Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1999-2000) |
Session ordinaire de 1999-2000 - 3ème jour de séance, 5ème séance 1ÈRE SÉANCE DU MERCREDI 6 OCTOBRE 1999 PRÉSIDENCE DE M. Laurent FABIUS Sommaire QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 RÉDUCTION DE LA TVA SUR LA RESTAURATION 2 APPLICATION DE LA DIRECTIVE NATURA 2000 2 RENTRÉE SCOLAIRE 3 RENTRÉE SCOLAIRE 3 NÉGOCIATIONS DANS LE CADRE DE L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE 4 SÉCURITÉ DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES 5 INTERNET 6 SITUATION DES HANDICAPÉS MENTAUX VIEILLISSANTS 7 ÉQUILIBRE DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 7 PROFESSIONS PARAMÉDICALES 8 FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE 9 NÉGOCIATIONS DE L'OMC 10 ÉLOGE FUNÈBRE DE MAURICE JANETTI 11 RAPPEL AU RÈGLEMENT 13 RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL (suite) 13 La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. RÉDUCTION DE LA TVA SUR LA RESTAURATION M. Michel Bouvard - Le groupe RPR avait demandé avec insistance, lors de la discussion de la résolution préalable au Conseil européen ECOFIN qui devait se prononcer sur l'extension du champ des réductions de TVA, qu'une telle mesure s'applique en priorité à la restauration. Bien que plusieurs de nos collègues d'autres groupes aient, dans le passé, défendu la même position, nous nous sommes sentis bien seuls au cours de ce débat, et nous avons constaté que le Gouvernement n'a pas demandé l'application d'une telle mesure. Son homologue portugais en a, lui, formulé la requête expressément, et le Premier ministre a indiqué récemment qu'il soutiendrait la demande du Portugal lors du prochain Conseil ECOFIN. Le Gouvernement soutiendra-t-il effectivement cette demande ? Et si le gouvernement du Portugal est entendu, les restaurateurs français peuvent-ils s'attendre à bénéficier eux aussi de cet avantage, qui mettrait un terme à des distorsions de concurrence bien connues et qui permettrait de créer des emplois ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF) M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Cela a été, pour le Gouvernement, un débat important que de déterminer s'il convenait de baisser le taux de TVA appliqué à certains produits ou services, puis de choisir entre ceux-ci. Comme vous vous en souvenez, nous hésitions entre la restauration et les travaux dans le bâtiment, et nous nous sommes rangés à l'avis de votre assemblée qui a adopté une résolution dans laquelle elle se prononçait en faveur d'une baisse de la TVA sur les travaux. Le Gouvernement a obtenu de ses partenaires qu'ils acceptent cette réduction, ce qui n'avait pas été le cas dans le passé, et les Français apprécient cette mesure. Vous nous félicitez donc de ce que nous avons fait, et je vous en remercie, mais vous souhaitez qu'ayant engagé une action que vous approuvez, nous allions plus loin. Comme vous le savez, la restauration n'était pas inscrite dans la liste des services susceptibles de se voir appliquer un taux de TVA moindre que le taux actuel. Dans ces conditions, que faire ? Ainsi que vous l'avez indiqué, le Premier ministre a déclaré que la France soutiendrait la demande du Portugal et, comme il n'y a pas de différence entre ce que fait le Gouvernement et ce que dit le Premier ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), votre question était donc inutile (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Si le Portugal est entendu, et si la liste des réductions de TVA s'ouvre à la restauration, nous considérerons l'opportunité de baisser le taux appliqué à la restauration en France, au cours des prochaines années. Il nous faudra en effet procéder à plusieurs réductions de TVA successives pour annuler la hausse à laquelle votre gouvernement a procédé (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). APPLICATION DE LA DIRECTIVE NATURA 2000 M. Patrice Martin-Lalande - En donnant raison à la coordination nationale Natura 2000, le Conseil d'Etat a censuré la manière d'agir de Mme la ministre de l'aménagement du territoire, soulignant que les préfets n'avaient pas disposé des délais réglementaires pour consulter les élus locaux avant d'établir la liste des sites proposés à la Commission européenne. La décision du Conseil d'Etat souligne donc l'échec de la concertation. Or si des sites doivent être classés, c'est qu'ils ont été bien gérés et, pour qu'ils continuent de l'être, il faut mobiliser ceux qui s'y emploient : agriculteurs, forestiers, pisciculteurs, ostréiculteurs... ce qui suppose un partenariat réel, fondé sur une parfaite transparence. La situation est telle que la France risque de se voir condamnée pour le retard qu'elle a pris dans l'application de la directive «habitats». Dans le même temps, le plus grand flou demeure quant à la manière dont la chasse pourrait continuer à être pratiquée dans certaines zones spéciales de conservation. Comment la ministre entend-elle éviter tout retard ultérieur, qui pourrait compromettre l'attribution des fonds structurels européens prévus par Agenda 2000 ? Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Le Conseil d'Etat a annulé la circulaire que j'avais adressée aux préfets le 11 août 1997 pour mettre fin au gel instauré par M. Juppé et, donc, pour tenter de rattraper le temps perdu et d'obtenir la suspension des poursuites engagées par la Commission en raison des retards pris par la France dans l'application de la directive. Je rappelle que cette circulaire avait reçu l'avis favorable du comité Natura 2000 au sein duquel siègent, à ma demande, représentants des chasseurs, des forestiers et des agriculteurs. La décision du Conseil d'Etat ne remet pas en cause la liste des sites choisis. Quant à la véritable raison du retard français, elle tient à l'immobilisme du précédent gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Bruno Bourg-Broc - Hier, en l'absence de M. Allègre, Madame la ministre déléguée à l'enseignement scolaire, interrogée sur certains dysfonctionnements qui ont marqué la rentrée scolaire, a fait une réponse pour le moins étonnante, expliquant les dérapages constatés par le nombre inhabituel de congés maladie. Donner de telles raisons à ces désordres dépasse l'entendement. C'est ainsi que se traduit la bonne gestion que devait garantir la déconcentration ! Par ses réponses trompeuses, le ministre prétend rassurer élèves, enseignants et parents : ils doivent avoir confiance, puisqu'il continue ses réformes ! Fallacieux espoir qui, pour les jeunes gens, conduit au désespoir (Huées sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Quelles mesures comptez-vous prendre pour que la situation réelle des écoles, des collèges, des lycées, soit en adéquation avec votre discours optimiste ? Quand gérerez-vous enfin sérieusement l'Education nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - J'accompagnais, hier, M. le Président de la République, en voyage en Espagne, ce qui explique mon absence. Je vous répondrai donc aujourd'hui, pour souligner que, quand nous prenons des engagements, nous les tenons. C'est ainsi que tous les postes prévus, sans exception, étaient pourvus le 1er septembre 1999 (Protestations sur les bancs du groupe du RPR). Les problèmes apparus tiennent d'abord à la difficulté plus grande à recruter des professeurs dans l'enseignement professionnel quand la reprise économique est là -celle-là même qui n'est pas apparue sous le précédent gouvernement (Protestations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Deuxième cause de difficulté : un taux d'absence qui a concerné près de 30 % des effectifs enseignants (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Une enquête va être diligentée à ce sujet et ce ne sont pas vos vociférations qui changeront cet état de fait. Quoi qu'il en soit, les remplaçants sont maintenant en poste, la réforme des lycées se met en place et celle des lycées professionnels progresse, en coopération avec les entreprises, comme je m'y suis engagé (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste). M. Franck Dhersin - Je ne peux me satisfaire de votre réponse, car il est manifeste que le sentiment des enseignants, des élèves et des parents n'est pas que la rentrée scolaire s'est bien passée. Alors que vous parlez de « zéro défaut » ils seraient bien davantage tentés de vous attribuer un « zéro de conduite »... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Le système éducatif est désorganisé et, comme l'année dernière, vous avez montré que vous étiez incapable de gérer la rentrée scolaire, alors même que vous avez bénéficié d'une baisse sensible des effectifs (Exclamations sur les bancs du groupe DL). Le budget de l'Éducation nationale va dépasser les 300 milliards de francs. Qu'en faites-vous, Monsieur le ministre ? Plus vous dépensez, plus l'illettrisme progresse dans notre pays ! Et quand comprendrez-vous que l'on ne peut gérer plus d'un million de fonctionnaires de manière centralisée ? L'immobilisme est votre seule ligne de conduite politique alors que nos concitoyens attendent des réponses concrètes et applicables (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Je pense qu'il vous a échappé que la déconcentration que vous réclamez, nous l'avons déjà faite... (Interruptions sur les bancs du groupe DL et du groupe du RPR) et que le dialogue sur le terrain entre les responsables d'établissement et les responsables administratifs est déjà engagé. Mais je m'étonne de vous entendre mener une telle attaque contre l'école publique à laquelle nous sommes pour notre part très attachés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Cette école moderne, déconcentrée, adaptée à notre temps, si vous l'aviez mise en place hier, vous n'auriez pas à en reparler aujourd'hui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). NÉGOCIATIONS DANS LE CADRE DE L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE M. Georges Sarre - La question s'adresse à Monsieur le secrétaire d'Etat au commerce extérieur (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). Les négociations qui doivent s'ouvrir à Seattle dans le cadre de l'OMC engagent l'avenir de milliers d'entreprises et de salariés de notre pays. Elles seront conduites au nom de l'Union européenne et de la France par la commission de Bruxelles, ce qui n'est pas très rassurant lorsqu'on connaît l'attachement de celle-ci à la loi de la libre concurrence, comme en atteste sa position dans la crise de la vache folle ou sur la question des transports routiers. La Commission s'est vu confier par les Etats membres un très large mandat de négociation pour l'agriculture, les services et de nombreux autres secteurs. Il semble que plus aucun secteur de l'activité humaine ne puisse désormais échapper au libéralisme prôné par la Commission, qui va en la matière bien au-delà des positions américaines. De quels moyens le Gouvernement français entend-il se doter, tant au niveau communautaire que dans le cadre de l'OMC, pour défendre les intérêts de nos salariés et notre modèle social ainsi que pour assurer un contrôle démocratique des négociations menées par un organe non élu tel que la Commission ? Sans régulation, il est fort à craindre que l'économie mondiale ne se trouve administrée par les seules multinationales. Je demande aussi un débat solennel à l'Assemblée nationale sur ces questions, afin que les parlementaires puissent formuler des propositions et prendre leurs responsabilités devant le pays (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe communiste et du groupe du RPR). M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur - Vous soulignez, Monsieur le député, à juste raison l'importance du cycle de négociation qui se tiendra prochainement à Seattle. La mondialisation, nos salariés en voient chaque jour les effets... Un député RPR - Moins que des 35 heures ! M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur - Ils sont positifs, aussi bien pour notre agriculture que pour notre secteur industriel. Dans le rapport économique et social annexé au projet de loi de finances pour 2000, vous constaterez que la part des exportations dans la production industrielle est passée de 32 % en 1986 à 47 % en 1999. Pour l'agriculture, la progression est de l'ordre de 4,7 % par an sur la même période. L'internationalisation de l'économie profite à la croissance et à l'emploi. Mais cela doit effectivement nous conduire à renforcer notre rôle au sein de l'OMC. Pour le nouveau cycle de négociations, qui s'ouvre pour une période de trois ans, le Premier ministre a rappelé que serait appliqué le principe de l'engagement unique. Rien ne sera considéré comme acquis si tout n'est pas acquis et il n'y aura pas de mécanisme irréversible. Le processus de négociation reste maîtrisé par les Etats membres : le mandat de négociation donné à la Commission reprend les orientations dont vous aviez vous-même été saisis lors du débat parlementaire de juin dernier sur l'OMC. Le Premier ministre est tout à fait favorable à l'organisation d'un nouveau débat parlementaire sur ce thème, dont le calendrier et les modalités seront arrêtées sous l'autorité de M. Daniel Vaillant. Je précise en outre que les négociations dans le cadre de l'OMC seront portées à l'ordre du jour de la Conférence économique qui se tiendra à Bercy le 10 octobre prochain (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe socialiste). SÉCURITÉ DES INSTALLATIONS NUCLÉAIRES M. Yves Cochet - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Elle a trait à l'accident nucléaire dit de « criticité », survenu sur le site japonais de Tokaimura, sur lequel un accident s'était déjà produit en 1997, qui avait fait l'objet d'un rapport falsifié. Et nous ne sommes pas dans le contexte de Tchernobyl en 1985 mais dans un grand pays moderne, riche d'une belle industrie. Là-bas aussi, donc, les salariés ne sont ni formés, ni informés sur les risques nucléaires ! Or je crois, pour ma part, que, contrairement à ce que disent certains, l'industrie nucléaire est plus dangereuse que les autres et imposent par conséquent une plus grande vigilance quant aux normes de sécurité. Dans quelques mois, vous présenterez un projet de loi sur la transparence nucléaire qui précisera la mise en cause des responsabilités en cas d'accident et les normes de radio protection. D'où ma double question. Les installations nucléaires ne devraient-elles pas être soumises à la réglementation applicable aux sites et installations classés ? En cas de manquement aux normes de sécurité, les sanctions financières et pénales applicables ne devraient-elle pas être renforcées ? Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Un accident grave, dit de « criticité » s'est effectivement produit sur l'unité de production d'uranium enrichi 235 du surgénérateur Royo du site de Tokaimura. Il s'agit vraisemblablement d'une erreur humaine qui s'inscrit dans un contexte plus large de relâchement des procédures de sécurité. Les autorités japonaises ont communiqué en toute transparence sur cet accident, qui fait suite à un incident de niveau III survenu en 1997. Mais il ne s'agit pas d'un risque spécifiquement japonais et de tels accidents se sont produits et pourraient se produire ailleurs. J'ai donc demandé au Directeur de la sûreté des installations nucléaires d'examiner les leçons qui pouvaient être tirées de cet accident, notamment pour notre site de production de Romans dont la technologie est différente mais qui présente des conditions d'exploitation assez proches. Je présenterai dans quelques mois un projet de loi visant une amélioration du système, conformément à l'engagement du Premier ministre dans son discours de politique générale de juin 1997 d'assurer la séparation des fonctions de production et de contrôle, comme cela se fait pour les installations classées des industries à risques. Il convient également de revoir l'importance des peines aujourd'hui limitées à 10 000 F d'amende pour les manquements les plus graves. Le projet de loi prévoit, enfin, une amélioration de l'information diffusée sur les risques encourus, conformément aux recommandations du Conseil supérieur de la sûreté et de la prévention nucléaire (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). M. Jean-Paul Bret - Ma question s'adresse à Madame la ministre de la justice. Le Premier ministre, à l'occasion de la vingtième université de la communication de Hourtin, en août dernier, a annoncé que des efforts seraient accomplis pour le développement des nouvelles technologies de l'information et de communication. Un projet de loi tendant à une régulation de l'espace public que constitue le « Web » devrait être présenté début 2000 et une consultation doit intervenir dans les prochains jours pour que le « net », immense espace de liberté et bel outil démocratique, ne devienne pas une arme redoutable contre les valeurs républicaines. Or, peu coûteux et efficace, le réseau offre des milliers de sites à la pédophilie, aux organisations sectaires, aux formations néonazies ou révisionnistes et aux mafias diverses. Quelles normes juridiques doivent s'appliquer au Net ? D'une manière plus générale, quelle politique entend conduire le Gouvernement en matière de contrôle et de régulation du Net ? Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Le 26 août dernier à Hourtin, le Premier ministre a réaffirmé la volonté du Gouvernement de faciliter le développement de la société de l'information. