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Session ordinaire de 1999-2000 - 4ème jour de séance, 7ème séance

1ÈRE SÉANCE DU JEUDI 7 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE DE M. Patrick OLLIER

vice-président

Sommaire

            SÉCURITÉ ALIMENTAIRE 2

            ARTICLE UNIQUE 10

            TITRE 12

La séance est ouverte à neuf heures trente.

        SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la transparence et la sécurité de la filière alimentaire en France.

M. le Président - Je rappelle que le rapport de la commission de la production porte sur quatre propositions de résolution.

M. Daniel Chevallier, rapporteur de la commission de la production - De la vache folle au poulet à la dioxine en passant par l'épisode Coca-Cola, le b_uf aux hormones ou l'introduction d'organismes génétiquement modifiés dans les aliments, l'actualité nous fait nous interroger sur l'état de notre alimentation. Dans ce contexte, une crise de confiance peut facilement éclater à partir du doute sur la qualité des produits comme sur les garanties offertes par les aliments.

Au cours des trente dernières années, les pratiques alimentaires dans les pays occidentaux ont connu de profonds bouleversements qui ont fait passer du repas familial au « fast food », de la cuisine traditionnelle à l'empire du « snack » et de la production artisanale à l'industrialisation de masse. Ces évolutions créent une forme de désarroi chez le consommateur qui est tenté d'accuser la science d'avoir normalisé à outrance notre alimentation, en oubliant toutefois les progrès accomplis en matière de sécurité sanitaire aux différents stades de la production.

Les modes influent aussi sur les pratiques alimentaires, de l' « aliment-énergie » riche en calories à l'aliment « bio » et concourent ainsi à la perplexité du consommateur, qui a du mal à suivre, tant sur le plan pécuniaire que par rapport aux exigences de qualité, de sécurité et d'information qui sont légitimement les siennes.

La commission de la production propose donc de mettre en place une commission d'enquête qui répondra à plusieurs demandes émanant de différents bancs de notre assemblée, qu'il s'agisse des organismes génétiquement modifiés et du risque sanitaire dans l'agroalimentaire, du poulet à la dioxine ou, à la demande du groupe socialiste, d'une réflexion globale sur « la sécurité et la transparence de la filière alimentaire ». Le dernier intitulé est celui qu'il vous est proposé de retenir car il couvre l'ensemble de la problématique de la sécurité de la filière alimentaire, qu'il s'agisse de l'aspect sanitaire, de l'information du consommateur, de l'étiquetage des produits et de l'obligation de transparence de la filière, de la production à la distribution.

La commission d'enquête s'intéressera à ce titre à la sécurité des méthodes utilisées dans la chaîne agroalimentaire eu égard aux diverses formes de contamination, bactérienne, chimique ou physique. Elle traitera de l'incorporation d'aliments issus du génie génétique dans les produits proposés aux consommateurs comme de l'utilisation dans l'élevage de farines, de graisses et des dérivés de déchets animaux. Elle s'attachera aux problèmes posés par l'adoption de normes différentes en Europe et hors d'Europe, notamment pour les activateurs de croissance et le bien-être animal. Enfin, elle dressera un bilan des garanties présentées par le système agroalimentaire français au regard de l'ensemble de ces risques.

Ces travaux démarrent alors que s'ouvre dans le cade de l'OMC un cycle de négociation de trois ans qui traitera de la sécurité sanitaire et alimentaire et où risquent de s'affronter un modèle américain de nourriture

industrielle et le modèle franco-européen ancré à la notion d'« aliments sains ». De récentes manifestations d'agriculteurs ont souligné cet antagonisme qui porte en définitive sur de véritables choix de société.

Je souhaite pour ma part que l'action de cette commission d'enquête ne s'inscrive pas dans le cadre d'un procès contre la filière agroalimentaire française. Notre pays s'est en effet placé aux avant-postes dans le combat pour une nourriture saine, en créant successivement une direction de l'hygiène et de la sécurité alimentaire, un système de biovigilance sur l'ensemble du territoire et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui vient de s'illustrer en toute indépendance sur le dossier du b_uf britannique, et en inscrivant l'obligation de traçabilité dans la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999.

La commission d'enquête devra tendre plutôt à parfaire l'information du consommateur et à examiner la mise en place de tous les moyens scientifiques et techniques permettant d'offrir à nos concitoyens les garanties de sécurité alimentaire qu'ils attendent légitimement.

A travers l'alimentaire s'exprime en effet un réseau de significations symboliques et interrogations et doutes laissent facilement la place à crainte et inquiétude.

Faute de garantie d'obtenir une « traçabilité » incontestable, il conviendra aussi d'examiner les conditions d'application du principe de précaution, qui traduit simplement l'idée que le « risque zéro » n'existe pas et que la preuve de l'innocuité d'un produit doit donc être apportée avant sa commercialisation.

Il me paraît donc indispensable que notre assemblée adopte la proposition de résolution portant création d'une commission d'enquête sur la transparence et la sécurité de la filière alimentaire en France, qui a reçu l'accord unanime des membres de la commission de la production (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Calmat - La sécurité alimentaire est une préoccupation majeure de nos concitoyens, renforcée par les conséquences de la « mal bouffe » dans certains pays.

Il est même envisageable que dans un proche avenir, des procès soient intentés à l'encontre de certaines industries alimentaires ou de certaines entreprises de restauration, tels que ceux qui mettent actuellement en cause des producteurs de tabac.

