Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1999-2000) |
Session ordinaire de 1999-2000 - 2ème jour de séance, 3ème séance 2ÈME SÉANCE DU MARDI 5 OCTOBRE 1999 PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS Sommaire SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE 2 QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 TRANSPORT ROUTIER 2 MICHELIN 2 PROBLÈMES AGRICOLES 3 RENTRÉE SCOLAIRE 4 RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS LES CLINIQUES PRIVÉES 4 FRUITS ET LÉGUMES 5 FISCALITÉ DES ASSOCIATIONS 6 RENTRÉE SCOLAIRE 7 GYNÉCOLOGUES MÉDICAUX 7 SÉCURITÉ 8 MICHELIN 9 MANIFESTATIONS LYCÉENNES 10 JUSTICE A LA RÉUNION 10 RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL 12 EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 24 La séance est ouverte à quinze heures. SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE M. le Président - Je suis heureux de souhaiter la bienvenue, en votre nom à tous , à une délégation parlementaire conduite par M. Guennadi Seleznev, Président de la Douma d'Etat de la Fédération de Russie (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent). L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. M. Jacques Fleury - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement. Demain le Conseil des ministres européens des transports examine l'harmonisation de la réglementation du transport routier, et notamment deux projets de directive. La première rétablit la circulation des poids lourds le week-end. C'est un recul inacceptable à tous points de vue. L'autre retient une durée harmonisée de temps de travail, également inacceptable. Nous ne pouvons qu'être solidaires des syndicats européens qui se mobilisent contre ces directives et pour une harmonisation à la baisse de la durée du travail (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Il n'est pas acceptable de laisser des salariés travailler jusqu'à 78 heures par semaine. Il n'est pas acceptable pour la sécurité routière de lancer sur les routes des chauffeurs épuisés. Il n'est pas acceptable pour l'environnement d'encourager, au niveau européen, le développement sans limite du trafic routier. L'Europe doit choisir quelle société elle sera demain. La France doit être en tête pour refuser le «tout-camion», la pollution, et proposer une Europe du progrès social. Quelles positions allez-vous défendre demain au nom du Gouvernement français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - Cette position est simple. Les interdictions de circulation actuelles qui sont un acquis pour le transport routier, ne doivent pas être remises en cause. L'interdiction doit être maintenue pour le week-end. S'il doit y avoir harmonisation, c'est par le haut et non par le bas (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). C'est une question de progrès social, de sécurité routière, c'est un choix de société, d'une société qui devrait favoriser le rail plutôt que le transport routier. Je veux favoriser l'harmonisation européenne pour lutter plus efficacement contre le dumping économique et social. En novembre 1997, le gouvernement français a déposé un mémorandum dans ce sens. Pour qu'il y ait véritablement progrès social pour les salariés et les artisans du transport routier, il faut que la durée de travail prenne en compte, outre le temps de conduite, celui du chargement et du déchargement et les coupures. Malgré l'opposition de certains pays, nous pouvons convaincre. Les prises de position du Parlement français nous aident à défendre l'harmonisation par le haut et une Europe du progrès social (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV). Mme Odile Saugues - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi. Le 8 septembre, la Manufacture Michelin annonçait la suppression de 7 500 emplois sur trois ans en Europe et en même temps des résultats financiers en progrès pour le premier semestre de 1999. L'indignation fut vive, les salariés se mobilisèrent de façon exceptionnelle, à Clermont-Ferrand et à Soissons. Symbole d'une évolution du capitalisme, Michelin est passé du paternalisme absolu, de l'ordre moral, à une gestion où les hommes sont des variables d'ajustement. Chacun a en conscience, la démocratie sociale doit progresser dans l'entreprise. Selon le Premier ministre, la modernisation institutionnelle reste inachevée si la démocratie s'arrête aux portes des entreprises. Dix-sept ans après les lois Auroux, comment allez-vous montrer l'attachement du Gouvernement à l'extension de la démocratie sociale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - L'affaire Michelin est en effet révélatrice de ce que doivent être, ou ne pas être, les relations entre les entreprises et leurs salariés. A ceux-ci on demande de s'engager personnellement pour aider l'entreprise à gagner des marchés. En contrepartie, l'entreprise a des devoirs surtout en des moments difficiles. Ce qui nous a choqués avant tout, c'est la brutalité de cette annonce. Comment comprendre qu'une entreprise de cette taille, de cette force -force dont nous sommes fiers- annonce 7 500 licenciements, plongeant des milliers de familles dans l'angoisse sans en avoir informé au préalable les représentants du personnel ? Comment justifier une annonce qui, dans de telles circonstances, risque d'accréditer l'idée que ce qui est favorable pour la Bourse est toujours défavorable pour les salariés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Laisser croire que l'économique et le social s'opposent, c'est nous ramener loin en arrière. La démocratie sociale ne doit pas rester aux portes de l'entreprise. Il faut prévoir les restructurations, améliorer la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, mieux former les salariés comme y aidera le projet que présentera Mme Péry. Lorsque les licenciements sont inévitables, il faut, comme vous vous y êtes employée, ouvrir la négociation sur la durée du travail pour en atténuer les effets et tout faire pour aider aux reclassements et ne laisser personne au bord de la route. Une grande entreprise de cette notoriété a des devoirs et doit les respecter. C'est pour cela que nous nous battons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Mme Monique Denise - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture. La sécurité alimentaire préoccupe tous les Français et l'Assemblée nationale va désigner une commission d'enquête à ce sujet. La filière viande, en particulier, est au centre des turbulences. Pour quelles raisons le Gouvernement s'est-il montré aussi prudent en ce qui concerne l'importation de viandes bovines britanniques ? Quelles mesures envisagez-vous, d'autre part, pour soutenir les éleveurs qui subissent le contrecoup de la crise de la dioxine, comme les éleveurs de volaille de ma région ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - En ce qui concerne la dioxine, après le refus de l'Union européenne de venir en aide aux agriculteurs, nous avons mis à l'étude un plan de soutien national aux agriculteurs en difficulté. Il sera rendu public le 21 octobre au plus tard. S'agissant de l'embargo, nous avons voulu que soit créée l'agence française de sécurité sanitaire des aliments. Le projet d'arrêté interministériel lui a été soumis comme la loi y oblige. L'agence a rendu un avis négatif -que nous avons suivi. Qu'aurait-on dit si nous ne l'avions pas fait et si nous avions levé l'embargo... Ce faisant, nous avons obéi au principe de précaution, et non adopté un comportement protectionniste comme le prétendent les médias britanniques. Mais, nous le savons, en prenant cette position nous sommes en contradiction avec une décision communautaire. Nous devons sortir de cette situation, tout d'abord en faisant valoir auprès de l'Europe que cet avis des scientifiques français est un fait nouveau, qui doit être pris en compte par les autorités communautaires ; mais aussi en recherchant toutes les voies juridiques pour que puisse être reconnu à la France le droit d'être plus précautionneuse que l'Union. Cette position de précaution et de fermeté du gouvernement français n'est aucunement un geste hostile envers nos amis britanniques. Nous devons résoudre ce problème ensemble. Gardons-nous donc, les uns et les autres, de toute déclaration à l'emporte-pièce susceptible de jeter de l'huile sur le feu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste et du groupe RCV). M. Yvon Montané - Ma question s'adresse à Mme la ministre déléguée à l'enseignement scolaire. Cette rentrée est marquée par un mouvement lycéen. Sans contester sa sincérité et sa légitimité, j'observe qu'il porte sur des revendications touchant à la vie quotidienne et matérielle, plutôt que d'ordre général. L'inégalité géographique de la mobilisation souligne d'ailleurs l'aspect particulier, voire singulier, de certaines demandes, et ne saurait mettre en cause tout un système, ni tout le travail d'ores et déjà accompli par le Gouvernement. La déconcentration du mouvement semble, d'après les informations qui remontent des rectorats, s'opérer de façon satisfaisante, ce qui souligne la pertinence de ce système. La réforme des lycées, la lutte contre l'échec scolaire, les emplois-jeunes dans l'éducation, témoignent que le Gouvernement a su entendre les mécontentements. Cependant, une fois de plus, il ne faut pas sous-estimer le message que nous adressent ces milliers de lycéens ("Ah !" sur les bancs du groupe DL). Ils soulignent des carences et des dysfonctionnements de la rentrée. Ainsi deux mille postes ne sont pas pourvus, notamment dans les lycées professionnels. De nombreux proviseurs et principaux ne comprennent pas pourquoi des enseignants, pourtant nommés, ne sont pas présents. Les parents d'élève demandent la mise en place rapide des conseils de la vie lycéenne. Pouvez-vous faire le point sur la réforme engagée l'an dernier, et nous dire quelles mesures a prises ou prendra le Gouvernement pour résoudre les problèmes que j'ai évoqués ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire - Il y a en effet des problèmes de rentrée dans les lycées, mais vous avez omis de rappeler que, dans le premier degré, la rentrée s'est excellemment déroulée. Dans les lycées, alors que tous les emplois du temps étaient complets dès juillet grâce à la déconcentration, des problèmes ont surgi pour deux raisons. Tout d'abord, on constate que de très nombreux jeunes demandent à entrer dans les lycées professionnels, que nous revalorisons ; certains de ces lycées ont préféré les accueillir que leur fermer la porte, ce qui a posé des problèmes d'ajustement. Par ailleurs, on a enregistré un nombre un peu étonnant de congés maladie qui se sont révélés quelques jours après la rentrée (Exclamations sur les bancs du groupe DL). Ces problèmes vont être réglés académie par académie, les recteurs ayant reçu toutes les autorisations de recrutement. Des difficultés subsistent dans certaines spécialités très pointues des lycées professionnels, comme l'ébénisterie, l'imagerie médicale ou la formation de géomètres. Mais elles seront réglées dans les semaines qui viennent, et les élèves ne subiront aucun préjudice, car partout où il y a des problèmes de remplacement, les cours seront rattrapés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS LES CLINIQUES PRIVÉES M. Jean-Claude Lemoine - Ma question, à laquelle s'associe mon collègue René André, s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité. Elle concerne les cliniques privées, où l'application des trente-cinq heures semble impossible. C'est ce qu'a montré le responsable d'une clinique de ma circonscription dans une série de courriers, dont le premier remonte à 1998, et que j'ai fait transmettre à Mme la ministre, sans obtenir à ce jour de réponse (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Cette impossibilité tient à plusieurs facteurs. Tout d'abord le décret de 1956 impose aux établissements un effectif de personnels soignants, fonction du nombre de lits autorisés. Ensuite ces établissements manquent de personnels, notamment infirmiers : l'effectif actuel de ces derniers permet à peine de répondre aux demandes dans le cadre des trente-neuf heures. La formation des infirmiers dure trois ans, et le nombre de postes offerts aux concours est très insuffisant. A quoi s'ajoutent d'autres difficultés, comme la baisse récente des tarifs. Compte tenu de ces obstacles, comment ce secteur, de plus en plus taxé et qui emploie 120 000 salariés, pourra-t-il appliquer les trente-cinq heures au 1er janvier 2000 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Les problèmes des cliniques privées sont assez proches de ceux de l'ensemble du secteur médico-social. Or celui-ci a conclu un certain nombre d'accords de branche, que nous avons tous étendus. Les cliniques privées peuvent donc entrer dans la même logique, et les aides leurs sont ouvertes comme à toutes les entreprises. Vous avez raison de rappeler la pénurie de personnels infirmiers, mais nous nous en sommes préoccupés dès notre arrivée en augmentant le nombre des postes. Grâce à la réforme des études, le nombre des candidats s'accroît sans cesse, ce qui n'était pas le cas précédemment. Il est vrai qu'il faut trois ans pour les former, mais les aides sont là, et les écoles d'infirmières sont aujourd'hui capables de répondre à la demande. Il faut donc profiter de la réduction du temps de travail pour poser les questions du meilleur accueil des malades, ainsi que du décloisonnement, et cela pour l'ensemble du secteur hospitalier, public ou privé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Léon Vachet - Les producteurs de fruits et légumes connaissent aujourd'hui une crise sans précédent, après plusieurs années difficiles. Elle appelle des mesures à long et à court terme, qu'il s'agisse de réformer l'organisation commune de marché ou de mettre en place des organisations de producteurs. En réponse à une de mes précédentes questions, Monsieur le ministre de l'agriculture, vous disiez étudier une réforme qui assouplirait les conditions d'adhésion à ces organisations. Où en est cette réforme ? Prendra-t-elle en compte les propositions de la profession, qui souligne la nécessité de cet assouplissement ? N'oublions pas, d'autre part, la réforme de l'OCM et le problème des fonds opérationnels. Dans les réponses à court terme, M. le Premier ministre a récemment annoncé le déblocage de 450 millions en faveur des producteurs de fruits et légumes : nous attendons autre chose que des mesures-gadgets comme le double étiquetage -qui peut avoir un intérêt d'information, mais ne répond pas aux problèmes des producteurs- ou le contrat territorial d'exploitation, ce début d'une agriculture administrée qui a échoué partout. Nous souhaitons donc savoir, tout d'abord, si les crédits annoncés seront réservés aux adhérents des organisations économiques, ou répartis sur l'ensemble des producteurs, comme il serait légitime. Et nous souhaitons des informations précises sur la réforme de l'organisation commune de marché et celle des organisations de producteurs (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et