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication constituent en effet une formidable chance pour le développement économique, la création d'emplois, la diffusion de la culture mais aussi l'aménagement du territoire -certains territoires, aujourd'hui en voie de désertification, pourront demain, grâce au télétravail, être plus facilement reliés à d'autres. S'il convient d'aider au développement de ces technologies, il importe dans le même temps de se prémunir contre les risques qu'elles portent en germe. Il faut notamment garantir la protection de la vie privée que la multiplication et l'interconnexion de fichiers comportant des informations nominatives, des images, des données génétiques peuvent menacer. Il faut également protéger les consommateurs contre les risques de contrefaçon, et les créateurs contre ceux de piratage. Il faut aussi sécuriser les transactions : faire ses courses sur Internet, c'est très bien, encore faut-il être sûr que nul n'en profite pour utiliser frauduleusement un numéro de carte bancaire qu'il aura pu capter au passage. Il faut, enfin, veiller à ce que la Toile, cet exceptionnel instrument de liberté, ne puisse pas être utilisée de façon dévoyée par des organisations criminelles ou servir au blanchiment d'argent sale. Parce qu'une infraction pénale restera toujours une infraction pénale, où qu'elle soit commise, -je pense par exemple à des propos racistes-, des règles s'imposent. C'est dans cet esprit que le Premier ministre a annoncé trois projets de loi. J'ai d'ores et déjà présenté en conseil des ministres celui relatif au commerce électronique, qui conférera la même qualité de preuve à la signature électronique qu'à la signature papier. Le deuxième aboutira à la révision de la loi de 1978 dite Informatique et libertés. Enfin, une grande loi sur la société de l'information est en préparation. Sur ces trois projets, Catherine Trautmann, Dominique Strauss-Kahn et moi-même travaillons en étroite concertation. De nouvelles régulations, multipolaires, sont nécessaires, faisant largement appel à l'autorégulation, de façon décentralisée et transparente. Elles devront être harmonisées avec les règles européennes et internationales. Enfin, il faut éviter que se creuse un fossé numérique. Internet offre une formidable chance aux jeunes des quartiers défavorisés par exemple, qui sont immédiatement familiers avec son langage. Encore faut-il leur donner la possibilité d'y accéder. De même, il est de notre responsabilité de veiller qu'Internet ne devienne pas un nouveau facteur d'exclusion des pays en développement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). SITUATION DES HANDICAPÉS MENTAUX VIEILLISSANTS M. Marc Dolez - Après 60 ans, les personnes handicapées mentales perdent le bénéfice des dispositions de la loi de 1975 et relèvent alors d'un régime beaucoup moins favorable. Cette situation, contraire aux principes mêmes posés par la loi de 1975, est d'ailleurs paradoxale : c'est au moment même où leur vulnérabilité s'accroît que ces personnes perdent en protection. Madame la secrétaire d'Etat à la santé, que compte faire le Gouvernement pour y remédier ? Révisera-t-il la loi de 1975 comme cela s'impose ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe UDF) Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Le problème que vous évoquez a pris une ampleur nouvelle ces dernières années. Plus de 40 000 handicapés accueillis en établissement ont aujourd'hui plus de 60 ans. Nous devons trouver pour eux des solutions évitant le plus possible les ruptures. Cela étant, une personne handicapée bénéficie, à l'âge de 60 ans, comme le prévoit le droit commun, d'une pension de retraite ou d'une rente d'invalidité, ou, à défaut, du minimum vieillesse. La question demeure de savoir si, après 60 ans, elle acquiert le statut de simple personne âgée bénéficiaire du régime de l'aide sociale, auquel cas existe à son endroit une obligation alimentaire, ou si elle conserve celui de handicapé, auquel cas les éventuels redevables s'en trouvent exonérés. Aucune réponse simple n'a jamais été apportée, ni en droit ni en pratique. Un groupe de travail du Conseil d'Etat a souligné la force des arguments en faveur du maintien du régime de l'aide sociale à ces personnes, tout en pointant le risque d'entorse au principe d'égalité que cela pourrait représenter. Une autre solution devra donc être trouvée dans le cadre d'une réforme plus globale du dispositif d'aide sociale. Nous attendons les conclusions de la mission parlementaire pour engager avant la fin de l'année la révision de la loi de 1975. Nous poursuivrons donc dans les mois à venir la concertation nécessaire avec les associations représentatives des handicapés. S'agissant de la prise en charge, divers rapports ont conclu à la nécessité d'apporter des réponses diversifiées. Je compte m'appuyer notamment sur le rapport de Mme Guinchard-Kunstler dont les propositions en faveur des personnes âgées dépendantes pourraient s'appliquer aux personnes handicapées vieillissantes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). ÉQUILIBRE DES COMPTES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE M. Alfred Recours - A l'arrivée de ce gouvernement, le déficit de la Sécurité sociale atteignait 54 milliards. Il a été ramené en deux ans et demi à 4 milliards (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Nous aurions certes préféré qu'il fût nul dès cette année, comme nous l'espérions. Ce bon résultat est en grande partie dû aux effets de la croissance mais aussi aux grandes réformes engagées depuis deux ans et demi en matière de protection sociale (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Je songe notamment à la réforme des cotisations d'assurance maladie qui, soit dit au passage, a contribué à la relance de la consommation, donc à la croissance, et partant à la création d'emplois. Le Conseil des ministres a adopté ce matin le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000. Madame la ministre de l'emploi, quelles perspectives nous sont ouvertes pour régler de manière durable la question du déficit de notre protection sociale, que d'autres n'ont jamais su résoudre, sauf à relever les cotisations ou à multiplier les déremboursements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Vous avez bien rappelé les faits. 54 milliards de déficit en 1997, 4 milliards aujourd'hui (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) ; et sans doute un excédent de deux milliards l'an prochain, alors même qu'a été constitué un fonds de réserve pour les retraites qui sera d'environ 15 milliards au 1er janvier 2001. La croissance, la baisse du chômage, et les recettes complémentaires qui y sont liées, la réforme de la CSG, vous l'avez rappelé, expliquent pour une part la réduction du déficit. Mais les mesures correctrices que nous avons été amenés à prendre pour éviter certains dérapages, notamment de la part des radiologues, des cardiologues, des laboratoires pharmaceutiques, des dentistes ou des cliniques, n'y sont pas non plus étrangères. Pour la première fois, les honoraires médicaux seront cette année sans sanctions, contenus dans les objectifs fixés par le Parlement, naturellement pour les généralistes, après des mesures ad hoc pour les spécialistes. De même, même si elles restent trop élevées, pour la première fois cette année, les dépenses de médicament n'auront augmenté que de 5 %, soit 3 % de moins que dans la moyenne des pays industrialisés. C'est que nous avons développé les génériques, réévalué le prix des médicaments -ce à quoi personne ne s'était jamais attelé- et mis l'industrie pharmaceutique à contribution. Enfin, l'hôpital, tant critiqué sur certains bancs, tient son budget, évolue et remplit de mieux en mieux ses missions grâce à un personnel de très grande qualité et aux pôles d'excellence qu'il a su constituer dans chaque région, notamment en cancérologie et en néonatalogie. Il s'adapte aussi et de nombreux lits de court séjour sont convertis en lits de moyen et de long séjours, qui font tant défaut. Quelles sont les grandes réformes prévues dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000 ? Tout d'abord, donner à l'assurance maladie, comme elle l'a souhaité, entière liberté pour gérer la médecine de ville. En deuxième lieu, réserver le même traitement aux hôpitaux et aux cliniques. Tous deux recevront dorénavant des accréditations et se verront appliquer une tarification à la pathologie, même si nous n'oublions pas que l'hôpital public remplit des missions de service public, ne choisit pas ses malades, fait de la recherche... Ensuite, nous entendons poursuivre une politique familiale ambitieuse et équitable. Après que le bénéfice des allocations familiales a été prorogé jusqu'à l'âge de 20 ans, celui du complément familial et de l'allocation logement pour charges familiales le sera cette année jusqu'à 21 ans. Le pouvoir d'achat des allocations familiales comme des retraites sera revalorisé de 0,5 %. Enfin, nous engagerons une vaste réforme des cotisations patronales afin que le financement de la Sécurité sociale ne repose plus seulement sur les revenus du travail, mais aussi sur ceux du capital et du patrimoine, et en particulier sur les profits des entreprises polluantes. C'est ainsi que la quatrième loi de financement nous permettra de pérenniser l'excédent, sans augmenter les cotisations ni réduire les remboursements (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Claude Lanfranca - Madame la secrétaire d'Etat à la santé, suite à un rapport, le Gouvernement souhaite redéfinir la place des professions paramédicales. La création d'un office est en projet et une mission exploratoire travaille à sa constitution. J'aimerais que vous fassiez le point, devant la représentation nationale, des actions engagées par Martine Aubry et vous-même, en particulier des actions qui ont été présentées à ces professionnels en septembre, qu'il s'agisse de la complémentarité entre les interventions médicales et paramédicales, des recommandations de bonnes pratiques et du renforcement des réseaux et filières de soins (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Le Gouvernement souhaite en effet redéfinir la place des professions paramédicales dans l'offre de soins, afin d'améliorer le service rendu aux malades, ce qui implique de responsabiliser ces professionnels dans l'exercice de leur métier. Un groupe de concertation a travaillé pendant un an à définir les grandes orientations que vous venez de rappeler : complémentarité des interventions, recommandation de bonnes pratiques, renforcement de l'autonomie de ces professionnels, avec pour corollaire le renforcement de leur responsabilité économique, à partir de bilans rapprochés et d'un suivi des dépenses. En outre, nous étudions l'opportunité de créer un office chargé de faire appliquer les règles de déontologie et de bonnes pratiques. C'est votre collègue Nauche qui est en charge de ce dossier. Il s'agit d'un effort sans précédent de modernisation. L'ensemble des professionnels que Martine Aubry et moi-même avons reçus le 1er septembre se sont montrés satisfaits. La mise en _uvre de cette réforme se poursuivra dans la concertation, pour le plus grand bien des usagers (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE M. Jean-Luc Préel - Madame le ministre des affaires sociales, vous avez présenté ce matin votre projet de loi de financement de la Sécurité sociale en conseil des ministres. Vous êtes satisfaite ; nous ne le sommes pas. Vos comptes ne sont pas présentés de manière sincère. Nous sommes inquiets pour l'avenir des retraites. En outre, vous ne tenez pas compte de certains engagements non financés et vous masquez de nombreux reports de crédits dans le domaine hospitalier, qu'il s'agisse des dépenses de personnel ou de médicament. C'est le cas de la prime de service dans de nombreux hôpitaux, ce qui inquiète le personnel. Le passage aux 35 heures n'est pas financé. Le déficit de l'assurance maladie, contrairement à vos déclarations, a augmenté, passant de 9,6 milliards en 1999. Et pourtant, vous ne prenez pas pour base les besoins de la population et vous négligez la prévention. Si le déficit semble maîtrisé, c'est parce que vous avez augmenté les prélèvements, contrairement à ce que vous dites. Les retraités qui nous regardent le savent, eux qui paient la CSG : sept milliards d'augmentation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Vous prenez en compte un excédent de 4 milliards, dans la branche retraite, dont l'avenir est pourtant si préoccupant, et vous ne faites rien pour financer les futures retraites, malgré l'urgence. Ne nous répondez pas que c'était pire avant ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Cela fait maintenant deux ans et demi que vous êtes en charge de ces dossiers. Rappelez-vous aussi qu'en 1993, vous nous aviez laissé un déficit de 100 milliards ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Réglez les problèmes d'aujourd'hui. Comment comptez-vous assurer l'avenir des branches famille, santé et retraite sans recourir à des artifices ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Les faits, toujours les faits : la démocratie l'exige. Avant 1993 : 15 milliards de déficit. Après l'arrivée de la droite : 50 milliards (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Voilà la réalité ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) M. le Président - Un peu de silence. Vous semblez redouter la réponse (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV ; claquements de pupitres sur les bancs du groupe du RPR). Mme la ministre a seule la parole. Mme la Ministre - Ce qui m'attriste, dans votre question, c'est que vous donnez l'impression de regretter que la Sécurité sociale retourne à l'équilibre ! (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Vous osez par ailleurs douter de la sincérité des comptes, pourtant visés par un magistrat de la Cour des comptes ! On ne peut pas dire de telles choses en démocratie ! Vous dites que nous masquons des dépenses... (« Oui ! » sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Dans ce cas, nous n'enregistrerons pas d'excédent l'année prochaine. Vous verrez pourtant que ce sera le cas. Certes, les dépenses, qui ont augmenté, sont de 2,3 milliards supérieures à l'objectif, à cause des dépenses de médicament. Mais pour les honoraires, nous sommes dans les clous, et je pense qu'il en sera de même l'an prochain pour les médicaments. Comment, vous qui avez pendant quatre ans réduit le pouvoir d'achat des retraités, pouvez-vous dire que nous ne pensons pas à eux, alors que nous leur avons rendu 1 % de pouvoir d'achat ? Comment pouvez-vous affirmer que nous gaspillons les excédents de la branche retraite, alors que nous constituons un fonds de réserve ? Vous avez peu d'arguments, devant une Sécurité sociale qui se redresse. A l'avenir nous pourrons mieux rembourser certaines dépenses en nous efforçant de régler le problème des retraites (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Jean-Claude Lefort - Monsieur le secrétaire d'Etat au commerce extérieur, les négociations de l'OMC qui vont s'engager à Seattle concerneront tous les secteurs de l'activité humaine. Elles soulèvent d'abord le problème du rôle respectif du politique et de l'économique. contrairement à ceux qui pensent que doit toujours prévaloir la loi du marché -pensons à l'AMI- nous considérons que l'économie doit rester subordonnée au politique et c'est pourquoi nous nous félicitons que le Gouvernement ait accepté d'organiser ici un débat sur ce sujet. L'autre question est de savoir qui l'emportera, des intérêts particuliers ou de l'intérêt général. Alors que le PNUD vient de montrer que les inégalités se sont renforcées, d'aucuns souhaitent aller plus loin dans cette voie, acceptant l'idée d'un monde unipolaire et uniforme. Il nous faut agir en faveur d'une mondialisation du progrès. Monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est pas la France, mais l'Union européenne qui négociera à Seattle. Il faut donc travailler de façon claire et transparente avec la Commission. Pouvez-vous indiquer, plus nettement qu'auparavant, quelles seront les grandes lignes défendues par le Gouvernement au cours du conseil européen du 11 octobre prochain, qui a pour objet la définition du mandat de négociation de la Commission européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe RCV) M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur - Le débat parlementaire de juin a montré qu'il existait une convergence entre vos préoccupations et celles du Gouvernement. Comme vous, je suis partisan du primat du politique sur l'économique. C'est bien le rôle de l'OMC, d'ailleurs, que d'imposer au marché des règles négociées entre Etats. S'agissant des conséquences de l'ouverture commerciale sur le développement, le bilan est contrasté, mais pas négatif, comme l'a rappelé le Groupe des 77. Des propositions concrètes seront faites pour éviter une mondialisation à deux vitesses. Quant au mandat de négociation, nous avons suivi les orientations définies en juin. Le conseil informel des ministres du commerce extérieur qui s'est tenu à Florence a montré qu'il y avait un large consensus entre les Quinze. Sur l'agriculture, les ministres se sont mis d'accord, le 27 septembre, sur des objectifs reprenant toutes nos préoccupations. Deux questions restent ouvertes, sur lesquelles, à Florence, j'ai défendu avec fermeté nos positions : la prise en compte par l'OMC des règles sociales de base définies par l'OIT et le soutien des Etats à la création et à la diffusion d'_uvres audiovisuelles. Il faut absolument préserver le principe de l'exception audiovisuelle posé à Marrakech. L'OMC est aujourd'hui observée par nos concitoyens et nous avons le devoir de réussir dans la défense de nos intérêts (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). ÉLOGE FUNÈBRE DE MAURICE JANETTI (Mmes et MM. les députés et membres du Gouvernement se lèvent) M. le Président - Maurice Janetti était un homme de la Méditerranée. Entre les deux guerres, sa famille, chassée par l'adversité, avait quitté l'Italie pour venir s'installer dans le Haut-Var. Fidèle au souvenir de ses parents, Hermitte et Madeleine, fidèle à ses racines, Maurice Janetti n'oubliait jamais de se présenter comme un fils d'immigré. Au début de l'été, la mort l'a emporté dans son sommeil. Il était né en 1933, là où il repose, à Seillons-Source-d'Argens, un petit village distant de quelques kilomètres des vingt hameaux de la commune de Saint-Julien-le-Montagnier qu'il a administrée jusqu'au dernier jour. C'est dans l'ancienne école où il avait débuté qu'il avait logé sa mairie. Il y occupait, en tant que maire, l'ancien bureau du directeur. Comme les autres enfants, avec les cahiers et les encriers, il y avait apporté autrefois du bois pour se chauffer et une gamelle pour manger. Il avait le souvenir lumineux de ces années d'orgueilleuse pauvreté. De là venait sans doute l'origine de son engagement. C'était là qu'il avait compris qu'en République c'est par le mérite que devait se former l'élite. De la blouse grise des hussards noirs à son écharpe bleu-blanc-rouge, c'était une manière de dire, avec la Fédération des _uvres laïques ou par la création de centres de vacances pour enfants, que la boucle était bouclée. Il était vêtu d'un éternel costume de velours noir et c'était un personnage à la Frédéric Mistral. Il en parlait la langue, qu'il avait apprise enfant et jamais oubliée. Il en portait le gilet brodé, dans lequel on glisse une montre de gousset. Silencieux, presque taciturne au Palais-Bourbon, il devenait disert aussitôt chez lui, dans le Verdon. Sous le soleil, il arpentait la garrigue, il écoutait le bourdonnement des abeilles, suivant l'odeur du thym et du laurier. Sur son chemin, tout paysan, tout cultivateur, tout vigneron rencontré pouvait engager la conversation. La saison qui serait sèche ou pluvieuse, la route ou le pont à refaire, les mots quotidiens de ceux qui savent qu'ils n'ont pas besoin d'en rajouter pour être estimé. Son visage était buriné, ses yeux malicieux : tout cela disait son histoire et sa légitimité, celle d'un républicain de bonne volonté. Il aimait simplement l'action politique et, par civisme, croyait en ce qu'il accomplissait pour le bien commun. En matière d'environnement, partisan spontané du développement durable, Maurice Janetti aurait pu rendre des points à beaucoup. Pour défendre une certaine idée de la France méridionale, agreste et pastorale, c'est en batailleur acharné qu'il menait des combats durs. Combien de préfets ont fini par craquer, à son dixième coup de téléphone, lorsqu'il demandait leur aide, le printemps venu, pour accomplir le travail de débroussaillage et éviter que trois mois plus tard, des hectares ne partent en fumée. Les ingénieurs d'EDF se souviennent de sa détermination -le mot est faible- pour qu'une ligne à haute tension ne vienne pas défigurer une terre où il ne voulait voir que des chênes et des oliviers, des vignes et des blés, des troupeaux et leur berger. Cette fascination pour la nature coexistait avec le fait qu'il était chasseur et, même sans doute un peu braconnier. Sous la garde de son chien Icare, avec son fusil, renards et bécasses le saluaient et le respectaient, disait-il avec le plus grand sérieux. En matière d'intercommunalité, Maurice Janetti avait su avancer. Sur chaque berge du Verdon, des communes, des cantons se regardaient en chiens de faïence. Pour sauver un territoire et des paysages, pour faire s'asseoir à une même table tous ceux que l'avenir d'une vallée concernait, Maurice Janetti avait piqué une colère comme il en avait l'habitude, terrible, brève et sans rancune. Des emplois, une activité, des ressources en eau, des myriades de villages magnifiques et le Verdon, voilà ce qu'il avait su préserver. Quand on le félicitait, il se limitait à répondre : « J'avais un projet et je voulais le faire partager ». Maurice Janetti ne mettait pas son drapeau dans sa poche : à gauche une fois pour toutes. Sénateur succédant en 1978 à Pierre Gaudin, décédé dans les mêmes conditions que lui, conseiller régional, député en 1986, puis en 1996, à la faveur d'une élection partielle et encore en 1997, il était immuable dans la victoire ou l'adversité. Ses adversaires le savaient courtois en campagne, mais ils craignaient sa flamme. Il avait embrassé une fois pour toutes la cause républicaine en rejoignant le parti socialiste aux côtés de Jean-Pierre Chevènement. Par la suite, il avait professé des opinions qu'il partageait avec Jean Poperen, devenu son ami. Il se comportait en laïc déterminé, avec l'élégance, disait-il, d'entretenir soigneusement les trois églises de sa commune, déplorant d'un même souffle l'érosion des pierres, le silence des clochers et l'absence de curé. Cet humaniste se désespérait de ne pas avoir un Don Camillo à fréquenter... C'était aussi, avant l'heure, un défenseur de la ruralité. La ville, il ne l'aimait pas beaucoup et n'y venait guère. Il préférait les fontaines de sa « terre promise » au béton des agglomérations. « Un village qui lit est un village qui vit » répétait-il aussi. Au volant de sa voiture, sorte de bureau encombré de journaux, il arpentait