La politique de notre pays va dans le bon sens. Peut-être même la France est-elle la seule à avoir raison ? Elle seule a su se doter de l'instrument adéquat d'évaluation des risques alimentaires tandis que la Commission européenne se fonde sur des expertises scientifiques déjà dépassées même si elles ne remontent qu'à quelques mois.

L'impertinente AFSSA ose même mettre en doute le bien-fondé de la levée de l'embargo sur les viandes britanniques alors que sa notoriété ne semble pas avoir encore dépassé l'outre-Quiévrain !

C'est d'ailleurs dans une surprenante intimité médiatique que l'Assemblée nationale comme le Sénat ont voté à l'unanimité, en juin 1998, la loi relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits de santé et des produits destinés à l'homme. Cette loi, dont j'ai été le rapporteur, voulue par le Gouvernement de Lionel Jospin, bien que d'origine sénatoriale, a bénéficié de cette éclipse médiatique qui a permis de dépassionner les débats. Elle a abouti à la création de l'Institut de veille sanitaire et de deux agences, dont l'AFSSA. La naissance feutrée de ces trois outils essentiels contraste avec le tintamarre médiatique, souvent justifié mais pas toujours judicieux, occasionné par les problèmes qui leur ont été soumis.

Chargé par M. Le Garrec de suivre l'application de cette loi, dont tous les décrets d'application ont été publiés, j'ai eu l'occasion de rencontrer les trois directeurs, en particulier M. Hirsch, directeur de l'AFSSA. Celle-ci a déjà rendu plusieurs avis relatifs notamment à la contamination par la dioxine de certaines graisses animales utilisées dans l'alimentation du bétail ou bien encore à la contamination de canettes de Coca-Cola. Son dernier avis, qui a eu le retentissement que l'on sait, concerne les viandes britanniques.

Si notre pays est maintenant en état de garantir à nos concitoyens une sécurité alimentaire satisfaisante, une vigilance de tous les instants n'en reste pas moins nécessaire. C'est pourquoi la création d'une commission d'enquête parlementaire sur la transparence et la sécurité de la filière alimentaire en France me paraît tout à fait justifiée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-François Mattei - Avec le veau aux hormones, les OGM, la crise de la vache folle et de la dioxine, nous avons soudain pris conscience que le contenu de notre assiette nous échappait. Rapporteur des travaux de la mission d'information sur la vache folle, j'avais choisi à dessein d'intituler son rapport : « De la vache folle à la vache émissaire ». En effet, plus que d'une crise de confiance, dont a parlé le rapporteur, il s'agit bien d'une crise morale. Nous avons peu à peu découvert qu'avaient cours des pratiques indignes de l'idée que nous nous faisons de l'homme. Alors, nous avons chargé la vache folle, tel le bouc émissaire, de tous les péchés. La pauvre n'en peut mais car voici qu'à sa suite, il faudrait citer aujourd'hui les poulets, le maïs... L'homme ne peut plus échapper à ses responsabilités. Il semble bien qu'ayant confondu la fin et les moyens, nous ayons perdu ce que nous enseignait la philosophie classique, à savoir une maxime pour l'action, et que nous en portions collectivement la responsabilité.

Il est temps de nous ressaisir et de répondre à l'opinion publique qui, à juste titre, se révolte mais dont les réactions sont parfois disproportionnées avec la nature des incidents en cause. Cela étant, pourquoi de telles réactions ? Un des nouveaux responsables de la santé publique en France reconnaissait récemment qu'il n'existe pas dans notre pays de culture de la santé publique et qu'il n'est aucun moyen d'informer correctement la population dans l'urgence. Essayant de désamorcer les crises en minimisant leurs conséquences au journal télévisé de 20 heures, on obtient précisément l'effet inverse. Il nous appartient à nous, politiques, de revoir la façon de gérer ces crises.

L'espérance de vie s'est allongée, la taille moyenne de nos concitoyens s'est accrue de dix à quinze centimètres, leur état nutritionnel s'est beaucoup amélioré : qui pourrait nier les progrès considérables accomplis en un siècle dans le domaine de l'alimentation et de l'hygiène ? Mais c'est aussi pour cela que nos concitoyens sont devenus de

plus en plus exigeants tout comme, de mieux en mieux soignés, ils sont de plus en plus attentifs à la qualité des médicaments ou de la transfusion sanguine. Nous avons donc dans ce domaine à redonner un sens à l'action politique.

C'est pourquoi je suis tout à fait favorable à la création de cette commission d'enquête. J'avais moi-même proposé, avec Pierre Lellouche, une commission à l'objet plus limité car la tâche me paraissait autrement impossible. Quoi qu'il en soit, il s'agira d'un travail complexe et de longue haleine, néanmoins indispensable.

Monsieur le ministre, nous avons eu l'occasion d'échanger quelques propos par voie de presse interposée lors de la levée de l'embargo sur la viande britannique. Notre seul souci en cette affaire est d'aider le ministre et le gouvernement français, la France, lorsqu'il s'agit de s'opposer à des décisions, quasiment imposées par la Commission européenne ou l'OMC, qui ne nous conviennent pas. Nous ne nous laisserons pas imposer une nourriture ne répondant pas à nos critères d'hygiène et de sécurité.

Je formulerai une seule réserve. Alors qu'il est si important de faire évoluer les mentalités et de lutter contre les conservatismes, je regrette que l'on oppose le monde de la santé à celui de l'agriculture ou de l'environnement. La sécurité sanitaire est un tout qui ne peut être dissocié ni s'accommoder des prés carrés. C'est pourquoi je déplore que les mots « santé » ou  « sanitaire » ne figurent pas dans le titre de cette proposition de résolution. C'eût été hautement symbolique. Cela eût permis aussi à ceux qui effectueront des recherches sur Internet à partir de ces mots-clés de se reporter à notre travail. Ils risquent autrement de n'en avoir jamais connaissance (Applaudissements bancs du groupe DL).

