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Session ordinaire de 1999-2000 - 13ème jour de séance, 33ème séance

3ÈME SÉANCE DU MARDI 26 OCTOBRE 1999

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

vice-président

Sommaire

          FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
          POUR 2000 (suite) 2

          EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 2

          QUESTION PRÉALABLE 11

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 2000 (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Yves Bur - Le Parlement entame aujourd'hui pour la quatrième fois la discussion d'un projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Les Français savent que leur assurance maladie est en déficit et se demandent pour combien de temps encore. De même, ils sont de plus en plus inquiets du vieillissement de la population qui menace les retraites de demain. Ils attendent donc des réformes pour assurer l'avenir de leurs institutions de protection sociale.

Or, la politique menée par le Gouvernement est incapable de relever ces défis. Aussi bien pour l'assurance maladie que pour le régime vieillesse, les réformes indispensables se font attendre, le Gouvernement s'en remettant aux facilités offertes par la croissance.

Celle-ci permet le redressement des comptes, mais ces résultats restent à la merci d'un retournement de conjoncture.

Le projet de loi de financement porte les recettes au niveau jamais atteint de 1873 milliards. Si l'on compare ce chiffre au niveau de recettes de 1998, on constate une croissance des recettes attendues par le Gouvernement de 153 milliards obtenue grâce à la croissance, mais aussi par l'augmentation des prélèvements sociaux. Cette forte progression des prélèvements pour la Sécurité sociale explique la réduction des déficits, alors même que les dépenses d'assurance maladie ont explosé. En effet, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie est passé de 600 milliards en 1997, à 658 milliards prévus dans le projet 2000. L'augmentation annuelle en volume est donc trois fois plus élevée depuis 1998, qu'entre 1996 et 1998.

En cas d'accident de la conjoncture, le Gouvernement risque de se trouver confronté comme dans le passé à l'explosion des déficits. Les dépenses d'aujourd'hui préparent les déficits de demain.

Faute de courage politique, notre protection sociale sera confrontée à une crise majeure qui pourrait compromettre son existence. Malgré les observations de la Cour des comptes et les quelques progrès engagés, la présentation de la loi de financement de la Sécurité sociale reste très opaque, ce qui rend le contrôle du Parlement particulièrement difficile.

L'objectif des lois de financement était d'identifier de manière claire pour chaque branche et pour chaque régime concerné les recettes et les dépenses. Dans son rapport, la Cour des comptes considère que les éléments d'information restent insuffisants. Il en est ainsi de la répartition de la CSG et des droits sur les alcools dont la mise en _uvre est jugée particulièrement lourde.

Il en est ainsi de la présentation même des comptes de la Sécurité sociale. Si de réels progrès ont été réalisés dans l'élaboration des comptes des organismes de base, les magistrats de la Cour des comptes estiment que «la qualité de beaucoup de données reste inégale, que l'appréciation quantitative des conséquences des dispositions de la loi de financement est imparfaite et que les comptes eux-mêmes sont parfois encore trop imparfaits.»

La Cour estime qu'il est urgent d'achever «la réforme des droits constatés». En effet, les comptes agrégés -tout comme les agrégats de la loi de financement- restent présentés en comptabilité de caisse. Dans un souci de transparence, il est donc urgent, Madame la ministre, que ces clarifications interviennent le plus vite possible.

De même, la présentation des comptes de la Sécurité sociale doit reposer chaque année sur les mêmes données ; car vous ne reculez pas devant une présentation enjolivée pour masquer la dérive des comptes...

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Ce n'est pas vrai !

M. Yves Bur - Ainsi, alors que l'évolution de l'objectif de dépenses pour 1999 était fondée sur les chiffres inscrits dans la loi de financement pour 1998, ce qui pouvait traduire une volonté de maîtrise de l'évolution des dépenses, le projet de loi de financement pour l'an 2000 prend curieusement comme référence les prévisions d'exécution envisagées pour 1999.

Mme la Ministre - C'est vous qui l'avez demandé l'année dernière !

M. Yves Bur - Par un tour de passe-passe, l'évolution des dépenses d'assurance maladie passe de 4,1 à 2,5 %. Si l'apparence est sauve, la réalité est qu'il y a bien eu dérapage des dépenses de santé, cette année comme l'année dernière, malgré de brutales mesures de sanction comptable.

Rien dans ce projet ne peut rassurer les Français quant à votre volonté politique de chercher enfin à réunir les conditions d'une maîtrise durable et médicalisée des dépenses de soins, à mener une politique de soutien à la famille, à engager les réformes de fonds pour assurer la pérennité du système de retraite. Une fois encore, vous différez les choix auxquels notre pays ne pourra se soustraire par le seul miracle de la croissance retrouvée.

Votre politique de santé est sans perspectives. Vous n'êtes pas parvenue à établir un climat de confiance avec les responsables de la Caisse nationale d'assurance maladie ou avec les professionnels de santé, alors qu'il eût fallu poursuivre le plan Juppé, courageux, apprécié de nombreux membres de l'actuelle majorité. Vous avez laissé le système de soins réagir par lui-même au prix d'un emballement des dépenses de soins. Vous vous êtes ensuite contentée des sanctions comptables brutales qui ont détruit la confiance du corps médical. Depuis, vous avez engagé des discussions segmentées, en jouant sur les spécificités de chaque spécialité et en faisant de la maîtrise purement comptable la règle pour tous les acteurs. Inscrire dans la loi le principe de lettres-clés flottantes pour toutes les professions de la santé nous éloigne encore un peu plus du consensus souhaitable et paraît terriblement bureaucratique, pour ne pas dire ubuesque, comme l'a fait le président de la CNAM...

Mme la Ministre - Ne le dites pas, évitez de vous ridiculiser...

M. Bernard Accoyer - Il a pourtant d'habitude une forte influence sur Mme la ministre...

M. Yves Bur - Avec ce projet vous engagez une nouvelle étape en confiant à l'assurance maladie la responsabilité des soins de ville. Ce choix traduit d'abord un échec que l'évolution des dépenses en 1999 par rapport aux prévisions de l'ONDAM souligne tout particulièrement. Ce sera un cadeau empoisonné pour les dirigeants de la CNAM, car ce transfert n'est pas accompagné des moyens indispensables. En fait, vous les punissez d'avoir mis en évidence votre absence d'ambition.

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale - Oh !

M. Yves Bur - Le conseil d'administration de la CNAM, tout en saluant une clarification des rôles, gage d'une gestion plus efficace, affirme qu'il ne pourra assumer pleinement cette nouvelle responsabilité sans les moyens nécessaires à la maîtrise des dépenses et sans relance du dialogue conventionnel.

La mise en place de la couverture maladie universelle illustre les limites de votre méthode : plutôt qu'un dialogue constructif avec les partenaires appelés à donner corps à cette loi, dont nous avons tous salué l'intention, vous avez préféré imposer vos choix. Aujourd'hui, les caisses, les mutuelles et les assureurs l'affirment, l'accès illimité et gratuit aux soins sera incompatible avec les moyens prévus : le coût du panier de soins sera largement supérieur aux 1 500 F prévus par la loi et les caisses devront embaucher plus de 2 000 agents pour prendre en charge l'instruction des dossiers.

M. Bernard Accoyer - Sans compter l'application des 35 heures dans les caisses...

M. Yves Bur - Le fonds CMU sera donc nettement insuffisant, ce qui vous conduit à en restreindre encore les conditions d'accès, alors que vous avez déjà exclu les personnes relevant du fonds de solidarité vieillesse et de l'allocation adulte handicapé. La caisse nationale d'assurance maladie sera placée en liberté surveillée, comme l'ensemble des professionnels de santé.

La grande ambition d'ensemble de la réforme Juppé n'aurait jamais dû être abandonnée pour une approche partielle. Il faudrait bien mettre en perspective des questions aussi fondamentales que la qualité des soins, les droits du malade, la formation des professionnels de santé, le droit et l'accès aux soins, la prise en charge de la dépendance, l'accompagnement à la mort. C'est de tout cela que dépendra demain le niveau de santé de notre pays.

Après les états généraux de la santé, ne devrions-nous pas, Madame la ministre, engager au Parlement un grand débat sur la santé publique, débouchant sur une loi d'orientation ?

Notre discussion annuelle autour du projet de loi de financement de la Sécurité sociale est trop encadrée par la Constitution et par la loi organique. Il conviendrait de donner au Gouvernement comme au Parlement la possibilité d'améliorer la politique de santé et de soins. Notre collègue Claude Evin l'a souligné à juste titre : permettre régulièrement la mise en _uvre de mesures de santé publique lors de la discussion de l'équilibre financier plutôt qu'à l'occasion de DDOS.

Une véritable politique de santé publique devrait prendre en compte les grandes causes de morbidité et de mortalité. Quand comprendrons-nous qu'une bonne politique de prévention menée avec l'ensemble des acteurs de santé est le meilleur outil de maîtrise des dépenses ?

Il conviendrait aussi de réfléchir sur la capacité du système actuel à répondre à l'aspiration du meilleur état de santé possible, grâce aux progrès des sciences.

Notre système est à bout de souffle. Il faut cesser de considérer la santé comme un poste de dépense parmi d'autres et de lui imposer des règles comptables de moins en moins efficaces.

La solution ne réside pas dans une privatisation que les Français rejettent. Après quelques gains de productivité, un système privé se montrerait tout aussi incapable de freiner durablement les dépenses de santé, l'exemple des Etats-Unis devrait nous ôter cette illusion... Notre système de santé n'est ni pire ni meilleur qu'un autre, mais il est moins efficace au regard des sommes que la nation lui consacre.

Vous vous entêtez, Madame la ministre, à faire croire aux Français que la meilleure manière de régler les problèmes, c'est d'appliquer depuis le sommet de l'Etat les réponses les plus conformes à votre vision de la société. Nous, nous croyons que l'Etat n'a pas à se mêler de tout, mais qu'il doit être le protecteur des principes de base qui font que chaque Français est assuré de la solidarité face aux risques de l'existence.

Il lui revient de définir les objectifs et les contours d'une vraie politique de santé publique homogène sur l'ensemble du territoire. Il lui appartient aussi d'assurer l'efficacité du système de soins et de veiller au meilleur usage des deniers publics.

Pour sortir de l'impasse dans laquelle se trouve notre système de soins, il est indispensable de responsabiliser tous les acteurs de santé, comme le faisait la réforme Juppé.

C'est vrai pour les professionnels de la santé, qu'on ne pourra traiter encore longtemps comme des irresponsables qui ne marcheraient qu'à la baguette. Le dispositif conventionnel doit repartir sur des bases telles que le respect mutuel, la transparence, la promotion de la qualité. L'affrontement doit enfin céder la place au dialogue, à un vrai partenariat. C'est vrai aussi pour l'ensemble des Français qui ne peuvent continuer à se comporter uniquement comme des consommateurs de soins. Les pouvoirs publics doivent favoriser la prise de conscience qui irait de pair avec la notion même de démocratie sanitaire.

Comme je l'ai dit, le modèle jacobin joue à présent contre l'efficacité et le niveau régional est pour le groupe UDF le plus pertinent pour créer les conditions d'une véritable démocratie sanitaire, pour mobiliser et pour susciter l'adhésion indispensable à un meilleur fonctionnement des structures de soins. De même que la décentralisation a permis de mieux prendre en charge des problèmes sociaux, la régionalisation favoriserait une meilleure organisation de la santé, en prise avec les besoins locaux. Le succès des agences de l'hospitalisation ne peut d'ailleurs que nous renforcer dans cette conviction.

Tout cela ne paraît pas être dans les intentions du Gouvernement et nous le regrettons car l'attentisme de mise aujourd'hui pour des raisons électorales porte en lui des germes de crise.

S'agissant de la politique familiale comme des retraites, nous constatons le même attentisme et le même manque de substance de cette loi de financement.

Le Gouvernement a promis à la branche famille la reconduction de la garantie de ressources instituée en 1994 par le gouvernement Balladur, qui souhaitait que ces ressources évoluent comme le produit intérieur brut. Au lieu de tenir loyalement cet engagement dès l'an prochain pour les cinq années qui viennent, vous proposez de le limiter à la période 1998-2002 et ne prévoyez aucun versement de l'Etat à ce titre avant l'expiration de cette période. L'essentiel de cette garantie sera absorbé par le transfert à la CNAF de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, ce qui mettra 7 milliards à la charge de la branche famille.

De fait, le présent projet n'assure aucune nouvelle marge de financement pour effacer les reculs enregistrés au cours des deux dernières années : restrictions aux aides à la garde des jeunes enfants, abandon de la réforme de l'impôt votée en 1996, plafonnement du quotient familial, suppression des aides au temps partiel prévue dans la loi sur les 35 heures.

Mme la Ministre - Et les 14 milliards de déficit ?

M. Yves Bur - Où la CNAF trouvera-t-elle les moyens de faciliter l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle ou d'augmenter les capacités d'accueil en crèche et en halte-garderie ?

Mme la Ministre - La CNAF a refusé ce que nous proposions !

M. Yves Bur - Il ne suffit pas d'affirmer de grands principes, les familles ont droit elles aussi à leur part des fruits de la croissance !

Cette prudence touche également la branche vieillesse et le financement futur des retraites. Ce dossier fait peur au Gouvernement, instruit, je le comprends, par les déboires de celui qui l'a précédé.

Mme la Ministre - Et par ses erreurs !

M. Yves Bur - Pourtant, ce problème n'a rien de virtuel, il est inscrit dans la démographie et les échéances se rapprochent. Ainsi, les besoins de financement supplémentaires sont estimés à 66 milliards par an dès 2006. Ce ne sont donc pas les sommes toutes symboliques que vous prévoyez d'affecter au fonds de réserve pour les retraites qui sont à la mesure de la difficulté décrite dans le rapport Charpin -dont les Français se demandent s'il ne connaîtra pas le même sort que le Livre blanc sur les retraites commandé par Michel Rocard.

Il est établi aujourd'hui que relever ce défi démographique et financier passe par la création d'un système de retraite mixte, répartition-capitalisation. Un consensus semble se dessiner dans le pays pour y parvenir, mais vous vous contentez de proposer l'abrogation de la loi du 25 mars 1997, dite loi Thomas. Les salariés du privé ne comprendraient pas de rester les seuls à avoir accepté des efforts depuis 1994 pour assurer la pérennité des régimes ARCO et AGIRC que vous envisagiez de surcroît de taxer pour financer les 35 heures.