sa circonscription très vaste en allant à travers la montagne au-devant de ses administrés. Il visitait toutes les communes, il parlait aux uns et aux autres dans une de ses permanences, il se faisait un devoir de tenir. Qu'il vente, qu'il grêle ou dans l'orage ou la canicule, pour voir un ami secrétaire de section allant gaillardement sur ses 90 ans, il avalait encore quelques dizaines de kilomètres supplémentaires. Bien sûr, il pouvait arriver en retard et c'était même chez lui une règle. Mais quand on a un député qui, chemin faisant, fait son marché de fromages de chèvre ou tombe en arrêt devant un âne et qui, après l'avoir acheté à son propriétaire ébahi, entreprend de le faire grimper dans son véhicule pour ne pas s'en séparer, il faut s'attendre presque à tout ! Qu'importe d'ailleurs, puisque à quelque heure qu'il arrive, Maurice Janetti, devant l'assistance, improvisait un discours qui rappelait davantage, en matière de club, les Cordeliers que l'Interallié, citait de mémoire Neruda, et emportait l'adhésion. Il ne se ménageait pas. Mes chers collègues, le peuple des hautes terres, orphelin, a accompagné son cercueil recouvert du drapeau tricolore. Vous ne l'entendrez donc plus fredonner Ferré ou Mouloudji. Je pense, nous pensons, aujourd'hui à sa famille, à ses enfants Jacques, Frédéric, Christian, à son ancien suppléant, à ses amis du groupe et du parti socialiste. Dans toute vie, lorsqu'elle s'achève, il y a souvent un message ou un symbole. Le 18 juillet dernier, Maurice Janetti était venu à Toulon, malgré la fatigue, à une commémoration. C'était celle de la rafle du Vel'd'hiv. Nous n'oublierons pas Maurice Janetti. (Mmes et MM. les députés et membres du Gouvernement observent une minute de silence) M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement - Au nom du Gouvernement, je tiens à m'associer à la peine de l'Assemblée nationale et à celle de la famille de Maurice Janetti, député de la 6ème circonscription du Var, dont nous honorons aujourd'hui la mémoire. Je ne reviendrai pas sur son parcours : maire de Saint-Julien-le-Montagnier depuis 1965, conseiller général de Rians depuis 1974, parlementaire pendant quatorze ans, d'abord sénateur, puis député, ce qui est assez rare. Je saluerai aussi en lui un compagnon de Jean Poperen, dont il a été le conseiller lorsque ce dernier était ministre des relations avec le Parlement, de 1988 à 1991. Maurice Janetti était un militant socialiste sincère, un homme de convictions, fidèle, sa vie durant, aux idéaux humanistes et républicains. Il était également très attaché à son département du Var, qu'il n'a jamais quitté, mais aussi à la région Provence-Alpes-Côted'Azur. Avec Maurice Janetti, nous avons perdu un ami, un homme de c_ur, un homme de convictions. Au nom du Gouvernement, je veux transmettre à sa famille, à ses collègues du Var et aux membres du groupe socialiste mes sentiments d'amitié sincère et chaleureuse. La séance, suspendue à 16 heures 10, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Forni. PRÉSIDENCE DE M. RAYMOND FORNI vice-président M. Jacques Limouzy - Mon rappel au Règlement, pour insolite qu'il puisse vous paraître, se fonde sur l'article 58, qui règle nos débats et donc aussi l'entrée dans cette salle. Nous avons vu apparaître à la rentrée deux bustes éminents dans le salon Pujol situé à ma gauche mais au vomitorium de droite. M. le Président - Ce n'est pas le salon que je fréquente le plus volontiers mais vous allez m'expliquer tout cela... M. Jacques Limouzy - Mais dans le même temps, nous n'avons vu apparaître aucun buste dans le salon de gauche, ce qui contrevient à l'équilibre traditionnel dans cette maison. Il y a en effet dans le salon des Quatre colonnes Jean Jaurès d'un côté, Albert de Mun de l'autre. De même il y a, dans le couloir qui mène au chalet de nécessité les deux battus -hélas- de l'élection présidentielle qui précéda le Second Empire, Lamartine d'un côté, Cavaignac de l'autre. Ma question est donc simple, vous la poserez à qui vous voudrez mais cela relève bien d'une décision du Bureau : pourquoi a-t-on choisi Gambetta et Charles Floquet ? Aux jeunes qui me demandent, à moi qui suis l'un des plus anciens ici, ce qu'ils font là, je suis bien obligé de dire que je ne les ai pas connus personnellement et que je l'ignore... De l'autre côté, nous attendons les bustes de la gauche, dans le salon Delacroix et je souhaite que l'on nous dise qui va y apparaître. Enfin, il conviendrait d'informer l'Assemblée de ce remue-ménage dans les équilibres qui président à l'entrée de cette salle des séances d'autant que certains pourraient être impressionnés par la présence de bustes, certes soigneusement nettoyés, ou par l'absence d'autres bustes. M. le Président - L'article 58 règle nos débats dans l'hémicycle mais je ne me hasarderai pas à prétendre qu'il règle aussi les débats au sein de l'opposition dans les salons qui précèdent cette salle. Je n'ai pas de réponse à vous apporter pour l'instant mais le Bureau évoquera la grave question du motif du déplacement de ces statues, qui semble vous préoccuper beaucoup. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail. M. le Président - Hier soir, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale. J'invite chacun à respecter scrupuleusement le temps de parole qui lui a été imparti, car il nous reste 4 heures 25 de discussion générale. M. François Goulard - La politique de réduction imposée -et non négociée- du temps de travail que vous avez engagée il y a deux ans et que vous confirmez aujourd'hui restera une des grandes erreurs de cette législature. Elle s'inscrira au nombre des grands reculs et des grands retards que notre pays doit aux gouvernements de gauche. Sur l'échelle des catastrophes socialistes, elle atteindra le niveau des nationalisations de 1981. La France, par extraordinaire, est le seul pays au monde qui adopte une telle orientation. De même, en 1981, la gauche française nationalisait alors que le monde connaissait un vaste mouvement de libéralisation. M. Yann Galut - On en voit les résultats dans les transports en Angleterre ! M. François Goulard - Plus récemment, vous avez enterré le dossier des retraites quand tous les autres pays ont fait de leur sauvegarde une priorité absolue. Et lorsque le gouvernement de Lionel Jospin impose une politique de réduction imposée du temps de travail, il est absolument le seul à le faire. D'ailleurs ses amis politiques, travaillistes anglais et sociaux-démocrates allemands ne cachent ce qu'ils pensent des 35 heures : ils s'en réjouissent à condition qu'elles s'appliquent en France et parce que cela rendra leurs économies plus compétitives. L'Italie, qui avait récemment envisagé une réduction du temps de travail, a reculé, en particulier parce que les syndicats n'étaient pas réceptifs. En Allemagne, dans certaines branches confrontées à des difficultés, on avait réduit les horaires de travail -sans éviter d'ailleurs les licenciements-, or on assiste aujourd'hui à un allongement de la durée du travail. Dans les pays qui nous entourent, où la durée du travail relève de la convention collective, nul ne songe à introduire une réglementation là où les choses s'organisent par la négociation. Nul ne songe non plus à inciter financièrement à la réduction du temps de travail. Quand elle se produit, c'est à la suite d'un choix souverain des partenaires sociaux. Et si nul ne songe aux solutions que vous prétendez mettre en _uvre, c'est bien parce que la réduction imposée du temps de travail est une absurdité économique et une absurdité sociale. C'est une absurdité économique car, contrairement à ce que vous affirmez, votre loi aura pour conséquence de réduire l'emploi et non de l'augmenter. Aucun économiste sérieux ne soutient que la réduction du temps de travail est un moyen de lutte contre le chômage, et pour cause : aucune expérience, ni en France ni à l'étranger, ne l'a jamais démontré ! En 1982, le gouvernement Mauroy a décidé de diminuer d'une heure la durée hebdomadaire du travail et d'allonger d'une semaine la durée des congés. Ces mesures se sont donc traduites par une réduction très sensible de la durée du travail, qui n'a eu aucun effet positif sur l'emploi... M. Dominique Dord - Au contraire ! M. François Goulard - Au contraire, en effet, puisque les années qui ont suivi l'application de ces mesures ont été caractérisées par une forte augmentation du taux de chômage. En fait, votre foi -puisque c'est bien d'un acte de foi qu'il s'agit- repose sur deux croyances également erronées, la première étant que les progrès de la productivité nous condamnent à la réduction du temps de travail. C'est la vieille crainte des machines qui resurgit, celle qui s'est perpétuée depuis la révolte des canuts et qui a aujourd'hui pour objet l'ordinateur. Mais la peur ne fait pas une théorie économique valide et, en la matière, c'est une ineptie car les gains de productivité ont été tels, depuis le début de la révolution industrielle, que l'on ne devrait, à vous en croire, ne plus travailler qu'une heure par jour si l'on suivait votre raisonnement à son terme ! Or l'histoire économique montre que les périodes de forts gains de productivité -et de croissance démographique- sont aussi des périodes sans chômage. Soulignera-t-on jamais assez que le taux de chômage a constamment été inférieur à 2 % au cours des « Trente glorieuses », entre 1945 et 1975 ? Votre seconde croyance, aussi infondée que la première, est qu'il existe un nombre constant d'heures de travail, que l'on pourrait répartir à sa guise entre tous. Il n'en est rien ! Non seulement ce nombre n'est pas constant, mais croire pouvoir répartir ce contingent d'heures que vous supposez fixe aura pour conséquence de le réduire. Pourquoi ? Les embauches que vous espérez obtenir après avoir réduit le temps de travail seront infiniment moins nombreuses que vous ne l'espérez. Qui empêchera les entreprises de préférer les investissements aux recrutements ? Qui mettra un terme à la pénurie de productivité de main-d'_uvre qualifiée ? Qui fournira aux petites entreprises les ressources nécessaires aux recrutements censés compenser les heures perdues, alors que les coûts salariaux auront bondi ? Et que dire des multiples effets économiques de cette loi, que vous taisez, et qui vont, tous, dans le sens d'une réduction des emplois ? Je mentionnerai, outre la hausse considérable des coûts salariaux, précédemment évoquée, l'augmentation des prélèvements obligatoires et la perte de production liée au durcissement des règles relatives aux heures supplémentaires. Ce n'est certes pas sans raison que mon collègue Jacques Barrot parlait, hier, de « contingentement de la production » ! Sans aucun doute, le passage aux 35 heures créera d'innombrables goulots d'étranglement qui seront autant de causes d'amoindrissement de la richesse collective. Pour ne donner qu'un seul exemple, où les sociétés d'informatique, qui croulent déjà sous les commandes, trouveront-elles les ingénieurs et les techniciens qui leur font si cruellement défaut ? Votre loi est fondée sur des postulats qui révèlent une conception malthusienne de l'économie, qui vous conduit à vouloir partager la pénurie. Mais en bridant, en contraignant, vous obtiendrez le résultat inverse de celui que vous escomptez. Comment ignorer que plusieurs pays connaissent aujourd'hui le plein emploi, sans avoir jamais eu recours aux moyens que vous voulez utiliser ? Comment passer sous silence qu'il en est ainsi aux États-Unis où l'on constate, depuis dix ans, l'allongement de la durée du travail ? En outre, le recul du chômage, certes incontestable, est beaucoup moins rapide en France que dans la plupart des autres pays, y compris tous ceux qui accusaient un taux de chômage moindre que le nôtre. Il suffit, pour s'en assurer, de se reporter aux statistiques de l'OCDE qui portent sur la période allant de juin 1997 à juin 1999 ; elles indiquent que la décrue a été de 23 % en Espagne, de 32 % en Suède, de 33 % en Irlande, de 20 % en Finlande, de 33 % au Portugal, de 40 % aux Pays-Bas -pour un taux de chômage initial de 5,5 %- et de 14 % aux États-Unis, le taux de chômage étant tombé de 5 % à 4,3 % de la population active. Pendant ce temps, en France, le recul n'est que de 11,2 %... C'est dire que le bilan, qui a fait l'objet d'une assez immodeste publicité, de votre première loi ne nous impressionne que modérément. Pour nous, les 120 000 emplois dont vous annoncez la création ne sont qu'autant de trompe-l'_il, car vous avez étrangement oublié la colonne des suppressions d'emplois qui ont eu lieu pendant la période que vous considérez. De plus, vous comptabilisez sous un même intitulé diverses catégories d'emplois, ce que rien ne justifie. Et pour ce qui est des emplois dans les entreprises publiques, on constatera qu'outre avoir été annoncés mais non encore créés, ils obéissent à des ordres gouvernementaux. Quant aux emplois dits « préservés », leur pérennité, qui découle des conventions passées avec l'Etat, est aléatoire. D'une manière plus générale, ce mode de comptabilisation n'a aucun sens car rien ne permet de dire que ces emplois n'auraient pas été préservés sans le dispositif mis en place. Mme Odette Grzegrzulka - Que de mensonges ! M. François Goulard - De même, pour ce qui est des emplois prétendument créés, il ne s'agit que d'engagements, et rien, une fois encore, ne permet d'affirmer qu'ils ne l'auraient pas été, même sans l'aubaine que votre dispositif a constituée pour certaines entreprises. Les conventions passées par vos services nous permettent de constater que le rythme des créations d'emplois dans les entreprises, grâce au bénéfice de subventions de l'Etat, ne s'est pas sensiblement modifié depuis l'année dernière. On ne constate aucune inflexion favorable imputable à la première loi sur les 35 heures. Si l'on considère par ailleurs que pour les entreprises de plus de vingt salariés, les 35 heures constituent une certitude dès le 1er janvier 2000... M. Gérard Terrier - Quand vous aurez voté sa loi ! M. François Goulard - ...pourquoi, alors, celles de ces entreprises qui ont l'intention de créer des emplois n'y ont-elles pas procédé par anticipation afin de bénéficier des dizaines de milliers de francs de subvention versés pour chaque salarié embauché ? Moins de deux pour cent des entreprises ont pris cette décision, pourtant rationnelle du point de vue économique. Alors, au lieu d'un communiqué de victoire semblable à ceux auxquels vous nous avez habitués, je vois dans ce projet de loi l'annonce d'un échec programmé. Mme Odette Grzegrzulka - Cassandre ! M. François Goulard - L'absence d'anticipation rationnelle de la part des chefs d'entreprise annonce l'échec de la loi ("Très bien !"sur plusieurs bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). C'est d'ailleurs ce que les chefs d'entreprise vous disent depuis la première loi. Or vous avez fait le choix de ne pas les écouter en négligeant le fait que l'emploi se crée dans les entreprises et non par des textes de loi. Mais je serais injuste en vous accusant de ne pas en être consciente. Car l'article 2 du projet prévoit une période transitoire pour le régime des heures supplémentaires notamment, comme si vous craigniez l'échéance fatidique de 2002. Si le texte est voté en l'état, beaucoup d'entreprises pourront continuer à appliquer les 39 heures pour un coût modique et je comprends bien que cette disposition attire les foudres de certains membres de votre majorité. Je remarque aussi que lors de la présentation de la première loi, votre discours était centré sur les créations d'emplois obtenues grâce aux 35 heures, soit un propos bien éloigné de vos considérations généreuses sur le temps libre de cette année, où l'emploi passe au second plan. Absurdité économique, donc, mais aussi absurdité sociale qui pèsera sur le sort des salariés... M. Gérard Terrier - Des clichés ! M. François Goulard - A qui fera-t-on croire qu'avec quatre heures de travail de moins, les salariés payés au SMIC ne subiront pas une limitation mécanique de leur rémunération ? Votre projet débouche au mieux sur une modération salariale et au pire sur un gel des salaires. Il n'est pas possible d'obtenir à la fois du temps libre et plus de revenus. C'est vous qui faites, à la place des salariés, le choix arbitraire de plus de temps libre et de moins de revenus. C'est donc à une liberté fondamentale de choix que vous vous attaquez car si certains de nos compatriotes aspirent légitimement à plus de temps libre, d'autres font tout aussi légitimement le choix de plus de revenu. Votre position indéfendable sur le SMIC fait courir le risque d'instauration d'un « sous-SMIC », avec une baisse de revenu de 10 % ou le développement de contrats de 34 heures payés 34 fois au taux du SMIC horaire, soit moins que le SMIC actuel. Est-ce là un progrès social ? De même, la modulation et l'annualisation du temps de travail introduite en contrepartie des 35 heures ne joue pas toujours en faveur des salariés. Du point de vue social, le prélèvement de 10 % sur les heures supplémentaires n'est pas davantage admissible. Mme Marie-Thérèse Boisseau - Il est même scandaleux ! M. François Goulard - Quel sens donner à une réduction du temps de travail alors que nous savons tous qu'il sera nécessaire dans un avenir proche de retarder l'âge de départ en retraite ? Où est la logique alors que nous avons déjà en France la durée de vie active la plus courte qui soit («Tant mieux !» sur les bancs du groupe socialiste). Il n'est pas raisonnable de prétendre réduire la durée du travail lorsque l'on sait qu'il faudra allonger la durée de la vie active ! M. Yann Galut - Ce n'est pas prouvé. M. François Goulard - Votre projet marque aussi un recul pour la négociation collective en ce qu'il remet en cause les accords les plus récents conclus par les partenaires sociaux. Comment développer la confiance dans la négociation collective si elle est soumise au couperet de la loi ? Et si votre projet comporte plusieurs accords, il en restreint l'application. Tout cela aboutit à la négation d'un véritable dialogue social. Je souhaite m'attarder sur quelques dispositions importantes eu égard à leur poids économique et financier. Le dispositif d'allégement de charges prévoit un déplacement gigantesque, de l'ordre de 100 milliards de francs par an, rare compensation de l'appréciation des coûts salariaux. Le financement de ce grand mouvement entre prélèvements et subventions suscite quelques inquiétudes ; il relève en fait de la logique du chèque sans provision et annonce une sorte de hold-up sur l'UNEDIC et les organismes de Sécurité sociale M. le Président - Veuillez conclure. M. François Goulard - Je n'ai pas pu parler hier soir parce que M. Gremetz avait dépassé son temps de parole. M. Maxime Gremetz - Qu'est-ce que c'est que cette agression ? M. le Président - Je vous donne une minute, Monsieur Goulard. M. François Goulard - S'il y a ponction sur ces organismes à raison des créations d'emplois suscitées, ne serait-il pas sage d'attendre qu'elles interviennent ? Sur un plan économique, ce mécanisme d'alourdissement des prélèvements pour financer partiellement les surcoûts liés au passage aux 35 heures est une aberration. Il s'agit d'un impôt supplémentaire considérable que l'ensemble des Français subira sur ses revenus du travail pour financer son travail. Ce texte fait aussi réaliser un considérable bond en avant à la complexité du code du travail avec l'introduction de dispositions incompréhensibles qui nécessiteront pour devenir applicables des années d'interprétation et de jurisprudence. Vous auriez dû penser aux PME, qui seront les premières victimes du dispositif du fait de leurs difficultés à compenser les surcoûts. Or les créations d'emplois interviennent essentiellement dans les PME et non dans les grandes entreprises... M. le Président - Vous avez épuisé votre temps de parole, Monsieur le député. M. François Goulard - Soit, mais je constate que la tolérance est sélective. Plusieurs députés DL, UDF et RPR - Deux poids, deux mesures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR) M. le Président - J'indique à l'Assemblée que j'entends faire respecter strictement les temps de parole. Mme Catherine Génisson - Je suis délibérément à côté de celles et ceux qui croient que la réduction du temps de travail exprime « le souci de