La recherche de la sécurité sanitaire en tous domaines est notre impératif. C'est même notre commune responsabilité. Il nous faudra discuter au fond du principe de précaution car le risque zéro n'existe pas. Il faut toujours, à un moment donné, choisir d'agir ou non en fonction du risque estimé. C'est d'ailleurs là toute la noblesse de l'action politique qu'il nous faut retrouver : assurer la responsabilité après avoir pesé les risques. Je souhaite précisément que, contribuant à l'évaluation des risques, cette commission d'enquête nous permette de dégager des principes guidant notre action future (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Pierre Carassus - Vache folle, peste porcine, poulet à la dioxine, b_uf aux hormones : autant de dérives qui inquiètent les consommateurs. Ils se demandent chaque jour à quels nouveaux dangers ils vont être exposés. Leurs craintes portent sur la qualité des produits, la protection de l'environnement, le bien-être des hommes, mais aussi des animaux.

Certains veulent nous imposer un modèle de société hyper-productiviste où quelques multinationales peu scrupuleuses se préoccupent davantage de leurs profits que de la santé publique ou de l'environnement. Il est significatif que les Etats-Unis encouragent ces pratiques comme en témoignent les sanctions douanières qu'ils ont prises suite au refus légitime de la Commission européenne d'importer leur b_uf aux hormones. Il est scandaleux que cette attitude ait été condamnée par l'OMC, qui a fixé à 717 millions de francs par an l'amende à payer aux États-Unis. La libéralisation des échanges avance comme un rouleau compresseur...

Dans une interview récente au Monde, le secrétaire d'Etat américain au commerce déclarait que les problèmes rencontrés par les Européens ne se fondaient pas sur des résultats scientifiques, mais sur une peur collective ; pourtant ce ne sont pas les nouveaux scandales alimentaires et les signaux d'alarme lancés par de nombreux représentants de la communauté scientifique qui vont dissiper nos angoisses, et encore moins son affirmation que « moins il y aura de réglementation, mieux le secteur se portera... » Les consommateurs, eux, souhaitent des règles plus précises.

Il n'est pas question de refuser toute évolution scientifique. Comme le souligne le rapport du Conseil économique et social sur les biotechnologies, le génie génétique est ainsi une révolution majeure. Maîtriser ou subir : telle est la véritable question.

Pour les OGM, le principe de prévention et de précaution doit prévaloir. Leur utilisation répond avant tout à un objectif de productivité ; mais la France doit préserver la qualité de son alimentation en dépit des pressions économiques, et il est du devoir des pouvoirs publics de donner à nos concitoyens des garanties quant à la nature, la provenance et l'innocuité des denrées qu'ils consomment.

C'est tout l'intérêt de la commission d'enquête

proposée par nos collègues socialistes. La France a déjà montré l'exemple en créant l'Agence de sécurité sanitaire des aliments ; les députés du MDC souhaitent que la commission d'enquête prenne en considération l'ensemble des souhaits et interrogations des consommateurs.

Je réaffirme notre soutien au Gouvernement français sur sa décision de retarder la levée de l'embargo sur la viande bovine, conformément à l'avis de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. La sécurité alimentaire devenant une question de plus en plus cruciale, les députés du Mouvement des citoyens et du groupe RCV voteront bien volontiers cette proposition de résolution.

M. Germain Gengenwin - Le passage, dans les pays développés, de l'insuffisance à l'abondance alimentaire s'est accompagné d'une diversification des attentes des consommateurs. Parallèlement, l'industrialisation de la production et la mondialisation des marchés ont accru le nombre des opérateurs de la chaîne alimentaire, qui se caractérise par sa complexité, laquelle peut favoriser la survenue d'accidents.

Présence de dioxine dans certains aliments, composition douteuse des farines animales, recours à des hormones, suspectées d'être cancérigènes, dans l'élevage bovin, introduction d'antibiotiques dans l'alimentation des animaux d'élevages, accumulation des doutes sur l'innocuité des organismes génétiquement modifiés : trois ans seulement après l'épidémie d'encéphalite spongiforme bovine, les sujets d'inquiétude se multiplient. Vous avez souhaité, Monsieur le rapporteur, faire la synthèse de quatre propositions de résolution afin que la commission d'enquête s'intéresse à l'ensemble de ces questions, vastes et brûlantes. On a, en effet, le sentiment qu'il y a eu des dysfonctionnements : on aurait pu s'attendre à ce que toutes les leçons soient tirées de la crise de l'ESB ; or dans l'affaire de la dioxine il semble que des informations importantes n'aient été révélées qu'avec retard ou sous-évaluées.

Les conséquences de telles crises sont rudes : chute de la consommation, qui fragilise les exploitations agricoles ; annulation d'exportations ; détérioration de l'image des produits français et européens, alors que l'Union européenne est engagée, au sein de l'OMC, dans un contentieux avec les Etats-Unis ; méfiance accrue des consommateurs qui, légitimement, deviennent de plus en plus exigeants. C'est la rançon de la concentration des centrales d'achat, qui entraîne celle des ateliers de production, où l'on cherche les moyens de conserver quelques centimes de marge.

La création d'une commission d'enquête sur la transparence et la sécurité de la filière alimentaire répond sans aucun doute aux attentes de nos concitoyens, et nous en soutenons le principe. Il est essentiel de redonner confiance aux consommateurs. A cet égard, nous sommes confrontés au double défi de la sécurité et de la transparence.