En fait, nous avons appris hier qu'en raison de la reculade à laquelle vous ont contrainte les partenaires sociaux, vous allez priver le Fonds de solidarité vieillesse d'une fraction des droits sur les alcools. Or l'excédant du FSV devait alimenter le Fonds de réserve pour les retraites. C'est donc finalement bien la Sécurité sociale qui va devoir contribuer au financement des 35 heures, après un tour de passe-passe qui ne saurait assurer un équilibre durable.

Mme la Ministre - Il est clair que vous n'étiez pas en séance ce matin !

M. Yves Bur - Ce projet traduit en fait le manque d'ambition d'un Gouvernement davantage préoccupé de ne pas fâcher des partenaires communistes figés dans une conception passéiste et, peut-être aussi, de ne pas troubler l'image consensuelle que se construit le Premier ministre candidat.

Mme la Ministre - C'est bien de le reconnaître !

M. Yves Bur - Nous le regrettons d'autant plus que vous avez détourné ce projet de loi de financement de l'esprit qu'ont souhaité lui donner ses auteurs. En effet, comme l'ont rappelé dans une déclaration commune les trois groupes de l'opposition, ce projet avait pour objet de donner au Parlement le contrôle du financement de la Sécurité sociale et de garantir une gestion transparente des différents régimes. Or voici que ses premiers articles sont consacrés au financement de la loi sur les 35 heures, qui devrait relever du budget de l'Etat ! Il devient ainsi, de fait, un instrument de gestion des finances publiques. Et il camoufle le coût de la réduction du temps de travail en permettant de ne pas le faire figurer dans la comptabilité budgétaire.

De plus, l'évaluation du produit de la taxe sur les heures supplémentaires n'est mentionnée ni dans le budget de l'Etat ni, pour le moment, dans le projet de loi de financement. Or cette taxe constitue un hold-up sur le travail des Français (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Or, les salariés qui acceptent d'effectuer des heures supplémentaires le font tout à la fois pour répondre aux besoins de leur entreprise et pour arrondir leurs fins de mois (Mêmes mouvements). Vouloir taxer cet effort est scandaleux !

Mme la Ministre - Démagogie !

M. Yves Bur - En la matière, le Gouvernement ne respecte pas les principes et règles de valeur constitutionnelle mentionnés dans la décision du 10 juin 1998, et méconnaît donc l'exigence constitutionnelle de clarté de la loi.

De plus, il ne retrace pas comme l'exige l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 l'ensemble des recettes et dépenses. J'en veux pour preuve la comptabilisation des recettes de la TGAP dans ce projet de loi de financement. Il aurait fallu qu'une disposition d'affectation figure également dans le projet de loi de finances. Lorsque celui-ci a été déposé par le Gouvernement, cette disposition n'y figurait pas et ce n'est que par votre amendement 346 que vous avez rectifié cette erreur incompréhensible.

Il en est de même pour les droits de consommation sur les tabacs, qui constituent une recette commune au budget général de l'Etat et à la Sécurité sociale en vertu de l'article 575 du code général des impôts. Là aussi le Gouvernement a déposé les amendements 521 à 523 pour «supprimer les plafonds d'affectation au financement de diverses dépenses sociales.» Vous fixez ainsi la quote-part de cette taxe affectée à la Sécurité sociale pour participer au financement des 35 heures.

De plus, l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution précise que «les lois de financement de la Sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de la prévision de recettes, fixe ses objectifs de dépenses...» Rien de tel dans le projet que vous avez déposé et qui est donc entaché d'inconstitutionnalité, les équilibres entre les deux budgets n'étant pas avérés.

Ces affectations trompeuses sont contraires aux principes d'unité et d'universalité et contribuent avec les débudgétisations de dépenses et les affectations à la Sécurité sociale au démantèlement des finances nationales.

Nous ne pouvons que nous étonner, Madame la ministre, de la légèreté avec laquelle le Gouvernement ose présenter des projets de cette importance sans avoir assuré au préalable les équilibres requis (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

Ces errements traduisent en fait tout à la fois des désaccords sur le financement des 35 heures et le refus de votre collègue Dominique Strauss-Kahn de voir le budget de l'Etat assurer ces dépenses supplémentaires. M. Strauss-Kahn doit en effet faire face aux critiques et aux pressions des instances européennes qui considèrent que la France fait trop peu pour maîtriser la dépense publique. Le Gouvernement se livre donc à des tours de passe-passe, en sous-évaluant les recettes de la croissance et en camouflant des dépenses telles que celles qui résulteront des 35 heures. M. Zalm, ministre néerlandais des finances, a ainsi demandé à notre pays, lors du conseil Ecofin du 8 octobre de consentir des efforts supplémentaires pour la réduction de son déficit. Il s'est notamment interrogé sur les conséquences financières de la loi de réduction du temps de travail et a dénoncé pudiquement des acrobaties budgétaires -les tractations pour assurer le financement des 35 heures sont là pour confirmer la pertinence de son jugement.

Les dispositifs gouvernementaux ne sont pas totalement financés. En effet, l'article 11 du deuxième projet de loi sur les 35 heures institue un allégement de cotisations au profit des entreprises mettant en _uvre la réduction du temps de travail. Tant mieux si vous reprenez à votre compte l'allégement des charges patronales mis en _uvre par le précédent gouvernement et que vous n'aviez de cesse de critiquer depuis lors.

Mme la Ministre - Pas moi !

M. Yves Bur - Mais la loi de finances ne comporte aucune disposition pour financer ces aides.

Au vu des difficultés que le Gouvernement a rencontré pour boucler le financement des 35 heures, nous comprenons mieux pourquoi votre collègue ministre de l'économie n'a pas souhaité voir figurer ce poste de dépenses dans son budget cosmétique.

Mme la Ministre - N'insultez pas mon collègue et ami !

M. Yves Bur - En effet si la dépense liée à ces allégements est assurée de croître de 67 milliards en l'an 2000 à plus de 100 milliards à terme, les recettes sur lesquelles table le Gouvernement sont nettement plus aléatoires.

Elles reposaient en première intention sur des impôts nouveaux et sur une «contribution volontaire» des organismes sociaux, dont nous savons depuis hier qu'elle est abandonnée.

Les ressources provenant de la TGAP élargie et de la contribution sociale sur les bénéfices des sociétés sont incertaines, comme l'a relevé le rapporteur pour avis de la commission des finances. Malgré cet avertissement, le Gouvernement persiste dans ses choix, qui alourdiront la fiscalité des entreprises déjà confrontées aux incertitudes du passage aux 35 heures.

La création de ce fonds est contraire à l'article 34 de la Constitution qui dispose que «la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature.»

En instituant un prélèvement permanent sans limitation de durée, le Gouvernement méconnaît le principe constitutionnel selon lequel les impositions de toute nature doivent être autorisées chaque année. En outre, le Gouvernement fait totalement abstraction des modalités de mise en _uvre de l'impôt. de plus, le Gouvernement méconnaît l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, selon lequel «tous les citoyens ont le droit de constater la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.» Or, le législateur est hors d'état d'exercer ce contrôle. Nous relevons là un second motif d'irrecevabilité.

Concernant la contribution forcée, et que vous espériez volontaire des organismes sociaux, il faut bien parler de confusion pour évoquer votre différend, qui a tourné à l'affrontement, avec les partenaires sociaux unanimes, avant de finir dans une reculade sans gloire pour le Gouvernement.

Décider unilatéralement du principe et du montant du prélèvement pour financer à la place de l'Etat la réduction du temps de travail illustre le mépris que le Gouvernement porte au paritarisme. Le dialogue social, déjà difficile, ne méritait pas ce traitement pour le moins cavalier.

Vouloir taxer l'UNEDIC, c'était mettre à bas la gestion paritaire. Le prétexte de l'aide apportée par l'Etat en 1993 à l'UNEDIC en complément des efforts consentis par les employeurs et par les chômeurs, n'était pas acceptable. C'est bien parce que vous aviez conduit le pays dans la récession la plus grave de l'après-guerre, que l'UNEDIC s'est trouvée dans cette situation de quasi-cessation de paiement et que l'Etat a dû intervenir.

Si aujourd'hui les comptes de l'UNEDIC sont positifs...

M. Marcel Rogemont - Grâce à qui ?

M. Yves Bur - ...il appartient aux partenaires sociaux de décider si cela doit permettre de diminuer les prélèvement sur les salaires ou d'améliorer l'indemnisation des chômeurs.

De même, M. Spaeth, qui préside la CNAMTS, avait qualifié cette contribution de «détournement de finalité de cotisations sociales». La résistance des syndicats et des organisations patronales a eu raison de votre acharnement, et c'est un succès pour la démocratie sociale.

Cependant, nous ne savons toujours pas exactement comment vous comptez boucler l'équilibre de votre projet. Or, comme l'a souligné le Président de la République, «on demande au Parlement d'opérer des prélèvements sur la Sécurité sociale pour financer les 35 heures, mais ni le montant, ni les modalités de ces prélèvements ne figurent dans le projet de loi, ce qui ne paraît pas conforme aux compétences que la Constitution reconnaît au Parlement».

Votre manque de rigueur vous a conduite à créer un climat de crise avec les partenaires sociaux, et à taxer une fois de plus les Français pour assurer un équilibre précaire.

Enfin ce projet est également entaché d'irrecevabilité du fait des dispositions de l'article 9. Pour que les ressources de la branche famille évoluent comme le PIB, le Gouvernement avait annoncé qu'il poursuivrait l'application de la garantie de ressources créée en 1994. Or la loi organique du 22 juillet 1996 dispose que la loi de financement de la Sécurité sociale est votée chaque année et prévoit par là même les orientations politiques, les recettes et dépenses pour l'ensemble des régimes de base.

Néanmoins, le troisième paragraphe de l'article L.O. 111-7 du code de la Sécurité sociale prévoit qu'outre ces dispositions, mentionnées au premier paragraphe, «les lois de financement de la Sécurité sociale ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la Sécurité sociale.»

Les dispositions de l'article 9 couvrant quatre années, elles transgressent le principe constitutionnel selon lequel les impositions de toute nature doivent être autorisées chaque année.

En outre, cette disposition est un cavalier social, contraire aux dispositions de l'article L.O. 111-3 du code de la Sécurité sociale. Il doit donc être déclaré irrecevable.

En conséquence, le Parlement ne saurait se prononcer sur un dispositif législatif pluriannuel, qui est en fait un cavalier social ("Très bien !"sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Au total, nous regrettons vivement qu'un tel projet puisse nous être présenté avec autant de légèreté. Il aura fallu attendre les dernières heures précédant le débat pour découvrir, dans la presse, des éléments essentiels dont la commission n'a pu débattre sérieusement.

Je vous propose donc de voter l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - Nous en venons aux explications de vote.

M. François Goulard - M. Bur m'a convaincu. Nous avions une occasion en or de plaider l'inconstitutionnalité du projet dans sa version précédente, puisque Mme Aubry avait alors imaginé une imposition sur certains organismes sociaux dont ni les modalités, ni l'assiette ni le taux n'étaient précisés. Il y avait là une infraction caractérisée aux dispositions de l'article 34 de notre Constitution. Déjà le Conseil d'Etat, dans un avis qui aurait dû rester secret, avait formulé ce constat. A la suite de certains événements, le Gouvernement a brusquement modifié son dispositif.

Le plus choquant tient à la façon dont est conçu le financement de la politique de l'emploi. Si l'on suivait le Gouvernement, les finances publiques seraient réparties en deux budgets distincts. Ce serait inacceptable !

Imaginons que le Gouvernement choisisse de financer la politique autoroutière ou les tribunaux de commerce par un prélèvement sur la Sécurité sociale. La ministre introduirait alors une disposition dans ce sens, si bien que ce projet ferait office de budget des transports ou de la justice.

C'est une dérive extrêmement grave dans la gestion des finances publiques, car la cloison doit rester étanche entre les comptes de l'Etat et ceux de la Sécurité sociale. Le groupe DL votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Gérard Terrier - En défendant l'exception d'irrecevabilité, M. Bur a réussi à nous persuader d'une chose : son désaccord avec le projet (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Mais il a échoué à nous convaincre de son inconstitutionnalité, à laquelle il a d'ailleurs consacré à peine le cinquième de son temps de parole. Puisqu'il s'est surtout intéressé aux aspects politiques du dossier, je lui répondrai sur le même terrain, en épinglant les nombreuses inexactitudes de son propos mais en m'abstenant, par courtoisie, de faire référence à quelque profession que ce soit... (Rires sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les Français, avons-nous entendu, attendent les évolutions nécessaires. C'est bien ce à quoi nous nous employons depuis plus de deux ans, loi de financement après loi de financement, et cela vous contrarie car ce que nous faisons ne correspond pas à votre projet - mais en avez-vous seulement un ? (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) S'agissant du redressement des comptes, vous nous reprochez d'avoir changé le mode de prévision, de nous appuyer désormais sur les dépenses constatées, mais c'est précisément ce que vous réclamiez l'an dernier ! Un peu de cohérence, que diable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Inversement, vous demandez que la santé soit accessible à tous, mais vous avez voté contre la CMU ! Vous criez au centralisme et au jacobinisme, mais que dites-vous de la PSD et de ses dérives ? Il faut que les Français soient traités selon leur affection, et non selon leur lieu de résidence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Enfin, vous affirmez qu'il faudra 66 milliards par an pour les retraites, mais combien nous avez-vous laissé ? Il y aura bien, quoi que vous disiez, abondement du fonds de réserve.

A cause de toutes ces incohérences, et de bien d'autres dont je pourrais dresser la longue liste si mon temps de parole n'était pas limité à cinq minutes, le groupe socialiste votera contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Luc Préel - Je voudrais dire tout le bien que je pense de l'exception d'irrecevabilité excellemment défendue par M. Bur et brillamment complétée par M. Goulard. La loi de financement engage toute notre protection sociale ; or, les recettes sont loin d'être claires. L'Etat doit, depuis 1994, compenser intégralement les exonérations de charges qu'il décide ; or, vous avez dû improviser totalement le financement des 35 heures, en transférant les droits sur le tabac et en créant un nouvel impôt sur les bénéfices des entreprises, ainsi que la TGAP, qui aurait dû, selon nous, avoir un tout autre objet, lié à la protection de l'environnement.

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour les recettes et l'équilibre général - Il n'a rien compris au double dividende ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. le Président - Ce n'est pas très grave, car il ne dispose que de cinq minutes...