solidarité qu'un pays peut manifester dans le domaine de l'emploi, qu'elle modifie les relations dans l'entreprise et notre façon de vivre ». M. Gilbert Gantier - Quelle surprise ! Mme Catherine Génisson - Soit, ce n'est pas une surprise... (Sourires) La loi du 13 juin 1998 incitait les entreprises à entamer les négociations, et à préparer les accords de réduction du temps de travail, en anticipant sur le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. On avait déjà tout entendu, sur certains de ces bancs. Cette loi d'incitation n'en avait que le nom. Elle allait briser le beau mouvement philanthropique naturel de l'économie de marché et sonner l'apocalypse économique de notre pays... La vérité est tout autre : 16 000 accords, 120 000 emplois créés ou préservés, 27 % des salariés des entreprises de plus de 20 salariés concernés, plus de 80 % de personnes se déclarant satisfaites. Deux conceptions s'affrontent, celle du « laisser faire », selon laquelle le marché saurait de lui-même ce qui est bon pour les marchés financiers, mais aussi pour les salariés, les chômeurs et l'ensemble du pays. Ce sont les théories des gardiens du temple de l'économie libérale. L'autre conception, la nôtre, exprime au contraire un volontarisme politique. La réduction du temps de travail est l'une des voies à suivre pour lutter contre le chômage et créer des emplois. Elle permettra aussi de dynamiser la croissance. Elle permettra, enfin, de libérer du temps, de redonner corps au dialogue social au sien de l'entreprise et de régler des questions majeures, comme l'égalité professionnelle ou l'organisation du travail. Aujourd'hui, 38 % du temps partiel est subi. Il concerne un million de femmes, dont 80 % perçoivent moins de 3 650 francs par mois. Les femmes ne représentent que 34 % des cadres contre 76 % des employés ; elles sont même seulement 7 % parmi les cadres dirigeants des 5 000 premières entreprises. A qualification égale, ou quand elles ont plus de 35 ans, elles ont deux fois moins de chances que les hommes d'accéder à une formation. Nous nous attachons donc à ce que l'égalité professionnelle figure en bonne place au sein des accords. Nous veillerons également à ce que le temps partiel soit bien choisi. Le projet de loi comporte plusieurs avancées sur ce point, comme le refus possible par le salarié des heures complémentaires proposées par l'employeur sans risque de licenciement. Comme vous l'avez souhaité, Madame la ministre, nous enrichirons le texte. Ainsi le groupe socialiste présentera des amendements visant à inciter les partenaires sociaux à favoriser l'égalité professionnelle entre femmes et hommes. Les accords ouvrant droit à l'aide structurelle devront notamment comporter des engagements sur ce point. D'autres amendements visent à protéger les salariés à temps partiel, notamment en fixant les conditions du passage au temps partiel et en encadrant le recours aux heures complémentaires. Je tiens ici à remercier tous ceux qui partagent avec moi cette volonté. Tous nos efforts, tous nos débats, souvent animés, n'ont qu'un seul et même objectif : créer des emplois. Cette création d'emplois s'accompagnera en effet d'un mieux-vivre pour tous. Il s'agit de travailler mieux, travailler mieux ensemble, pour mieux vivre ensemble ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. le Président - Merci, Madame Génisson, d'avoir respecté scrupuleusement votre temps de parole. M. Philippe Auberger - Nous avons eu l'occasion d'écouter hier une excellente intervention de Mme Bachelot-Narquin sur les conséquences des 35 heures sur le plan personnel, familial, social et même sociétal. Je m'en tiendrai, pour ma part, aux aspects économiques et financiers. Cette loi encouragera-t-elle la création d'emplois ? Quelles seront les incidences du dispositif financier destiné à alléger les charges des entreprises passant aux 35 heures ? L'objectif est bien de créer des emplois supplémentaires durables. Ce projet de loi a toujours été présenté par le Gouvernement comme un moyen, voire un puissant moyen, de lutte contre le chômage. La France est d'ailleurs le seul grand pays où la réduction du temps de travail est considérée comme telle. Vous nous aviez présenté, Madame la ministre, peu avant la discussion de la première loi sur les 35 heures diverses études concluant que le passage aux 35 heures créerait de 500 000 à 700 000 emplois. J'avais prouvé que jamais un tel objectif ne pourrait être atteint dans le secteur marchand et qu'au mieux 200 000 emplois supplémentaires seraient créés, sans écarter totalement le risque que le nombre des créations soit nul, voire qu'il n'y ait des disparitions d'emplois, hypothèses corroborées par les résultats obtenus par la Direction de la prévision. Une étude intitulée «les enseignements des accords sur la réduction du temps de travail» vient d'être largement diffusée. Quelles en sont les conclusions ? Plus de 15 000 accords ont été conclus au 1er septembre 1999, concernant plus de deux millions de personnes, soit environ 20% des effectifs potentiellement concernés, ayant permis de créer ou de sauvegarder 120 000 emplois. Mais, de ce total, il convient de soustraire les entreprises qui ne sont pas éligibles à l'aide publique, comme les entreprises du secteur public, et les accords non aidés. Il faut donc ramener le chiffre à 85 000, chiffre qui de surcroît n'est que virtuel : il existe toujours un important décalage entre le nombre de créations annoncées et celui des embauches effectives, d'autant plus probable qu'aucune sanction n'est prévue si l'annonce n'est pas suivie d'effets. Enfin, rien ne dit que ces créations seront durables : l'expérience enseigne même le contraire. Deux autres sources permettent d'étayer que ce ne seront même pas 85 000 emplois qui seront créés d'ici à la fin de 1999, mais seulement 40 000. La première est une synthèse du ministère de l'économie. Celle-ci nous apprend que, sur les 560 000 emplois créés depuis deux ans, 420 000 l'ont été grâce à la croissance économique, 80 000 grâce à la politique de réduction des charges sur les bas salaires et seulement 40 000 grâce à la réduction du temps de travail. C'est ce dernier chiffre qui a été retenu pour budgéter l'aide spécifique à la création d'emplois consécutive à la réduction du temps de travail à 3,5 milliards en 1999. Il n'y a eu aucune surprise quant à la consommation de ces crédits en 1999. D'ailleurs, la prévision pour l'année 2000, 4,5 milliards, corrobore ce chiffre. Autre question : ces 40 000 emplois n'auraient-ils pas été créés de toute façon, les chefs d'entreprise ayant seulement profité de l'effet d'aubaine ? L'étude du ministère, si elle n'élude pas la question, la traite de façon peu scientifique. Elle montre qu'une part non négligeable des créations d'emplois tient à la conjoncture, et non aux 35 heures. Une étude fine des aides distribuées aux entreprises appliquant les 35 heures pourrait montrer qu'environ la moitié des emplois effectivement créés en 1999 relèvent de l'effet d'aubaine. Troisième question : le constat fait depuis un an est-il extrapolable sur l'avenir ? Les huit millions de personnes qui ont vocation à être couvertes peuvent-elles l'être à brève échéance ? L'entrée dans le champ d'accords se fera de façon beaucoup plus progressive que ne le laisse supposer le projet. D'après vos propres estimations, 4 millions devraient être couvertes à la fin de 2000, et 3,3 millions en moyenne annuelle. Par ailleurs, l'effet d'aubaine sera plus faible. C'est ce qu'a signifié Mme Notat déclarant qu'en matière de 35 heures, « nous avons mangé du pain blanc ». Le pain de la création d'emplois sera plus gris... M. Yves Rome - Du levain ! M. Philippe Auberger - Le rythme de créations d'emplois va se ralentir. Par ailleurs, des emplois vont se trouver détruits par l'application obligatoire des 35 heures. En effet, devant les hausses de charges qu'elle va entraîner, et en dépit des aides, les entreprises seront obligées de licencier des personnels, tout au moins de ne pas remplacer certains départs, ou d'externaliser certaines tâches. Une étude du Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts pointe d'ailleurs ce risque, avançant que l'augmentation du SMIC d'un point peut faire perdre 4 000 à 20 000 emplois. Tout dépendra donc en définitive des dispositions qui seront prises dans cette loi concernant le SMIC. Quant à l'application des 35 heures dans les entreprises de moins de 20 salariés, elle laisse sceptique. Vous avez vous-même reconnu, Madame la ministre, la difficulté et proposé de créer, par voie d'amendement, une aide spécifique à leur intention. J'en viens au dispositif financier qui accompagne cette seconde loi. Il nous est proposé de créer un établissement public administratif particulier à cet effet, financé de façon totalement déplacée, au risque d'ailleurs d'un démembrement de la puissance publique. Deux nouvelles taxes sont prévues, l'une sur les heures supplémentaires, l'autre sur les bénéfices des entreprises. Une autre, la TGAP, va être augmentée. M. le Président - Concluez, je vous prie. M. Philippe Auberger - Nous en reparlerons. Ce projet n'aura pas les effets escomptés par ses promoteurs. Il coûtera cher aux entreprises et conduira à multiplier les prélèvements. Nous ne pouvons que le condamner sans réserves (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Mme Muguette Jacquaint - Les salariés et leur famille doivent faire face à de nouvelles formes de travail, caractéristiques de notre société. Les spécialistes de l'économie et de la sociologie du travail les appellent « formes particulières d'emplois » : contrats à durée déterminée, intérim, travail à temps partiel, ces différentes formules se superposant parfois. Les salariés, eux, parlent de précarité et de bas salaires. L'INSEE, dans sa publication Données sociales, a montré qu'il existait un lien étroit entre l'envol du temps partiel et les bas salaires, jusqu'à faire référence à la notion de « working poors » utilisée outre-Atlantique. Selon la même étude, la proportion de faibles rémunérations est de 4 % pour les salariés à temps plein et de 69 % pour les autres. Cette étude révèle aussi que les hausses du SMIC n'ont pas les mêmes effets selon les catégories de salariés. Pour ceux qui travaillent à temps partiel, elles ne se traduisent pas par une progression du pouvoir d'achat. Dans la fonction publique, ces formes de travail sont très employées, ce qui accroît le nombre des emplois ne bénéficiant pas des garanties statutaires et limite l'évolution des carrières des femmes, en particulier dans la haute fonction publique. L'explosion du travail à temps partiel a créé une catégorie de salariés en situation précaire, percevant de bas salaires, en marge du salariat. Quatre millions de personnes sont dans ce cas, dont 80 % de femmes. Depuis le début des années 1990, il existe un abattement de 30 % des cotisations patronales pour toute embauche, à laquelle s'est ajoutée l'exonération des cotisations familiales pour les bas salaires. La DARES, dans son rapport présenté en octobre 1998, révèle que le cumul de ces abattements représente une réduction de 20 % du coût du travail au niveau du SMIC. En 1998, quelques aménagements législatifs ont eu lieu, comme le relèvement de 16 à 18 heures du nombre d'heures donnant droit à l'exonération. Ce dispositif a permis de réduire les abus du patronat. Supprimer l'abattement de 30 %, comme nous le proposons et comme l'a accepté la commission, ce serait une manière de combattre la précarité. On ne peut élaborer une politique d'emploi et de progrès social sans réfléchir à ces formes de travail, que ce projet devrait nous aider à encadrer davantage. C'est le but de l'article 6. A l'examen cependant, n'apparaissent que de minces progrès, qu'annule d'ailleurs toute une série de nouvelles dispositions. Ainsi, une nouvelle définition est donnée au temps partiel : «sont considérés comme salariés à temps partiel les salariés dont la durée de travail est inférieure à la durée légale du travail». Cela paraît logique. Cependant, la limite est actuellement fixée à 80 % de la durée légale ou conventionnelle. Il faut s'interroger sur cette nouvelle définition, qui provient d'une directive européenne. Une fois de plus, l'Europe est utilisée pour harmoniser vers le bas. Nous devons en rester à la définition actuelle. Le projet énumère les dispositions des clauses obligatoires du contrat de travail, ce qui constitue une garantie pour le salarié. Cependant, celui-ci est-il sur le même plan que l'employeur au moment de la signature du contrat et dans l'organisation du travail ? Les salariés et les syndicalistes le savent, il demeure toujours une inégalité, ce qui, de fait, limite la portée des garanties offertes au salarié. Il est exigé un délai de sept jours pour porter à la connaissance du salarié toute modification de ses horaires de travail : c'est trop court pour réorganiser la vie familiale, d'autant qu'un accord de branche étendu peut réduire ce délai à trois jours. Nous souhaitons quant à nous le porter à quinze jours et supprimer la voie conventionnelle autorisant sa réduction. En raison de l'insuffisance des systèmes de garde, de nombreuses femmes travaillent à temps partiel pour concilier vie familiale et vie professionnelle. Ces modulations d'horaires seront pour elles un véritable casse-tête. Le projet interdit le licenciement d'un salarié qui refuserait une modification de ses horaires si celle-ci est incompatible avec des obligations familiales «impérieuses». Or la définition de cet objectif -qui commande de façon absolue»- est floue. Les conflits seront nombreux. Les conseils de prud'hommes auront fort à faire. Qui doit juger du caractère impérieux de l'obligation familiale ? L'employeur, le salarié, l'administration ? N'y a-t-il pas là une atteinte aux libertés individuelles ? Le terme «impérieux» doit être supprimé et nous avons déposé un amendement en ce sens. D'autre part, les salariés peuvent refuser d'effectuer des heures complémentaires non prévues au contrat, ainsi que celles indiquées dans le contrat s'ils ne sont pas informés trois jours à l'avance, sans risque de sanction ou de licenciement. C'est une garantie. Mais, a contrario, s'il rejette la proposition alors qu'elle est intervenue dans les délais contractuels, s'agit-il d'un motif de licenciement ? Le paiement des heures complémentaires doit être majoré de la même façon que des heures supplémentaires. Enfin, la requalification du contrat de travail est un moyen pour lutter contre les abus du patronat, mais la clause des douze semaines consécutives ne permet pas d'agir efficacement. De même, l'organisation du temps partiel en deux fractions seulement, avec une coupure maximale de deux heures, constitue une avancée certaine, notamment dans la grande distribution. Mais un simple accord étendu permet d'augmenter la période d'interruption. On ne peut que s'opposer à cette méthode par laquelle les garanties énoncées dans la loi peuvent être réduites par la voie conventionnelle. Il faudra aussi revoir cette disposition de l'article 6 selon laquelle «une convention ou un accord collectif étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement n'ayant pas fait l'objet de l'opposition prévue à l'article L. 132-26 peut prévoir que la durée hebdomadaire ou mensuelle peut varier dans certaines limites sur tout ou partie de l'année à condition que, sur un an, la durée hebdomadaire ou mensuelle n'excède pas en moyenne la durée stipulée au contrat de travail». Cela ressemble fort à cette «flexibilité» si redoutée par les salariés. M. le Président - Veuillez conclure, Madame Jacquaint. Mme Muguette Jacquaint - Il faut profiter de cette loi pour encadrer davantage le temps partiel et améliorer les conditions de travail des salariés concernés. Le groupe communiste a déposé plusieurs amendements à l'article 6. Leur adoption permettrait de combattre les abus du patronat. Les salariés, les syndicalistes, mais aussi les associations féministes seront attentifs à ce débat. Il est nécessaire d'améliorer ce projet pour préserver les conditions de vie des salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe socialiste). Mme Marie-Thérèse Boisseau - Je n'aborderai qu'un seul sujet : l'emploi, dont le Gouvernement a théoriquement fait sa priorité. Malgré la création de 560 000 emplois en deux ans dans le secteur marchand, la France fait moins bien que ses voisins de la zone euro, puisque nous enregistrons un taux de chômage harmonisé de 11,2 %. Notre pays reste en queue du peloton, avec le troisième plus fort taux de chômage pour les vingt-neuf membres de l'OCDE. Malgré le retour de la croissance, les chômeurs sont, à quelque chose près, toujours aussi nombreux en France. Nous ne devons négliger aucune piste pour créer des emplois et la réduction du temps de travail, si elle est négociée au plus près du terrain, comme nous l'avions imaginée dans la loi de Robien, peut créer des emplois. Mais soyons lucides ! Ses effets seront toujours modestes, sans commune mesure avec ceux de la baisse des taux d'intérêt ou du développement sans précédent des nouveaux services : télécommunications, services informatiques, services financiers... Aux Etats-Unis, où l'investissement en informatique augmente de 30 % par an et la consommation de nouveaux services de 6 à 7 %, les technologies nouvelles expliquent près de la moitié de la croissance. Le même phénomène, en 1999, explique les trois quarts de la croissance française. La loi du 13 juin 1998 a-t-elle créé des emplois ? ("Non !"sur les bancs du groupe DL) Le chiffre annoncé de 120 000 emplois créés ou maintenus est très discutable et, pour reprendre les termes de Marc Blondel, «a un côté propagande très irritant». Il s'agit plus de promesses d'embauches que de créations ; de plus, le ministère s'approprie les emplois dus à la loi Robien et comptabilise les salariés qui sont déjà à 35 heures pour un travail posté. Il faut aussi tenir compte des effets d'aubaine et de substitution. La définition des emplois sauvés est très floue : quelle est leur durée de survie ? Cette annonce de 120 000 emplois est d'autant plus discutable qu'elle ne prend pas en compte les emplois non créés : à la perspective d'un passage obligatoire à 35 heures en l'an 2000, plus d'entreprises qu'on ne pense ont retardé ou annulé leurs embauches. Et le plus dur reste à venir : les entreprises qui ont déjà signé des accords sont celles qui avaient le plus de facilité à le faire. Les accords qui se feront sous la contrainte risqueront d'entraîner des pertes d'emplois. Enfin, le chiffre des créations d'emplois devrait être comparé à celui qu'une autre politique de coût identique ou inférieur aurait pu favoriser -je pense à une réduction massive des charges sociales et fiscales. Au-delà du tapage médiatique, c'est sans doute parce que vous êtes convaincue, comme la majorité des Français, qu'une réduction du temps de travail autoritaire et généralisée ne créera pas d'emplois (Interruptions sur les bancs du groupe communiste) que vous abandonnez toute ambition de ce type dans ce texte. « Où est passé l'emploi ? » titrait hier un quotidien. Notre loi Robien proposait des aides publiques en contrepartie de créations d'emplois. La loi du 13 juin 1998, même si c'est dans un esprit totalement différent, n'encourage financièrement que les entreprises qui créent ou maintiennent des emplois en même temps qu'elles réduisent leur temps de travail. Dans le projet que nous discutons, les aides publiques sont subordonnées à la signature d'un accord collectif sur la réduction du temps de travail, mais non à la création ou au maintien d'emplois. Il est simplement écrit que « la convention ou l'accord doit préciser le nombre d'emplois créés ou préservés ». Vous avez compris, Madame la ministre, que la création d'emplois par la réduction du temps de travail obligatoire était un pari des plus risqués... Cette loi non seulement ne créera pas d'emplois, mais elle sera dangereuse pour l'emploi. En effet, les négociations s'engagent sur de mauvais rails. Les postes supplémentaires en seront tout au plus une résultante éventuelle, mais non l'objet. L'application de la loi dès le 1er janvier ne laisse pas aux entreprises le temps de s'organiser : elles auront recours aux heures supplémentaires plutôt qu'à l'embauche. Les dispositions de la loi