S'agissant de la sécurité, il faut d'abord évaluer les risques potentiels : c'est le rôle des scientifiques ; il faut ensuite déterminer le niveau de risque socialement et éthiquement acceptable : c'est le rôle des politiques ; enfin, il faut prévenir et corriger les prises de risque : c'est le rôle des contrôleurs et des professionnels, sous l'_il vigilant des consommateurs. Quant à la transparence elle passe d'abord par l'identification et la traçabilité des produits : l'opposition a largement insisté sur cet aspect. Elle nécessite également le renforcement du contrôle sanitaire : à cet égard, la création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments va dans le bon sens ;

si elle n'avait pas été installée avec six mois de retard, le 22 juin dernier, on aurait peut-être évité certains problèmes. Pour autant, quel besoin y a-t-il de créer, comme l'a annoncé le Premier ministre, une agence supplémentaire, consacrée à la sécurité industrielle et environnementale, alors que nous disposons déjà, outre l'AFSSA, d'une agence du médicament et des produits de santé et d'un institut de veille sanitaire ? La multiplication des instances ne risque-t-elle pas d'engendrer des problèmes de compétences et de déboucher, faute de coordination, sur de nouvelles crises ?

L'industrie alimentaire est aujourd'hui le premier secteur industriel français, avec un chiffre d'affaires de 803 milliards en 1998. Pour renforcer ses positions en France et dans le monde, le progrès technologique est essentiel ; mais fournir à bas prix des quantités croissantes de produits n'offrant pas des garanties suffisantes de qualité ne peut être une solution.

Par ailleurs, le domaine alimentaire porte en lui un paradoxe fondamental. Alors que le consommateur se réjouit qu'on améliore la qualité, la diversité, la durée de conservation ou la facilité d'emploi des produits, il découvre non sans une certaine méfiance les procédés qui ont permis d'obtenir de tels résultats. Il faudra donc chercher à concilier le nécessaire progrès scientifique et technologique avec les exigences des consommateurs.

En conclusion, la commission d'enquête ne devra pas se contenter de dresser un bilan des garanties que présente le système agroalimentaire français. En effet, ce n'est pas seulement d'une « police sanitaire » que nous avons besoin aujourd'hui, mais d'une véritable « politique sanitaire ». Il ne suffit pas de gérer les crises en aval, il faut les prévenir en amont, et l'application du seul principe de précaution n'y suffit pas. Certes nous avons besoin de contrôles, ainsi que de dispositions harmonisées avec nos partenaires européens sur la réglementation et le contrôle de la qualité des produits alimentaires. Mais nous devons aussi définir des principes généraux, faciliter la concertation entre les différents acteurs de la chaîne alimentaire.

Le consommateur doit savoir que la qualité a un prix et que le producteur ne peut pas être celui que l'on « essore » en permanence (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Patrice Carvalho - Depuis quelques années, les « crises » ou encore les « scandales » dans le domaine de la sécurité alimentaire se multiplient : intoxication à partir de viande de cheval, listéria dans des fromages au lait cru, salmonelle dans des volailles, pollution chimique d'une eau de source, vache folle, Coca-Cola empoisonné, enfin poulets et produits laitiers contenant de la dioxine...

On ne peut parler de simples accidents de parcours, d'erreurs regrettables ou de malheureux concours de circonstance. Il s'agit bien d'un problème de contrôle et de protection de la santé face aux appétits financiers d'un ultralibéralisme sans limites.

Ces scandales prouvent qu'aujourd'hui la santé publique passe après les intérêts mercantiles. Ce n'est plus acceptable. Il faut mettre un terme à la déréglemenation sans borne du commerce agroalimentaire mondial, qui n'hésite pas à doper les animaux pour doper les marges...

Un marché fondé sur la seule logique de la concurrence et dépourvu de règles ne peut s'autoréguler. Par conséquent, si un cadre réglementaire a pour but d'instaurer des relations loyales entre les participants, il doit d'abord protéger le consommateur. Celui-ci est pris de panique, quand il n'est pas résigné, face aux risques encourus dès qu'il mange ou donne à manger à ses enfants.

Plus grave encore, les plus défavorisés économiquement sont aussi les plus menacés. A la recherche de produits bon marché, sans trop s'interroger sur leur qualité, ils sont les premières victimes des exigences d'une productivité effrénée. La concurrence pour faire baisser les prix est sans pitié à tous les niveaux de la chaîne alimentaire et menace notre sécurité dans l'unique souci d'accroître les marges. Les produits « bio », qui subissent les effets d'un environnement pollué et les produits de terroirs authentiques sont malheureusement inaccessibles au plus grand nombre. Seuls ceux qui ont les moyens de s'offrir des produits de qualité peuvent être à peu près confiants lorsqu'ils s'alimentent. Or, la Déclaration universelle des droits de l'homme énonce le droit imprescriptible de chaque être humain à bénéficier d'une alimentation saine et suffisante.

Ces scandales à répétition prouvent également le manque de transparence. Celle-ci s'impose pourtant à toutes les étapes de la production alimentaire. Sans elle, la sécurité est illusoire. Elle suppose la traçabilité des produits, qui permet de localiser rapidement les risques.

Enfin, les agriculteurs ne doivent pas être désignés comme les seuls responsables de la dérive à laquelle nous assistons. Les petits exploitants ne peuvent maîtriser toutes les évolutions technologiques ou commerciales, étant donné le poids des firmes agro-alimentaires multinationales. Ils sont soumis à la loi de la productivité effrénée qui leur est dictée par les industries alimentaires et la grande distribution. L'agriculture est aujourd'hui sous l'influence des grands groupes fabricants de matières chimiques, des géants de la distribution...