M. Jean-Luc Préel - Comment dois-je l'entendre ?

M. le Président - En bien : je voulais dire qu'il n'est pas très grave que vos contradicteurs ne vous comprennent pas... (Sourires)

M. Jean Ueberschlag - Vous êtes un président partial !

M. le Président - Je tablais sur le sens de l'humour de M. Préel.

M. Jean-Luc Préel - Je suis prêt à siéger jusqu'à samedi soir pour convaincre mes collègues...

M. le Président - Vous ne disposez que de cinq minutes pour cela.

Mme Odette Grzegrzulka - Plus les arrêts de jeu !

M. Jean-Luc Préel - Vous aviez un grand projet : mettre à mal le paritarisme et ponctionner les organismes de sécurité sociale (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Nous discutons du projet tel qu'il a été distribué, imprimé, amendé par la commission, et non de modifications dont nous n'avons eu connaissance, pour l'instant, que par la presse ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Alfred Recours, rapporteur - Nous en avons débattu ce matin en commission !

M. Jean-Luc Préel - Mais pas en séance plénière !

Vous avez, malheureusement pour vous, buté sur l'avis négatif émis par les conseils d'administration de tous les organismes, de sorte que vous avez dû improviser une reculade et que le financement n'est pas encore bouclé. Si j'ai bien compris, vous avez renoncé à ponctionner l'UNEDIC et l'ARRCO, mais les 5,6 milliards dont on parle tant iront bien au FSV ! ("Très bien !"sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Vous ne préparez pas l'avenir de la famille, vous n'engagez pas la réforme des retraites. Vous augmentez l'ONDAM de plus de 4 %, et je vous félicite de tenir compte du réalisé ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste), mais au lieu de 2,5 %, c'est en fait 4,1 % ou 4,2 % qu'il aurait fallu retenir.

M. Marcel Rogemont - Les hôpitaux ne vont pas se plaindre !

M. Jean-Luc Préel - Toute la question est de savoir comment sera répartie l'enveloppe. La réforme Juppé, que vous aviez tant critiquée, était fondée sur le vote de l'ONDAM par le Parlement et sur le respect de l'autonomie des branches, que vous n'assurez pas aujourd'hui, il n'est que de lire l'interview de M. Spaeth, qui est un homme raisonnable et responsable. Les lettres-clés flottantes sont une sanction collective par excellence. On ne réforme pas la protection sociale contre les professionnels - n'était-ce pas ce que vous disiez vous-mêmes à l'époque ?

Enfin, vous n'avez pas de réelle politique de santé publique. Ce projet ne nous convient pas, et nous souhaitons l'adoption de l'exception d'irrecevabilité, que nous présenterons, si elle n'est pas votée, au Conseil constitutionnel (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. le Président - A la demande des groupes UDF et DL, le scrutin sera public.

M. Jean Bardet - Yves Bur a exposé les arguments qui justifient le vote de cette exception d'irrecevabilité par le groupe RPR.

Ce projet de loi, qui n'aborde aucun des problèmes qui se posent à notre système de protection sociale à la veille du troisième millénaire, traduit une vision purement comptable de la santé et de la Sécurité sociale. Aucune politique familiale d'envergure n'est envisagée. La hausse de 0,2 % des prestations familiales à laquelle s'ajoute une prime de 0,3 % à titre exceptionnel n'est qu'une aumône, alors que les familles, surtout les plus démunies, devraient être les premières à bénéficier de la répartition des fruits de la croissance.

Aucune politique des retraites n'est engagée, malgré le Livre blanc rédigé par M. Rocard il y a dix ans ou le rapport Charpin. Les décisions sont reportées à l'an prochain ou même à plus tard. Non contents de refuser l'institution, pour les salariés du secteur privé, d'un système comparable à celui de la Préfon dont bénéficient les fonctionnaires, vous voulez abroger la loi Thomas !

Les mesures relatives à la politique de la santé sont renvoyées à une future loi sur la santé ou au projet portant DMOS du printemps prochain.

Bref, ce projet n'est qu'un inventaire à la Prévert dépourvu de données chiffrées. Quel sera le coût du dépistage des cancers du sein, du colon ou de l'utérus ? S'agissant de la prévention, le remboursement de la vaccination contre la grippe coûterait-il plus cher que le traitement de la maladie, y compris les arrêts de travail ? Pour ce qui est des accidents du travail, les mesures proposées ne sont pas financées.

Ce projet opaque, sans vision d'avenir, mélange les genres, car il est surtout destiné à financer les trente-cinq heures. Il est, de surcroît, contraire à la Constitution et à la Déclaration des droits de l'homme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Voilà pourquoi le groupe RPR votera l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Muguette Jacquaint - Le groupe communiste votera contre l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

A la majorité de 135 voix contre 50, sur 185 votants et 185 suffrages exprimés, l'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Bernard Accoyer - Ce quatrième projet de loi de financement de la Sécurité sociale, au lieu de définir les priorités sanitaires et sociales, et d'en prévoir le financement, est avant tout le support législatif du financement, très partiel, de la réduction autoritaire du temps de travail. Et pour ce faire, il détourne des fonds sociaux.

Le Gouvernement l'a annoncé, dès la présentation de la deuxième loi sur la réduction autoritaire du temps de travail, dont l'article 11 renvoyait au PLFSS pour son financement. La messe était dite et toutes les dénégations n'y pourront rien changer, surtout après que les recettes de l'Etat ont été votées.

Comment pouvait-il en être autrement, dès lors que le Gouvernement part d'un postulat erroné qui consiste à prétendre que l'on peut travailler moins en conservant les mêmes salaires et le même niveau de protection sociale ?

Or la protection sociale constitue une ressource différée garantie par la mutualisation solidaire face aux aléas de la vie, de la santé, de la vieillesse. Ce texte tourne le dos à ces objectifs pourtant définis dans la loi fondamentale et la loi organique de 1996.

Certes, le Gouvernement fait preuve de continuité.

Continuité dans la dérive de la politique sociale qui conduit à remettre en cause la Sécurité sociale elle-même et son principe de solidarité.

Continuité pour détourner l'attention des Français des perspectives d'avenir pour détourner les prélèvements affectés à la politique sociale. Continuité pour creuser les déficits malgré des prélèvements records. Continuité pour démanteler le système médico-social, délibérément étatisé et encadré. Continuité dans la mystification et le camouflage des réalités des comptes de l'assurance maladie, de l'avenir des retraites et de la politique familiale. Continuité avec la création et l'abondement virtuel de fonds multiples, tels que le Fonds d'aide à la modernisation des hôpitaux, le Fonds d'aide à la qualité des soins de ville, le Fonds de réserve de la retraite par répartition -dont la création date de ce matin au Journal officiel mais qui reste désespérément vide- le Fonds de financement de la CMU, le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de Sécurité sociale, ou le Fonds de solidarité vieillesse détourné de son but social au profit de la politique de l'emploi.

Une politique de détournement des fonds sociaux : voilà la réalité de ce projet de loi. Certes, je félicite le Gouvernement pour sa maîtrise de la sémantique, mais je dénonce son hypocrisie.

Comment oser parler de réforme des cotisations patronales quand il s'agit, en fait, de détourner des fonds sociaux pour financer partiellement le surcoût du travail, lié aux 35 heures obligatoires ? Il s'agit évidemment, d'une dépense d'Etat, mais aussi d'une manipulation de la ristourne Juppé, correspondant à 39,5 milliards de baisses de charges existant déjà. Vous ne diminuez donc les charges sociales pour 2000 que de 25 milliards.

En créant, en 1998, le Fonds de réserve de la retraite par répartition doté d'un montant dérisoire de 2 milliards, alors qu'il faudrait des centaines de milliards par an à compter de 2005 pour couvrir le déficit inéluctable de la branche vieillesse, de qui vous moquez-vous ? Des Français, des retraités et des futurs retraités.

Le présent projet caractérise la politique du Gouvernement : le gaspillage des occasions manquées créées par la croissance ainsi que le renoncement aux réformes indispensables pour sauver la protection sociale.

Je voudrais rappeler où vous avez mené la Sécurité sociale, faute d'avoir eu le courage de procéder aux réformes indispensables.

La loi de financement pour l'an 2000 porte les recettes de la Sécurité sociale à un niveau record jamais atteint de 1 873 milliards, soit une augmentation de près de 9 % en deux ans, obtenue essentiellement grâce à la croissance, mais aussi grâce à des prélèvements nouveaux.

Depuis 1997, on dénombre 12 créations ou extensions de prélèvements obligatoires en matière sociale : la substitution de la CSG aux cotisations sociales maladies qui s'est traduite par une hausse des prélèvements sur les revenus du patrimoine ; le passage de 6 à 8 % du taux de la taxe sur les contrats de prévoyance-supplémentaires ; le déplafonnement des cotisations d'allocations familiales des non-salariés ; l'augmentation de la taxe sur la publicité pharmaceutique ; la création de la taxe sur les ventes directes de médicaments ; la création de la taxe de santé publique sur les tabacs ; l'extension de l'assiette des prélèvements sur les revenus du patrimoine ; le reversement-sanction sur le chiffre d'affaires des entreprises pharmaceutiques n'ayant pas signé d'accord de limitation ; la contribution assise sur le chiffre d'affaires santé des organismes de protection sociale complémentaire ; la taxe de 10 % sur les heures supplémentaires ; le projet de création d'une contribution sociale sur les bénéfices des entreprises et le projet d'élargissement de la taxe générale sur les activités polluantes.

Cette forte augmentation des prélèvements pour la Sécurité sociale, ajoutée aux restrictions apportées à la politique familiale, explique la réduction des déficits alors même que les dépenses d'assurance maladie ont explosé. L'objectif national des dépenses d'assurance maladie est en effet passé de 600 milliards en 1997 à 658 milliards dans le projet pour l'an 2000. Les prélèvements sociaux obligatoires atteignent cette année le taux record de 22,4 %.

On retrouve là le même scénario qu'après les années Bérégovoy et Rocard, qui avaient conduit à 100 milliards de déficit en 1993 pour la Sécurité sociale et 330 milliards de déficits publics. Alors, épargnez-nous votre refrain sur les comptes que vous auriez trouvés en 1997.

M. Jean-Luc Préel - 330 milliards, excusez du peu !

M. Bernard Accoyer - Les dépenses d'aujourd'hui préparent, hélas, les déficits de demain. Et ces données doivent être évaluées en tenant compte des déficits à venir de la branche vieillesse.

La caisse d'amortissement de la dette sociale est chargée de 370 milliards financés par le RDS jusqu'en 2014.

Mme la Ministre - Ce sont vos déficits pour l'essentiel !

M. Bernard Accoyer - S'agissant des perspectives de la branche vieillesse, le rapport Charpin prévoit que le niveau de réserves nécessaires pour assurer les retraites devra être de l'ordre de 300 milliards annuels d'ici 2020 et de 600 milliards annuels d'ici 2040.

Comment ne pas s'inquiéter de votre refus d'assumer vos responsabilités ? Outre ces dettes, il y a aussi des perspectives de dépenses non financées, telles que la couverture maladie universelle.

En créant la CMU, le Gouvernement a certes voulu améliorer l'accès aux soins des plus démunis. Mais il l'a fait en démantelant le dispositif de l'aide médicale gratuite. La CMU effacera ce travail «micro-social» de proximité irremplaçable. Ce dispositif qui dirige les populations en difficulté vers les caisses primaires contraindra celles-ci à embaucher des milliers de salariés supplémentaires, ce qui augmentera leurs frais de gestion.

Mais les deux plus graves conséquences de la CMU sont humaines et financières.

Sur le plan humain, la CMU instaure la sécurité sociale à deux vitesses, avec la sécurité sociale des plus pauvres -une sorte de «Medicaid»français- et celle des autres. Les plus pauvres sont ainsi montrés du doigt (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

En ce qui concerne les conséquences financières, les 9 milliards annoncés pour le financement de la CMU sont tout à fait irréalistes. Le besoin de financement pourrait s'élever jusqu'à 50 milliards en quelques années.

Les mutualistes s'inquiètent à juste titre de ces perspectives et les bénéficiaires pourraient être moins nombreux que prévu, si l'on en croit le projet de décret. Il est vrai que l'Etat, malgré la loi de 1994, s'exonère facilement de ses dettes à l'égard des régimes sociaux.

Faut-il rappeler que pour les contrats emploi-solidarité, les collectivités ne cotisent pas à l'UNEDIC, alors que celle-ci les prend en charge lorsqu'ils se trouvent à nouveau au chômage ? Cette défaillance coûte 1 milliard par an à l'UNEDIC.

Le plus grave manquement dans le domaine des impayés de l'Etat réside dans la retraite des préretraités du FNE. Depuis 1984, l'Etat n'a jamais payé aux régimes complémentaires de retraite ARRCO et AGIRC les sommes dues à ce titre. Ce sont ainsi 50 milliards qu'ils ont avancés à l'Etat en versant les pensions correspondantes, sans être pour autant exonérés du prélèvement de 700 millions prévu pour financer les 35 heures obligatoires.

Au total, Madame le ministre, jamais les prélèvements sociaux n'auront été aussi élevés alors que l'endettement social atteint des records -près de 400 milliards- et que les mesures non financées n'ont jamais été aussi nombreuses et lourdes.

Conduire une politique sociale, c'est avant tout veiller à pouvoir la financer aujourd'hui et demain. C'est cela la solidarité entre les générations. Mais la politique du gouvernement Jospin se réduit à la gesticulation et à la mystification.

Quelques chiffres sont bons à rappeler : 35 milliards pour les emplois publics et leur sortie, 50 milliards pour la CMU, 110 milliards pour les 35 heures obligatoires, 370 milliards pour les dettes de la caisse d'amortissement de la dette sociale, 50 milliards dus à l'AGIRC et l'ARCCO pour les préretraités du FNE, 15 milliards non financés pour le déficit de la branche maladie en 1997 et 98, auxquels il convient d'ajouter le non-financement des retraites à hauteur de plusieurs centaines de milliards de francs chaque année dès le « bogue » des retraites de 2005.

Si le Gouvernement prétend affecter pour 2000, 65 milliards à la baisse des charges dont il dit qu'ils financeront les 35 heures, il ne s'agit en fait que de 25,5 milliards nouveaux. En effet, les 39,5 milliards provenant des taxes sur les tabacs de la ristourne Juppé existent déjà, même s'ils se trouvaient au budget de l'Etat, ce qui était plus sincère et plus transparent.

Evidemment 25,5 milliards ne couvriront nullement le surcoût du travail lié aux 35 heures en 2000, pas plus que 70,5 en 2001.

Ce sont les entreprises et les salariés qui supporteront le coût des 35 heures, confirmant l'erreur du Gouvernement : on ne peut travailler moins et garder les mêmes revenus, ni la même protection sociale.