sont déjà trop complexes et trop rigides. Attention, plus vous les durcirez et plus vous travaillerez contre l'emploi ! Le gel des salaires pendant plusieurs années et la disparition de primes va rendre moins attractifs encore certains secteurs où les jeunes qualifiés refusent de s'investir parce qu'ils sont sous-payés. En dépit des allégements de charges sociales, le coût du travail payé au SMIC va augmenter d'environ 5 %, ce qui entraînera des destructions d'emplois -200 000 à 300 000 dans les prochaines années, selon certains économistes. A coup sûr votre texte exclura du marché du travail les salariés les plus fragiles, particulièrement les jeunes et les moins qualifiés, accentuant ainsi les inégalités. Le passage obligatoire aux 35 heures de toutes les entreprises est devenu une démarche purement idéologique, menée par le gouvernement de Lionel Jospin loin des réalités du terrain, sans tenir compte des expériences antérieures, comme le regrettait un des pionniers, Serge Pasquier. Sans tenir compte, non plus, du contexte socio-démographique, qui exigerait que la réduction du temps de travail sur l'année s'accompagne d'une augmentation du nombre d'années de travail pour financer les retraites, ni des aspirations des salariés, qui peuvent désirer travailler plus ou moins selon les périodes de leur vie, ni de la pénurie de personnel qualifié dans des domaines de plus en plus nombreux. Sans tenir compte, enfin, de la diversité des entreprises, dont certaines n'ont aucune possibilité de gains de productivité ou ne peuvent prévoir leur charge de travail. Nous aurons l'occasion de reparler de toutes ces questions, mais d'ores et déjà l'emploi est le grand perdant de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). M. Jacques Rebillard - Madame la ministre, notre groupe tient à vous remercier de la disponibilité dont vous et votre conseiller parlementaire, M. Olivier Faure, avez fait preuve au cours de la préparation de cette loi, comme d'ailleurs le rapporteur, M. Gaëtan Gorce. Au moment où on reproche à la majorité de se résigner à l'impuissance face aux lois du marché, ce projet vient prouver le contraire. Les radicaux de gauche se considèrent comme les défenseurs des salariés, mais aussi des PME. Il serait vain de les opposer, tant leurs intérêts sont communs. N'oublions pas que les entreprises doivent déjà faire face au passage à l'an 2000, à la mise en place de l'euro, à l'intégration de nouvelles normes techniques et environnementales. Toutes n'ont pas de directeur des ressources humaines pour mettre en application cette loi et développer le dialogue social. M. François Goulard - Voilà un membre de la majorité sensé ! M. Jacques Rebillard - La différence, c'est que nous, nous voterons la loi ! (Rires sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF) Nous voulons rendre hommage à tous ces hommes et femmes responsables qui se battent chaque jour à la tête de leur entreprise car ce sont eux qui créent la richesse de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF). Agissons pour que la réduction du temps du travail soit avantageuse pour les entreprises et leurs salariés sans multiplier les contraintes. Nous ne sommes pas favorables à un durcissement de la loi. Le meilleur allié de ceux qui veulent durcir la loi, c'est le MEDEF. Comment ne pas être étonné de la coïncidence entre l'annonce de suppressions d'emplois chez Michelin et la discussion de cette loi ? On aurait voulu durcir le texte qu'on ne s'y serait pas pris autrement ! Toutes les entreprises n'ont pas les mêmes intérêts, et la lutte des classes existe entre elles. En durcissant la loi nous nous rendrions complices du MEDEF, des entreprises les plus importantes et les mieux structurées qui trouveront toujours un moyen de s'adapter. De même, nous sommes favorables aux allégements de charges (Interruptions sur les bancs du groupe communiste) mais il faut être vigilant si l'on ne veut pas que leurs effets positifs fondent comme neige au soleil. Nous devons nous préoccuper des conséquences des concentrations monopolistiques, comme celle de Carrefour et Promodès, qui finissent par étrangler tous les fournisseurs. Les assises de la distribution voulues par le Premier ministre sont une excellente initiative. Les grandes centrales d'achat saignent littéralement leurs fournisseurs par la pression à la baisse des prix ("Très bien !"sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). De nombreux parlementaires vous ont également saisi de la dégradation très rapide de l'emploi dans les secteurs du textile, de l'habillement et du cuir. Parmi les solutions avancées, des allégements de charge ont été proposés. Profitons de cette discussion pour apporter de réelles solutions à ces secteurs industriels encore très présents sur nos circonscriptions. Nous considérons le texte comme globalement positif, mais nous voulons l'améliorer. Il ne fait plus référence à la création d'emplois, mais à un accord d'entreprise pour bénéficier des allégements de charges. Nous trouvons cela préférable («Oui !» sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Nous déposerons une série d'amendements concernant, tout d'abord, les très petites entreprises -celle de trois salariés ou moins. Malgré toute leur bonne volonté, elles auront du mal à réduire leurs horaires sans recourir systématiquement aux heures supplémentaires ("Eh oui !" sur les bancs du groupe DL). Des adaptations s'imposent pour ces entreprises très nombreuses dans notre pays. Elles peuvent être un support efficace à la création d'entreprises. Nous proposerons également des amendements en faveur des entreprises de moins de 20 salariés pour leur permettre de bénéficier à la fois de l'aide incitative, de l'allégement de charges et de l'appui conseil, tout en simplifiant les démarches pour y accéder. Nous proposons aussi d'élargir le bénéfice des allégements de charges aux groupements d'employeurs qui mutualiseront les créations de postes. Nous défendons un amendement qui encourage le passage à la semaine de quatre jours par un allégement plus substantiel de charges. Nous pensons que l'organisation du travail sur quatre journées est de celle dont les effets sur l'emploi sont les plus fortes. De plus la référence à 32 heures ne fera que compliquer le décompte des heures supplémentaires. Nous proposerons aussi de rendre obligatoire l'intégration d'un volet formation dans les accords d'entreprise. En effet, la formation est une des conditions nécessaires au maintien de l'avance technologique de nos entreprises. Elle facilite la progression sociale des salariés et les aide en cas de licenciement. Une partie de la formation générale peut être prise sur le temps libre et la formation à l'adaptation à l'outil de travail sur le temps en entreprise. M. Alain Tourret - Très bien ! M. Jacques Rebillard - Profiter de la réduction du temps de travail pour rendre la formation obligatoire dans les entreprises c'est faire un grand bon en avant, c'est encourager une évolution de la société. Reporter cette décision à plus tard c'est appauvrir le dialogue social. La gauche si attachée à toutes les formes de libération devrait faire preuve de détermination en la matière. Le Centre des jeunes dirigeants appelle cela la coformation. Il s'agit du seul mouvement patronal progressiste... M. Dominique Dord - Avez-vous lu son rapport ? M. Jacques Rebillard - Oui ! Le CJD a eu le courage de souligner les aspects positifs de la loi. Dans un souci d'aménagement du territoire nous proposons par ailleurs de conserver les avantages comparatifs des zones de revitalisation rurales en matière d'allégement de charges. Un autre de nos amendements vise à garantir que le montant des réductions de charges évoluera parallèlement à celui du SMIC. Enfin, nous proposerons de limiter les conséquences du refus par un salarié d'accepter un accord de réduction du temps de travail, en lui préférant une indemnité de licenciement plus avantageuse, surtout s'il est proche de la retraite. Ces amendements n'entraîneront aucune contrainte supplémentaire et offriront même une véritable chance de progrès. Un point qui devra être éclairci, celui du double SMIC qui créerait un salariat à double vitesse si nous n'y prenons garde. Dans les mois qui ont procédé l'examen de ce texte, les radicaux de gauche ont rencontré de nombreuses organisations professionnelles et syndicales. La plupart d'entre elles sont prêtes à jouer la carte de l'emploi, chacun paraît prêt à apporter sa contribution à la lutte contre le chômage. N'oublions pas que ce sont les PMI-PME qui créent des emplois dans notre pays, alors n'alourdissons pas cette loi. M. Dominique Dord - Très bien ! M. Jacques Rebillard - Jean-Claude Guillebaud, dans La Refondation du Monde écrit : « Le juridisme optimiste pèche aussi par étourderie. Il semble oublier une logique mille fois vérifiée qui tient en peu de mots : quiconque s'en remet au droit à lui seul pour asseoir la cohésion d'une société s'expose à la prolifération de celui-ci ». Madame la ministre, faites confiance aux partenaires sociaux (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), évitez la prolifération du droit qui ne peut que nous conduire que dans une course irrésistible et désespérée vers l'édiction de règles toujours plus précises et insidieuses. Nous voulons mettre la réglementation au bon endroit, et pas partout (Mêmes mouvements). Les radicaux de gauche voteront ce texte (« Oh ! » sur les mêmes bancs) s'il a été amélioré sans être alourdi ni rendu plus contraignant. Mais, d'ores et déjà, nous considérons que vous avez su depuis plus de deux ans redonner espoir aux chômeurs, rassurer les salariés sur le maintien de leur pouvoir d'achat, et donner aux entreprises, tout en allégeant leurs charges sociales, les moyens de se développer dans un environnement économique, par une croissance musclée. Les radicaux ont le sens de l'équilibre, ils savent progresser avec la majorité qui gouverne ce pays (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). M. Thierry Mariani - Qui a écrit la dernière page ? (Rires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) M. Nicolas Forissier - Cette loi aura de funestes conséquences sur nos entreprises, notamment nos PME-PMI. Le bilan provisoire de la première loi relative aux 35 heures est mauvais. Les créations d'emplois sont bien en deçà des prévisions et je ne ferai le décompte ni des emplois créés ou préservés, ni des effets d'aubaine très nombreux, ni de la grande part du secteur public dans le total. Une chose est sûre, Madame la ministre, alors que vous nous annonciez la création de 600 000 emplois en deux ans, vous ne trouvez aujourd'hui que 120 000 emplois créés ou à créer. Et le rapport remis avant hier au Parlement par le ministère de l'économie souligne que la croissance en est la cause quasi exclusive. Cet échec était prévisible : la réduction du temps de travail obligatoire correspond à cette incroyable vision malthusienne qui vous amène à partager toujours plus la seule richesse existante, alors que l'emploi ne peut naître que de la création de richesses nouvelles. Tous les acteurs de terrain qui se sont lancés dans l'application des 35 heures peuvent en témoigner. C'est notamment ce que dit le Centre des jeunes dirigeants d'entreprises qui, avec un esprit ouvert... Mme Marie-Thérèse Boisseau - Très ouvert ! M. Nicolas Forissier - ...s'est efforcé de mettre en _uvre les 35 heures sur un échantillon de 500 PME. Ce ne sont pas les subventions qui créent des emplois... Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - C'est vrai, voyez Michelin... M. Nicolas Forissier - ...et encore moins les règlements, ce sont la croissance et la liberté d'initiative. Pour créer des emplois, il faut donner de l'oxygène aux entrepreneurs au lieu de les étouffer dans un carcan uniforme, au mépris de l'extraordinaire multiplicité des situations. C'est vous qui disiez, en septembre 1991, devant les 5 000 militants du congrès de la CFDT : « La réduction du temps de travail ? Eh bien, vous allez être déçus je ne crois pas qu'une mesure généralisée créerait des emplois. » Mme la Ministre - Vous déformez mes propos ! M. Nicolas Forissier - Pourquoi ce bon sens vous fait-il aujourd'hui défaut ? Cette première loi a tout de même eu un effet positif : la relance du dialogue social. Les négociations ont permis aux partenaires sociaux de rechercher des solutions pragmatiques, débouchant sur des accords de branche entre patronat et syndicats. Ces 117 accords, il faut aujourd'hui les respecter ; ils sont le fruit de la négociation que vous aviez vous-même demandée ! M. Maxime Gremetz - Ca, c'est ce que demande le MEDEF... M. Nicolas Forissier - Malheureusement, le deuxième projet bafoue les négociations conclues entre les partenaires sociaux. En imposant par la loi un contenu qui ne s'était pas dégagé des négociations, en particulier en ce qui concerne les heures supplémentaires et l'annualisation, le nouveau projet rend caducs les accords de branche, au risque de casser durablement le dialogue social. L'autosatisfaction dont vous avez fait preuve est étonnante. Vous vous prévalez du fait qu'une entreprise sur deux négocie actuellement ! Mais c'est parce qu'elles y sont obligées ! Et non parce que votre loi les passionne ! Le propre d'une entreprise, c'est de prévoir, d'anticiper, de s'adapter à ce que vous leur imposez ! MM. Dominique Dord et François Goulard - Très bien ! M. Nicolas Forissier - Toutes les entreprises qui ont mis en _uvre les 35 heures ont cherché ainsi à anticiper tout en saisissant l'effet d'aubaine des subventions, afin de limiter la casse, de réduire les coûts inévitables de cette réforme imposée, en créant des emplois qu'elles devaient de toute façon créer en raison de la croissance de leur activité. Et encore cela ne concerne-t-il que 2 % des entreprises françaises... Toutes les entreprises qui le voulaient ou qui le pouvaient ont donc anticipé et mis en _uvre les 35 heures, ce qui ne fait pas beaucoup... Que va-t-il se passer maintenant pour les autres, et avant tout pour les PME-PMI et les très petites entreprises, celles qui auront le plus de difficultés, alors qu'elles constituent l'essentiel de notre tissu économique et le seul vrai gisement d'emplois ? Malgré les aides, le passage aux 35 heures entraîne automatiquement un surcoût pour l'entreprise. Prenons l'exemple d'une entreprise industrielle que je connais très bien. Elle emploie 15 personnes. L'horaire collectif conventionnel étant de 169 heures, la production perdue s'évalue en moyenne à 18 heures par mois et par salarié. Afin de maintenir le niveau de production, il faut donc reconstituer un potentiel de main-d'_uvre manquante évalué à 231 heures par mois, soit un coût annuel de plus de 220 000 F, que les aides proratisées en fonction des niveaux de salaire compenseront seulement d'un peu plus de 103 000 F, et seulement s'il y a eu accord d'entreprise. Le coût net des 35 heures pour cette entreprise s'élève donc à 116 500 F, somme qui correspond aux deux tiers de son bénéfice net après impôt. Cette PME ne peut répercuter ce surcoût sur les prix de vente, sous peine de voir ses clients se tourner vers la concurrence, ni sur ses fournisseurs, car sa taille modeste ne lui permet pas de négocier une diminution de prix. Elle embauchera donc une à deux personnes mais en supprimant les heures supplémentaires, au détriment des salariés, et en finançant l'essentiel du coût des 35 heures par des gains de productivité, perdant ainsi toute marge de man_uvre tant il est vrai que les gains de productivité sont la principale variable d'ajustement. De tels gains n'étant pas toujours possibles, votre loi mettra donc nombre d'entreprises en péril et créera entre elles une profonde inégalité. C'est donc la compétitivité de l'entreprise qui est en danger, notamment face à la concurrence internationale, en particulier au sein de l'Union européenne. Telle est bien l'absurdité d'une loi que nous sommes les seuls à mettre en _uvre, au mépris de ce qui se joue chez nos voisins ! Cet affaiblissement grave de la compétitivité de nos PME jouera inévitablement et mécaniquement contre l'emploi. Mais l'entreprise en question peut aussi choisir de ne pas créer d'emploi supplémentaire et tenter de maintenir sa production en augmentant les cadences, en réduisant les temps de pause ou les frais, en gelant les salaires, en supprimant les primes, ce qui se retournera encore contre les salariés, nuira à l'ambiance de l'entreprise, mais aussi à la qualité des produits, donc à son développement. La réduction obligatoire du temps de travail implique une réorganisation complète de l'entreprise. Or, pour une PME où le personnel n'est pas interchangeable, où il est difficile de pourvoir à son remplacement, le texte qui nous est présenté, avec sa complexité et ses rigidités, sera le plus souvent impraticable. Il ne tient pas compte de la réalité et de la diversité des entreprises. Dans celle que je citais, le passage aux 35 heures entraîne une réduction du potentiel de main d'_uvre évalué à 231 heures par mois. Reconstituer ce potentiel suppose la création d'un poste et demi. Mais ces salariés font en fait près de dix métiers différents ! Comment alors récupérer la production perdue ? Quel salarié polyvalent pourra compenser les 4 heures perdues chaque semaine par 15 salariés qui font 10 métiers différents ? Dans bien des secteurs, notamment là où la concurrence est vive, les groupements d'employeurs sont illusoires, si bien que cette entreprise est dans une impasse... J'ai tenté à partir d'un cas concret qui pourrait être multiplié à l'envi tant la diversité des PME et TPE est grande, à vous montrer, Madame la ministre, que votre projet va conduire les PME françaises à un grave affaiblissement face à la concurrence étrangère sans que l'emploi en bénéficie, car il ne se décrète pas et, surtout, ne naît pas de l'étouffement. La plupart des entreprises, quelle que soit leur taille, chercheront d'abord à absorber le coût supplémentaire du travail qui leur sera imposé. Cela se fera au détriment des salariés et, forcément, au détriment de l'emploi. Tout le monde aspire à plus de temps libre, mais les salariés savent aussi bien que les chefs d'entreprise que l'on ne peut gagner davantage en travaillant moins et que leur entreprise doit se battre sur tous les fronts pour vivre et se développer. Ils savent que les 35 heures se répercutent sur la compétitivité de leur entreprise, ce qui ne manquera pas d'avoir des conséquences pour eux-mêmes. Madame la ministre, je voudrais prendre date, solennellement et sans esprit polémique. Je crois en effet, sincèrement, que votre projet, qui impose autoritairement la réduction du temps de travail, sera un désastre pour les milliers de PME et de petites entreprises artisanales et commerciales qui, comme on se plaît à le répéter sans en tirer malheureusement toutes les conséquences, sont les principaux gisements d'emplois dans notre pays. Je prends date parce que ce projet, à l'opposé de son objectif déclaré, sera destructeur d'emplois dans toutes les PME, qui ne disposeront ni du temps ni de la souplesse nécessaires à la réorganisation du temps de travail. Je prends date, Madame la ministre, au nom de tous les dirigeants d'entreprise, mais aussi pour tous les salariés, car l'entreprise, c'est une seule équipe dont le capitaine et tous les joueurs ont chacun un rôle à jouer. Aussi, avant qu'il ne soit trop tard, j'aimerais vous soumettre quelques propositions visant à sauver ce qui peut encore l'être pour les PME, en améliorant autant que faire se peut un texte qui sera voté. Ces propositions sont le fruit de l'expérimentation de chefs d'entreprise qui ont souhaité appliquer les 35 heures, et elles tendent toutes à introduire, dans le dispositif rigide de votre projet, un peu de cette souplesse dont les PME ont tant besoin. Il faut en effet bien distinguer les grandes entreprises qui ont les moyens financiers et humains de passer aux 35 heures et les PME-PMI auxquelles plus de temps sera nécessaire pour trouver des solutions adaptées à leurs spécificités. C'est pourquoi je vous propose, tout d'abord, d'accorder aux PME une période de transition d'au moins deux ans pour leur permettre de procéder à une nécessaire réorganisation ; ensuite, d'élargir les possibilités d'aménagement du temps de travail notamment