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Session ordinaire de 1999-2000 - 36ème jour de séance, 87ème séance 2ème SÉANCE DU MARDI 7 DÉCEMBRE 1999 PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS Sommaire PROCLAMATION D'UN DÉPUTÉ 2 QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 MESURES EN FAVEUR DES PLUS DÉFAVORISÉS 2 OMC 3 ALLIANCE ENTRE FRAMATOME ET SIEMENS 4 PÊCHE EN MÉDITERRANÉE 4 CRISE DE L'AGRICULTURE BRETONNE 5 EMBARGO SUR LA VIANDE BRITANNIQUE 6 RÉFORME DE LA JUSTICE 7 PILULE DU LENDEMAIN 8 ÉCHEC DE SEATTLE 8 SPÉLÉOLOGIE 9 CRISE IRAKIENNE 10 POLITIQUE HOSPITALIÈRE 10 RÉDUCTION NÉGOCIÉE DU TEMPS EXPLICATIONS DE VOTE 15 MAUVAIS TRAITEMENTS À ENFANTS 20 ARTICLE PREMIER 32 ART. 2 33 ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES (CMP) 33 EXPLICATIONS DE VOTE 43 La séance est ouverte à quinze heures. M. le Président - J'ai reçu, en application de l'article L.O. 179 du code électoral, une communication de M. le ministre de l'intérieur, en date du 6 décembre 1999, m'informant que M. Michel Charzat a été élu, le 5 décembre 1999, député de la 21ème circonscription de Paris (Mmes et MM. les députés socialistes se lèvent et applaudissent). L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. M. le Président - Je vous indique dès à présent que la séance ne sera pas suspendue à la fin des questions au Gouvernement (Mme Michèle Alliot-Marie gagne son banc sous les applaudissements des députés du groupe RPR). Nous passerons immédiatement aux explications de vote et au vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, en nouvelle lecture. MESURES EN FAVEUR DES PLUS DÉFAVORISÉS Mme Marie-Françoise Clergeau - Le Gouvernement et la majorité ont fait de la lutte contre le chômage une priorité nationale, ce qui a permis la création de 830 000 emplois depuis juin 1997. Et le taux de chômage devrait, selon l'OCDE, descendre à 10,3 % en 2000 -contre 12,6 % en 1997. Cette baisse bénéficie à tous, y compris aux chômeurs de longue durée, aux jeunes et aux femmes. Les grandes réformes votées ici connaissent leurs premiers succès. Mais beaucoup reste à faire en faveur des plus défavorisés. A cet égard, la loi contre l'exclusion et la création de la CMU constitueront une base solide pour agir. D'ailleurs, les crédits pour la solidarité envers les plus fragiles sont passés de 80 à 91 milliards. Ce travail de longue haleine exige patience et respect des parcours personnels. Vous avez annoncé hier, Madame la ministre de l'emploi, un certain nombre de mesures : revalorisation des minima sociaux, prime exceptionnelle, abandon de dettes fiscales. Elles répondent à notre volonté d'un partage des fruits de la croissance et ont suscité de grands espoirs. Pouvez-vous nous préciser quels en seront les bénéficiaires et quand et selon quelles modalités elles entreront en vigueur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - L'action du Gouvernement a permis une baisse sans précédent du chômage : deux fois celle de l'an dernier alors que la croissance est plus faible. Mais quand la situation de l'emploi s'améliore, les choses paraissent sans doute encore plus dures pour ceux qui restent au bord de la route, je pense en particulier aux titulaires des minima sociaux. C'est pourquoi, comme le Premier ministre s'y était engagé, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures destinées à leur faire partager les fruits de la croissance : le RMI et l'ASS seront donc revalorisés de 2 % au 1er janvier, soit le même rythme que l'augmentation des salaires ces douze derniers mois. Par ailleurs, une prime exceptionnelle allant de 1 000 à 2 900 F -par exemple, pour une famille avec quatre enfants- sera versée aux titulaires de minima sociaux afin qu'ils puissent, eux aussi, je ne dirai pas voir la vie en rose, mais participer un peu aux réjouissances de cette fin d'année et de siècle. Enfin, il a été décidé d'étendre la remise de dette fiscale -impôt sur le revenu, taxe d'habitation, redevance audiovisuelle- à tous ceux qui ont recours aux fonds d'urgence -dont les titulaires de minima sociaux. L'objectif du Gouvernement est d'aider toutes ces personnes à sortir de l'assistance pour trouver un travail. A cet égard, l'autorisation de cumuler pendant un certain temps le RMI et un salaire joue son rôle incitatif. Par ailleurs, l'accompagnement des chômeurs de longue durée que pratique l'ANPE produit ses effets : 150 000 chômeurs de longue durée en moins. Quant à la CMU qu'on va mettre en place, elle permettra aux personnes en difficulté de se soigner à moindres frais. En conclusion, je ne puis que vous assurer de la volonté du Gouvernement de continuer à se préoccuper en priorité des plus défavorisés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). M. Bruno Le Roux - La conférence interministérielle de Seattle n'a pas abouti à l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations. La France y a défendu des positions réfléchies et claires, préparées en étroite collaboration entre le Gouvernement et l'Assemblée. Le travail conjoint va d'ailleurs se poursuivre jeudi matin par l'audition devant la délégation pour l'Union européenne de MM. François Huwart et Pascal Lamy. L'Union européenne avait quant à elle défini un mandat de négociation qui lui a permis de prendre des initiatives tout en faisant preuve d'une grande solidité. De leur côté, les Etats-Unis, tiraillés entre la volonté de lancer le cycle et des problèmes de politique intérieure, n'ont pas été capables de lancer un cycle large donnant un véritable contenu au concept de multipolarité. Dans ce contexte, mieux valait ne pas aboutir à un accord qu'en accepter un mauvais. En tout état de cause, Seattle aura constitué un pas vers plus de transparence et d'efficacité. Ceux qui y ont fait entendre leur voix défendaient des positions qui recoupaient les nôtres et la délégation parlementaire qui accompagnait les ministres a su se porter à leur rencontre. Mais la nécessité d'une vraie régulation demeure car en l'absence de règles, c'est la loi du plus fort qui s'impose. Les règles doivent intégrer des normes sociales, environnementales et sanitaires. Il va falloir préparer les futures discussions. L'OMC va devoir évoluer dans son fonctionnement. Une meilleure préparation des futures conférences s'impose : on peut par exemple envisager des réunions par zones géographiques. Il importe aussi de resserrer les liens avec les pays en voie de développement et les pays les moins avancés... Plusieurs députés RPR et UDF- La question ! M. Bruno Le Roux - Quelles sont les conclusions, Monsieur le ministre, que vous tirez de Seattle et comment envisagez-vous la poursuite des discussions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. le Président - La question était trop longue. M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Ma première conclusion est que nous avons bien travaillé, ensemble, à l'émergence d'une mondialisation citoyenne. Les positions française et européenne avaient été soigneusement préparées et la délégation composée de parlementaires de toutes tendances politiques qui accompagnait François Huwart et moi-même a su en débattre avec les forces socioprofessionnelles également représentées à Seattle. La deuxième est que l'Europe a été bien défendue par M. Pascal Lamy. Les Quinze ont fait preuve d'unité de bout en bout, malgré les tentatives de certains grands pays de les diviser. L'Europe a tenu bon et est sortie renforcée d'une conférence mal préparée, mal dirigée et qui s'est mal conclue. Ma troisième conclusion est que nous devons garder à l'égard des pays en voie de développement un triple objectif d'aide, d'abolition de la dette et d'ouverture commerciale d'ici la fin du prochain cycle. Enfin, les principes que nous avons tenté de faire valoir à l'OMC -respect de l'environnement, de normes sociales et du principe de précaution-, nous devons aussi les défendre auprès du FMI et de la Banque mondiale. 2000 sera l'année de la lutte contre l'absence de règle dans le monde financier. C'est un combat que je mènerai personnellement, avec votre appui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe communiste). ALLIANCE ENTRE FRAMATOME ET SIEMENS M. Michel Destot - M. Bataille s'associe à ma question qui s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et concerne la décision de Framatome et Siemens de fusionner leurs activités nucléaires. Cette nouvelle entité européenne, qui sera contrôlée à 66 % par le français Framatome, va devenir le leader mondial dans ce secteur. Après le rapprochement d'Aérospatiale et de Dasa dans l'aéronautique, c'est un nouveau succès pour la coopération franco-allemande, qui prouve que l'Etat actionnaire est capable, quand il y a une forte volonté politique, de favoriser des coopérations industrielles bénéfiques aux intérêts nationaux -je pense en particulier à l'emploi dans certaines régions- en même temps qu'à la construction européenne. Pouvez-vous nous dire ce que l'on peut attendre de cette nouvelle entité sur le plan de l'activité industrielle et de l'emploi, ainsi qu'en ce qui concerne les marchés internationaux, en particulier celui des pays de l'Est où la sûreté nucléaire mérite d'être renforcée ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - L'annonce faite hier de la fusion par Framatome et Siemens de leurs activités nucléaires au sein d'une filiale commune, contrôlée à 66 % par le premier et à 34 % par le second, est une bonne nouvelle pour notre industrie et pour l'emploi. Dans un secteur où la concurrence est très vive, nous disposerons désormais d'un leader mondial. Cette décision fait suite à un premier accord, intervenu en juillet, qui a permis de constituer un pôle unique et public de l'électronucléaire français. La seconde étape est la formation d'un pôle européen d'envergure mondiale. C'est un triple succès : pour notre industrie ; pour l'Europe, car c'est à nouveau, comme dans l'aéronautique, autour d'un couple franco-allemand que nous allons « jouer en première division » dans la concurrence mondiale ; enfin pour la méthode gouvernementale qui montre que le secteur public, un temps traité comme un handicap, peut être une chance pour la croissance et l'emploi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Alain Fabre-Pujol - Les pêcheurs méditerranéens ont manifesté leur inquiétude et leur mécontentement en bloquant les ports jeudi dernier, après avoir constaté que le prix du carburant avait connu une hausse importante, qui atteint presque 100 % d'une année sur l'autre. Or un vingt-cinq mètres -type de bateau courant dans cette pêche- consomme en moyenne dix tonnes par semaine. L'alourdissement de ce coût grève de manière très importante les comptes d'exploitation, dans un secteur que frappent par ailleurs les difficultés de vente de certaines pêches. Outre ces difficultés, les pêcheurs réclament que soit reconnu le caractère artisanal des activités de pêche en Méditerranée. Ils s'opposent de façon quasi-unanime à l'inscription obligatoire au registre du commerce et des sociétés, que prévoit la loi d'orientation sur la pêche maritime. Ils réclament que cette inscription soit facultative, en fonction de la réalité de leurs activités. Une délégation a été reçue au ministère vendredi dernier. Je souhaite savoir quelles mesures envisage le Gouvernement (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste). M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Le mouvement des pêcheurs avance comme vous le dites deux revendications. La première tient au prix du gazole. Celui-ci, il est vrai, a connu ces derniers mois une hausse considérable. Mais il était tombé l'an dernier en-dessous de son niveau d'avant la crise pétrolière de 1973. Et même aujourd'hui, où il a augmenté, il ne fait qu'atteindre le niveau moyen de 1996-97, époque où il n'y avait pas de manifestations à ce sujet. Nous surveillons bien sûr ce coût, qui constitue une charge importante pour les pêcheurs ; mais ce n'est pas le Gouvernement qui le fixe. L'autre revendication est le refus d'une inscription obligatoire au registre du commerce. Ici il faut rappeler l'histoire : cette inscription était il y a quelques années une revendication unanime des pêcheurs, et c'est pour cette raison que le Parlement l'a votée unanimement. Il semble qu'aujourd'hui apparaisse une différence d'appréciation entre les pêcheurs de la Méditerranée et de l'Atlantique. Pour ces derniers, la demande d'inscription traduisait la volonté de participer à l'élection des chambres de commerce, qui gèrent les ports. Aujourd'hui les pêcheurs méditerranéens veulent que nous revenions sur cette mesure. J'examine avec Mme la Garde des Sceaux les conditions dans lesquelles nous pourrions retarder l'échéance de l'inscription obligatoire. Mais pour l'abroger il faudrait un vote du Parlement ; c'est en tout cas à quoi nous nous préparons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). CRISE DE L'AGRICULTURE BRETONNE M. André Angot - Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, qui n'est malheureusement pas présent. Je voulais m'adresser à lui, parce que son ministère de l'agriculture n'a pas mesuré la gravité de la crise dont souffre l'agriculture bretonne (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL ; murmures sur les bancs du groupe socialiste). Toutes les productions -porcines, avicoles, légumières- sont touchées ; 30 % des éleveurs de porcs sont en dépôt de bilan, et 50 % des producteurs de volailles et d'_ufs. La situation est dramatique pour de nombreux éleveurs, qui ont perdu en deux ans le fruit de toute une vie de travail ; déjà quelques-uns n'ont trouvé d'autre solution que le suicide. Face à cela, la position du ministre de l'agriculture consiste à ne rien décider, sauf la nomination d'un chargé de mission... M. Glavany a reçu il y a une semaine les parlementaires bretons ; et il a confirmé lors des questions d'actualité de la semaine dernière qu'il n'avait d'autre solution que de conseiller aux exploitants de changer de métier, ou de s'orienter vers un autre type d'agriculture ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Mais dans quelque temps 80 % des agriculteurs seront en faillite... Plusieurs députés socialistes - La question ! M. le Président - Veuillez conclure. M. André Angot - Si le Gouvernement continue à ne rien faire, ce ne sont pas seulement les agriculteurs qui perdront leur emploi et leur patrimoine : les salariés des sociétés de services qui travaillent pour l'agriculture, ceux du secteur des transports, de l'équipement, des bâtiments d'élevage, sont également menacés. Le commerce et l'artisanat perdront des milliers d'emplois. La situation est très grave et vous ne faites rien ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Le Gouvernement est incapable de débloquer quelques millions pour toute une économie régionale, et pour aider des agriculteurs qui travaillent plus de 70 heures par semaine -alors qu'il trouve 120 milliards pour la réduction du temps de travail des salariés à 35 heures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR) M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - La crise de l'agriculture bretonne est suffisamment sérieuse pour que vous ne vous livriez pas à ce genre de caricature (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Libre à vous de présenter votre point de vue, mais non d'exprimer le mien à ma place, et en déformant ce que j'ai dit. L'agriculture bretonne vit aujourd'hui une crise profonde, c'est vrai. Cette crise est d'abord conjoncturelle, car la Bretagne concentre une série de productions en crise, porc, volaille, légumes. Mais c'est aussi une crise structurelle, car beaucoup de ces productions sont confrontées à une rude concurrence internationale, et une crise environnementale, que les élus bretons sont les premiers à mentionner. A aucun moment je n'ai accusé l'agriculture bretonne. Elle s'est développée sur un modèle que les pouvoirs publics, il y a vingt ou trente ans, lui avaient indiqué comme le bon. Ce faisant elle a contribué à l'enrichissement de l'agriculture française et à son dynamisme exportateur. Aujourd'hui, face à la crise, on peut soutenir qu'il faut seulement des mesures conjoncturelles. On peut aussi penser qu'il faut des mesures structurelles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV). Je suis allé à Rennes hier, pour rencontrer les organisations professionnelles. Je leur ai présenté le chargé de mission, homme d'expérience et d'écoute. La mission de M. Gérondeau est triple. A très court terme, il va arrêter en concertation avec mes services et les organisations professionnelles, les mesures d'urgence qu'attendent les exploitants. Il est clair que la solidarité nationale doit s'exprimer envers des professionnels dont certains sont dans la désespérance. Ces mesures seront arrêtées dans les trois jours. En second lieu, il doit tester, avec les professionnels et les collectivités territoriales, des mesures d'ordre social et fiscal que nous pourrions soumettre au Parlement dans les mois qui viennent. Il doit enfin travailler avec les collectivités -et je suis heureuse que le président du conseil régional, M. de Rohan, se soit exprimé dans ce sens- à un plan d'adaptation à moyen et long terme. Car notre responsabilité politique est certes de traiter les crises dans l'urgence ; mais elle est peut-être aussi de faire en sorte qu'elles ne se reproduisent pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et quelques bancs du groupe communiste). EMBARGO SUR LA VIANDE BRITANNIQUE M. Pierre Lellouche - Ma question s'adressait aussi à M. le Premier ministre, mais il a préféré les charmes du congrès du SPD à Berlin, ce qui montre quelle place occupe notre assemblée dans ses priorités... (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Ma question est pourtant grave. Elle touche à une décision que le Gouvernement doit prendre demain, et qui concerne tous les Français concernant la levée de l'embargo sur le b_uf britannique. Les données du problème sont connues. D'un côté, le comité scientifique directeur de l'Union européenne affirme que cette levée est sans danger ; aussi une injonction est-elle en cours contre la France, pour qu'elle y procède. De l'autre, les experts de l'Agence française pour la sécurité sanitaire -que nous avons auditionnés dans le cadre de notre commission d'enquête- sont unanimes pour rappeler les éléments suivants : depuis 1986 on a relevé 180 000 cas de vaches folles en Angleterre ; cette maladie est passée à l'homme en 1996, elle met trente ans à incuber, et on ignore le nombre de personnes contaminées. Chez l'animal la durée d'incubation est de cinq ans : or on nous demande d'importer des bêtes nées après 1996 ! D'où mes deux questions. Le Gouvernement français va-t-il abdiquer ses responsabilités politiques au profit d'un groupe d'experts européens ? Ce n'est pas notre conception du rôle du politique, ni de la construction européenne. D'autre part, comment le Gouvernement définit-il le principe dit de précaution ? On parle beaucoup de traçabilité et d'étiquetage ; mais c'est là une