Les mesures que vous proposez équivalent à un détournement des fonds au profit d'une hypothétique politique de l'emploi. Une première partie de ces mesures comporte la création de trois nouveaux impôts : la contribution sociale sur les bénéfices des entreprises, la taxe générale sur les activités polluantes et la taxe sur les heures supplémentaires.

Cette première partie est surprenante car elle fait fi de l'objectif de financement social qui, par essence, doit être celui du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. En réalité, il s'agit d'impôts nouveaux pour financer une promesse électorale hâtive, présentée comme efficace contre le chômage.

Il s'agit en fait d'un opération de «siphonnage » multiple.

« Siphonnage » de la taxe sur les tabacs, dont la logique voudrait, non pas qu'elle soit destinée à financer les 35 heures, mais que son produit soit consacré à l'éducation sanitaire, à la prévention et à l'assurance maladie.

Par ces dispositions, vous semblez encourager la consommation de tabac et d'alcool, pour permettre de travailler moins ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

« Siphonnage » des finances sociales avec des prélèvements prévus sur le régime général de la Sécurité sociale, l'UNEDIC, l'AGIRC et l'ARRCO à hauteur de 27,5 milliards en 2000 et 38 milliards chaque année ensuite. Vous reculez sous la contrainte mais on voit votre état d'esprit.

Comme l'ont dénoncé unanimement les partenaires sociaux, cet assèchement de la démocratie sociale, « critiqué » par le Président de la République lui-même, est de la plus haute gravité. En effet, Madame le ministre, voilà cinquante-cinq ans que le partenariat a prévalu pour développer la protection sociale. Or, le coup de force du Gouvernement, même après sa dérobade de dernière minute, pourrait bien conduire les partenaires sociaux à renoncer à leurs responsabilités. Qu'adviendrait-il de la protection sociale si le départ des partenaires sociaux en consacrait l'étatisation ? Alors que les partenaires sociaux demeurent les gestionnaires les plus légitimes, mesurez-vous les conséquences d'un tel désengagement ?

L'opposition dans son ensemble, et le RPR en particulier, sont très attachés au paritarisme social (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

L'article 2 crée un nouveau fonds dit « de financement de la réforme des cotisations patronales de Sécurité sociale ». Appellation fallacieuse : ce fonds aura pour seul objet de financer la hausse du coût du travail due à la réduction du temps de travail.

Sa création est justifiée par la baisse du temps de travail de 11,4 %, donc par la hausse du coût du travail, de 10 %, si l'on tient compte de la flexibilité de la modulation. C'est cette hausse du coût du travail que le Gouvernement cherche à compenser partiellement.

Vous avez toujours affirmé en truquant les chiffres que la réduction du temps de travail devait créer des emplois. La loi Robien et la première loi de réduction du temps de travail n'étaient pas contraignantes. Certaines entreprises en développement ont utilisé la flexibilité et les aides qui accompagnaient ce texte. Elles sont ainsi 2 % de celles de ma circonscription. Mais aujourd'hui, à quelques jours de la réduction du temps de travail obligatoire, ce sont toutes les autres qui vont y être soumises. La France, qui détient déjà le record de brièveté de durée de travail au cours de la vie, détiendra ainsi également celui de la plus courte durée de travail annuelle. Quelle gageure ! Si les deux lois de réduction du temps de travail créaient 100 000 emplois, elles coûteraient, selon vos propres chiffres, 110 milliards, soit 1,1 million par emploi créé ! Et si selon l'hypothèse la plus optimiste, 500 000 emplois étaient créés, chaque emploi coûterait encore 500 000 F.

J'en viens à l'article 3, qui crée la contribution sociale sur les bénéfices.

Alors que M. Strauss-Kahn fait miroiter la suppression de la surtaxe de 1997 à l'impôt sur les sociétés, Mme Aubry, elle, instaure une nouvelle taxe sur les sociétés dont le chiffre d'affaires dépassera les 50 millions. Y a-t-il un Premier ministre pour orchestrer l'action gouvernementale ?

Cette taxe dont l'assiette est comparable à celle de l'impôt sur les sociétés sera affectée au fonds créé à l'article 2. Son rendement est évalué à 4,3 milliards l'an prochain. Mais, là encore, son taux est destiné à croître. D'ailleurs la commission des finances a adopté un amendement visant à pérenniser les recettes fiscales de la contribution sociale sur les bénéfices au motif qu'assise sur l'impôt sur les sociétés, elle pourrait voir son rendement fluctuer. On invente ainsi l'impôt à périmètre constant et les taux flottants au risque de faire couler les entreprises.

Le Gouvernement continue sur sa lancée avec l'extension du champ de la TGAP, créée en 1999, aux produits phytosanitaires, aux lessives et aux granulats. Son rendement pour 2000 est estimé à 4 milliards. En 2001, elle devrait se transformer en écotaxe en touchant la consommation d'énergie des entreprises et atteindre quelque 12 milliards.

Là encore, c'est l'improvisation. l'extension de la TGAP aux phytosanitaires, sans concertation, provoque la colère des agriculteurs et de leurs représentants. Ce sont 300 millions qui seront ponctionnés sur l'industrie phytosanitaire dès 2000, soit 3 % de son chiffre d'affaires. Des répercussions sur les prix sont bien sûr à craindre, d'autant qu'en dehors de la Suède, de la Belgique et du Danemark, nos concurrents ne subissent pas une telle fiscalité.

En outre le produit de ce prélèvement n'est pas affecté à des opérations d'environnement ; le Gouvernement veut ignorer que le monde agricole propose, en concertation avec les industries, un plan d'action pour la reconquête de la qualité de l'eau financé par l'ensemble de la filière.

L'hypocrisie continue avec l'extension de la TGAP aux lessives. La préoccupation du Gouvernement n'est toujours pas l'environnement puisque même les producteurs de lessives sans phosphates seront taxés... En outre, cette taxe se traduira probablement par une hausse des prix d'un produit de première nécessité. Même la mère Denis aurait vu ce qu'il y a de choquant à affecter la TGAP au financement de la Sécurité sociale, dépense pérenne, alors que cette taxe devrait avoir vocation à s'éteindre progressivement, du fait de la diminution des activités polluantes.

En fait, le Gouvernement cherche simplement à masquer son matraquage fiscal. Il avait déjà utilisé cette ficelle en augmentant la taxe sur le gazole sans diminuer celle sur l'essence sans plomb.

Tous les commissaires des affaires sociales ont reçu du conseil d'administration de la CNAM un projet d'amendement de suppression de l'article 2. Faut-il que la situation soit inquiétante ! C'est probablement pour atténuer la colère des partenaires sociaux que le rapporteur cherche des financements supplémentaires en augmentant de 15 % le montant de la cotisation des employeurs à la caisse de maladies professionnelles et accident du travail. Et Alfred Recours estime à 7,8 milliards le coût des retards ou absences de déclarations de maladies ou accidents professionnels. Mais ce stratagème ne saurait masquer le détournement des fonds sociaux. En effet, puisque la branche accidents du travail est bénéficiaire, les cotisations auraient dû baisser.

Par ce coup de couteau, ou d'arnaque, le Gouvernement chercherait-il à diviser les partenaires sociaux ? En tout cas, il veut abonder la trésorerie du régime général pour tenter d'amener les comptes à l'équilibre, comme promis, et pour pouvoir même enfin abonder le fonds de réserve de la retraite par répartition.

Pour la branche maladie, le projet distingue d'une part l'hospitalisation publique et privée et le médicament, placés sous la responsabilité directe du Gouvernement mais toujours financés par l'assurance maladie dont ils constituent, et de très loin, les plus importantes dépenses, d'autre part, les soins ambulatoires qui doivent répondre à des transferts d'activités et de prescription depuis l'hôpital et à une forte augmentation de la demande et des besoins.

La gestion par la CNAM des soins ambulatoires va la cantonner dans le rationnement et la réprimande puisque avec le principe des enveloppes globales par secteur d'activités, les professionnels seront obligés de travailler plus pour gagner moins. Avec les tarifs flottants, les lettres-clés flottantes, c'est le régime de la sanction permanente et généralisée. Le président de la CNAM a ainsi qualifié d'ubuesque votre article 17. L'opposition ne manquera pas de saisir le Conseil constitutionnel sur ce point.

M. Jean-Louis Debré - Très bien !

M. Bernard Accoyer - Les professions indépendantes de santé sont très inquiètes. Elles se voient enfermées dans un système qui s'étatise chaque jour davantage, subissant des oukases qui diminuent les tarifs et imposent de nouveaux contrôles.

Là où les lettres-clés flottantes ont été instaurées, elles ont échoué. Votre logique budgétaire mène à sa fin notre système de soins.

Les nouvelles contraintes sur les motifs des arrêts de travail et sur les prescriptions de transport sont incompatibles avec le mode de fonctionnement des caisses et avec le secret médical. Les services de contrôle seront saturés. Ils sont en effet les seuls à pouvoir traiter des données nominatives...

Mme la Ministre - Il n'y a que 50 000 personnes...

M. Bernard Accoyer - ...puisque vous avez réduit l'informatisation à un transfert administratif et financier. C'est une politique de gribouille, tout comme celle qui consiste à faire coexister le mécanisme d'incitation à la cessation d'activités avec la généralisation des conditions d'autorisation d'exercice en France de la médecine par des titulaires de diplômes hors Union européenne.

S'agissant des soins ambulatoires, les dispositions de l'article 16 relatives aux centres de santé, chers à MM. Ralite et Evin ainsi, je m'en aperçois, qu'à Mme Gillot sont d'un autre âge. Ces établissements, emblématiques de la période la plus dogmatique du gouvernement Mauroy, retrouvent soudainement toute votre sollicitude et, passant délibérément sous silence le fait qu'ils sont très dépensiers, vous ne les soumettez, contrairement aux professionnels indépendants, à aucun mécanisme de régulation, ce qui, soit dit en passant, a horrifié le conseil d'administration de la CNAM.

M. Christian Cabal - Clientélisme !

M. Bernard Accoyer - Dans le même esprit, les articles 14 et 15 transfèrent sans vergogne de l'Etat vers l'assurance maladie, la charge du fonctionnement des centres de dépistage du VIH et les centres de planning familial, de même que les dépenses de désintoxication de toxicomanes hébergés ou en établissement. Tout cela illustre bien le désintérêt de ce gouvernement envers la prévention et la santé publique ! Cette attitude est affligeante même si, selon sa méthode habituelle, le Gouvernement nous annonce au même moment un projet de loi de santé publique.

Mme la Ministre - Je me demande quelle attitude est la plus affligeante !

M. Bernard Accoyer - Ce transfert, s'agissant des soins aux toxicomanes hébergés, soulève d'ailleurs une difficulté majeure au regard des dispositions légales sur l'injonction thérapeutique et pourrait se heurter aux contraintes financières de l'assurance maladie.

L'article 17, portant sur la régulation des soins de ville, occupe à lui seul plus de 13 pages du projet ! Autant dire que, plutôt que d'être centré sur les priorités sanitaires et financières, ce texte vise à mettre en place la partition de l'hospitalisation et des soins ambulatoires. Cet article vide de son esprit même la politique conventionnelle, pourtant vieille de près de quarante ans, en organisant l'étatisation des soins ambulatoires, par caisses interposées. Ainsi se poursuit l'assèchement de la démocratie sociale.

Madame le ministre, vous voudriez hâter la fin de notre système médico-social, que vous ne vous y prendriez pas autrement !

Dans ce même article 17, la réduction et la suppression de la participation des caisses aux cotisations sociales des professionnels conventionnés est l'une des mesures qui illustrent le mieux vos intentions, avec les lettres-clés flottantes et les règlements conventionnels minimaux multipliés à l'envi par M. Evin. Il en est de même des primes octroyées pour ce que vous désignez comme des contrats de bonnes pratiques, incompatibles avec le principe même du serment d'Hippocrate.

Quant à l'ONDAM -658,3 milliards- après vos dénégations des années passées, vous prenez enfin en compte le montant des dépenses d'assurance maladie réalisées... que vous ne connaissez évidemment pas ! Cela vous conduit à proposer un taux artificiel. Ne croyez-vous pas qu'il serait plus clair et plus honnête de partir de l'objectif de l'année précédente ? Quoi qu'il en soit, l'ONDAM est fixé au hasard ou à votre convenance, sans analyse des besoins. Pourquoi 4,1 %, et non pas 2 ou 6 % ? Et surtout, pourquoi des taux différents pour les soins ambulatoires -2 %-, pour l'hospitalisation privée -2,2 %- et pour l'hôpital public -2,4 ou 2,5 % ?

Madame le ministre, selon votre formule, l'hôpital serait « dans les clous ». En réalité, il va mal. Ses personnels sont eux aussi inquiets et les conditions de fonctionnement s'y dégradent. Pourtant, comme pour les retraites, vous remettez à plus tard les mesures, comme l'a signifié le conseil d'administration de la CNAM. Votre responsabilité était déjà engagée : elle le sera plus encore avec l'étatisation que vous lui imposez. En outre, alors que les salaires pèsent déjà pour 75 % dans leur budget, ils augmenteront d'environ 8 %, soit de plus de 20 milliards, avec les 35 heures.

En ce qui concerne le médicament, contrairement aux allégations du Gouvernement, c'est un retour au pouvoir discrétionnaire du ministère auquel nous assistons, avec tout ce que cela peut comporter d'arbitraire et, in fine, des déremboursements sans logique sanitaire, sur le dos des familles. La CNAM proposait tout autre chose !

Mme la Ministre - C'est honteux !

M. Bernard Accoyer - Pour les cliniques privées auxquelles vous avez imposé des baisses tout à fait injustes de tarifs, malgré les contraintes techniques et sanitaires, et malgré les 35 heures, vous agissez en sorte d'en conduire beaucoup à la faillite.

S'agissant de la branche famille, ce projet vient, hélas, confirmer le désintérêt du Gouvernement à son égard. Dès 1997, les familles ont été votre cible privilégiée : mise sous condition de ressources des allocations familiales ; abaissement du quotient familial, qui leur a coûté 4 milliards ; baisse de l'AGED ; réduction de la déduction fiscale pour l'emploi d'une personne à domicile ; plafonnement de la demi-part accordée aux veuves ayant élevé seules un ou plusieurs enfants... Cette année, elles auront droit, avec l'article 7, à une diminution de la revalorisation des bases mensuelles d'allocations familiales ! En outre, aux termes de l'article 8, elles devront renoncer au relèvement de 20 à 21 ans de l'âge ouvrant droit à l'aide personnalisée au logement, à l'allocation d'éducation spéciale et à l'allocation de parent isolé.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille - C'est incroyable ! Et le gel des prestations ?