en donnant la possibilité de l'annualisation sur la base du volontariat, à toutes les PME même s'il n'y a pas eu d'accord d'entreprise préalable. Toutes les entreprises qui le voudraient pourraient ainsi calculer les 35 heures en moyenne annuelle, dans une fourchette de 31 à 39 heures par semaine. Les entreprises devraient ensuite pouvoir disposer d'un contingent d'heures supplémentaires suffisant -proche de 200 heures. Quant à la majoration du coût du salaire dû pour les quatre heures au-delà des 35 heures, elle doit être encore abaissée. Il faut encore élargir le mécanisme du nouvel allégement de cotisations patronales de sécurité sociale, car l'allégement des charges sociales patronales est un problème global qui ne peut être résolu efficacement par des mesures sélectives. Enfin, je voudrais insister sur l'absolue nécessité de respecter les accords de branche conclus depuis la loi du 13 juin 1998, qui tiennent compte des contraintes spécifiques de chaque secteur, ainsi que les accords signés dans les entreprises. Nous sommes tous favorables à l'aménagement du temps de travail. Mais cet aménagement ne peut se faire que de manière pragmatique, en respectant la liberté et le contrat d'entreprise et sur la base d'un pacte entre employeurs et salariés. Patrons et salariés doivent se mettre à la place les uns des autres... M. Gérard Terrier - Excellente idée ! M. Nicolas Forissier - ...et, par le dialogue social, ils doivent parvenir à des accords qui respectent la spécificité de l'entreprise. Malheureusement, Madame la ministre, vous avez au contraire privilégié l'autoritarisme et le dogmatisme et choisi d'imposer le carcan de la réglementation. Peut-être pourriez-vous écouter les demandes concrètes et constructives qui émanent des entrepreneurs et garantir dans votre projet le minimum de souplesse qui évitera le désastre (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF). M. Gérard Lindeperg - Je traiterai des problèmes posés par l'articulation entre la formation professionnelle et la réduction du temps de travail, sujet important et pourtant, jusqu'à présent, très peu abordé. Si la loi de juin 1998 ne contient pas de dispositions visant à modifier le droit à la formation professionnelle, la formation est mentionnée à l'article 13 relatif au bilan d'application de la loi. Autant une réforme de la formation professionnelle n'a pas sa place dans une loi consacrée à la réduction du temps de travail et à l'emploi, autant la formation professionnelle ne peut être passée sous silence, puisque cette question a été débattue par les partenaires sociaux. Il nous faut donc tirer les leçons des négociations qui se sont déroulées depuis le vote de la première loi pour permettre aux négociateurs de poursuivre leur action en toute sécurité juridique sans, pour autant, interférer avec la réforme de la formation professionnelle en préparation. Quelles sont ces leçons ? Les accords qui abordent la formation -environ 20 % des accords d'entreprises et la moitié des accords de branche- sont souvent des « accords de gestion », qui fixent des objectifs et des priorités dans un cadre juridique inchangé. Si ces accords ne posent pas de problèmes juridiques, il n'en va pas de même des clauses relatives au co-investissement. Le développement des formules de co-investissement amène en effet les signataires à réfléchir sur les responsabilités respectives du salarié et de l'employeur dans l'acte de formation. Sur le plan financier, les accords rappellent le principe de la seule responsabilité de l'employeur dans la détermination du montant de la masse salariale à consacrer à la formation. D'autre part, de nombreux accords posent le principe d'une responsabilité «partagée» ou «conjointe» en matière de formation, en précisant qu'il appartient au salarié de maintenir son «employabilité». Le co-investissement pour la formation est une des modalités de ce partage des responsabilités, et l'utilisation du compte épargne-temps pour la formation est abordé dans plusieurs accords de branches et d'entreprises. Surgissent alors quatre séries de questions : le temps de formation est-il un temps de travail effectif, et dans quel cas ? L'employeur peut-il mettre à la charge du salarié la responsabilité de sa propre «employabilité», et dans quelles conditions ? A quel niveau faut-il négocier le co-investissement ? Si l'on admet que la formation peut se dérouler pour partie hors temps de travail, avec l'accord formel du salarié, quelle est alors sa situation juridique ? L'article 10, tel qu'il est rédigé, est trop ambigu. Il prête à interprétation et à contentieux. Il nous faut trouver une rédaction qui distingue plus nettement ce qui est négociable de ce qui ne l'est pas. C'est pourquoi je proposerai un amendement en ce sens. Selon moi, n'est pas négociable l'obligation pour l'employeur d'adapter les salariés à l'évolution de leur emploi, et n'est pas négociable l'assimilation de la formation à un travail effectif. Sur cette base, la négociation doit se dérouler au niveau des entreprises et des branches dès lors qu'elle s'inscrit dans un cadre fixé par la négociation nationale interprofessionnelle. Pour conclure, il nous faut soit faire preuve à la fois de rigueur et de souplesse. De rigueur en formalisant l'adhésion du salarié par un accord écrit et en respectant l'obligation de l'employeur ; de souplesse en donnant trois ans aux partenaires sociaux pour définir une règle dans le cadre d'un accord national interprofessionnel. Il appartient en effet aux partenaires sociaux de fixer la doctrine du co-investissement que la future loi sur la formation professionnelle pourra, le cas échéant, consacrer. C'est dire que la réduction du temps de travail ne doit pas conduire à remettre en cause les droits acquis depuis 1971 mais, au contraire, constituer un point d'appui pour donner un nouvel élan à la formation professionnelle dans le respect des droits des salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). Mme Nicole Catala - Avec ce texte, Madame le ministre, vous obligez le pays à un saut dans l'inconnu, car nul ne peut appréhender, à ce jour, ce que seront les conséquences économiques et sociales de votre réforme. Tout au plus peut-on dire que certaines entreprises subsisteront mais que d'autres disparaîtront et que si certains salariés vivront mieux, d'autres, dont les horaires de travail seront fragmentés, vivront plus mal. Au-delà, personne ne sait si les avantages de la loi l'emporteront sur ses conséquences néfastes. Mais puisque c'est au nom de l'emploi que vous nous contraignez à ce saut dans l'inconnu, c'est de ce point de vue que votre projet doit être examiné. Or, pour moi, il constitue un contresens économique. C'est faire fausse route que de contraindre à la réduction du temps du travail, c'est faire fausse route que d'inverser la perspective habituelle, qui veut que la réduction du temps du travail soit le résultat des progrès économiques et techniques et non son moteur. Je considère votre conception des choses erronées, et les chiffres que vous avez annoncés au printemps ou plus récemment n'entament pas ma conviction. En effet, une forte proposition des emplois créés le sont dans le secteur public. Quant aux emplois préservés, ils le sont par des plans sociaux dans lesquels la réduction du temps du travail n'est qu'un élément parmi d'autres. En fait, 60 % seulement des emplois attendus seront créés dans le secteur marchand. Ces 60 000 à 80 000 emplois escomptés doivent d'ailleurs être comparés aux quelque 500 000 emplois créés par la seule croissance. Le résultat me semble bien modeste, et l'est d'autant plus qu'il dépend pour partie d'accords de branches que la rédaction de votre projet compromet. Or vous allez consacrer à cette réforme, outre les 40 milliards que représente la ristourne dégressive, 7 à 8 milliards qui serviront l'an prochain à élargir l'allégement des cotisations sur les bas salaires et 40 milliards destinés à atténuer l'impact des 35 heures pour les entreprises. En régime de croisière, ce sont près de 100 milliards de francs qui seront affectés à la réduction du temps de travail. Si vous voulez vraiment, Madame la ministre, un essor spectaculaire de l'emploi dans notre pays, laissez donc la durée légale du travail à 39 heures -abaissez-là à 38 si vous voulez vraiment faire un geste ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV) Et affectez ces cent milliards à l'allégement des cotisations sociales sur les salaires. M. Maxime Gremetz - Encore ! Mme Nicole Catala - Il faut aller au-delà de 2,5 SMIC et cela améliorera l'emploi bien au-delà des 80 000 postes évoqués. Et je rappelle que la ristourne dégressive est une création du gouvernement Balladur reprise par M. Juppé. Je ne méconnais pas le fait que la réduction du temps de travail doit être un des résultats du progrès économique amené par la conjonction de la croissance et du progrès technique. Mais il appartient aux partenaires sociaux de la mettre en musique. Il leur revient de réaliser l'arbitrage entre plus de temps libre et l'amélioration de leur pouvoir d'achat. M. Gérard Lindeperg - Convainquez le MEDEF ! Mme Nicole Catala - Avec le texte actuel, les salariés seraient privés de la possibilité de faire progresser leur pouvoir d'achat et sont soumis à une décision autoritaire alors qu'il leur revenait depuis des décennies de proposer la redistribution des points de la croissance. M. Maxime Gremetz - C'est un droit qu'ils avaient acquis dans la rue ! Mme Nicole Catala - Votre méthode présente plusieurs inconvénients. Elle met en cause des notions clés, telle que le SMIC qui ne manque pas de susciter des interrogations à gauche... Mme la Ministre - Pas les mêmes que les vôtres, à moins que vous ne soyez favorable à une augmentation du SMIC de 11,4 % ? Mme Nicole Catala - J'aimerais savoir, Madame le ministre, pourquoi vous vous êtes opposée au SMIC mensuel. Ce texte porte par ailleurs atteinte à l'égalité des salariés devant les rémunérations en distinguant ceux qui seront embauchés sous le régime des 35 heures et ceux qui étaient anciennement employés sous le régime des 39 heures et qui bénéficieront, lors du passage aux 35 heures, d'un maintien de leur rémunération, ce qui peut être analysé comme une augmentation du SMIC horaire de 11 %. Lors de l'examen du précédent projet, vous aviez dit que vous résoudriez le problème du SMIC, mais je constate aujourd'hui qu'il n'en est rien. Vous proposez également un régime hybride pour les cessations de contrats de travail consécutives à un refus du salarié d'accepter une modification d'horaire ; vous distinguez le cas où la modification relève d'un contrat majoritaire dans l'entreprise et les autres cas. Dans le premier, s'appliquera le régime du licenciement économique. S'appliquera-t-il intégralement ? Au demeurant, puisqu'il s'agit en fait d'un licenciement personnel, vous introduisez un licenciement de troisième type dont on voit mal la nature et les conséquences ! Ainsi, Madame le ministre, vous faites fausse route. Ralliez-vous plutôt à la proposition que j'ai formulée, qui sera infiniment plus efficace pour l'emploi, sans porter atteinte au rôle traditionnel des partenaires sociaux (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Patrick Malavieille - Depuis hier, beaucoup de nos collègues ont rappelé combien la réduction du temps de travail est un enjeu majeur de civilisation et de société. Dans ce cadre, la formation professionnelle doit permettre de faire face à l'évolution de l'emploi. La France, par l'accord interprofessionnel de juillet 1970 et la loi de 1971, avait innové en matière de formation professionnelle, et s'était placée au premier rang européen. Près de 30 années ont passé, et les grandes ambitions qui avaient motivé la loi de 1971 se sont quelque peu essoufflées. Le Gouvernement a donc pris l'engagement de soumettre, après le débat sur les 35 heures, un projet de loi relatif à la formation professionnelle. La secrétaire d'Etat, aux droits des femmes et à la formation professionnelle, l'a confirmé et demandé différents rapports et enquêtes. Celles-ci ont révélé d'importantes inégalités, une efficacité insuffisante en termes de promotion sociale et un manque de certification des acquis. En premier lieu, les inégalités sont flagrantes. Sur 14 millions de salariés, un tiers accède annuellement à une formation de 40 heures. Les ouvriers non qualifiés des PME de 10 à 19 salariés en sont quasiment exclus, puisque leur taux d'accès est de 2,5 %. Quant aux femmes travaillant à temps partiel, la discrimination est encore plus forte puisque l'écart par rapport aux hommes est de 18 % et leur taux d'accès de 8,5 %. Selon la taille de l'entreprise, la catégorie sociale, la branche professionnelle, le sexe, d'importantes inégalités réduisent le droit à la formation à une faible probabilité, soumise principalement au chef d'entreprise. Le groupe communiste, convaincu qu'il s'agit là d'un enjeu fondamental, a préparé une proposition de loi relative au droit à la formation professionnelle tout au long de la vie active, en collaboration avec de nombreux acteurs. Nous visons à mettre en place un plan «Sécurité, emploi, formation», ces trois aspects indissociables permettant de donner toute sa dimension à la formation professionnelle. Cette dernière doit aboutir à élever le niveau de qualification. C'est un facteur décisif dans la compétition économique et dans l'amélioration de la productivité. Il serait injuste que la formation professionnelle ne serve que la rentabilité financière et les objectifs, à court terme, des actionnaires. On ne peut imposer aux salariés la responsabilité de leur «employabilité». L'Etat, les régions, les représentants des employeurs et des salariés doivent s'associer pour établir des plans de formation conformes à l'intérêt général. Les inégalités doivent être combattues entre salariés selon les types d'entreprises. La création d'un fonds de mutualisation serait de nature à augmenter l'accès à la formation professionnelle dans les PME. Un droit individuel à la formation doit être reconnu, au même titre que le droit au logement, à la santé ou à l'éducation. Cette évolution permettrait de donner aux chômeurs un accès à la formation professionnelle continue tout au long de la vie. Par rapport aux objectifs du secrétariat d'Etat à la formation professionnelle et à ceux que propose le groupe communiste, l'article 10 du présent projet pose un problème. D'abord, le co-investissement exclut une partie du temps de formation du temps de travail effectif. Ensuite, la distinction entre formation d'adaptation et formation pour le développement professionnel ou personnel du salarié n'est pas conforme à notre volonté d'affirmer le droit à la formation. Avec les députés du groupe RCV, nous avons donc déposé un amendement visant à supprimer cet article. Nous proposerons un amendement tendant à lui substituer un chapitre intitulé «Sécurité, emploi, formation». Le Gouvernement s'y engagerait à présenter au plus tard le 1er janvier 2001 un projet de loi de programmation garantissant la sécurité de l'emploi et de la formation pour tous. D'autres dispositions sont prévus, exigeant notamment que les plans de formation prévoient les embauches, ainsi que l'abaissement du temps et de la charge de travail indispensables pour permettre la formation. Cela implique une nouvelle organisation du travail, de nouveaux droits pour les salariés, gages d'une plus grande efficacité économique et sociale. Notre objectif n'est autre que de donner toute sa place à la question de la formation professionnelle au sein du projet de loi sur les 35 heures (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). M. Pierre Méhaignerie - Le projet des 35 heures est né dans un certain contexte électoral, dans une période de faible croissance à taux de chômage élevé et croissant. Sera-t-il encore adapté lorsque la loi jouera à plein, c'est-à-dire en 2003-2004 ? Je ne le crois pas tant il est déjà difficile de recruter dans des secteurs comme la restauration, les industries agricoles et agroalimentaires, le bâtiment et les travaux publics. Les 35 heures rendront les emplois plus attirants, me rétorquerez-vous. Mais si vous écoutiez les salariés, vous sauriez qu'ils souhaitent d'abord davantage de pouvoir d'achat... M. Maxime Gremetz - Ils veulent les deux ! M. Pierre Méhaignerie - Certes, mais ils peuvent aussi, comme cela est arrivé dans certains pays, n'avoir ni l'un ni l'autre. M. Maxime Gremetz - Vous tombez bien bas ! M. Pierre Méhaignerie - Des dizaines de millions de personnes ont connu cette situation. Ce projet de loi a-t-il un sens dans des zones où le taux de chômage est inférieur à 6 % -il en existe en France ? Le problème y est bien plutôt de trouver une main-d'_uvre employable. Ce projet de loi ne répond pas non plus aux attentes, très diverses, des salariés. Beaucoup d'entre eux ne souhaitent ni la flexibilité ni le travail le samedi. D'autres donnent la priorité à leur pouvoir d'achat que la perte d'heures supplémentaires et la stagnation des salaires menacent. Il y avait pourtant une autre réponse. Les soixante milliards de fruits de la croissance auraient pu être consacrés en priorité à l'allégement des charges, notamment sur les bas salaires. Quatre à cinq millions de petits salariés n'ont en effet pas encore le sentiment d'appartenir à la classe moyenne dans notre pays. Voilà pourquoi il aurait été opportun d'affecter ces 60 milliards à la franchise des cotisations sociales sur les trois mille premiers francs de salaire. Avec l'instauration de minima de branche, nous nous serions d'ailleurs rapproché de l'Allemagne ou des Pays-Bas où le niveau des salaires dans l'industrie et le BTP diffère de ce qu'il est en France. Voilà pourquoi, comme la quasi-totalité de mon groupe, je juge ce projet de loi inadapté. Vous avez dit hier que la France connaissait aujourd'hui un taux de croissance meilleur que celui de ses voisins. N'oublions pas toutefois qu'il a été inférieur de 0,5 point à celui de l'ensemble des pays de l'OCDE entre 1980 et 1995. N'oublions pas non plus que les nationalisations, autre réforme très populaire, dont on disait qu'elle créerait des emplois, n'a pas eu les résultats escomptés. Je crains qu'il n'en aille de même avec cette loi. Et sans doute serions-nous bien inspirés de nous interroger sur la méfiance qu'inspirent les 35 heures à nos voisins européens. S'ils ne nous suivent pas dans cette voie, pas plus qu'ils ne l'avaient fait en 1982 sur celle des nationalisations, c'est qu'ils sont persuadés que cette réforme ne créera ni les emplois espérés ni les conditions de la croissance souhaitable. Cette réforme, qui était un engagement électoral, constitue aujourd'hui une faute grave pour l'avenir de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). M. Jacques Desallangre - Ce débat sur le second projet de loi relatif à la réduction du temps de travail s'ouvre alors que tous les indicateurs économiques sont au vert : croissance soutenue, taux d'intérêt proches de leur niveau plancher, entreprises à la santé financière florissante. Cela étant, tout va-t-il si bien pour le plus grand nombre ? Certes, les statistiques du chômage s'améliorent grâce à la politique menée par le Gouvernement, mais des salariés paient le prix fort de la politique impitoyable des grands groupes industriels qui, tout en réalisant d'importants bénéfices, restructurent et délocalisent leur production, jetant sans état d'âme leurs salariés « kleenex » sur le pavé. Dans ma circonscription où Michelin sacrifie une usine et 451 emplois, qui croira encore à une « entreprise citoyenne » ou « lieu de progrès social » ? Ce sont là des impostures intellectuelles. Et Michelin n'est malheureusement pas un cas isolé : nous pourrions citer Elf, Alcatel, CGE, et bien d'autres encore. Lors de l'examen du premier projet, les députés du MDC ont voté le texte, bien que leurs amendements n'aient pas reçu l'écho qu'ils attendaient. Pour nous, la réduction du temps de travail devait favoriser la création d'emplois, parce qu'elle permettrait non de partager une quantité finie de travail, mais de relancer la demande intérieure et la croissance par la création d'emplois. Je note d'ailleurs que certains, à droite mais aussi à gauche, nous objectaient à l'époque que la croissance ne créait plus d'emplois ! Nous ne sommes plus seuls à penser aujourd'hui qu'elle en crée, et il faut s'en réjouir. Nous souhaitions hier, comme aujourd'hui, assurer un passage effectif aux 35 heures, mais surtout que les aides de l'Etat et les sacrifices déjà consentis par les salariés fassent l'objet de réelles contreparties en matière d'emploi. Plus de 15 000 accords auraient été signés et près de 125 000 emplois créés ou sauvegardés, il faut s'en féliciter. Nous devons cependant tirer les enseignements des accords déjà signés et corriger les dérapages, dont certains ont déjà été condamnés par les juridictions. Certaines de nos craintes se sont malheureusement révélées fondées, qu'il s'agisse de la remise en cause des temps de pause, du recours à l'annualisation, des modulations abusives ou de la précarisation des emplois. Votre projet présente certes l'intérêt de pérenniser la réduction du temps de travail mais apporte aussi des modifications substantielles au droit du travail et amoindrit la protection des salariés. Nous souhaitons pouvoir ensemble améliorer ce texte car les 35 heures doivent être un progrès pour les salariés, non un fardeau supplémentaire. Ma première réserve concerne l'importance accordée par le projet à la négociation, que la droite -c'est un comble !