quelques bancs du groupe DL) . M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Le double étiquetage a été demandé par l'ensemble des professionnels, et voté à l'unanimité par cette assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) : peut-on parler de « gadget » ? Le plan dont le Premier ministre a confirmé la mise en place comporte des mesures à caractère social, dont bénéficieront tous les producteurs, et d'autres à caractère économique : celles-ci seront liées à l'engagement d'adhérer à une organisation de producteurs. C'est une position que nous avons définie en concertation avec les deux fédérations de producteurs de fruits et légumes, car nous faisons tous la même analyse : ce secteur souffre profondément du manque d'organisation. Quant au détail de ce plan, que vous ignorez, les producteurs le connaissent, puisque nous l'avons élaboré avec eux. Il sera mis en _uvre de façon déconcentrée au niveau des DDA, après audit de toutes les exploitations touchées. La réforme de l'OCM a d'autre part été demandée au début de l'été par un mémorandum de la France, de l'Italie et de l'Espagne. Le Portugal, qui exercera la présidence de l'Union au premier semestre 2000, s'est engagé à faire aboutir ce dossier, et a demandé à la présidence finlandaise de préparer la discussion. Nous avons bon espoir que cette réforme aille dans le sens, souhaité par la France, l'Italie et l'Espagne, mais aussi par le Portugal et la Grèce, d'une plus forte incitation à l'organisation des producteurs (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Mme Marie-Jo Zimmermann - Monsieur le Premier ministre, vous mesurez, j'en suis sûr, le poids et le rôle du monde associatif et de ses bénévoles dans la dynamisation de nos zones urbaines et rurales. Il y a plusieurs mois, vous avez pourtant décidé de soumettre toute action commerciale d'une association à but non lucratif à l'impôt sur les sociétés et à la TVA. Or de très nombreuses associations sportives, culturelles, de loisirs ne peuvent financer leurs actions par les seules cotisations de leurs adhérents. Pire, l'édiction d'un tel principe conduirait inévitablement à l'exclusion de nombreux enfants et adultes du champ d'activité de ces associations. Pour continuer à mener leur action, elles doivent sans conteste recourir à certaines activités commerciales -organiser une loterie, une buvette, des spectacles. Soumettre ces actions au régime des impôts commerciaux, c'est remettre en cause la capacité de financement de ces associations. Face à l'inquiétude du monde associatif, vous nous avez tout d'abord répondu qu'il ne s'agissait que de mettre fin à une tolérance de l'administration fiscale. Il est vrai que vous ne nous aviez guère habitué à de telles tolérances... Vous avez ensuite donné par circulaire un délai d'adaptation aux associations. Mais aujourd'hui, à quelques mois de la mise en _uvre de votre réforme, elles sont de plus en plus inquiètes. Allez-vous enfin entendre leur appel et permettre aux associations à but non lucratif de se donner les moyens d'exister ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget - Vous avez posé la question de la fiscalité des associations à caractère sportif... Plusieurs députés RPR - De toutes les associations ! M. le Secrétaire d'Etat - En juin 1997, lorsque nous sommes arrivés, régnait un climat d'insécurité fiscale (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; quelques huées. Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), toute activité commerciale entraînant la taxation à ce titre de l'ensemble des activités de l'association. Afin d'y remédier, nous avons, par une instruction du 15 septembre 1998, à l'issue d'une large concertation, retenu le principe de la non-imposition des associations, sur la base de la loi de 1901, et défini clairement dans quelles conditions certaines activités commerciales -et elles seules- pouvaient être taxées. En outre, en dessous de 250 000 F par an, ces activités accessoires ne sont pas taxées. Nous avons, ma collègue Marie-George Buffet et moi-même, rencontré à plusieurs reprises les représentants du mouvement sportif et manifesté notre volonté d'encourager les associations auxquelles nous voulons garantir une sécurité fiscale qui leur faisait défaut il y a deux ans (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). M. François Sauvadet - Ma question s'adresse à Mme Royal puisque M. Allègre n'est pas là pour assurer -au moins- la rentrée parlementaire... Nous ne nous satisfaisons pas des propos qu'elle a tenus tout à l'heure, qui se voulaient rassurants et qui liaient les problèmes de cette rentrée scolaire à quelques absences. La réalité est tout autre. M. Allègre avait promis, il y a deux ans, une rentrée «zéro défaut» et annoncé qu'un nouveau système réglerait tous les problèmes de nomination. A la suite de manifestations lycéennes, les conditions d'études devaient également être améliorées. Or, après deux années, rien de tel ne s'est produit. Les lycéens sont, comme l'an dernier, dans la rue. Ils ont compris que vos discours ne sont pas suivis d'effets, que, derrière vos statistiques, il y a toujours des dizaines de milliers d'élèves sans professeur. Ils sont tentés de vous attribuer un zéro pointé. Quelles mesures allez-vous prendre d'urgence pour que les jeunes aient des enseignants dans leurs classes et pour qu'ils travaillent dans des conditions acceptables ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire - Je vous prie d'excuser M. Allègre, retenu en Espagne par le Président de la République... (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; mouvements divers) Les chefs d'établissements, les proviseurs, les équipes de direction sont sur le pont tous les jours pour régler au plus vite les problèmes d'absences. Eu égard à leur dévouement et à leur travail, je demande aux lycéens, aux parents et à certains élus de faire preuve d'un peu de tolérance (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL), même s'ils souhaiteraient que les choses aillent plus vite encore. Cela vaut tout particulièrement pour ceux qui ont en leur temps supprimé 5 000 emplois dans l'éducation nationale ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) M. Jean-Antoine Leonetti - Vous venez, Madame la secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale d'entrer en fonctions et vous devez parer au plus vite à la disparition des gynécologues médicaux. En effet, seuls subsisteront bientôt les gynécologues obstétriciens qui exercent en fait une autre spécialité puisqu'ils font des accouchements et opèrent les malades. Les gynécologues médicaux, qui sont le plus souvent des femmes qui travaillent pour les femmes, sont des secteurs majeurs de la santé. Ils ont beaucoup fait pour améliorer la condition féminine, ils ont dépisté efficacement les cancers féminins, ils ont conseillé les femmes en matière de contraception et joué un rôle important dans leur éducation sanitaire. L'Europe n'est en rien responsable de cette harmonisation puisque légalement rien ne s'oppose à ce que cette spécialité soit exercée sur le territoire national. Les 300 000 femmes qui ont signé une pétition en faveur du maintien de cette spécialité s'adressent à vous en tant que ministre et en tant que femme pour vous demander des mesures concrètes à même d'apaiser leurs craintes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL). Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Une émotion légitime s'est répandue à l'annonce de la nouvelle selon laquelle la gynécologie médicale disparaîtrait. Mais il n'en est rien ! A plusieurs reprises, Bernard Kouchner a indiqué ici même qu'il n'était pas question de supprimer cette discipline. Nicole Péry a fait de même. A mon arrivée au ministère, je me suis emparée du dossier pour faire le point. J'ai constaté qu'aucun risque de disparition n'existait. La seule nouveauté c'est que les généralistes bénéficieront d'une formation à la gynécologie, tout simplement parce que de nombreuses femmes ne consultent qu'un médecin généraliste et pas un gynécologue. Il importe donc que les généralistes puissent suivre ces femmes, qu'elles aient à recourir à la contraception, à accoucher ou à traverser la ménopause, et qu'ils soient en état d'accompagner la gynécologie obstétrique. Trente nouveaux postes ont été ouverts au titre de la formation à la gynécologie médicale et obstétrique en 1999 et 30 autres le seront en 2000. Ce sont des spécialités vers lesquelles s'orientent surtout les femmes. Enfin, un groupe de travail a été constitué ("Ah !" sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) afin d'améliorer la formation et j'ai bon espoir que nous parvenions bientôt à un accord avec les syndicats de généralistes médicaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Pierre Cardo - Monsieur le ministre de l'intérieur, ces derniers mois vous avez multiplié les déclarations sur le nécessaire renforcement de la prévention et de la répression, promu les contrats locaux de sécurité et annoncé une augmentation des forces de police, particulièrement dans les lieux les plus difficiles. A ce jour, nombreux sont les élus locaux à n'avoir pas signé ces contrats bien qu'ils en partagent les objectifs. Nombre d'inspecteurs ou d'agents expérimentés partent en retraite sans que leur remplacement soit prévu. Des commissariats déjà pauvres n'ont vu pour l'essentiel arriver que des adjoints de sécurité peu formés et inadaptés à des missions parfois périlleuses. De nombreux quartiers sont tombés sous la coupe d'un système semi mafieux fondé sur la violence, qui ôte à des habitants dont la vie quotidienne est déjà difficile, les droits qui leur sont dus dans un Etat républicain. L'apparition des CRS pendant quelques heures pour rétablir l'ordre n'est guère convaincante. Quant aux BAC et autres brigades d'intervention, trop déconnectées de la police de proximité, elles ne peuvent donner toute leur efficacité. Quand aurons-nous réellement les renforts annoncés en vrais policiers et en matériel moderne ? Quand définirez-vous le rôle d'une vraie police de proximité et admettrez-vous que dans nombre de secteurs c'est elle qui subit douloureusement la loi du milieu et non le contraire ? Quand interviendrez-vous auprès du Garde des Sceaux pour que les parquets coopèrent vraiment aux contrats locaux de sécurité ? Accepterez-vous encore longtemps que des procureurs n'aient toujours pas défini la politique pénale vis-à-vis des mineurs, et que certains refusent d'adapter leurs procédures aux populations, peut-être parce qu'ils n'ont pas bénéficié de la pédagogie du « pavé dans la figure » ? Le discours qui m'a été tenu selon lequel « la justice est faite pour des gens normaux dans des lieux normaux » n'est pas acceptable. C'est la négation de l'Etat de droit, la reconnaissance de zones de non-droit. Je pensais qu'un républicain comme vous, Monsieur le ministre de l'intérieur, n'aurait jamais accepté cela ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Compte tenu des recrutements importants qui ont été opérés après 1968, 25 000 départs à la retraite sont prévus durant les cinq prochaines années dans la police nationale. Des mesures ont été prises pour faire face à cette situation : 230 postes en surnombre ont été autorisés en 1998 et 164 en 1999 ; 6 300 élèves sont actuellement en formation dans les écoles de la police nationale. Le département des Yvelines fait partie des vingt-six départements prioritaires bénéficiant des 1 200 redéploiements qui seront effectifs dès cette année. Il dispose de 329 adjoints de sécurité, dont je tiens à souligner l'utilité dans les circonscriptions où ils sont affectés. Quant à la violence, elle est globalement contenue (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Les chiffres en font foi. Je n'ai jamais caché mes préoccupations quant à la délinquance des mineurs et à la violence urbaine. Il faut toutefois distinguer les incendies de voitures, qui augmentent de 25 %, de la violence en milieu scolaire qui est en baisse de 23 %. Dès 2000, le département des Yvelines bénéficiera de la fidélisation d'un escadron de gendarmes mobiles. Au total, ce sont 1 650 policiers et gendarmes qui seront ainsi affectés dans les départements prioritaires. Mais cet effort s'inscrit dans la durée. S'agissant des contrats locaux de sécurité, plus de trois cents ont été signés et quatre cents sont en cours d'élaboration. D'autre part, des assises nationales qui auront lieu en mars prochain précéderont la généralisation des expériences en cours en ce qui concerne la police de proximité. J'observe que, dans les Yvelines, on constate une baisse de 0,3 % des faits de violence constatés, en particulier des faits de voie publique, pour les huit premiers mois de l'année (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Jean-Claude Sandrier - L'annonce simultanée par la direction de Michelin d'un plan de 7 500 suppressions d'emploi et d'une augmentation record de ses bénéfices, a choqué nos concitoyens et les salariés de l'entreprise. A cela s'ajoute l'information venue des Etats-Unis selon laquelle cette entreprise aurait embauché 1 700 personnes en Caroline du Sud. Son attitude, alors qu'elle a touché 5 milliards de fonds publics, symbolise le comportement des grands groupes industriels et financiers. Sous prétexte de mondialisation, de concurrence et de rentabilité, on oublie les hommes et les femmes qui produisent les richesses, on oublie des régions et des villes comme Clermont-Ferrand, Bourges ou Soisson. Face à cette attitude cynique, il faut répéter que la mondialisation n'est ni une fatalité, ni un accident de l'histoire mais un défi à relever. Il y a là une responsabilité politique. Le Premier ministre a donné quelques signes positifs mais il se heurte à la pression des marchés financiers. Le groupe communiste a fait des propositions pour faire des licenciements économiques l'ultime recours. Il faudrait notamment examiner les charges de l'entreprise autres que salariales, associer les institutions bancaires et financières à la recherche de solutions, mieux contrôler l'utilisation des fonds publics, mettre un terme aux emplois précaires, prendre des initiatives internationales pour pénaliser le dumping social, supprimer les paradis fiscaux, taxer la spéculation financière. Notre groupe, Madame la ministre -en particulier M. Goldberg, M. Lajoinie et moi-même- souhaite connaître les mesures que le Gouvernement envisage de prendre. Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - J'ai dit tout à l'heure l'émoi qu'a soulevé l'annonce de 7 500 licenciements par Michelin. La réglementation française relative à l'information et à la consultation du personnel doit être respectée. A défaut, des sanctions doivent être prises. Personne ne peut se soustraire à la loi. L'essentiel est bien d'anticiper les licenciements pour les éviter. La gestion prévisionnelle des emplois, la réduction du temps de travail et la loi en préparation sur la formation professionnelle doivent y contribuer. Les entreprises ne doivent pas s'étonner que l'Etat tire les conséquences des décisions qu'elles prennent. Depuis dix ans, Michelin a reçu 4 à 5 milliards de l'Etat pour supprimer des emplois en finançant des préretraites. J'ai souhaité limiter le recours à ce système pour les entreprises qui font des bénéfices, estimant qu'elles doivent alors supporter le coût de leur restructuration. J'observe l'absence de plan social chez Renault et Peugeot depuis deux ans alors qu'auparavant l'Etat leur versait régulièrement plus d'un milliard par an. Les fonds publics doivent être réservés aux entreprises et aux régions qui en ont vraiment besoin. La loi dont nous allons commencer l'examen comportera une possibilité de négocier sur la durée du travail avant toute acceptation d'un plan social. D'autre part, si le recours au travail temporaire et aux contrats à durée déterminée est légitime dans certains cas, on ne peut admettre que certaines entreprises y recourent en permanence, rejetant le coût social et financier de cette pratique sur la collectivité. Aussi un projet de loi sera-t-il soumis au Parlement d'ici à la fin de l'année pour réglementer le travail précaire. Les entreprises doivent comprendre que la contrepartie de la liberté est la responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Patrick Malavieille - Depuis la rentrée scolaire, un certain nombre de lycéens, soutenus par des enseignants et des parents d'élèves, manifestent leur inquiétude. Il y a quelques mois, pourtant, ils se félicitaient des décisions qui avaient été prises en matière de recrutement de personnel enseignant, d'amélioration des emplois du temps, de démocratisation des établissements et de construction d'installations sportives. Mais le fossé est profond entre ces engagements et la réalité que vivent les lycéens. Ils sont très attentifs au respect de la parole donnée, loin de la démagogie de nos collègues de droite sur ces questions. Quelles mesures immédiates comptez-vous prendre, Madame la ministre, pour que les décisions prises en 1998 soient perceptibles par les lycéens et qu'ils puissent travailler dans les meilleures conditions (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire - Toutes les promesses faites par Claude Allègre ont été tenues (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) et les lycéens ne le contestent pas. Ainsi en est-il de la limitation des effectifs à 35 élèves par classe en terminale -sauf dans certaines disciplines très pointues en lycée professionnel- et des créations d'emplois -3000 emplois de surveillants, 10 000 emplois d'assistants étrangers, 800 postes d'infirmières et d'assistantes sociales en deux ans. En outre, le projet de loi de finances pour 2000 prévoit la création de 1 000 emplois administratifs et de service. D'autre part, les textes sur la démocratie lycéenne existent. Les 4 milliards de francs de prêt à taux zéro ont été délégués aux régions mais certains conseillers régionaux sont plus dynamiques que d'autres ! Les heures de soutien individualisé ont été mises en place. La formation des enseignants se fait désormais en dehors des heures de classe. Bref, le Gouvernement a tenu ses engagements. Le service public de l'éducation revient au premier rang des priorités gouvernementales comme le montrera le prochain budget que, je l'espère, vous voterez avec votre groupe (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste). Mme Huguette Bello - J'ai appelé votre attention à plusieurs reprises, Madame la Garde des Sceaux, sur les conditions dans lesquelles la justice est administrée à La Réunion. Deux faits nouveaux viennent à l'appui de la demande de création d'une commission d'enquête qui avait été formulée il y a un an et demi. Tout d'abord, au mois de septembre, une délégation de la commission des lois a visité la prison de Saint-Denis de La Réunion. L'indignation unanime de ses membres a rejoint celle de la population. On a parlé de « prison humainement inacceptable », de « honte pour la République », de « conditions de sécurité d'une inconséquence grave ». Ensuite, toujours au mois de septembre, une affaire de 1994 a rebondi. Des révélations sont venues éclairer les circonstances dans lesquelles, lors d'une manifestation, un travailleur a été grièvement blessé et a perdu un _il : un gendarme a fait usage, en effet, d'une arme prohibée. Quatre années de silence et de mensonge ont empêché la vérité d'éclater, des gendarmes ont déclaré sous serment avoir fait l'objet de pressions, un colonel de gendarmerie a même reconnu devant le juge d'instruction avoir appris très vite la vérité et l'avoir portée à la connaissance des plus hautes autorités administratives et judiciaires de l'île. Ces événements graves, qui s'ajoutent à une longue liste de dysfonctionnements et d'injustices, ne font que rendre plus urgente la nécessité de constituer une commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de la justice à la Réunion. Nous vous demandons solennellement de veiller à ce que la procédure, après cinq ans de man_uvres, aille jusqu'au bout et que la vérité éclate, quelles que soient les personnalités en cause (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste). Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - La maison d'arrêt de Saint-Denis est l'une des plus surpeuplées de France : elle renferme en effet 1 128 détenus pour 610 places. Nous avons agi, depuis 1997, pour remédier à cet état de choses : 13 millions ont été consacrés à la rénovation du centre de détention du Port, afin de désencombrer l'établissement de Saint-Denis où, par ailleurs, seront réalisés un nouveau quartier des mineurs et des aménagements de sécurité. Reste qu'il faudra construire une nouvelle maison d'arrêt à Saint-Denis, et c'est pourquoi j'ai demandé au préfet d'activer les recherches de réserves foncières, pour que celles-ci soient constituées dès l'an prochain. Dans l'immédiat, j'envisage la construction de deux nouveaux bâtiments, d'une capacité totale de 295 places, dans les établissements du Port et de Saint-Pierre, ainsi que de rénover les parties les plus vétustes de celui de Saint-Denis. Quant à la très grave affaire que vous avez évoquée, je souligne qu'elle a été instruite très activement depuis 1994 : une information a été confiée à un juge d'instruction indépendant quatre jours seulement après les faits, ce qui est un délai extrêmement bref, même pour un flagrant délit. Et lorsque des informations anonymes ont fait état, au bout de dix-huit mois, de la possible implication d'un adjudant-chef de gendarmerie, le magistrat instructeur a procédé immédiatement à de nouvelles investigations et auditions, notamment celle du lieutenant-colonel Guillaume, tandis que l'Inspection générale de la gendarmerie nationale menait sa propre enquête. Il s'en est suivi la mise en examen, en avril 1998, de l'adjudant-chef soupçonné et celle, en juin dernier, d'un capitaine de gendarmerie. Le juge d'instruction qui a repris le dossier poursuivra ses investigations en toute indépendance et se prononcera de même sur les requêtes des parties civiles tendant à l'audition des personnalités en poste au moment des faits. La justice a procédé avec diligence et continuera de le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement. La séance, suspendue à 16 heures 5, est reprise à 16 heures 25. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail. Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Faire que le temps de la vie soit un peu plus le temps de la liberté est la première ambition de ce projet de loi. Depuis toujours, les hommes sont engagés dans une course contre le temps, que la conscience populaire assimile à de l'argent. Nous le savons bien, nous qui courons sans cesse après le temps, du temps pour nous mais aussi du temps pour les autres, du temps mieux maîtrisé, un temps valorisé qui nous rende plus autonomes. Les enjeux principaux de ce projet de loi sont dans la recherche d'un équilibre entre le temps de travail, le temps pour soi et le temps pour les autres, qui amène une amélioration de la qualité de la vie au travail comme de la vie personnelle. Il s'agit en premier lieu de trouver une meilleure articulation entre le temps au travail et le temps hors du travail. La réduction du temps de travail est au c_ur des luttes sociales de notre pays et elle a concouru aussi bien à l'amélioration des conditions de vie qu'à la défense de l'emploi. Elle a marqué l'histoire sociale avec la première loi de 1841 sur le travail des enfants, celles de 1906 et de 1919 sur le repos hebdomadaire, la journée de travail de huit heures et la durée hebdomadaire du travail de 48 heures. Vint ensuite une date importante de notre histoire nationale -1936... M. Louis Mexandeau - Bravo ! Mme la Ministre - ...avec la loi sur la semaine de quarante heures, et la conquête d'un temps libéré grâce aux congés payés. Ces conquêtes marquent les plus belles heures des luttes sociales de notre pays, pour une société qui concilie les temps sociaux et ceux de la vie personnelle. Mais cette évolution reste inachevée et la conquête du temps libéré reste un enjeu majeur du XXIème siècle. La place du travail dans nos sociétés reste intacte. Le travail ne permet pas seulement de gagner sa vie. Il signifie aussi pour chacun une reconnaissance de son utilité sociale, en particulier pour les plus démunis auxquels il permet de sortir de l'assistance. Le temps de travail doit permettre de valoriser ses compétences, son expérience, de donner libre cours à son imagination. Il doit obéir à une organisation moins «stressante», plus qualifiante, plus valorisante, qui sorte des schémas de type post-taylorien et assure une meilleure articulation entre le temps des hommes et le rythme des machines. Les accords qui sont déjà intervenus ont permis de mesurer les progrès qui pouvaient être accomplis en ce sens. Le temps libéré, c'est plus de temps pour les autres, pour sa famille et pour soi mais c'est aussi une invitation à repenser les temps collectifs. Permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, la réduction du temps de travail donne un levier pour négocier des mesures susceptibles d'intéresser aussi bien les femmes que les hommes, qui aspirent eux aussi à une vie familiale harmonieuse. Le temps retrouvé est une source d'amélioration de la vie quotidienne ; c'est du temps pour le sport, le bricolage, le jardinage, la culture ou simplement la flânerie ou la réflexion. C'est du temps pour vivre, et nous en avons tous besoin, moi la première... (Sourires sur plusieurs bancs des différents groupes) ...Je rêve avec vous de jours de congé supplémentaires, de plus de temps à consacrer à des espaces de liberté ! En donnant plus de «temps collectif», la réduction du temps de travail constitue un formidable appel à l'engagement, au bénéfice des plus démunis, des personnes âgées, des enfants, des jeunes ou au sein des associations culturelles. C'est aussi du temps pour s'investir dans une association, un syndicat et, pourquoi pas, un parti politique... C'est cela aussi la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). C'est enfin un puissant levier pour créer du lien social, de la fraternité, de la convivialité dans une société qui en manque cruellement, nous sommes nombreux à en souffrir. De la chaleur, de la douceur, voilà ce qui nous manque... (Rires sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF) M. Thierry Mariani - Et la tendresse ! Mme la Ministre - Le chantier que nous avons ouvert n'est pas épuisé. Il faut réfléchir sur l'organisation de l'ensemble des temps sociaux, et cette deuxième loi le permettra. Mais la priorité, c'est l'emploi. Le Premier ministre l'a rappelé le 27 septembre : combattre le chômage est l'objectif qui ordonne le reste de notre action. Depuis deux ans, nous utilisons toutes les armes disponibles : la confiance, la croissance, l'aide à la création d'entreprises, les emplois-jeunes et bien sûr la réduction du temps de travail. Un large accord existe dans notre pays et la politique volontariste du Gouvernement commence à porter ses fruits (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). M. Bernard Accoyer - Escroquerie ! Propagande ! M. le Président - Conservez votre énergie pour la suite (Rires). Mme la Ministre - La réduction du temps de travail n'est pas facile à mettre en _uvre. Seule la négociation permet d'en créer les conditions. Mais en France elle est rarement spontanée. Cela justifie notre volontarisme... M. Thierry Mariani - Autoritarisme ! Mme la Ministre - ...et le recours à la loi. Mais la loi ne peut pas tout. Il faut que salariés et chefs d'entreprise s'impliquent. La loi du 13 juin le permettait déjà, et la négociation a été exceptionnelle. 84 % des chefs d'entreprise, 85 % des salariés concernés par des accords en sont satisfaits. 81 % des chefs d'entreprise estiment que la réduction du temps de travail a amélioré le fonctionnement et le climat social de l'entreprise, 65 % qu'elle a amélioré l'organisation du travail et 64 % l'image de leur entreprise. Pour 81 % des salariés l'accord correspond à ce qu'ils souhaitaient, 86 % déclarent avoir gagné du temps pour leur vie familiale et personnelle. M. Bernard Accoyer - C'est fallacieux. Mme la Ministre - Je comprends les inquiétudes de ceux qui n'ont pas encore franchi le pas. S'il était facile de créer des emplois, cela se saurait depuis longtemps et nous n'en serions sans doute pas là aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Le Gouvernement est ouvert aux propositions d'amélioration. Mais cela nécessite de dépasser les slogans et les anathèmes. Nous avons fixé un cap et nous nous y tiendrons. Pour l'instant, je préfère entendre le message des 50 000 chefs d'entreprise et salariés qui ont négocié 16 000 accords de réduction du temps de travail. Plus d'une entreprise sur deux a négocié, 2,2 millions de salariés sont couverts par un accord d'entreprise et 8 millions par un accord de branche. M. Bernard Accoyer - Vous vous en moquez ! Mme la Ministre - 27 % du personnel des entreprises de plus de 20 salariés sont aux 35 heures ou vont y passer. C'est considérable. Qui aurait parié sur un tel bilan il y a un an ? M. Bernard Accoyer - Acquis sous la contrainte ! Mme la Ministre - Ce bilan est bon, il est de qualité. La négociation a permis de mieux articuler le temps de travail et les autres temps de la vie, et souvent grâce aux femmes. Le temps libre peut être bien rempli. 69 % des salariés passés aux 39 heures consacrent une partie de ce temps libre à leur famille, 40 % au bricolage et au jardinage (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Mme la Ministre - Vous avez quelque chose contre le bricolage et le jardinage ? M. Bernard Roman - C'est bien la droite réactionnaire ! Mme la Ministre - Pour la première fois, la vie de famille, les enfants, le temps de transport n'étaient plus des sujets tabous dans une négociation. C'est ainsi que les aspirations changent. M. Jacques Myard - Jardinage, bricolage, bricolage, jardinage... M. le Président - Ne faites pas du débat la caricature qu'on en attend. Mme la Ministre - S'il n'aime pas jardiner ou bricoler, M. le député pourra toujours chanter, avec un tel talent. La réduction du temps de travail favorisera l'égalité entre hommes et femmes et une nouvelle répartition des tâches. 