M. Bernard Accoyer - Quant à la garantie de ressources, il s'agit avec l'article 9 de revenir sur les dispositions de la loi de 1994 qui prévoyaient que les recettes de la branche augmenteraient au même rythme que le PIB en francs courants. Or, la garantie proposée est «temporaire», elle se limite à la période 1998-2002...

De surcroît, l'essentiel de cette garantie sera absorbé par le transfert à la CNAF de la traditionnelle majoration de l'allocation de rentrée.

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteur - Rappelez donc quel en était le montant lorsque vous étiez au pouvoir !

M. Bernard Accoyer - Une politique ambitieuse de la famille devrait commencer par une réforme libérant la branche famille des charges indues que représente la gestion du RMI, de l'AAH, du Fonds d'action sociale des travailleurs immigrés et de leur famille, de l'allocation logement destinée aux adultes, etc., soit quelque 34 milliards (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Madame le rapporteur, voilà du travail pour vous : éviter ce fardeau aux familles !

Mais c'est une constante depuis trois ans : la femme et l'enfant, c'est-à-dire les plus faibles, sont laissés pour compte. Ainsi les marges de man_uvre disponibles, en l'occurrence entre 6 et 8 milliards, ont été mises à la disposition des pacsés. Dans le même temps, le Gouvernement refuse de servir les allocations familiales dès le premier enfant et refuse aussi la déductibilité des indemnités maternité (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Enfin, s'il est une branche dont il est urgent de régler les difficultés, c'est bien la branche vieillesse. Or, ce projet de 80 pages ne lui consacre qu'un seul article d'environ vingt lignes. Quel symbole ! Et encore, sur ces vingt lignes, quatre sont consacrées à exonérer de toute solidarité le régime de retraite des agents des chemins de fer secondaires qui compte 10 962 retraités titulaires de droits propres et 9 500 de droits dérivés.

Cette année, le Gouvernement frappe à nouveau la branche vieillesse. Il ose évoquer le Fonds de financement de la retraite par répartition dans lequel il n'a toujours rien mis, et pour cause puisqu'il est né ce matin ! Son financement par des excédents à venir est purement hypothétique, d'autant que le FSV devrait, si j'ai bien compris, être mis à contribution pour 5,6 milliards !

La contribution sociale de solidarité des sociétés, la fameuse CSSS, destinée à sauver les caisses des artisans et commerçants mises à mal par la grande distribution, et le Fonds de solidarité vieillesse, destiné à financer les cotisations vieillesse des chômeurs, ont été créés par des gouvernements de droite pour consolider les régimes de retraite. Depuis le retour de la gauche, et avec ce projet de loi de financement, ces fonds sont détournés de leurs objectifs. Cela fait maintenant onze ans que M. Rocard s'inquiétait de l'avenir des retraites et les seules décisions qui se profilent se résument à l'abrogation de la loi sur les fonds de pension, proposée par la commission de finances... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mme la Ministre - Et vous, qu'aviez-vous fait ?

M. Bernard Accoyer - Je vais vous répondre ! Grâce au livre blanc qu'il avait lui-même commandé, M. Rocard savait en 1989 que, s'il ne prenait pas les décisions qui s'imposaient, il condamnerait les retraites. Mais c'est M. Juppé qui, en 1993, alors que M. Balladur était Premier ministre, a réformé le régime de retraite des salariés du privé -réforme que, je pense, vous ne connaissez pas ; sinon, vous sauriez quelle grande injustice persiste dans ce pays ! Je vous dirai donc qu'il s'agissait de porter la durée de cotisation de ces salariés de 37 ans et demi à 40 ans et de calculer la pension, non plus sur la dernière année de salaire mais sur la moyenne des 25 dernières années. Où est l'injustice, demanderez-vous ?

En 1995, le gouvernement d'Alain Juppé a décidé d'évaluer le coût des retraites des régimes de la Fonction publique et des régimes spéciaux, ce qui vous a conduits à hurler dans la rue avec les loups et a déclenché une grève qui a empêché d'évaluer le coût des retraites (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). En 1997, le même Premier ministre a fait voter une loi qui existe déjà dans des pays comparables au nôtre, autorisant la création de fonds de pension, ce qui a déclenché à gauche une réaction hystérique. Depuis lors nous avons assisté ici l'an dernier à un ballet entre le Gouvernement et le groupe communiste, qui voulait absolument abroger la loi.

Les conséquences de votre paralysie et de votre aveuglement, on les connaît (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) : les entreprises et les salariés français travaillent chaque jour un peu plus pour financer les retraites des salariés scandinaves, canadiens, britanniques, américains... Il s'agissait pourtant d'instaurer une sorte de capitalisme populaire, notion devant laquelle vous êtes mal à l'aise. En fait, vous savez bien que les fonds de pension sont indispensables, mais vous préférez parler d'épargne-retraite, ce qui revient au même. Alors, dans l'intérêt des salariés, faites-le et faites-le vite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme Odette Grzegrzulka - Docteur Folamour !

M. Bernard Accoyer - Or, le Gouvernement frappe encore les organismes de retraite, alors que l'avenir des retraites est totalement incertain. C'est bien dans ce domaine que le travail des partenaires sociaux et le courage politique peuvent permettre de sortir de l'impasse. Sachez, en dépit de votre frilosité, que la pyramide des âges fait nécessairement que la retraite par répartition à laquelle nous sommes tous attachés, ne peut être sauvée que si un système par capitalisation vient l'épauler. Or dix ans au moins sont nécessaires pour mettre en place un système par capitalisation. Votre responsabilité sur ce point est immense.

Vous pourrez vous rattraper en votant l'un des 30 amendements communs à l'opposition, qui ouvre à tous les salariés la possibilité d'adhérer au régime complémentaire par capitalisation dont bénéficient les salariés et anciens salariés du secteur public depuis 1967, géré par les partenaires sociaux et créé à l'époque où le plein emploi était réalisé et où les salaires étaient plus élevés dans le secteur privé que dans la fonction publique. Depuis lors, tout a changé. Nous n'ôtons rien, par notre proposition, aux salariés de la fonction publique, nous voulons simplement placer ceux du privé à égalité avec eux. Je suis sûr que, par esprit d'équité, vous accepterez notre amendement.

En conclusion, ce PLFSS est détourné de son objet. Il sert, de façon hypothétique et partielle, avant tout à financer les 35 heures, au mépris de la santé et des retraites des Français. Il est impossible de l'examiner tant qu'il ne tiendra pas compte des vrais besoins sociaux de la nation. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote.

M. Jean-Pierre Foucher - Cette question préalable est grosse de vraies questions. Est-il normal que le PLFSS soit le support législatif du financement des 35 heures ? C'est un détournement de PLFSS. Est-il normal que ce projet devienne une annexe du budget de l'Etat ? C'est un détournement de fonds sociaux. Est-il normal que le PLFSS ne contienne pas les mesures propres à garantir notre système de retraites ? C'est un détournement de la confiance que les retraités placent dans le gouvernement de la France. Est-il normal que le PLFSS ne finance pas les dépenses de santé avec les taxes sur le tabac ? C'est du détournement de taxe. Est-il normal que par ce PLFSS le Parlement ne puisse pas exercer sa fonction de contrôle de la gestion des différentes branches ? C'est du détournement de procédure. Est-il normal que le PLFSS impose un nouveau système de sanction contre les praticiens par la création de lettres-clés flottantes ? C'est un détournement de la maîtrise médicalisée vers la maîtrise comptable. Est-il normal que le PLFSS lève le secret médical ? C'est un détournement de la liberté de prescription. Est-il normal que le PLFSS ne propose pas de choix sanitaires et sociaux ? C'est un détournement législatif.

Voilà le contenu de cette question préalable, que le groupe UDF votera (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Patrick Delnatte - Le groupe RPR soutiendra cette question préalable très argumentée et éclairante.

D'abord le PLFSS est détourné de son objet initial. Il devient un instrument de gestion des finances publiques qui relèvent du budget de l'Etat. Il est avant tout un instrument de financement des 35 heures (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Alfred Recours, rapporteur - Pas du tout ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Patrick Delnatte - ...avec d'ailleurs une impasse de 19 milliards.

En second lieu, la partition du système de soins entre l'hospitalisation et la médecine de ville va conduire à une baisse de la qualité des soins.

Ensuite, la famille est délaissée.

Enfin, sur les retraites, la mystification continue. Vos mesures demeurent hypothétiques alors que le système de retraite sera dans l'impasse dès 2005.

Voilà pourquoi nous voterons la question préalable.

M. le Président - Sur la question préalable, je suis saisi par le groupe RPR d'une demande de scrutin public.

M. Pascal Terrasse - Le déficit de la Sécurité sociale a été divisé par sept en deux ans. En 1997, le plan Juppé prévoyait un excédent de 14 milliards. Or nous avons trouvé un déficit de 35 milliards (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Bernard Accoyer - En 1993 c'était 100 milliards !

M. Pascal Terrasse - Le redressement que nous avons opéré a été obtenu sans augmenter les prélèvements, alors qu'en 4 ans la droite avait accru les prélèvements fiscaux de 200 milliards. Ce PLFSS ne comporte lui non plus ni accroissement des prélèvements ni baisse des prestations (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Bernard Accoyer - Il y a des déremboursements de médicaments !

M. Pascal Terrasse - Faut-il rappeler que l'ONDAM a été calculé sur la base des dépenses constatées et que l'enveloppe du secteur social et médico-social augmente de 4,9 % ?

La droite ne voulait pas de la réduction du temps de travail. Nous l'avons faite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Elle n'a pas fait non plus la réduction des charges sociales ; c'est nous qui nous en sommes chargés ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Nous faisons le choix de la sauvegarde des retraites, vous faites celui des placements financiers ! (Mêmes mouvements) Le Premier ministre s'appuie sur un diagnostic et sur le dialogue avec les partenaires sociaux. M. Accoyer, lui, veut à la fois le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) : c'est le « Monsieur Plus » de l'opposition, qui ne dit jamais comment financer ses projets !

Le groupe socialiste ne votera pas la question préalable de M. Debré, qui n'était d'ailleurs même pas présent tout au long de sa discussion ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Louis Debré - Si, justement ! Vous dites n'importe quoi !

M. Bernard Perrut - Le groupe DL s'associera à la question préalable du groupe RPR. L'analyse fine et complète à laquelle vient de se livrer Bernard Accoyer est de nature à convaincre certains membres de la majorité. Il a montré, en effet, combien ce projet était irréaliste, voire hypocrite, car une politique sociale ne vaut que si elle est financée, à moyen comme à long terme. Las ! Votre logique est une logique purement budgétaire, une logique de création d'impôts nouveaux, qui aggravera les charges des entreprises, obligera la ménagère à payer son paquet de lessive plus cher (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et conduira les agriculteurs à augmenter leur production !

Ce projet ne tient pas compte des vrais besoins sociaux. Il met en péril l'hôpital et les soins ambulatoires, ignore la famille et incarne, s'agissant des retraites, la politique de l'autruche : vous attendez 2002 pour avoir, peut-être, le courage de prendre les mesures qui s'imposent dès aujourd'hui. Je conclurai avec Démosthène ("Ah !" sur les bancs du groupe socialiste) : « tout bon citoyen doit préférer les paroles qui sauvent aux paroles qui plaisent » (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

Mme Muguette Jacquaint - Le groupe communiste votera contre la question préalable comme il a voté contre l'exception d'irrecevabilité : il y a bien lieu de délibérer, selon nous, d'une question aussi importante que l'avenir de la protection sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

A la majorité de 111 voix contre 37 sur 148 votants et 148 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée.

M. le Président - Nous abordons la discussion générale.

M. Jean-Luc Préel - L'existence de ce débat est un indéniable progrès démocratique, dont il faut remercier Alain Juppé et Jacques Barrot. Enfin, nous pouvons nous prononcer sur la politique sociale, dont les dépenses sont supérieures au budget de l'Etat. Nos pouvoirs réels sont cependant limités, par l'article 40 en particulier, mais aussi par le fait que nous ne votons pas la répartition de l'ONDAM et ne sommes même pas informés des critères de cette répartition. Je souhaite néanmoins exprimer, avec une certaine solennité, nos craintes et notre angoisse.

Nous sommes à la croisée des chemins. Notre protection sociale repose, depuis l'origine, sur le principe de la gestion paritaire. La loi de 1994 et les réformes d'Alain Juppé ont conforté l'autonomie des branches et jeté les bases de la contractualisation : entre l'Etat et les caisses, entre les caisses nationales et les caisses locales, entre les caisses et les professionnels. Or, Madame la Ministre, vous n'avez jamais respecté cette autonomie, et n'avez cessé d'intervenir à temps et à contretemps. Vous essayez régulièrement de passer en force, comme le montre le véritable hold-up que vous avez tenté sur les organismes sociaux contre l'avis unanime des conseils d'administration, mettant en péril le paritarisme qui est à la base de notre protection sociale.

L'UDF ne veut ni d'une étatisation de la sécurité sociale, ni d'une privatisation qui alourdirait les coûts de gestion et aboutirait inéluctablement à la sélection des malades et à celle des médecins. Elle veut affermir et améliorer notre protection sociale, en responsabilisant chacun dans le cadre d'une régionalisation permettant une politique de proximité et le développement de la prévention.

La présentation des comptes est-elle sincère ? Je vous félicite, Madame la Ministre, de votre brillante communication, grâce à laquelle nul ne met en doute que vous ayez, comme vous le dites, équilibré les comptes sans prélèvements supplémentaires.

Mme la Ministre - Heureusement que vous êtes là ! Quel talent !

M. Jean-Luc Préel - Or, si le déficit total est en réalité de 5 milliards...

Mme la Ministre - 4 !

M. Jean-Luc Préel - ...celui de l'assurance-maladie aura atteint, cette année, 12,3 milliards, contre 9,6 l'an dernier, et ce malgré 5 milliards au moins de prélèvements supplémentaires. Les retraités assujettis à la CSG en savent quelque chose, surtout ceux dont les pensions sont modestes ! En outre, de nombreux reports de crédits ne sont pas comptabilisés, notamment au niveau des hôpitaux, dont l'activité a augmenté : vous aimez à dire qu'ils sont restés « dans les clous », mais comment en serait-il autrement, puisqu'ils perçoivent leurs dotations par douzièmes et que les ARH ne disposent, paraît-il, d'aucune réserve ? Enfin, les comptes ne sont toujours pas présentés en droits constatés, comme si un particulier ne tenait pas compte des chèques qu'il a émis les jours précédents.

