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Session ordinaire de 1999-2000 - 10ème jour de séance, 23ème séance

1ÈRE SÉANCE DU MERCREDI 20 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

PRÉVENTION DES RISQUES SISMIQUES
AUX ANTILLES 2

PASSAGE AUX 35 HEURES A LA POSTE 2

SORT DE M. ABU JAMAL 3

AVENIR DU SYSTÈME DE SANTÉ 4

FINANCEMENT DE LA LOI RELATIVE À
LA RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL 5

EMPRUNTS CONSENTIS AUX ARTISANS 6

NÉGOCIATIONS DANS LE CADRE DE L'OMC 6

POLITIQUE DE SANTÉ 7

RECHERCHE ET INNOVATION 8

TRANSPORTS DE RADIOÉLÉMENTS 9

ÉVOLUTION DES DOTATIONS AUX COLLECTIVITÉS LOCALES 9

COUP D'ÉTAT AU PAKISTAN 10

PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000 (suite) 11

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) 11

La séance est ouverte à quinze heures.

    QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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PRÉVENTION DES RISQUES SISMIQUES AUX ANTILLES

M. Alfred Marie-Jeanne - La revue Science et Avenir, traitant récemment du risque sismique aux Antilles, intitulait son article «Dans l'attente de la secousse». A peu près en même temps, a été rendu public un rapport jusqu'à présent camouflé, dont les conclusions sont aussi terrifiantes qu'édifiantes. Ses auteurs envisagent en effet des destructions considérables, et de 3 800 à 4 000 morts dans la seule ville de Fort-de-France au cas où un séisme de force 7 se déclencherait ; ils soulignent les graves lacunes qui subsistent dans le dispositif de prévention, malgré l'existence d'un réseau de formateurs aux risques naturels. Ils constatent un inquiétant décalage entre la réglementation et les recommandations des scientifiques. Ils notent enfin que les moyens propres à faire face aux risques sanitaires en cas de catastrophe naturelle sont très insuffisants.

Dans ces conditions, quelles mesures concrètes le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour remédier à ces carences, outre les commandes de cercueils déjà passées ?

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Vous avez posé une question d'une grande importance qui va me permettre de faire le point sur la politique suivie par le Gouvernement en matière de prévention des risques sismiques et, plus largement, des risques naturels dans leur ensemble, aux Antilles comme dans les autres régions d'outre-mer : risques cycloniques, risques volcaniques et glissements de terrain.

Les informations que vous avez citées sont exactes, le risque sismique est très élevé aux Antilles et, si elle survenait, la catastrophe aurait des effets que vous avez décrits. Je ne peux, cependant, vous laisser dire qu'un rapport aurait été dissimulé, alors que tous ces documents sont rendus publics sur le site Internet du ministère. Nous souhaitons en effet que chacun prenne conscience de la réalité et de l'ampleur des risques encourus.

Au-delà, je vous rappelle les mesures déjà prises : toute construction nouvelle doit respecter les normes antisismiques et, en coopération avec M. Gayssot, nous avons engagé un cycle de formation des élus et des habitants. D'autre part, des plans de secours spécialisés ont été définis, le plus difficile étant de vérifier, par simulation, leur efficacité réelle. Il convient enfin de consolider les bâtiments existants, et en premier lieu les hôpitaux et les centres de secours. Le coût de ces réhabilitations ayant été évalué à 1,5 milliard, on comprendra que le financement de ces travaux ne devra pas se faire seulement dans le cadre des contrats de plan. L'Etat, mais aussi les collectivités locales devront se mobiliser. Plus largement, la prévention suppose que le risque sismique soit pris en compte lors de toute décision relative aux zones susceptibles d'être touchées. A cet égard, je rappellerai que les crédits alloués aux plans de prévention des risques ont été très sensiblement augmentés depuis deux ans (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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PASSAGE AUX 35 HEURES A LA POSTE

M. Guy Hascoët - Comme vous l'aviez souhaité, Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, les syndicats de La Poste ont signé, le 1er février, un accord qui prévoit le passage aux 35 heures en neuf étapes, dont cinq de concertation dans chaque établissement. Quelle ne fut donc pas la surprise des postiers du nord, et tout particulièrement de Roubaix, lorsqu'ils ont dû prendre connaissance d'une grille de refonte des horaires élaborée sans aucune concertation préalable ! La loi était pourtant fondée sur la mise en valeur du dialogue social ! Le moins que l'on en puisse dire est qu'une grille unilatéralement mise au point ne laisse qu'un choix étroit. Si de telles pratiques avaient cours dans le secteur privé, qui ne s'en offusquerait ? Comment l'Etat entend-il réviser de telles méthodes ?

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Grâce à l'accord signé le 17 février, La Poste participera à l'effort de solidarité nationale en faveur de l'emploi, selon les procédures précisément définies. Si elles n'ont pas été suivies à Roubaix, ce que je vérifierai, nous y remédierons.

Comme vous le savez, au terme de cet accord, 2 000 jeunes seront formés en alternance et, pour faire suite au contrat d'objectif et de progrès de juin 1998, qui visait à réduire la précarité de l'emploi à La Poste, de nombreux CDD seront transformés en CDI. Tous les postiers seront associés au plan de passage aux 35 heures qui, vous l'avez dit, comporte neuf phases. Ce sont donc 310 000 personnes qui auront été consultées, au terme d'une procédure dont on aura compris qu'elle sera longue, à Roubaix comme ailleurs. Les 35 heures s'appliquent déjà à 10 000 postiers et un comité de suivi se réunira demain, pour faire en sorte que tout blocage soit levé. Un postier sur deux est actuellement impliqué dans un processus conçu pour rendre le service postal plus performant et fidèle à ses valeurs, c'est-à-dire plus respectueux de ses salariés et de ses clients (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

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SORT DE M. ABU JAMAL

M. Jacques Brunhes - M. Abu Jamal, journaliste noir de Philadelphie, a été condamné à mort en juillet 1982, à l'issue d'un procès entaché d'irrégularités flagrantes, au dire des juristes les plus renommés : on a pu dire qu'il n'y a jamais eu de procès, mais purement et simplement condamnation à la peine capitale d'un homme déclaré a priori coupable du meurtre d'un policier blanc.

Après que l'exécution a été reportée une première fois en raison d'une forte mobilisation internationale, le gouverneur de Pennsylvanie a signé l'arrêt fixant au 2 décembre prochain la date d'application de la peine. Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur les activités politiques de celui que l'on a appelé «la voix des sans-voix», on ne peut manquer de s'interroger, avec Amnesty International, sur la persistance de l'application de la peine capitale aux Etats-Unis, au mépris des droits de l'homme. Dans l'immédiat, il faut sauver M. Abu Jamal.

Plusieurs manifestations ont eu lieu à cette fin aux Etats-Unis, 38 parlementaires réclamant la réouverture d'un dossier selon eux «vide de preuves». Un vaste mouvement prend de l'ampleur contre le crime en préparation.

En France, très nombreux sont ceux qui font part de leur émotion et de leur souci d'un procès équitable. Dans la réponse qu'il a adressée à M. Hue à ce sujet, le Président de la République a annoncé une démarche officielle de la France, qu'il espérait voir relayée par ses partenaires de l'Union européenne.

L'urgence étant celle que l'on sait, quelles initiatives nouvelles et rapides le Gouvernement entend-il prendre pour empêcher l'irréparable et pour obtenir la révision du procès ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, sur de nombreux bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe RCV)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - C'est, en effet, au 2 décembre 1999 que le gouverneur de Pennsylvanie a fixé l'exécution de M. Abu Jamal, ancien journaliste et ancien membre des Panthères noires. La Cour suprême, saisie d'un recours en révision, n'a pas encore rendu son arrêt.

Comme il s'y était engagé, le Gouvernement français a réitéré son opposition formelle à la peine capitale et a incité ses partenaires européens à faire de même. C'est d'ailleurs sous l'impulsion de la France que la commission des droits de l'homme de l'Union a adopté une résolution en ce sens. Nous ne comptons pas en rester là, et nous avons l'intention de proposer à l'assemblée générale des Nations unies de se prononcer elle aussi, ce qui donnera au mouvement de protestation une assise incontestablement internationale (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

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AVENIR DU SYSTÈME DE SANTÉ

M. Michel Herbillon - Le moins que l'on puisse dire, c'est que votre projet de loi de financement de la Sécurité sociale ne soulève pas l'enthousiasme, Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité ! Vous avez d'ailleurs dû reconnaître qu'il était bancal, puisqu'il vous a fallu renoncer à ponctionner l'UNEDIC pour financer les 35 heures, comme le demandaient les partenaires sociaux.

Mais votre projet est également bancal sur la question de l'assurance-maladie, comme vous l'ont dit des dizaines de milliers de manifestants dimanche dernier. Les professionnels de la santé demandent au Gouvernement qu'il cesse de les considérer comme les responsables, les coupables du dérapage des dépenses de santé.

Nous nous inquiétons aussi des dérives du système de santé et de votre absence de vrai projet de réforme. Comme pour les retraites, le Gouvernement, résigné à l'immobilisme, s'en tient à une politique de gestion comptable, se contentant d'espérer de nouvelles recettes grâce à la croissance. Rien là qui ressemble à une véritable politique de santé publique, qui associe l'ensemble des professions de santé dans un climat de confiance, de manière à maintenir des soins de qualité.

La logique comptable conduit à une médecine à deux vitesses où les besoins réels de santé publique s'effacent devant les impératifs budgétaires. Les Français redoutent la disparition du système de soins à la française, fondé sur le principe du libre choix du médecin.

Quand le Gouvernement cessera-t-il de faire peser toujours plus de contraintes sur les professions de santé ? Quand engagera-t-il une véritable politique de santé publique ? Tous les acteurs, du malade aux médecins et aux responsables hospitaliers demandent des règles claires.

Avant que vous me répondiez, permettez-moi, Madame la ministre, de vous adresser une requête. Epargnez-nous cette sempiternelle réponse qui consiste à se défausser sur les gouvernements précédents ! Le « coup » de l'héritage n'est plus crédible !

Vous êtes au pouvoir depuis deux ans et demi, les Français attendent une réponse actuelle à leurs problèmes d'aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - J'accède d'autant plus volontiers à votre requête, Monsieur le député, qu'il ne me viendrait pas à l'idée de dire que l'excédent de la Sécurité sociale pour 2000, c'est vous, et pas nous ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Quant aux manifestations contre la gestion comptable, ne confondez-vous pas avec celles qui avaient eu lieu il y a quatre ans ? Dimanche, ni les généralistes, ni les pharmaciens, ni de nombreux spécialistes n'étaient dans la rue, parce qu'ils approuvent la politique du Gouvernement, fondée sur l'objectif d'améliorer la qualité des soins tout en pérennisant notre système de sécurité sociale.

Depuis deux ans, des conventions ont été signées avec les généralistes, les schémas régionaux d'organisation des soins ont été mis en place, des négociations se sont engagées avec les spécialistes qui « dérapaient » dans leurs prescriptions, les pharmaciens ont accepté le principe de substitution par des médicaments génériques et l'industrie pharmaceutique elle-même s'est associée à la négociation.

Désormais, le taux de remboursement des médicaments est fonction de leur effet médical et non de transactions occultes menées dans un bureau du ministère (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

La Sécurité sociale se redresse et la lutte contre les inégalités hospitalières se poursuit. Je souhaite enfin rassurer les Français qui doivent savoir qu'il ne sera pas porté atteinte au principe de la liberté de choix du médecin, y compris pour les six millions de personnes entrant dans le champ de la couverture maladie universelle.

A mon tour, Monsieur le député, de vous adresser une requête : sortez des slogans et regardez la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

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FINANCEMENT DE LA LOI RELATIVE À
LA RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS DE TRAVAIL

Mme Anne-Marie Idrac - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité et porte sur le financement de la loi sur la réduction du temps de travail votée hier après-midi.

En effet, si le projet de loi de finances, ni le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour l'année prochaine ne dissipent un véritable rideau de fumée. Mais ce matin, nous avons été informés que Mme Aubry a renoncé à faire l'UNEDIC pour le financement des trente-cinq heures. Ouverture ? Revirement ? Nous considérons quant à nous que c'est une reculade et que les partenaires sociaux ont eu raison de refuser un rapt sur leurs cotisations et leurs régimes de protection sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

S'agissant de l'action politique phare du Gouvernement, de tels tâtonnements sont-ils admissibles ? Comment entendez-vous sortir de l'impasse ? De nouvelles taxes sur les pollutions sont-elles prévues, au risque de déplaire à Mme Voynet ? Ou bien de nouveaux impôts ? Mais c'est alors M. Strauss-Kahn qui ne pourra pas tenir son objectif de réduire les prélèvements obligatoires.

Les Français ont le droit de savoir comment sera dépensé leur argent et donc comment sera financée la loi sur la réduction négociée du temps de travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans nos débats, mais Mme Idrac n'était pas là (Murmures sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL), les 65 milliards d'allégement de charges seront financés comme le sont les 40 milliards correspondant au coût de la réduction du temps de travail proprement dite, sur le budget de l'État et sur celui de la Sécurité sociale (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

L'UNEDIC ne souhaite pas s'associer : le Gouvernement est donc prêt à renoncer à cette contribution si un accord intervient pour fixer à l'avenir de manière claire les rapports entre l'État et l'UNEDIC. Car les Français ont aussi le droit de savoir que depuis 1993, l'Etat a donné 35 milliards à l'UNEDIC, bien qu'elle ait été excédentaire dès 1994.

Le contentieux avec l'UNEDIC traîne depuis plusieurs années. Est-il normal de demander toujours plus à l'Etat quand tout va mal, et de refuser la solidarité quand tout va bien ? Il n'y a pas de problème de financement de la réduction du temps de travail (Interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

La taxe de 10 % sur les heures supplémentaires crée une recette de 7 à 8 milliards, qui sera versée au fonds de réduction des charges sociales.

Les artisans et les entreprises de services, qui attendent cette réforme, noteront que l'opposition ne nous rejoint pas sur ce sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

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EMPRUNTS CONSENTIS AUX ARTISANS

M. Philippe Martin - Les artisans sont indispensables à la revitalisation rurale et jouent un rôle essentiel dans le domaine de l'emploi. Or, ils rencontrent des difficultés administratives considérables lorsqu'ils ont recours à l'emprunt.

Le monde artisanal est attaché à une organisation de type familial et les formules d'EURL ou de SARL y sont rares. En cas de difficulté financière liée à l'emprunt, c'est donc l'ensemble du patrimoine des artisans qui peut être saisi. De plus, les banques demandent en règle générale la caution solidaire de la femme de l'artisan à la signature du contrat de prêt.

L'ensemble du patrimoine familial se trouve ainsi saisissable, ce qui ne manque pas de créer un sentiment de désarroi dans des familles qui, tout en portant leur entreprise à bout de bras, courent alors le risque d'être spoliées.

Comme l'a souhaité le Gouvernement à propos des relations entre les distributeurs et les producteurs, il faut redéfinir les relations entre les artisans, les PME et les banques qui les financent.

Le Gouvernement ne peut-il donc proposer qu'une part du patrimoine familial de l'artisan devienne insaisissable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat - Cette question est en effet souvent posée, les artisans ayant peu recours aux formules d'EURL et de SARL. Ils se trouvent ainsi confrontés, lorsqu'ils empruntent, à une demande de la part des banques de caution solidaire de leur conjoint ou, plus largement, de leur famille.

En souriant, je vous dirai que la nationalisation des banques n'est pas à l'ordre du jour...

Sans sourire, je vous répondrai qu'il nous faut relancer le système des garanties d'emprunt pour les projets représentant moins de 500 000 francs. A l'occasion des assises de la création d'entreprises nous avons envisagé avec le Premier ministre d'étendre la caution de garantie de la SOFARIS et de la SOCAMA, caisses de caution mutuelle des artisans et des commerçants, à l'ensemble des petites entreprises artisanales. Au-delà, le sujet délicat que vous avez abordé pourrait être évoqué dans le cadre du projet de loi sur les régulations économiques annoncé par le Premier ministre et auquel travaille activement Dominique Strauss-Kahn. En effet, trop de jeunes renoncent finalement à créer leur entreprise de peur que les biens de leur famille, le plus souvent la maison qu'ils ont durement acquise, ne soient saisis. Et trop d'entreprises artisanales, isolées, et parfois même soutenues dans une pépinière, échouent. Nous ne pouvons pas rester inertes face à une telle situation. C'est tout le sens de la négociation que nous avons engagée avec l'AFB et le Crédit coopératif, et des mesures que j'ai rappelées plus haut (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe communiste).