66 % des femmes consacrent ce temps libre à leur famille et leurs enfants, mais aussi... 71 % des hommes. Sans doute pour rattraper leur retard. M. Thierry Mariani - Et l'emploi ? Mme la Ministre - La négociation a apporté des garanties nouvelles pour les salariés et les entreprises. Celles-ci ont pu mettre en place une modulation, mais justifiée et mieux maîtrisée, avec des plafonds qui souvent n'excèdent pas 42 heures, des calendriers prévisionnels et des délais de prévenance. Il y a un an, on disait qu'il n'était pas possible de traiter du travail des cadres. 80 % des accords en traitent (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Enfin beaucoup d'accords donnent de nouvelles garanties au temps partiel et permettent de passer au temps choisi. Surtout la réduction du temps de travail crée des emplois, beaucoup d'emplois (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). On le disait -désormais on le sait. Les accords comportent l'engagement de créer ou de maintenir 125 000 emplois (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). Vous auriez peut-être été contents de réduire le chômage de 130 000 personnes comme nous l'avons fait l'an dernier. Mais vous ne l'avez pas fait. M. Jacques Myard - La France est le pays qui a créé le moins d'emplois en deux ans. Mme la Ministre - Tiens donc ! Serait-ce pour cela que les organisations internationales saluent la France comme le pays qui aura la croissance la plus élevée en 2000 et 2001 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jean Ueberschlag - Ce n'est pas grâce à vous ! Mme la Ministre - Encore moins grâce à vous. Ces emplois auraient été créés de toute façon, dit-on. Non. Les enquêtes montrent que 15 000 l'auraient été. L'effet net des 35 heures, c'est 110 000 emplois. Les faits donnent tort aux sceptiques, à ceux qui pensent que ça ne marchera jamais. C'est à partir de cette réalité, de ces négociations, que nous avons bâti le présent projet de loi. Au moment de le présenter, je veux remercier chaleureusement Jean Le Garrec pour le travail considérable qu'il a accompli avec la commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Je veux aussi saluer particulièrement Gaëtan Gorce (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV), pour sa participation personnelle à l'élaboration du projet, et pour l'énergie qu'il a investie notamment dans l'établissement de deux rapports qui ont accru notre connaissance de ce qui se passe sur le terrain. M. Jean-Pierre Baeumler - Oui, d'excellents rapports ! Mme la Ministre - Il a assuré le suivi des discussions dans les entreprises, et la qualité de ce texte lui devra beaucoup. Je remercie aussi Yves Rome et Gérard Terrier, et tous les parlementaires qui ont pris ou prendront part à cette élaboration. J'entends dire que nous ne respectons pas les accords. Au contraire ce projet s'en nourrit, des accords de branche en particulier. Nous les avons repris dès lors qu'ils respectaient l'esprit du projet, ce qui était le cas de presque tous. Seules des dispositions qui vidaient la loi de son contenu -par exemple en écartant les cadres de toute législation sociale, ou en recourant au travail du dimanche en dehors des cas prévus- ont été écartées quand nous avons étendu les accords, et aujourd'hui quand nous les reprenons dans la loi. Quant aux accords d'entreprise, ils sont validés comme nous nous y étions engagés. Partons des faits, et évitons les slogans. Nous avons voulu que cette loi s'appuie largement sur les résultats de la négociation. Mais nous avons fait un choix clair pour cette seconde loi : conserver les conditions vertueuses qui ont assuré le succès de la première étape. Quelles sont-elles ? Il faut d'abord laisser toute sa place à la négociation. La loi comporte un mode d'emploi qui permet l'implication maximale des salariés et des chefs d'entreprise. Les négociations ont montré qu'on pouvait leur faire confiance. C'est ainsi que nous sommes parvenus à des milliers d'accords sur mesure : c'est ainsi qu'il faut continuer. Il faut aussi, pour généraliser les trente-cinq heures, laisser du temps à la négociation. Le problème est complexe : il peut intégrer l'aspiration des salariés au temps libre, la meilleure utilisation des équipements, les demandes des clients... L'élaboration d'un accord demande en moyenne six à neuf mois : il faut laisser ce temps à la négociation. La période d'adaptation est fondamentale, pour aboutir à un consensus des salariés et éviter des décisions unilatérales. Pour réussir, d'autre part, ce mouvement doit toucher toutes les catégories de salariés, car tous souhaitent de meilleures conditions de travail et plus de temps libre. Mais la réduction du temps de travail va plus loin, en créant des solidarités nouvelles entre salariés et chômeurs ; elle permet aux salariés de vivre concrètement la solidarité dans leurs décisions. La meilleure garantie de l'adhésion des salariés, c'est de prendre en compte leurs souhaits, car cela touche à leur vie personnelle. Dans 90 % des cas, ils ont d'ailleurs été consultés directement ou indirectement, et il faut poursuivre dans cette voie. Quant à l'allégement des charges, il sera conditionné à un accord signé par un ou plusieurs syndicats majoritaires ou à l'adhésion d'une majorité des salariés. Ce qui ne remet pas en cause la représentativité des syndicats, qui ont toujours le pouvoir d'engager les salariés par leur signature. Je crois comprendre que la plupart des syndicats souhaitent aujourd'hui travailler sur ce problème de la représentativité : il leur appartient de le faire, et cela ne relève pas du présent projet, qui se soucie simplement de garantir une contrepartie réelle en emplois à l'allégement des charges. Une autre condition majeure est que la réduction du temps de travail puisse être financée pour permettre la création du plus grand nombre d'emplois. Dans ce domaine les constatations sont plus qu'encourageantes. Salariés et chefs d'entreprises se sont placés dans les conditions que les instituts d'études économiques jugeaient optimales, c'est-à-dire 3 à 3,5 % de gains de productivité, une modération salariale de 2 à 2,5 % répartie sur plusieurs années, et des aides de l'Etat -à quoi s'ajoute le fait que 100 % des salariés au SMIC gardent leur salaire, ainsi que les autres dans 85 % des cas. Il n'est donc pas étonnant que 125 000 emplois aient déjà été créés. La place laissée à la négociation ne doit pas faire oublier le rôle de la loi, qui fixe un cadre et une méthode, assure une protection par les durées légales et maximales, garantit aux salariés des contreparties aux souplesses demandées par les entreprises. Le projet n'en ouvre pas moins de nouveaux espaces à la négociation : l'accord pourra choisir par exemple de payer en temps ou en argent la taxation des heures supplémentaires, ou de mettre en place de nouvelles formes de travail à temps partiel. Mais il incombe à la loi de fixer des garanties pour les salariés, notamment pour la modulation. Nous avons défini des contreparties impératives relativement aux délais de prévenance et à la définition dans l'accord des périodes de modulation. Il faut se réjouir que 9 % des entreprises seulement maintiennent une durée de travail de plus de quarante-deux heures sur plus de dix semaines -ce qui nous change des formes antérieures de modulation... De même la loi entend favoriser le temps partiel choisi. Aujourd'hui il est plus souvent subi et considéré comme une forme de précarité. Mais en même temps beaucoup y aspirent en vain. Le projet encadre plus efficacement le temps partiel en renforçant les droits des salariés, en encadrant mieux les heures complémentaires, en permettant aux salariés de refuser une modification de la répartition des horaires, notamment pour des raisons familiales. La seconde loi doit enfin offrir des solutions originales et pragmatiques aux problèmes non traités avant la première loi, et notamment ceux des cadres. Sur ce point la négociation a ouvert la voie, et la plupart des accords opèrent la distinction que reprend la loi entre trois catégories de cadres. Les premiers, qui suivent un horaire collectif, seront soumis au droit commun. Ensuite viennent les cadres dirigeants, dont l'horaire ne peut être ni prédéterminé ni décompté, et qui ne seront pas soumis aux dispositions sur la durée du travail. Mais il y a aussi une troisième catégorie, dont le type d'activité ne permet pas toujours de décompter le temps de travail. Il faut trouver pour eux de nouvelles formes de réduction du temps de travail. La loi fixe un plafond de 217 jours travaillés par an, ce qui est une avancée sociale majeure. Quant à la formation, elle ne devra pas souffrir de la diminution de la durée de présence dans l'entreprise. Moins de temps de travail ne doit pas signifier moins d'opportunités de formation pour les salariés. Le projet permet de leur accorder de nouvelles possibilités de développement des compétences. Il ne s'agit toutefois que du premier volet d'une ambition beaucoup plus large, dont le point d'orgue sera le projet de loi actuellement préparé par Mme Nicole Péry, qui visera à établir un droit à la formation tout au long de la vie. Cette seconde loi prend d'autre part en compte la spécificité des PME, en introduisant dans le code du travail la formule de réduction du temps de travail en jours sur le mois. Elle favorise en outre les groupements d'employeurs et prévoit des modalités spécifiques de négociation dans les petites structures. D'une manière générale, cette loi peut être l'occasion, pour le secteur de l'artisanat et du commerce, de modifier son image vis-à-vis des jeunes, en leur offrant des conditions de travail plus attractives. C'est ce que nous a rappelé Jean Delmas, président de l'Union professionnelle artisanale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). On sait combien ce secteur crée d'emplois, et combien les Français lui sont attachés. En ce qui concerne les salaires, le Gouvernement respecte ses engagements. Les salariés au SMIC garderont évidemment leur rémunération et leur pouvoir d'achat continuera de progresser. Les salariés payés au SMIC dont la durée de travail sera réduite, à temps plein ou à temps partiel, auront la garantie du maintien de leur salaire grâce à la mise en place d'un complément différentiel. Cette garantie évoluera en fonction de l'indice des prix et de la moitié du salaire moyen des ouvriers. La rémunération sera maintenue mais aussi le pouvoir d'achat. Il n'y a pas deux SMIC comme j'entends ici ou là. Il n'y en a qu'un seul : c'est le SMIC horaire actuel qui continuera de s'appliquer. Le principe « à travail égal, salaire égal » sera pleinement respecté et même précisé dans le code du travail pour les salariés nouvellement embauchés, à temps plein ou à temps partiel, ayant réduit leur temps de travail. Enfin, la généralisation des 35 heures s'accompagne d'un système d'allégement structurel des cotisations sociales patronales qui doit permettre un financement équilibré du dispositif, et au-delà une réduction du coût du travail. Il s'agit aussi d'un nouveau mode de financement de la protection sociale, non plus fondé uniquement sur le salaire mais également sur les profits et les activités polluantes. Cette réduction des charges va au-delà de la simple compensation du coût des 35 heures : ainsi, à 1,3 SMIC, elle permet une baisse du coût du travail de l'ordre de 5 %. Ce système aura par lui-même un effet favorable à l'emploi. Il n'est pas financé par les ménages, et ce n'est pas une « trappe à bas salaires », comme la ristourne dégressive. Il favorise clairement les entreprises de main d'_uvre, les petites entreprises, le commerce, l'artisanat et les services. Quelques mots pour conclure. La première loi a permis d'impulser un mouvement sans précédent. Le présent texte en tire les conséquences, fixe des règles générales, apporte des souplesses et des garanties nouvelles et laisse une plus grande place à la négociation. Ce n'est pas une loi contre les entreprises. Elle doit leur permettre de mieux fonctionner, d'être plus compétitives, ce qui signifie pour demain plus de richesses et plus d'emplois, ce dont nous ne pourrons que nous réjouir. C'est une loi pour améliorer les conditions de travail et de vie de nos concitoyens. C'est surtout une loi pour l'emploi. Ce texte suscite des questions et des inquiétudes. Le débat nous permettra d'en parler. Je ne doute pas qu'il sera de qualité. Les Français, attachés à cette réforme, ne comprendraient pas qu'il en soit autrement. Cette loi peut être améliorée et enrichie. Nous le ferons ensemble ; nous le ferons avec tous ceux pour qui l'engagement politique est fondé sur la recherche du progrès social et de la solidarité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Il n'est pas facile de réussir les 35 heures. Mais il n'est pas facile non plus de réduire le chômage. C'est, pourtant, l'attente majeure de nos concitoyens. Réussir les 35 heures, c'est redonner de l'espoir à toutes celles et ceux qui sont à la recherche d'un emploi, nous en rencontrons tous beaucoup... M. Bernard Accoyer - Démagogie ! Mme la Ministre - Si lutter contre le chômage c'est être démagogue... Réussir les 35 heures, c'est aussi construire une société où chacun vive mieux, où nous vivions mieux ensemble. C'est en tout cas le sens de mon engagement politique. Mme Catala remplace M. Fabius au fauteuil présidentiel. PRÉSIDENCE DE Mme Nicole CATALA vice-présidente M. Gaëtan Gorce, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - L'on dit parfois que nécessité fait loi. Face à la montée du chômage, ce seul argument pourrait suffire à justifier la mise en chantier d'une réforme visant à réduire le temps de travail à 35 heures. Le nombre de chômeurs a, depuis le début des années 70, augmenté de plus d'un million tous les dix ans. De 1993 à 1997, celui des chômeurs de longue durée a dépassé le million et le nombre de chômeurs a augmenté de plus de 100 000 par an. Ce processus, destructeur pour notre société, s'est interrompu depuis deux ans. 750 000 emplois ont été créés ; 350 000 chômeurs ont retrouvé un emploi. MM. Thierry Mariani et Richard Cazenave - C'est moins bien qu'à l'étranger ! M. le Rapporteur - La reprise de la croissance, complétée par les emplois-jeunes et par les premiers effets de la réduction du temps de travail, est à l'origine de ce résultat. De tous les pays de l'Union, le nôtre est celui où les taux de croissance et de création d'emplois sont les plus forts. Même si elle se poursuivait à ce rythme, la croissance serait toutefois insuffisante pour faire reculer significativement le chômage de masse accumulé ces dernières années. L'objectif de la réduction du temps de travail, c'est de faire reculer le chômage en enrichissant la croissance en emplois stables. Au-delà de ce premier enjeu, fondamental, cette réforme est d'autant plus fondée qu'elle a également pour objet de dire et de