méthode de contrôle, qui permet de s'assurer d'une filière alimentaire, mais ne devrait pas permettre qu'on mette sur le marché des aliments potentiellement dangereux. Or, c'est le cas. Le Gouvernement va-t-il se réfugier derrière l'étiquetage pour mettre sur le marché des aliments que les experts français jugent potentiellement dangereux ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du RPR) M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Après la caricature, voici la provocation... Si le Premier ministre n'est pas là, c'est qu'il a répondu à l'invitation du Chancelier Schröder. Cela ne traduit aucune déficience à l'égard du Parlement ; il est d'ailleurs présent deux fois par semaine pour répondre à vos questions. Depuis le début de cette affaire, le Gouvernement a montré que son unique préoccupation était la sécurité alimentaire et la défense du principe de précaution. Il n'est pas prêt à abdiquer devant un comité d'experts, fut-il européen. Depuis trois mois, il se bat pied à pied pour obtenir des garanties supplémentaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Nous ne plierons pas à vos injonctions. Hier soir, l'Agence française de sécurité des aliments a rendu son avis. Le Gouvernement l'étudie et prendra sa décision sans doute demain soir. L'important est que l'impératif de sécurité alimentaire l'emporte sur le propos politicien. Hier après-midi, un parlementaire de l'opposition généralement bien informé et connu pour sa sagesse, a déclaré : « Dans ces conditions, je ne vois pas comment on peut lever l'embargo ». Mais cette déclaration a été faite avant que l'avis de l'Agence ait été rendu public. L'impératif politique l'emportait donc, en la circonstance, sur l'impératif sanitaire. Il faut prendre le temps de la réflexion. C'est ce que le Gouvernement fera ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Pierre Albertini - Le débat sur la réforme de la justice prend un tour inquiétant et dangereux. Madame le ministre... Plusieurs députés socialistes - la. M. Pierre Albertini - Madame la ministre, si cette désignation vous fait plaisir, ce débat a besoin de sérénité, car la justice remplit une fonction irremplaçable de régulation. Or la rigueur du débat est désormais inversement proportionnelle à l'importance des questions à résoudre. Le débat prend l'allure d'un affrontement entre le pouvoir politique et les juges, ce qui est absurde et dangereux. La réforme de la justice va bien au-delà de la réforme du statut des 6 200 magistrats, qui cependant ne doivent en aucun cas devenir les boucs émissaires. L'institution a besoin d'une profonde modernisation. Il est indispensable de maintenir le lien entre le Parquet et le pouvoir politique. De plus la procédure pénale doit être rééquilibrée au profit des droits de la défense, insuffisamment garantis. Jean-Denis Bredin écrivait récemment : « nous savons tous que notre système pénal n'est guère compatible avec la présomption d'innocence ». Pour que le vote du 24 janvier soit clair et cohérent, nous vous suggérons d'inscrire à notre ordre du jour en seconde lecture au début de janvier les projets sur l'action publique et sur la procédure pénale. Ainsi la réforme du CSM sera l'aboutissement d'une justice modernisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je vous remercie d'avoir féminisé mon titre. Je crois en effet que le langage structure la société (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez raison de dire « la » ministre, comme on devrait dire aussi « la » présidente (Murmures). Sur la réforme de la justice, nous devons montrer aux Français que nous voulons rendre confiance en la justice, qui est l'un des piliers de notre démocratie. Nous devons cette confiance aux justiciables et aussi à notre magistrature. Autant nous devons mettre en jeu, lorsque c'est nécessaire, la responsabilité des magistrats, autant la grande majorité d'entre eux remplit avec compétence et dévouement une tâche difficile. Nous devons tenir l'équilibre entre l'impartialité des magistrats et la mise en jeu de leur responsabilité. Le Gouvernement s'est engagé. Le projet sur la présomption d'innocence a fait l'objet d'une lecture dans chaque assemblée. Il s'agit d'un texte connexe à la question posée le 24 janvier qui est de savoir si les 687 parlementaires qui ont approuvé le projet de loi constitutionnelle il y a un an vont confirmer leur vote (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). C'est ainsi que nous donnerons le signal principal de cet équilibre. Mme Christine Boutin - Répondez à la question. Mme la Garde des Sceaux - Sur les autres sujets débattus ici, le Premier ministre a déjà répondu à propos de la responsabilité des décideurs publics et j'ai envoyé l'avant-projet de loi sur la responsabilité des magistrats. Sur la procédure pénale, je ferai connaître au début de la semaine prochaine les améliorations que le Gouvernement accepte d'apporter encore au projet sur la présomption d'innocence (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Pascal Clément - Madame la ministre déléguée aux questions scolaires, je crois que c'est votre titre, désormais une infirmière, dans un établissement scolaire, pourra délivrer elle-même la pilule du lendemain. Je ne défends pas une morale plutôt qu'une autre. Mais n'est-il pas extravagant de décider sans connaître, sans avis médical, sans consultation des familles ? N'est-il pas extravagant de considérer que l'on peut banaliser les relations sexuelles sans précaution alors que l'Etat lutte contre une maladie endémique mortelle ? N'est-il pas extravagant que dans une démocratie moderne une morale privée puisse être tout d'un coup mise à bas par une morale publique ? Sous prétexte de voler au secours d'enfants sans références familiales, on ne doit pas instaurer une morale d'Etat. La morale est l'affaire des familles. L'instruction publique doit délivrer de l'enseignement et non pas de la morale. La morale d'Etat est inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire - Les infirmiers, et pas seulement les infirmières, auront l'autorisation de délivrer le Norlevo dans les établissements scolaires (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous appartenez au groupe Démocratie libérale, mais chaque fois qu'il s'agit du droit de tout être humain en général, et des femmes en particulier, de maîtriser leur procréation, vous êtes contre toutes les libertés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). Vous avez été hostiles à la loi Neuwirth, à la loi Veil, à la loi Roudy (Huées sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez refusé que le système scolaire éduque les élèves à la sexualité et à la contraception. Vous avez même été opposés à l'extension au système scolaire des procédures de signalement pour protéger les élèves contre les abus sexuels (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez un mot d'ordre : ignorons le malheur des autres dès lors qu'il met en cause un ordre hiérarchique établi. Pourtant, le verdict de la justice dans l'affaire Cottard montre qu'aucun ordre établi n'est incontestable. Deux femmes se sont levées : l'une, tout en restant fidèle à ses convictions religieuses, a demandé justice, l'autre a refusé que son enfant soit sacrifié face au drame qui est arrivé ; la justice a tranché (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Nous n'avons pas la même vision des choses. Je considère que la morale universelle nous commande d'agir pour soulager les souffrances humaines : c'est ce que nous faisons (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). M. Jean-Claude Lefort - A Seattle, ville de Boeing et de Microsoft, cinq jours d'une conférence interministérielle viennent d'ébranler le monde libéral. Grâce à notre présence, à l'attitude de la France au sein de l'Union européenne, à la combinaison d'une forte volonté politique et du mouvement social, le projet consistant à considérer les activités humaines comme de simples marchandises a connu un échec retentissant. Avec cette vision libérale, c'est aussi le fonctionnement de l'OMC qui a été remis en cause. Rien ne sera plus comme avant Seattle. Quand le politique et l'opinion publique se mêlent de la mondialisation libérale, preuve est apportée que celle-ci n'est pas fatale ; mais il faut rester offensif. La décision de reprendre les négociations en janvier 2000 à Genève sur le seul dossier agricole pose problème. Genève ne doit pas permettre ce que Seattle a refusé. En second lieu, la situation des pays en voie de développement demeure inacceptable. Il convient que la France et l'Union européenne leur envoient un message concret et rassembleur car ils devraient être nos alliés naturels. Enfin, la question de la réforme de l'OMC est posée. Il faut rendre transparente et démocratique cette organisation dont le commissaire Lamy a pu dire qu'elle était de nature féodale. Devant les parlementaires présents, le directeur général de l'OMC s'est déclaré énervé à la pensé que ceux qui avaient réussi à faire échouer l'AMI pourraient faire échouer Seattle ; pour notre part, cet échec nous encourage (Exclamations sur les bancs du groupe communiste). M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur - Au niveau du constat, je reconnais avec vous que Seattle a été un appel à davantage de démocratie et à la prise en compte des préoccupations de la société civile. Le gouvernement français, pour sa part, avait organisé le dialogue avant cette rencontre. Il a continué pendant et le poursuivra après ; mais ce dialogue doit être organisé au niveau de l'OMC. Bien entendu, nous veillerons à ce qu'on ne fasse pas à Genève ce dont nous n'avons pas voulu à Seattle. Néanmoins, les accords de Marrakech nous obligent à ouvrir à partir de janvier 2000 les négociations sur l'agriculture et sur les services. En ce qui concerne la place des pays en voie de développement, l'Union européenne a montré à l'occasion de cette réunion qu'elle était capable de prendre des initiatives et de jouer un rôle de passerelle ; je regrette que la proposition faite par Pascal Lamy n'ait pas été suivie par les Etats-Unis. Il faudra poursuivre le dialogue, en ayant bien à l'esprit que la question transatlantique ne constitue plus l'essentiel des négociations. S'agissant du fonctionnement de l'OMC, une plus grande transparence est nécessaire. En revanche, il ne faut surtout pas abolir la règle un pays-une voix car c'est une garantie de légitimité pour les gouvernements et de souveraineté pour chacun d'entre nous (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste) M. Bernard Charles - Ma question, à laquelle s'associe mon collègue Jean Launay, s'adresse à M. le ministre de l'intérieur. Des opérations sans précédent ont été organisées dans le Lot pour retrouver dix spéléologues. Grâce à des moyens exceptionnels et au dévouement des bénévoles, que je tiens à saluer, elles ont eu une issue heureuse. Il convient cependant d'en faire un bilan et de préparer l'avenir. Tout d'abord, il faut signaler les problèmes de coordination entre les autorités préfectorales et les membres de la fédération de spéléologie ainsi que certaines pratiques peu éthiques. En ce qui concerne le coût des opérations, la dépense supportée par le seul SDIS du Lot dépasse 5 millions, ce qui représente une augmentation de 15 % des prélèvements sur les communes ; le département peut-il compter sur la solidarité nationale ? Enfin, la spéléologie, comme d'autres sports à risques, ne devrait-elle pas faire l'objet d'une assurance obligatoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur plusieurs bancs du groupe socialiste) M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Les sept spéléologues bloqués du 13 au 22 novembre ont pu être sauvés grâce à un plan de secours exceptionnel qui a mobilisé plus d'une centaine de spécialistes et qui n'avait encore jamais eu d'équivalent. Dès lors qu'un tel plan est déclenché, la législation et la réglementation font du préfet le directeur des opérations, ce qui constitue un gage d'efficacité. Sur le plan financier, le SDIS du Lot doit évidemment supporter sa part car son intervention est liée à sa mission de secours et d'assistance aux personnes, telle qu'elle est prévue par la loi du 3 mai 1996. Lorsqu'un SDIS intervient à titre de renfort dans un autre département, il peut se faire rembourser par le SDIS bénéficiaire ; ce n'est pas le cas ici. Mais je souhaite avoir des informations complémentaires et suis prêt à examiner la situation avec vous. En ce qui concerne l'intervention des assurances, un large débat est nécessaire. Le Sénat a prévu de l'aborder bientôt. Rien n'empêche l'Assemblée nationale de faire de même (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RCV) M. Jacques Desallangre - Une nouvelle résolution relative à la crise irakienne devrait être prochainement examinée par le Conseil de sécurité. Les bombardements américano-britanniques violent les principes régissant le droit des gens et les dix années d'embargo ont eu pour le peuple irakien des effets dévastateurs qui ont été récemment dénoncés lors d'un colloque organisé à l'Assemblée nationale. Les informations parues récemment dans la presse laissent entendre que la France pourrait approuver la résolution préparée avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui viserait à reporter la levée des sanctions et poserait de nouvelles conditions à la reprise des livraisons de pétrole irakiennes, sans doute non dénuées d'arrière-pensées économiques. Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez à de nombreuses reprises réaffirmé votre volonté de favoriser la suspension de l'embargo. Quelles sont vos intentions ? M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - La position de la France reste extrêmement claire. La population irakienne continue à souffrir de l'embargo, que j'ai qualifié de procédé primitif et inutilement cruel ; la situation est marquée par ailleurs par l'absence de contrôle sur les éventuels programmes de réarmement irakiens. Nous avons fait depuis un an des propositions dont une grande partie est incluse dans le projet de résolution britannique. Le débat se poursuit avec les membres permanents et non permanents du Conseil de sécurité. L'objectif reste de rétablir un système de contrôle garantissant la sécurité régionale, ce qui permettrait de suspendre l'embargo. Nous saurons cette semaine s'il est possible de nous mettre d'accord sur un texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Jean Bardet - Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité et elle sera courte car je l'ai déjà posée à plusieurs reprises sans obtenir de réponse, dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale comme de l'examen du budget de la santé, à Mme Aubry comme à Mme Gillot : quelle est la politique hospitalière du Gouvernement ? Évoquant la grève des urgences à l'hôpital Saint-Antoine, j'avais annoncé que le mouvement risquait de s'étendre. C'est désormais chose faite à Saint-Louis comme à Bichat et les raisons ne manquent pas : manque d'infirmières, matériel obsolète, locaux vétustes... Nous attendons, Madame la ministre, de vraies réponses. Et ne nous dites pas une fois encore que « l'hôpital est resté dans les clous » ou que l'augmentation de 2,5 % du budget hospitalier est suffisante. Je vous le demande de façon solennelle, répondez à la représentation nationale et prenez vos responsabilités à l'égard des personnels hospitaliers qui, malgré leur dévouement, rencontrent toujours de graves difficultés. Vous serez jugée sur votre réponse (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - La politique hospitalière du Gouvernement poursuit un double objectif de qualité et de sécurité. Tel est notamment l'objet des schémas régionaux d'organisation des soins, dont plusieurs députés dans vos rangs ont bien voulu reconnaître qu'ils avaient été bien menés par les directeurs des agences régionales d'hospitalisation, en concertation avec les personnels hospitaliers comme avec les élus. Le deuxième axe de notre politique tend à réduire les inégalités hospitalières entre les différentes régions. Alors, vous me dites à propos des grèves à l'Assistance publique que l'on nous jugera sur nos réponses mais les personnels concernés vous jugent déjà sur ce que vous avez fait... (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Alors que vous avez fait diminuer la dotation de l'Assistance publique de 0,34 % en 1997, nous l'avons fait augmenter de 1 % en 1998, de 1,5 % en 1999 et à nouveau plus de 1 % en 2000. Mais nous devons réduire les inégalités au sein de la région Ile-de-France et il est normal que l'Assistance publique, dont la France entière reconnaît l'excellence, y participe. En ce qui concerne les urgences, le Gouvernement a pris ses responsabilités en apportant l'année dernière un certain nombre de réponses. Je partage le point de vue des urgentistes de Saint-Antoine qui travaillent aujourd'hui dans des conditions extrêmement difficiles. Pour y remédier, j'ai délégué il y a un certain temps les crédits nécessaires, afin que les locaux soient améliorés et que le directeur de l'hôpital Saint-Antoine applique les décisions qui s'imposent en faveur des urgentistes. Nous avons à cet égard décidé de créer 170 postes de praticiens hospitaliers aux urgences en 1999, soit 20 % de plus que l'année précédente alors que vous n'aviez rien fait... (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Les conditions d'accès aux concours de praticien hospitalier ont été améliorées et 256 postes de praticien hospitalier en médecine polyvalente d'urgence ont été ouverts. 122 postes complémentaires d'assistants et de nombreux postes seront à nouveau attribués en 2000 et 2001. N'oublions jamais que beaucoup de nos concitoyens entrent à l'hôpital par le biais des urgences, alors qu'ils sont souvent dans une situation extrêmement difficile. N'oublions pas non plus que les urgentistes sont payés à la vacation, dans des conditions qui ne sont pas très honorables alors qu'ils remplissent une mission des plus difficiles. Je souhaite donc que le plan du Gouvernement soit appliqué partout, y compris à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et soyez assuré que je suis la situation de Saint-Antoine et de Saint-Louis avec la plus grande vigilance. Je m'en suis d'ailleurs entretenue avec le directeur général de l'assistance publique et nous devrions voir la situation évoluer dans les prochaines heures (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement. M. Wiltzer remplace M. Fabius au fauteur présidentiel. PRÉSIDENCE de M. Pierre-André WILTZER vice-président