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NÉGOCIATIONS DANS LE CADRE DE L'OMC

M. Jacques Myard - Monsieur le Premier ministre, dans quelques semaines va s'ouvrir à Seattle, dans le cadre de l'OMC, un nouveau cycle de négociations. Le gouvernement français discute actuellement à Bruxelles le mandat de la Commission qui inclura des champs, comme les services et la propriété intellectuelle, qui ne relèvent pas de la compétence communautaire. Allez-vous résister à la tentation d'une « communautarisation » excessive et réserver dans ce mandat les compétences nationales ?

Par ailleurs, il est arrivé plusieurs fois par le passé que la Commission européenne outrepasse son mandat. Le Gouvernement de la République française, s'il existe encore (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) sera-t-il physiquement présent à la table des négociations pour sauvegarder les intérêts français ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe du RPR)

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Le Gouvernement prépare avec beaucoup de soin les négociations qui vont s'ouvrir prochainement à Seattle, et ce en concertation avec le Président de la République, les organisations syndicales -que j'ai récemment réunies à cet effet- et le Parlement -je vous renvoie à l'excellent rapport de votre collègue Mme Béatrice Marre.

Le mandat de négociation actuellement discuté à Bruxelles nous convient assez largement ; dans le domaine agricole par exemple, nous sommes en passe d'obtenir satisfaction. Restent deux points, auxquels nous sommes très attachés et sur lesquels il faut encore avancer. Tout d'abord, la diversité culturelle : nous voulons continuer de pouvoir défendre la culture française, nous ne céderons pas là-dessus. Ensuite, les droits sociaux:  nous souhaitons que des normes sociales minimales, comme l'interdiction du travail des enfants ou l'interdiction de commercer avec les pays ayant recours à cette pratique, puissent être imposées. Ce sont là sujets de débat, voire de combat, à venir.

Quant au projet de résolution qui se prépare à Genève, il est encore trop déséquilibré à nos yeux. Nos partenaires américains souhaitent en rester à un mandat étroit -agriculture, services...- alors que nous, Européens, souhaitons l'étendre à d'autres domaines comme l'environnement ou la sécurité alimentaire. Nous serons fermes, soyez-en assuré.

Le Parlement a été étroitement associé aux travaux préparatoires des négociations de Seattle, par le biais notamment du rapport de Mme Marre. Nous organiserons également la semaine prochaine, à la demande du groupe communiste, un débat sur le sujet. Enfin, le Gouvernement souhaite, si le Parlement en est d'accord, que des parlementaires de la majorité et de l'opposition puissent accompagner la délégation officielle à Seattle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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POLITIQUE DE SANTÉ

M. Lucien Degauchy - Le week-end dernier, malgré ce que vous venez de déclarer, Madame le ministre, ce sont bien des dizaines de milliers de professionnels de santé qui ont exprimé leur mécontentement à l'égard de votre politique en matière de soins ambulatoires. Le mécontentement est aussi profond et justifié dans les hôpitaux publics que, soit dit au passage, vous avez renoncé à réformer, et qui manquent de moyens.

Face à ces inquiétudes légitimes et alors même que vous disposez de recettes abondantes issues de prélèvements records, votre projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000 ne prévoit rien. En confiant à la CNAM la gestion de la seule médecine de ville pour vous réserver celle de l'hospitalisation et en adoptant le système des tarifs flottants, qui a partout échoué, vous menez notre système de soins dans l'impasse.

Je prendrai l'exemple des hôpitaux de l'Oise, tout particulièrement celui de Compiègne. Alors même que cet établissement récent dispose d'équipements performants, il n'est pas en mesure d'assurer les urgences faute de personnel suffisant. Son conseil d'administration a dénoncé cette situation dans une motion que je vais vous remettre en mains propres.

Madame la ministre, que comptez-vous faire pour répondre aux attentes des personnels hospitaliers ainsi que de l'ensemble des professionnels de santé, et, d'une manière plus générale, pour réformer notre système de soins ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Il est tout de même extraordinaire qu'en faisant mal ou en ne faisant rien, nous soyons parvenus à redresser les comptes de la Sécurité sociale !(Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) 54 milliards de déficit à notre arrivée... et aujourd'hui, des généralistes et des spécialistes dont le volume des honoraires ne dépasse pas l'enveloppe prévue, ce qui n'était pas arrivé depuis des années.

La CNAM nous a demandé, à juste titre, de gérer de manière autonome la médecine de ville, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale va le lui permettre. Ainsi l'ensemble des professionnels de santé -médecins, pharmaciens, professions paramédicales- sera plus directement associé au fonctionnement du système. Nous reprochez-vous de permettre à la CNAM de négocier avec eux ? Préféreriez-vous que nous laissions filer le déficit de la Sécurité sociale pour lui substituer l'assurance privée ? Ce n'est pas la voie que nous avons choisie.

S'agissant des hôpitaux et des cliniques, là encore, nous faisons ce qui n'a pas été fait. Ces deux types d'établissement seront désormais traités de la même façon et se verront appliquer une tarification à la pathologie, comme certains d'entre vous, me semble-t-il, le demandaient depuis longtemps. Grâce aux SROS, chaque Français aura l'assurance, où qu'il habite, de pouvoir bénéficier de soins de qualité. Priorité a été donnée à la cancérologie, la néonatalogie, les urgences et les soins palliatifs. Les inégalités entre régions vont être progressivement réduites en cinq ans, alors que vous prévoyiez, vous, de les résorber en vingt ans. Voilà ce que nous faisons très concrètement sur le terrain, et encore n'ai-je pas parlé de notre travail avec l'industrie pharmaceutique.

Vous avez certes, Monsieur le député, le droit de poser des questions sur l'hôpital de Compiègne et j'y répondrai bien volontiers. Vous avez le droit de considérer que ce qui est bon pour les autres ne l'est pas pour votre ville. Mais la responsabilité exigerait plutôt de tout faire pour pérenniser notre système de sécurité sociale. C'est ce à quoi nous travaillons, pas à pas, avec l'ensemble des professionnels de santé, notamment le secteur hospitalier, tant décrié par l'opposition alors même que c'est un secteur d'excellence qui a commencé d'évoluer bien avant les autres et qui remplit très bien ses missions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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RECHERCHE ET INNOVATION

M. Jean-Yves Le Déaut - Les assises de l'innovation qui se sont tenues en 1998 ont formulé le souhait de faciliter le transfert de la recherche publique vers les entreprises, en particulier les PME. Tel est le sens de la loi sur l'innovation et la recherche promulguée en juin 1998. On oublie trop facilement que la poêle Tefal est le résultat de recherches fondamentales sur les quasi-cristaux ou que la carte à puce est elle aussi née dans les laboratoires. Nous nous félicitons donc, Monsieur le ministre de la recherche, de la politique suivie, les emplois de demain se créeront en effet à partir des gisements de matière grise, concentrés notamment dans les universités.

Vous avez lancé au printemps 1999 un concours national de création d'entreprises de technologie innovante. Pouvez-vous en dresser le bilan devant la représentation nationale ? Combien de jeunes entreprises ont-elles pu bénéficier du concours de votre ministère ? Comment comptez-vous décliner les deux priorités du Gouvernement, l'emploi et l'aménagement du territoire, dans nos régions, autour de leurs pôles universitaires et de recherche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Le concours de création d'entreprises innovantes, lancé en mars dernier, prend place dans une série d'initiatives prises, en concertation avec Dominique Strauss-Kahn et Christian Pierret, à la suite des assises de l'innovation. Je les rappelle brièvement : loi sur l'innovation, que je remercie le Parlement d'avoir votée rapidement, mise en place d'un fonds de capital-risque doté de 600 millions, d'un fonds d'amorçage et d'incubateurs pour un montant de 200 millions, enfin lancement du concours précité, doté de 100 millions. Au total, près d'un milliard de francs auront donc été dégagés.

Nous avons eu la surprise et le plaisir de recevoir 2000 demandes de création d'entreprises à l'occasion du concours. Ces dossiers sont été examinés d'abord par des jurys régionaux puis par un jury national, présidé par M. Beffa, président-directeur général de Saint-Gobain.

Sur ces deux mille propositions, les jurys en ont jugé près de huit cents aptes à donner des entreprises fondées sur des nouvelles technologies innovantes. Ils en ont retenu 244, dont 79 à créer immédiatement et 185 en janvier. Je rappelle qu'en dix ans on n'avait créé que 320 entreprises à partir de la recherche publique. L'enthousiasme des jeunes -car la grande majorité le sont- issus des grandes écoles, diplômés de l'université, chercheurs, montre qu'il y a une potentialité d'innovation, mais aussi une volonté d'entreprendre dans notre pays. Et leur réponse est un encouragement formidable pour le Gouvernement à poursuivre dans cette voie, en coopération entre le ministère de la recherche et le ministère de l'économie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe communiste).

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TRANSPORTS DE RADIOÉLÉMENTS

M. Jean-Claude Daniel - Le 9 octobre, un camion allemand a pris feu sur l'autoroute A 31 entre Chaumont et Langres. Il était chargé de solvants, de matières plastiques, de peinture, mais surtout de neuf cents détecteurs comportant des pastilles d'américium 241, radioélément très toxique. Les centres de lutte contre l'incendie et la gendarmerie ont diligenté quarante personnes, qui n'avaient pas connaissance de la nature du chargement et n'ont donc pas pris les précautions nécessaires. C'est seulement cinq jours après l'accident qu'ont été communiqués les informations sur le contenu du camion et les risques encourus. Aujourd'hui les résultats des investigations menées sur le site de l'intervention et sur celui du stockage des déchets ne sont pas encore tous connus.

Cette affaire, malgré la qualité du travail de l'OPRI, manifeste des carences dans les procédures d'alerte et la mise en place des dispositifs de sécurité. Comment le Gouvernement entend-il améliorer la réglementation des transports de produits toxiques, en particulier des radioéléments ? Quelles mesures sont envisagées, dans les procédures d'alerte, pour garantir la sécurité des équipes d'intervention et assurer un contrôle efficace et rapide en amont et en aval ? Comment garantir la transparence et la sûreté dans les transports de produits contenant des radioéléments ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Cet accident n'est en effet pas acceptable. Dès que nous avons été informés, l'OPRI et l'autorité de sûreté nucléaire ont mis en _uvre les procédures prévues. Quand les informations ont été confirmées, des actions immédiates ont été entreprises par l'OPRI, à la demande de Mme Gillot, afin d'identifier les intervenants impliqués dans l'accident et d'évaluer leur contamination éventuelle. Quarante personnes font aujourd'hui l'objet d'investigations -pompiers, gendarmes, personnels de l'autoroute, dépanneurs, etc.- Parallèlement l'autorité de sûreté nucléaire a diligenté une inspection pour connaître les conditions de transport de ces matériels et établir les responsabilités éventuelles au regard du respect de la réglementation des transports. Ces questions sont abordées aujourd'hui même dans une réunion entre les autorités de sûreté nucléaire française et allemande.

Cet accident souligne l'importance qu'il convient d'attacher à la sûreté et à la transparence dans le transport de produits contenant des radioéléments. Depuis juin 1997, à la demande du Premier ministre, nous avons demandé à l'autorité de sûreté des installations nucléaires, la DESIN, de mener une action rigoureuse sur les transports de matériaux radioactifs ; c'est ainsi qu'elle a diligenté cinq inspections en 1998. Nous lui avons en outre demandé de renforcer son action sur les transports de matériaux nucléaires qui se pratiquent en dehors de l'industrie électronucléaire : ainsi des inspections sont conduites depuis le début 1999 dans les aéroports et les hôpitaux. Depuis le 1er octobre, une échelle des transports a été mise en place pour informer le public des dangers courus et des mesures prévues. Ce dispositif est encore récent. A la lumière de l'expérience que nous acquerrons, s'il s'avère nécessaire de renforcer les inspections par des mesures complémentaires, nous les prendrons sans délai. Le transport d'éléments radioactifs exige une rigueur absolue et une information parfaitement transparente (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe RCV).

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ÉVOLUTION DES DOTATIONS AUX COLLECTIVITÉS LOCALES

M. Jean-Yves Caullet - Monsieur le ministre de l'intérieur, le recensement général de 1999 a fait apparaître un accroissement de la population de près de deux millions de personnes depuis les derniers chiffres pris en compte pour calculer la répartition des dotations de l'État aux collectivités locales. Il montre en outre une évolution importante dans la répartition géographique de la population. Quelles seront les conséquences de cette double évolution sur le montant global de la DGF, et sur le niveau de ressources des collectivités résultant de sa répartition ? En particulier, comment garantir dans ce contexte un niveau suffisant aux dotations dites d'aménagement, notamment la dotation de solidarité urbaine et la dotation de solidarité rurale ? Plus généralement, comment éviter une baisse, qui pourrait être brutale, des ressources des communes dont la population diminue ? Je pense notamment, mais pas seulement, aux communes rurales (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Le recensement montre en effet un accroissement d'environ 1,8 million d'habitants pris en compte pour calculer les dotations aux collectivités locales. Il risquerait de s'ensuivre une baisse des dotations de solidarité, si le Gouvernement n'avait résolu de prendre les mesures suivantes. Tout d'abord il propose, dans un projet de loi spécifique mais aussi dans le projet de loi de finances, un étalement sur trois ans de la prise en compte des effets du recensement, qu'il s'agisse de collectivités qui perdent ou qui gagnent de la population. Ainsi la dotation forfaitaire est gelée pendant trois ans pour celles dont la population diminue. C'est un effort d'environ 1,6 milliard. La réduction des dotations de solidarité serait de plus de 20 %, si le Gouvernement n'avait prévu de les abonder de 200 millions, d'abonder la DSU de 500 millions, et, à la faveur d'amendements déposés par votre commission des finances sur le projet de budget, de faire que la dotation de solidarité rurale reçoive un concours supplémentaire d'au moins 200 millions. Au total, donc, le contrat de croissance et de solidarité verra les concours de l'Etat aux collectivités accrus de 2,4 milliards : engagement tenu. A quoi le Gouvernement ajoute, sous des formes diverses, 1,8 milliard de concours. C'est donc un effort de 4 milliards supplémentaires qui permettra aux collectivités locales d'éponger le choc et de regarder l'avenir avec confiance (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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COUP D'ÉTAT AU PAKISTAN

M. Jean-Claude Perez - Même si les informations provenant du Pakistan -pays qui subit une grave crise économique et vit essentiellement des subsides du FMI- se veulent rassurantes et font état d'un calme relatif, le coup d'Etat du 12 octobre inquiète, car il va créer un nouveau facteur d'instabilité dans la région. L'Inde, en conflit avec le Pakistan au Cachemire, a mis son armée en état d'alerte maximum. Cette escalade est d'autant plus inquiétante que les deux pays ont l'arme atomique ; le Pakistan a procédé à six essais en 1998. Quelle est la position de la France sur ces événements ?

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Ce qui s'est passé le 12 octobre au Pakistan est l'aboutissement d'un processus de dégradation continu, dans un pays dont la situation économique est très mauvaise et la situation politique instable. Ce pays était de plus en plus critiqué, notamment pour son soutien au répugnant régime afghan des talibans. Par ailleurs l'armée a toujours occupé une place considérable dans le régime pakistanais. C'est elle qui a engagé le pays dans cette aventure inconsidérée au Cachemire. Le gouvernement avait dû reculer devant les pressions internationales, au prix d'un conflit aigu avec l'armée. Le premier ministre M. Sharif a tenté de destituer le chef d'état-major : c'est ce dernier qui l'a renversé.

Certes, il faut rétablir la démocratie. Si la condamnation internationale est unanime, il faut néanmoins être prudent sur l'impact qu'auraient telles ou telles mesures, telles ou telles sanctions : l'expérience montre qu'elles donnent souvent des résultats inverses à l'effet voulu. Les pays occidentaux -Etats-Unis, Europe, Commonwealth- ont d'ores et déjà suspendu toute aide nouvelle au Pakistan et se concertent. Nous cherchons à peser sur la situation, sans porter atteinte aux conditions de vie d'une population déjà en mauvaise posture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de Mme Catala.

PRÉSIDENCE de Mme Nicole CATALA

vice-présidente

    PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du projet de loi de finances pour 2000.

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DISCUSSION GÉNÉRALE (suite)

M. Philippe Auberger - La croissance économique est revenue, les perspectives pour l'année 2000 sont bonnes, l'économie est repartie sur un rythme de création d'emplois convenable. Qui pourrait s'en plaindre ?

M. Jean-Pierre Brard - Alléluia ! Mais qui s'est trompé ?

M. Philippe Auberger - Pour autant, il ne faut pas céder à l'euphorie et encore moins à l'anesthésie. On le sait, certains anesthésiants peuvent se révéler mortels. Nos finances publiques souffrent de trois défauts principaux : excès des prélèvements, forts déficits, accroissement des inégalités.