Le chapitre des recettes prévisionnels est totalement inacceptable, dans la mesure où il comporte de nombreux transferts du budget de l'Etat, revient sur le principe de la compensation intégrale des exonérations de charges et ne respecte pas l'autonomie de gestion des organismes sociaux.

Tout au long de la discussion du projet sur les 35 heures, vous avez refusé de préciser les modalités de son financement. Celles-ci sont en principe contenues dans le présent projet, qui a été présenté au Conseil d'Etat et au Conseil des ministres, a été imprimé, puis discuté en commission des affaires culturelles le 19 octobre. A cette occasion, son président s'est empressé de demander la réserve de l'article 2, relatif aux recettes, arguant du fait que les discussions étaient en cours. Si ce n'est pas de l'improvisation, qu'est-ce ?

Nous sommes en désaccord complet avec les mesures prises. Pour nous, l'Etat doit compenser la totalité des exonérations qu'il a décidées, sans quoi il met en péril l'équilibre des branches. La loi de 1994 était un progrès, vous proposez de revenir en arrière. Le transfert de la taxe sur les tabacs n'est pas davantage acceptable.

Selon nous, celle-ci doit être versée à la branche maladie, pour financer les dépenses induites par les soins aux fumeurs, mais devrait surtout être affectée à une véritable politique de prévention, notamment à l'école.

Nous sommes opposés à la création d'un nouvel impôt sur les bénéfices des entreprises qui devrait rapporter 4,3 milliards. Vous dites vouloir favoriser les créations d'entreprises et diminuer les charges qui pèsent sur elles, et voilà que vous créez un nouvel impôt, sans parler de la taxation des heures supplémentaires pour 7 milliards.

M. Alfred Recours, rapporteur - Vous êtes contre tout ce qui assure l'équilibre.

M. Jean-Luc Préel - Nous sommes contre tout ce qui pèse sur le travail !

Que dire de l'affectation de la taxe sur les activités polluantes au financement des 35 heures ? Cette taxe, qui devrait rapporter 3,2 milliards, devrait servir à améliorer l'environnement, par exemple en l'affectant à la mise aux normes des élevages. En réalité, vous instituez un droit à polluer pour améliorer la santé. Plus nous utiliserons de lessive, mieux la Sécurité sociale se portera. C'est un comble.

J'en viens au fameux hold-up sur les organismes de protection sociale que vous avez tenté de réaliser jusqu'à hier.

Les réserves de l'UNEDIC doivent servir à mieux indemniser les chômeurs, ou à diminuer les cotisations. Si les régimes complémentaires de retraite sont à l'aise, c'est parce que leurs gestionnaires ont pris des mesures difficiles, et vous savez bien que l'avenir de ces régimes n'est pas assuré.

Alors, comme vous êtes en pleine improvisation et que la pilule passe mal, subitement vous trouvez un arrangement. Sous la pression des organisations syndicales unies, vous avez renoncé au prélèvement UNEDIC et improvisé un montage très complexe qui consiste à affecter la taxe sur les alcools au fonds de solidarité vieillesse pour financer les trente-cinq heures, tout en maintenant, semble-t-il, le prélèvement de 5,6 milliards sur la protection sociale que vous affectez au même fonds.

Après l'improvisation, voici la reculade mais les trente-cinq heures ne sont toujours pas financées de manière pérenne.

M. Alfred Recours, rapporteur - Si !

M. Jean-Luc Préel - Elles le sont sans doute grâce à l'amendement que vous avez fait voter en commission et qui consiste à ponctionner la branche accident du travail de 7 milliards qui seront affectés à la branche maladie. Nous verrons quel sort le Gouvernement réservera à cette proposition.

M. Alfred Recours, rapporteur - C'est pour compenser le hold-up du MEDEF sur la branche maladie !

M. Jean-Luc Préel - D'autre part, le présent projet ne prépare pas l'avenir.

Vous n'avez pas de politique familiale, alors que certains, comme la Suède, nous ont donné l'exemple. Après avoir pris des décisions contradictoires, -mise sous conditions de ressources, puis rétablissement de l'universalité des allocations familiales- vous avez réduit l'AGED puis abaissé le quotient familial.

Vous ne simplifiez ni les 23 prestations, ni les 15 000 références existantes totalement ingérables et inexplicables aux bénéficiaires.

Vous proposez seulement de prolonger l'attribution du complément familial et l'aide au logement jusqu'à 21 ans. Mais, dans le même temps, vous abrogez la loi de 1994 qui prévoyait le maintien des prestations au-delà de 20 ans, âge auquel les enfants coûtent le plus aux familles.

Mme la Ministre - 14 milliards de déficit !

M. Jean-Luc Préel - Vous augmentez les prestations familiales de 0,5 % alors que l'inflation prévue est de 0,9 % et que l'augmentation du PIB, qui comprend les loyers, augmenterait de 1,2 %. Donc, au lieu d'un coup de pouce, il s'agit d'une perte de pouvoir d'achat programmée pour les familles.

En ce qui concerne la retraite, le rapport Charpin a confirmé les données démographiques connues de tous.

Si le régime général, grâce aux mesures courageuses prises par Edouard Balladur et par Simone Veil, est à peu près équilibré, le problème majeur reste celui des régimes spéciaux. Il leur manquera, en 2015, près de 350 milliards par an à législation constante.

Et pourtant, vous ne décidez rien et vous demandez d'attendre encore. Est-ce raisonnable ?

Vous avez créé, il est vrai, un fonds de réserve virtuel en 1998, mais les fonds ne sont toujours pas versés.

M. le Ministre - Si, c'est fait.

M. Jean-Luc Préel - Il vous aura fallu un an pour abonder de 1 milliard un fonds virtuel !

Bien que la branche soit excédentaire, vous ne proposez qu'une augmentation de 0,5 %, bien inférieure à celle du prix implicite du PIB, alors que le pouvoir d'achat des retraités, compte tenu de la CSG, a diminué au cours des dernières années.

Il est urgent d'entreprendre des réformes et de conforter la retraite par répartition en accroissant l'autonomie de la branche pour laisser les partenaires sociaux définir les prestations en fonction des cotisations.

Nous demandons que soit créée une caisse de retraite des fonctionnaires, gérée paritairement par l'Etat et par les syndicats. Nous réclamons l'harmonisation progressive des règles appliquées dans les divers régimes. Nous insistons pour la mise en place effective d'un troisième étage : l'épargne retraite. Votre immobilisme est une faute grave.

J'en arrive à la branche maladie.

Nous nous dirigeons à grands pas vers l'étatisation et les comptes ne sont pas maîtrisés. Les hôpitaux, dont l'activité augmente, sont financièrement étranglés, les libéraux sont désabusés, des spécialités indispensables sont sinistrées, la prévention est toujours embryonnaire, la CMU va accroître les dépenses tout en menaçant l'équilibre entre régime de base et assurances complémentaires sur lequel repose notre protection sociale.

Vous proposez trois mesures principales, dont aucune ne contribuera à améliorer la santé de nos concitoyens ni la qualité des soins.

Tout d'abord, vous proposez de confier la gestion de l'ambulatoire à la CNAM. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler vos divergences avec cette caisse, mais l'article de M. Spaeth en dit long ! Mais cette mesure n'est qu'apparente, car vous placez de multiples «garde-fous». Vous proposez à la CNAM d'endosser les mesures impopulaires, vous gardant la possibilité de trancher en dernier ressort.

Mme la Ministre - Enfin, vous dites la vérité.

M. Jean-Luc Préel - Dans le même temps, vous conservez la haute main sur les hôpitaux, le médicament et vous récupérez les cliniques. Alors que chacun réclame la fongibilité des enveloppes, vous tracez une frontière supplémentaire. Ce n'est pas un progrès !

Par exemple, qui sera responsable des réseaux ville-hôpital, de l'hospitalisation à domicile, des prescriptions effectuées aux urgences ou aux consultations hospitalières ?

Comme, en outre, vous mettez à mal la gestion paritaire, vous nous conduisez tout droit, hélas, à l'étatisation de notre Sécurité sociale.

Deuxième mesure : vous instituez les lettres-clés flottantes, qui sont le comble de la perversité parmi les sanctions collectives. Elles ont échoué en Allemagne, et ne sont pas acceptables car elles nient toute qualité des soins. Pire, le médecin dit « vertueux » qui voit deux malades à l'heure parce qu'il prend le temps de les écouter, sera pénalisé ! De plus, les laboratoires et les cabinets de radiologie, sont en réalité des PME, qui ne peuvent voir leur budget remis en cause tous les 4 mois.

Par ailleurs, vous faites des propositions tendant à saucissonner les professions médicales par spécialités, sous-spécialités, prévoyant même des adhésions individuelles selon la méthode bien connue : diviser pour régner. Il ne s'agit pourtant pas de régner mais de retrouver la confiance des professionnels. Aucune réforme ne peut se faire contre eux.

Troisième mesure : l'augmentation de l'ONDAM qui, passant de 629,8 milliards à 658,3 milliards, augmente, non de 2,5 % mais de plus de 4,1 %. Pourquoi cette différence ? Parce que vous changez la règle du jeu pour prendre en compte le réalisé.

Je ne vous soupçonne pas d'avoir des arrière-pensées, mais cela vous gêne d'afficher une augmentation supérieure à 4 % pour une inflation à 0,9 % alors que vous annoncez une maîtrise des dépenses. Sur le fond, vous avez raison de tenir compte de la réalité. Du reste, nous vous avions dit l'année dernière que l'ONDAM 1999 n'était pas raisonnable, puisqu'il était négatif pour les spécialistes.

Le reproche essentiel que l'on peut adresser à l'ONDAM est de ne pas tenir compte des besoins puisqu'il est fixé de manière comptable en appliquant un taux au chiffre de l'année précédente. Comment répartirez-vous les enveloppes régionales ? Selon quels critères ? A quelle vitesse allez-vous corriger les inégalités ?

Permettez-moi d'insister sur les spécialités sinistrées. Nous manquons de spécialistes dans des disciplines indispensables : anesthésistes, pédiatres, gynécologues par exemple. Vous publiez des décrets sur la sécurité, c'est bien. Mais, demain, nous devrons procéder à des restructurations hospitalières par manque de spécialistes et non pour des problèmes de santé publique. Les réformes prévues sont très insuffisantes. Il faut revoir le statut du praticien hospitalier.

D'autre part, notre système de soin est orienté vers le curatif, mais nous négligeons la prévention et l'éducation à la santé : multiples intervenants, manque de coordination et de moyens. 12 500 F par an et par habitant sont consacrés au soin, 17 F à la prévention et 250 F à la médecine préventive.

Il convient de prendre en considération les besoins au niveau de la région, de coordonner les différents intervenants en créant une agence nationale décentralisée au niveau régional, et de voter conjointement à l'ONDAM une enveloppe destinée à la prévention.

Pour conclure, trois possibilités s'offrent à nous : l'étatisation, vers laquelle vous nous conduisez ; la privatisation que certains souhaitent ; l'UDF, pour sa part, prône une troisième voie, la seule raisonnable, à savoir la sauvegarde et l'amélioration de notre protection sociale.

Certes, notre système est relativement coûteux, mais son déficit, encore important -12 milliards- ne représente que 2 % du total. Dans n'importe quelle entreprise, il est facile de gagner 2 % si chacun fait un effort.

C'est pourquoi l'UDF réclame un «Grenelle de la santé», afin que chacun contribue à la sauvegarde et à l'amélioration de notre système. La solution consiste à responsabiliser chacun des acteurs, mais surtout à régionaliser, afin de mener une politique de santé de proximité. La régionalisation permet d'identifier les besoins grâce aux observatoires régionaux de santé, de juger de l'adéquation de l'offre aux besoins à l'occasion des conférences régionales de santé, à condition qu'elles réunissent toutes les personnes concernées tout au long de l'année.

La régionalisation favorise aussi une gestion responsable grâce à la création d'agences régionales de santé regroupant ARH, URCAM, agences régionales de prévention et conseil régional.

Votre projet de loi, Madame la ministre, n'emporte pas notre adhésion. Nous espérons que les débats permettront de l'améliorer. Nous avons d'ailleurs déposé de nombreux amendements. Mais, en l'état, nous désapprouvons le volet recettes et nous déplorons que votre projet ne prépare pas l'avenir : absence de politique familiale et réforme des retraites, évolution prévisible de la branche santé vers l'étatisation.

Je vous remercie par avance, Madame la ministre, de la bienveillance dont vous ferez certainement preuve à l'égard de nos amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Bernard Charles - Contrairement à M. Préel, nous nous réjouissons de la réduction du déficit de la Sécurité sociale sans baisse des remboursements ni hausse des cotisations et nous vous félicitons, Madame la ministre, pour le redressement des comptes, certes amplifié par la croissance, mais qui découle de votre politique.

S'agissant des ressources, le calcul de l'évolution de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie sur la base des dépenses prévues en 1999 donne de la crédibilité à l'estimation mais prive de la possibilité d'un éventuel rattrapage lié à un possible dépassement de l'ONDAM de l'exercice en cours. Il faudra y veiller si ce mode de calcul devait être pérennisé.

Les Radicaux sont favorables depuis longtemps à une réforme des cotisations sociales patronales fondée sur un élargissement de l'assiette. Nous vous félicitons par conséquent de la mesure intervenue en ce sens pour les sociétés qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions.

En ce qui concerne la branche maladie, vos orientations permettent de répondre aux besoins de soins, tout en restant efficaces au point de vue médical et socialement justes. Dans la continuité de la conférence nationale de la santé, un objectif ambitieux de santé publique a été tracé. De même, les états généraux de la santé prévus pour mars 2000 poursuivront la démarche qui tend à placer l'assuré au c_ur du système. La démocratie sanitaire reste en effet à inventer ; elle doit reposer sur la participation des citoyens et sur une concertation de fond nationale, régionale et locale.

Sur le plan local, il serait bon que les élus locaux et les usagers soient représentés au sein des comités exécutifs des agences régionales d'hospitalisation et qu'il en soit de même dans les comités régionaux d'organisation sanitaires. Nous attendons de telles évolutions dans le projet de loi de modernisation du système de santé.

S'agissant de la régulation des soins de ville, nous ne sommes pas opposés à son transfert aux caisses d'assurance maladie, à condition qu'elles soient dotées des outils nécessaires pour exercer ces nouvelles missions. Devons-nous conclure des déclarations récentes du président de la CNAM que celle-ci a peur d'assurer de nouvelles responsabilités ?