stabiliser le droit dans un domaine où, à force de dérogations, c'est le respect du principe qui faisait exception. Bousculé par le développement des services, les nouvelles formes d'organisation du travail, les aspirations diverses des salariés, le temps de travail est aujourd'hui en miettes. Le bloc des salariés à horaire collectif fixe, heureusement majoritaire, s'érode progressivement devant la montée des horaires individualisés, atypiques ou modulés sans que le droit n'en fixe clairement ni les règles ni les limites. A un temps de travail en miettes correspond en effet trop souvent un droit du temps de travail en friche, accumulation de dispositions disparates, conçues souvent en fonction des besoins du moment et d'exigences économiques faisant peu de place aux attentes des salariés - on le voit bien, hélas, avec les trois types de modulations, qui se sont superposés de loi Séguin en loi Balladur. Aucun critère ne permettait même de distinguer le niveau auquel pouvaient être acceptées des dérogations. Cette loi peut être l'occasion de bâtir un nouveau droit du temps de travail, prenant en compte les contraintes des entreprises, soucieux des aspirations des salariés, orienté vers l'objectif de l'emploi. Pour nous engager dans ce débat, notre assemblée dispose désormais de points d'appuis solides, en premier lieu du formidable matériau que constitue la centaine d'accords de branches et les 15 000 accords d'entreprises signés depuis dix-huit mois. Le mouvement sans précédent de négociation collective témoigne de la très forte et très courageuse implication des partenaires sociaux en faveur de la réduction du temps de travail. Le projet s'inspire d'ailleurs très largement du résultat de ces négociations. Nous pouvons également mesurer l'impact de la réduction du temps de travail sur l'emploi. M. Thierry Mariani - Il est bien faible ! M. le Rapporteur - Les 35 heures ont permis de préserver ou de créer plus de 120 000 emplois, le plus souvent des emplois stables sous forme de CDI et sans perte de salaire. Notre assemblée peut s'appuyer sur cette leçon du terrain. Enfin nous avons pu préparer ce débat très en amont, en particulier dans le cadre des auditions, des visites et des consultations auxquelles a procédé notre commission des affaires sociales, à l'initiative de son président. Si les délais dont nous disposons en séance publique sont relativement courts, nos débats ont donc été largement préparés au cours des derniers mois. Aussi pourrons-nous très vite nous consacrer à l'essentiel. Peu de voix dans notre commission se sont élevées pour contester l'efficacité de la réduction du temps de travail pour créer de l'emploi. M. Bernard Accoyer - C'est faux ! M. le Rapporteur - Le débat a moins porté sur les résultats attendus que sur la méthode. La place respective de la loi et de la négociation dans notre système de relations sociales est d'ailleurs une vraie question, particulièrement s'agissant de la réduction du temps de travail. Ne faut-il pas, lorsqu'une méthode a échoué, en changer ? M. Bernard Accoyer - Précisément ! M. le Rapporteur - Ces vingt dernières années, toutes les tentatives pour promouvoir la RTT par la négociation interprofessionnelle ont échoué : en 1979, en 1982, en 1984, en 1989 et, plus encore, en 1995. A tel point que la majorité d'alors, bien que largement divisée, dut recourir à un dispositif d'incitation par la loi pour tenter de doper une négociation trop longue à s'engager. Pour utile qu'elle était, cette nouvelle législation, faute d'une date butoir, n'a pas non plus permis d'engager un processus d'ensemble et son échec relatif a confirmé le diagnostic posé par tous les rapports : la loi doit fixer une échéance à la négociation pour surmonter les rigidités qui bloquent la réduction du temps de travail depuis le début des années 1980. La loi du 13 juin 1998 comme le présent projet tirent les conséquences de ces deux décennies d'atermoiement et proposent une formule inédite qui permet de faire alterner les interventions du législateur et la négociation. A la loi votée en 1998 de donner l'impulsion. Au négociateur d'apporter les solutions innovantes. A la loi de fixer à nouveau aujourd'hui le cadre de leur généralisation. A la négociation demain d'assurer la bonne adaptation aux réalités de l'entreprise. Finalement ce qui sépare la loi de Robien des lois Aubry, c'est ce qui distingue une velléité d'une volonté (Rires sur les bancs du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Refuser ce processus, c'est au fonds renoncer à réduire effectivement le temps de travail, c'est s'en tenir aux professions de foi. C'est aussi peut-être prêter le flan à une interrogation légitime : cette impuissance à mettre en _uvre une réduction collective et négociée du temps de travail ne cache-t-elle pas au fond une préférence pour une réduction individualisée plus subie que voulue, pour le développement de ce temps partiel qui est un instrument de précarité et de flexibilité ? De 1990 à 1997, le nombre de salariés à temps partiel a augmenté de près de 40 %... M. Bernard Accoyer - C'est Mme Aubry qui a encouragé le temps partiel ! M. le Rapporteur - La très faible baisse du temps de travail effectif ces vingt dernières années tient d'ailleurs uniquement au développement du temps partiel. La France est sans doute le pays où le temps partiel est à la fois le plus aidé et le plus subi. C'est d'ailleurs la raison qui a conduit votre commission à aligner sur le régime de la réduction collective le régime des aides au temps partiel, en supprimant pour les nouveaux contrats l'abattement spécifique, et à encourager un encadrement conventionnel qui fait aujourd'hui cruellement défaut. Au terme de ces discussions, votre commission a adopté le projet qui vous est présenté avec la double préoccupation de l'enrichir et de préserver son équilibre. Madame la Ministre, vous vous étiez dès l'origine déclarée ouverte aux propositions. Nous nous sommes efforcés de répondre à votre attente, comme à celle de nos concitoyens, légitimement attentifs au bon aboutissement de cette réforme. D'abord, en définissant mieux la nature du temps de travail effectif. Notre assemblée avait déjà eu l'occasion, en 1998, de préciser cette notion qui constitue en quelque sorte le mètre étalon de la réduction. Un amendement adopté par l'ensemble de la majorité tend à préciser que sous réserve de répondre au critère du 1er alinéa de l'article L 212.4 du code du travail, les temps de pause, de restauration, d'habillage ou de déshabillage ne peuvent être remis en cause à l'occasion de la négociation sur le temps de travail. De la même façon, sur proposition du groupe socialiste, la commission a entendu réserver des aides publiques accordées dans le cadre des plans sociaux aux seules entreprises ayant réellement réduit leur temps de travail à 35 heures. M. Bernard Accoyer - Gesticulation médiatique ! M. le Rapporteur - Le même souci d'offrir aux négociateurs un cadre clair et stabilisé a conduit la commission à mieux définir le régime des astreintes et à limiter strictement le recours aux équivalences. M. Bernard Accoyer - Marchandages en commission ! M. le Rapporteur - La commission a par ailleurs voulu mieux encadrer les modulations du temps de travail en exigeant par exemple sur une proposition commune de l'ensemble des groupes de la majorité de préciser les motifs économiques et sociaux qui les justifient. Votre commission a aussi abaissé la durée maximale de travail sur 12 semaines, de 46 à 42 heures, sachant néanmoins la difficulté d'harmoniser la baisse des maxima conçus pour assurer la protection de la santé des salariés avec un objectif plus général de réduction du temps de travail. Le régime des heures supplémentaires a également été précisé grâce à la proposition du groupe communiste d'abaisser de 47 à 43 heures le seuil de déclenchement de la majoration de 50 %. La commission a également été sensible à la préoccupation du Gouvernement de garantir aux cadres une réduction effective de leur temps de travail, en prévoyant des règles spécifiques, dans des cas fixés par la négociation. La mise en place des 35 heures a en effet été un révélateur du malaise profond que connaît cette catégorie de salariés, désormais exposée plus fortement au risque du chômage, fort mal récompensée de ses efforts au regard des gratifications consenties aux personnels dirigeants, vivant de l'intérieur la contradiction entre les principes proclamés du management participatif et la réalité d'une gestion souvent unilatérale. Le premier souci de la commission a été de limiter strictement la catégorie des cadres dirigeants auxquels ne s'appliquent que les règles relatives aux congés payés. Un amendement présenté par toute la majorité y a pourvu. Notre deuxième souci a été de rappeler que les cadres relèvent normalement du droit commun du temps de travail et d'indiquer que seul un accord pouvait déterminer les catégories de cadres pouvant relever de régimes de forfaits, en particulier les forfaits jours. En rappelant que les 217 jours sont un plafond, la commission a laissé une large place à la négociation ; en s'appuyant sur un meilleur encadrement conventionnel de ce régime du forfait, elle a également voulu offrir aux cadres les garanties supplémentaires nécessaires grâce à une meilleure définition et à un plus strict contrôle de leur charge de travail. S'agissant du temps partiel, le projet initial comporte déjà des avancées : encadrement conventionnel ; délai de prévenance ; protection de la vie familiale ; facilitation des activités multisalariées ; suppression du temps partiel annualisé institué par la loi quinquennale et qui avait beaucoup dégradé les conditions de travail des salariés travaillant pratiquement au sifflet. M. Bernard Accoyer - J'en connais un autre qui travaille au sifflet ! M. le Rapporteur - Votre commission a cherché à prolonger cet effort législatif en privilégiant le temps choisi. Un amendement de Mme Génisson organise ainsi les conditions d'exercice du droit des salariés à temps partiel passés à temps plein et vice-versa. Parallèlement, la question de la rémunération des heures complémentaires a été résolue par une majoration des heures effectuées au-delà d'un quota de 10 %. M. Thierry Mariani - Vous créez un nouvel impôt ! M. le Rapporteur - Cela dit, il faut éviter que la réduction du temps de travail se fasse au détriment du temps de formation ou que celui-ci soit dorénavant plus souvent pris sur le temps libre. A cet égard, la négociation d'entreprise a, en quelque sorte, devancé la négociation interprofessionnelle à laquelle revient le soin, depuis l'accord de 1991, de déterminer les conditions du co-investissement. L'amendement adopté par la commission s'efforce de préserver les résultats des accords signés, le temps strictement nécessaire à la définition de nouvelles règles conventionnelles auxquelles ils seront amenés à se conformer. J'insiste sur la nécessité partagée par tous les membres de la majorité de la commission et rappelée par le Premier ministre à Strasbourg, d'accélérer la réforme de la formation professionnelle autour des principes définis par Mme Nicole Péry. M. Jean Ueberschlag - Depuis le temps que vous nous la promettez ! M. le Rapporteur - La commission a enfin été attentive aux conditions d'application de la réduction du temps de travail : Tout d'abord, elle a adopté une série de dispositions visant à encourager les PME à anticiper sur la date du 1er janvier 2002. Ces entreprises pourront bénéficier du nouvel allégement de cotisations et d'aides incitatives à condition qu'elles s'engagent dans un processus de réduction réelle et vérifiée du temps de travail au cours des deux ans qui viennent. S'agissant de la consultation des salariés, la condition d'un accord majoritaire pour l'obtention des allégements constitue la clef de voûte de ce projet. Cette disposition conditionne l'équilibre de la négociation et des accords. La commission a cependant souhaité indiquer que la consultation ne devrait pouvoir être engagée qu'avec l'accord des organisations syndicales et devrait pouvoir être effectuée dès avant la signature de l'accord. J'en viens à la question du SMIC. La solution retenue qui allie le maintien du taux horaire du SMIC à une indemnité différentielle, répond au double souci de maintenir le salaire et de garantir la progression du pouvoir d'achat. Nul salarié n'y perdra. M. Thierry Mariani - Et les heures supplémentaires ? M. le Rapporteur- Enfin, à l'initiative des Verts, la commission a adopté un amendement tendant à prolonger le processus de réduction du temps de travail vers les trente-deux heures. (Murmures sur les bancs du groupe du RPR). Au total, elle a adopté, le plus souvent à l'unanimité, une soixantaine d'amendements issus de tous les groupes de la majorité. Il semble que l'opposition ait préféré se réserver pour le débat en séance plénière. Le texte a ainsi pu être enrichi tout en préservant son équilibre, en particulier s'agissant de l'article 2. Si tous les députés de la majorité se sont rejoints sur l'objectif de création d'emploi, des points de vue différents se sont exprimés sur les moyens de l'atteindre. Deux solutions existent : lier le bénéfice des allégements à une condition précise et quantifiée d'emplois sans tenir compte de la diversité de situation des entreprises ; soit le subordonner à un accord de réduction du temps de travail approuvé par la majorité des salariés. Cette dernière option nous a paru préférable pour prendre en compte la réalité du terrain et l'objectif de création d'emplois. Il s'agit bien d'une loi de modernisation économique et sociale : économique, puisqu'elle permet de négocier sur l'organisation de l'entreprise ; sociale, puisqu'elle fait passer le souffle de la discussion dans toutes les entreprises françaises. Cette évolution permettra peut-être de surmonter l'éternel dilemme quant à la place respective de la loi et de la négociation. L'une et l'autre ne s'opposent que si les salariés, dépourvus de représentants, doivent attendre que la loi leur apporte la garantie dont l'absence de dialogue dans l'entreprise les prive. La formule de l'accord majoritaire qui vous est proposée préfigure une réflexion à mener à plus long terme. Notre histoire, depuis plus d'un siècle, a été jalonnée de grandes réformes sociales. La République a toujours su mener en son sein des hommes et des majorités pour rappeler que le temps de travail ne s'arrêtait pas à la porte des ateliers et des bureaux et que le progrès d'une nation dépendait aussi de sa cohésion. De Waldeck-Rousseau adoptant le droit syndical à Clémenceau et la journée de 8 heures, de Léon Blum à la semaine de 40 heures, de Pierre Mauroy et François Mitterrand à la semaine de 39 heures et à la cinquième semaine de congés payés, jusqu'aux 35 heures, c'est le même fil qui court. Certes, il ne s'agit plus pour les salariés de conquérir le droit élémentaire à la santé ou à la dignité, même si le président du MEDEF , retrouve parfois les accents du Comité des Forges ! Il s'est trouvé alors, comme il se trouve