Nos prélèvements obligatoires continuent de monter. Le Premier ministre nous avait promis, en juin 1997, leur stabilisation. Chaque année, à l'occasion de la discussion budgétaire, on nous a annoncé leur diminution. Or ils ont augmenté depuis 1997 d'au moins 0,7 % du PIB. En 1999, le prélèvement supplémentaire par ménage s'est ainsi élevé à 3 000 F. On peut donner bien des explications et certains vont jusqu'à remettre en question la notion de prélèvement obligatoire dès lors qu'elle leur est défavorable. Mais casser le thermomètre n'a jamais fait tomber la fièvre. Contrairement à vos affirmations, les prélèvements obligatoires ne baisseront pas l'an prochain. On nous a annoncé que les prélèvements sur les ménages allaient diminuer d'environ 24 milliards. Or les prévisions de recettes montrent que le produit de la TVA, de 1998 à 2000, aura augmenté de 100 milliards, le produit de l'impôt sur le revenu de 40 milliards et celui de la TIPP de 20 milliards, soit 160 milliards au total, face auxquels les allégements promis font pâle figure.

M. Jean-Pierre Delalande - Il faut quand même préparer les élections !

M. Philippe Auberger - On nous dit que l'Etat tiendra ses promesses en supprimant définitivement la taxe exceptionnelle de 10 % sur les résultats des sociétés et en poursuivant la réforme de la taxe professionnelle, soit au total 14 milliards. Mais le changement de régime fiscal mère-filiales va rapporter 4,2 milliards, la nouvelle contribution sociale sur les bénéfices des sociétés 4,3 milliards, l'écotaxe 3,2 milliards, la nouvelle taxation des heures supplémentaires de 8 à 10 milliards, soit au total plus de 20 milliards. La baisse de la pression fiscale sur les entreprises est donc loin d'être aveuglante.

En déclarant que les prélèvements excessifs pouvaient entraîner la défaite de la gauche, le président Fabius vous a adressé une solennelle mise en garde.

Vous annoncez pour l'an prochain une diminution du déficit budgétaire de 20 milliards, ce qui porterait l'ensemble des déficits publics à 1,8% du PIB. Cet effort insuffisant nous placerait à la queue des pays de l'Union européenne. Le ministre néerlandais des finances a déclaré il y a une dizaine de jours : « La France doit faire davantage d'efforts pour réduire ses déficits publics, surtout quand on connaît l'excellence des perspectives de croissance dont se flatte l'hexagone ».

M. Jean-Pierre Brard - Ce ministre ne ferait-il pas mieux de s'occuper de la fraude dans son pays ?

M. Philippe Auberger - Nous avons en effet dépassé à la fin de 1997 le seuil de 60 % de dette publique par rapport au PIB, ce qui est le maximum fixé par le traité de Maastricht, et ce seuil a été constamment franchi depuis. Il est bien prévu dans le rapport économique, social et financier de revenir au-dessous l'an prochain. Mais qui peut y croire ?

Nous sommes revenus depuis un an à un solde primaire positif. Mais le rapport des comptes de la nation le considère comme insuffisant.

Le rapport économique et financier souligne pourtant que le redémarrage de l'activité économique permettrait l'accumulation de réserves susceptibles d'être utilisées en cas de retournement de la conjoncture.

Enfin, le retour de la croissance s'accompagne de l'aggravation des inégalités. Malgré la création d'emplois en plus grand nombre, celui des érémistes continue de s'accroître au rythme de 8 % l'an, sans que rien soit fait pour résorber cette « trappe de non-travail ». Parmi les emplois créés, en outre, 40 % sont des emplois d'intérim. L'INSEE signale d'ailleurs que les inégalités de revenu et de patrimoine ont recommencé à se creuser...

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Dans une étude de 1996 !

M. Philippe Auberger - ...et la façon dont on nous vante les effets prétendument redistributifs de la loi de finances est pour le moins biaisée, car l'analyse présentée dans le rapport ne descend pas au niveau du décile et fait l'impasse sur la baisse des droits de mutation.

La première lacune de ce projet de budget est l'absence de maîtrise des dépenses publiques, clé de la réduction du déficit et de l'endettement. On nous annonce une progression de 0,9 % seulement, mais ce chiffre est trompeur, car il est obtenu grâce à des économies « de constatation » - sur le service de la dette et les charges militaires -, à des sous-estimations de dépenses - RMI, traitements de la fonction publique - et à des débudgétisations - fonds d'allégement des charges sociales, couverture maladie universelle. En réalité, les dépenses publiques augmenteront de 3 % l'an prochain. La mission d'évaluation et de contrôle avait fait quelques suggestions concrètes, qui n'ont malheureusement pas été retenues.

La loi de finances et la loi de financement de la Sécurité sociale comportent une innovation de taille : la poursuite de la baisse des charges sur les bas salaires. On revient de loin, car Mme Aubry, voici deux ans, n'avait pas de mots assez durs pour fustiger une mesure qui, selon elle, faisait peser un prélèvement supplémentaire sur les ménages.

M. Jean de Gaulle - C'est vrai !

M. Philippe Auberger - Mais aujourd'hui la baisse des charges est financée aux deux tiers par la hausse de l'impôt sur les tabacs, et pour une part plus faible par la taxation des activités polluantes, des lessives, des détergents... Si tous les experts...

M. Jean-Pierre Brard - Les vôtres !

M. Philippe Auberger - ...s'accordent sur le bien-fondé de la baisse des charges sur les bas salaires, ils s'accordent également à demander qu'elle soit gagée par des économies sur les dépenses et non par une aggravation de la fiscalité, d'autant que personne n'a mesuré l'incidence des quatre nouvelles taxes créées sur les entreprises et l'emploi.

Le projet pèche en vérité par manque d'une vraie politique fiscale : on se contente d'égrener, au fil des ans, quelques allégements ciblés, un saupoudrage sans perspective ni plan d'ensemble. Notre pays ne peut sortir de son excès de pression fiscale que par une politique claire et résolue de simplification et d'allégement.

M. Jean-Pierre Delalande - Très bien !

M. Philippe Auberger - Il ne sera pas possible, l'an prochain, de réformer simultanément l'impôt sur le revenu et la taxe d'habitation, tout en réduisant la TVA sur la restauration : il faudra choisir !

Si nous voulons que la croissance repose sur des bases saines et durables, il faut privilégier l'épargne à risque, comme nous l'avions fait lors des privatisations de 1986 et de 1993, qui ont fait accéder, pour la première fois, un grand nombre de nos concitoyens à la détention d'actions et fait passer la propriété de l'Etat à la nation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Las ! cet effort a été stoppé, et beaucoup de petits porteurs ont été découragés de conserver leurs titres. Nous avions proposé de réserver aux salariés, à des conditions avantageuses, une fraction des augmentations de capital, mais l'idée n'a pas plu à la majorité, et je le regrette d'autant plus que nous avons récemment assisté à une véritable palinodie en commission des finances : le matin était adopté un amendement, que l'ancienne opposition avait d'ailleurs fait annuler naguère par le Conseil constitutionnel, favorisant la transmission des entreprises familiales, et le soir en était voté un autre, durcissant la taxation des stock-options !

M. Jean-Pierre Brard - C'est la dialectique ! (Sourires)

M. Philippe Auberger - Il est grand temps de moderniser la structure du capital des entreprises en l'ouvrant à l'ensemble de la nation. Les batailles boursières de l'été passé, arbitrées par des fonds étrangers, ont montré combien il est urgent de réconcilier les Français avec le capital de leurs belles entreprises !

Ce qui est frappant dans ce projet de budget, en fin de compte, c'est son manque de courage. En cette période où les perspectives de croissance sont exceptionnelles, nous avons la possibilité de nous délivrer de nos faiblesses si nous le voulons vraiment. Or, la politique menée n'est en rien volontariste : elle se borne à accompagner la croissance, en laissant en l'état tous les défauts de notre économie, comme en 1988-1991.

M. Jean-Pierre Delalande - Tout à fait !

M. Philippe Auberger - Beaucoup d'acteurs de cette période étant maintenant en charge des mêmes responsabilités, on aurait pu espérer qu'ils tireraient les leçons du passé : peut-on être certain, en effet, que notre croissance se poursuivra encore longtemps au rythme actuel et que les valeurs boursières américaines se maintiendront durablement à leur niveau actuel, que M. Greenspan lui-même qualifie d'irrationnel ? Les lendemains risquent d'être douloureux, et le projet de loi de finances, au lieu de nous y préparer, préfère céder à la facilité et à l'euphorie du présent. C'est pourquoi le groupe RPR votera contre (Applaudissements sur les bancs du groupe RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Christian Cuvilliez - Ce troisième budget de la législature nous fait entrer dans l'ombre du « Millenary Round » sans impulsion véritable. Il est vrai que l'élaboration d'une loi de finances est toujours un exercice difficile... Les députés communistes sont membres de la majorité et prendront toutes leurs responsabilités, en disant franchement leurs interrogations et leurs critiques. Ils veulent que la majorité soit jugée par les Français à l'aune de ses engagements, à commencer par le premier d'entre eux : l'emploi.

Le budget 2000 bénéficie d'une conjoncture considérée comme favorable : croissance estimée à 2,8 %, inflation inférieure à 1 %. Mais cela ne suffira pas à réduire massivement le chômage. L'explosion de la précarité et le niveau décevant des recettes de TVA soulignent combien la faiblesse de la consommation populaire fragilise la reprise. Favoriser une croissance plus soutenue et plus riche en emplois stables et qualifiés demeure plus que jamais d'actualité. L'austérité dans la gestion des dépenses n'est pas un bon choix, et si un ministre de l'économie doit prévoir le pire plutôt que de tabler sur une conjoncture idyllique, envisager le retournement de cette conjoncture n'est-il pas renoncer par avance à peser sur elle ?

Nous savons ce que cette logique doit au pacte de stabilité européen. La France se distingue heureusement de l'Allemagne ou de l'Italie, qui sabrent de façon aberrante dans les dépenses sociales, mais les politiques déflationnistes menées presque partout en Europe risquent de nous laisser désarmés lorsque la phase de rémission que nous connaissons arrivera à son terme. Ne surestimons pas le poids des contraintes : nous disposons de marges de man_uvre, et ce que nous récusons n'est pas le principe d'un accord européen, mais son contenu, dicté par une logique purement financière. Agir en France de façon plus déterminée pour l'emploi, la formation et l'investissement ne pourrait qu'aider aux évolutions nécessaires au plan européen.

La droite est mal inspirée d'invoquer le laxisme du budget, et, de manière simpliste de dire que le seul choix est de baisser les déficits publics ou d'augmenter les dépenses.

C'est pourtant elle qui a fait exploser l'endettement de l'État au milieu de la décennie, ce qui plombe toujours le budget de quelque 230 milliards, soit deux fois les crédits alloués à la solidarité. De plus, cette dette apporte des revenus importants à de gros patrimoines et surtout aux établissements financiers.

C'est bien en dynamisant la croissance réelle que l'on peut faire reculer l'endettement. C'est d'autant plus vrai que la conjoncture mondiale demeure incertaine. Or, le système économique perpétue des contradictions majeures. La priorité donnée à la rentabilité financière plutôt qu'à l'emploi et à l'investissement engendre la guerre économique, les délocalisations, la précarité, l'exclusion et des inégalités vertigineuses. Le surendettement du tiers-monde, aggravé par la pression sur les prix des matières premières entrave toute reprise durable. La concurrence planétaire, axée sur la seule baisse du coût du travail, entraîne un immense gâchis de capacités humaines.

La dictature des marchés financiers, au détriment de la démocratie et des droits des peuples, crée un monde dangereux sans que le pôle européen n'atténue les risques, bien au contraire, puisqu'au sein de l'Union comme à l'extérieur, le dumping social avive les antagonismes. Les prochaines négociations de l'OMC, pour laquelle tout est marchandise, risquent encore d'affaiblir les économies les plus vulnérables.

Voilà des raisons pour lesquelles la France se doit de contester un monde unipolaire et de promouvoir de nouvelles coopérations mutuellement avantageuses.

Autre facteur majeur d'incertitude, en France, le MEDEF, qui s'acharne à saboter les choix politiques voulus par les Français en 1997 et qui multiplie les entraves à la politique de l'emploi. L'axiome déjà si peu crédible, car usé jusqu'à la corde, selon lequel les profits de demain feraient l'emploi d'après-demain, est balayé par le comportement cynique des multinationales comme Michelin, qui a reçu quelque 10 milliards de fonds publics en 15 ans. Un budget vertueux se devrait de s'opposer à ce détournement des dépenses fiscales.

Y aurait-il trop de dépenses publiques ? Le budget de l'État-providence si souvent brocardé par les ultra-libéraux n'est souvent que l'ambulance du patronat. Les mesures de solidarité en faveur de ceux que le chômage fait tomber dans la trappe de la pauvreté, de la CMU au préretraites en passant par le RMI, sans parler des allégements de cotisations patronales transférés vers un fonds de la Sécurité sociale, sont en fait mises à la charge de la collectivité, conduite tout à la fois à garantir des minima sociaux et à en ralentir l'augmentation, qui serait pourtant indispensable pour accélérer la croissance.

Ce sont 170 milliards qui sont versés chaque année directement aux entreprises, sans parler des 110 milliards que leur rapportera le passage aux 35 heures. Quelle est l'efficacité de ce pactole ? De quels contrôles fait-il l'objet ?

Les propositions des communistes ne sont ni étatistes, ni dirigistes : elles tirent les conséquences de l'échec d'un certain libéralisme.

C'est le patronat qui dilapide les fonds publics et qui privatise le seul profit !

Son discours libéral n'arrive pas à masquer l'inefficacité économique et les gaspillages.

Aujourd'hui, avec une capacité d'autofinancement historique qui s'accompagne, il est vrai, de l'exigence, de la part des actionnaires, d'une rentabilité toujours plus élevée, les grands groupes qui bénéficient largement des aides publiques rechignent toujours à l'idée d'investir dans l'industrie et de prendre le risque de l'innovation. Ils ne retrouvent leur audace que dans les batailles boursières !

Les fonds publics, aujourd'hui distribués sans obligation de résultat, doivent absolument contribuer à atteindre l'objectif national de création d'emplois. Ils pourraient, comme nous le proposons, servir à abaisser les charges financières considérables des PME-PMI qui s'engagent à développer l'emploi ou la formation, ce qui aurait un effet multiplicateur important sans induire les effets pervers de la baisse du coût du travail. Je me réjouis d'ailleurs que nous ayons, au cours du débat sur le passage aux 35 heures, renforcé le contrôle des aides publiques destinées à créer des emplois.

Il est temps de passer de subsides laxistes à une incitation responsable en permettant aux salariés qui, aujourd'hui, ne sont pas citoyens dans l'entreprise, de se mobiliser en faveur de la politique de l'emploi -par exemple, en prenant part aux décisions des conseils d'administration-.

Il faut définir un dispositif démocratique et rigoureux de prévention des licenciements. Si les acteurs du mouvement social, dont on a vu le 16 octobre une manifestation importante, ont un rôle essentiel à jouer, celui-ci ne saurait occulter la responsabilité propre des responsables politiques.

Le budget 2000 doit mieux contribuer à l'efficacité économique tant pour la justice fiscale que pour les dépenses. A cette fin, nous aurions souhaité que soit engagée dès cette année la réforme de l'impôt direct, au terme d'une grande consultation politique et syndicale.

La France connaît trois grands impôts directs : l'impôt sur le revenu, la taxe d'habitation -dont la réforme est plus urgente que ne l'est l'extension très contestable des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise-, mais aussi la CSG dont le prélèvement est proportionnel aux revenus, alors que l'impôt sur le revenu a un barème progressif. Le nombre de tranches en a été trop réduit ; or, plus elles sont nombreuses et moins se font sentir les effets de seuil que trop de contribuables, notamment célibataires, ont subi cette année, et plus la justice fiscale est respectée. Impôt sur le revenu et CSG devraient donc avoir un barème progressif identique. Dans l'immédiat, il faut introduire un seuil d'exonération de la CSG pour les salariés et les retraités les plus modestes. Notre groupe le souhaite, et attend des réponses du Gouvernement en ce sens.

Le dossier des stock-options et des fonds partenariaux de retraites est-il vraiment enterré, étant donné les contestations légitimes qu'il fait naître au sein de la majorité et au-delà ? Vous avez confirmé, Monsieur le ministre, votre volonté de refondre le système de participation des salariés aux bénéfices de l'entreprise. Quatre principes, dites-vous, devraient sous-tendre cette réforme : la transparence, la mutualisation des fonds, la gestion assurée par les salariés et l'utilisation de cette épargne pour financer les entreprises.