- vous reproche d'encadrer. Mais sans doute suis-je tenté par le démon du malthusianisme dénoncé par M. Barrot. Vous prônez la négociation -en laquelle vous avez toute confiance-, au risque d'abandonner l'un des principes fondateurs du droit du travail : l'ordre public social. Ce principe permettait au salarié de toujours bénéficier de la norme la plus favorable, qu'elle provienne d'une convention collective, d'un décret ou de la loi. Dorénavant, tout pourrait se négocier entre patrons et salariés : la durée du travail, l'annualisation, la modulation et même les majorations applicables aux heures supplémentaires. Ce n'est donc pas moi qui qualifierai votre texte de dirigiste. Il est vrai qu'il y a un monde entre M. Seillière et moi : sans doute le monde du travail et des travailleurs. Vous concédez aux employeurs que la durée du travail touchant à son organisation et à la vie quotidienne des salariés, les solutions ne pourront être construites que dans l'entreprise. Ce raisonnement pourrait s'appliquer à toutes les dispositions du code du travail qui sont aujourd'hui d'ordre public, au risque de laisser disparaître ce droit protecteur. Je crains que votre confiance en la négociation ne permette au patronat de profiter d'un rapport de force favorable pour définir une norme opposable aux salariés, à leur détriment. Il conviendrait au contraire de protéger les plus faibles et de rééquilibrer ce rapport de force en donnant plus de moyens juridiques aux syndicats. Ma perception a d'ailleurs été corroborée par les propos de M. Kessler qui vous priait sur LCI de valider certains accords que vous avez fort judicieusement refusé d'étendre. La liberté de négociation ne peut être juste et équilibrée que dans un cadre juridique parfaitement défini et s'imposant à tous. Les négociations devraient être mieux encadrées et mieux contrôlées, à la fois par les syndicats et par les salariés. Vous avez conditionné le bénéfice des allégements de charges à la signature de l'accord d'entreprise par les syndicats majoritaires et non plus par un seul syndicat représentatif, même minoritaire. C'est un progrès, mais il aurait été préférable, comme le propose l'un de nos amendements, de requérir la majorité pour valider l'accord d'entreprise, de façon qu'il soit opposable à tous les salariés. De même, après la signature de l'accord, il serait opportun de prévoir des procédures de contrôle et des contre-pouvoirs au sein de l'entreprise afin de contrebalancer la toute puissance de l'employeur. Notre collègue Georges Sarre défendra plusieurs amendements précisant ces aspects, car, non, Monsieur Dord, les contrôles ne sont pas d'inspiration militaire. La négociation doit être encadrée, les accords contrôlés. Les discussions doivent aussi se fonder sur des concepts juridiques précis. Il faudrait par exemple préciser la notion de « travail effectif » car comme nous en avions exprimé la crainte lors du vote de la première loi, la réduction du temps de travail s'est en partie effectuée en supprimant des temps de pause accordés auparavant de façon conventionnelle ou coutumière. Ces interprétations restrictives de la notion d'effectivité, préjudiciables aux salariés, sont également contraires à l'objet de la loi puisque les conséquences en furent une réduction moindre de la durée du travail et un volume d'embauche réduit. Plusieurs de nos amendements apportent une réponse à ces interprétations discordantes. Je crains malheureusement aussi que ce projet ne permette pas d'obtenir les créations d'emploi escomptées. En effet, grâce à l'annualisation du temps de travail et à la modulation des horaires, les employeurs pourront adapter leurs besoins de main-d'_uvre en fonction des nécessités de la production et échapper au paiement d'heures supplémentaires et à de nouvelles embauches. En revanche, l'instauration de ces mécanismes de flexibilité désorganisera la vie des salariés. Seuls le plafonnement et le renchérissement des heures supplémentaires structurelles dissuaderaient les employeurs d'en abuser et favoriseraient l'embauche de nouveaux salariés. De plus, il est regrettable que ce second projet remette en cause le dispositif du premier, c`est-à-dire la mise sous conditions des aides de l'Etat. Il est indispensable que les entreprises bénéficiant des aides structurelles contribuent, en contrepartie, à l'intérêt général en créant ou préservant des emplois menacés. L'effort de la Nation devrait être proportionnel à celui de l'entreprise et être remboursé en cas de non respect ; la suppression de la conditionnalité de l'aide hypothèque les effets de cette loi et laisse craindre que la création d'emplois stables ne soit plus l'objectif premier de la réduction du temps de travail. Pour lutter contre la précarisation des emplois, nous devons encadrer le recours aux contrats à durée déterminée, au temps partiel imposé et à l'intérim, en nous assurant que les normes que nous édictons soient effectivement respectées. Nous pouvons également exclure ces contrats du bénéfice de l'aide de l'Etat : les employeurs seraient ainsi incités à recourir au contrat de droit commun, qui doit rester, ou plutôt redevenir, le contrat à durée indéterminée. Le mode de financement de ces allégements de charges patronales devrait également être révisé car, de l'aveu de M. Kessler, ce sont en partie les salariés qui financeront ces aides, par l'intermédiaire du fonds rattaché au budget de la Sécurité sociale. En effet, ce fonds serait alimenté par une contribution sur les heures supplémentaires. Demain, les salariés qui effectueront des heures supplémentaires au-delà des 35 heures ne bénéficieront plus automatiquement de la majoration salariale de 25 % : au lieu d'être rémunérés pour les heures supplémentaires effectuées, les salariés vont en partie payer les allégements de charges consentis aux patrons. Ils risquent aussi d'être pénalisés par la réforme du droit à la formation professionnelle, qui devrait être partie intégrante du temps de travail, au lieu d'être imputée sur le temps que les salariés auront mis en réserve en effectuant des heures supplémentaires. Nous souhaitons donc que cette disposition soit retirée et que la formation fasse l'objet d'un débat devant notre assemblée. Il faut aussi résoudre l'épineuse question du double SMIC. Madame la ministre, votre dispositif gèlera en fait les rémunérations des salariés les plus modestes et ne pourra pas s'appliquer aux nouveaux embauchés. L'augmentation de 11,4 % du SMIC lors du passage à 35 heures serait la solution la plus simple, la plus équitable, et rééquilibrerait le partage de la valeur ajoutée, très défavorable aux salariés. Les députés du MDC soutiennent votre politique de création d'emplois par la réduction du temps de travail. Mais nous considérons que certaines dispositions doivent être revues et la méthode améliorée. Je ne prends pas ce texte, si important pour les travailleurs, pour une «gesticulation politicienne», comme il a été dit. Mais méfiez-vous, Madame la ministre, de compliments que M. Barrot a su habilement vous adresser. Ils pèsent aussi lourd que ses critiques. Pour ma part, je ne pourrais voter ce texte que s'il était substantiellement amélioré. La loi, pour moi, ne doit pas être subsidiaire (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV). M. Gérard Terrier - Cette loi constituera une avancée sociale sans précédent. Qui osait croire, il y a seulement quelques années, qu'on puisse procéder à une réduction aussi importante de la durée du travail ? (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) Si cela est aujourd'hui possible, nous le devons surtout à la santé de l'économie française : une santé retrouvée, il suffit d'observer les indicateurs économiques pour en être persuadé, grâce aux mesures prises par ce Gouvernement, qui a orienté la croissance en soutenant la consommation intérieure. Mais ces équilibres sont fragiles. Aussi est-il indispensable que ce texte reste équilibré. Tel est d'ailleurs le message du Premier ministre : « Cette loi, nous dit-il, doit être bénéfique pour les salariés et elle ne doit pas être contre les entreprises ». Il faut donc qu'elle soit réaliste afin qu'elle prenne pleinement effet dans les entreprises de notre pays. Nous avons suscité un formidable espoir chez les salariés. Ne prenons pas la responsabilité de créer une désillusion en la rendant inapplicable à force de la durcir. Cela ne veut pas dire qu'il nous faille renoncer à notre rôle de parlementaire, qui consiste à enrichir le projet. Aussi hier avons-nous, dans un travail constructif et collégial, au sein de la majorité plurielle, discuté un grand nombre d'amendements, dont certains sont loin d'être de portée mineure. Je pense en particulier à la définition du temps de travail, à l'article 5 sur les cadres, au temps partiel et à la durée maximale. Certains considèrent que les entreprises doivent être administrées à l'extrême, encadrées, corsetées par la réglementation ; d'autres que l'entreprise doit être libérale à l'extrême, laissant le marché et les flux financiers présider à ses destinées. Ces deux conceptions sont mauvaises. L'économie d'Etat a fait faillite et l'augmentation du chômage et de la précarité des emplois, le divorce des cadres avec leurs entreprises démontrent, si besoin en était, la perversité du second système. La vérité est entre les deux. Une entreprise, en effet, doit être à la fois économique et sociale. Sociale, car l'entreprise, c'est à la fois des dirigeants, des actionnaires, des salariés et des moyens de production. Mais aussi économique, car une entreprise qui ne fait de bénéfices est une entreprise qui disparaît. Les structures des entreprises ont changé. Il y a peu encore, leur richesse était tirée du produit du travail. Aujourd'hui, la richesse des grandes entreprises provient des placements financiers : le produit du travail n'est plus un objectif, mais un moyen. Il est donc nécessaire d'introduire plus de « social » dans les entreprises, afin que chaque salarié, chaque cadre y trouve son épanouissement. Comme la négociation entre partenaires sociaux piétine, de la seule volonté du patronat, il faut fixer des règles par la loi. Ne vous en déplaise, Mesdames et Messieurs de l'opposition, ce projet renforce la négociation sociale et laisse de larges espaces à la recherche de solutions adaptées à chaque situation particulière. Tout en offrant suffisamment de garanties aux salariés, ce texte n'altère pas la compétitivité de nos entreprises. Chaque fois qu'il y a, dans notre pays, une avancée sociale, le patronat, relayé par la droite, a eu le même discours d'opposition. Plus le progrès est important, plus l'opposition est intense. L'opposition du patronat étant forte, j'en déduis que le progrès social est important ! Nous nous sommes beaucoup préoccupés des cadres. De récents sondages ont fait apparaître le divorce de cette catégorie avec les DRH. Autrefois, les cadres étaient les principaux conseillers des dirigeants, lesquels se montrent aujourd'hui plus attentifs à l'avis des actionnaires. Il était important que les cadres bénéficient de la réduction du temps de travail. Pour la première fois, cette catégorie de salariés est prise en compte dans le dispositif réglementaire. Comme en 1936, il y aura ceux qui auront contribué à une avancée sociale importante et les autres. Je veux faire partie de ceux qui pourront dire : «Oui, j'ai contribué à cette avancée sociale.» C'est donc avec la volonté d'enrichir ce texte, mais aussi en vous assurant de mon soutien que j'aborde, Madame la ministre, la discussion de votre projet, dont les socialistes pourront être fiers (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). M. Bernard Accoyer - Vous connaissez, Madame la ministre, les raisons de notre opposition à votre projet : sa rigidité, l'échec de la première loi -malgré les chiffres que vous avancez et que nous contestons-, les risques encourus par les entreprises françaises... Mais ce n'est pas de cela que je veux parler. Depuis plusieurs mois, j'ai rencontré de nombreux salariés dans mon département et j'ai questionné les entreprises : j'ai ainsi reçu 150 réponses à mon questionnaire. Qu'en résulte-t-il ? Depuis le 13 juin 1998, seulement 12 % des entreprises de Haute-Savoie ont engagé des négociations, qui n'ont abouti que dans la moitié des cas. Il n'y a eu création d'emploi que dans 2 % des entreprises ; seulement 3,8 % des dirigeants estiment que la réduction du temps de travail est favorable à l'emploi ; 97 % considèrent qu'elle portera atteinte à leur compétitivité et 70 % la jugent inapplicable à leur entreprise (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). On trouve en Haute-Savoie la plus forte concentration mondiale dans le secteur du décolletage, de la sous-traitance automobile. Il s'agit d'entreprises soumises, par la concurrence internationale, à une pression extrême sur les prix. Leur inquiétude est grande, car elles manquent de main-d'_uvre qualifiée. Avec les 35 heures, qui réduiront leur productivité de 10 %, elles ne pourront plus répondre à la demande. Il leur faudra donc délocaliser la production, sinon se délocaliser elles-mêmes. La seule solution, Madame la ministre, ce serait un moratoire, qui donnerait aux jeunes le temps de se former avant l'entrée en vigueur de la loi. Votre texte est aussi facteur d'injustices. Les très grandes entreprises n'auront pas de difficultés à s'adapter, y compris par des délocalisations. Les PME, elles, sont dans un état d'inquiétude maximale. Les entreprises de services travaillant dans la haute technologie, qui facturent leur travail à la journée, seront contraintes de délocaliser leur siège hors de nos frontières. J'espère que ces deux problèmes retiendront votre attention, Madame la ministre. Si malgré tout, vous persistiez, il est clair que l'opposition, le moment venu, rendrait aux partenaires sociaux une liberté qui n'aurait jamais dû leur être confisquée (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL). M. Alain Néri - Tant que vous y êtes, supprimez les congés payés ! Mme Odile Saugues - La dynamique née de la loi du 13 juin 1998 montre que l'Etat tient toute sa place dans notre économie, incitant les partenaires sociaux à négocier, fixant le cadre de cette négociation, limitant les abus liés à la modulation, accompagnant financièrement les entreprises. L'Etat laisse cependant un vaste champ au dialogue social. Les partenaires sociaux n'ont jamais autant débattu, les salariés n'ont jamais autant mesuré l'importance de la démocratie dans l'entreprise. De leur côté, les entreprises ont compris l'enjeu économique et social de ce débat. En dépit des mots d'ordre idéologiques du MEDEF, relayés par quelques capitaines d'industrie dont l'aptitude au dialogue social n'est pas à la hauteur des prouesses technologiques, fin août, 15 000 entreprises avaient conclu un accord, et nombreuses sont celles qui sont engagées dans des négociations. Bien sûr, il existe des irréductibles. Ce n'est pas une surprise. Certains ne déclaraient-ils pas que l'on ne pouvait plus entreprendre en France depuis le Front populaire ? Mais combien d'entre eux ont fait appel à l'argent des contribuables pour s'adapter à la concurrence internationale, combien ont été soutenus par le biais du FNE ? L'argent public serait-il bienvenu pour réduire les effectifs et indécent quand il s'agit de lutter contre le chômage ? Ce discours, je ne peux l'accepter. Alors, oui, la loi doit être souple et incitative pour ceux qui s'engagent de bonne foi dans un processus de négociation. Mais elle doit être contraignante pour les autres. C'est pourquoi j'ai déposé, avec mes collègues socialistes, un amendement visant à établir un lien direct entre la réduction négociée du temps de travail et la présentation d'un plan social. Avant d'envisager des suppressions d'emplois, l'entreprise aura dû conclure un accord, ou, à défaut, avoir engagé sérieusement des négociations en vue d'une réduction du temps de travail. Comme l'a dit Lionel Jospin dans sa déclaration de politique générale, le plan social doit être l'ultime recours, quand toutes les autres pistes ont été explorées. Cette phrase montre la volonté du Gouvernement d'assumer toutes ses responsabilités face au comportement scandaleux de certains chefs d'entreprise. Cet amendement est simple, concret. Son objet est de moraliser le recours au licenciement économique, qui ne sera jamais un acte banal de gestion. On ne peut considérer les salariés comme une simple variable d'ajustement, ni assimiler la destruction d'emplois à un « gain de valeur », comme l'a écrit récemment la manufacture Michelin. Cet amendement traduit aussi, pour moi, la volonté de ne pas se contenter de manifester de l'indignation face à tel ou tel plan social. Oui, nous devons manifester notre réprobation, dans l'hémicycle et dans la rue. Mais nous serons jugés sur nos actes, et non à la longueur de nos banderoles. Je suis particulièrement satisfaite de voir que le Gouvernement a accepté de rouvrir le débat sur la définition du temps de travail effectif. L'amendement retenu par la commission des affaires sociales répond à notre inquiétude, même s'il ne règle pas tout. Cette nouvelle définition éclairera les partenaires sociaux, et, le cas échéant, se traduira dans la jurisprudence. Enfin, nous devons nous donner les moyens d'appliquer cette loi dans toutes les entreprises par un renforcement des missions et des moyens de l'inspection du travail. Il y a un an, le groupe socialiste attirait votre attention sur cette nécessité et vous annonciez alors votre intention de créer de nouvelles sections, notamment dans des bassins d'emplois qui ont évolué. Cette préoccupation est plus que jamais d'actualité. L'examen des articles de ce texte majeur nous permettra de revenir sur ces questions. En conclusion, je soulignerai que cette réforme aura fait naître un grand mouvement de dialogue social dans notre pays, mais aussi un mouvement de dialogue politique très enrichissant entre le Gouvernement et sa majorité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Germain Gengenwin - Un peu plus d'un an après le vote de la première loi sur la réduction du temps de travail, vous annoncez la signature de quelque 14 000 accords collectifs engageant l'avenir de 2,2 millions de salariés. Or, aujourd'hui, vous nous proposez des mesures fondamentales qui risquent d'obérer, dans de nombreux cas, les accords déjà signés. C'est une manière pour le moins assez particulière d'encourager le dialogue social... Je constate, en revanche, que votre texte donne une nouvelle place aux accords d'entreprise alors que dans la première loi seuls les accords de branche étaient reconnus. De fait, seule une négociation au niveau de l'entreprise peut permettre d'adapter le temps de travail à la fois à ses besoins réels et aux aspirations des salariés. Dommage que votre texte enserre ces négociations dans un corset très étroit qui ne laissera que peu de marge... C'est d'autant plus regrettable que le texte va concerner, cette fois, plus de 10 millions de salariés. On passe de l'expérimentation