Pour protéger la santé des citoyens, il faut leur offrir des garanties : la sécurité notamment doit être une priorité. Certes, les réglementations sanitaires existent, notamment dans la dernière loi d'orientation agricole mais la fraude persiste, malgré la création de divers organismes, le dernier en date étant l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, chargée d'évaluer les risques sanitaires et nutritionnels que peuvent présenter les aliments destinés à l'homme ou aux animaux.

Aujourd'hui, nous sommes appelés à nous prononcer sur plusieurs propositions de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur la sécurité alimentaire. Avant de légiférer il faut, en effet, déterminer les risques et dresser un bilan de notre système agro-alimentaire. C'est particulièrement nécessaire à la veille des négociations de l'OMC. C'est à partir des conclusions de la commission d'enquête que nous pourrons envisager des solutions pour tendre vers le risque zéro.

La proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste et apparentés présente l'intérêt certain, comparée aux autres, de charger la commission d'enquête de s'intéresser à la sécurité de la filière alimentaire dans son ensemble, et non pas seulement aux risques liés à la farine animale. La « crise de la dioxine » a certes suscité une vive émotion dans tout le pays, mais il ne faut pas négliger les autres risques alimentaires.

Cette commission aurait à enquêter sur les méthodes de production des denrées destinées à l'alimentation humaine et animale, ainsi que sur le contrôle auquel elles sont soumises. C'est essentiel pour lutter contre la fraude. La proposition dresse en outre une liste très complète, sinon exhaustive, des risques.

Le groupe Communiste, Républicain et Citoyen au Sénat a déposé une proposition de résolution tendant également à créer une commission d'enquête sur la sécurité sanitaire et alimentaire des produits destinés à la consommation animale et humaine en France et dans l'Union européenne. En effet, la dimension européenne ne doit pas être négligée. Il est urgent d'harmoniser les

réglementations nationales, afin d'imposer l'application de normes strictes de qualité, de sécurité, d'hygiène et le respect du principe de précaution. Sans une telle harmonisation, indispensable aussi entre pays membres de l'Organisation mondiale du commerce, toute réglementation restera vaine. Mais cette harmonisation ne doit pas se faire au détriment de la sécurité. L'expérience de la vache folle nous le prouve : en restant isolé, un pays ne peut offrir de véritables garanties.

En conclusion, le groupe communiste votera la proposition de résolution 1691 telle que modifiée par la commission de la production, convaincu qu'une telle commission d'enquête contribuera à restaurer une agriculture raisonnée respectueuse de la santé et de l'environnement.

Mme Odette Grzegrzulka - Très bien !

M. André Angot - Depuis quelques années, les consommateurs européens et français sont confrontés à une succession de crises affectant la sécurité des aliments qu'ils consomment. Ces crises ont eu un retentissement d'autant plus fort que la moindre affaire est fortement médiatisée, sinon exploitée à des fins politiques. Pourtant, le nombre de décès annuels par intoxication alimentaire a beaucoup diminué depuis 20 ou 30 ans dans notre pays. On dénombre environ 100 décès par toxi-infection alimentaire, 20 ou 30 décès par listériose, plus 500 décès par infections intestinales. En outre, ce n'est pas toujours la qualité de l'aliment qui est en cause, mais souvent ses conditions de conservation. Même s'ils restent trop élevés, ces chiffres sont très inférieurs à ceux des Etats-Unis où l'on compterait chaque année 30 millions de cas d'intoxications alimentaires et 9 000 décès. Cela dit, le consommateur ne peut plus admettre que sa santé soit menacée par son alimentation. Les crises successives ont jeté le doute sur la qualité des produits alimentaires : crise du veau aux hormones en 1988-1989, épidémie de listériose en 1992 avec 63 décès, crise de l'ESB en 1996, qui a provoqué un seul décès en France mais 43 en Grande-Bretagne. Restons toutefois prudents sur l'impact de cette maladie dont la durée d'incubation peut aller jusqu'à 20 ans et que nous n'avons aucun moyen de dépister avant son expression clinique.

A ces crises, s'ajoutent celles plus récentes dues à la détection de la listéria dans des fromages, à l'affaire Coca-Cola et enfin à la présence de dioxine dans l'alimentation du poulet et du porc, ainsi qu'à l'utilisation éventuelle de boues de station d'épuration dans les farines de viande. N'oublions pas non plus la très grande méfiance du consommateur envers les variétés végétales génétiquement modifiées.

La traçabilité des OGM étant encore impossible, de nombreuses firmes agro-alimentaires ont d'ailleurs pris les devants vis-à-vis des consommateurs, en refusant d'incorporer des variétés génétiquement modifiées dans leurs produits, et le même phénomène commence heureusement à se produire aux États-Unis. Je déplore d'autant plus que le Gouvernement ait autorisé il y a deux ans la culture de maïs transgénique en France, et l'adjure de revenir sur cette décision.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Vous aviez autorisé les importations, ce qui est bien pis !

M. André Angot - S'il s'est à juste titre opposé à la réimportation de viande bovine anglaise en raison de l'insuffisante fiabilité des contrôles vétérinaires de troupeaux en Grande-Bretagne, son attitude reste marquée par une grande hypocrisie, car le représentant de M. Kouchner ne s'était pas opposé, à Bruxelles, à la levée de l'embargo, choix qu'il refuse d'assumer aujourd'hui. Il devra demeurer vigilant à l'égard des importations de viande bovine des Etats-Unis tant que ce pays continuera d'utiliser des hormones de croissance, de nombreuses études effectuées sur place démontrant une corrélation certaine entre consommation de viande hormonée, troubles hormonaux et cancer du sein ou de la prostate.