Nous aurons donc l'occasion de revenir sur cet important dossier, mais permettez-moi une question simple : comment des gens sans ressources peuvent-ils être associés à un régime de stock-options, même transparent, et de fonds de pensions, même amélioré ?

Et ne faut-il pas prendre les mesures qui interdisent ou qui sanctionnent immédiatement les grands prédateurs ? Le débat, je le dis au passage, n'est pas un débat interne à la majorité, c'est un débat entre la gauche et l'opinion publique.

Les revenus du capital doivent être taxés comme ceux du travail, sans les multiples exonérations ou taxations forfaitaires dont ils bénéficient aujourd'hui.

Les importantes mutations de notre appareil productif, les transformations profondes qui interviennent dans les grandes sociétés capitalistes, l'exacerbation et les nouvelles formes de la compétition internationale constituent autant de défis pour une action publique dont l'ambition ne doit pas se limiter à accompagner cette mondialisation sur fond de guerre économique. Tout en tenant compte de cette nouvelle donne, nos efforts doivent nous conduire à ne pas laisser faire. Pour cela, la loi de finances doit créer des dispositifs résolument anti-spéculatifs.

Notre demande d'une fiscalité plus juste pour ces revenus particuliers ne sera que partiellement prise en compte par la réduction de 45 à 40 % de l'avoir fiscal des sociétés. Or, ce sont des dizaines de milliards qui pourraient servir à des dépenses utiles, d'autant qu'après la réduction, l'an dernier, de la taxe professionnelle, et avec la suppression de la surtaxe d'impôt sur les bénéfices des sociétés, les entreprises bénéficient déjà d'un allégement fiscal net pour 2000.

Douze milliards d'allégement de l'impôt sur les sociétés, c'est presque autant que le produit de l'impôt sur la fortune en une année.

Ne serait-il pas plus juste d'accorder cet avantage aux seules sociétés qui auraient créé des emplois, et de sanctionner celles qui, bien que dégageant des bénéfices importants, continuent à licencier et à recourir au travail précaire ? L'exemple caricatural de Michelin et Wolber doit conduire le Gouvernement et le Parlement à prendre des dispositions concrètes.

L'ISF a toujours un rendement inversement proportionnel à sa légitimité, reconnue par l'opinion, ce qui a empêché la droite de le supprimer. Pour autant, il ne prend toujours pas en compte la richesse réelle et donne un poids relatif trop grand à l'immobilier. On peut d'autant moins considérer ce dossier comme clos que les inégalités de patrimoine se sont sensiblement accrues au cours de la décennie.

Il faut comparer le rendement de l'ISF -13 milliards- aux dépenses de financement du RMI, qui dépasseront 28 milliards l'an prochain. Son assiette doit être universelle et inclure, en particulier, les biens professionnels et, pourquoi pas, les _uvres d'art thésaurisées -hors de la création contemporaine et de celles exposées au public.

Autre dossier majeur : le poids trop élevé des impôts indirects, qui alimente l'injustice sociale. Le Gouvernement, sous le patronage de Jean-Claude Gayssot, a pris une mesure importante en réduisant la TVA pour les 10 millions de ménages qui font chaque année des travaux d'entretien dans leur logement (Protestations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Nous apprécions également la suppression du droit au bail pour les locataires, que nous avions proposée en un an et qui sera réalisée sur deux, mais nous considérons qu'il est nécessaire d'aller plus loin dans les baisses ciblées de la TVA, et nous avons formulé un certain nombre des propositions en ce sens en commission des finances, sur lesquelles nous reviendrons dans le débat. Je pense ici à la diminution de la TVA sur les produits alimentaires de consommation courante, dans le domaine de la restauration ou encore sur les livraisons d'énergie calorique alimentée par la géothermie et la co-génération.

Mon collègue Jean-Pierre Brard traitera plus particulièrement de la fraude fiscale.

Par ailleurs, une majorité de Français approuve le principe d'un prélèvement sur les mouvements de capitaux . Vous avez exprimé, Monsieur le ministre, votre réticence à l'idée d'instituer une « taxe Tobin ». Mais plus de cent députés, parmi lesquels tous les communistes et apparentés, ont signé un appel visant à l'élaboration d'une méthode de régulation des flux de capitaux ; et ils attendent que des mesures soient prises dès cette année.

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Christian Cuvilliez - Dans la discussion du budget 2000, les députés communistes avancent un certain nombre d'amendements qui visent à une plus grande justice fiscale et à une dépense plus efficace pour la croissance, l'emploi et la solidarité.

Nos propositions s'articulent autour de quatre axes d'intervention.

Il convient de pénaliser les entreprises qui licencient alors qu'elles dégagent des bénéfices et d'instaurer une taxe spécifique sur le travail précaire, afin d'éviter le recours excessif à ces formes d'emploi. Une meilleure justice fiscale doit soutenir la demande.

Il faut ensuite donner aux collectivités locales des moyens supplémentaires et, enfin, lutter contre la fraude et la spéculation financière.

Le budget renouvelle l'accord des partis au Gouvernement. Mais parce que la conjoncture reste incertaine, il est temps de donner un deuxième souffle à la politique de la gauche, en répondant aux souhaits des salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Pierre Méhaignerie - M. le ministre a déclaré hier soir qu'il se garderait de tomber dans l'autosatisfaction. La situation comparée du chômage, du déficit public ou du niveau des prélèvements obligatoires lui donne raison. Pour autant, je veux bien admettre qu'il y a des motifs de satisfaction, sous réserve de préciser qu'il ne peut s'agir que d'une satisfaction « à court terme » et qu'elle doit être équitablement partagée entre ses différents inspirateurs. Je pense à la croissance américaine et européenne, au pilotage de la politique conjoncturelle, au courage de la majorité précédente qui en engageant une politique de réduction des déficits et de baisse des charges sociales est à l'origine de plus de 30 % des emplois créés dans la période récente. Satisfaction à court terme, aussi, parce que nous divergeons avec le Gouvernement sur les moyens d'installer une croissance saine et durable. L'optimisme à court terme qui semble de mise aujourd'hui me rappelle les périodes 1988-1990 ou 1981-1982, de dépense publique massive et de nationalisations, qui se sont suivies d'une longue période de stagnation et de recul de la croissance, plus durement ressentie en France que dans le reste de l'Europe.

Nous craignons que le Gouvernement ne soit aujourd'hui tenté de répéter les mêmes erreurs. Il y a quelques semaines, l'Union européenne publiait une étude sur l'évolution de la richesse par habitant dans les différents Etats membres. L'Irlande précède aujourd'hui de dix points la Bretagne ou les pays de la Loire ; le Piémont ou la Lombardie se situent à l'indice 120. Au cours des vingt dernières années, le retard pris par la France en matière de croissance et d'emploi tient à ses choix de politique économique.

De même, le pouvoir d'achat des salariés allemands dans le secteur industriel dépasse de plus de 20 % celui des ouvriers français, à situation équivalente et après impôts.

Le Gouvernement parle du retour au plein emploi mais nous le suivrions plus volontiers s'il s'agissait du plein emploi sans creusement des inégalités. 60 à 80 % des salariés préfèrent un maintien de leur pouvoir d'achat grâce à l'allégement des charges plutôt qu'une généralisation autoritaire des 35 heures (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Notre retard est dû à la montée incessante des prélèvements publics. M. Fuchs a rappelé hier à juste titre que la fonction publique rendait un service public. Mais à quel coût pour la nation ? La Cour des comptes relève une montée des gaspillages, de nombreuses administrations ne travaillent que 29 heures par semaine. Les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle ont montré, je n'hésite pas à en faire état, que certains services de police ne travaillaient que 28 ou 29 heures mais chacun sait qu'il est plus facile pour l'administration de dire oui que de s'opposer aux demandes de leurs personnels et j'en ai fait l'expérience en tant que ministre de la justice, lorsque j'ai dû refuser aux salariés de l'administration pénitentiaire la bonification indiciaire qu'ils réclamaient.

Je l'ai fait en considérant la situation des salariés d'autres secteurs tels que celui du bâtiment. Il ne faut pas que les divergences de situations entre les salariés de secteurs protégés et les autres s'accentuent encore (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; interruptions sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Les leçons de l'histoire économique des deux Europe auraient dû nous conduire à modifier nos comportements politiques, comme l'ont fait plusieurs de nos voisins.

Nous approuvons trois mesures dans ce projet de budget : la baisse de la TVA, la poursuite des privatisations et la baisse des droits de transmission des PME. Mais beaucoup d'autres mesures témoignent de votre insouciance du court terme et du caractère exclusivement idéologique de certains choix.

L'insouciance du court terme se retrouve dans votre question du déficit public, qui reste excessif. Le ministre néerlandais des finances a d'ailleurs demandé à la France, au nom des ministres des finances européens, de faire un effort supplémentaire et il s'est interrogé sur les conséquences de la loi relative à la réduction du temps de travail sur le budget français. Au regard du niveau du déficit public, la France et l'Europe se trouveraient en situation difficile si des vents contraires affectaient la conjoncture.

S'agissant de la dépense publique, elle croît bien de 3,5 % d'une année sur l'autre et nous constatons que les propositions de la MEC sont ignorées.

Votre politique entraîne un accroissement des charges futures, qu'il s'agisse des 35 heures, notamment dans la fonction publique, des emplois-jeunes ou des retraites dans le secteur public.

Si vous n'avez pas prêté attention à nos critiques, avez-vous été plus sensible à celles du président de l'Assemblée nationale, du ministre néerlandais des finances ou de la presse étrangère -le Frankfurter Allegemeine Zeitung rapporte en effet que la France n'est pas en mesure de présenter un budget équilibré en dépit de son niveau de croissance et qu'un changement de conjoncture la contraindrait à un réendettement générateur de taux incompatibles avec le pacte de stabilité et de croissance. Je n'insiste pas sur la position du Financial Times qui parle des «fiscal follies» françaises.

L'alternative à ce projet de budget, c'est une plus grande discipline de la dépense publique ; l'objectif «zéro croissance» de la dépense publique est atteignable. Elle est aussi à rechercher dans les éléments d'un Etat mieux géré et le projet de loi de finances est à cet égard décevant en ce qu'il fait fi des travaux de la MEC. Le ministère de l'intérieur bénéficie ainsi d'une proposition d'appréciation de ses moyens de 792 millions dans le secteur de la police alors que la mission avait mis en évidence les gains de productivité qui pouvaient être dégagés dans ce même secteur.

Il en va de même de la politique autoroutière. La MEC préconisait l'arrêt des ponctions sur les sociétés concessionnaires et la taxe kilométrique est augmentée de 12,5 %, avec les répercussions que l'on imagine sur les utilisateurs.

Je pourrais multiplier les exemples et citer notamment celui de l'AFPA. Mais je dis plutôt que dans ces conditions, nous ne nous associerons plus aux travaux de la MEC, car le rapport de forces à l'intérieur du Parlement, entre ceux qui veulent faire preuve de courage et ceux qui plient devant les syndicats, n'est pas favorable à l'efficacité de la mission.

La troisième priorité, ce sont les salaires et notamment les plus modestes. MM. Barrot et Borotra voulaient faire progresser les allégements et la franchise des charges sociales pesant sur les bas salaires, pour donner une meilleure visibilité aux entreprises et développer l'emploi.

La revalorisation des salaires directs est indispensable. Les minima de différentes branches doivent être revalorisés de 700 à 800 F sur deux ou trois ans, en particulier dans les secteurs les plus difficiles du point de vue des conditions de travail. Cette revalorisation doit aussi rendre ces emplois plus attractifs car dans certains secteurs, malgré un taux de chômage de l'ordre de 15 %, les entreprises ont du mal à trouver la main-d'_uvre dont elles ont besoin.

Ce relèvement des salaires directs aurait aussi favorisé le retour au travail de personnes sans emploi car aujourd'hui, la différence de revenus entre un salarié payé au SMIC et une personne vivant de prestations sociales est infime. C'eût été une mesure de justice, pour nous éminemment préférable aux 35 heures (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Toutes ces réformes ne sont possibles dans notre pays que conduites de façon décentralisée, expérimentale, en faisant appel à la responsabilité des acteurs.

Un article de presse d'hier évoque les difficultés d'application de la loi contre l'exclusion, dont on a l'impression, est-il écrit, «qu'elle n'intéresse plus grand monde». Comment, croulant sous une quarantaine de décrets d'application et d'arrêtés, appelés à siéger dans des dizaines de commissions, les acteurs de terrain, étouffés sous la réglementation, ne seraient-ils pas démobilisés ? Nous avons découvert récemment dans mon département où existent cinquante chantiers d'insertion, qu'il ne serait plus possible d'y affecter du jour au lendemain, sans autre formalité, une personne en difficulté mais que l'autorisation préalable de l'ANPE serait requise. Des délais supplémentaires s'ensuivront, préjudiciables aux intéressés.

J'en viens à la responsabilité des acteurs. La réforme envisagée de la taxe d'habitation ne devra pas favoriser les collectivités qui dépensent le plus, indépendamment de leur gestion. Est-il normal, et je sais que le président de la commission des finances est d'accord avec moi sur ce point, que le département des Alpes-Maritimes bénéficie d'un dégrèvement de 400 F par habitant au titre de la taxe professionnelle, soit six fois le dégrèvement accordé en Creuse, en Corrèze ou en Lozère ? Est-ce la meilleure façon de responsabiliser nos compatriotes ? Je ne le crois pas. Gérer tout d'en haut ne va pas dans le sens souhaitable. Pourtant, les collectivités perdent chaque jour en autonomie.

Monsieur le ministre, vous avez énoncé quatre conditions nécessaires à la reconquête du plein emploi.

Première condition : parvenir à des conditions macro-économiques favorables. On doit donc regretter à cet égard que la réduction du déficit et la hausse des dépenses publiques prévue dans votre projet de budget ne répondent pas à ce critère.

Deuxième condition : miser sur l'innovation et l'ouverture internationale. On doit, là, regretter que votre majorité ne vous ait pas beaucoup suivi en commission s'agissant du soutien à l'innovation. Elie Cohen écrivait dans le Nouvel Observateur de la semaine dernière que pour doper la croissance, il fallait notamment abaisser le coût du travail non qualifié et réduire le nombre des obligés de l'Etat. C'est ce que vous ne faites pas. Faute de ces réformes de structure, poursuivait Elie Cohen, l'embellie actuelle ne serait, comme les trois ans du gouvernement Rocard, qu'un essai non transformé (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yann Galut - Libéralisme à tout crin !

M. Pierre Méhaignerie - Je ne crois pas qu'Elie Cohen soit un libéral forcené, pas plus que moi-même. Je suis social-libéral et j'en suis fier, car ce sont les pays qui ont suivi cette voie qui ont aujourd'hui les meilleurs résultats et offrent le meilleur pouvoir d'achat à leurs salariés (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Troisième condition du plein emploi posée par M. Srauss-Kahn : faire de la croissance le moteur des réformes. Pourquoi alors retardez-vous des réformes que chacun sait nécessaires, comme celle des retraites dans le secteur public ?

Quatrième condition : garantir une croissance solidaire. Nous partageons cet objectif. Seulement si dans certains secteurs, les 35 heures peuvent se justifier, dans d'autres, il aurait fallu privilégier l'amélioration du pouvoir d'achat. Pourquoi avoir choisi autoritairement une seule voie ?

Je ne doute pas un instant, Messieurs les ministres, de votre lucidité. Il semble toutefois que vos actes ne la reflètent pas. Pour toutes les raisons que j'ai exposées, nous voterons contre votre projet de budget (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Yves Cochet - Alors que vient de s'achever le marathon législatif des 35 heures, s'ouvre la discussion du projet de loi de finances pour 2000. Entre les deux, le lien est évident. En effet, ce budget déterminera largement les modalités de financement du grand chantier social de la réduction du temps de travail. Parce que les 35 heures vont bouleverser la vie professionnelle et personnelle des salariés, modifier les modes de production des entreprises et redynamiser l'économie nationale, ce budget doit tout faire pour faciliter leur succès.

Stabilité des dépenses publiques, baisse des impôts et réduction du déficit budgétaire, autant d'orientations qu'approuvent les Verts.

La priorité donnée à l'emploi, fondement des succès de la majorité plurielle, doit demeurer. Ce projet de budget comporte diverses mesures en faveur de la création d'entreprises et donc d'emplois. La poursuite de la suppression de la taxe professionnelle sur les salaires va dans le même sens. Enfin, l'application du taux réduit de TVA aux services d'aides à la personne et aux travaux dans les logements laisse espérer des créations d'emplois dans ces secteurs employant beaucoup de main-d'_uvre.

L'engagement pour une économie plus solidaire se traduit, quant à lui, par des mesures comme la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale.

La suppression des droits de timbre est une initiative heureuse.