L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public de l'ensemble du projet de loi relatif à la réduction négociée du temps de travail, en nouvelle lecture. M. le Président - Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que le vote aurait lieu par scrutin public, en application de l'article 65-1 du Règlement. Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - La nouvelle lecture qui s'achève aujourd'hui a permis, grâce à votre travail et aux propositions qui ont été débattues, d'améliorer encore et de préciser le projet de loi. Je voulais vous en remercier avec un mot particulier pour le président de la commission des affaires sociales et pour son rapporteur. A l'issue de cette nouvelle lecture, il n'est pas inutile de faire le point, de rappeler l'objectif central de la loi, de revenir sur les points clés et sur la méthode. L'objectif central de cette loi, vous le savez, est l'emploi. La première étape qu'a constitué la mise en _uvre de la loi du 13 juin 1998 a permis à ce jour la création ou la préservation de 140 000 emplois. Nos débats ont naturellement cherché la manière dont cette seconde loi pouvait aider les négociateurs dans chaque entreprise à « optimiser l'effet emploi ». C'est pour cela que nous avons affirmé clairement que chaque accord devra créer ou préserver des emplois et que les embauches prévues devront en principe se réaliser dans l'année. Je rappelle à cet égard que l'utilisation des fonds publics sera contrôlée. Cet objectif emploi est en passe d'être atteint. Malgré une croissance moins forte qu'en 1998, nous connaissons, depuis le début de l'année, un rythme de création d'emplois deux fois plus rapide, du fait des emplois-jeunes mais aussi de la réduction du temps de travail. N'en déplaise à certains, c'est bien l'action du Gouvernement, qui a placé l'emploi au c_ur de ses priorités, qui explique en grande partie les bons résultats obtenus sur le front du chômage, même si nous savons qu'il reste encore beaucoup à faire tant sont nombreux ceux qui sont au chômage depuis trop longtemps. Nous voulons persévérer dans cette voie et créer grâce aux 35 heures négociées, 100 000 emplois supplémentaires pour chaque année de négociation. Celles-ci aboutiront d'autant mieux à des succès économiques et sociaux que la réforme des charges sociales se mettra simultanément en place. La généralisation des 35 heures va ainsi de pair avec un système d'allégement structurel des cotisations sociales patronales qui doit permettre à la fois de réduire le coût du travail et, pour la première fois, de financer la sécurité sociale par une taxe sur les revenus financiers des entreprises et sur les entreprises polluantes. Le processus de réduction négociée du temps de travail a pu soulever chez certains des questions et des inquiétudes. Mais depuis deux ans, le débat et les opinions ont considérablement évolué. Des inquiétudes s'étaient ainsi exprimées sur une possible réduction du pouvoir d'achat des salariés. Or, avec 2 % d'augmentation des salaires, l'accroissement du pouvoir d'achat des salariés n'a jamais été aussi fort dans les vingt dernières années. Des questions ont aussi été posées dans le domaine des conditions de travail et de vie, ce qui est naturel compte tenu des modifications très concrètes qu'entraîne la réduction du temps de travail pour chacun des salariés dans l'articulation entre leur vie familiale et leur vie professionnelle. Or, 85% des salariés déclarent, une fois mise en place la réduction du temps de travail, que leurs conditions de travail se sont améliorées. Quant à leurs conditions de vie, ils considèrent dans la majorité des cas qu'elles sont meilleures aujourd'hui qu'hier. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas rester vigilants sur les conditions de travail des salariés, comme le sont les CHS-CT qui sont de plus en plus nombreux à s'y intéresser. Nous savons que la réduction du temps de travail n'est pas chose facile ; c'est un processus complexe qui touche à la fois au fonctionnement de l'entreprise, à l'organisation du travail, aux souhaits des salariés et il était compréhensible qu'elle soulève des doutes et des incertitudes. Cependant, s'il y a des inquiétudes et des interrogations légitimes chez les salariés avant le passage aux 35 heures, celles-ci sont largement levées après. Cette loi, le président Le Garrec l'a rappelé, a été précédée de consultations d'une ampleur sans précédent. La première loi et la période qui nous sépare de la seconde ont constitué une expérimentation en grandeur nature à laquelle se sont livrées 16 000 entreprises et 120 branches. En liaison avec votre commission, la préparation de la seconde loi a donné lieu à des négociations importantes avec l'ensemble des organisations patronales et syndicales et les réseaux de professionnels -le CJD, les Experts-comptables, l'ANDCP- qui ont été largement associés. A l'automne, avant et après la première lecture, nous avons revu l'ensemble de ces interlocuteurs : le MEDEF, l'UPA et le CGAD pour répondre aux dernières attentes qui se faisaient jour. Enfin, la nouvelle lecture a permis, grâce aux contacts avec les branches et les entreprises, d'affiner le texte par exemple sur la définition du temps de travail ou sur le mode de calcul du seuil de 20 salariés. C'est cette démarche de concertation, appuyée sur les accords conclus entre les chefs d'entreprise et les syndicalistes qui a conduit au texte d'aujourd'hui. Autre avancée importante, la création d'une section spécifique du code du travail concernant les cadres. Les dispositions du projet de loi les concernant illustrent les principes qui nous guident : prendre en compte les acquis de la négociation pour définir de nouvelles règles qui, parce qu'elles sont adaptées à la diversité des situations, sont applicables et de nature à assurer une réduction réelle du temps de travail des cadres. Nous connaissons la situation actuelle des cadres et leurs aspirations. Ce que souhaite le Gouvernement, c'est mettre un terme à un écart entre la norme et la pratique, c'est faire mentir l'aphorisme de Montesquieu selon lequel, en France, « la règle est dure et l'application est molle ». C'est ce qu'attendent les salariés, et tout particulièrement les cadres pour lesquels le moins que l'on puisse dire est que la règle, actuellement, ne s'applique pas. Les modifications apportées au cours de la nouvelle lecture ont permis de préciser et d'enrichir le texte en distinguant, pour eux, trois situations. Le projet donne une définition précise des cadres dirigeants qui, en raison de l'indépendance dont ils bénéficient dans l'établissement de leur emploi du temps, sont hors champ de la réglementation. Seules s'appliquent à eux les dispositions relatives aux congés payés et aux congés particuliers, comme le congé maternité. La deuxième catégorie est celle des cadres occupés selon l'horaire collectif et pour lesquels, en conséquence, toutes les dispositions du code du travail sont applicables, comme pour les autres salariés. La troisième catégorie, enfin, est celle des catégories intermédiaires dont la nature des responsabilités est telle qu'elle rend impossible le passage mécanique aux 35 heures. La durée de leur travail ne pouvant être prédéterminée, deux possibilités leur sont ouvertes. En premier lieu, le forfait en heures, qu'il soit hebdomadaire, mensuel ou annuel ; dans ce dernier cas, l'application est subordonnée à la conclusion d'un accord collectif qui ne soit pas frappé d'opposition. Outre les règles concernant les congés payés et les congés particuliers comme le congé de maternité, deux garanties s'appliquent à ces cadres. Tout d'abord, les durées légales maximales leur sont applicables sauf si l'accord fixe d'autres limites à la durée de leur travail hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. De même, les règles relatives aux repos quotidien et hebdomadaire s'appliquent également à eux. Par ailleurs, les salariés concernés disposent de voies de recours, précisées par le nouvel article L. 212-15-4 qui leur permet de faire valoir leurs droits. Ainsi, les salariés pourront obtenir du juge une indemnité réparant le préjudice subi en cas de disproportion manifeste entre les sujétions qui leur sont imposées et le niveau de leur rémunération. Je rappelle à ce sujet que la jurisprudence obligeait déjà à une rémunération minimale et au paiement des heures supplémentaires à leur tarif spécial. Le projet de loi institue, enfin, le forfait en jours, dont la conclusion est également subordonnée à un accord collectif susceptible d'être frappé d'opposition par les organisations syndicales non signataires. Le régime du forfait en jours définit pour les cadres, qui jouissent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps, une nouvelle durée maximale exprimée en jours, qui se substitue aux durées maximales horaires quotidienne et hebdomadaire, inadéquates pour ce qui les concerne. Cette limite ne peut dépasser 217 jours par an et un décret en Conseil d'Etat précisera les sanctions pénales applicables en cas de violation de ces nouvelles règles. L'article portant sur le SMIC et les rémunérations a lui aussi été amélioré, notamment pour préciser les conditions d'application de la garantie mensuelle aux salariés à temps partiel en place dans l'entreprise. Ils pourront ainsi bénéficier de cette garantie s'ils n'ont pas eu le choix de leur durée du travail et si, bien entendu, un salarié ayant un emploi équivalent en bénéficie déjà. Tous les cas de figure sont donc explicités et respectent, bien entendu, le principe « à travail égal, salaire égal ». Il y a donc bien égalité de traitement, contrairement à ce que certains ont pu prétendre. Je veux enfin revenir sur un point essentiel pour le Gouvernement, qui est la méthode adoptée, celle du recours à la négociation, dans le respect du principe de la liberté contractuelle. Je l'ai déjà dit : la loi du 13 juin 1998 a été d'abord un appel à la négociation et cet appel a été entendu. Depuis qu'elle a été adoptée, 18 000 accords d'entreprises et 117 accords de branche ont été signés, si bien que le tiers des salariés des entreprises de plus de 20 salariés sont déjà à 35 heures ou en passe de l'être. La seconde loi a donc été bâtie en fonction des progrès réalisés par les partenaires sociaux. Le pré-bilan réalisé fin avril et le bilan effectué en septembre ont constitué une base objective permettant la modernisation de notre code du travail. Construite à partir de ces accords, la seconde loi les respecte bien évidemment, comme le Gouvernement s'y était engagé. Aussi, tous les accords d'entreprises déjà signés sont applicables et ils sont en train d'être appliqués, produisant d'ailleurs de premiers effets sensibles en faveur de l'emploi et contre le chômage. Les accords de branche sont déjà applicables pour 88 d'entre eux, et les 19 restants sont en cours d'examen. Un seul, qui avait été sciemment placé en dehors du champ de la loi, et huit autres, pour lesquels l'extension n'a pas été demandée, ne seront pas étendus. Pour le reste, toutes les clauses étendues dans ces accords sont et seront applicables, et la très grande majorité des clauses réservées deviendront applicables dès la promulgation de la seconde loi sans qu'une renégociation soit nécessaire. Seules trois dispositions, illégales avant même la loi du 13 juin 1998 et très minoritaires dans les accords de branche, ont été exclues de l'extension car, contraires aux principes fondamentaux de notre droit du travail, elles ne sont pas, bien évidemment, reprises dans le projet. Ainsi, non seulement la loi valide et respecte les accords, mais elle est construite sur les acquis et les progrès qu'ils ont permis. Il était donc logique que les accords qui n'étaient pas conformes au droit existant à la date de leur signature mais qui sont conformes aux dispositions du projet ne soient pas soumis à nouveau à la signature des partenaires sociaux. La première loi a permis de vivifier le dialogue social en France. De la même manière, la seconde loi, avec les modernisations du code du travail qu'elle introduit et les allégements de charges sociales qu'elle prévoit, suscitera une nouvelle vague de négociations et d'accords permettant la généralisation progressive des 35 heures. Ce projet élargit l'espace conventionnel, en misant sur la négociation. Ainsi, en matière d'heures supplémentaires, la loi renverra à l'accord d'entreprise le choix de la nature de la bonification pour les salariés, ou encore la répartition du temps libéré, les régimes applicables aux cadres, le recours au temps choisi ou au compte épargne temps ou le développement de la formation. Dans tous les cas, la loi permettra des souplesses nouvelles, conditionnées à l'accord d'entreprise ou de branche. Le projet prévoit enfin plusieurs dispositifs de sécurisation des accords et, en premier lieu, une disposition spécifique de pérennisation au sein même de tous les articles concernés. Cette disposition permet aux accords et aux conventions valablement conclus de demeurer en vigueur. Bien entendu, les dispositions d'ordre public concernant les heures supplémentaires ou complémentaires doivent être appliquées. Mais le projet prévoit aussi une garantie supplémentaire. Les éventuelles clauses conventionnelles non couvertes par les précédentes dispositions, hors, bien entendu, les dispositions concernant les heures supplémentaires, continuent de produire effet pendant un an après la date d'entrée en vigueur de la loi. Cette disposition additionnelle témoigne du rôle majeur alloué à la négociation, même si sa portée est, en pratique, limitée à certaines règles relatives au compte épargne temps. Ainsi, par sa démarche originale, par l'élargissement de l'espace conventionnel qu'elle organise et par la sécurisation des accords et des conventions valablement conclus qu'elle prévoit, la loi vise à donner toute sa mesure au principe de liberté contractuelle auquel le Gouvernement est très attaché. Il nous faut maintenant prendre un peu de recul pour mesurer l'ampleur et la portée du travail accompli. Ce que nous avons défini, c'est un nouveau droit, non seulement du temps de travail, mais également un droit à la maîtrise de son temps. En cela, le projet touche la société tout entière, qui donne aux salariés davantage de temps pour lui-même, pour sa famille mais aussi, le Gouvernement l'espère, pour les autres, car c'est là l'un des enjeux de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV). M. Yves Rome - « Le sage n'est opiniâtre ni dans ses souhaits ni dans ses refus » disait Confucius. La majorité de gauche a donc fait _uvre de sagesse en ne remettant pas les engagements qu'elle avait pris devant les électeurs en mai 1997. Le souhait massif exprimé par nos concitoyens en faveur de la réduction du temps de travail et d'une meilleure répartition de l'emploi ne pouvait longtemps demeurer sans réponse. Il était sage de concrétiser cet espoir avant le terme de ce siècle. A l'inverse, le refus opiniâtre des élus de droite et des représentants du MEDEF de voir s'instaurer la réduction du temps de travail est véritablement déraisonnable. A défaut d'être raisonnables, Mesdames et Messieurs de l'opposition, vous auriez au moins eu le mérite de la cohérence si vous aviez pris l'engagement devant l'opinion publique que dans l'hypothèse d'un retour aux affaires, vous reviendriez sur ce projet social majeur. Plusieurs députés de l'opposition - Ce sera fait ! M. Yves Rome - Crispés sur les valeur tayloristes d'une société industrielle moribonde, les adversaires de cette loi semblent effrayés d'avoir à tenir la plume devant une page blanche. Ils n'acceptent d'écrire que des histoires qu'ils connaissent déjà et se refusent à inventer le scénario du futur ! (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR) L'opposition parlementaire s'abrite derrière des arguments qui étaient déjà surannés en 1840 ou en 1936. Ils ont été emportés par le mouvement social. La droite et une certaine partie du patronat n'ont pas voulu voir que la vieille organisation de la production était dépassée ; elle a été balayée par la révolution économique et technologique en cours qui substitue la vitesse à la lenteur, la souplesse à la rigidité, l'universalisme aux barrières et aux frontières. Le projet est un texte résolument moderne, tourné vers l'avenir et qui entend libérer notre société et nos entreprises des archaïsmes. Elle traduit un saut qualitatif et quantitatif rarement égalé dans l'histoire parlementaire. Le projet, le contrat se substituent enfin à des modèles hiérarchiques autoritaires hérités du passé. La loi permet un véritable changement de l'organisation du travail et répond de manière audacieuse et novatrice à la demande des cadres qui, eux aussi, comme la très grande majorité des salariés, aspirent à l'application effective de la réduction du temps de travail. Face aux conservatismes qui toujours échouent à gripper durablement la marche de l'histoire, il était sage de prendre en main notre avenir et de mettre en chantier la société solidaire et l'économie créatrice d'emplois que nous appelons de nos v_ux. Cette loi de la fin du siècle empiète réellement sur le troisième millénaire. Elle est comme d'autres lois adoptées récemment un message de fraternité adressé à nos enfants. Innovante par son dispositif, cette loi l'est aussi par son élaboration à laquelle toute la société a été invitée à contribuer. Premier du genre, ce texte interactif a certes été écrit par le législateur mais ce sont les partenaires sociaux qui en ont inspiré le contenu. Plus qu'un chapitre supplémentaire du code du travail, nous avons en réalité conçu une sorte de logiciel des relations du travail et l'avons remis aux acteurs économiques et sociaux afin qu'ils s'en servent et l'enrichissent. Cette loi d'avenir a aussi un passé qui plaide pour elle puisque 120 000 emplois (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF) ont vu le jour depuis les premières expériences de réduction négociée du temps de travail, alors même qu'il y a deux ans les pessimistes nous annonçaient des destructions d'emplois. Malgré les soubresauts de la croissance, le rythme des créations d'emplois s'est amplifié et la réduction du temps de travail a prouvé qu'elle tirait l'emploi vers le haut (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Par notre vote d'aujourd'hui, nous allons garantir à nos concitoyens que la croissance ne se fera pas contre eux et que le développement économique servira l'emploi et la solidarité. Ainsi, nous accompagnerons le retour de la confiance. En adoptant ce texte, nous écrirons une des plus belles pages de l'histoire sociale de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). M. François Goulard - Nous continuons à penser que la politique des 35 heures, qui n'est suivie par aucun autre pays au monde, se fonde sur une grave erreur économique. Car, Madame la ministre, contrairement à ce que vous pensez, le travail ne se partage pas. C'est bien pourquoi la réduction du temps de travail se soldera par des destructions d'emplois. A ce propos, j'admire votre talent à faire croire que les emplois de la croissance sont imputables à une loi qui ne s'applique pas encore. Il y aurait là un miracle peu commun en économie... En vérité, les entreprises qui ont signé des conventions de réduction du temps de travail voulaient avant tout profiter des subventions offertes par la première loi de 1998. Elles ont pour ce faire créé quelques emplois, mais beaucoup moins que vous ne dites. Elles l'ont fait parce qu'elles