L'effort de clarification ainsi entrepris recueille notre accord, sous réserve que la dichotomie entre la médecine de ville et l'hospitalisation ne porte pas atteinte à la cohésion de notre système de santé. Nous serions plutôt favorables à une évolution des agences régionales d'hospitalisation en agences régionales de santé, auxquelles serait confiée la responsabilité de l'ensemble des enveloppes sanitaires et médico-sociales. Grâce, Madame la ministre, à votre action tendant à encadrer les ARH, les choses avancent, alors même que nous nous étions élevés contre leur création.

J'en viens à la question de la sécurité sanitaire et à la politique du médicament. Comme l'a rappelé le rapporteur Evin, la réforme intervenue dans le domaine du médicament est sans précédent et nous en partageons tous les objectifs. Il reste qu'une réflexion devrait s'engager sur la politique industrielle du médicament, l'industrie pharmaceutique nationale présentant un degré de concentration que nous jugeons excessif.

La réforme du tarif interministériel des prestations sanitaires permet de mettre fin à un système archaïque. Il est, en effet, logique que le remboursement des produits de santé intervienne sur la base d'une évaluation de leur efficacité médicale même si cette évolution risque d'entraîner des difficultés de gestion dans les prochains mois. Pour répondre au double objectif de démocratisation et de renforcement de la sécurité sanitaire, il est enfin indispensable que l'agence française des produits de santé se dote d'une banque de données sur les médicaments et les dispositifs, largement accessible, indépendante des sociétés commerciales.

S'agissant pour conclure de l'hospitalisation, le taux d'évolution de l'enveloppe est fixé à 2,4 %. Il faudra sur cette base de reconduction des moyens faire face aux mesures nouvelles et aux réformes structurelles déjà engagées, avec notamment, une volonté de modification des règles d'allocation des ressources entre les établissements. L'échelon régional semble le plus pertinent dans le cadre de cette réforme, en ce qu'il est le plus à même de connaître les spécificités locales devant inspirer la répartition des ressources.

Pour réussir la réforme de l'hospitalisation, il faut renforcer les moyens nécessaires à la recomposition du paysage hospitalier et, le cas échéant, développer les fonds de restructuration.

Il est de même indispensable que l'objectif quantifié national des cliniques privées soit enfin déclaré en objectifs régionaux. Il faut enfin poursuivre la politique de réduction des inégalités et affiner les outils d'analyse et de comparaison des établissements de santé.

Voilà, Madame la ministre, les orientations que nous défendons et que vous portez. Nous serons derrière vous dans ce débat.

M. François Goulard - A entendre les orateurs précédents, s'il y a un point positif dans la réforme de 1996, c'est d'avoir introduit au sein de notre Parlement ce débat annuel sur l'avenir de notre protection sociale...

M. Bernard Accoyer - Toute la gauche a pourtant voté contre !

M. François Goulard - ...malheureusement, votre projet de loi n'est pas à la hauteur de cette ambition. Il évite en effet toutes les questions de fond, qu'il s'agisse de l'avenir des retraites, de la pérennité de l'assurance maladie ou de la politique familiale. Tout est vu par le petit bout de la lorgnette.

Mme la Ministre - Nous n'avons pas votre hauteur de vue !

M. François Goulard - Votre projet a la pauvre allure d'une loi portant DMOS. Il accumule les détails techniques mais passe à côté de toutes les grandes réformes qui seraient nécessaires. C'est un texte de ravaudage, empreint d'un conservatisme foncier, qui ressasse de fausses solutions usées jusqu'à la corde, dans le seul but d'atteindre en paix les prochaines échéances électorales.

Mais l'artifice atteint aujourd'hui ses limites et à force de patauger, il est un moment où le pied vient à manquer.

C'est ce qui s'est produit sur la question du financement des trente cinq heures qui butte sur la résolution des partenaires sociaux.

Une chose est d'amuser la galerie avec de grandes réformes. Une autre est d'affronter avec tout le courage voulu les vraies questions.

Le premier grand sujet que vous n'avez cessé d'esquiver est celui du financement des retraites qui devrait être pourtant votre priorité absolue.

M. Bernard Accoyer - Quelle responsabilité !

M. François Goulard - Dès 2006, le régime général de retraite des travailleurs salariés va accuser un déficit de plusieurs dizaines de milliards, qui se comptera à brève échéance en centaines de milliards ! Un tel gouffre financier ne sera pas longtemps supportable et l'augmentation des cotisations sera très vite une parade insuffisante. Lorsque le rapport entre actifs et retraités sera de sept pour dix, imagine-t-on que chaque actif acceptera de consacrer la moitié de son revenu au paiement des retraites ?

M. Bernard Accoyer - Le Gouvernement fait le lit d'un conflit de générations historique !

M. François Goulard - Face à l'urgence, le Gouvernement perd son temps à commander un rapport puis à nommer une mission pour en analyser le contenu.

Peut-on imaginer qu'à la veille des élections de 2002 vous prendrez les mesures qui s'imposent ? Pour l'heure le fonds de réserve est une réponse virtuelle, car il n'est doté que du quart de ce qui lui sera nécessaire pour couvrir le premier déficit sérieux.

Vous ne pourrez pas non plus laisser indéfiniment de côté le problème des régimes spéciaux qui devraient être rapprochés du régime général. Quand celui-ci sera en crise, les Français accepteront-ils encore de telles inégalités ? Quelles concertations -puisque tel est le maître mot de la méthode Jospin- allez-vous engager ? Il est facile d'ironiser sur l'échec du gouvernement Juppé à la fin de 1995.

M. Bernard Accoyer - Il faudrait rappeler les chiffres de 1993 !

M. François Goulard - Je respecte plus le courage politique, même s'il ne réussit pas, que la lâcheté électoraliste (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Il faudra aussi sérieusement se pencher sur cette anomalie française qui veut que nous entrons plus tard dans la vie active pour en sortir plus tôt. Un taux d'activité de 59 % entre 18 et 64 ans ne sera pas compatible demain avec les besoins de financement de nos retraites. Les politiques de mise en préretraite prétendument au nom de l'emploi sont coûteuses en prélèvements obligatoires et néfastes à l'emploi. Et quel paradoxe de vouloir réduire la durée du travail quand il faudra allonger bientôt la durée de la vie active...

Il vous faudra bien enfin braver le tabou de la capitalisation, qui viendra trop tard pour aplanir les difficultés de nos régimes de retraite, mais qui constituera un apport appréciable dans 20 ou 30 ans, quand le financement des retraites sera encore plus difficile qu'aujourd'hui. Les pudeurs de la gauche sont parfaitement hypocrites. Selon elle, la capitalisation joue en faveur des plus riches, de ceux qui peuvent épargner. Mais les salariés les mieux informés, les plus protégés, bénéficient déjà de retraites par capitalisation ou constituent une épargne qui en tiendra lieu. Ce sont les plus modestes, les salariés des PME qui restent à l'écart de ce mouvement d'épargne et qui seront défavorisés demain. C'est pour eux que la création de régimes de retraite par capitalisation attractifs est une urgence.

Oui, il y a urgence à instituer, comme le font la plupart des pays développés, des régimes de retraite par capitalisation, à réformer les régimes de retraite par répartition pour en assurer la pérennité, à revoir les régimes spéciaux. Or sur tous ces points votre projet est muet, à six ans des premières graves difficultés !

Dans le domaine de l'assurance maladie, le mécanisme de sanction collective que vous aviez voulu instaurer l'an dernier n'avait pas trouvé grâce aux yeux du juge constitutionnel. Vous revenez à la charge cette année avec un dispositif apparemment très différent mais qui relève de la même logique. En apparence, vous chargez la caisse nationale d'assurance maladie de la besogne. Par ailleurs, il n'est plus question de reversement en cas de dépassement des objectifs, mais de lettres flottantes. Cela ne trompe personne, et visiblement pas les professionnels de santé qui ont manifesté massivement leur mécontentement.

Mme la Ministre - Massivement...

M. François Goulard - En fait, dans son exercice de contrôle de la dépense, la CNAM demeure sous la tutelle étroite du ministère. En outre, le reversement comme la baisse tarifaire revient à sanctionner financièrement toute une profession au nom du comportement prétendument critiquable de quelques uns. Ces mécanismes sont inacceptables ! S'ils n'étaient pas sanctionnés à nouveau par le juge constitutionnel, ils provoqueraient un vent de révolte chez les professionnels concernés. Vous espérez sans doute que les enveloppes fixées cette année suffiront, grâce à un surplus de recettes, à contenir l'évolution spontanée des dépenses. Mais la méthode n'est pas la bonne. Et les critiques du président de la CNAM sont bien fondées.

Si pour les dépenses de médecine de ville, vous paraissez déléguer davantage à la CNAM, vous reprenez sous tutelle directe l'hospitalisation privée, qui se trouvera désormais, aux côtés de l'hospitalisation publique mais avec des moyens beaucoup plus limités, sous l'autorité directe des agences régionales de l'hospitalisation. C'est une grave régression.

La tutelle directe des hôpitaux, le principe des budgets globaux est un moyen fort commode de tenir les dépenses dans une enveloppe donnée, mais assurément pas d'avoir l'offre de soin la plus efficace. C'est un mode de gestion aveugle, dans lequel coexistent une grave pénurie de moyens dans certains services et des lits inutiles dans d'autres. C'est l'opacité pour le patient -qui est aussi l'assuré social- auquel n'est donnée aucune garantie de la recherche d'efficacité médicale. C'est aussi cette opacité, que traduit l'article 37 de la loi sur la couverture maladie universelle, qui instaure la règle du secret pour la mesure des performances médicales. Toutes ces orientations aboutissent à couper l'hôpital de la médecine de ville quand il faudrait renforcer les liens entre eux.

Surtout, vous faites peser des soupçons injustifiés sur les dépenses de la médecine de ville. Or le premier poste de l'assurance maladie, c'est l'hôpital, où des prestations identiques sont en outre payées à des prix extrêmement différents. Renonçant à une logique strictement comptable, l'assurance maladie devrait devenir un acheteur de soins intelligent. Remettons l'assuré social au centre du dispositif. Faisons en sorte que l'assurance maladie ait réellement pour objectif de lui fournir les meilleurs soins au meilleur prix. Hélas, notre organisation actuelle ne répond pas à un objectif aussi élémentaire. L'assurance maladie n'a aucun pouvoir pour faire évoluer l'hôpital. L'Etat est incapable de fermer un hôpital obsolète, de réduire le nombre pléthorique de lits d'un service, de donner rapidement de nouveaux moyens à des services d'urgence.

Placées devant leurs responsabilités, les caisses d'assurance maladie seraient bien plus à même de remplir ces tâches, de rechercher les solutions les plus intelligentes, d'encourager les coopérations entre les acteurs du système de soins. A l'Etat d'imposer le principe de l'assurance maladie, de fixer les grandes règles, mais qu'il cesse ensuite de vouloir faire ce que les acteurs décentralisés font toujours mieux que lui. C'est dans cette voie que se sont engagés nombre de nos voisins chez qui la protection sociale vaut bien la nôtre et coûte moins cher.

La politique de la famille qui devrait constituer un important volet de ce projet de loi en est hélas presque absente : quelques modifications marginales de prestations, une disposition sur le financement, rien de plus. Pourtant le déficit de naissances condamne notre pays au vieillissement d'abord, au déclin ensuite. Dans le grand jeu de la redistribution, les familles, surtout les plus nombreuses, sont les grandes perdantes. Améliorer leur situation matérielle inciterait pourtant les Français à avoir davantage d'enfants.

Autre absence frappante : celle de la couverture maladie universelle. Pourtant sa mise en _uvre se heurte à des obstacles considérables, au point que son application, prévue pour le 1er janvier 2000, sera différée de plusieurs mois.

Mais il est aussi des présences étonnantes tels les articles 2, 3 et 4. Comment en effet justifier que le financement d'un volet de votre politique de réduction du temps de travail figure dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale ? Quel est le lien entre cette politique et le financement des organismes de protection sociale, « objet unique et exclusif », selon l'ordonnance organique, du présent projet ?

M. Bernard Accoyer - C'est un détournement ! Un hold up !

M. François Goulard - Vous aviez néanmoins souhaité, Madame la ministre, établir un tel lien en pratiquant précisément une ponction sur les finances de la Sécurité sociale. A ce compte, nous aurions pu tout aussi bien parler ce soir du financement de la défense nationale si la fantaisie avait pris au Gouvernement d'y affecter des ressources de la Sécurité sociale ! Mais, pour artificielle qu'elle soit, cette justification ne vaut même plus, puisque nous savons depuis hier soir que vous avez renoncé à faire financer la réduction du temps de travail par les organismes de protection sociale. Dès lors, ce n'est plus qu'une logique personnelle qui nous contraint à examiner les ressources affectées à la réduction du temps de travail. C'est parce qu'un même ministre coiffe l'administration de l'emploi et la Sécurité sociale que nous sommes priés de nous pencher sur un texte réglant le financement des deux !

M. Bernard Accoyer - Très juste ! Mais nous allons aider Mme Gillot..

M. François Goulard - Quelles que soient les critiques de forme, il faut d'abord rappeler à quoi sont affectés les prélèvements mentionnés à l'article 2. On dit couramment qu'ils financeront les 35 heures mais je ne crois pas que cette formulation soit correcte. Elle serait recevable si ce budget couvrait le coût du passage aux 35 heures, mais tel n'est pas le cas...

M. Bernard Accoyer - En effet !

M. François Goulard - Malgré le coût exorbitant -plus de 100 milliards- des financements prévus, on sera loin du compte et ce seront en fait les entreprises -toutes les entreprises- qui financeront la politique imposée de la réduction du temps de travail. Tous les prélèvements nouveaux destinés à payer les allégements des charges sociales seront pour elles des charges supplémentaires -à la seule exception du scandaleux prélèvement de 10 % sur les heures supplémentaires. Faux allégements donc : ce qui est donné d'une main est repris de l'autre ! Et toutes les entreprises payant pour ce qui n'est consenti qu'à quelques-unes, on ne peut en attendre aucun effet bénéfique global. Ainsi on réduit les charges des entreprises versant de bas salaires mais on augmente celles qui pèsent sur les entreprises faisant plus de 50 millions de chiffre d'affaires...

Il faudrait aussi nous expliquer pourquoi la taxe sur les activités polluantes doit financer l'emploi et pourquoi les droits sur les alcools, qu'il était logique d'affecter à l'assurance maladie, compenseront les allégements de charges sociales. Il ressort de tout cela un sentiment de bricolage, d'improvisation.