Enfin, ce budget comporte des orientations écologiques certaines, qui répondent aux aspirations des Verts et de la population. Il faut notamment se féliciter du basculement de la TGAP dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

Au total, les Verts auraient pu être enchantés de ce projet de budget mais ils ne le sont pas tout à fait.

Nous déplorons le cadeau fait aux plus riches du pays par le biais de l'actualisation du barème de l'impôt sur la fortune et la non-intégration des biens professionnels dans l'assiette de cet impôt. Nous regrettons la suppression de la taxe de défrichement. Nous ne comprenons pas que les revendications de la population sur la défiscalisation de l'épargne solidaire ou la taxation des prospectus publicitaires distribués dans les boîtes aux lettres n'aient pas été prises en compte. Enfin, pourquoi n'avoir pas supprimé le droit de timbre sur la carte de séjour ?

Au-delà, Monsieur le ministre, il est urgent de stopper deux dérives redoutables de notre économie, dont l'actualité nous a révélé les effets déplorables et douloureux. Il faut mettre un terme au scandale des stock-options. Les Verts ont déposé deux amendements, visant à alourdir et à rendre rétroactive la fiscalité des stock-options et à limiter leur champ d'application. Il faut ensuite limiter les dégâts des mouvements spéculatifs. Les Verts et les 104 députés signataires du comité Attac de l'Assemblée proposent de le faire en instituant une taxe Tobin.

16 octobre, à Pau, 47ème jour de grève chez Elf : les salariés manifestent contre le plan de licenciement du groupe, ne comprenant pas que leur entreprise leur refasse le coup «Michelin», en annonçant huit milliards de bénéfices tout en supprimant 2 000 postes. Quelques jours auparavant, Philippe Jaffré, président d'Elf, quittait, de façon provocante, ses fonctions en empochant une plus-value estimée à 300 millions de francs. Il eût assurément préféré partir sur la pointe des pieds. Seulement voilà, il est celui par qui est arrivé le scandale des stock-options, intolérable dans une société aussi fragilisée par les crises sociales que la nôtre. Une fuite du conseil d'administration d'Elf en 1997 a permis de comprendre pourquoi certaines directions sont restées étrangement inertes. Après s'être octroyé à lui-même 60 000 stock-options, Jaffré a distribué le reste selon son bon vouloir : 10 000 à 15 000 pour la très haute hiérarchie, selon des critères connus de lui seul, 2 000 à 5 000 pour les cadres dirigeants, 600 à 1 000 à certains cadres, enfin 400 à 500 à une petite dizaine de techniciens. Les syndicats ont calculé que ces primes maison représentaient 1 000 embauches. Les plans d'attribution de stock-options sont décidés dans le plus grand secret, juste avant les plans de fusions-acquisitions, qui multiplient les possibilités de délits d'initiés. Mais sur 1 148 opérations douteuses, seules 19 ont été signalées à la COB et une seule a donné lieu à une condamnation, dérisoire de surcroît.

Il est urgent de moraliser ce champ. Mais la morale n'est pas seule en cause ! Au-delà de l'injustice sociale et de l'impunité des puissants, ce sont les valeurs de transparence et de solidarité qui ont été bafouées à travers le cas Jaffré, loin d'être unique ! Les stock-options sont un système de rémunération de chefs d'entreprises qui relève du pillage légal.

La plus-value potentielle pour le haut management des quarante plus grandes sociétés françaises s'élève à 46 milliards. Les entreprises françaises seraient championnes, juste derrière leurs concurrentes nord-américaines, dans l'offre de petits magots à leurs dirigeants. Ainsi, une entreprise cotée en Bourse sur trois utilise des plans de stock-options.

Le système a prétendument une triple fonction : assurer un complément de rémunération à quelques milliers de cadres dirigeants, les intéresser à la valorisation de l'entreprise, ce qui passe le plus souvent par des réductions d'emplois, éviter que les cerveaux des entreprises travaillant dans le domaine des nouvelles technologies ne s'expatrient, aux Etats-Unis notamment.

Les stock-options ne concernent que la crème de l'élite. Qu'on en juge : en France, une vingtaine de milliers de cadres dirigeants pourraient empocher à eux seuls une trentaine de milliards de plus-values potentielle. Et dans ce cercle déjà fermé, les membres d'organes de direction au sens étroit se réservent la part du lion. La plus-value par tête est pour ceux-ci de 66 millions chez Axa, 53 millions chez l'Oréal, 39 chez Vivendi, 33 chez Promodès... On est loin des entreprises innovantes auxquelles ce système devait s'adresser. Les 15 entreprises du secteur des nouvelles technologies les plus généreuses en stock-options totalisent moins de 600 millions de plus-values potentielles.

Certains membres du Gouvernement ou de la majorité plurielle veulent nous faire croire que la transformation des salariés en capitalistes signerait la fin de la lutte des classes. Moi, je ne le crois pas.

Vous avez dit, Monsieur le ministre : « Il s'agit, à l'intérieur de l'économie de marché, de modifier le rapport de forces en faveur des salariés ». Je crois que c'est un rêve, une vision idyllique. J'aimerais que vous reveniez à deux notions évidentes. La première, c'est qu'il y a contradiction d'intérêt entre le salarié et l'actionnaire. Pour faire monter l'action, on réduit les coûts, et dans ce but on licencie. C'est ce que viennent de vivre les salariés d'Elf à Pau, qui se retrouvent actionnaires... et virés ! Seconde évidence : l'actionnariat est une façon d'éviter les augmentations de salaires -et c'est autant de perdu pour la Sécurité sociale, les retraites, etc.

C'est pourquoi il ne faut pas que l'amendement Bonrepaux se perde en route, sous le prétexte d'un futur projet de loi sur l'actionnariat salarié, qui permettrait de donner des actions plutôt que des salaires. Sur ce projet le débat ne fait que commencer. Le salarié actionnaire aura-t-il plus de pouvoir sur les décisions de l'entreprise ? Je me pose la question. Et, pour valoriser ses actions, procédera-t-il à son propre licenciement ?

L'intéressement aux résultats revient périodiquement dans l'histoire du capitalisme. Il affiche deux objectifs : un partage plus équitable des richesses, plus de pouvoirs pour les salariés. Qui n'applaudirait ? Mais, on l'a vu, ce n'est pas tout à fait cela.

Mme Nicole Bricq - Ce n'est pas une raison pour que cela continue !

M. Yves Cochet - Ce n'est pas la même chose de perdre 54 % sur 2 millions ou 5 % sur 8 000 francs, cela n'a pas le même impact sur la vie des gens.

Conçu pour fidéliser et motiver les salariés, le système des stock-options peut aboutir à des résultats imprévus, surtout s'ils sont distribués largement. Quand s'approche l'échéance à compter de laquelle les bénéficiaires peuvent réaliser leurs gains, le syndrome de Perrette et du pot au lait se répand parmi le personnel. Ils se mettent à penser plus à leur vie future qu'à leurs performances professionnelles. Certains pensent même secrètement à s'en aller. D'autres, à qui on propose de se remettre en cause en changeant d'affectation interne, sont d'autant plus portés à refuser le défi qu'ils ont le sentiment d'avoir assuré financièrement leur avenir. Ils n'ont plus envie de prendre de risques. Or le risque n'est-il pas le moteur des entreprises ? Les cabinets de recrutement eux-mêmes s'inquiètent d'un retournement, perceptible chez les cadres et les spécialistes, qui déclinent toute proposition extérieure, attendant de pouvoir réaliser leurs stock-options.

C'est pourquoi, en complément à la proposition du président de la commission des finances, nous défendrons deux amendements sur la question des stock-options. Nous sommes prêts à les fusionner avec le vôtre, Monsieur Bonrepaux. Nous ne pouvons pas attendre le printemps comme le propose François Hollande. Il ne s'agit pas de répondre à des émotions collectives, d'être démagogiques et populistes ; il s'agit d'agir tout de suite, avant que des phénomènes d'évasion ne se produisent, avant que le patronat et ses bataillons de cadres dirigeants «stock-optionnés» ne nous opposent leurs arguments.

Car c'est le politique qui est interpellé sur ces questions. Je note d'ailleurs qu'au prochain congrès de l'Internationale socialiste, Lionel Jospin produira un manifeste intitulé : « vers un monde plus juste ». On y lit ceci : « les socialistes savent que la force de l'économie de marché est d'être une incomparable productrice de richesses ». Mais le marché, chers collègues socialistes, n'est ni une richesse ni une valeur. Le marché produit toujours plus de marché. Ainsi, Monsieur le ministre, puisque vous aimez les déciles, savez-vous qu'en dix ans, le revenu des 10 % les plus modestes a baissé net de 2,8 % tandis que celui des 10 % les plus riches a augmenté de 4 % par an de 1990 à 1995, puis de 10 % par an de 1995 à 1999 ? Les chiffres ont parlé. Je pose donc la question : sommes-nous prêts à entacher notre législature d'un pareil scandale sur les stock-options ?

Nous avons déposé d'autre part un amendement, cosigné par 104 députés de la majorité et un de l'UDF. Techniquement, il s'agit d'une taxe sur les opérations portant sur les devises, dont le taux est fixé à 0,05%, soit deux fois moins que ce que proposait James Tobin lui-même, qui est pourtant un libéral modéré plus qu'un extrémiste notoire. Ecoutons celui-ci, s'exprimant dans Le Monde du 17 novembre 1998 . On lui rappelle l'objection selon laquelle sa taxe ne pourrait marcher que si tous les pays l'acceptaient. Après avoir précisé qu'il n'était pas un demeuré, et donc qu'il y avait pensé, il demanda qu'au lieu d'avancer de telles critiques faciles, qui ne servent qu'à écarter le débat, on débatte plutôt des mérites propres de son projet. Il indique en outre que l'acceptation de la taxe Tobin pourrait être une des conditions préalables au statut de membre du FMI et de la Banque mondiale.

Seraient exonérés de cette taxe tous les mouvements de capitaux afférents à l'économie réelle, tels que les exportations et importations de biens et services ou les investissements directs. L'assiette de la taxe limite donc son impact aux seules opérations spéculatives. Je rappelle qu'elles sont de l'ordre de 2 000 milliards de dollars par jour, tandis que les mouvements de l'économie réelle sont d'environ 40 milliards de dollars, soit cinquante fois moins ! Ces deux chiffres suffisent à caractériser ce qu'il faut bien appeler une folie du capitalisme, au sens psychiatrique du terme.

Politiquement, comme le montre le nombre de députés signataires ainsi que le succès grandissant des comités de citoyens qui militent dans ce sens en France et dans le monde, le moment est on ne peut mieux choisi.

J'ai ici un journal qui ne passe pas pour extrémiste -il s'agit de L'Expansion- et qui publie un sondage intéressant : 60 % des Français sont favorables à la taxe Tobin, dont 70 % dans la majorité et 54 % dans l'opposition.

M. Jean-Jacques Jegou - Savent-ils ce que c'est ?

M. Yann Galut - Pourquoi méprisez-vous les gens ?

M. Yves Cochet - Je rappelle aussi que le candidat Lionel Jospin à la présidentielle de 1995 y était favorable. Il évoquait même une taxe de un pour mille, alors que je propose deux fois moins. On dit même qu'en privé M. Trichet y serait favorable. En tout cas Philippe Séguin l'était en 1994 (Murmures sur divers bancs).

Examinons maintenant la situation de nos banques. Elle est grave. La plupart d'entre elles mènent une politique spéculative aventureuse, voire débridée. Ainsi, deux d'entre elles, la Société générale et la BNP, furent présentes dans le fonds spéculatif LTCM qui s'est effondré l'an dernier et ont participé à son renflouement selon les prescriptions de M. Greenspan. Monsieur le ministre, on parle beaucoup de transparence aujourd'hui : savez-vous -moi, je l'ignore- combien ces deux banques avaient misé dans LTCM et combien elles ont perdu dans le renflouement de ce fonds ? Plus généralement, toutes les banques françaises ont spéculé sur la dette russe. De nouveau, Monsieur le ministre, savez-vous quel est pour elles le bilan de cette affaire ?

Nos banques spéculent car elles espèrent faire apparaître des profits dans leurs bilans. Mais elles organisent cette spéculation sur un marché de gré à gré, hors norme, hors de tout contrôle public et de toute règle prudentielle. Même sur le marché spéculatif de Chicago, il y a des règles : on spécule, mais l'on doit décaisser tous les jours le montant exact de ses pertes. On ne peut pas cumuler la spéculation, comme les joueurs de casino qui jouent encore plus pour tenter de se refaire. Or, ce que font nos banques, ce n'est même pas cela. Nos concitoyens sont révoltés par de telles pratiques. La philosophie de notre amendement Tobin est donc simple et modérée : il faut calmer les banques, les encourager à la prudence.

A cette proposition, plusieurs mauvaises réponses ont été faites. D'abord, on dit : laissons faire nos banques, sinon les anglaises, les hollandaises ou d'autres le feront. Ma réponse est : parce que les banques luxembourgeoises organisent le blanchiment de l'argent noir, faut-il laisser les banques françaises le faire ? Au nom de quel projet politique ? Parce que certains pays ne respectent pas la législation du travail, faudrait-il faire de même en France ? Faudrait-il ne pas faire les 35 heures en France, au nom de la concurrence ? Ce premier argument ne tient ni politiquement, ni moralement.

Deuxième argument : la taxe Tobin serait techniquement infaisable. Appliquer une taxe en France, ce serait comme appliquer une taxe en Bretagne. Les Bretons iraient déposer leur argent à Sarcelles. Cet argument éculé assimile les très gros spéculateurs avec la masse des petits épargnants. Supposons donc que la région Bretagne impose une taxe Tobin de 0,05 %. Les Bretons s'adressent à une banque de Sarcelles.

Mais la succursale brestoise de cette banque sera taxée comme les banques bretonnes. Un Breton ira-t-il déposer et gérer son patrimoine à Sarcelles ? Oui, s'il s'agit d'un très gros épargnant et s'il désire spéculer. Sinon, il restera en Bretagne car la taxe ne le touchera pas. Quelle incidence aurait, en terme de coûts, la taxe Tobin pour les banques de Bretagne ? De l'argent spéculatif quittera leurs guichets ; l'incidence en sera dérisoire ; elle sera forte en revanche sur les profits spéculatifs potentiels de la banque bretonne. L'intérêt de la taxe Tobin est d'être spécifique : elle ne touche que la spéculation.

La ritournelle de l'impuissance politique, de la contrainte extérieure, de la loi fatale des marchés, agace de plus en plus de monde. C'est pourquoi, sur les stock options comme sur la taxe Tobin, il faut agir, on peut agir, et il faut le faire maintenant !

M. Yann Galut - Bravo !

M. François d'Aubert - Selon vous, Messieurs les ministres, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les dépenses publiques se stabiliseraient, les impôts baisseraient, les 35 heures créeraient de l'emploi sans accroître les prélèvements. Est-ce possible ? Ce serait miraculeux. Bien plutôt ce gouvernement est passé virtuose dans l'art du trompe-l'_il. L'essentiel est de communiquer, fût-ce au prix de nombreux tours de passe-passe. Le dernier consiste à sortir le financement des 35 heures de toute visibilité budgétaire et parlementaire, par des débudgétisations et des affectations de ressources. Le résultat est un budget artificiel, que n'appuie aucune réforme de l'Etat, aucune vision à moyen et long terme, et qui ne comporte ni vraie baisse des impôts, ni vraie réduction des dépenses ; un budget qui se signale surtout par ses carences.

Pourtant, le rapporteur général a parlé d'un budget volontaire et sincère ; il est difficile d'aller plus loin dans le contresens !

En 1999, les impôts d'Etat, annonciez-vous, devaient diminuer de 21 milliards. En fait, les Français ont payé 88 milliards de plus qu'en 1998. En 1999, les ménages devaient bénéficier d'un allégement d'impôt de 7,7 milliards. Or le produit de l'impôt sur le revenu a augmenté de 16 milliards, et la ponction opérée par la CSG de 36 milliards. A quoi s'ajoutent les dégâts collatéraux causés par vos manipulations de l'impôt sur le revenu, sur la taxe d'habitation, dont le montant augmente mécaniquement dans les communes où son taux a pourtant diminué ou est demeuré stable.

Grâce à la suppression progressive de la part salariale dans l'assiette de la taxe professionnelle, les entreprises devaient s'attendre à 8,4 milliards d'allégements. Or, révèle le rapport de la DGI, 1,8 milliard manque à l'appel. Cette mesure devait entraîner la création de 25 000 emplois. Or la DGI, au prix de beaucoup d'acrobaties, en dénombre de 18 000 à 25 000, dont 500 dans le secteur intermédiaire. Formidable ! Comment ce chiffre a-t-il été calculé, nous nous le demandons !