pouvaient le faire, mais les autres, toutes les autres, auront le plus grand mal à appliquer la réduction du temps de travail, sauf à sensiblement diminuer le revenu des salariés. Et cette réforme aura un coût formidable pour l'économie française, puisque le coût de l'heure travaillée augmentera de 11,4 %. Soit un surcoût total pour les entreprises d'environ 250 milliards, à côté desquels les 110 ou 120 milliards d'allégements de charges sociales ne font pas le poids, et ce d'autant moins qu'ils sont largement financés par les entreprises elles-mêmes. Au total, c'est toute l'économie française qui sera pénalisée. Et vous avez ouvert, Madame la ministre, une boîte de Pandore car la majorité plurielle compte deux groupes extrémistes qui vous ont obligée à adopter des amendements particulièrement contraignants et à succomber un peu plus à votre habituelle manie de tout réglementer. De sorte qu'à partir de janvier ou février 2000, le droit du travail sera proprement inapplicable pour au moins trois ou quatre ans. Et en tout cas incompréhensible pour ceux-là mêmes qu'il concerne au premier chef, à savoir salariés et employeurs. Ce droit devra en effet évoluer année après année et sera donc à géométrie variable. Comme les textes manquent de clarté, il y aura des contestations que la jurisprudence mettra du temps à trancher. A cela s'ajoute le fait qu'au travers de l'article 11, le principe de la représentativité syndicale a été remis en cause sans la moindre concertation avec les partenaires sociaux. A l'évidence, l'application de la loi sera génératrice de conflits qui iront en s'intensifiant - et qui n'épargneront pas le secteur public, même s'il est probable que, compte tenu du coût budgétaire qu'aurait la réduction du temps de travail dans la fonction publique, vous tenterez d'y reporter l'application de la loi au-delà des échéances électorales. La voie suivie avec ces deux lois de réduction du temps de travail n'est pas la bonne car à l'évidence, l'avenir n'est pas à la multiplication des règles. Il faudrait au contraire pouvoir s'adapter rapidement et avec souplesse à la réalité mouvante. L'avenir est bien plutôt à la négociation collective. C'est en tout cas cette voie que l'opposition, le moment venu, proposera aux Français (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). M. Maxime Gremetz - Dès la première lecture, nous avions réaffirmé notre volonté de voir réussir ce grand projet de société et le vote positif qui l'avait conclu saluait les améliorations obtenues, qu'il s'agisse de conditionner les aides financières à la création ou la préservation d'emplois, du contrôle de l'utilisation des fonds publics, de la définition de la durée du temps de travail effectif, ou encore du plafond horaires fixé pour le travail posté. Notre vote favorable n'était pas pour autant un chèque en blanc et nous avions annoncé que nous redéposerions des amendements dans le but de rendre la loi plus efficace en termes de création d'emplois et de temps libéré. Nous arrivons au terme de la deuxième lecture, qui a donné lieu à un débat d'un niveau politique élevé et que les mouvements sociaux ont contribué à enrichir. Je pense notamment aux manifestations unitaires des cadres, conjuguées au travail des députés ; elles ont permis des avancées telles que les restrictions apportées à la définition du cadre dirigeant, les nouvelles conditions posées pour le forfait jour, le fait que les accords de forfait jour soient considérés comme dérogatoires et ouvrent le recours au droit d'opposition des syndicats majoritaires, l'obligation pour l'employeur de tenir à la disposition de l'inspection du travail, pendant trois ans, les documents comptabilisant les heures des cadres soumis au forfait jour... Si les jours travaillés dépassent ceux prévus dans l'accord de forfait jour, une récupération devra avoir lieu dans les trois mois de l'année suivante. Et s'il estime que les conditions du forfait jour sont abusives, un cadre pourra déposer une requête auprès des prud'hommes. Pour autant, la loi n'est pas parfaite. Nous déplorons en particulier que soit prévu un prélèvement de 10 %, au détriment du salarié, sur les 4 premières heures supplémentaires dans le cas où l'entreprise n'a pas signé d'accord de réduction du temps de travail. C'est du jamais vu dans la législation française ! Nous aurions également souhaité que notre amendement tendant à appliquer le principe majoritaire pour la validation des accords de branche soit retenu. Nous sommes pour la négociation mais également pour que celle-ci soit le reflet de la volonté de la majorité des salariés. Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Mais les liens sont rompus avec la CGT, non ? M. Maxime Gremetz - Autre regret : alors que l'ensemble de la gauche plurielle s'était engagée à défendre les amendements « Wolber », seuls les groupes communiste et RCV les ont votés. C'est grave pour l'emploi et les salariés concernés, mais aussi pour l'ensemble des salariés du pays, et pour la crédibilité de la politique. Mais j'en reviens aux avancées. Un amendement adopté à notre initiative fera que le Gouvernement présentera annuellement au Parlement un bilan de l'application de la réduction du temps de travail dans les secteurs publics. Un amendement cosigné avec les députés Verts, permettra aux salariés atteints de maladie grave, de bénéficier d'autorisations d'absences pour suivre des traitements adaptés. Nous avons aussi obtenu que le complément différentiel devant maintenir le niveau du SMIC mensuel s'applique aux apprentis, aux handicapés, aux travailleurs des ateliers protégés et aux titulaires de contrats de qualification ou d'orientation. Les améliorations apportées sont significatives. Preuve est faite que la conjugaison entre l'intervention des salariés et l'action des députés est efficace. Mais nous savons bien que tout ne se gagne pas à l'Assemblée nationale. Par ailleurs, la colère du MEDEF qui, avec la droite, a tout fait pour imposer son diktat, est significative et ne nous surprend pas. Le groupe communiste va voter pour cette grande loi qui s'inscrit dans un processus historique. Ce sont les salariés qui vont s'en emparer, et cela donnera lieu à un formidable affrontement de classe. Quand le mouvement social se développe, c'est bon pour le progrès social et la démocratie ! Nous avons confiance dans l'intervention citoyenne et sa créativité. En votant cette loi le groupe communiste entend y prendre toute sa part (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). Mme Roselyne Bachelot-Narquin - Le moins qu'on puisse dire, Madame le ministre, est que votre texte ne soulève plus l'enthousiasme des salariés. La période transitoire a permis de tordre le cou à quelques-uns de vos slogans. A vous entendre, ce dispositif créerait de l'emploi, relancerait le dialogue social et améliorerait les conditions de vie des salariés. Mais que constatons-nous ? Non, ce dispositif ne crée pas d'emploi. Les 120 000 emplois que vous annoncez triomphalement ne sont plus dans le secteur marchand que 85 000, dont 55 000 ne sont que des effets d'annonce, des emplois qui seront peut-être créés, des emplois virtuels... Sur les 30 000 autres, 15 000 relèvent de l'effet d'aubaine, selon les services même de votre ministère et sur les 15 000 qui restent, 7 000 sont des requalifications de salariés déjà présents dans l'entreprise, que ce soit sur CDD, en stage ou en intérim... Le bilan de la première phase n'est donc que de quelques milliers d'emplois ; encore faut-il en défalquer les emplois délocalisés ou détruits ... Nous le savons bien, la cause unique de la baisse du chômage est la reprise d'une croissance soutenue dans l'ensemble des pays occidentaux. Le dispositif a-t-il relancé le dialogue social ? Peut-être dans certaines entreprises. Mais il n'y a eu aucune négociation dans 80 % des entreprises de plus de vingt salariés ! Elles vont pourtant devoir passer aux 35 heures, surtout parce que, pour toucher les aides, il faut avoir engagé une négociation, laquelle dure six à neuf mois... Comment expliquez-vous que ce merveilleux mécanisme n'ait intéressé ni les salariés ni les entrepreneurs ? Enfin ce dispositif constituerait selon vous un progrès social. C'est peut-être le cas pour certains salariés, ceux des entreprises prospères et sans problèmes ; encore en auraient-ils sans doute, même sans lui, obtenu les avantages. Mais qu'apporte-t-il aux autres ? Le gel des rémunérations, une flexibilité accrue, nuisible à la vie personnelle et familiale, et la remise en cause des avantages acquis. Le bilan de la phase transitoire est donc bien maigre. La deuxième lecture aurait au moins pu être l'occasion -vous l'avez manquée- de simplifier un texte que Jean-Jacques Dupeyroux, dans la Revue du droit social, décrit comme « un réseau de règles d'une complexité accablante ». Oui, quoi que vous en disiez, il y aura un double SMIC possible, entre travailleurs à temps partiel et à temps complet, comme entre les nouveaux embauchés et les salariés déjà en place. Oui, le régime des heures supplémentaires comporte deux périodes transitoires, trois systèmes de rémunération, quatre taux de majoration. Oui, ce texte est une machine de guerre contre le temps partiel, par la multiplication des procédures et la suppression de l'abattement. Pour combattre le temps partiel subi, vous tuez le temps partiel choisi, moyen essentiel de lutte contre le chômage et d'organisation de la vie personnelle. Oui, le dispositif est coûteux, comme M. Accoyer l'a remarquablement montré dans le débat sur la loi de financement (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR). Son financement est complexe, incertain et incomplet. Et il ne s'agit pas d'une baisse de charges, mais simplement d'une compensation partielle du surcoût du travail qu'engendre le dispositif. La deuxième lecture a même été l'occasion -pardonnez-moi l'expression- de passer une deuxième couche de complexité. Des députés de la majorité, confrontés aux difficultés du terrain, ont déposé des amendements parfois sympathiques, mais qui ont multiplié les régimes d'exception. On a ainsi vu un amendement -déposé, je crois, par un député de Bourgogne- qui excluait de l'effectif les représentants en vin pour ce qui est de la date de mise en _uvre de la réduction du temps de travail... On croit rêver ! Le groupe RPR ne peut voter un texte qui renonce à créer de l'emploi, qui brouille le dialogue social et qui refuse aux salariés le droit de choisir le progrès social qui les concerne (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). M. Georges Sarre - Ce vote est une étape importante. Nous aurons ainsi tenu le principal engagement pris devant les Français lors de la dernière campagne législative : la France sera « passée » aux 35 heures. Cette réforme a été portée par le Gouvernement et les partis de la majorité plurielle au nom de la bataille pour l'emploi. Je tiens donc à exprimer notre satisfaction de la voir confirmée dans son objectif initial, grâce au maintien du principe essentiel de contreparties aux aides publiques en termes de création ou préservation d'emploi. A présent, cette loi sera d'autant plus efficace contre le chômage que les salariés et les syndicats sauront occuper le nouvel espace contractuel ainsi ouvert. Ils vont pouvoir déployer une démarche revendicative appuyée sur les attentes concrètes des différentes catégories de salariés, et orientée vers la création d'emplois stables, avec de fortes garanties collectives. Ils vont pouvoir renouer de façon dynamique avec un syndicalisme porteur de conquêtes sociales. A eux d'avoir une approche offensive de la négociation, d'inclure l'emploi dans leurs objectifs stratégiques, de « mettre leur nez » dans l'organisation du travail. Déjà la réduction du temps de travail a permis d'ouvrir la porte des PME, réputées infranchissables pour le syndicalisme. Elle a mobilisé des salariés que l'on croyait imperméables à toute action collective. Des potentialités immenses existent pour les salariés et leurs syndicats. Nous n'en sommes, je veux le croire, qu'au début de la rénovation des relations professionnelles dans notre pays. Appréciée comme une avancée importante par tout le syndicalisme européen, la loi des 35 heures a relancé les débats en Europe sur la réduction du temps de travail et ouvre des perpectives revendicatives nouvelles chez beaucoup de nos voisins. En France, les vents contraires auront été nombreux. Je déplore notamment que le MEDEF se soit à ce point lancé dans une politique de dénigrement et de retardement systématique. Il n'aura eu de cesse de vouloir entraîner dans son scepticisme les entrepreneurs, les salariés et les acteurs économiques, sans heureusement y parvenir. Déréglementation, flexibilité, réduction du coût du travail et des impôts : son credo, trop souvent relayé ici par la droite (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), n'en finit pas de récuser la question sociale. Eh bien, nous, nous la posons ! Bien sûr, nous n'avons jamais pensé que la réduction du temps de travail serait à elle seule la solution miracle pour l'emploi. Mais nous avons toujours soutenu qu'elle s'imposait dans un pays où le chômage de masse faisait encore des ravages et qu'il fallait agir sur tous les leviers de l'emploi. Après trois ans de travail, de réflexion et de polémique, nous voilà presque au bout du chemin. Après les emplois-jeunes et la loi de lutte contre les exclusions, la réforme des 35 heures fera date et illustrera une fois encore notre volonté commune de construire une société où l'économie et le progrès soient davantage au service de l'homme, et où le politique ne se résigne pas à laisser agir les seules forces du marché (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Germain Gengenwin - A l'heure, Madame la ministre, où votre majorité s'apprête à voter ce texte, hors de l'hémicycle les tensions sociales s'aiguisent, dans le secteur privé comme dans le public. Ecoutez ces Français, salariés, chefs d'entreprise, représentants syndicaux ! Que vous disent-ils ? Les salariés, qu'ils veulent bénéficier des fruits de la croissance et que les 35 heures ne leur en laissent guère d'espoir. Les chefs d'entreprise, qu'ils refusent une réduction du temps de travail autoritaire et uniforme qui ne tient pas compte des réalités. Les représentants syndicaux, qu'ils veulent le respect des accords passés. Les partenaires sociaux, qu'ils ne veulent plus être les financeurs de l'opération... Nul ne peut aujourd'hui mesurer la portée d'une loi qui n'existe nulle part ailleurs, si ce n'est à Monaco, et qui ne sera pas sans effets sur notre économie. La première conséquence sera la perte de compétitivité de nos entreprises, car toute heure de travail au-delà des 35 heures coûtera plus cher. La deuxième sera le blocage du pouvoir d'achat de tous les salariés et la progression du nombre des salariés au SMIC. La troisième est la complexité accablante du système. Le dernier élément négatif tient au coût de l'opération, au moins 110 milliards, et aussi à son mode de financement. M. Cahuzac, dans son rapport, affirme que les ressources apparaissent plus qu'incertaines, sauf à alourdir la pression fiscale. Sans doute la réduction de la durée du travail a-t-elle permis de relancer le dialogue social dans l'entreprise, pourvu qu'il ne soit pas confisqué au niveau des branches (Murmures). M. le Président - Veuillez écouter l'orateur ! M. Germain Gengenwin - Au total, l'aspect négatif du projet l'emporte. Nous avons tâché d'apporter notre contribution à ce débat, et je salue à cet égard le travail d'Hervé Morin, mais le jonglage auquel vous avez été contrainte au sein de votre majorité plurielle n'a laissé aucune place à nos propositions, non plus qu'à celles du Sénat. L'application de ce texte se fera à front renversé. En effet le patronat, surtout celui des grandes entreprises, sera souvent satisfait, tandis que les salariés risquent d'être déçus. Vous vous êtes enfermée dans la contradiction de dire aux Français, d'un côté, de travailler moins, et de leur annoncer, de l'autre, qu'ils devront travailler davantage pour financer leurs retraites. Pour toutes ces raisons, le groupe UDF votera contre le projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). A la majorité de 306 voix contre 248 sur 555 votants et 554 suffrages exprimés, l'ensemble du projet est adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste) La séance, suspendue à 17 heures 5, est reprise à 17 heures 15. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. de Courson, visant à améliorer la détection d'enfants maltraités. M. Charles de Courson, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Il était une fois un élève de la classe de CM1-CM2 du Mesnil-sur-Oger apprenant qu'un enfant de son entourage est victime de violences physiques. Il en parle à ses camarades qui, choqués, cherchent à en savoir davantage, et s'aperçoivent que de tels cas ne sont pas rares. Alors, les enfants s'interrogent : la société, les adultes font-ils tout ce qu'ils peuvent pour empêcher ce phénomène ? Les enfants martyrisés peuvent-ils se confier ? Accuser quelqu'un de maltraiter un enfant est un acte grave : comment prouver des violences qui ne se voient pas toujours ? Les enfants du Mesnil-sur-Oger décident alors d'élaborer un texte sur cette question en vue du « Parlement des enfants » le 5 juin dernier et leur proposition a finalement été retenue, après des travaux attentifs et sérieux, par les 577 élèves réunis dans notre hémicycle. Il m'appartient, en tant qu'élu de la cinquième circonscription de la Marne, de veiller sur la destinée de ce texte, que j'ai déposé sous forme de proposition de loi. Pour la quatrième fois, une proposition débattue au Parlement des enfants peut ainsi devenir une loi de la République. Frappé par la pertinence et la maturité de la réflexion des enfants, je ressens ma fonction de rapporteur comme un honneur. Cette proposition pose un problème dont nul ne peut sous-estimer la gravité et met très judicieusement l'accent sur le rôle de l'école. Que recouvre exactement la notion de maltraitance ? Je regrette qu'un sujet de cette nature n'échappe pas à la très technocratique tendance à établir des catégories. Enfants maltraités, enfants à risque, enfants en danger, tous sont des enfants malheureux, que nous devons entendre et protéger. Nous ne sommes d'ailleurs pas, en France, bien armés pour mesurer le phénomène. Les rapports de l'ODAS n'existent que depuis cinq ans et ne portent que sur les maltraitances révélées. Or, le texte des députés juniors souligne que tout ne se dit pas et que tout ne se sait pas. Dans certains pays anglo-saxons, on a interrogé des adultes appartenant à une même génération sur les mauvais traitements qu'ils ont subis dans leur enfance ; 10 % auraient été victimes d'actes de violences sexuelles, physiques ou psychologiques, dont environ la moitié aurait donné lieu à signalement. Peut-on transposer ces résultats en France ? Les médecins que j'ai rencontrés m'ont fourni des réponses cohérentes, quel que soit leur lieu d'exercice. Chacun a, chaque année, signalé dans son secteur scolaire deux à six cas d'enfants maltraités. Il y aurait, dans chaque classe, un ou deux enfants maltraités, le double dans les zones défavorisées. Si l'on considère que le taux de violences est à peu près le même en France que dans les pays anglo-saxons, on peut estimer que le taux de révélation dans notre pays se situe au-dessous de 50 %, plutôt entre 25 et 30 %. L'augmentation des violences révélées peut résulter d'une amélioration des taux de révélation, mais aussi d'un accroissement du nombre d'actes eux-mêmes. Nous avons, en la matière, davantage d'intuitions que de certitudes, mais il faut se méfier des idées reçues. L'image de l'enfant battu affabulant pour expliquer ses traces de coups correspond hélas à une réalité, mais pas à toute la réalité. De même, le retentissement médiatique de certaines affaires ne doit pas conduire à surestimer la part des abus sexuels. Dans l'ensemble des violences et des maltraitances, la première place revient aux violences psychiques, aux négligences graves, aux carences de toutes sortes -matérielles, mais aussi morales et affectives. La maltraitance a des origines diverses. Il existe, on l'oublie trop souvent, une violence entre enfants, et le phénomène ne fait que s'aggraver. Il est plus difficile d'apprécier l'évolution des violences familiales et extra-familiales, même s'il est vraisemblable qu'elles s'accroissent aussi. Comment réagir ? Il existe de grands textes internationaux, parmi lesquels la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, dont nous venons de célébrer le dixième anniversaire. Il existe aussi -et c'est à l'honneur de notre pays- un impressionnant dispositif législatif et réglementaire, ordonné autour de la loi du 10 juillet 1989, relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus besoin de légiférer : la démarche proposée par le Parlement des enfants est utile, tous les responsables d'organismes de protection de l'enfance que j'ai rencontrés en ont approuvé le principe. Les enfants ont eu raison d'insister sur le rôle de l'école. N'est-elle pas le lieu où, en dehors de sa famille, l'enfant passe le plus de temps ? Or le système scolaire est à l'origine d'un faible nombre de signalements d'enfants maltraités : 8 % dans le département de la Marne, sans doute autour de 10 % en moyenne nationale, même si les chiffres exacts sont difficiles à établir. Les instruments juridiques d'une participation effective de l'éducation nationale à la lutte contre la maltraitance existent, mais les enseignants font preuve de prudence légitime, voulant éviter de se placer dans une situation difficile vis-à-vis des familles ; quant aux médecins scolaires, ils craignent de plus en plus d'être condamnés pour dénonciation abusive, comme cela s'est récemment produit. Les deux mesures que nous vous proposons aujourd'hui peuvent améliorer les choses, en évitant de mettre en difficulté les enseignants et les médecins. Première idée, dont tous mes interlocuteurs ont souligné l'intérêt : l'instauration, dans tous les établissements scolaires, de séances d'information et de sensibilisation consacrées à l'enfance maltraitée. Il s'agit de généraliser une pratique qui existe déjà mais qui n'est pas assez répandue. Le texte initial de la proposition évoquait une séance annuelle mais, de l'avis général, deux ou trois réunions par an seraient nécessaires. Il ne s'agit pas d'y présenter tous les adultes -spécialement les parents- de manière négative. Il importe d'associer au déroulement de ces séances les familles, mais aussi les enseignants et plus largement, l'ensemble des services publics, les collectivités locales et les associations intéressées à la protection de l'enfance. Deuxième idée : le renforcement du rôle de la médecine scolaire dans la prévention et la détection des maltraitances. Actuellement, les visites médicales en cours de scolarité sont peu nombreuses. Après les contrôles au titre de la PMI effectués en maternelle, la loi impose un contrôle en présence des parents, au cours de la sixième année, qui s'applique en pratique à 95 % des enfants. Les contrôles ultérieurs, « périodiques » selon la loi, sont en fait rarissimes ; les examens lors de l'orientation en troisième ne touchent que deux tiers des élèves et les examens intermédiaires se raréfient. Pour que la médecine scolaire contribue à mieux lutter contre les maltraitances, faut-il, comme l'avaient initialement envisagé les enfants, des visites médicales annuelles à l'école ? Après réflexion, je n'en suis pas convaincu : elles ne permettraient de déceler ni les abus sexuels, ni les maltraitances psychiques et il n'est pas sûr qu'elles seraient très efficaces pour détecter les violences physiques. Au demeurant, peut-on envisager de multiplier par sept les effectifs de la médecine scolaire ? Il paraît plus opportun d'affirmer plus nettement que la prévention et la détection des maltraitances figurent au nombre des missions importantes de la médecine scolaire. Certes, cette idée est déjà contenue dans des circulaires, mais il faut lui donner force de loi. Ainsi, l'école dans son ensemble pourra jouer un rôle utile : les enseignants, qui reçoivent une formation initiale en IUFM et une formation continue sur la maltraitance, sont en mesure de déceler des signes inquiétants ; en cas de doute, ils doivent pouvoir s'adresser au médecin scolaire, qui effectuera alors un examen approfondi. Loin d'être, comme on l'a parfois dit, un « gadget », l'élaboration de propositions inspirées par le Parlement des enfants fait progresser le droit sur des points particuliers. Les enfants qui ont eu l'idée dont nous débattons, qui nous écoutent aujourd'hui, peuvent être légitimement fiers. Ils doivent aussi avoir conscience que la loi ne peut pas tout, car elle est appliquée par des hommes et des femmes ; il faut aussi et surtout faire évoluer les mentalités. Un débat comme celui qui nous réunit peut y contribuer. Les députés juniors nous rappellent à la vigilance : l'action contre la maltraitance ne suppose aucun relâchement. La protection de l'enfance, qui avait été déclarée « grande cause nationale » en 1997, doit le demeurer (Applaudissements). Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire - Je suis particulièrement heureuse que la proposition de loi issue des débats du Parlement des enfants qui s'est tenu en mai 1999 soit en discussion aujourd'hui. L'initiative vient des élèves de la classe de CM1-CM2 de l'école primaire publique du Mesnil-sur-Oger, qui ont su décrire avec justesse la douloureuse situation des enfants maltraités, la difficulté pour les victimes de dire leur souffrance et la complexité de la détection de la maltraitance par l'entourage. Je voudrais ici citer l'exposé des motifs de leur proposition : « Des enfants de notre classe ont apporté des articles de journaux très choquants sur des enfants martyrisés. En nous renseignant davantage, nous nous sommes aperçus qu'il y en avait beaucoup. De plus, certains de notre classe connaissent des enfants battus et retirés de leur famille. Ce problème est grave car la plupart des enfants maltraités n'osent pas parler et les violences ne se voient pas toujours physiquement. Et si quelqu'un a un doute sur un enfant, il peut difficilement le dénoncer parce que l'on n'en est jamais sûr. Ainsi, nous avons pensé qu'il fallait faire prendre conscience aux enfants maltraités qu'il faut parler. Pour que ce sujet ne soit plus tabou, il faut en parler dans les écoles ». Tout est dit dans cette analyse : l'insuffisance d'information des enfants témoins ou victimes de maltraitance, l'impossibilité de communiquer, l'existence de différentes formes de maltraitance, qui ne sont pas toujours visibles, l'inquiétude de dénoncer à mauvais escient, la nécessité de briser la loi du silence dans les écoles. En ce qui me concerne, ce souci de briser la loi du silence guide mon action depuis deux ans et demi. Une circulaire du 26 août 1997 demande à tous les adultes de l'école de signaler les cas de mauvais traitements, en particulier de violences sexuelles, parfois commises dans le cadre scolaire. 90 % des enfants maltraités le sont dans leur famille et l'on sait combien il est difficile de parler de violences que vous font subir ceux que l'on aime et dont on a envie d'être aimé. J'ai demandé à l'ensemble des enseignants d'écouter et de respecter la parole des enfants car l'on considérait trop souvent que l'enfant affabulait ou l'on avait peur des conséquences d'un éventuel signalement. Désormais, les procédures sont claires : les adultes sont obligés de signaler les abus et sont eux-mêmes protégés, justice et éducation travaillent main dans la main pour que les auteurs de ces crimes soient punis. Au titre de la prévention, j'ai distribué à quatre millions d'élèves de cours élémentaire le « passeport pour le pays de prudence », afin de leur apprendre à éviter les situations à risques, à savoir dire non et à refuser certaines man_uvres de séduction des adultes. De même, la diffusion de documents pédagogiques comme le film « Mon corps, c'est mon corps » a permis de renforcer la sensibilisation des enfants au thème de la maltraitance. Une campagne contre le racket a également eu lieu afin de prévenir les violences entre élèves. Là encore, la loi du silence doit être brisée afin de faire reculer la violence. Pour remédier à tous ces maux, vous, les enfants, proposez de renforcer le rôle de la santé scolaire et je pense que vous avez raison de le faire parce qu'il est irremplaçable. En renforçant le nombre de visites médicales, vous permettrez de mettre à jour la maltraitance qui ne se voit pas, car il est souvent plus facile de se confier à une infirmière ou à un médecins scolaire qu'à un professeur qui vous note. Mais tous les adultes de la communauté éducative sont concernés et notamment, à l'école maternelle, les agents de service qui, les premières, peuvent détecter les maltraitances. En trois ans, le Gouvernement a créé 1 400 postes de médecins, d'infirmières et d'assistantes sociales et a inscrit dans l'emploi du temps des élèves les rencontres éducatives sur la santé. Ces initiatives vont dans le sens que vous évoquez. Au nom du Gouvernement, je soutiens la démarche que vous avez engagée, et je m'efforcerai de lui donner un contenu opérationnel : un temps particulier devra être réservé dans les emplois du temps pour sensibiliser les enfants aux phénomènes de maltraitance, les visites médicales devront être plus nombreuses, enfin, les enfants concernés devront être mieux informés de leurs droits. Au-delà, il faut dès l'école sensibiliser les enfants sur leurs responsabilités de parents de demain. J'ai donc l'intention de créer une éducation à la parentalité, à la vie, à la réflexion sur ce qu'est l'enfant afin que très tôt, les plus jeunes apprennent qu'un enfant est une personne à part entière. Je voulais vous adresser, à vous qui êtes les premiers auteurs de cette proposition de loi, ce message tout simple. Je souhaite également souligner l'excellent travail de la commission des affaires culturelles. Grâce à vous, nous allons faire progresser les droits des enfants et renforcer l'efficacité du système scolaire pour qu'il contribue à leur protection. Mais rien ne peut aller sans une formation de l'ensemble des enseignants à la détection et à la prévention de l'enfance en danger. Des stages doivent être organisés pour les aider à recueillir la parole d'un enfant maltraité, lorsque celui-ci a envie de se confier. Cette proposition de loi, avec les améliorations que l'Assemblée nationale ne manquera pas d'apporter, s'inscrit dans le cadre de la Convention internationale des droits de l'enfant, puisque celle-ci affirme dans son article 19 le droit des enfants à être protégés des mauvais traitements. Je suis convaincue que la maltraitance reculera lorsque les enfants oseront parler en confiance parce qu'ils sauront que l'adulte qui les écoute ne laissera pas retomber la loi du silence. Je remercie donc tous les élèves et tous les enseignants qui se sont associés à cette démarche. (Applaudissements) Mme Bernadette Isaac-Sibille - Cette proposition de loi s'attache à la question dramatique de la maltraitance des enfants. L'enfance en difficulté est un problème majeur de nos civilisations matérialistes où le nombre d'enfants à risque ne cesse de croître : 53 000 en 1996, 64 000 en 1998 ; ce phénomène est lié à la multiplication des familles déstructurées et j'observe que dans le même temps où le Gouvernement se lamente de ces évolutions, il promulgue des lois qui sont de nature à déresponsabiliser les parents. La maltraitance des enfants touche de nombreux domaines ; il importe que le Gouvernement soit attentif à chacun d'entre eux. La violence à la télévision, à la radio, sur Internet où foisonnent les sites affichant une pornographie violente... a un effet incitatif sur les jeunes. Dans mon département, des mineurs de moins de quinze ans se sont ainsi livrés à des viols sur des enfants de trois ans parce qu'ils auraient vu à la télévision une scène comparable. Dans le cadre de cette proposition de loi, les enfants eux-mêmes ont eu raison de considérer que l'école était le meilleur lieu de détection de la maltraitance. Ils proposent donc de renforcer l'obligation de visite médicale régulière et de favoriser la collaboration entre le service public éducatif, les collectivités locales et les associations en vue de mieux informer les enfants d'âge scolaire des risques de maltraitance. Comme je l'ai déjà dit à de multiples reprises, Madame la ministre, la médecine scolaire, adaptée à chaque bassin de santé afin d'intervenir au plus près des besoins des élèves, est le meilleur outil de détection de la maltraitance. Et il faut que les conseils généraux soient associés de très près à son organisation car ils sont, avec les services de protection maternelle et infantile et d'aide sociale à l'enfance, les mieux placés pour intervenir. Il convient aussi de les dédommager, car les actions de prévention et de traitement de la maltraitance coûtent cher. Ne lésinons pas sur les crédits à ce titre. L'UDF, qui s'est toujours montrée favorable à une famille responsable, votera cette proposition de loi. M. Pierre Carassus - La violence à l'égard des enfants ne peut être tolérée. Or, chaque semaine apporte une nouvelle situation d'enfants maltraités ou martyrisés. Pour autant, la loi du silence, qui règne en ce domaine, reste difficile à briser. La question du droit des enfants et de leur nécessaire protection n'est pourtant pas une idée nouvelle. Dès 1924, la Société des Nations avait ouvert une réflexion sur la nécessité d'accorder une protection spéciale à l'enfant et, en 1959, les Nations unies ont adopté la première déclaration des Droits de l'enfant. Le 20 novembre dernier, nous avons célébré le dixième anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France le 2 juillet 1990. Ce texte confère aux enfants le statut de sujets de droit tout en tenant compte de leur fragilité physique et affective. Le 10 juillet 1989, notre Assemblée a adopté la loi relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance, qui a donné naissance au service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée et à la mise en place d'un numéro vert. Ainsi, en 1997, lors du lancement de la grande cause nationale sur l'enfance maltraitée, 82 000 cas d'enfants victimes de mauvais traitements avaient été signalés en France. En Seine-et-Marne, le nombre de dossiers jugés en Cour d'assises a doublé entre 1995 et 1997 et sur 59 dossiers, 32 concernaient des affaires de viol ou d'inceste. Dans ce même département, les services sociaux ont reçu en 1997 1 400 signalements de cas de maltraitance à enfants. Depuis la création du Parlement des enfants, et en dépit de la législation existante, les enfants ont proposé plusieurs textes destinés à renforcer la protection des mineurs, cherchant de la sorte à nous faire comprendre que la législation était insuffisante ou mal appliquée. La proposition qui nous est soumise aujourd'hui vise à insérer dans le code de la santé publique un titre relatif à la maltraitance. En mai 1998 déjà, Mme Aubry avait, comme vous venez de le faire, Madame la ministre, insisté sur le fait que les violences de tous ordres commises à l'égard des enfants, notamment en institutions, devaient être combattues avec une extrême vigueur. Nul n'ignore que des violences physiques et sexuelles sont hélas commises, mais il en est d'autres, peut-être plus pernicieuses encore, qui sont les violences d'ordre psychologique. Celles-là jettent les enfants, et particulièrement les enfants handicapés, dans la plus profonde des solitudes. Et pourtant ! Malheur à ceux qui osent parler ! Considérés comme des parias, ils s'exposent à des sanctions d'une extrême sévérité. C'est ainsi qu'un éducateur a été condamné, pour diffamation, à trois mois de prison avec sursis et à 20 000 F d'amende. Depuis lors, deux éducatrices ont décidé, à leur tour, de dire ce qu'elles taisaient jusqu'alors. Malgré cela, l'affaire a été classée, en dépit d'un rapport accablant de l'IGAS ! Le statut juridique adopté par certaines de ces institutions prête à confusion. Est-il admissible de faire appel à de tels établissements pour répondre aux besoins du secteur social et médico-social ? Pourquoi certaines DDASS n'exercent-elles pas le rôle de tutelle qui devrait pourtant être le leur ? Autant de questions qui devraient conduire le Gouvernement à s'interroger. Il nous faut maintenant connaître plus précisément le nombre des enfants maltraités et la nature des violences commises. Ainsi seulement pourra-t-on intervenir avec efficacité. Malheureusement, des manques criants en personnel compétent se font sentir, qu'il s'agisse d'assistantes sociales, d'éducateurs spécialisés, de psychologues et d'infirmières scolaires ou de juges pour enfants. Depuis l'adoption de la loi du 10 juillet 1989, l'Etat a confié la protection de l'enfance à chaque président de conseil général. Il est à craindre que cela n'ait pour conséquence des inégalités entre département. Il est donc normal que, comme le prévoit l'article 2 de la proposition de loi, les charges supportées par les départements soient compensées par une majoration de la dotation globale de fonctionnement. En conclusion, nous pensons qu'il faudrait avant tout appliquer et faire respecter la législation existante pour renforcer la protection des enfants maltraités. Cependant, les députés du Mouvement des Citoyens voteront la proposition de loi, en souhaitant qu'elle contribue à permettre une meilleure détection des cas d'enfants maltraités, encore trop nombreux et sûrement sous-estimés (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste). M. Bernard Perrut - La proposition qui nous est soumise est d'un intérêt particulier, à la fois parce qu'elle reprend un texte présenté par une classe et adopté par le Parlement des enfants, ce qui est une expression de la citoyenneté digne d'éloge, mais aussi parce que la prévalence de la maltraitance ne doit pas être