aujourd'hui, des groupes ou des partis, des intérêts pour exprimer leur hostilité à toute réforme. Mais cette hostilité nous est utile puisqu'elle permet de mesurer l'ampleur de la transformation proposée. Les trente-cinq heures sont-elles ou non modernes ? Depuis des années, les entreprises exigent toujours plus de leurs salariés mais depuis deux décennies, elles ne leur offrent même plus les contreparties que constituent des horaires stables et la garantie de l'emploi. C'est ce débat que la loi permet d'ouvrir en invitant les chefs d'entreprise et les représentants syndicaux à négocier dans l'entreprise. Penser que l'avenir de l'entreprise repose sur la flexibilité, c'est s'en tenir à une vision passéiste. Le consensus social ne se décrète pas. C'est tout le sens de la négociation sur la réduction du temps de travail. Le débat que nous ouvrons doit servir une grande ambition : construire une société de plein emploi et faire reculer le chômage de masse. C'est tout le contraire d'une vision manichéenne, d'une approche caricaturale de l'économie qu'il nous est parfois donné d'entendre lorsque certains participent à des débats publics ! Je ne doute pas que nous parviendrons à faire progresser le droit du travail et l'emploi : c'est le v_u que je forme avec tous les groupes de la majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et de nombreux bancs du groupe communiste). M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je souhaite que nous abordions sereinement ce débat difficile en nous appuyant sur le travail sans précédent accompli par la commission. Bien entendu, ce projet suscite des oppositions : si elles s'accompagnent d'une capacité d'écoute, quoi de plus normal ? Je salue avec respect ce qu'ont fait 16 000 chefs d'entreprise et 50 000 salariés en signant des accords adaptés à chaque situation. C'est un événement sans précédent, bien loin du tohu-bohu de quelques réunions publiques. Je souhaite que nous soyons à l'origine d'une démarche qui changera profondément la vie économique et sociale des entreprises. Je remercie le rapporteur de la qualité de son travail ainsi que tous ceux qui participent au groupe de travail permanent et l'équipe d'administrateurs qui nous a apporté sa compétence et son dévouement. M. Maxime Gremetz - Il faut bien parler de toute la commission ! M. le Président de la commission - Comme le rapporteur, donc, a cité les points, qui sont loin d'être tous secondaires, sur lesquels la commission a enrichi le texte, et que M. Gremetz ne manquera pas, j'en suis sûr, d'énumérer à son tour (Sourires), je limiterai ma propre intervention à quatre sujets : l'exception française, le dialogue social, l'entreprise, l'emploi. Je ne suis pas du tout sûr que notre pays soit aussi isolé que certains veulent bien le dire. Il y a en Italie, en Allemagne une écoute très attentive vis-à-vis de ce que nous faisons, tant la pression du chômage est énorme en Europe. Mais il y a, c'est vrai, une exception française, qui veut que rien ne puisse évoluer par la seule voie contractuelle, sans que la loi donne le signal et encadre les choses, et c'est un vrai problème. M. Bernard Accoyer - C'est ça, le socialisme ! M. le Président de la commission - Je prendrai deux exemples récents. Le premier est celui de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995, que j'avais salué à l'époque car il liait lutte contre le chômage et réduction du temps de travail, mais qui n'a donné aucun résultat. Le second est celui d'une loi que j'ai beaucoup soutenue également, notamment dans ma région : la loi Robien, qui a concerné, en deux ans, 300 000 salariés en tout et pour tout - et encore, en arrondissant. C'est cela aussi, la réalité sociale de notre pays, et nous ne la ferons évoluer qu'en travaillant à reconstruire le dialogue social. Faire évoluer la négociation sociale, c'est toute la démarche du texte. Texte dirigiste ? Non : texte qui donne le la. Il instaure un fort abattement sur les cotisations patronales - en évitant au passage la «trappe» à bas salaires - et pose en même temps, à l'article 11, l'obligation de négocier, obligation que nous avons eu le souci de renforcer, afin qu'elle porte à la fois sur les rémunérations, l'emploi, la lutte contre la précarité et -enfin !- l'égalité professionnelle. C'est la méthode la plus sûre, j'en ai la conviction, pour construire l'avenir, consolider les entreprises et renforcer le rôle de l'action syndicale. Nous avons, dans le cadre de la majorité plurielle, un débat sur cette obligation de négocier... M. Bernard Accoyer - Vos amis n'ont pas l'air enthousiaste ! M. le Président de la commission - Ils écoutent, eux ! Je ne suis pas choqué, pour ma part, que l'on veuille obtenir, en contrepartie de la baisse des cotisations patronales, de meilleures garanties pour l'emploi, mais la pire des choses serait de quantifier ces garanties par la loi. S'il faut renforcer l'article 11, discutons-en ! S'il faut renforcer le contrôle de l'utilisation des fonds publics, discutons-en ! J'ai moi-même fait remarquer à plusieurs reprises que les grandes entreprises qui avaient recouru au FNE étaient redevables de 2,7 milliards à l'Etat selon la Cour des comptes elle-même ! Mais vouloir enfermer dans un cadre rigide une démarche qui se veut progressive serait contraire à ce que nous entendons faire. Retenons la leçon de Hannah Arendt : les contradictions sont chose naturelle, et c'est par le mouvement social que nous les dépasserons, non en les enfermant dans un texte juridique, fût-il de qualité. M. Jean-Pierre Brard - M. Le Garrec est philosophe ! (Sourires) M. le Président de la commission - Non, j'ai simplement étudié l'histoire du mouvement ouvrier et du mouvement social... M. Jean-Pierre Brard - Ce n'est pas incompatible, au contraire ! M. le Président de la commission - J'en viens à la question de l'entreprise. Il y avait eu dans notre pays, en 1975, un grand débat sur son rôle futur, sur l'enrichissement des tâches, sur la notion d'entreprise pluriactive, sur la mutation de la demande, etc., mais ce débat a été très vite étouffé sous le poids de la crise économique et du chômage. Il reprend toute son importance aujourd'hui, et nous sommes dans l'obligation de remettre en cause la conception de l'emploi comme variable d'ajustement, encore défendue par cette fraction schizophrénique du patronat qui ne songe qu'à se débarrasser des travailleurs de plus de cinquante ans tout en réclamant qu'on recule l'âge de la retraite (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF), au bénéfice d'une conception dans laquelle l'emploi est un facteur de dynamisme de l'entreprise. Si j'étais responsable du Medef, je regarderais de très près ce qui se passe actuellement chez les cadres, car une économie ne peut rester combative et gagnante sans mobiliser ses cadres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jean-Pierre Brard - Le Garrec au Medef ! Avec une particule ! (Sourires) M. le Président de la commission - Enfin, et ce sera ma conclusion, nous ne pouvons ni ne devons nous installer durablement dans le chômage, même si cette idée est dans la tête d'une bonne partie de notre société. Or, pour compter un chômeur de moins, il faut créer deux emplois - car je ne fais pas mienne cette vision malthusienne d'une population active qui irait en diminuant, et M. Juppé a dit à ce sujet des choses intéressantes, qui sont de nature à mettre dans l'embarras certains de ses amis politiques... (Protestations sur les bancs du groupe du RPR) Pour créer deux fois plus d'emplois que nous n'avons de chômeurs, il faut la croissance, bien sûr, les emplois-jeunes aussi, les créations d'entreprises, cela va sans dire, ainsi que le développement des nouvelles technologies, mais il faut aussi épouser le mouvement historique de baisse de la durée du travail, mouvement qui remonte aux origines même de la société industrielle, et sur lequel nous avons un certain retard à rattraper. Telle est, mes chers collègues, la cohérence de notre action, et la lutte contre l'exclusion n'est pas le moindre des enjeux de ce texte. Rien ne serait pire que d'amorcer l'évolution vers le plein emploi en laissant 800 000 à 900 000 personnes en proie à leurs difficultés actuelles. J'ai horreur de la démagogie (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR), mais c'est justement ne pas être démagogue que de parler de la société. Nous ne sommes pas ici dans le vide sidéral, mais au contact de la société, et quand j'entends un syndicaliste CGT dire que l'embauche, à la suite d'un accord de réduction du temps de travail, de trois chômeurs de longue durée a obligé son équipe à apprendre à travailler autrement, quand j'entends un ancien chômeur de longue durée ayant retrouvé du travail dire à la radio que la société s'accommode, sans se l'avouer, d'un chômage persistant, quand je vois l'héroïne du film Rosetta se battre avec un admirable courage, je dis que le débat de société est là ! Madame la Ministre, nous soutenons votre volonté, votre sérénité, votre force de conviction. Nous poursuivrons la discussion avec vous, en étant parfois en désaccord avec vous, mais avec la volonté d'aller jusqu'au fond du débat, car c'est un enjeu fondamental pour notre avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Mme la Présidente - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe DL une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. M. Dominique Dord - Ce qui m'épate le plus chez vous, Madame le ministre, si vous me permettez cette familiarité, ce n'est pas votre refus obstiné, sympathique au demeurant, de passer à une vision du monde en technicolor et votre volonté de vous en tenir à une image en noir et blanc du monde du travail. Non, ce qui m'épate vraiment, c'est l'aplomb imperturbable et sans doute efficace, l'aplomb... Un député RPR - Sidérant ! M. Dominique Dord - Oui, sidérant, avec lequel vous assurez doctement tant de contrevérités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL) Qui cherchez vous à tromper, Madame le ministre ? Est-ce votre opposition ? Ou bien serait-ce votre propre majorité et les Français à travers nous ? Ou n'est-ce pas finalement vous-même ? Deux ans après, qui croit encore aux 35 heures ? Le Premier ministre lui-même, lors d'un déplacement aux États-Unis il y a quelques semaines, a reconnu qu'il s'agissait d'une promesse électorale et qu'elle devait être tenue. S'il s'est souvenu de la promesse, M. Jospin n'a-t-il pas oublié les 500 000 emplois qui devaient être créés en deux ans ? Le Premier ministre ne cherche même plus à convaincre de l'efficacité économique de la réduction du temps de travail et s'en tient à la cohérence électorale de son action. Et s'il n'a pas convaincu les patrons américains, il n'a pas davantage emporté l'adhésion de ses partenaires européens, pourtant socialistes eux aussi. Or, ces mêmes pays créent sans les 35 heures plus d'emplois que nous. Mme la Ministre - C'est faux ! M. Dominique Dord - Dans un rapport du 8 septembre 1999, la Commission européenne n'attribue que la mention « passable » à notre politique sociale, ce qui n'est, vous en conviendrez, guère élogieux. Alors M. Le Garrec invoque « l'exception française » que vous vous plaisez à conforter encore alors qu'elle s'oppose à l'économie ouverte et mondialisée que nous connaissons. A l'extérieur de nos frontières, personne n'y croit. Mais à l'intérieur, les partenaires sociaux, les chefs d'entreprise bien sûr mais les représentants des salariés eux-mêmes n'y croient pas davantage. En témoignent les réticences de l'UNEDIC à s'associer au financement de la réduction du temps de travail. Deux « DRH » sur trois dans nos entreprises estiment que la loi ne créera pas d'emplois. Le Centre des jeunes dirigeants, avec lequel vous aviez passé convention le 15 septembre 1998 déclare, dans son rapport de juin 1999 que la loi est inadaptée parce qu'elle est centrée sur une réduction du temps de travail obligatoire et ne tient aucun compte de la diversité des entreprises. Certains ministres, et non des moindres, n'y croient pas non plus et vous-même, Madame la Ministre, si vous y croyez tant, pourquoi ne faites vous pas en sorte que la fonction publique de l'Etat l'applique en précurseur au lieu de « jouer la montre » jusqu'en 2002 ? Vous n'y croyez plus, Mme la Ministre et vous avez retiré de la deuxième loi toute référence aux créations d'emplois comme vous avez reculé, pour des raisons strictement électorales, l'application de certains volets importants du projet après 2002. Vous aurez donc du mal à convaincre mais la procédure parlementaire est ainsi faite qu'il nous revient de démontrer en quoi cette loi serait nuisible et même contraire à la Constitution. Trois principes politiques sous-tendent le projet : d'abord, un principe de solidarité avec l'idée de partage du travail qui ne résiste pas à la réalité. Ensuite, un principe de société, que vous avez exposé tout à l'heure avec vigueur, en faveur des salariés mais qui se heurte à une autre aspiration essentielle des salariés, qui tient à l'amélioration de leur niveau de vie. Enfin, en contrepartie des deux premiers, un principe d'efficacité des entreprises par l'aménagement concerté du temps de travail, mais votre texte nie les accords déjà signés, ce qui n'est pas un gage de progrès social ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Aucun des objectifs fixés ne sera atteint et de plus, votre projet n'est pas conforme à la loi fondamentale. Si je reviens sur le principe de solidarité et de partage du travail, je dirai qu'il s'agit d'une idée simple et a priori séduisante : 10 % de réduction du temps de travail pour tout le monde et les 10 % de chômeurs que connaît notre pays retrouvent du travail. Sur ces bases, un terrain d'entente aurait pu être trouvé si l'on avait laissé la liberté de négocier aux partenaires sociaux plutôt que d'imposer une vision ringarde et dépassée du monde du travail. De même, le principe d'une incitation financière ne nous choquerait pas si elle était rendue possible par une activation pour l'emploi des dépenses passives d'indemnisation du chômage. Ce débat a sa place s'il vise à nous donner un nouvel instrument dans la boîte à outils contre le chômage et non à imposer un carcan supplémentaire sur un mode obligatoire, malthusien et dépassé. Cette nouvelle obligation sera sans résultat. Les destructions d'emplois qu'elle créera, ou la création d'emplois dans d'autres pays ne seront pas compensées. Comme le dispositif Robien avant lui, votre système est très coûteux puisqu'il s'accompagne d'un maintien des rémunérations. Toute nouvelle embauche représente un coût net supplémentaire de 10 % sur la masse salariale. Au lieu de donner l'exemple, l'Etat donne des leçons de générosité aux entreprises avec l'argent du contribuable. Les collectivités locales elles-mêmes auront à supporter le coût des 35 heures, à travers les associations chargées de leur mise en _uvre. Certes, les entreprises bénéficieront d'un délai d'adaptation, pendant lequel ces embauches et les rémunérations risquent d'être gelées cependant