M. le Ministre - Comment pouvez-vous critiquer ce que vous ne comprenez pas ?

M. François d'Aubert - Ce que nous comprenons, c'est que la réalité contredit vos promesses !

Champion autoproclamé de la baisse des prélèvements obligatoires en 1999, vous devez constater qu'ils augmentent.

Si au moins cette augmentation était compensée par une baisse conséquente du déficit public ? Mais non, et il vous faut chercher des alibis assez grossiers au décalage entre vos promesses et l'avalanche fiscale que les Français supportent de plus en plus mal. La croissance n'était pas tout à fait au rendez-vous, alléguez-vous. Dans ce cas, pourquoi vous être obstiné sur ce taux de 2,7 %, alors que nous expliquions, sous vos reproches, que la croissance serait plutôt de 2,4 % ? N'êtes-vous pas victime de votre baratin fiscal depuis trois ans ? S'y ajoute une communication quasi mensongère, quand vous sous-estimez sciemment les effets de vos nouveautés fiscales anti-familles, en particulier l'abaissement du plafond du quotient familial, qui rapporte 4 milliards à l'Etat, et pénalise beaucoup plus de familles que vous l'aviez annoncé. Tout en annonçant chaque année des baisses d'impôts, le Gouvernement réussit le tour de force de faire payer aux Français 150 milliards supplémentaires, sans compter 212 milliards de la CSG. Voilà ce qui est historique. En 1996, année à laquelle vous aimez vous référer, le supplément de ponction fiscale s'est élevé à 114 milliards, ce qui était trop, mais moins que vos 150 milliards depuis deux ans. En 1999 , la ponction de l'Etat sur le supplément de croissance atteint 35 %, contre 29 % en 1996 et 21 % en 1997. C'est votre record à vous ! Ces chiffres figurent dans le rapport de M. Migaud.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - Pas du tout !

M. François d'Aubert - Malgré votre art consommé de la communication sélective, les Français finiront par se rendre compte que vous n'avez jamais eu l'intention de revenir sur les hausses temporaires d'impôts décidées par le gouvernement précédent, qui ont permis d'accéder à l'euro et qui rapportent aujourd'hui 80 milliards. Mais alors, qu'est devenue votre promesse électorale de 1997 ? Les Français se rendent compte aussi que vous avez stoppé la baisse de l'impôt sur le revenu engagée par le précédent gouvernement.

Votre conception de la justice fiscale consiste à faire payer davantage les riches et à prendre plus à tout le monde. Vous comprendrez pourquoi vos promesses pour l'an 2000 nous laissent circonspects. Comme pour 1999, vous sous-évaluez sans doute les recettes fiscales de l'Etat. Comment croire que le produit de l'impôt sur le revenu n'augmentera que de 18 milliards ? Prévoir pour l'an prochain « la plus forte baisse d'impôts de la décennie » est bien imprudent. Si les Français comparent les recettes fiscales de 2000 avec celles de 1999...

M. le Ministre - Cette comparaison n'a aucun sens !

M. François d'Aubert - C'est la seule qui vaille ! Ils verront que la ponction sera plus forte. De plus, pour masquer cette hausse, vous extrayez du budget de l'Etat tout le financement par l'impôt et les taxes du nouveau fonds d'allégement des charges sociales relatif aux 35 heures : taxe sur le tabac, écotaxe... Il va encore falloir trouver les 7 milliards qui devaient provenir de l'UNEDIC. Comment, sinon en augmentant le taux de la CSG sur les bénéfices ou celui de l'écotaxe, ce qui aboutit à davantage de prélèvements.

L'an dernier, la baisse de la taxe professionnelle était en promotion. Cette année, c'est le taux réduit de TVA sur les travaux d'entretien. Ce dispositif est juridiquement fragile. En effet, alors qu'il est applicable depuis le 15 septembre, Bruxelles ne l'a toujours pas entériné juridiquement. Même si un accord politique a été trouvé, rien n'est encore signé. Ceux qui bénéficient de ce taux réduit sont donc actuellement, en quelque sorte, dans l'illégalité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Ministre - C'est scandaleux !

M. François d'Aubert - C'est la vérité ! Il ne faut pas traiter avec désinvolture ce genre de questions. Dans le domaine du textile, vos fameux contrats d'assurance DSK font l'objet d'une enquête de la part de Bruxelles pour des raisons fiscales.

M. le Ministre - Il y a des limites dans le débat public à ne pas franchir. Vous n'avez pas le droit de faire peur à nos concitoyens par des balivernes, alors qu'un accord a été conclu à Bruxelles sur la baisse du taux de TVA. Non, vous n'en avez moralement pas le droit. Le dernier conseil Ecofin a pris sa décision. Ou vous ne suivez pas ce qui se passe, ou vous dites un mensonge.

M. François d'Aubert - Ceux qui profitent de cette disposition sont à la merci d'un recours pour annulation de cette décision, car l'accord politique n'a pas donné lieu à une décision juridique et fiscale écrite. Ce dispositif est donc fragile.

M. le Rapporteur général - C'est vous qui êtes fragile !

M. François d'Aubert - Cette mesure est en soi intéressante, mais sa mise en _uvre tourne à l'usine à gaz. La technocratie fiscale paraît s'en être donné à c_ur joie, comme si Bercy s'efforçait de saboter une mesure qu'il avait combattue pendant des mois. Personne n'est content. Les personnes modestes, qui n'ont pas les moyens de faire appel à des artisans et qui font leurs travaux eux-mêmes, continuent d'acheter leurs fournitures au taux de 20,6 %. Les clients qui font faire des devis ne voient pas arriver les baisses de prix que devrait entraîner le taux réduit, parce que les artisans ne savent pas quel taux appliquer tant les textes réglementaires sont obscurs. Les travaux sur un balcon-terrasse sont-ils taxés à 5,5 % au titre du balcon, ou à 20,6 % au titre de la terrasse ? Qu'en est-il pour les aménagements d'espaces verts ? Quand on fait refaire ses carreaux devant chez soi, le taux est de 5,5 % ? Mais quand on plante de la vigne vierge, c'est 20,6 % ! Quelle est la logique ?

Ce qui nous était présenté en juillet comme un cadeau d'une vingtaine de milliards aux ménages est exposé aujourd'hui comme étant une mesure en faveur des entreprises... Or, celles-ci se retrouvent difficilement dans un dispositif complexe, et certains artisans continuent d'acheter leurs matériaux avec une TVA de 20,6 % pour les facturer à 5,5 % à leurs clients, en comptant sur l'Etat pour leur rembourser la différence ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Fausse bonne idée, ou vraie-fausse baisse d'impôts ? Les hausses, en revanche, sont bien réelles...

Avant-hier, les zigzags sur la politique familiale ; hier, la valse-hésitation sur l'imposition des sociétés ; aujourd'hui, le psychodrame des stock-options au sein d'une majorité qui donne des signes de dyslexie fiscale : le même jour, elle décide de taxer davantage ceux qui gagnent de l'argent en travaillant et d'exonérer ceux qui héritent d'une entreprise ! Le cas Jaffré constitue à l'évidence un dévoiement du système des stock-options (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), mais rien n'interdit d'élaborer un dispositif transparent, bénéficiant à tout le personnel des entreprises grâce à des incitations fiscales. Seulement, voilà : vous n'avez même pas réussi à faire passer en commission une mesure en faveur des entreprises « de croissance », et vous risquez même de vous faire imposer une « taxe Tobin » par M. Cochet et les cent signataires de son amendement, qui va à l'encontre du but recherché...

Pourquoi ce manque de cohérence ? Parce que vous n'accompagnez pas votre désir, sans doute sincère, de baisser les impôts d'une volonté égale de réduire la dépense publique, et la casaque « socialo-libérale » que vous avez endossée n'est pas celle de la majorité plurielle. La maîtrise des dépenses est un slogan intéressant, mais mensonger, car il est faux que leur progression soit limitée au niveau attendu de l'inflation, soit 0,9% : si l'on réintègre le fonds Aubry et le dérapage des prélèvements sur recettes, on atteint au moins le double, plus encore selon M. Auberger, et ce malgré les facilités offertes par la diminution du service de la dette et par les marges que vous a laissées la gestion prudente, impopulaire sans doute, de vos prédécesseurs.

Qui plus est, vous privilégiez les dépenses de fonctionnement, dont la progression est supérieure à celle du budget lui-même, par rapport aux dépenses d'investissement. Etait-il bien nécessaire de créer un nouvel établissement public administratif pour gérer le fonds Aubry ? L'avenir n'est pas préparé, la question des retraites reste en friche - probablement jusqu'à ce que vous soit remis un rapport qui vous dise ce que vous pensez déjà. Et si le déficit est passé de 2,9 % du PIB à 1,8 %, nous restons les mauvais élèves de la classe européenne et ne pourrons demeurer longtemps à la remorque de nos partenaires économiques. Qu'attendez-vous pour faire de véritables réformes, comme vous y invite d'ailleurs M. Fabius ? Vous auriez dû baisser d'un ou deux points le taux normal de TVA, comme la croissance le permet et comme nous l'aurions fait à votre place (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Le dispositif d'incitation à l'innovation est intéressant, mais le statut fiscal de la micro-entreprise, au demeurant publié avec trois mois de retard, fait l'objet d'une instruction fiscale de cent pages... Belle simplification ! Vous vous souciez si peu de réformer l'Etat que notre pays apparaît comme le plus archaïque en Europe en ce qui concerne la gestion publique - sans parler de l'image désastreuse que donnent de nous les 35 heures à l'étranger. Pour toutes ces raisons, le groupe DL votera contre le projet de loi de finances (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Louis Idiart - La loi de finances est un moment privilégié pour fixer les priorités annuelles d'une majorité, en les replaçant dans les perspectives définies par le Premier ministre dans son discours d'investiture. C'est la troisième depuis l'accession de la majorité plurielle aux responsabilités, et je me souviens encore des prophéties catastrophistes de la droite, qui seule détient, bien entendu, le savoir et la vérité en économie... Elle a pourtant été sanctionnée par le suffrage universel, et l'a été à nouveau aux dernières européennes !

M. Francis Delattre - Ça va, ça vient ! (Sourires)

M. Jean-Louis Idiart - Cela devrait vous inciter à plus de modestie, sans quoi vous n'aurez guère de chance de revenir aux responsabilités !

Les lois de finances pour 1998 et 1999 ont, avec sagesse, encouragé la consommation et introduit plus de justice dans les recettes comme dans les dépenses. Nous n'avons pas seulement accompagné la croissance : nous l'avons soutenue, et ces bons résultats, que chacun reconnaît, y compris les chroniqueurs qui ne nous sont pas favorables, sont avant tout ceux de la France qui crée, innove et croit en elle-même. Nous entendons bien continuer l'action entreprise jusqu'au terme de la législature, mais nous ne pouvons nous contenter de gérer la chose publique « en bon père de famille » : nous devons poursuivre la transformation de la société, et en particulier réformer l'Etat pour qu'il soit au service des citoyens dans une économie ouverte dont les décideurs pèsent lourdement sur les choix politiques.

Tout cela passe par un fil conducteur, dont nous ne devons jamais nous écarter : l'emploi.

Tous nos actes, toutes les propositions que nous formulons doivent être précédés d'une seule et même question : est-ce créateur d'emploi ?

Vous avez, Messieurs les ministres, engagé la réforme de l'Etat, travail difficile qui ne signifie pas, comme en rêvent les libéraux, affaiblir l'Etat, mais le rendre plus proche des citoyens. l'Etat doit être respectueux des citoyens, mais il doit aussi être respecté par eux. La question ne peut manquer d'être posée de savoir si le soin de cette réforme-là doit être laissée aux seuls hauts fonctionnaires. Pour ma part, je n'en suis pas certain, et je souhaite que le Gouvernement veille à la réalité de la concertation.

La modernisation de l'Etat est indispensable, car il faut pouvoir répondre efficacement aux défis de la concurrence internationale. La MEC a fait diverses recommandations à cette fin, dont certaines ont déjà été reprises. Les propos tenus par M. Méhaignerie sont, à ce propos, incompréhensibles : lui qui a été aux affaires, sait pourtant, mieux que quiconque, que toutes les propositions des parlementaires ne trouvent pas d'application immédiate ! Serait-il à ce point frappé d'amnésie qu'il oublie qu'il faut se battre pour les faire entrer en vigueur ? Je suis certain, quant à moi, que les avis de la MEC seront respectés, à condition que notre vigilance ne se relâche pas. Ainsi le Parlement aura-t-il participé à la modernisation de l'Etat et, par là même, au renforcement de l'efficacité de la dépense publique. Gardez donc nos propositions sur votre table de chevet, Messieurs les ministres, car vous en entendrez parler sans tarder !

La suppression progressive de la taxe professionnelle se poursuit, conformément aux engagements pris. Fort curieusement, la droite, qui, après avoir créé cette taxe, avait -logique oblige- fait de sa suppression son cheval de bataille, n'en parle plus !

Sera également supprimée la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, cependant que la TVA appliquée aux services d'aide à la personne diminue. Des amendements seront déposés à ce sujet, visant à améliorer la situation des associations.

Le projet supprime également des taxes sur la création d'entreprise et abaisse les droits de mutation sur les fonds de commerce et les cessions de clientèle. L'amendement du rapporteur général favorisera enfin la transmission des PME, garantissant ainsi la pérennité du patrimoine national. L'entreprise, en effet, c'est avant tout une équipe qui concourt à un même projet. La loi sur la réduction du temps de travail vient de le rappeler en incitant au dialogue social en vue d'une ambition nouvelle.

En matière fiscale, la mesure phare porte sur la baisse de la TVA sur les travaux dans les logements. Les socialistes sont satisfaits que la proposition qu'ils avaient faite ait reçu un écho favorable. Cela témoigne à la fois de l'écoute que porte le Gouvernement aux souhaits de la majorité et de sa volonté de respecter les engagements pris.

Cette mesure est à la fois juste et économiquement efficace. Elle va permettre de remettre en état des logements dégradés et d'en moderniser d'autres ; elle permet de surcroît de lutter contre le travail au noir, et elle répond aux attentes des professionnels du bâtiment. De plus, contrairement aux mesures antérieures qui ne concernaient que les personnes soumises à l'impôt sur le revenu, la baisse de la TVA bénéficie à tous. La suppression du droit de bail pour les locataires va dans le même sens, tout comme la nouvelle baisse des droits de mutation applicables aux ventes de logements.

Cela dit, ces mesures ne suffisent pas pour corriger intégralement les décisions prises en 1995 par une droite qui ferait bien d'être aussi exigeante envers elle-même qu'elle l'est à notre égard. Aussi, la baisse de la TVA demeure-t-elle plus que jamais à l'ordre du jour. Dois-je rappeler que cet impôt si moderne, si efficace, si productif est très injuste pour les plus humbles, ceux qui consomment la quasi-totalité de leur revenu ?

Au moment où s'ouvre le débat sur la réforme des impôts directs, nous ne voudrions pas que les fortes mesures prises cette année vous fassent considérer que la pause est venue en matière de TVA. Pour nous, il s'agit d'une belle étape, mais seulement d'une étape, et nous veillerons à ce que d'autres secteurs, comme ceux de la restauration ou des produits pour grands malades soient, eux aussi, pris en compte.

Je n'oublie pas que les gouvernements Balladur et Juppé ont réduit l'impôt sur les plus hauts revenus tout en augmentant la TVA. L'orientation ainsi définie était on ne peut plus claire !

S'il est nécessaire de toiletter les impôts directs, nous veillerons à ce que cela se fasse en faveur des plus modestes, injustement taxés.

La nécessaire et tant attendue réforme des impôts locaux, que vous souhaitez conduire devra éclaircir la controverse entre partisans des dotations redistribuées par l'Etat et partisans de l'autonomie de décision sur les taux. Ce débat, qui traverse les groupes politiques, doit être abordé franchement et sans a priori. Mais, déjà les mesures proposées pour la taxe d'habitation vont dans le bon sens.

Au cours des semaines écoulées, nous avons, les uns et les autres, -en tout cas les uns- été scandalisés par les sommes versées au président d'une entreprise absorbée par un concurrent.

Quel paradoxe !

Après avoir mis son groupe à feu et à sang pour des affaires internes, puis en annonçant 2 000 suppressions d'emplois ce qui a entraîné une grève de 2 mois, exposant ainsi son entreprise aux convoitises extérieures, le voilà licencié mais grassement récompensé par le biais d'indemnités de licenciement et de stock-options. Ainsi, plus l'on commet de bêtises, et plus on gagne d'argent ! Tout cela n'est pas sain, et éclaire les excès du système.

Notre devoir est de garantir la liberté d'entreprendre. Il est tout autant de ne pas permettre de tels agissements. Cela nous a amené à adopter l'amendement du président Bonrepaux relatif à la taxation des stock-options et à présenter un amendement sur la taxation des indemnités de licenciement les plus élevées.