Notre pays a pris des mesures, depuis quelques années déjà, pour améliorer la sécurité alimentaire à laquelle le consommateur a droit. La loi de 1996 sur l'équarrissage a interdit l'utilisation des cadavres et viandes saisis à l'abattoir pour fabriquer des farines animales : seules restent autorisées les parties saines des animaux : graisses, os, viscères, sang, mais la France reste hélas le seul pays européen à avoir pris cette décision. Plus récemment, nous venons de nous doter d'une agence de sécurité sanitaire des aliments, afin d'éviter que de nouvelles crises surviennent, qui sèment le doute dans l'esprit du consommateur et mettent en grave difficulté les producteurs agricoles et les salariés des industries alimentaires, lesquels ne sont pourtant pas responsables.

Je souhaite que cette commission d'enquête contribue à éclairer les dysfonctionnements de la chaîne alimentaire et approuve les quatre sujets d'investigation retenus. Je défendrai cependant un amendement visant à en incorporer un cinquième : les risques liés à l'épandage de boues de stations d'épuration sur les terres agricoles, pratique qui pourrait bien provoquer la prochaine crise de sécurité alimentaire.

MM. Germain Gengenwin et Jean-François Mattei - Très bien !

Mme Annette Peulvast-Bergeal - Ces derniers mois, plusieurs crises apparaissant comme autant de scandales ont soulevé doutes, inquiétudes et colère chez nos concitoyens. La France est confrontée, depuis trois ans, à une demande de transparence, de traçabilité et d'information à la fois croissante et légitime.

Plus des quatre cinquièmes de notre alimentation sont aujourd'hui produits par des filières industrielles complexes, que la multiplication des normes et des contrôles ont certes rendues plus sûres, mais le risque zéro n'existe pas, et il est donc de notre devoir de maîtriser les risques, de clarifier les compétences des divers organismes, de déceler les dysfonctionnements et, à terme, d'harmoniser nos législations. Il ne s'agit pas de faire le procès de certains modes de production, mais d'éviter que se reproduisent des faits de nature à jeter le discrédit sur notre agriculture et à provoquer de graves conséquences sociales et économiques.

Si la France est pionnière dans le domaine de la traçabilité et a pris des mesures draconiennes, son refus de lever l'embargo sur le b_uf britannique n'est pas une mesure protectionniste déguisée, mais la manifestation de son intransigeance de ses pouvoirs publics sur les principes de transparence et de précaution. Le rapport de la mission d'information sur la crise de la « vache folle » a d'ailleurs insisté sur l'exemplarité de notre système d'épidémio-surveillance et sur la célérité de la réaction des pouvoirs publics. S'agissant des OGM, la suspension de leur commercialisation a été décidée au niveau européen, ainsi qu'un étiquetage précis, gage de traçabilité, cette dernière notion étant définie par la loi d'orientation agricole.

Mais il nous faut aller plus loin, car les consommateurs, soucieux de leur santé et de celle de leurs enfants, observent les étiquettes avec une circonspection croissante. Ils veulent que quantité continue de rimer avec qualité et sécurité, ils veulent pouvoir se nourrir en toute confiance et choisir en toute connaissance de cause le mode d'alimentation qui leur convient. Molière a écrit : « Quand j'ai bien mangé, mon âme est ferme et les plus grands revers n'en viendraient pas à bout. » Faisons en sorte que ce qui valait au XVIIe siècle le vaille encore au XXIe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Michel Marchand - Cette proposition de résolution rejoint sur bien des points les préoccupations des Verts. Elle a d'ailleurs été choisie, en commission de la production, parmi quatre textes dont deux émanaient d'André Aschieri. Nous nous félicitons donc que l'idée ait été reprise par nos collègues socialistes, et approuvons le libellé retenu par la commission, qui renforce la notion de sécurité en lui ajoutant celle de transparence. Il est vital, en effet, que la commission d'enquête se penche aussi sur la traçabilité des produits, tant nos concitoyens sont aujourd'hui inquiets, méfiants, et même indignés lorsque éclate une crise mettant en évidence la subordination de la santé des hommes à des intérêts économiques immédiats. Lorsque, comme en Grande-Bretagne, seul le profit compte, c'est la santé des consommateurs qui trinque !

La France a plutôt bien réagi à la crise de l'ESB, mais il n'en demeure pas moins que le soixante-huitième cas vient de se déclarer en Maine-et-Loire, et le fait que des boues de stations d'épuration puissent être utilisées pour la nutrition animale justifie que la représentation nationale se penche sur les procédures de contrôle existantes et informe l'opinion publique.

Les Verts alertent l'opinion depuis des années sur les conséquences possibles des manipulations du vivant ; ils ont été bien seuls, parfois, à essuyer les critiques de ceux qui ne voulaient y voir qu'un moyen d'améliorer la productivité de l'agriculture. Dans la discussion de la loi d'orientation agricole, Marie-Hélène Aubert et moi-même avons réclamé en vain un moratoire de cinq ans sur les OGM. Il n'y a rien d'agréable à se dire que l'on a eu raison trop tôt, ce qui revient à constater que d'autres ont eu tort trop longtemps...

La loi d'orientation agricole contenait de nombreuses dispositions tendant à garantir une production de qualité élaborée en toute transparence. La demande croissante de produits portant un label de qualité et de produits issus de l'agriculture biologique montre bien quelle est l'attente des Français.