sous-estimée. Les enseignants sont parmi les mieux placés pour détecter les cas suspects et les signes de mal être. On constate cependant que moins de 10 % des signalements se font par ce canal et l'on ne peut que regretter l'insuffisance manifeste du nombre d'infirmières et de médecins scolaires -un pour 7 000 élèves ! On constate par ailleurs que la prévention de la maltraitance n'est pas l'une des priorités de la médecine scolaire, et que les signalements sont, de ce fait, souvent tardifs. Le rôle des psychologues est, en la matière, d'une importance particulière, mais leur travail est souvent occulté. De plus, on en compte beaucoup plus sûrement un pour 2 000 enfants que un pour 1 000 enfants, comme les chiffres officiels le laissent entendre. J'évoquerai plus particulièrement la maltraitance psychologique, ô combien pernicieuse, et dont on sait qu'elle peut prendre diverses formes, qui vont du rejet au dénigrement en passant par l'indifférence, le terrorisme ou le confinement. Ses conséquences sont d'une gravité reconnue, puisque le développement psychoaffectif des enfants qui en sont les victimes en est perturbé au point qu'ils commettent à leur tour des violences sur autrui ou se réfugient dans le mensonge ou dans la fuite. Face à ces violences destructrices, les bonnes intentions ne suffisent pas, et un dispositif concret de prévention et de détection de la maltraitance doit être appliqué. Ainsi, le numéro de téléphone « Allô, enfance maltraitée » est-il affiché, comme la loi y oblige, dans tous les lieux accueillant des enfants ? D'autre part, les associations spécialisées ont parfois des difficultés d'accès aux milieux scolaires, et l'on peut regretter que les initiatives prises par les départements ne soient pas mieux coordonnées. Personne, faut-il le rappeler, n'a le droit de faire subir de mauvais traitements à des enfants-même pas leurs parents. Pourtant, la lutte contre la maltraitance infantile donne des résultats décevants, et de plus en plus nombreux sont les enfants qui subissent des violences ou qui en font subir, dès l'école primaire. C'est ainsi qu'on a pu évaluer à 83 000, en 1989, le nombre d'enfants en danger, ce qui ne reflète, hélas, qu'une partie de la réalité. Souvent, en effet, des violences sont tues par peur de représailles ou de sanctions disciplinaires. Quels remèdes à cette situation envisagez-vous, Madame le ministre ? Il faut mener des campagnes répétées de sensibilisation dans les écoles, et y associer les parents et les associations concernées. Que deviennent les propositions relatives aux cellules d'écoute pour les parents en difficulté ? Quel sort réservé à la proposition de loi que j'avais formulée ? Que servira de prévenir si la violence demeure quotidienne et répétée à la télévision, devenue à la fois le baby-sitter et le seul repère d'enfants esseulés ? Mme Bernadette Isaac-Sibille - Exactement ! M. Bernard Perrut - La famille, qui a longtemps été un lieu d'amour vigilant pour les enfants, ne l'est bien souvent plus, et le Gouvernement n'a fait qu'aggraver les choses en faisant voter le Pacs (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). Dans la prévention de la maltraitance, l'école a un rôle essentiel à jouer mais ce sont tous les citoyens qui doivent se sentir concernés car le monde de demain sera à l'image des enfants d'aujourd'hui (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Mme Marie-Françoise Clergeau - La protection de l'enfance doit constituer une priorité nationale et mobiliser tout un chacun. En adoptant ce texte, qui illustre une nouvelle fois l'intérêt de la démarche citoyenne que constitue le Parlement des enfants, les députés juniors ont voulu encourager les victimes à parler. A nous maintenant de relayer leur message, de redonner confiance aux enfants en détresse et de montrer à ceux qui les persécutent que la société sera de plus en plus vigilante. La protection de l'enfance maltraitée était la grande cause nationale de l'année 1997. Dans ce cadre, de nombreuses rencontres ont été organisées. Celle de Belle-Ile en 1997 a permis aux enfants de s'exprimer. A la question : « Si un élève est maltraité dans ton établissement, que fais-tu ? », ils répondaient : « je le dirai à un adulte en qui j'ai confiance. J'essaierai de persuader mon camarade d'en parler ». On voit ici la confiance qu'ils ont dans les adultes. Il convient de s'en montrer dignes. Quelques chiffres illustrent l'ampleur du phénomène. En 1998, 83 000 enfants étaient en danger et 19 000 directement maltraités ; 7 000 étaient victimes de violences physiques, 5 000 d'abus sexuels, 5 300 de négligences graves et 1 700 de violences psychologiques. A chaque cas, une réponse particulière doit être apportée. De grands progrès ont été accomplis depuis l'adoption par les Nations unies, en 1989, de la Convention internationale des droits de l'enfant. Ainsi, la loi du 10 juillet 1989 a nommé la maltraitance et fait obligation à chacun de signaler à l'autorité judiciaire toute situation de maltraitance. La même loi a institué le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée, devenu le 119, qui reçoit plus d'un million d'appels par an. Elle contenait ainsi les premières dispositions relatives au statut du mineur victime. Puis, la loi du 17 juin 1998 a renforcé la répression des infractions sexuelles, instauré le suivi socio-judicaire, développé les mécanismes d'écoute et amélioré le statut du mineur victime. De nombreuses campagnes de prévention et d'information ont été organisées, en particulier en 1997, ce qui en a amélioré la prise de conscience du phénomène. Enfin, le 20 novembre dernier, à l'occasion du dixième anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, Mme Ségolène Royal a souligné que l'école avait aussi pour mission d'alerter les enfants sur les risques qu'ils peuvent encourir dans la vie quotidienne. La Convention a fait l'objet d'une présentation générale et « un passeport pour le pays de prudence » a été distribué. Ce document avait pour objectif d'apprendre aux enfants à se protéger sans pour autant devenir méfiants. Le texte que nous examinons aujourd'hui propose deux moyens de renforcer encore le rôle de l'école dans la lutte contre la maltraitance : les visites médicales obligatoires, une séance d'information et de sensibilisation sur l'enfance maltraitée. La responsabilité de détecter les cas d'enfants maltraités devra s'exercer en lien avec l'enseignant, qui peut noter au jour le jour les changements de comportement, tandis que l'examen médical se limite à un moment donné. Mais le médecin et l'enseignant sont tous deux en mesure, quoique d'une manière différente, de déchiffrer les différents signes de maltraitance, qu'ils soient physiques ou psychologiques. J'ai souhaité amender le texte afin que la réunion annuelle d'information soit clairement inscrite dans l'emploi du temps des élèves et constitue un rendez-vous incontournable. Il me paraît important qu'elle soit organisée à l'initiative du chef d'établissement et qu'elle associe toute l'équipe éducative mais aussi les familles et les associations. Les « réseaux de parentalité » constituent aussi des outils privilégiés de prévention : des parents peuvent en rencontrer d'autres et, le cas échéant, des professionnels qui les aident à surmonter leurs difficultés. En libérant la parole, en informant les enfants sur leurs droits et en renforçant la pression de la société sur les bourreaux, nous donnerons le courage aux enfants maltraités de se libérer de leur fardeau (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste). Mme Martine Aurillac - Cette année encore, le Parlement des enfants a été bien inspiré en adoptant une proposition de loi visant à améliorer la prévention et la détection des mauvais traitements à enfants. Reprise par Charles de Courson, député de la circonscription des élèves du CM2 initiateur de ce texte, la voici inscrite à notre ordre du jour peu de temps après le dixième anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant de l'ONU. Avant même l'entrée en vigueur de celle-ci, le droit français avait commencé à subir des modifications notables. Ainsi, la France s'était dotée le 10 juillet 1989 d'une loi permettant notamment aux autorités d'être mieux armées pour prendre la mesure de la maltraitance et ajuster les politiques de prévention et de protection. Cette loi avait aussi créé un service national d'accueil téléphonique devenu en mars 1997 un numéro d'appel simplifié, le « 119 », plus facilement mémorisable par les enfants et qui n'apparaît pas sur les factures de téléphone. Depuis l'installation de ce service, les signalements se sont accrus, ce qui marque à la fois l'impact de la crise sur la famille mais aussi le fait que les gens ont pris conscience de la nécessité de parler. Pour compléter ces dispositifs, un programme national d'action contre les atteintes à la dignité et à l'intégrité des enfants, intitulé « agir pour la protection des enfants maltraités », a été lancé par le gouvernement Juppé le 20 novembre 1996. L'année suivante, la protection des enfants maltraités a été déclarée grande cause nationale. Dans ce cadre, un très large dispositif a été mis en place pour sensibiliser l'opinion publique, et développer de nouvelles initiatives. Un comité interministériel a été créé cette année-là afin de définir la politique interministérielle de lutte contre les maltraitances d'enfants. Parallèlement, toujours sous l'impulsion du gouvernement Juppé, un groupe permanent interministériel pour l'enfance maltraitée -le GPIEM- a été installé le 24 avril 1997. Cet effort a été poursuivi, notamment par trois circulaires : celles du 27 mai 1997, coordonnant la prise en charge dans chaque région des victimes d'abus sexuels ; celle du 26 août 1997 renvoyant aux textes qui définissent les différents abus et organisant l'assistance psychologique à apporter en cas de procédure judiciaire ; enfin celle du 5 mai 1998 rappelant aux préfets leur obligation de vigilance et de saisine de l'autorité judiciaire dans les divers cas de maltraitance. Il serait d'ailleurs utile de savoir où en est l'application de ces circulaires. Un guide de méthodologie destiné aux médecins inspecteurs de santé publique et aux inspecteurs des affaires sanitaires et sociales a été réalisé dans cette lancée. Dans le domaine de la prévention et de l'information, des progrès restent à faire, car la chape du non-dit est encore lourde, et le taux de révélations reste bien faible. Certaines mesures supplémentaires ont été préconisées dans le rapport de la commission d'enquête sur l'état des droits de l'enfant en France présidée par Laurent Fabius. Il s'agissait notamment de multiplier dans les écoles, les points d'affichage du numéro vert du SNATEM, de lancer périodiquement sur les grands médias une campagne nationale d'information sur la maltraitance, mais aussi d'augmenter le nombre d'infirmières en milieu scolaire et de moderniser les modes d'intervention de la médecine scolaire en développant les diagnostics fondés sur la parole de l'enfant. La présente proposition n'arrive donc pas en terrain vierge, mais entend utiliser le milieu scolaire pour aller plus loin. Elle prévoit d'une part d'organiser pendant toute la scolarité une visite médicale annuelle destinée notamment a détecter la maltraitance, et d'autre part d'instaurer une séance d'information sur l'enfance maltraitée, chaque année, dans l'ensemble des établissements scolaires, à l'intention des élèves ; à cet égard certaines collectivités locales ont déjà donné l'exemple, comme Paris. Les charges supplémentaires qu'entraîne cette mesure sont portées à l'article 2. Notre commission, à l'initiative de son rapporteur, a adopté quelques modifications judicieuses pour rendre le texte plus réaliste dans l'application. Il s'agit essentiellement d'insister sur le rôle de la médecine scolaire et de l'école dans la prévention des maltraitantes physiques, sexuelles ou psychologiques, et de prévoir au minimum une séance annuelle de sensibilisation afin d'associer, point très important, les familles aux actions de prévention : dans une matière aussi sensible, il faut toujours privilégier le dialogue. Ainsi modifiée, la proposition ajoutera aux dispositifs existants, un moyen supplémentaire d'information et de détection. Certes, elle relève plus du règlement que de la loi... Mais nous ne bouderons pas pour autant l'initiative sympathique de nos jeunes collègues d'un jour. Ce contexte consensuel s'inscrit dans l'adaptation du droit français à la Convention sur les droits de l'enfant. Il va dans le sens de l'une des stipulations les plus emblématiques de cette convention : le droit à l'expression de l'enfant. Nous devons continuer d'agir pour briser cette loi du silence qui a trop longtemps étouffé la parole de l'enfant. Les premiers pas ont été faits. Ce texte ne peut que renforcer les droits de l'enfant, même s'il faudra aller plus loin. C'est pourquoi le groupe RPR le votera bien volontiers. M. Bernard Birsinger - Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage aux 577 enfants qui, le 5 juin dernier, occupaient les bancs de cet hémicycle et décidaient d'adopter une proposition de loi visant à améliorer la détection d'enfants maltraités. A nouveau, après leurs aînés de 1997, les enfants ont adopté une loi relative au droit à la santé. Je me félicite qu'il nous soit proposé d'en faire une loi de la République. Il est important de dire de la sorte aux enfants qu'on prend en compte leur avis, qu'on les considère comme des personnes à part entière. A travers les choix que fait leur Parlement depuis plusieurs années, je vois les enfants poser la question de leur rôle dans la société. Ils souhaitent être protégés, mais aussi être acteurs, partenaires à part entière des efforts entrepris. Avec cette proposition de loi, ils nous disent : comptez sur nous pour lutter contre la maltraitance que subissent certains d'entre nous. Les enfants ont besoin d'instruction civique, mais aussi d'être incités à exercer leur citoyenneté. Si nous, parlementaires, donnons l'exemple de la prise en compte de leur parole, nous enverrons un message fort à toute la société. Adoptant un comportement responsable, les enfants eux-mêmes contribuent à rompre la vieille habitude de croire que les maltraitances envers les enfants n'existent pas au quotidien. C'est pourtant une réalité récurrente dans notre société, même quand l'actualité, ne l'éclaire pas. Les enfants, enfermés dans la dépendance, ignorant souvent leurs droits et craignant les conséquences de leur témoignage, hésitent à dénoncer les violences dont ils sont victimes. Trop souvent, les voisins ferment un peu les yeux, que ce soit par peur des représailles ou parce qu'ils pensent que les autorités interviendront naturellement. Quant aux professionnels de santé, ils risquent, s'ils donnent l'alerte d'être injustement pénalisés ; nombre de leurs confrères ont été licenciés pour avoir signalé des sévices envers des enfants. La protection des enfants doit être l'affaire de tous : éducateurs, parents, juges, policiers, enseignants, pouvoirs publics, collectivités. On ne peut plus se taire. Prévenir ces gâchis d'enfance n'est pas impossible, et peut-être d'abord en s'attaquant aux raisons profondes du malheur des familles. Ne faut-il pas rechercher aussi dans la pauvreté, le chômage, la désespérance, le mal-vivre, ces tensions qui font payer aux enfants ce que subissent les adultes ? Je me félicite que nous abordions cette proposition quelques jours après avoir débattu ici-même des droits de l'enfant. La promotion des droits de l'enfant nous arme mieux contre la maltraitance que subissent certains. En cette année 1999, anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, mais aussi de la loi de prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs, nous devons légiférer pour faire progresser réellement ces droits. Au premier rang de ceux-ci figure le droit de l'enfant à être protégé contre toute atteinte à son intégrité physique et morale. Quelles que soient les limites des sources statistiques, nous savons que les magistrats traitent chaque année plusieurs dizaines de milliers de dossiers. La complexité des situations nécessite une multiplicité d'interventions. Les violences les plus fréquentes sont les coups administrés aux enfants par les adultes, dans les familles ou plus rarement dans les institutions. Mais nous devons rester attentifs aux maltraitances psychiques : humiliations, abus d'autorité, vexations ou brimades, ou, plus grave encore, aux agressions à caractère sexuel. Conscients des blocages auxquels se heurte la détection de ces actes, les 577 enfants réunis en juin ont souhaité donner à l'école un rôle particulier. Ils proposaient donc l'organisation obligatoire d'une visite médicale annuelle dans chaque classe à partir de la maternelle en précisant, dans un souci d'efficacité, qu'elle ne devait être annoncée que la veille. Une telle mesure exige des moyens, notamment du personnel médico-scolaire, et nous oblige à prendre acte des insuffisances en la matière. J'aurais souhaité que nous abordions cette question autrement qu'en adoptant un amendement du rapporteur qui élimine cet aspect important, au motif « que cela représenterait une dépense publique inutile au regard des résultats espérés ». On risque ainsi d'en rester à la situation actuelle, qui ne prévoit que trois contrôles au cours de la scolarité : en ce cas l'objectif de la loi ne serait pas atteint. On ne peut pas en même temps dire aux enfants qu'on les écoute, et ajouter : « à condition que cela ne coûte rien ». Ce double langage porte atteinte à l'efficacité du Parlement des enfants. Je rappelle d'ailleurs que la loi adoptée par les enfants en 1997, qui prévoyait la création d'un poste d'infirmière par groupe scolaire, n'a toujours pas été reprise par les parlementaires. Nous devrions entendre vraiment les enfants, qui ont compris quel rôle majeur peut jouer l'école pour avancer le droit à la santé. Notre Assemblée devrait montrer plus de volonté et mettre ses actes en conformité avec les bonnes intentions affichées. D'autant qu'il reste énormément à faire en matière de santé scolaire. Certes nous n'en sommes plus aux années de stagnation qui ont précédé l'arrivée d'une nouvelle majorité, et les efforts entrepris depuis 1997 sont réels ; mais ils demeurent insuffisants pour répondre aux besoins. Récemment, les infirmières, les médecins, les assistantes sociales, les psychologues scolaires ont exprimé l'exigence d'une médecine scolaire efficace. Tant que nous n'aurons pas décidé d'abonder fortement ses moyens, nous ne pourrons pas vraiment avancer. Le deuxième volet de la proposition prévoit l'organisation d'une séance annuelle d'information et de sensibilisation sur l'enfance maltraitée, qui associera les familles, des services publics de l'Etat, et des collectivités locales, et des associations intéressées. Cette disposition est d'autant plus opportune que, selon certaines études, 80 % des parents maltraitants ont eux-mêmes subi des mauvais traitements durant leurs