Bien sûr, le débat est ouvert avec le Gouvernement, et nous saluons l'initiative prise de confier une mission à notre collègue Balligand et à M. de Foucauld.

Mais c'est aussi pour mettre fin aux dérives précédemment exposées que nous proposons de supprimer l'alinéa 2 de l'article 10 du projet.

D'autre part, de nombreux parlementaires, inquiets de certains effets pervers de la mondialisation, souhaiteraient voir taxer les opérations sur les devises réalisées sur le marché des changes. Nous nous félicitons qu'une mission à ce sujet ait été confiée à nos collègues Fuchs et Feurtet, et nous soutenons l'amendement déposé à ce sujet par le rapporteur général, qui tend à obtenir du Gouvernement qu'il saisisse l'Union européenne de ces questions. Nous nous réjouissons de la suppression d'une série de taxes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

J'indique par ailleurs à mon collègue Yves Cochet que la commission a anticipé sa proposition en adoptant un amendement qui vise à supprimer le droit de timbre sur les cartes de séjour.

Ce projet est bon. Notre discussion le rendra meilleur encore grâce à l'adoption d'amendements déposés par les groupes qui composent la majorité plurielle. Vous pouvez compter, Monsieur le ministre, sur notre vote favorable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Ministre - Un orateur par groupe s'étant exprimé, je souhaite apporter des réponses aux observations qui ont été présentées.

Hier, M. le rapporteur général a eu raison de souligner la situation de la conjoncture économique car notre politique est adaptée à cette conjoncture. C'est là la clé du mystère, la réponse à l'opposition qui se demande d'où viennent nos bons résultats ? Nous appliquons la politique qui convient à la conjoncture et qui respecte nos engagements électoraux. La thérapeutique est donc efficace.

M. Migaud a justifié notre prévision de croissance, fixée à l'intérieur d'une fourchette en raison des aléas d'une économie mondialisée.

Il a évoqué également le problème de «lisibilité» qui résulte de la coexistence de la loi de finances et de la loi de financement de la Sécurité sociale. Bien qu'elle résulte d'une décision du gouvernement précédent, et ne soit donc pas de notre fait, l'existence de cette dernière loi me paraît utile. A nous de trouver le moyen de surmonter les difficultés de compréhension pour l'opinion pouvant survenir du fait de l'existence de deux textes.

M. le rapporteur général a ensuite repris le calcul qui conduit au résultat d'une croissance nulle en volume de la dépense publique. L'exercice était difficile du fait des changements de périmètres qui sont intervenus cette année, avec la suppression de plusieurs fonds de concours et de plusieurs comptes d'affectation spéciale, ou le transfert de la TGAP en ressource de la Sécurité sociale.

Il a souligné la qualité des travaux de la MEC, pour la police ou d'autres secteurs.

Le Gouvernement tiendra compte des propositions de la mission et je souhaite donc dire à M. Méhaignerie que ses travaux me semblent suffisamment prometteurs pour être poursuivis.

S'agissant de la mesure concernant la TVA, elle reprend une proposition de votre assemblée votée avec force sous la forme d'une résolution. Par là le Gouvernement répond au souhait majoritaire du Parlement.

L'amendement de la commission tendant à faciliter les mutations d'entreprises constitue également une initiative heureuse. La suite de notre débat nous permettra de trancher les problèmes de rédaction qui restent en suspens.

Notre vigilance a été appelée sur la fiscalité des carburants. J'observe qu'il n'y aura pas de hausse du sans-plomb, tout en sachant qu'il y a deux manière de voir cette évolution. Soit on y voit un rapprochement entre la fiscalité applicable au gazole et celle du sans-plomb, témoignant d'un souci écologique, soit l'on voit dans la non-augmentation du sans-plomb une incitation à consommer peu conforme avec l'objectif écologique. Vous voyez que les choses sont compliquées (Sourires) quoi qu'il en soit, la décision constituera une économie de deux à trois milliards pour les ménages.

M. le Rapporteur général - Encore faut-il que les pétroliers jouent le jeu !

M. le Ministre - En effet. En ce qui concerne votre proposition de ramener la contribution minimale à la taxe d'habitation de 1 500 à 1 200 F, le Gouvernement y est favorable.

M. le président de la commission des finances est intervenu hier sur trois points essentiels.

En premier lieu, il a justifié le choix du secteur du bâtiment pour la baisse de la TVA. Les arguments qu'il a présentés sont les nôtres et ce sont ceux que nous avons défendus devant nos partenaires européens pour les convaincre d'autoriser une réouverture de la liste des expériences possibles pour une période de trois ans. Ce résultat a été obtenu au terme d'un débat difficile. Il ne suffit pas de claquer des doigts pour pouvoir réviser les taux de TVA, mais grâce à l'appui de votre Assemblée, le Gouvernement y est parvenu.

M. Bonrepaux a ensuite évoqué son amendement sur les stock-options. Nous partageons tous sa préoccupation sur un problème complexe qu'une actualité récente a mis en lumière. Il est plus que temps d'agir en ce domaine et qu'il me soit permis de dire que le Gouvernement était en avance en proposant il y a un an de légiférer sur cette question.

Enfin M. le président de la commission a, comme le président Cochet, soulevé le problème de la taxation des mouvements de capitaux et des transactions financières en devises, celui de «la taxe Tobin». Ce point méritera une longue discussion à l'occasion de la présentation de l'amendement.

J'en viens aux orateurs de cet après-midi. M. Auberger a évoqué les prélèvements obligatoires. Je comprends que l'opposition en fasse des choux gras car il est exact que nous enregistrons cette année une hausse mécanique et imprévue des prélèvements obligatoires qui passent de 44,9 % en 1997 à 45,3 en 1999.

Cette progression est de nature comptable, et pour une large part imputable à un niveau d'inflation imprévu. Si le Gouvernement accepte de reconnaître ce défaut de prévision, il ne suivra pas MM. Auberger et d'Aubert dans leur projection de cette hausse en milliards de francs.

Il est naturel que plus de croissance entraîne plus de recettes fiscales, même à cadre constant de la fiscalité. Lorsque l'économie se développe, la fiscalité progresse et l'augmentation brute des recettes fiscales, en milliards, n'est à porter ni au débit ni au crédit du Gouvernement.

La responsabilité du Gouvernement est d'apporter une réponse à cette évolution tendancielle. Si l'économie connaissait une récession de 10 %, l'opposition ne nous féliciterait certes pas de la baisse des recettes fiscales qui en découlerait. La projection en milliards de la progression des prélèvements obligatoires est donc absurde.

En revanche, le rapport fiscalité sur PIB est, lui, significatif. Il donne l'écart entre la réalité et le tendanciel et mesure donc l'action des pouvoirs publics. Or, par rapport au tendanciel, il y a bien eu une diminution de la pression fiscale. Le tendanciel, il est vrai, a été très dynamique en 1998 grâce aux recettes tirées de l'impôt sur le bénéfice des sociétés -du fait d'une activité économique très soutenue- qu'il était difficile de prévoir dès le mois de septembre 1998 et d'anticiper les conséquences.

M. Auberger déplore l'insuffisante diminution du déficit public. J'entends qu'il la défendait déjà lorsqu'il était rapporteur général. Cela prouve son honnêteté intellectuelle. Elle aurait dû l'amener à reconnaître que mon collègue néerlandais félicite souvent la France de sa politique budgétaire et notamment de la détermination de ses objectifs de dépenses en termes réels. Il sera très flatté, Monsieur le député, que vous l'ayez lu, même si vous l'avez justement fait le jour où il critique notre pays.

Si le rapport dette sur PIB a dépassé 60 %, cela est dû au changement des bases de calcul qui a conduit à le recalculer à la hausse pour répondre aux exigences de la comptabilité européenne. Le taux de 60 % n'est pas imputable à la politique du Gouvernement car pour la première fois depuis vingt ans, le ratio dette sur PIB baisse. Nous en avions pris l'engagement en 1997 et en 1998. Nous le réalisons pour 2000.

M. Auberger a ensuite relevé que la croissance s'accompagnait d'une augmentation des inégalités. C'est souvent le cas et il faut lutter contre cette tendance. Mais il faut compléter l'information des Français. En proportion des emplois créés, il y a eu moins de contrats à durée déterminée en 1998 qu'en 1997 et moins en 1999 qu'en 1998. Parce qu'il y a beaucoup de créations d'emplois, il y a beaucoup de contrats à durée déterminée. Mais la proportion décroît. Cela nous conduit à considérer que la phase de reprise de la croissance est dépassée et que celle-ci est désormais installée. Nous pouvons espérer que cette tendance va se poursuivre. Pour évoquer ces inégalités qui augmentaient, vous avez cité un rapport qui ne porte que jusqu'à 1996. Le reste n'est qu'extrapolation. Ce que le rapport indique sans ambiguïté, c'est que les inégalités ont augmenté du début de la décennie à 1996.

Au risque d'être pédant, je vous dirais, Monsieur Auberger, que la courbe que vous avez citée est en réalité la courbe de Lorentz. C'est à partir de cette courbe de Lorentz que l'on calcule le coefficient de Gini.

Mme Nicole Bricq - Quarante-zéro ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - Vous vous êtes référé à M. Malinvaud qui propose de financer l'allégement des charges sociales sur le travail non qualifié par une limitation des dépenses. Certes, encore faudrait-il par ailleurs avoir jugé fondé de limiter les dépenses. Enfin, dans un article datant de 1993, M. Malinvaud lui-même, associé à un excellent économiste belge, suggérait de financer la baisse du coût du travail non qualifié par une éco-taxe, expliquant que l'on y gagnait à la fois en matière d'emploi et de lutte contre la pollution.

La réforme de l'impôt sur le revenu prévue en 1997 était exemplaire, avez-vous dit. Or, outre qu'elle n'était pas financée, elle concernait principalement les contribuables aux revenus les plus élevés, sans compter que seulement un Français sur deux paie l'impôt sur le revenu. Nous proposerons, pour notre part, l'année prochaine, une réforme globale de l'impôt sur le revenu et de la taxe d'habitation, de façon que l'ensemble de nos concitoyens soient concernés.

Vous avez enfin évoqué en conclusion de votre intervention, Monsieur Auberger, le courage, celui dont nous devrions faire preuve en conduisant la politique que vous souhaiteriez que nous conduisions. Nous pensons, nous, que cette politique mène droit dans le mur. Aussi serait-ce inconscience et non courage que de l'appliquer. Je vous ferai par ailleurs observer que ce n'est pas exactement celle qu'a menée au pouvoir le Gouvernement soutenu par votre majorité. Quoi qu'il en soit, l'expérience a prouvé qu'elle ne donnait pas les résultats que vous promettez. Elle aboutit parfois à une meilleure maîtrise des déficits mais celle-ci n'est pas l'alpha et l'oméga de la politique économique. Plus d'emplois, plus de pouvoir d'achat, moins d'inégalités, voilà bien plutôt les objectifs que nous nous fixons. Avec la politique que vous préconisez, la France ne connaîtrait pas aujourd'hui le meilleur taux de croissance en Europe et n'aurait pas créé un million d'emplois en deux ans et demi.

Monsieur Cuvilliez, vous considérez que l'emploi est absent des politiques européennes. Ce n'est pas exact : il est bien au centre de la problématique, et les chefs de gouvernement de gauche veillent à ce qu'il le soit. Restent ensuite les moyens que l'on se donne et là, je suis d'accord avec vous, il est possible de faire encore mieux.

Vous souhaitez que l'utilisation des fonds publics soit mieux contrôlée et qu'une obligation de résultat leur soit assignée, je vous rejoins sur ce point. La plus extrême vigilance s'impose en effet quand il s'agit d'argent public, c'est-à-dire prélevé sur les contribuables. Nous nous efforçons avec Christian Sautter de mieux évaluer l'efficacité des crédits publics. Tout en étant encore loin du compte, il est indéniable que nous avons avancé.

Vous avez suggéré, idée proprement révolutionnaire, que des salariés puissent siéger dans les conseils d'administration des entreprises privées. A titre personnel, j'en serais d'accord. Cela étant, une telle réforme ne serait pas nécessairement facile à mettre en _uvre, d'autant qu'il existe, on le sait, de multiples moyens de tourner cette représentation salariale. Mais sur le principe, oui, les salariés doivent être informés des décisions prises par les conseils d'administration et engageant l'avenir des entreprises.

Vous pensez que la réforme des impôts directs pourrait être entreprise dès cette année tout en reconnaissant qu'un large débat avec les forces syndicales et politiques est nécessaire au préalable. C'est précisément pour cette raison que nous avons jugé raisonnable de nous donner un peu plus de temps.

Je souhaite enfin rappeler que la diminution de 2,5 % du droit de bail, qui profitera dès le 1er janvier 2000 à plus de 80 % des locataires et à plus de 95 % des locataires de HLM, et la poursuite de la limitation de l'avoir fiscal dans certaines situations au sein des entreprises, ont été directement inspirées par des membres de votre groupe.

J'en viens à l'intervention de M. Méhaignerie. Je voudrais d'abord le remercier du ton calme qu'il a adopté, cela n'a rien ôté à la vigueur de ses critiques mais il m'a été agréable de l'écouter.

Vous avez reconnu qu'il existait des motifs de satisfaction dans ce budget mais que certains bons résultats étaient à porter au crédit autant de l'ancienne que de l'actuelle majorité. Soit, si 30 % des emplois créés l'ont été grâce à la politique conduite par le précédent gouvernement, comme vous l'avez dit, c'est que 70 % l'ont été grâce à celui-ci. Ce bilan me satisfait (Sourires sur les bancs du groupe socialiste).

Vous avez tenté d'expliquer que nous allions gâcher les marges de man_uvre procurées par la croissance, comme dans les années 1988-1993. Mais d'une part, ces années-là n'ont pas été aussi mauvaises que cela pour notre pays, le chômage notamment avait régressé avant de repartir à la hausse ensuite. D'autre part, la situation actuelle du pays n'a rien à voir avec celle d'il y a dix ans : la France n'était pas alors la première de la classe en Europe. Au demeurant vous êtes injuste à l'égard d'un gouvernement qui a tout de même institué la CSG et le RMI.

Vous avez évoqué l'Irlande qui a rattrapé ses voisins européens, dont la France. Il faut s'en réjouir. C'est là le fruit de la solidarité entre les territoires européens. Pour notre part, nous ne regrettons pas que les aides du fonds de cohésion aient permis à certains pays de combler leur retard, même s'il convient maintenant en effet que ce bénéfice leur soit retiré.

Vous avez beaucoup critiqué la politique conduite ces vingt dernières années. Reconnaissez qu'elles ont été largement partagées entre la droite et la gauche...

M. Philippe Auberger - Si c'était vrai !

M. le Ministre - En tout cas, depuis deux ans et demi, ce gouvernement a fait beaucoup mieux, ayant par exemple nettement amélioré le pouvoir d'achat, si bien qu'il est aujourd'hui plus élevé en France que dans de nombreux pays européens.

Vous nous avez reproché d'accroître par trop la dépense publique. Avez-vous oublié qu'elle a crû en moyenne de 1,5 % par an entre 1995 et 1997, contre seulement 0,3 % depuis 1997 ? Certes, c'est toujours trop mais l'écart est de un à cinq. Vous avez été le ministre de la justice qui a refusé la bonification du cinquième aux personnels pénitentiaires mais aussitôt après votre départ, M. Toubon la leur a accordée. Vous le voyez, il n'est pas si simple de contenir la dépense publique.

Vous avez salué plusieurs mesures positives dans le projet de budget, parmi lesquelles l'abaissement des droits de mutation et l'application du taux réduit de TVA à certains secteurs. C'est certainement par erreur que vous avez oublié de mentionner la diminution du droit de bail.

Vous avez fait état des interrogations de M. Zahn quant à l'incidence des 35 heures sur le budget de la France. Sachez que je m'en suis entretenu avec lui et que je l'ai tout à fait rassuré. Il ne peut donc vous servir de caution.

Vous avez cité le Frankfurter Allgemeine Zeitung. J'observe, quant à moi, que le jugement de la presse internationale nous est aujourd'hui beaucoup plus favorable qu'il y a trois, dix ou quinze ans. Je ne m'en plaindrai pas.

Vous avez prétendu que le gouvernement précédent avait réduit le déficit plus que nous n'allons le faire. C'est inexact : ce déficit a été ramené de 6 % à 3,5 % du PIB entre 1993 et 1997 -hors soulte de France Télécom-, soit une diminution de 0,6 % par an. Depuis que nous sommes là, on est passé de 3,5 à 1,8 %, ce qui fait aussi 0,6 % par an : ce n'est ni mieux ni moins bien...