que le recours à l'emploi précaire, au temps partiel, à l'intérim et que la mécanisation s'intensifieront. Loin de créer l'emploi, la loi a commencé à en détruire -ou à ne pas en créer- et à multiplier les situations de précarité que le Gouvernement, tel un pompier pyromane, prétend aujourd'hui sanctionner. Pour les petites entreprises, les 35 heures sont un casse-tête qui procède d'une logique archaïque et inadaptée. Or, il y a dans notre pays près de deux millions d'entreprises de trois, quatre ou cinq salariés. Cette mécanique politique nie le problème sérieux de la formation, de l'impréparation des demandeurs d'emplois aux postes créés. M. Michel Meylan - Très juste ! M. Dominique Dord - Pour répondre à ces objections de bon sens, vous avez tenté de publier, il y a quelques semaines, un bilan chiffré de la première loi. Dans la bourrasque médiatique qui s'abattait sur le texte, vous avez eu recours à la technique du leurre ou du nuage de fumée. Mais la polémique qui, au sein même de la direction des statistiques de votre ministère, a accompagné la publication de ce bilan en a totalement discrédité la validité. Plus récemment, le BIPE a confirmé cette inefficacité sur l'emploi en démontrant qu'en 2004, le taux de chômage resterait à hauteur de 9,5 % de la population active, ce qui ruine votre propre démonstration. Même en admettant que la loi puisse créer quelques dizaines de milliers d'emplois, le bilan des emplois non créés ou créés à l'étranger du fait de la loi, bien qu'impossible à dresser, serait édifiant. Et ne nous dites pas que l'investissement étranger en France n'a jamais été aussi fort ! Un député socialiste - Mais si ! M. Dominique Dord - ...car cela est vrai mais sans rapport avec la création d'emplois. On connaît même des investisseurs étrangers qui viennent en France dans des entreprises qui suppriment des emplois. Comment parler de création d'emploi alors qu'on repère désormais dans les statistiques le « pic » que forme une nouvelle catégorie d'entreprises, celles qui ont dix neuf salariés... pour ne pas passer à vingt ? En deux ans, malgré la croissance, le taux de chômage n'a diminué que de 1,4 %. Il est à 11 % de la population active. Tous les pays qui avaient un taux aussi ou plus important ont fait mieux sauf l'Italie. Ils ont fait mieux sans les 35 heures. Comment ne pas voir là une corrélation négative ? Serait-ce à cause de ces statistiques que les partenaires sociaux ont si peu confiance dans un dispositif qui devrait pourtant augmenter le produit des cotisations et diminuer le poids des allocations ? Nous pensons que les modalités du partage du temps de travail sont inappropriées à l'objectif de création d'emplois. Ce texte est donc contraire au cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui a valeur constitutionnelle. En réduisant la durée du travail à 1 600 heures, soit une diminution de 15 % de la capacité productive et même de 23 % pour les cadres, vous commettez une erreur manifeste d'appréciation. M. Jean-Pierre Brard - Sophiste. M. Dominique Dord - Vous portez atteinte à la liberté des salariés et des entreprises de gérer ensemble au mieux leurs relations. M. Jean-Pierre Brard - Comme chez Michelin. M. Dominique Dord - Les 35 heures n'ont pas empêché ce qui est arrivé chez Michelin. Mme la Ministre - Ça viendra. M. Dominique Dord - On verra. Tout en diminuant la capacité productive de 15 %, vous fixez un objectif de création de 600 000 emplois, soit 4 % de l'effectif salarié. Dans un système ouvert à la concurrence, vous alourdissez le prix du travail face à nos partenaires qui ne se sont pas engagés dans cette voie. Quelles conséquences cela aura-t-il sur l'emploi dans les entreprises les plus fragiles ? Pour ces raisons nous considérons que les articles 3, 4, 5 et 11 du projet ne sont pas conformes à la Constitution, et à l'objectif proclamé de votre exposé des motifs : favoriser l'emploi. J'en viens à notre deuxième principe, la réduction du temps de travail. L'urgence sociale est moindre, mais vous n'avez parlé que de cela tout à l'heure. Certes à titre personnel, une telle réduction ne me déplairait pas plus qu'à vous. Sans doute un certain nombre de nos compatriotes, des plus occupés, ont-ils le même sentiment. Travailler moins ? Le débat est légitime. Mais nous n'en sommes plus aux grandes luttes sociales d'antan. Le travail est-il vraiment moins enrichissant que le loisir ? Est-il toujours la punition biblique ? Vastes questions qu'il est simple de considérer comme réglée a priori. Quoi qu'il en soit, la réduction du temps de travail est devenue le sujet central dans votre projet. Le rééquilibrage entre vie de famille et vie de travail ne laisse pas non plus indifférent. Mais si le salarié « libéré » doit faire en moins de temps ce qu'il faisait avant, le bénéfice personnel et familial sera certainement très modeste. D'autre part, ce texte n'est-il pas un peu indécent et provoquant pour nos compatriotes sans emploi ? Quant à ceux qui s'accommodent d'une situation de non-emploi, en réduisant la valeur sociale du travail, ne les conforte-t-on pas dans une situation d'assistanat ? M. Jean-Pierre Brard - Quelle honte ! M. Dominique Dord - Il faut voir la vie telle qu'elle est, Monsieur Brard. Enfin n'est-il pas paradoxal, choquant -je, ne dis pas démagogique- de réduire de 10% le temps de travail quand l'urgence serait de l'augmenter de 15% pour sauver les régimes de retraite ? Mais il est plus facile de promettre l'un que de proposer l'autre ... D'autre part, cette réduction obligatoire du temps de travail n'est pas compatible avec notre organisation sociale. Ceux qui travaillent le plus sont souvent ceux qui ont le plus de responsabilité, de qualification. Ils sont les plus difficiles à remplacer et leurs horaires ont le moins à voir avec l'horaire légal. Le texte ne les touchera pas. Pour les autres, qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que le point d'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle n'est pas atteint ? Si le progrès social c'est d'abaisser encore le seuil, pourquoi s'arrêter à 35 heures ? L'entreprise c'est la diversité. Votre réponse indifférenciée est antiéconomique et antisociales. 80% des salariés sont satisfaits des 35 heures selon vous. C'est peu. Vous deviez espérer 100% . En réalité, selon une enquête de l'Observatoire du monde du travail publiée dans Le Monde du 2 juillet 1997, 58% des salariés préféreraient une augmentation de leur pouvoir d'achat à une baisse du temps de travail. C'est ce à quoi aspirent en particulier les plus modestes, les plus jeunes. Or les deux objectifs sont incompatibles. D'ailleurs, si l'activité économique repart, les salaires font du sur-place. Une partie des fruits de la croissance sert à payer le passage aux 35 heures. Le salaire horaire de base d'un ouvrier n'a augmenté que de 0,6 % au second semestre et deux cadres sur trois ont subi une diminution de salaire en 1998. En méconnaissant cette aspiration à une amélioration du pouvoir d'achat, aussi légitime que celle à la réduction du temps de travail, vous portez paradoxalement atteinte à la liberté du salarié. Je n'évoquerai pas les détestables modalités de contrôle, qui renvoient aux pires pratiques de notre histoire : faut-il tout décompter, interdire tout dépassement, menacer ceux qui travaillent ? Faut-il venir voir qui est dans l'entreprise dès 8 heures et qui y est encore à 19 heures, pour incriminer les « délinquants » ? Je n'insiste pas sur cet aspect archaïque et grotesque, qui résulte pourtant de votre texte. Non, je m'intéresse à la liberté de choisir du salarié, qui est attachée à son choix de vie, et qui a valeur constitutionnelle. En réduisant fortement le nombre d'heures que les salariés pourront faire chaque année, vous méconnaissez l'importance économique, parfois vitale, du surplus de rémunération qu'apportent les heures supplémentaires, notamment pour ceux qui ont accédé à la propriété ou qui le souhaitent. Or, vous réduisez la capacité productive maximum de chaque salarié de 15 %, en la ramenant de 1 963 à 1 667,5 heures annuelles. Pourtant, la plupart de nos compatriotes n'ont que leur force de travail à investir et, pour ceux qui sont en bas de l'échelle des salaires, l'important n'est pas de travailler moins mais de gagner plus. C'est pourquoi les articles 3, 4 et 11 du projet dénaturent leur liberté individuelle. Mais en outre ce texte introduit entre les différentes catégories de salariés des modalités totalement discriminatoires. C'est le cas pour le SMIC, avec l'article 16 du projet. C'est aussi le cas dans les entreprises de plus de vingt salariés : dans celles qui n'auront pas réduit le temps de travail, les salariés continueront à travailler 39 heures payées 39 pendant toute l'année 2000. Autre discrimination insupportable : dès 2001, dans les entreprises de plus de vingt salariés, et dès 2003 dans les autres, la majoration pour heures supplémentaires attribuée aux salariés sera de 25 ou de 15 % suivant que l'entreprise aura ou non réduit son temps de travail. De quel droit pénaliser ainsi les salariés ? On pourrait également évoquer les discriminations qui naîtront entre salariés de grandes et de petites entreprises, d'entreprises privées et d'entreprises publiques, etc. Toutes ces discriminations sont inacceptables d'un point de vue social et d'un point de vue constitutionnel, l'égalité étant fort heureusement la règle absolue (Applaudissements sur les bancs du groupe DL). Un troisième motif d'inconstitutionnalité concerne l'article L. 222.1 du code du travail. Si le Gouvernement avait respecté les dispositions légales relatives aux jours fériés, il aurait institué une durée annuelle de 1 645 heures. Or, il a fixé la barre à 1 600 heures. Dès lors, de deux choses l'une : soit la réduction hebdomadaire n'est pas à 35, mais à 34 heures et 2 minutes, -soit 13 % et non 10 % ; soit, sans vouloir le dire, le Gouvernement modifie les articles L. 222.1 et suivants du code du travail, interdisant de fait le travail tous les jours fériés alors qu'à ce jour seul le 1er mai est obligatoirement chômé. Notre assemblée ne saurait donc réduire à 1 600 heures la durée annuelle maximale sans modifier clairement ces articles du code. Pourtant ce n'est pas prévu dans les articles 3, 4 et 11 du projet de loi. Le troisième principe qui sous-tend votre texte, après le partage du temps de travail -dont on a vu qu'il ne fonctionne pas- et la réduction du temps de travail -qui se heurte à l'aspiration, plus prioritaire, à l'accroissement du pouvoir d'achat- c'est l'aménagement concerté du temps de travail. Il est d'inspiration plus libérale et nous semble mériter d'être débattu. Presque tous les accords signés à ce jour prévoient un nouvel aménagement du temps de travail dans l'entreprise, qui vise le plus souvent à faire sauter la référence hebdomadaire de l'organisation du travail. Conséquence inattendue de ce texte, c'est vous qui contribuez à faire sauter cette rigidité du code du travail, devenant les apôtres contraints et hâtifs de l'annualisation et de la flexibilité ! Mais ne culpabilisez pas trop. La loi de Robien le permettait tout aussi bien... et sans doute mieux, puisque seules les entreprises qui en éprouvaient le besoin y avaient recours après la signature d'un accord partenarial. Cette capacité d'adapter l'organisation du travail en contrepartie de bénéfices sociaux avait d'ailleurs motivé le soutien des libéraux à ce texte. Dans mon département, quelques entreprises ont mis en place de telles solutions, par exemple pour mieux prendre en compte la saisonnalité de leur activité, ou pour adapter leur organisation sociale à une forte mécanisation. Chaque fois que ces solutions ont été adoptées par une démarche volontaire des salariés et des chefs d'entreprise, le dialogue social s'en est trouvé enrichi. Mais on peut se demander s'il le sera, comme vous vous en flattez, dans les entreprises où votre loi sera subie et remettra en cause des accords déjà passés, c'est-à-dire dans l'immense majorité d'entre elles. Un aménagement désiré peut être source de dialogue social, mais pas un aménagement décrété contre les partenaires sociaux. Or votre loi méconnaît la liberté contractuelle. Elle porte atteinte à l'économie des conventions légalement conclues, et que vous avez parfois vous-mêmes encouragées. C'est méconnaître la liberté qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme. Vous affichiez pourtant, dans l'exposé des motifs de la loi du 13 juin 1998, la volonté de privilégier la négociation sociale, pour s'adapter à la diversité des situations. Or tout se passe ici comme si vous tiriez profit des accords déjà signés pour condamner une série de dispositions pourtant innovantes et paritairement adoptées. Vous avez bien «tiré les leçons» de ces accords, mais pour en infléchir substantiellement le contenu... alors que leur objectif était de préserver la compétitivité des entreprises tout en accordant aux salariés certaines garanties. L'article 14-II de la loi nous semble donc contraire à la constitution, qui protège l'économie des accords légalement conclus. L'exemple le plus éclatant concerne l'annualisation de la durée du travail. Les accords ont fixé le seuil de la durée annuelle du travail au-delà duquel commence le décompte des heures supplémentaires entre 1 610 et 1 645 heures. Or, votre texte le fixe à 1 600 heures. Il en va de même pour les heures supplémentaires. La grande majorité des accords de branches ont porté leur contingent conventionnel annuel d'heures supplémentaires, entre 140 et 210 heures, la moyenne étant de 188 heures. En maintenant le repos compensateur à 100 % pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de 130 heures, votre texte rend ces accords impossibles à mettre en _uvre. Il en va encore de même pour la formation professionnelle, le temps de travail des cadres ou les salaires : les accords passés deviendront caducs en raison de cette loi, alors que vous-mêmes aviez encouragé les partenaires sociaux à s'y engager. Les articles 2, 3, 4, 5, premier, 11, 14-II et 16 portent donc des atteintes graves à l'économie des accords collectifs de branches et à l'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995. Ils sont contraires à l'esprit de liberté proclamé dans l'article 4 de la Déclaration de 1789. Tels sont les fondements de cette exception d'irrecevabilité. Nous n'aurons sans doute pas le bonheur de la voir adoptée comme ce fut le cas sur le PACS, où l'ardeur de votre majorité était sans doute moins grande encore, et c'est tout dire. Nous devrons donc plus tard déposer un recours devant le Conseil constitutionnel. Dans ce débat, il est facile de vous jeter la pierre. Pourtant, même si nous ne partageons pas vos choix, et encore moins vos méthodes, nous admettons que le rythme auquel se propagent les effets de la mondialisation bouleverse tous nos archaïsmes et certaines de nos certitudes. Au fond, nous ne vous reprochons pas d'avoir essayé. Mais ce qui est incompréhensible et condamnable, c'est votre entêtement dans l'impasse où vous êtes engagées et votre mépris