Quant aux prélèvements sur l'UNEDIC et sur la Sécurité sociale, auxquels vous avez renoncé à la dernière minute -semble-t-il-, j'y vois un exemple d'impréparation rare. En outre, ils atteignaient à un sommet d'incohérence : ne s'agissait-il pas de mettre à la charge de ces organismes la compensation d'allégements de cotisations, constitutifs d'une perte de recettes pour les mêmes organismes ? Comprenne qui pourra !

J'observe au passage que les partenaires sociaux sont si peu convaincus des vertus des 35 heures qu'ils ne comptent pas pour certains les surplus de recettes qu'ils devraient en attendre. Et, par leur résolution à s'opposer à son projet, ils ont conduit la ministre de l'emploi à reculer -ce en quoi elle a bien fait car, ce qui était en cause, c'était le maintien du paritarisme dans la gestion de la protection sociale. Il est heureux que ces mêmes partenaires, faisant preuve d'un sens aigu de leurs responsabilités, ne soient pas allés plus tôt à la rupture. L'épisode ne restera pas, malgré tout, à l'honneur de l'équipe gouvernementale !

Voilà, à grands traits, les raisons qui amènent le groupe Démocratie libérale à porter un regard particulièrement sévère sur ce projet mal bâti, qui ne sert pas les intérêts des assurés sociaux et préserve bien mal l'avenir de notre protection sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Gérard Terrier - Quel écho donner au retrait de la disposition prévoyant une contribution de l'UNEDIC ? Celle-ci ne devant se monter qu'à 7,5 milliards, c'est-à-dire à moins de 0,5 % des 1 800 milliards à quoi s'élève le budget de la Sécurité sociale, on ne peut parler de reculade ou d'échec grave, mais bien plutôt d'une décision responsable, qui permettra d'aborder sereinement l'indispensable discussion sur les relations entre les partenaires sociaux et l'Etat et qui, si besoin était, démontre la capacité d'écoute et la volonté de convaincre de Mme la ministre.

J'avais initialement prévu de parler des avancées qu'organise ce projet, mais d'autres le feront, à la suite des rapporteurs qui les ont déjà brillamment soulignées, et je consacrerai donc mon propos aux problèmes du financement.

De quoi s'agit-il ? De poursuivre une politique de réduction des charges pesant sur les bas salaires, en évitant l'effet de «trappe à bas salaires» caractéristique de la réforme Juppé. Notre volonté est en effet que le plus grand nombre en bénéficie, et de manière inversement proportionnelle à leur revenu. Toutes ces dispositions sont donc parfaitement cohérentes avec les dispositifs adoptés les années précédentes, en particulier avec cette grande réforme que fut le basculement des cotisations sociales sur la CSG.

La réforme des cotisations patronales se poursuit donc ; très nécessaire, elle est également appréciée : la CAPEB n'estimait-elle pas, dans le dernier numéro de sa revue, qu'elle allait «dans le bon sens» puisqu'elle vise à «élargir l'assiette de financement des régimes sociaux» ? (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF)

La critique de l'opposition porte essentiellement sur le financement du fonds d'allégement des charges sociales : 105 milliards en année pleine, 65 milliards pour 2000. Il avait été envisagé de faire contribuer l'UNEDIC pour 7,5 milliards mais, devant le refus de cet organisme, la ministre a dû faire de nouvelles propositions. Celles-ci ont le soutien du groupe socialiste, car elles sont claires et socialement satisfaisantes.

En effet, 5,6 milliards proviendront des droits sur les alcools, initialement destinés au fonds de solidarité vieillesse ; un milliard sera financé par la taxation des heures supplémentaires. Reste à trouver 0,9 milliard sur les 1 800 du budget global : peut-on parler de projet non financé ? Le gouvernement précédent a-t-il jamais fait preuve de la même rigueur ?

Au reste, je suis optimiste quant à ce reste. En effet, l'OFCE prévoit 400 000 emplois supplémentaires et ce budget, ainsi que la loi de finances, est fondé sur une hypothèse de croissance de 2,8 % alors que des voix autorisées laissent espérer près de 3,5 %.

Oui donc, ce projet de loi est financé ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) Nous sommes satisfait que le fonds de solidarité vieillesse reste alimenté comme il avait été annoncé. Son excédent, de 8 milliards, sera amputé de 5,6 milliards mais cela sera compensé par le produit de la contribution sociale de 2 % des entreprises. Le FSV pourra donc alimenter le fonds de réserve pour les retraites.

Je suis convaincu que l'agitation de la droite a pour seul but de masquer aux Français la réalité du financement de la Sécurité sociale, réalité bien meilleure que celle des années noires évoquées par M. Recours. Je me bornerai ici à rappeler quelques chiffres. Alors que, sous la droite, le déficit était de 50 milliards, celui qui a été constaté cette année se limite à 4 milliards et, surtout, ce projet prévoit un excédent. D'autre part, l'ONDAM augmentera de 2,5 % et, fait nouveau, cette augmentation est fondée sur les dépenses constatées, ce qui compte tenu de l'augmentation induite par la croissance, représente un progrès considérable, gage d'une amélioration de la qualité des soins.

C'est pourquoi le Gouvernement pourra compter sur mon soutien et sur celui du groupe socialiste, étant bien entendu que nous ne renoncerons pas à notre devoir d'améliorer ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Bardet - C'est la quatrième année consécutive que nous discutons de ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale et je commencerai par me réjouir qu'après avoir tant critiqué la réforme Juppé, vous ne soyez pas revenue sur cette avancée essentielle pour notre démocratie. Comment en effet pourrait-on se satisfaire qu'un budget au moins égal à celui de l'Etat échappe au contrôle du Parlement ?

Cela étant, je regrette qu'en quatre ans, nous n'ayons pas amélioré notre façon de procéder. Examiner les moyens de financer la protection sociale de nos concitoyens suppose en effet de fixer des objectifs, d'évaluer les coûts et, au besoin, d'opérer des choix. L'aspect médical relevant pour une bonne part de la Conférence nationale de santé, c'est sur le rapport de celle-ci que devrait s'appuyer l'annexe dont l'adoption fait l'objet de l'article premier de ce projet. Comme les autres années, vous allez nous demander de reporter le vote de cet article à la fin de la discussion, ce qui prouve que vos préoccupations sont moins d'ordre sanitaire et social que comptable ! En effet, comment peut-on présenter un tel projet sans avoir inventorié les besoins des Français et, surtout, avoir estimé les coûts ?

Tous les chiffres avancés ne correspondent à aucun objectif. Pourquoi 1 856,3 milliards de dépenses et pas 1 855 ou 1 857 ? Pourquoi l'ONDAM augmente-t-il de 2,5 % plutôt que de 2,6 % ou de 2,4 % ? Une annexe chiffrée permettrait de répondre à ces questions et de savoir ce qui ne figure pas dans ce budget. L'ONDAM augmente plus que l'inflation, ce qui signifie qu'il sera fait davantage que l'année dernière. Mais qu'est-ce qui n'a pas été réalisé l'an passé ? Et si l'ONDAM augmente l'an prochain, comme je le suppose, cela signifie que celui de cette année est insuffisant. Mais nous aimerions savoir en quoi.

Cette loi est mauvaise, on le voit, en ce qu'elle n'a pas d'objectif sanitaire ou social, mais seulement des objectifs comptables.

Pourtant, dans le domaine des retraites, il est facile de fixer des chiffres. Denis Jacquat a bien analysé le rapport demandé à M. Charpin par le Premier ministre. Bien qu'il établisse qu'à partir de 2005 notre système par répartition rencontrera des problèmes majeurs, les décisions sont reportées à 2000 et, en réalité, rien ne sera décidé avant les élections présidentielles.

L'article 2, par son iniquité, a déclenché la colère générale. La façon dont il a été examiné en commission est scandaleuse. Chacun savait que vous vous apprêtiez à ponctionner les organismes sociaux pour financer les 35 heures, et le Président de la République s'en est ému. Pourtant vous avez maintenu votre projet, jusqu'à la réunion de la commission du 19 octobre, où le président de la commission nous a pour finir laissé entendre que de toute façon l'article 2 serait fortement amendé avant la séance publique. Notre travail était donc inutile.

L'article 2 est naturellement inacceptable. Le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de Sécurité sociale qu'il tend à créer est alimenté en partie par une contribution des organismes sociaux. Les arguments à l'appui de ce hold-up étaient particulièrement fallacieux ; puisque la loi sur les 35 heures réduira le chômage, il est normal que les organismes sociaux contribuent au financement du dispositif. Or, si une diminution du chômage sert de prétexte pour diminuer les recettes de la Sécurité sociale, l'équilibre ne pourra jamais être atteint. Une augmentation des recettes obtenue par la diminution du chômage ne peut servir qu'à améliorer les prestations ou à diminuer les prélèvements. Déjà le Gouvernement a fait savoir, par voie de presse, qu'il renonçait à ponctionner l'UNEDIC. Hier, il a déclaré renoncer à tout prélèvement sur l'ensemble des organismes sociaux.

M. Bernard Accoyer - En apparence !

M. Jean Bardet - En effet. Aussi Le Monde a-t-il estimé que le Gouvernement «improvise» un nouveau plan de financement et a-t-il, comme Le Figaro, parlé de «tour de passe-passe». De fait, la ponction de 5,6 milliards sur la Sécurité sociale sera remplacée par le versement au fonds créé à l'article 2 d'une fraction des droits sur l'alcool versée jusqu'à présent au fonds de solidarité vieillesse. Ce manque à gagner du FSV sera lui-même compensé par la Sécurité sociale.

M. Bernard Accoyer - C'est un flagrant délit de détournement de fonds sociaux !

M. Jean Bardet - Il n'est pas non plus acceptable que la taxe sur les tabacs soit détournée de son objet, qui est de lutter contre le tabagisme, si coûteux pour la branche maladie.

Je tiens à m'élever contre le faible taux de revalorisation des prestations familiales, en dépit des explications arithmétiques du Gouvernement qui laissent croire que la hausse ne devait être que de 0,2 %, et qu'il l'accroît généreusement de 0,3 %. Les familles apprécieront, tout comme les titulaires de la pension vieillesse, qui bénéficient de la même mansuétude.

Les articles 14 à 25 sont consacrés à la branche maladie. Ils rompent avec notre système traditionnel en ce qu'ils donnent à l'Etat la responsabilité complète de l'hospitalisation, réservant à la CNAM l'ensemble de la médecine de ville. De plus, ils mettent fin au système conventionnel, puisqu'en cas de désaccord entre les médecins et les caisses, celles-ci auront le dernier mot. Je n'apprécie guère, en outre, que tous les malheurs de l'assurance maladie soient imputés aux médecins.

Les articles 14 et 15 consistent à reporter sur l'assurance maladie un certain nombre de charges assumées par l'Etat. L'article 16 porte sur les centres de santé, créés naguère par le ministre Jack Ralite. Leur ouverture ne devrait être autorisée que si elle ne crée pas une concurrence avec des structures existantes. Sinon, ils doivent se limiter à des missions de dépistage et de prévention. Il est surprenant que leurs dépenses ne soient encadrées par aucun dispositif, ce qu'a relevé la CNAM.

M. Bernard Accoyer - L'IGAS a réalisé sur ce sujet un rapport gratiné !

M. Jean Bardet - L'article 17, je l'ai dit, anéantit le système conventionnel, en donnant la possibilité aux caisses, « à défaut de convention, d'arrêter les mesures qu'elles estiment nécessaires ». Comment concevoir une véritable discussion dans ces conditions ? De plus, en imposant un plafond d'horaire aux médecins qui ont choisi de pratiquer des tarifs différents, le projet conduit à terme à la suppression du secteur 2.

Que dire du chapitre XIII sur les accords de «bon usage des soins» ? Imagine-t-on que les professionnels de santé pourraient en faire un mauvais usage ? Au reste, le seul critère de respect de ce bon usage est purement comptable. Quel mépris pour le corps médical, qui refuse de se faire ainsi acheter ! Où est le malade dans tout cela ? Le bon usage des soins ne peut être apprécié que sur des critères médicaux. En outre, l'article 17 est dangereux en ce qu'il confie à la CNAM toute la médecine de ville. En cas d'échec il faudra nécessairement envisager des alternatives à notre système de protection sociale, même si ce n'est pas ce que vous vouliez. Je ne suis d'ailleurs pas hostile à des alternatives temporaires et expérimentales : en effet, si elles marchent il n'y aura pas de raison autre qu'idéologique de ne pas continuer ; si elles ne marchent pas, il n'y aura pas de raison autre qu'idéologique de continuer.

Les articles 18 et 19 menacent gravement le secret médical. On sait ce qu'il est advenu du secret de l'instruction. L'hôpital n'est abordé que dans l'annexe. Pourtant, peut-on se satisfaire que quelques dizaines d'établissements sur plus d'un millier aient engagé les démarches d'accréditation ? Rien n'est dit du mécontentement du personnel infirmier face aux 35 heures, sur les grèves des personnels de nuit, sur la dégradation des locaux et la vétusté des matériels, sur le statut et les rémunérations des P.H.

Le taux d'augmentation du budget des hôpitaux évite le pire, le Gouvernement n'ayant pas suivi les propositions irresponsables de la CNAM, mais il ne permet pas de financer les mesures nouvelles. Comment s'en sortiront les établissements dont la dotation augmentera de moins de 2,4 %, sachant que les salaires représentent 70 % des dépenses ? En outre, le relèvement des cotisations à la CNRACL amputera leur trésorerie de 0,175 %.

Quant au taux accordé à l'Assistance publique, soit 1,2 %, il est inacceptable. Il est vrai que les hôpitaux de Paris coûtent cher, mais encore faut-il en analyser les raisons. Le rapporteur a reconnu que le surcoût dû à la mission de service public était sous-estimé, et je l'en remercie, mais ce n'est la faute ni du personnel médical, ni du personnel infirmier, ni des malades si des erreurs de gestion ont été commises. Et si le bâtiment prend l'eau -au propre comme au figuré (Sourires sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)-, si la sécurité anesthésique n'est pas assurée, si les urgences manquent de personnel, si l'accueil laisse à désirer, il faudra bien identifier, un jour, les responsables.

J'aurais encore beaucoup à dire sur les cliniques, sur le médicament, sur l'absence de politique de prévention, mais j'y reviendrai le moment venu.

Toute la copie est à reprendre, et si la conjoncture permet d'atteindre un semblant d'équilibre, toute inversion de tendance vous mènera à la catastrophe (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce matin, mercredi 27 octobre, à 9 heures.

La séance est levée à 1 heure.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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