premières années. Pour éviter que le phénomène ne se perpétue, ne pourrait-on envisager avec les enfants victimes un suivi de longue durée ? Les députés communistes voteront cette proposition de loi, en étant persuadés que la lutte contre la maltraitance des enfants doit aussi s'accompagner d'autres mesures. Je pense aux efforts du Gouvernement pour lutter contre les abus sexuels. Je pense aussi à la distribution à tous les élèves de plaquettes d'information sur les droits de l'enfant et sur la maltraitance, adaptées à leur âge. Mais je pense aussi aux travaux de la commission parlementaire d'enquête sur l'état des droits de l'enfant en France, qui a rendu son rapport en mai 1998. Celui-ci constatait la nécessité d'augmenter le nombre de professionnels de santé dans les établissements scolaires. Il avançait en outre des propositions dont certaines ont trait à la lutte contre les maltraitances et qui demeurent toujours d'actualité. Cette lutte passe par l'information et la détection. C'est pourquoi le rapport proposait d'étendre l'obligation d'affichage du numéro vert du SNATEM dans les lieux publics, particulièrement les salles de cours. J'évoquerai aussi la formation des personnels enseignants et soignants de l'éducation nationale. A peine plus de 4 % des infirmières et des assistantes sociales sont formées au problème de la maltraitance, ce qui est catastrophique, pour reprendre votre terme, Madame la ministre. D'autre part, vous avez informé la commission d'enquête que le Gouvernement entendait intégrer des modules sur le sujet dans la formation des stagiaires en IUFM. Je souhaiterais en savoir plus sur l'état d'avancement de ces dossiers. L'école est un lieu privilégié pour détecter les maltraitances. Généraliser la scolarisation dès deux ans y contribuerait, tout comme le texte adopté l'an dernier à l'initiative des députés communistes sur l'obligation scolaire, qui visait à éviter une maltraitance particulière : celle que subissent les enfants vivant à l'intérieur d'une secte. Les enfants peuvent compter sur moi : j'entends rendre compte de nos débats aux enfants de ma circonscription -et j'invite chaque député à en faire autant- afin de les rendre actifs dans la lutte contre la maltraitance (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste). Mme Marie-Hélène Aubert - Nous ne pouvons qu'être sensibles à cette initiative, qui part d'un constat très inquiétant : aujourd'hui, dans un pays aussi riche que le nôtre, le nombre s'accroît des enfants victimes de mauvais traitements de la part de leurs parents ou d'autres adultes, ou encore d'autres enfants. Dans d'autres lieux, les enfants sont en proie à la guerre ou à la famine : nous devons penser aussi à la situation des enfants dans les pays du Sud. Selon différents rapports portant sur l'année 1998, 19 000 enfants sont maltraités et 83 000 seraient en danger. Voilà un chiffre accablant, qui ne porte pourtant que sur les cas signalés. Cette réalité intolérable appelle des mesures rapides et concrètes. Il ne s'agit pas d'accomplir une bonne action de fin d'année, mais d'engager une démarche volontariste pour traiter les effets, et aussi les causes, de la maltraitance. L'accès à un numéro vert est une bonne mesure, mais elle ne suffit pas. C'est pourquoi je salue l'initiative qui nous vient des enfants, et auquel le cadre scolaire est tout particulièrement adapté, puisqu'il s'agit principalement d'organiser des visites médicales et des réunions d'information et de sensibilisation. Plutôt que des visites régulières, je suggère des visites inopinées, plus efficaces pour repérer d'éventuels mauvais traitements, dont la détection requiert également des relais institutionnels entre les différents acteurs concernés. Qu'en est-il des adolescents, dont la maltraitance possède un caractère particulier ? Je me préoccupe du financement de ces actions de détection. Je constate bien votre effort pour créer des postes mais des disparités sont à craindre d'un département à l'autre, et entre secteur urbain et milieu rural ; ce dernier ne doit pas être oublié. Agir sur les causes de la maltraitance requiert de renforcer la prévention et l'information, et d'accorder une attention toute particulière à la situation des familles monoparentales, notamment celle des femmes seules et très démunies. Enfin, que penser d'un mode de développement où l'argent et les rapports de force sont constamment exaltés ? Parce que la maltraitance des enfants trouve souvent son origine dans les sévices subis jadis par les parents, ces derniers doivent pouvoir trouver des lieux de dialogue, par exemple des maisons de la famille. L'initiative que nous allons voter trouvera sa pleine dimension dans une démarche volontariste (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste). Mme Françoise Imbert - Depuis plusieurs années, nous transformons en lois de la République les préoccupations des enfants qui, en 1999, ont porté sur la maltraitance. Ce terme désigne à la fois les mauvais traitements physiques, la privation de soins, la cruauté mentale et les sévices sexuels, à commencer par l'inceste. En 1998, plus de 80 000 enfants en danger ont été signalés, et 20 000 cas de maltraitance constatés, dans un domaine où prévaut encore la loi du silence. L'interprétation de ces chiffres, en hausse constante, ne sont pas faciles à interpréter. Sans doute la sensibilisation, la médiatisation et l'amélioration de la formation comptent-elles pour beaucoup. Dans 30 % des cas, les enfants maltraités ont moins de cinq ans, 36 % ayant entre six et onze ans. Ce problème relève de notre responsabilité à tous. L'enfant qui subit des sévices se sent coupable, et n'ose pas se manifester. Il faut donc reconnaître à l'enfant le droit d'être entendu comme victime, lui faire admettre que l'on n'a pas le droit d'être battu, ni de laisser faire un adulte qui porte atteinte à son intégrité. Comment transmettre ces messages ? L'institution scolaire peut jouer là un rôle prépondérant. Je vais régulièrement à la rencontre d'élèves du premier et du second degré. Certaines questions m'ont étonnée : que faire pour aider un camarade qui souffre ? Le premier geste serait de contacter un adulte proche. Sinon, l'enfant devrait connaître les numéros de téléphone gratuits et anonymes. Les enseignants paraissent bien placés pour repérer la souffrance d'un enfant. Mais ils n'ont pas reçu la formation adéquate, qu'il est donc souhaitable de leur dispenser. Plus qu'un fait isolé, c'est un faisceau d'indices qui révèle une maltraitance : ecchymoses, difficultés relationnelles... L'article 434-3 du nouveau code pénal fait obligation à toute personne ayant connaissance de mauvais traitement infligé à un mineur d'informer les autorités judiciaires ou administratives. Mais les enseignants s'interrogent sur un droit moral de réserve face à une confidence de l'enfant, qui pourrait ressentir sa révélation comme une trahison. Il faut donc amener l'élève à y consentir, et l'enseignant devra alors alerter l'infirmière ou le médecin scolaire. En effet, ces professionnels sont déliés du secret professionnel en cas de sévices découverts sur mineurs. Mais ils demeurent en nombre insuffisant, et hésitent entre le danger d'une dénonciation abusive et le risque d'abandonner un enfant en danger. L'obligation de révéler est donc fermement énoncée, mais elle n'est pas pour autant facile à assumer. La proposition de loi qui nous est soumise peut contribuer à améliorer la situation. Les visites médicales peuvent permettre de détecter certains cas d'enfants en souffrance physique ; mais surtout, c'est en donnant l'information la plus complète possible que nous arriverons à faire prendre conscience aux enfants de la réalité de la maltraitance, comme le souhaitait la circulaire du 4 novembre 1999 parue au Bulletin officiel de l'éducation nationale. Le « passeport pour le pays de la prudence » sera remis aux élèves de CE1 ; cette démarche, voulue par le ministère de l'éducation fait bien de l'école un lieu d'éducation, de prévention et de protection. Dans l'académie de Toulouse, les professeurs de l'équipe mobile de remplacement pédagogique ont réalisé des ateliers pour traiter durant une journée de la maltraitance. Cette expérience révèle que le problème concerne autant les secteurs ruraux que les villes. Il y a dix ans, la Convention internationale des droits de l'enfant était adoptée. La France s'est engagée depuis cette date, comme 190 pays dans le monde, à assurer aux enfants leurs droits en matière de santé, d'éducation, d'alimentation et de protection contre toutes les formes de violences. Des progrès considérables ont été réalisés, mais il reste beaucoup à faire. La demande du Parlement des enfants, traduite dans cette proposition de loi, le montre. Après l'avoir votée, nous devrons travailler encore non seulement pour détecter la maltraitance, mais aussi pour la prévenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). La discussion générale est close. M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, de notre Règlement, les articles de la proposition de loi dans le texte de la commission. Mme Marie-Françoise Clergeau - Mon amendement 1 tend à donner plus de portée à l'obligation d'organiser au moins une fois par an une séance annuelle d'information et de sensibilisation, en indiquant que celle-ci doit être inscrite dans l'emploi du temps des élèves, ainsi qu'à préciser que ces séances sont organisées à l'initiative du chef d'établissement et associent l'ensemble des personnels de l'équipe éducative. M. le Rapporteur - La commission y est favorable. Mme la Ministre déléguée - Favorable. Mme Bernadette Isaac-Sibille - Il me paraît très opportun d'adopter cet amendement car nous avons souvent des difficultés lorsque nous voulons organiser dans les lycées des réunions sur la drogue. L'amendement 1, mis aux voix, est adopté. L'article premier, ainsi modifié, est adopté. M. le Rapporteur - L'article 2 était destiné à gager la dépense supplémentaire pour les départements. L'examen en commission ayant abouti à une modification de l'article L. 198-1 relatif aux visites médicales, il semble qu'il soit devenu inutile. Je propose donc de le supprimer. Mme la Ministre déléguée - Le Gouvernement partage l'avis du rapporteur. L'article 2, mis aux voix, n'est pas adopté. M. le Président - Conformément aux conclusions de la commission, le titre de la proposition sera ainsi rédigé : « Proposition de loi visant à renforcer le rôle de l'école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants ». L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté à l'unanimité. M. le Président - Je pense que cette adoption fera le plus grand plaisir à ceux qui sont à l'origine de cette idée et à l'ensemble des membres du Parlement des enfants. M. le Président - J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre soumettant à l'approbation de l'Assemblée le texte de la CMP sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et sportives. En conséquence, l'ordre du jour appelle la discussion du texte de la CMP. M. Jean-Claude Beauchaud, rapporteur de la CMP - Réunie le 1er décembre à l'Assemblée nationale sous la présidence de Jean Le Garrec, la CMP est parvenue à un accord sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi présentée par Jean-Marc Ayrault et adoptée par notre assemblée le 18 juin dernier. Au chapitre premier relatif aux sociétés sportives, elle a adopté les deux premiers articles dans la rédaction du Sénat. Il est prévu à l'article premier que les associations sportives susceptibles de constituer des sociétés commerciales sont les associations affiliées à une fédération sportive, telle que définie par la loi du 16 juillet 1984, et que les sociétés commerciales ainsi constituées sont à la fois régies par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et la présente loi, s'agissant de sociétés à statuts bien particuliers. A l'article 2, il est précisé que les sociétés anonymes sportives professionnelles ne peuvent faire appel publiquement à l'épargne. Au chapitre II, la CMP a adopté pour l'article 6 la rédaction du Sénat, qui précise le dispositif de protection des sportifs mineurs ; elle a accepté l'article 6 bis, introduit par le Sénat, qui prévoit le blocage des rémunérations perçues par les sportifs de moins de seize ans jusqu'à leur majorité, par assimilation aux règles applicables aux jeunes mannequins. L'Assemblée nationale avait adopté un article 7 bis, relatif au droit d'exploitation des manifestations sportives et un article 7 ter prévoyant un avis du CSA sur les projets d'acquisition d'un club sportif par un service de télévision. Le Sénat les avait supprimés ; la CMP a maintenu cette suppression, considérant qu'il serait plus opportun de traiter les problèmes soulevés -bien réels- dans le cadre du projet réformant la loi de 1984. En revanche, deux articles additionnels adoptés par le Sénat, qui répondent à une urgence, ont leur place dans ce texte et ont été adoptés par la CMP. Faisant suite à un contrôle de dopage positif pour lequel la fédération concernée a prononcé une décision de non-lieu, l'article 10 a pour objet de donner au conseil de prévention et de lutte contre le dopage la capacité de se saisir pour réformer éventuellement une décision, l'article 15 de la loi du 23 mai dernier n'évoquant dans sa rédaction actuelle que le cas de sanction. L'article 11 tend à légaliser le pouvoir confié aux commissions spécialisées mises en place par le comité olympique et sportif français à la demande du Gouvernement pour organiser les activités de certaines disciplines sportives qui ne sont pas dirigées par une fédération agréée. Les compétitions ne pourront plus échapper aux dispositions de la loi du 23 mars, notamment en ce qui concerne l'interdiction du dopage. Le principal débat entre les deux assemblées portait sur l'article 7. L'Assemblée nationale avait adopté un dispositif tendant à protéger les centres de formation des transferts abusifs, en permettant que l'accès d'un sportif à un centre soit subordonné à la conclusion d'un premier contrat, d'une durée maximale de trois ans. Le Sénat envisageait un remboursement des frais de formation au club formateur en cas de transfert. La CMP a adopté un amendement qui concilie ces deux conceptions. Les centres de formation ne pourront bénéficier du régime protecteur instauré par la loi qu'à la condition d'avoir été agréés par le ministre des sports, sur proposition de la fédération compétente et après avis de la commission nationale du sport de haut niveau. Ce système évitera le risque de dérives ; on sait en effet que les centres français de formation, notamment des clubs de football, servent de modèle à de nombreux pays mais qu'un petit nombre d'entre eux ont des pratiques douteuses, dont la révélation a suscité une vive émotion. Avant l'accès à la formation, une convention qui permet au club formateur d'avoir une priorité d'embauche du jeune sportif à l'issue de la formation sera conclue ; le club pourra ainsi proposer au jeune qu'il a formé un contrat de travail de trois ans au maximum. A défaut, il devra lui fournir un programme d'accompagnement, d'insertion scolaire ou professionnelle. S'il ne souhaite pas poursuivre de carrière sportive, le texte réserve au jeune la faculté de ne pas conclure de contrat de travail avec son club. Enfin, la loi renvoie à un décret pris après avis du Conseil d'Etat le soin de définir les stipulations types des conventions d'accès aux centres de formation, qui seront ensuite adaptées à chaque discipline sportive. Nous sommes ainsi parvenus à un texte équilibré, qui tient compte aussi bien des intérêts des centres et des droits des jeunes sportifs. S'il est, certes, appelé à jouer en priorité dans le cadre « franco-français », il n'est pas pour autant dépourvu de portée. Son adoption sera un signe envers nos partenaires européens de la volonté de la France d'aller vers une réglementation commune en ce domaine. A l'instar de celui sur la lutte contre le dopage, il vous sera, Madame la ministre, d'un précieux secours dans les négociations à venir. Plus généralement, cette proposition de loi répond bien à l'objet de l'initiative parlementaire. Il pourrait paraître surprenant que nous réformions sur quelques points la loi du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités sportives, alors même que le projet de loi qui rénove l'ensemble du dispositif doit être prochainement soumis à notre examen. Mais cette proposition tend à régler, sans attendre le vote de la grande loi sur le sport, plusieurs problèmes ponctuels qui appelaient une solution urgente : l'adaptation des statuts des clubs sportifs professionnels, la pérennisation des subventions des collectivités locales aux sociétés sportives à la suite du décret Pasqua, la protection des mineurs, le maintien des centres de formation et la mise en _uvre de la loi sur le dopage. Je voudrais pour conclure souligner l'esprit constructif qui a prévalu au sein de la commission mixte paritaire, vous remercier, Madame la ministre, pour le soutien que vous avez constamment apporté à cette proposition, et remercier le président Le Garrec pour sa contribution au succès de la commission mixte qu'il présidait. Je demande donc à notre assemblée d'en adopter les conclusions car, pour limité qu'il soit, ce texte sera utile à l'ensemble du monde sportif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports - Après l'adoption à l'unanimité en mars dernier de la loi relative à la lutte contre le dopage, un texte législatif sur le sport fait une nouvelle fois l'objet d'un accord entre les deux assemblées et je m'en réjouis, car cet accord n'a rien d'un consensus minimum. Le texte issu de la commission mixte paritaire défend des options novatrices et une véritable éthique du sport. Les mesures préconisées ont donné lieu à un débat de qualité et je tiens à féliciter votre commission pour le remarquable travail de consultation qu'elle a mené. Je retiens de ce débat trois points particulièrement significatifs. Le premier concerne le sport professionnel, dont l'apport à l'activité économique est reconnu. Sa capacité à cultiver l'imaginaire et à susciter des vocations est incontestable. Dans le même temps, nous mesurons les effets désastreux de l'affairisme et de l'argent facile qui y règnent souvent. A partir de ce constat, une évolution de la loi était indispensable. A ce titre, cette proposition de loi permet une gestion plus transparente des activités économiques liées au sport et elle doit contribuer à maintenir le secteur professionnel dans l'organisation fédérale. Elle permet aux clubs professionnels de se doter d'un statut juridique adapté à la diversité de leurs situations et elle fixe des limites conformes au respect des règles sportives. En créant le statut de société anonyme sportive professionnelle, elle répond à une demande légitime. De même, elle refuse de soumettre le sport à la seule logique de l'argent, en interdisant la cotation en bourse et la possession de plusieurs clubs par un même actionnaire. Le deuxième aspect concerne