pour les accords paritairement signés. Vos dogmes sont devenus obsolètes : à vouloir les imposer coûte que coûte, c'est contre votre propre camp, c'est-à-dire contre la France, que vous marquez des buts (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). Comment vouloir des acteurs forts dans l'économie mondiale si on les contraint toujours davantage ? Ce qui nous semble sincèrement dommageable, et qui crée un malaise dans notre pays, c'est que chacun sait que les résultats visés par ce texte ne seront pas atteints : nos entreprises, n'ayant pas le choix, s'adapteront probablement, au moins pour les plus grandes, et il ne restera de ce texte qu'une contrainte supplémentaire, que nous mettrons des années à faire disparaître. Or une étude de l'OCDE, publiée dans Perspectives de l'emploi en juin 1999 met en évidence un renforcement depuis dix ans du degré de contraintes dans la législation française et une corrélation négative entre cette rigueur législative et le taux d'activité ainsi que l'emploi. Je comprends bien que vous ne souhaitiez pas revenir en arrière pour faire plaisir à l'opposition : mais faites-le pour les salariés français, pour nos entreprises et pour la compétitivité de notre économie ! (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) Mme la Présidente - Nous en arrivons aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité. M. Georges Sarre - Une fois de plus, l'opposition divisée (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) nous présente une exception d'irrecevabilité dénuée de tout fondement juridique. Il n'y a pas dans ce texte la moindre atteinte aux prescriptions constitutionnelles ! Il y a en revanche peut-être, je l'accorde à l'opposition, une atteinte à ses sacro-saints principes et à sa conception de la société. Nous, nous considérons que l'économie et le progrès technique doivent être au service de l'homme. L'opposition est en faveur de la mondialisation libérale qui confie tous les pouvoirs au marché et cède à la finance mondiale. Déréglementation, libéralisation des mouvements de capitaux, flexibilité, réduction du coût du travail et du montant des impôts, voilà votre nouveau catéchisme. Il récuse la question sociale. Nous, nous la posons et nous la traitons ! A l'heure où la masse de travail annuel décroît dans notre pays, l'impératif, à nos yeux, c'est d'abord d'arrêter de se résigner, d'expliquer à tout va que cette tendance est inéluctable, qu'elle marque la fin du travail, que demain, les salariés verront se réduire toujours un peu plus leur part du gâteau. Il n'y a pas de fatalisme à cela. Nous devons parvenir à ce que la quantité de travail disponible augmente. Bien sûr, pour cela, il faut une politique de croissance ambitieuse, il faut soutenir la consommation, augmenter les bas salaires. Bien sûr, il faut, dans le même temps, réparer les dégâts de cette décrue du travail dont les victimes innombrables sont d'abord les jeunes et les plus de 50 ans. Certains en leur temps ont appelé ça la « fracture sociale », peut-être l'avez-vous oublié... La droite défend une fois encore la position prise par certaines organisations patronales avant même de connaître la première loi sur les 35 heures. Depuis, elles ont tenté de convaincre les entrepreneurs, les salariés et une partie des acteurs économiques sans, heureusement, y parvenir. Un « oukase », « jurassic park », « une loi néfaste », « inapplicable », « une grave erreur », « une lourde faute », des « naufrages innombrables » en perspective... que n'a-t-on entendu lors de la grand messe noire organisée par le MEDEF ? Les réfractaires d'aujourd'hui sont décidément les mêmes qu'hier. De tout temps, ceux qui ont été hostiles à toute diminution du temps de travail, à la moindre amélioration des conditions de vie des travailleurs ont cherché à nous convaincre qu'il ne fallait surtout rien faire car nous allions ruiner nos entreprises... Les organisations patronales se sont lancées dans une offensive de dénigrement systématique et de retardement. Voilà trois ans que cette réforme est sur l'ouvrage et le MEDEF nous parle encore du « couperet » de l'an 2000. Il réclame encore un peu de temps pour négocier, soi-disant, pour ne rien faire en réalité ! Bien sûr nous sommes pour la négociation. Mais à un moment la loi doit passer ! Le discours de la menace par la faillite est une vieille rengaine mais aussi un a priori idéologique. Ce projet mérite mieux que cette opposition simpliste. Il va sans dire que nous voterons contre cette exception d'irrecevabilité. Entamons à présent le vrai débat, de manière pragmatique, en faisant le point sur nos convergences et nos divergences, mais, surtout, en gardant toujours à l'esprit notre volonté commune de réduire le chômage. Pour notre part, nous l'abordons avant tout avec la volonté d'agir en faveur de l'emploi. La bataille pour l'emploi doit être la priorité de ce projet. Elle demeure la grande exigence de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste). M. Hervé Morin - Le groupe UDF votera cette exception d'irrecevabilité. En premier lieu parce que dans un monde complexe, divers, évolutif, l'aménagement et la réduction du temps de travail ne saurait intervenir par le biais d'une loi dirigiste et technocratique, uniforme et générale. Il faut faire une place à la différence, différence de taille des entreprises, de contraintes, d'organisation, de partenaires. En compliquant le droit social, en multipliant les règles, en précisant à l'excès le jeu social, en confisquant le dialogue social naissant, cette loi ne résoudra pas le problème du chômage. Elle n'améliorera pas non plus les performances de nos entreprises. Le coût de cette loi -60 à 70 milliards- est par ailleurs prohibitif pour notre économie. Elle instaure un nouveau système redistributif, comme si la France n'en avait pas assez ! Le texte est inconstitutionnel parce qu'il remet en cause le paritarisme et parce qu'il fait dépendre les réductions de cotisations sociales d'un accord d'entreprise. En outre, il ne créera pas d'emplois. On ne peut projeter sur le reste de l'économie les résultats de la première loi. En effet, on a obligé les entreprises publiques à faire du chiffre, on a fait un amalgame entre emplois créés et emplois sauvegardés, on a confondu création d'emplois et engagement à en créer, on a additionné les salariés qui étaient déjà aux 35 heures et ceux qui sont soumis à la loi Robien au bilan de ce Gouvernement, on a nié les effets d'aubaine, estimés à 50% non par l'affreux MEDEF mais par le Centre des jeunes dirigeants. Pour toutes ces raisons, et sans même pouvoir mesurer les risques de délocalisations, nous considérons que cette loi ne créera pas d'emplois et qu'elle affaiblira notre économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). M. Yves Rome - Vu de la fenêtre des libéraux, le monde n'est pas le même, M. Dord vient d'en faire la démonstration. Il ne croit pas aux effets bénéfiques de la loi mais à la seule loi du marché. Je le renvoie aux propos de M. Robert Buguet Président de la confédération de l'artisanat du bâtiment : « on ne signerait pas si on allait à la catastrophe. Partout où nous mettons en place les 35 heures la productivité s'améliore, nos collègues des grosses entreprises représentés par le MEDEF le savent bien et nous le disent. Mais nous, nous n'avons pas un double discours selon que l'on parle en privé ou en public aux médias. Seulement, notre entreprise est notre seule fortune ». Voilà qui fait tomber toute la démonstration de M. Dord ! Cette loi est issue d'une démarche originale. Nous avions voté en 1998 une loi incitative pour laisser aux partenaires sociaux le temps de mettre en _uvre la réduction du temps de travail. Le débat a eu lieu dans de nombreuses entreprises. Seize mille accords, plus de 125 000 emplois créés, nous ne voyons pas le même monde, Monsieur Dord ! Le changement ne repose pas sur la seule initiative de l'Etat, il est également mené par le mouvement social. Cependant c'est au législateur de fixer les temps sociaux et de garantir l'ordre public social. Selon la Constitution, la République est une et indivisible, nous devons donc déterminer les principales règles communes à l'ensemble des salariés. Les garanties doivent être les mêmes pour tous. Dans cette perspective, le texte fait autorité pour plus de protection des salariés. Il ouvre un processus qui modifie en profondeur les relations sociales. La réduction du temps de travail n'est pas fondée sur un modèle de société industrielle complètement dépassé, elle stimule au contraire l'effort de modernisation et de réorganisation interne des entreprises. Elle accompagne le changement d'organisation du travail. Le projet prévoit la variabilité des horaires et des aménagements permettront d'individualiser les calendriers des salariés. Il concilie aussi garantie et souplesse pour les entreprises et le personnel. Ainsi nous répondons aux attentes des salariés tout en faisant progresser collectivement l'entreprise. La vie personnelle et familiale des employés est enfin prise en considération. La réduction du temps de travail réintroduit l'humain dans l'économie de marché que vous voulez pour seule règle, elle instaure de nouvelles relations de travail au sein de l'entreprise. C'est pour toutes ces raisons que nous rejetterons cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). M. François Goulard - Le groupe DL votera cette exception d'irrecevabilité. Si nous avions eu besoin d'en être convaincus, le discours remarquable de Dominique Dord l'aurait fait. Cette loi est profondément contraire aux intérêts de notre pays. Elle sera pour les salariés, pour les entreprises, pour la collectivité une véritable catastrophe dans les années à venir. Je veux relever en particulier l'inégalité choquante instaurée à propos du salaire minimum. Nous ne cessons de le répéter depuis l'examen de la première loi sur les trente-cinq heures votée en juin1998 : il n'existe pas de solution satisfaisante permettant à la fois de maintenir le SMIC mensuel et de ne pas augmenter le SMIC horaire. Cette contradiction de départ que vous avez niée avec obstination se retrouve dans la deuxième loi : c'est un motif sérieux d'inconstitutionnalité. Aux termes de votre loi, des salariés percevront le SMIC en travaillant 35 heures alors que d'autres devront travailler 39 heures pour le même salaire. Les plus défavorisés seront ceux qui cumulent plusieurs emplois partiels pour atteindre le SMIC. Cette inégalité est illégale et contraire à notre loi fondamentale (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). S'il en était besoin, elle démontrerait que le souci social n'est pas celui qui vous anime en présentant cette loi funeste (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) M. Bernard Accoyer - Bien entendu, le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité excellemment défendue par M. Dord. D'abord, parce que ce projet est dangereux pour les salariés et pour les entreprises françaises. Ensuite, parce que ce texte contraignant et autoritaire mènera les entreprises dans une impasse, tant sur le plan national qu'international. Enfin, parce que cette loi revient, par la contrainte, sur celle votée en 1998. La logique de la création d'emplois est abandonnée. Vous manipulez les chiffres pour nous faire croire que la réduction autoritaire du temps de travail aurait permis de créer un nombre important d'emplois . Seriez-vous la seule, Madame la ministre, à avoir trouvé la pierre philosophale pour lutter contre le chômage alors que, partout dans le monde, chacun considère que cette réduction autoritaire du temps de travail ne permet pas d'y parvenir ? Bref, il s'agit d'un texte purement dogmatique, destiné à tenir une promesse électorale hâtivement faite il y a plus de deux ans, mais à quel prix pour les salariés dont les rémunérations ne seront plus équitables ? À quel prix pour ceux qui, grâce au travail en temps partiel, avaient trouvé un emploi et une dignité ? À quel prix pour nos entreprises, car les investisseurs se détourneront de la France ou pour celles qui, employant essentiellement des cadres et ingénieurs qui facturent leur travail au prix de journée, seront obligées de délocaliser leurs sièges sociaux ? A quel prix pour l'économie française, pour les salariés, pour la France ? Une telle gesticulation politique est inacceptable quand vous devriez vous atteler à réformer la protection sociale, à garantir les retraites et à maîtriser les déficits. M. Marcel Rogemont - 120 000 emplois créés ! M. Bernard Accoyer - Bref, parce que ce texte est inconstitutionnel, irrecevable pour la France et ses salariés, le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Mme la Présidente - Sur l'exception d'irrecevabilité, je suis saisie par le groupe DL d'une demande de scrutin public. M. Maxime Gremetz - Nous ne voterons pas cette exception d'irrecevabilité (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Sans doute n'êtes-vous pas surpris, chers collègues de droite, vous qui, avec le MEDEF, vous opposez depuis des décennies à la réduction du temps de travail à laquelle nous sommes favorables. Faut-il vous rappeler que les entreprises ont réalisé 2 136 milliards de profits l'an dernier, que M. Jaffré est parti avec 300 millions de stock options, que la cotisation boursière atteint 6 736 milliards ? L'argent va à l'argent au lieu de s'investir dans la formation, l'éducation ou la santé. Vous avez combattu la première loi sur les 35 heures alors que nous l'avons soutenue et enrichie. Vous voulez toujours plus de profit, plus de précarité, plus de flexibilité. Les députés communistes veulent que le débat ait lieu. Ils ont déposé de nombreux amendements car ils souhaitent que la réduction du temps de travail permette de libérer du temps pour la citoyenneté, de créer des emplois, de réorganiser le travail, d'accorder des droits nouveaux aux salariés et aux organisations syndicales. Evidemment, en l'état, le présent projet ne nous satisfait pas (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). C'est pourquoi nous défendrons vigoureusement nos propositions, en particulier celles destinées à favoriser les créations d'emplois. D'autre part, nous estimons que les 105 milliards affectés à la réduction du temps de travail doivent être contrôlés et que le pouvoir d'achat des salariés doit être maintenu, comme l'avait dit le Premier ministre dans son discours d'investiture. Bref, nous nous battrons pour une bonne loi sur les 35 heures (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). A la majorité de 211 voix contre 119 sur 330 votants et 330 suffrages exprimés, l'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée. Mme la Présidente - M. Jacques Barrot m'ayant fait savoir que la durée de son intervention pour défendre la question préalable excéderait une heure, il me paraît donc préférable de reporter cette discussion à notre prochaine séance. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir à 21 heures 15. La séance est levée à 19 heures. Le Directeur du service © Assemblée nationale |