Alors que s'engagent les négociations avec l'OMC, il faut saluer le refus par la France des viandes aux hormones américaines. C'est bien le principe de précaution qui a été mis en _uvre. Il vous faudra rester fermes et n'accepter en aucun cas le libéralisme de l'OMC. Rien ne doit prévaloir sur la santé. Nous soutiendrons cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Il n'est pas nécessaire de parler longtemps quand tout a été dit, et bien dit. Je veux remercier les orateurs pour la qualité de ce débat, qui touche aux problèmes de la sécurité, de la transparence, de la traçabilité et du respect du principe de précaution. Le Premier ministre a d'ailleurs confié, sur ce dernier point, une mission à deux universitaires, qui ne tarderont pas à rendre leur rapport.

M. Angot s'est laissé aller à la polémique. Je ne suis pas certain que le sujet s'y prête. En outre, ne faites pas peser sur Bernard Kouchner ce qui relevait de ma responsabilité.

J'ajoute que le Gouvernement, s'il y avait eu à l'époque l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, aurait disposé d'un avis scientifique pour étayer sa position. Par ailleurs, le vote de la France, quel qu'il eût été, n'aurait rien changé au contenu de la décision communautaire.

Outre ses fonctions de législation et de contrôle, le Parlement a aussi pour tâche d'éclairer l'action du Gouvernement.

Nous qui sommes au Gouvernement...

M. Germain Gengenwin - Temporairement !

M. le Ministre - Il faut être patient, Monsieur Gengenwin !

Nous qui sommes au Gouvernement, nous gérons les crises au quotidien, le nez dans le guidon. Disposer d'une vision globale du problème est pour nous très précieux. Favorable à votre initiative, le Gouvernement s'efforcera donc de faciliter le travail de cette commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président - J'appelle maintenant, conformément à l'article 91 alinéa 9 du Règlement, la proposition de résolution dans le texte de la commission.

ARTICLE UNIQUE

M. Joseph Parrenin - La transparence et la sécurité sont les deux mots-clefs de cette proposition de résolution, qui répond aux attentes de l'opinion.

Le risque zéro n'existe pas, mais il faut s'efforcer de tendre vers cet objectif.

La tâche de la commission d'enquête sera lourde. Pour avoir vécu dans le monde agricole depuis mon enfance, je sais qu'il n'a cessé de s'adapter à des exigences nouvelles. Après la guerre, il a dû répondre à une demande quantitative, et il l'a fait. Puis il lui a fallu limiter certaines productions, ce qu'il a fait aussi. On lui demande maintenant de veiller à la sécurité alimentaire et de contribuer à la protection de l'environnement : il le fera.

Nous n'avons aucun intérêt à provoquer une cassure entre producteurs et consommateurs. Faisons notre travail de parlementaires et le Gouvernement fera le sien.

Si ce texte fait l'unanimité, cela n'a pas été le cas de la loi d'orientation agricole, dont certaines dispositions, comme les contrats territoriaux d'exploitation avaient pourtant le même but que cette proposition de résolution. Je regrette que l'opposition ne se soit pas montrée plus constructive (Interruptions sur les bancs du groupe UDF).

Dans quelques mois s'engageront les négociations de l'OMC. Si elle rendait ses conclusions dans moins de six mois, la commission d'enquête donnerait un signal fort. Le groupe socialiste votera cette proposition de résolution et nous sommes prêts à travailler dès la constitution de cette commission.

Mme Geneviève Perrin-Gaillard - Au moment où l'Union européenne s'apprête à faire entendre raison à l'OMC et à inscrire le développement durable parmi les objectifs de la politique agricole, il est indispensable que notre pays se fixe un bon niveau d'exigence. Cette commission d'enquête aura pour tâche de cerner les incohérences de notre système de production et les détournements de procédure. Elle répondra ainsi aux interrogations des consommateurs. En recherchant des solutions pour garantir la sécurité alimentaire, elle nous aidera à aborder avec panache les négociations internationales.

A cet égard, l'absence d'harmonie

législative risque de limiter les ambitions européennes.

Nous ne devons pas faire ce que nous n'acceptons pas des autres, ni proposer des produits dont nous ne voulons pas nous-mêmes.

Il ne s'agit pas pour autant de tout interdire : ce serait la négation du principe de précaution que d'empêcher tout progrès. Il faut simplement examiner les risques inhérents au système productiviste et garantir la transparence. La commission d'enquête devra mettre en évidence les dysfonctionnements. Le risque zéro n'existant pas, il lui faudra déterminer le niveau de risque acceptable et informer rapidement le consommateur.

Dans le domaine alimentaire, la qualité s'entend non seulement au sens sanitaire, mais aussi selon des critères nutritionnels, écologiques, sensoriels, culturels et sociaux. Nos efforts pour garantir la sécurité sanitaire des aliments ne doivent pas faire oublier les autres degrés d'exigence. C'est ainsi que nous donnerons tout son sens au mot « qualité ».

Souhaitant vous aider dans les négociations de l'OMC , je voterai cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Monique Denise - Après l'affaire des poulets à la dioxine, qui succédait elle-même aux crises de la vache folle, de la listeria et du Coca-Cola, les consommateurs s'inquiètent de la qualité de leur alimentation. La création de cette commission d'enquête devrait répondre à leur attente.

L'article unique de cette proposition de résolution recense les différents points à examiner par la commission d'enquête. Je n'évoquerai que l'utilisation, dans les élevages, des farines animales.