à la généralisation, en pariant sur un prolongement des comportements actuels. Mais ceux-ci ne sont pas aussi encourageants que voudrait le laisser croire le bilan optimiste que vous avez présenté aux médias la semaine dernière. Laissons aux 35 heures ce qui appartient aux 35 heures et à la croissance ce qui appartient à la croissance. Les entreprises que je connais m'ont toutes dit qu'avec ou sans primes, elles auraient embauché... Votre seconde loi est complexe et risque de décevoir, à terme, les salariés. Certes le message envoyé est séduisant : durée du travail plus courte pour un gain identique, qui n'y souscrirait ? Or les mesures prévues risquent d'avoir des effets pervers et de soumettre les salariés à des cadences élevées, tout en rognant leur pouvoir d'achat par la limitation des heures supplémentaires. La flexibilité est indispensable aux entreprises, c'est vrai, mais la généraliser unilatéralement, c'est porter de mauvais coups aux salariés concernés. Quant à ceux dont l'entreprise sera restée aux 39 heures, ils devront verser une partie des majorations pour heures supplémentaires à un fonds spécial chargé de financer l'allégement des charges sociales. En fin de compte, ce sont les salariés qui vont financer la réduction de leur temps de travail ! Ce projet crée de véritables inégalités de traitement entre les salariés, avec, à la clef, une compression de l'échelle des salaires pour tous ceux qui sont proches du SMIC. Il introduit, de surcroît, des distorsions de concurrence entre les entreprises, aux dépens des PME. Enfin, ce dispositif est totalement inadapté à la nouvelle structure de la croissance, marquée par des difficultés de recrutement de personnel qualifié pour de nombreuses entreprises. La seule réponse adaptée est de retarder de deux ans l'application de la loi dans les bassins d'emplois et les branches professionnelles à forte pénurie de main-d'_uvre qualifiée -nous proposerons un amendement en ce sens. Un problème n'est pas évoqué dans la loi, celui des contrats de qualification et de l'apprentissage : les apprentis vont-ils être les seuls à travailler 39 heures, ou faudrait-il faire passer la durée de l'apprentissage de deux ans à deux ans et demi pour parvenir au nombre d'heures de formation requis ? De plus, le contenu du volet relatif à la formation risque d'être remis en cause prochainement puisque le secrétaire d'Etat à la formation professionnelle a annoncé, la semaine dernière, une réforme pour l'an 2001 avec expérimentation préalable. Est-il sérieux de faire signer des accords collectifs sur des mesures qui risquent d'être rapidement caduques ? Quant au financement du dispositif, il n'est toujours pas trouvé. Les allégements prévus représenteront 105 à 110 milliards par an et aboutiront en fait à des prélèvements supplémentaires massifs. Pour financer les 35 heures, vous avez fait le choix d'une taxation plus lourde des entreprises par le relèvement de la taxe générale sur les activités polluantes et de la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés. Vous avez fait aussi le choix d'une ponction sur les salariés par l'institution d'une taxe sur les heures supplémentaires, ainsi que celui d'une contribution imposée à l'UNEDIC et à la Sécurité sociale, et compensée par d'hypothétiques recettes résultant des créations d'emplois. Vous réalisez, Madame la ministre, un formidable tour de passe-passe budgétaire qui va assainir singulièrement les comptes de l'Etat, la politique d'allégements n'y figurant plus dès lors qu'elle sera financée par un fonds spécialement créé à cet effet au sein de la Sécurité sociale. C'est ce qui a conduit les commissaires des finances UDF à demander que l'Assemblée soit véritablement informée de l'impact réel du passage aux 35 heures sur le budget de l'Etat. En vous y refusant, vous renforcez le clivage entre ceux qui croient à l'importance de l'information pour la démocratie et font confiance à la responsabilité des hommes, et ceux qui pensent que l'Etat doit au contraire tout encadrer, réglementer et administrer. La diminution du temps de travail est peut-être dans l'air du temps, mais l'imposer à marche forcée va à l'encontre des objectifs poursuivis. Enfin, comment oublier que cette loi ne concerne que la moitié des salariés puisque la fonction publique en est exclue. On sait désormais que la négociation sera ouverte, qu'elle durera deux ans, mais c'est une autre histoire... (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR) M. Alain Veyret - Il n'y a pas de démocratie sans suffrage universel, pas de légitimité sans l'aval des électeurs, pas de politique sans bataille électorale. Quelle légitimité plus forte pourrions-nous trouver que la confiance que les Français nous ont témoignée en juin 1997 -et qui depuis n'a pas fléchi- sur un programme où le passage aux 35 heures occupait une place de choix ? Depuis la mise en chantier de ce projet, la mobilisation de circonstance du MEDEF nous a rappelé les arguments invoqués à chaque étape des progrès sociaux de notre pays. Quant à l'attitude de l'opposition, j'avoue avoir quelque difficulté à la comprendre. Certes, le SMIC pose un vrai problème, que nous parviendrons à résoudre, j'en suis sûr. Mais on est bien loin du SMIC-jeune, invention de M. Balladur qui mit la France dans la rue ! L'opposition a-t-elle oublié ceux qui, il y a peu, réclamaient la suppression du salaire minimal « si préjudiciable à la croissance des entreprises », alors que le travail est, en France, l'un des moins chers d'Europe et que les entreprises annoncent sans cesse des profits en forte hausse ? Pourquoi fustiger ainsi une loi qui, certes, doit être encore améliorée mais qui a pour vocation de rétablir le dialogue social et la démocratie dans l'entreprise ? Pourquoi fustiger une loi qui rappelle le rôle dans l'organisation du travail et dans l'amélioration des conditions de travail de salariés qui savent mesurer autant que les chefs d'entreprise les conditions de la productivité ? Pourquoi fustiger une loi qui vise à trouver un équilibre subtil entre amélioration du sort des salariés, lutte contre la précarité de l'emploi, lutte contre le chômage ? Pourquoi fustiger une loi qui doit permettre par la négociation d'assurer les mutations nécessaires d'un monde du travail encore trop imprégné des archaïsmes de la révolution industrielle ? « Quand le passé n'éclaire plus l'avenir, alors l'esprit marche dans les ténèbres » disait avec sagesse Tocqueville. Aussi est-ce dans le passé que nous devons puiser l'énergie pour mener à bien ce projet, dans le souvenir des luttes sociales soutenues par des millions d'hommes et de femmes pour refuser la fatalité de la misère et du chômage, pour arracher un à un les droits et les libertés que la République leur accordait mais qu'un patronat si semblable à la frange qui a défilé dans nos rues lundi dernier, ne leur reconnaissait pas concrètement. C'est dans le souvenir des parlementaires qui avaient su incarner la protestation des masses laborieuses et prendre la tête du mouvement social que nous devons trouver notre détermination. Ils ont su imposer par la loi les grandes avancées sociales de ce siècle, jalonnant ainsi le parcours de la France vers une société plus juste et plus solidaire. C'est la même démarche que nous, socialistes, devons mener à son terme avec l'appui de toutes les forces de gauche. La loi sur la réduction du temps de travail est bien l'héritière des grandes lois sociales de 1919 et 1936. Souvenons-nous des critiques adressées aux lois sur les 40 heures et aux congés payés : « encouragement à la paresse, mise à mort de l'économie, fortune des cafetiers ». Ce furent, en fait, de formidables avancées sociales, des moments de joie collective offerts à tous ceux qui ne connaissaient que le paysage de rues noires, la bouche sombre de la mine, la fumée toxique des usines. Ce fut le temps enfin regagné sur l'exploitation et la misère. C'est la même magie que nous devons recréer aujourd'hui entre la gauche et la nation. Et malgré les difficultés, nous devons garder à l'esprit le mandat donné par ceux qui nous ont fait confiance en 1997 : faire reculer massivement le chômage, vaincre la précarité, assurer à tous un égal accès aux soins. « Il n'y a pas de pensée sociale sans pensée humaniste » et certains, animés d'une légitime impatience, réclament plus d'avancées sociales dans un temps plus court. Mais les égoïsmes de tous genres sont puissants et les réformes les plus légitimes ne peuvent se passer du secours du temps. Comme le disait Jaurès, « le courage, c'est aller vers l'idéal et comprendre le réel ». Au terme de cette discussion, il nous restera encore bien du chemin à parcourir, mais nous pouvons le raccourcir, Madame la ministre, pour peu que soient adoptés les amendements destinés à définir un temps de travail qui englobe les pauses et les avantages acquis dans les luttes passées, à offrir aux cadres une véritable réduction du temps de travail et une législation protectrice, à limiter l'utilisation des contrats précaires et le temps partiel imposé, en conditionnant les aides publiques, à lutter contre l'arrogance de ceux qui annoncent toujours plus de profits, et toujours plus de licenciements, et qui puisent allègrement dans les coffres de l'Etat pour le financement des drames sociaux qu'ils provoquent, à s'assurer que, demain, aucun salarié payé au SMIC n'aura le sentiment d'être moins rémunéré. Ce que l'on défend, c'est ce que l'on est capable de soumettre à l'adhésion des siens et à la critique du camp adverse. Aujourd'hui, les yeux de tous ceux qui sont soumis à toujours plus de pression sur leurs horaires de travail, sur leur vie privée et sur leurs conditions de vie sont tournés vers nous ; les yeux de tous ceux qui, issus de classes modestes et moyennes, ont mis leurs espoirs dans leur vote de juin 1997. Madame la ministre, au même titre que la loi sur les emplois-jeunes, la loi contre les exclusions et la loi créant la couverture maladie universelle, votre loi, notre loi, portera la griffe de la gauche, cette expression d'une volonté collective qui place la défense du plus faible et de l'intérêt général au-dessus de toute autre considération. Oui cette loi de réduction forte du temps de travail sera la dernière grande loi sociale de ce siècle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Alain Néri - Oui, la seconde loi sur la réduction du temps de travail est indispensable car elle permettra de créer des emplois, et l'emploi demeure notre priorité. Elle est indispensable pour améliorer les conditions de vie des salariés. Elle est indispensable pour instaurer une protection des salariés à l'heure où les man_uvres engagées par certaines entreprises comme Michelin nient tout dialogue social et remettent en cause les conquêtes sociales des générations précédentes. Elle est plus que jamais indispensable au moment où M. Seillière et le MEDEF se déchaînent avec une arrogance, un cynisme et un mépris intolérables envers les salariés, leurs organisations syndicales et même la représentation nationale... M. Maxime Gremetz - La lutte des classes, camarade ! (Sourires) M. Alain Néri - Ce bon texte de base est perfectible, c'est ce à quoi se sont employés les députés socialistes, comme vous l'aviez souhaité, Madame la ministre. Je veux insister plus particulièrement ici sur la durée effective du temps de travail. Lors de la première loi, nous étions arrivés à une définition largement acceptée, selon laquelle il s'agissait du temps pendant lequel le salarié ne pouvait vaquer librement à ses occupations. Mais il nous faut aujourd'hui parvenir à une définition plus précise afin que certaines dérives d'un certain patronat n'aboutissent pas à la conception inacceptable formulée par Michelin dans une note interne aux termes de laquelle «le temps de travail effectif est le seul temps productif à l'exclusion du temps nécessaire à l'habillage, au casse-croûte, aux pauses, voire des jours fériés». Quel affront fait à nos anciens qui se sont battus pour le droit à la pause, pour ne plus avoir à se cacher derrière l'établi pour grignoter son quignon de pain ! Que M. Seillière sache que nous n'acceptons pas de tels retours en arrière ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste). La Manufacture Michelin ose même afficher un horaire extravagant avec un décompte en centièmes... Il s'agit non seulement de dérives mais aussi de provocations, que nous dénonçons. Avec nos collègues de la majorité plurielle, instruits par l'expérience, nous avons donc déposé un amendement qui «remet les pendules à l'heure» (Sourires), en donnant une définition précise, apte à préserver les droits des salariés et qui figurerait dans le code du travail, selon laquelle les temps nécessaires à la restauration, aux pauses, à l'habillage et au déshabillage, voire à la douche, sont des temps de travail effectif. Contrairement à ce qu'affirme l'opposition, cette loi n'est pas une loi autoritaire puisqu'elle contribue comme la première au développement du dialogue social dans l'entreprise. Elle est une loi de précaution, indispensable contre les interprétations fallacieuses de certains. Elle vise avant tout au respect de l'homme, à sa prééminence dans l'entreprise, objectifs qui devraient être partagés par tous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Gérard Fuchs - Même si tous n'en sont pas conscients, c'est une véritable mutation sociale qui s'engage avec le passage aux 35 heures. Au-delà des discours et des postures, la réduction du temps de travail créera des emplois, c'est certain. Le bilan en sera fait, et le peuple jugera. Ces créations prendront trois chemins : la voie directe -les «6 %», et leur cortège de 20 000 emplois créés- mais aussi la voie macro-économique, car un chômeur en moins, c'est de la croissance en plus, et, enfin, la voie des nouveaux emplois induits par les nouveaux horaires : le temps libre conduit à entreprendre de nouvelles activités, qui demanderont l'emploi de nouveaux salariés. C'est là, aussi que l'on touche au changement de société. Car la réduction du temps de travail c'est, certes, l'exercice pendant une durée plus courte d'un travail pénible, mais c'est aussi plus de temps disponible pour la vie citoyenne, qu'elle soit associative, syndicale ou politique. Devant les progrès d'une mondialisation souvent considérée comme menaçante, il faut des citoyens mieux formés à l'exercice de leurs responsabilités. La réduction du temps de travail en donnera l'occasion. Encore faut-il cependant s'assurer que le vote de ce projet n'ait pas pour conséquences paradoxales quelques reculs. A cet égard, j'ai eu quelques inquiétudes à propos du SMIC, car ses imprécisions demeuraient qui recelaient un danger potentiel. Parler, en effet, de «salaire égal pour un travail équivalent» pouvait pousser des employeurs de mauvaise foi à des interprétations inacceptables. D'autre part, ne pas parler des nouvelles entreprises pouvait laissait entendre qu'il leur serait loisible d'imposer un horaire de 35 heures payées 35 heures, ce qui aurait eu pour conséquence d'instituer un salaire net légal inférieur à 5 000 F, ce qu'aucun député de la majorité plurielle ne saurait tolérer. La commission a donc apporté les précisions qui s'imposaient grâce, notamment, aux propositions du groupe socialiste. En indiquant que le complément de salaire s'appliquera aux nouvelles entreprises, elle lève toute ambiguïté. Je n'imagine pas que ces dispositions puissent être remises en cause. Aussi, je suis, ce soir, un socialiste heureux, un député heureux et un citoyen heureux qui espère que le projet ainsi retravaillé recueillera un large assentiment (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Eric Doligé - Je m'en voudrais de ne pas faire observer à mon collègue Néri, retraité de l'éducation nationale, qu'avec chacune de ses interventions il appauvrit un peu plus l'emploi. Il comprendra peut-être que quelqu'un qui se bat depuis 25 ans au sein d'une PME ne puisse rester sans réaction ! L'examen du projet permettra aux Français d'apprécier l'ampleur des divergences. Ainsi que l'a très bien expliqué Mme Bachelot hier, vous pensez réduire le chômage en imposant la réduction du temps de travail, c'est-à-dire en gérant la pénurie. En ce qui nous concerne, nous souhaitons que la réduction du temps de travail ne soit pas imposée, mais choisie par les partenaires sociaux. Ce qui se conçoit bien est réputé s'énoncer clairement. Que dire, à ce propos, à votre décharge, sinon qu'il vous a fallu concilier les contradictions internes à votre majorité ? Ce que nous souhaitons, nous, c'est un texte aisément compréhensible, qu'instituerait, par exemple, un régime simple pour les heures supplémentaires, en tenant compte des contraintes propres à chaque secteur et à chaque entreprise. Pourquoi, encore, avoir incité les partenaires sociaux à négocier de tels accords pour, ensuite, vouloir les balayer d'un revers de main ? Votre Meccano législatif pourrait à la rigueur se concevoir si la France était seule au monde. Mais vous-même, Madame la ministre, n'avez-vous pas participé, chez Pechiney, à l'élaboration de plans sociaux qui visaient à asseoir la suprématie mondiale de l'entreprise ? Ce scénario ne vous rappelle-t-il rien ? Le texte que vous nous présentez est économiquement suicidaire. Tous les chefs d'entreprise vous le diront sans relâche : pour créer des emplois, il faut un régime juridique et fiscal stable, que des promesses électoralistes ne doivent pas venir perturber. Pourquoi les entreprises étrangères qui pensent s'installer dans mon département s'intéressent-elles tant à la réglementation et au degré d'interventionnisme des pouvoirs publics français ? J'ai à l'esprit un exemple précis qui montre que l'Espagne ou la Grande-Bretagne vont probablement bénéficier de nos faiblesses, et que 350 emplois et 700 millions de francs vont se transporter sous d'autres cieux ! Que ne vous demandez-vous pourquoi, à croissance équivalente, nos partenaires créent plus d'emplois que nous ? En accroissant, par le passage aux 35 heures, le coût du travail, vous condamnez de façon certaine des pans entiers de notre industrie à la fermeture ou à la délocalisation. Quel sera l'avenir de l'industrie textile ou de la mécanique ? Vous en préoccupez-vous ? Avez-vous demandé aux salariés de ces branches ce qu'ils pensent de votre dispositif ? Ne pensez-vous pas qu'ils préféreront travailler 39 heures -sinon davantage- que de risquer de voir leur entreprise fermer ? Toutes les entreprises demandent la réduction des charges qui pèsent sur la main-d'_uvre peu qualifiée, de l'impôt sur les sociétés, des prélèvements obligatoires. Cessez de croire que des charges allégées ne profitent qu'aux chefs d'entreprise, et permettez-leur de se défendre contre la concurrence internationale ! L'entreprise est une entité qui n'a cure de la lutte des classes ! Faites confiance aux partenaires sociaux, qui sauront toujours mieux défendre leurs intérêts que ne le fera l'Etat : consentez au principe de subsidiarité, au lieu de vous approprier une partie des fonds de l'UNEDIC, au mépris des règles établies et sans que le Parlement ait son mot à dire ! Pour tout ce qui a trait à l'aménagement du temps de travail, la loi doit être subsidiaire à la convention ou à l'accord entre les partenaires sociaux. Mais encore faut-il renforcer le rôle des syndicats. Un projet relatif à la représentation des syndicats dans l'entreprise aurait été le bienvenu, au lieu de quelques mesures autoritaires et dangereuses au détour d'un article ! Et si vous manquez d'idées, consultez donc M. Blondel ! Pensez-vous réellement que les salariés chercheront à se syndiquer si l'Etat ne cesse d'interférer dans les relations sociales ? Une association de chefs d'entreprise a récemment proposé aux parlementaires d'effectuer un stage en entreprise, et elle n'a rencontré, paraît-il, qu'un faible écho, ce qui ne laisse pas de surprendre. L'expérience serait pourtant enrichissante aussi bien pour ceux qui y participeraient que pour l'emploi... Madame la ministre, pensez à tous ceux qui, en ce moment, se battent dans nos entreprises pour notre économie, afin d'enrichir notre pays, et qui sont à votre merci (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 15. La séance est levée à 19 heures 40. . Le Directeur du service © Assemblée nationale |