de ses responsabilités.

Monsieur Martin, je vous remercie de votre soutien et de l'attention que vous avez apportée à cette loi. Pour régler le problème des vols d'entraînement de l'armée de l'air et des vols d'entraînement à la voltige, il convient avant tout de créer des commissions consultatives de l'environnement pour ouvrir la discussion. Déjà, les services locaux de l'aviation civile se sont entendu avec leurs homologues civils pour éloigner la quasi-totalité des survols militaires.

Enfin, le ministère de l'environnement subventionne les aéro-clubs ayant signé une charte de l'environnement pour les aides à installer des silencieux et à modifier les hélices sur leurs petits avions.

Messieurs Marsaudon et Delattre, je suis très attentif à l'évolution du trafic aérien. Et lorsque je déclare que nous avons fixé pour Roissy la limite à 55 millions de passagers, veuillez croire qu'il ne s'agit pas d'une formule creuse. C'est un engagement que j'entends tenir ! De même en ce qui concerne la limitation à 255 000 créneaux pour Orly. Ces limites devant être atteintes dans dix ou quinze ans, nous ne voulons pas perdre de temps. Mme Voynet et moi-même avons donc donné au président du comité interministériel des schémas de service de transport mission d'étudier ces dossiers afin que décision de construire éventuellement un troisième aéroport puisse être prise dès cette année.

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, l'article du projet de loi sur lequel les deux Assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique et qui fait l'objet d'amendements.

ART. 4 bis

M. François Asensi - Je crains d'aller contre un bel unanimisme mais, en première lecture, l'Assemblée avait pris en compte la spécificité des vieux villages situés à proximité de Roissy. Pressé d'obtenir un vote conforme, le Gouvernement a, à mon regret, accepté le texte du Sénat, qui dénaturait les dispositions que nous avions adoptées.

Ces villages sont un lieu de vie, ils ont un passé historique et un patrimoine architectural. Mais sans l'action volontariste des élus locaux, ils seraient condamnés à une mort lente. Il n'est pas acceptable d'empêcher les maires d'intervenir sur ces quartiers, et il faudrait plus de souplesse en zone C. Vos explications ne m'ont pas entièrement rassuré, Monsieur le ministre. Selon le texte du Sénat, ne seront autorisées de nouvelles constructions de logements que si des destructions équivalentes sont opérées dans un délai d'un an. Détruira-t-on de veilles granges du XVIème siècle au Tremblay ? Je propose par l'amendement 2 qu'on en revienne au texte adopté précédemment par l'Assemblée.

M. le Rapporteur - La commission a repoussé. Non qu'à titre personnel je ne sois pas en accord avec vous, mais il faut se concentrer sur l'essentiel, et mettre en place au plus vite le coeur du dispositif. Je souhaite donc un vote conforme.

M. le Ministre - Le Sénat a voulu empêcher un accroissement désordonné de la population là où il y a des nuisances sonores, ce qui se comprend. Quant à moi, je souhaite avant tout qu'il n'y ait pas de retard pour l'entrée en vigueur du projet. Mais je me suis engagé à préciser, voire modifier les textes si, à l'usage, ils se révèlent inapplicables ou pernicieux.

M. Francis Delattre - Faites une réunion de cellule !

L'amendement 2, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. François Asensi - Le numerus clausus qu'on va instaurer empêchera la réalisation au Tremblay de plusieurs très beaux projets de grands architectes européens et américains, s'il est appliqué à la lettre. Cela serait vraiment très regrettable. L'amendement 1 supprime "n'excédant pas un an".

M. le Rapporteur - Je vous comprends, mais pour les raisons que j'ai dites, avis défavorable.

M. le Ministre - Même position.

L'amendement 1, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 4 bis, mis aux voix, est adopté.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

Prochaine séance, ce matin à 10 heures 30.

La séance est levée à 2 heures 25.

          Le Directeur du service
          des comptes rendus analytiques,

          Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale


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