La loi d'orientation agricole a déjà prévu la traçabilité des produits ainsi que la création d'un registre d'élevage et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.

Le principe de précaution est de plus en plus souvent évoqué. Il n'empêche que nul ne pouvait prévoir que des farines destinées à la nourriture des poulets contiendraient des graisses frelatées. Il est vrai que ces farines nous venaient de Belgique : se pose donc le problème de l'adoption de normes communes en Europe, voire en dehors de l'Europe.

Les éleveurs de poulets ont dû sacrifier leur production et certains d'entre eux sont à la limite du dépôt de bilan. Je vous ai d'ailleurs posé, Monsieur le ministre, une question d'actualité à ce sujet.

L'interdiction des farines animales pour l'alimentation des ruminants est déjà acquise au Royaume-Uni, en Irlande, en Suisse, en Belgique, au Portugal, au Luxembourg, aux Pays-Bas et bien entendu en France. Mais les réglementations sont disparates et les missions d'inspection font apparaître des lacunes dans la mise en application des règles en vigueur.

Il est urgent d'engager une réflexion sur l'alimentation des herbivores, qui doit être enrichie en protéines d'origine végétale. La production européenne d'oléo-protéagineux est déficitaire mais il ne semble pas cependant que le recours aux sojas américains ou brésiliens constitue une bonne solution.

Par ailleurs, cette importation serait en complète contradiction avec la PAC et elle alourdirait la facture : l'utilisation exclusive de protéines végétales dans l'alimentation des porcs et des volailles coûterait 5 milliards de francs à la filière. Le consommateur a-t-il les moyens d'assumer le surcoût induit ?

Le rôle de la commission d'enquête sera de l'alerter, de l'informer dans la transparence la plus totale. Déjà, les Américains suivent de très près nos débats concernant les OGM, dont leur marché est inondé. Ils se demandent pourquoi nous refusons le b_uf aux hormones et commencent à regarder d'un peu plus près le contenu de leur assiette.

La France doit être dans ce domaine le pays phare. Nous avons chez nous les meilleurs vins, les meilleurs fromages, les meilleurs produit au monde. Nous avons le devoir d'informer nos concitoyens sur la qualité et l'origine de nos aliments et tel est l'objet de cette commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Angot - Dans sa rédaction actuelle, la proposition de résolution n'aborde pas le problème de l'épandage des boues de station d'épuration sur les terrains agricoles, alors que la présence de métaux lourds, de bactéries et sans doute même de prions dans ces boues est porteuse d'un risque sur lequel il n'est pas raisonnable de faire l'impasse.

L'amendement 6 rectifié vise à compléter le quatrième alinéa de l'article unique par les mots « et éventuellement liées à l'épandage des boues de station d'épuration sur les terres agricoles ».

M. le Rapporteur - Le problème est important et la commission est favorable à l'amendement.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Sur l'ensemble des amendements, le Gouvernement entend s'en remettre à la sagesse de l'Assemblée. Il a le souci de ne pas brider vos travaux et aussi de montrer qu'il n'est embarrassé par aucun de ces problèmes.

L'amendement 6 rectifié, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-François Mattei - On ne trouve nulle part les mots « santé », « santé publique », ou « sécurité sanitaire ». Or notre préoccupation essentielle est bien la santé publique. Je demande donc par l'amendement 1 corrigé que soit introduite une référence à la santé publique dans le dernier alinéas de l'article unique.

M. le Rapporteur - La commission est favorable, sous réserve de substituer au mot « notamment » dans l'expression « notamment en termes de santé publique », l'expression « en particulier ».

M. Jean-François Mattei - En effet, deux « notamment » en deux lignes, c'est trop...

M. le Président - Je me permets de féliciter la commission de son travail ... (Sourires)

L'amendement 1 corrigé, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

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TITRE

M. Jean-François Mattei - L'amendement 2 corrigé a une portée à la fois symbolique et pratique. Il vise à insérer dans le titre de la proposition le mot « sanitaire » après le mot « sécurité » afin de recentrer le texte sur sa motivation essentielle. A l'époque de la communication par Internet, il importe que les titres permettent la recherche par « mots-clés ». Dans l'état actuel de notre Règlement, qui ne prévoit pas que des « mots-clés » d'un texte figurent en annexe, le travail de la commission risque d'échapper au public potentiellement intéressé. Monsieur le Président, ne pourrait-on proposer à M. le Président de l'Assemblée que les textes votés comportent désormais en annexe une série de « mots-clés » de manière à faciliter la recherche de références sur Internet ?

M. le Président - M. le Président de l'Assemblée nationale sera informé de votre proposition.

M. le Rapporteur - La commission n'a pas retenu l'amendement 2 corrigé, considérant que la sécurité de la filière alimentaire n'a pas une dimension exclusivement sanitaire.

M. Alain Calmat - Comme M. Mattei, je considère que la dimension sanitaire

n'est pas suffisamment mise en évidence. Je proposerai donc de compléter l'amendement 2 corrigé en faisant apparaître les mots « sécurité sanitaire », « transparence » et « qualité ».

M. le Président - Le délai de dépôt d'amendement est dépassé...

Mme Odette Grzegrzulka - Je rejoins MM. Mattei et Calmat. Le but des travaux de la commission d'enquête est de renforcer la veille sanitaire au bénéfice de la santé publique. Je regretterais que le terme « sécurité sanitaire » ne figure pas.

L'amendement 2 corrigé, mis aux voix, est adopté.

L'article unique, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les Présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le mardi 12 octobre, à 17 heures, le nom des candidats qu'ils proposent.

La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 11 heures 10.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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