M. Pierre Méhaignerie - Les conditions ne sont pas les mêmes !

M. le Ministre - ...à ceci près que vous avez réduit de 0,6 % par an en partant de 6 %, ce qui fait 40 % de baisse, quand nous avons fait 50 %. Il est exact, comme vous le dites, que les conditions ne sont pas les mêmes. Mais ce que vous ne pouvez pas dire, c'est que nous aurions réduit le déficit à un moindre rythme que vous : le rythme est le même.

Enfin il faut, comme vous le dites, faire de la croissance le moteur des réformes, et non pas faire des réformes une incitation à la croissance. Mais vous-même, qui ne vous dites pas libéral, mais social-libéral...

M. Francis Delattre - Comme vous !

M. le Ministre - Non pas : comme certains voudraient que nous soyons ! Vous, ou du moins, Monsieur Méhaignerie, les gouvernements que vous souteniez, avez mené des politiques fondées sur l'idée que la réforme permettrait la croissance : pour nous c'est la croissance qui permet la réforme. C'est ainsi que vous avez engagé en décembre 1995 une réforme qui a mis des centaines de milliers de gens dans la rue, et qui, loin de permettre la croissance, a tout bloqué. C'est que, dans un vieux pays comme le nôtre, on ne peut réformer sans donner aux salariés l'assurance qu'ils n'y perdront pas. Et pour la leur donner, il faut que la croissance soit là ! Dès lors on peut convaincre et réformer ; les salariés savent bien que le monde bouge. C'est pourquoi nous avons choisi une démarche inverse de la précédente : retrouver la croissance, et à partir de là engager la réforme.

Maintenant que la croissance est bien assurée, les réformes vont venir, en particulier sur les retraites. Je préfère cette démarche à celle qui commence par réformer, et qui doit tout arrêter trois mois plus tard, parce que la France est dans la rue. Vous jugez que les réformes ne viennent pas assez vite : une législature dure cinq ans, permettez que nous prenions le temps qu'il fallait pour assurer la croissance. Au total, quand bien même je les désapprouve, les remarques de M. Méhaignerie sont de bon aloi, et je l'en remercie.

M. Cochet -qui est comme moi enseignant d'origine- a commencé par inscrire beaucoup de «très bien» en haut de la copie du Gouvernement, y compris sur la fiscalité écologique, où il est expert. Ensuite les choses se sont un peu gâtées. Vous avez évoqué plus longuement deux points. Sur les stock-options, vous avez bien montré la nécessité de la transparence, et posé l'importante question de savoir si cela modifiait la relation entre salariés et actionnaires. Nous en reparlerons, non seulement dans le débat budgétaire, mais à l'occasion du rapport de M. Balligand sur l'épargne salariale et de la loi qui suivra. Sur ce point, comme sur la taxe Tobin, je n'entreprendrai pas maintenant de vous répondre de façon développée : je le ferai lors de la discussion des amendements.

Je regrette que M. d'Aubert soit parti : peut-être est-il de ceux qui s'intéressent plus aux questions qu'ils posent qu'aux réponses qu'on leur apporte... J'ai eu le sentiment qu'il avait du mal à admettre qu'un gouvernement de gauche puisse réussir. Cela provoque chez lui une poussée d'adrénaline qui le conduit à affirmer des choses qu'il sait fausses. Quand il dit par exemple que l'an dernier les impôts n'ont pas baissé de 21 milliards, mais augmenté de 88, il confond le tendanciel et l'action du Gouvernement : il est heureux que la TVA rapporte plus quand il y a croissance ! Quand il dit qu'il manque 1,8 milliard à l'appel pour la baisse de la taxe professionnelle, la réalité est tout autre : le coût de cette baisse pour l'Etat, chiffré à 7,2 milliards, est en réalité de 8,4. Mais là où M. d'Aubert me semble un peu malhonnête intellectuellement, et je regrette de devoir le dire en son absence, c'est au sujet des prélèvements marginaux sur la richesse nationale, dont il a soutenu qu'ils étaient plus élevés qu'en 1996. Je l'ai contesté, affirmant qu'en 1996 ils étaient de 90 %. Il a maintenu sa position, et invoqué pour l'appuyer le rapport de M. Migaud. Or je m'y suis reporté. Et je lis ceci, page 209 du volume II du rapport général : «Compte tenu de ces prévisions, la part du surplus de richesse nationale prélevée par la sphère publique sous forme de prélèvements s'élèverait à 32,5 % en 2000, contre 45 % en 1998, 57,6 % en 1997 et, il faut le rappeler, 86,9 % en 1996.» J'avais arrondi ce dernier chiffre à 90 % ; mais il est clair qu'il n'est pas inférieur à celui d'aujourd'hui. Ainsi la part de la richesse nationale supplémentaire créée que prélève la sphère publique était de 87% en 1996 -et l'on s'étonne que la croissance ait été étouffée ! Et cette part ne cesse de décroître depuis que la gauche est au pouvoir.

M. d'Aubert se dit circonspect sur la baisse de la TVA. Les Français qui depuis le 15 septembre payent 5,5 % de TVA sur les travaux, qui paient 20 % de droits de mutation de moins que l'an dernier, qui verront bientôt disparaître la taxe sur le droit de bail, ne partageront pas sa circonspection : ils savent bien ce qu'ils payent. M. d'Aubert a fait état de l'hostilité des artisans. Pourtant, ce matin même, le président de la CAPEB déclarait que les artisans savaient très bien gérer deux taux de TVA. Et d'ajouter que, l'ayant fait quand elle est passée de 18,6 à 20,6 % et qu'ils perdaient des clients, ils le font sans problème alors qu'elle passe de 18,6 à 5,5 et qu'ils gagnent des clients en masse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) C'est si vrai que M. Carrez, dans un accès de sincérité, dont je le remercie, a annoncé qu'il voterait la mesure.

Chacun voit la réalité du budget : une réduction de la dépense publique, une maîtrise -modérée, pour préserver la croissance- du déficit. Le discours de M. d'Aubert, moitié démagogie, moitié xyloglossie, n'était pas de grande qualité.

M. Idiart lui a d'ailleurs très bien répondu, comme s'il avait deviné qu'il allait s'échapper. Il a bien montré le sens de notre politique : rechercher la croissance et le pouvoir d'achat pour réduire le chômage. Et les résultats sont là ! Les critiques de l'opposition étaient plus crédibles il y a deux ans, car elles visaient une politique dont les résultats étaient encore virtuels. Aujourd'hui ils sont là : le déficit est réduit à un rythme soutenu -au moins autant qu'avant- et pourtant la croissance perdure. Vous vous récriez sur les impôts. Mais s'ils augmentaient autant que vous le dites, nous n'aurions pas la croissance que nous avons -ou alors ce serait la réfutation de vos théorèmes libéraux selon lesquels l'impôt empêche la croissance ! Maintenir ces théorèmes, ou dénoncer la hausse des impôts : il va vous falloir choisir...

M. Idiart a beaucoup parlé des oubliés de la croissance. Le point est essentiel. Quand je dis que la croissance est là, je m'exprime en moyenne. Mais dans cette moyenne certains s'en sortent plus mal que d'autres. Notre mission, et M. Idiart a eu raison de le rappeler, est de faire non seulement que la croissance soit au rendez-vous, avec le pouvoir d'achat, mais aussi que les inégalités se réduisent, et que le train qui redémarre emmène tout le monde. Y réussirons-nous ? Un peu, en mettant en place la CMU, les emplois-jeunes, en faisant disparaître le droit de bail ; mais pas autant qu'il le faudrait. Vous avez raison de rappeler au Gouvernement la nécessaire vigilance envers cette partie de la population qui profite moins de la croissance.

M. Idiart s'est livré à une défense et illustration de la MEC. Je crois en effet que son travail est utile, et le sera plus encore quand elle aura pris son régime de croisière. Sur ce point, Monsieur Méhaignerie, je vous ai trouvé injuste. Vous ne pouvez pas, au début de votre discours, citer le président de l'Assemblée pour critiquer le Gouvernement, et à la fin casser l'organe qu'il a créé ! (Sourires) Il faudrait que, par reconnaissance, vous continuiez à participer à cet organisme.

Monsieur Idiart, vous avez eu raison de demander que la réforme de l'Etat garantisse l'accès de tous aux services publics. Nous devons porter en effet la plus grande attention aux situations locales et individuelles.

Vous avez terminé en parlant avec sagesse des stock-options et de la taxe Tobin. Nous y reviendrons dans la discussion des amendements.

Avec vous, je rappellerai en conclusion que la discussion parlementaire sert à améliorer un projet de budget que vous voulez bien juger bon. C'est dans cette démarche que le Gouvernement va s'engager et dans cet esprit de sagesse qu'il suggère à l'Assemblée de poursuivre ses travaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Edmond Hervé - La reconnaissance des collectivités locales comme acteurs économiques ne peut que favoriser la réussite de votre stratégie de nouvelle croissance solidaire. Elles réalisent 70 % des investissements publics civils ; elles participent à de nombreuses actions économiques autonomes ou partenariales, depuis la formation jusqu'au logement ; elles jouent souvent un rôle déterminant en matière d'emploi et le succès des emplois-jeunes leur doit beaucoup. Au total, l'investissement public local stimule la croissance nationale. Depuis 1996, la capacité de financement des collectivités locales contribue au respect des règles de Maastricht.

Elles doivent donc disposer de moyens financiers appropriés. Sous ce rapport, notre pays doit-il conserver ou non un principe de fiscalité locale ? D'autres systèmes sont possibles. En Grande-Bretagne par exemple, depuis 1991, 80 % des dépenses des collectivités locales sont financées par des transferts de l'Etat. Chez nous, le secteur hospitalier public relève d'une enveloppe globale affectée unilatéralement à chaque établissement. La question du principe d'une fiscalité locale se pose aussi parce qu'en France la part de fiscalité directe locale à la charge de l'Etat ne cesse de croître. En 1997 elle atteignait 23 % du produit fiscal local et 30 % du produit de la taxe professionnelle, dont la réforme a accru encore ces pourcentages. La part de la taxe d'habitation prise en charge par l'Etat diminue, alors que celle de la taxe professionnelle augmente. Il existe aujourd'hui une tendance transversale mêlant doctrine, non-dit, suspicion, manque de courage, pour entretenir cette dynamique de substitution, à laquelle participent, il faut le dire, certaines associations d'élus locaux.

M. Carrez, hier soir, a appelé à un partage d'impôts équitable entre l'Etat et les collectivités locales. Il s'agit là d'une innovation profonde de la part du RPR. Les objections à la référence à la TVA comme ressource locale sont connues : difficulté de localisation, variabilité du produit, mauvais indicateur de santé économique. M. Carrez, en commission des finances en janvier 1998, y voyait une pénalisation des salaires et de l'emploi. On ne peut pas en appeler à la libre administration des collectivités locales et avancer sans précaution le recours à la TVA.

L'idée d'adosser les ressources fiscales locales à la fiscalité d'Etat est tout à fait acceptable dès lors que les collectivités sont libres d'en fixer le montant. J'ai proposé en 1998, dans un rapport, d'étudier comme référence le recours à la base de la CSG.

Cette substitution peut prendre différentes formes, de la suppression pure et simple de la fiscalité locale à une taxe professionnelle à taux unique national et à la compensation de dégrèvement et d'exonération. Or, il arrive quelquefois que l'on dégrève sans compenser. L'exonération de taxe d'habitation sans compensation de toutes les résidences universitaires gérées par le CROUS a ainsi coûté 2 millions à Toulouse et à Rennes, et 545 000 F au Havre.

Je plaide donc pour maintenir le principe d'un système fiscal local, qui est une heureuse exception française. C'est chez nous que la part de fiscalité dans les ressources locales est la plus élevée, avec 56 %.

Ce principe de fiscalité locale assure la décentralisation, mobilise les initiatives, réconcilie le citoyen et le contribuable, dont rien n'est pire pour la démocratie que le divorce.

A partir de là, quelques idées simples doivent guider toute démarche de modernisation : chacun doit payer selon sa capacité contributive ; les impôts doivent reposer sur une diversité d'assiette ; le citoyen contribuable a besoin de s'y retrouver dans les impôts, ce qui implique une certaine spécialisation fiscale.

Le dialogue fiscal entre le Gouvernement et sa majorité devant être sans exclusive, je regretterais beaucoup que sous prétexte de relever du domaine réglementaire, l'avenir des cotisations communales à la CNRACL ne soit pas examiné ici. L'expression « déficit de la CNRACL » n'est pas appropriée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). La difficulté provient d'une obligation de compensation et de surcompensation que je ne conteste pas. Simplement, comme il s'agit de solidarité nationale, n'en appelons pas aux contribuables locaux.

Je tiens à vous assurer, Monsieur le ministre, de tout notre soutien (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Pierre Hériaud - Quelles que soient les astuces de présentation de ce budget, on ne peut pas l'accepter sans remarques.

Le taux d'évolution des dépenses est déterminé, à périmètre constant, par les tendances lourdes des principales masses qui évoluent entre 3 % et 4 % d'une année sur autre. Ce taux se trouve donc être nécessairement celui de l'évolution globale du budget de l'État.

Or, avec une assurance qui tient de la magie, le budget 2000 est présenté en augmentation de 0,9 %, c'est-à-dire, tout juste l'inflation, et donc une croissance zéro en volume.

Cherchez l'erreur !

Il n'y en a pas, puisque l'on ne parle pas de la même chose après les délocalisations budgétaires que vous avez opérées. Mais, même s'il ne gère pas la maîtrise des dépenses publiques, il est nécessaire pour le Gouvernement de se parer des plumes du paon et d'afficher l'exploit de n'augmenter le budget que de la hausse prévisionnelle des prix.

Le périmètre constant devient alors déformable et élastique à souhait.

Le budget de l'État est ainsi déstructuré, dépecé, pour faire varier les recettes et les dépenses.

Il est créé des fonds nouveaux par prélèvement sur recettes pour voler au secours du budget de la Sécurité sociale, et c'est donc à un exercice d'analyse de comptes consolidés qu'il nous faut nous livrer... Mais toutes ces manipulations ne sont possibles que grâce à la croissance, et s'il faut se réjouir qu'elle soit là, il faut regretter qu'elle ne soit pas bien utilisée.

Il est de bonne guerre d'arguer du passé pour s'enorgueillir de résultats présents, mais si le déficit a bien été réduit de 1,6 point en cinq ans, l'honnêteté commande de reconnaître qu'il l'a été d'un point durant les trois années où la croissance cumulée a été de 4,9 % et de 0,6 point seulement au cours des deux ans où elle a été de 5,2 %. Vous surfez sur la croissance sans vous attaquer aux réformes qu'elle vous permettrait : c'est un gaspillage d'une coupable légèreté.

Ainsi que l'écrivait Bossuet, «la plus grande aberration de l'esprit, c'est de voir les choses non comme elles sont, mais comme l'on voudrait qu'elles soient». Aux recettes fiscales il faut ajouter, en effet, 66 milliards pour la Sécurité sociale, 5,3 milliards pour la CMU et 0,2 milliard pour l'amiante, si bien que la dépense publique n'augmente pas de 0,9 %, mais de 3,5%. Le président de la commission est donc mal venu de se plaindre de l'augmentation de 3,2% du prélèvement au profit de l'Union européenne... Je sais que vous n'êtes pas dupes, mais pourquoi mentir aux Français ?

Depuis 1997, le déficit global de l'Etat et de la Sécurité sociale sera passé de 4 % à 2,7 %. La direction est bonne, mais si nous avons pu la prendre, c'est, outre la croissance, grâce aux collectivités locales, dont le déficit modéré nous a permis de satisfaire aux critères de Maastricht. L'Etat leur fait les gros yeux quand leur budget progresse plus vite que le PIB, mais la DGF qu'il leur octroie augmente, elle, deux fois moins que ce dernier ! Et je passe sur l'incomplète compensation de la taxe professionnelle, ainsi que sur le sort réservé à la CNRACL...

Le rapporteur général qualifiait récemment le présent budget d'«encore plus sincère» que les précédents. Ironie ou cynisme ? Nous ne pouvons accepter les déclarations euphoriques et anesthésiantes : les impôts vont baisser et les dépenses sont stabilisées, nous dit-on, mais les prélèvements obligatoires augmentent !

M. le Rapporteur général - La référence n'est pas la même ! Ce sont deux années différentes !

M. Pierre Hériaud - Nous défendrons des amendements, notamment à l'article d'équilibre, pour tenter d'améliorer ce projet de loi de finances, mais rien, en l'état, ne nous autorise à lui accorder quelque crédit que ce soit (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme la Présidente - A la demande de la commission, la séance ne reprendra qu'à 21 heures 30.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 35.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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