les subventions des collectivités aux associations et sociétés sportives visées par le texte. Pour un grand nombre d'élus, il est clairement apparu que la position consistant à priver une ville, un département, une région, de la possibilité de contribuer à l'action d'un club professionnel, était devenue intenable. En effet, on ne peut à la fois s'inquiéter du risque d'un sport professionnel organisé en circuit fermé et obliger les clubs à trouver la totalité de leur financement dans la sphère privée. Pour autant, la mesure préconisée ne consiste pas à rétablir le droit aux subventions publiques. Il s'agit avant tout de déterminer la finalité des fonds publics et d'organiser le contrôle de leur utilisation. Comme je m'y étais engagée, je souhaite vous faire part des principales orientations que contiendra le décret d'application de la loi. En premier lieu, il sera indiqué que les subventions des collectivités ne pourront être utilisées à d'autres fins qu'au financement de missions d'intérêt général, clairement identifiées, telles que la formation des jeunes, la participation du club à des actions d'éducation et de solidarité sociale, l'amélioration des conditions d'accueil et de sécurité du public, la protection de la santé des sportifs et la lutte contre le dopage, le développement des pratiques sportives associatives et en particulier l'accès des jeunes femmes au sport. Le décret fixera ensuite un montant maximum de subventions, à partir de la situation actuelle des clubs. Enfin, il sera indiqué que le montant cumulé des fonds publics ne pourra en aucun cas être supérieur au montant du « sponsoring » privé. Contrairement à une idée répandue, les clubs qui attendent cette mesure avec le plus d'impatience ne sont pas les quelques clubs à très gros budgets. C'est pourquoi nous veillerons à ce que le décret d'application soit pris le plus vite possible. Le troisième et dernier point que je veux évoquer concerne la protection des sportifs mineurs, et le soutien aux clubs formateurs. Le respect des sportifs mineurs constituera une avancée considérable. Depuis la première lecture de ce texte en juin plusieurs événements ont confirmé le développement de pratiques scandaleuses, qui font peu de cas de l'avenir des jeunes, et beaucoup de l'argent à gagner. Ces pratiques doivent cesser et les mesures qui vous sont proposées donnent à cet effet des droits nouveaux aux sportifs mineurs. La formation et la qualité des éducateurs sportifs constituent des atouts qu'il convient de préserver. A ce titre, il est indispensable de donner aux clubs formateurs les moyens juridiques de résister aux tentatives de pillage de talents dont ils sont l'objet. S'agissant des droits et des obligations réciproques des clubs formateurs et des jeunes sportifs, le texte introduit deux dispositions novatrices : d'une part, les jeunes qui ne se verront pas proposer un premier contrat avec le club formateur bénéficieront d'un dispositif d'orientation professionnelle, d'autre part, les centres de formation feront l'objet d'un agrément ministériel, qui devra notamment prendre en compte la qualité de la formation générale des jeunes et le respect de leurs droits. Telles sont les raisons qui fondent le plein soutien du Gouvernement à la proposition de loi qui vous est présentée. J'ajoute que le contenu des mesures que vous adopterez est cohérent avec le projet de loi sur l'association sportive, la formation et la cohésion du mouvement sportif, que je vous présenterai au début de l'année 2000. Loin d'isoler la France, ces dispositions contribueront à une construction communautaire positive dans ce domaine. A ce titre, le rapport qui sera présenté dans quelques jours au Conseil de l'Union européenne, par le président de la Commission fixera une série d'orientations que nous avons défendues à plusieurs reprises. Il s'agit, en premier lieu, d'affirmer que le sport n'est pas une marchandise. Je note également que la Commission préconise « une action des autorités publiques nationales, afin de sauvegarder les structures actuelles et la fonction sociale du sport ». Dans ce cadre, la Commission propose « un socle commun » de la politique sportive européenne, fondée notamment sur l'encadrement de l'acquisition des clubs sportifs par des entités commerciales, la lutte contre le commerce de jeunes sportifs, l'inscription dans les missions des fédérations d'une relation solidaire entre sport amateur et professionnel et la redistribution d'une part des droits de télévision au profit des clubs amateurs. Comme vous le constatez, le traitement du sport au niveau européen a connu une évolution spectaculaire, à laquelle la France a pris une part active. Avec votre soutien, nous continuerons d'agir en ce sens, parce que nous aimons le sport lorsqu'il s'identifie au plaisir, à la liberté, à la solidarité. Je remercie votre commission de l'excellent travail qu'elle a accompli, qui nous permettra d'aboutir rapidement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) M. Patrick Leroy - L'actualité nous informe régulièrement des fabuleuses sommes d'argent investies par des sociétés commerciales dans les événements sportifs les plus médiatisés ; celles-ci se livrent en effet une guerre sans merci à coup de milliards pour emporter ce marché très juteux. OPA sauvages lancées pour le rachat de clubs, rachat de compagnies organisatrices de grands prix automobiles ou de médias pour détenir l'exclusivité des droits commerciaux de ces manifestations, liens troubles entretenus avec certaines fédérations internationales -comme celle de l'automobile épinglée par la Commission européenne pour « abus de position dominante »-, entrée dans le capital de certains clubs de sociétés audiovisuelles, cotations de clubs en bourse, commerce de joueurs, achetés à coups de millions et revendus parfois peu de temps après pour un prix encore plus faramineux, transactions commerciales pour les sportifs mineurs par des intermédiaires sans scrupules, clubs appartenant à une même société et qui doivent se confronter dans la même compétition, au mépris de l'équité des résultats sportifs... Je m'en tiens à quelques exemples car une liste exhaustive des dérives constatées serait trop longue. Face à cette loi de la jungle financière, que reste-t-il de l'éthique sportive ? On ne peut accepter de laisser nos clubs à la merci de fluctuations boursières et d'OPA agressives. Le législateur a donc estimé qu'il lui fallait intervenir d'urgence, sans attendre la grande loi sur le sport, pour édicter les règles qui permettront à nos clubs et à nos associations d'affronter la concurrence déloyale à laquelle ils se heurtent en Europe comme dans le reste du monde, tout en évitant que la chape de plomb de la spéculation n'enterre le sport. Le texte revenu du Sénat fait apparaître quelques articles additionnels qui recueillent l'assentiment du groupe communiste et apparentés mais il montre aussi une modification en profondeur de l'article7 qui, si elle était adoptée, dénaturerait l'esprit du texte initial, qui visait à protéger les clubs qui investissent dans la formation des jeunes sportifs des appétits des clubs riches en permettant aux clubs formateurs de s'attacher les services des jeunes espoirs qu'ils avaient formés pendant trois ans. Il est heureux que la CMP ait proposé une nouvelle rédaction de l'article 7 qui améliore le texte initial tout en tenant compte des désirs exprimés par les sénateurs. La nouvelle version, équilibrée, nous agrée. Dans le domaine de la formation comme pour ce qui touche aux transferts des sports après l'arrêt Bosman, la France fait figure de pionnière. La droite aime à dire qu'il est inutile de légiférer lorsque la législation internationale est en retrait. nous devons plutôt faire en sorte que cette dernière évolue dans le sens que nous souhaitons ! Vous avez démontré, Madame la ministre, qu'une réelle volonté politique peut faire bouger l'opinion internationale, on l'a vu pour le dopage. Je ne reviendrai pas sur les craintes que j'ai exprimées lors de la première lecture de voir s'instaurer le règle de l'argent dans le sport mais sachez que nous serons d'une particulière vigilance à ce sujet. Nous voulons en effet préserver l'éthique et empêcher que nos clubs ne se transforment en entreprises de spectacle en profitant, à cette fin, du très actif réseau associatif qui fait la particularité de l'organisation du sport en France. Le futur projet de loi sur le sport et la présente proposition étant complémentaires, nous comptons, lors des futurs débats, réaffirmer l'interdépendance des secteurs amateur et professionnel, renforcer la reconnaissance du sport pour tous et du bénévolat et appuyer fortement les dispositions instituant le prélèvement de 5 % sur les droits de retransmission télévisée en faveur des petits clubs. Le groupe communiste votera le texte. M. Henri Nayrou - Je n'évoquerai pas les vertus éternelles du sport, que personne n'ignore, et je me bornerai à souligner que le sport est à tous et que chacun le fait sien. Il reste que des règles doivent être édictées, connues et respectées par tous, clubs sportifs professionnels et clubs sportifs amateurs, car le sport forme un tout. La passerelle entre ses deux modes d'exercice, ce sera la taxe de 5 % sur les droits télévisés qui va prendre un tout petit peu aux uns pour donner beaucoup aux autres. Cette mesure, on le sait, ne plaît pas à quelques-uns, mais elle est du goût du plus grand nombre, ceux qui jouent, ceux qui payent et ceux, aussi, qui votent, comme on s'en est rendu compte en 1997. L'accord auquel est parvenue la CMP consacre l'entrée des sociétés anonymes dans les compétitions sportives. Il permet la distribution de dividendes, mais non l'introduction en Bourse, et il abroge le décret Pasqua. Il est plaisant de constater que, dans sa grande sagesse, la Haute assemblée a de la sorte adopté la position de la majorité plurielle et que, contrairement à certains de leurs amis politiques de l'Assemblée, les sénateurs ont, unanimes, désamorcé la bombe à retardement imprudemment allumée par M. Balkany en 1993. Il était en effet insensé d'empêcher les collectivités territoriales de contribuer à la bonne marche des clubs, dont on connaît les missions d'intérêt général ! Mais, s'il n'avait tenu qu'à moi, j'aurais exclu du champ d'application de cette abrogation les clubs ayant choisi de fonctionner en SASP. Vous avez eu raison, Madame la ministre, d'affirmer que les seuils d'éligibilité seraient stricts, ce qui permettra de ne pas mélanger fonds publics et argent privé. Le désaccord entre les deux assemblées portait principalement sur le problème récurrent de la formation des jeunes, que notre excellent rapporteur vient d'évoquer, la nôtre s'attachant sans doute trop aux intérêts des clubs et le Sénat à ceux des jeunes sportifs. L'équilibre ayant été trouvé, l'efficacité de la formation sportive française en sera confortée. Nous souhaitons maintenant qu'avec votre dynamisme coutumier vous parveniez à convaincre vos homologues européens de la nécessité de revenir sur l'arrêt Bosman, qui finira pas se retourner contre ceux qu'il était censé défendre. La proposition aurait pu aller plus loin qu'elle ne le fait, en traitant du statut des agents, de la fiscalité et, en particulier, du statut fiscal des pluri-actifs et surtout des relations entre le sport professionnel et son partenaire le plus puissant : la télévision. Le texte n'aborde pas non plus la question de l'achat des clubs par les sociétés d'audiovisuel, en dépit des risques que cette pratique fait courir. De quoi s'agit-il en effet, sinon de s'approprier le gisement d'images ? Dans ces conditions, qui doit régler ce type de problème, du pouvoir sportif ou du pouvoir audiovisuel ? A cet égard, je ne pense pas que les appels incantatoires au CSA suffisent à eux seuls à contrôler un marché aux incidences perverses par nature. Qui dit club professionnel dit argent. Or, aujourd'hui, qui dit argent dit télévision. La question de fond est donc de savoir à qui appartiennent les droits sur les spectacles télévisés. L'amendement que j'avais déposé à ce sujet lors de la première lecture, et qui avait été accepté par le Gouvernement, indiquait expressément que ces droits appartenaient aux fédérations ou aux ligues. Le Sénat a jugé bon de le supprimer, suppression que la CMP a confirmée. Pourtant, la loi de 1984 ne fait référence qu'à la notion d'organisateur, sans distinguer entre organisateurs juridiques et organisateurs matériels. Il est donc indispensable de poser des garde-fous et de garantir la mutualisation de la ressource financière essentielle. J'espère fermement que l'examen du projet de loi sur le sport en donnera l'occasion. A entendre capitaines d'industrie, investisseurs et managers crier au hold-up quand on leur parle de propriété collective des droits télévisés ou de taxe de 5 %, l'envie me prend de leur poser la seule question qui vaille : à qui appartient le titre mondial de nos footballeurs ? Il appartient aux 22 joueurs, à leur encadrement, à leurs dirigeants, aux présidents des clubs qui les salarient tout au long de la saison, aux passionnés qui paient, eux aussi, régulièrement leur place, mais il appartient surtout à tous ces éducateurs admirables qui ont, les premiers, façonnés ces champions. Le titre de champion du monde appartient aussi à ces travailleurs de l'ombre, lesquels méritent donc une part du gâteau. Il n'y a pas d'un côté le sport professionnel, de l'autre le sport amateur, il n'y a qu'un sport, indivisible et rassembleur, porteur de valeurs universelles et d'espérances nouvelles. Et il n'y aura en définitive qu'une loi sur le sport, qu'elle émane d'un projet ou d'une proposition. C'est pourquoi le groupe socialiste votera ce texte de la tête, des deux pieds et des deux mains (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste). M. Dominique Dord - Depuis la première lecture de ce texte, en juin dernier, l'actualité nous a fourni de nouveaux exemples de la progression irrationnelle des sommes engagées dans le sport spectacle. Contrairement à ce que certains affirment, celle-ci et les comportements mercantiles qui en résultent ne sont pas le résultat de la dérégulation, mais bien plutôt de la situation de quasi monopole dans laquelle se trouvent quelques grands clubs ainsi que de la fermeture du marché des droits audiovisuels, généralement vendus ex exclusivité pour de très longues périodes. Parlons-nous d'ailleurs encore de sport ? N'avons-nous pas complètement basculé dans le spectacle ? Les cachets de certains sportifs peuvent le donner à penser. Les solutions apportées par ce texte ne sont pas à la hauteur du problème et l'on peut s'étonner qu'il ait été discuté en urgence, alors que le Gouvernement nous annonce une grande réforme d'ensemble. Pourquoi l'examiner en pièces détachées ? Le texte tente de timides ouvertures par rapport à la loi de 1984 mais, fidèle à vos méthodes, Madame la ministre, vous avez aussitôt dressé une barrière de règles nouvelles et ajouté des contraintes dans un domaine qui souffre déjà de leur excès (Protestations sur les bancs du Gouvernement). Certes, vous percevez bien certains dysfonctionnements, mais on a cependant le sentiment que vous ne savez pas trop souvent vous y prendre avec un monde qui ne correspond pas à la vision que vous avez des choses. Dans certaines disciplines, le football en particulier, le sport s'exerce désormais à travers des entreprises à caractère fondamentalement commercial, qui mettent en jeu des sommes considérables. Ce phénomène tient à l'extraordinaire médiatisation du sport et à l'intérêt que lui porte un public toujours plus large. Quand les grandes manifestations sportives deviennent des événements planétaires, l'exception française n'est guère viable. Cette commercialisation du sport et cette mutation de certains clubs en entreprises ne résume cependant pas le sport et, fort heureusement, nous avons tous dans nos circonscriptions des associations, des clubs et des animateurs qui n'ont rien à voir avec le sport spectacle ou le sport business. Parmi les timides ouvertures de ce texte, la création de la société anonyme sportive professionnelle, la SASP, apparaît comme la principale novation. Les avantages à en attendre doivent cependant être relativisés. Certes, elle constitue a priori une formule plus séduisante pour les investisseurs privés, mais les statuts ne sont pas tout et la situation économique des clubs sportifs français continuera de justifier certaines réticences des investisseurs. Les grands clubs de football, par exemple, ne disposent pas au même degré que beaucoup de clubs étrangers de l'atout essentiel que représente, notamment en termes de recettes de billetterie, d'abonnements et de vente de produits dérivés, un public de supporters nombreux et fidèles. Au Royaume-Uni, les recettes directement liées aux matches représentent près de 40 % des recettes des clubs, contre 23 % seulement en France. Cette petite modernisation des statuts ne changera donc rien aux handicaps résultant des divergences entre les législations et les réglementations des différents pays, autrement dit entre l'exception française et ce qui se pratique ailleurs. Je pense en particulier au poids des charges sociales et de l'impôt en France. La SASP ne pourrait être un instrument efficace du développement économique du sport professionnel que si elle était autorisée à lever des fonds sur les marchés financiers. Beaucoup objectent à ce propos que la protection des épargnants n'y trouverait pas son compte et craignent aussi que l'introduction en Bourse favorise des investissements spéculatifs, et donc une certaine instabilité de l'actionnariat, alors même que les clubs ont besoin de partenaires durables. J'entends bien ces arguments, même si pour ma part je ne crois pas qu'il existe une incompatibilité entre appel au marché financier et éthique sportive. Je regrette donc que la procédure d'examen en urgence ne nous ait pas permis d'approfondir la question et de trancher. La voici renvoyée au prochain projet de loi sur le sport, dont la discussion risque d'être biaisée par des considérations purement politiques. Le rétablissement des subventions publiques aux clubs professionnels constitue un des volets très attendus de ce texte, dans la mesure où la date butoir fixée par la loi de 1994 arrive dans trois semaines. La suppression qu'elle prévoyait aurait des conséquences catastrophiques... M. Henri Nayrou - Très bien ! M. Dominique Dord - ...pour de nombreux clubs, en particulier dans certaines disciplines. Mme la ministre nous a annoncé un décret, en vertu duquel le montant maximum des subventions ne saurait dépasser celui des partenaires privés. Et comme il est prévu qu'elles servent à un certain nombre d'activités nouvelles, cela signifie qu'avec le même niveau de subvention, les clubs devront assumer des responsabilités nouvelles. Mon temps de parole s'étant écoulé, je n'ai pas le temps d'évoquer les avancées (Sourires sur les bancs du Gouvernement) que constituent les articles 6, 6 bis et 7. Malgré celles-ci, le texte nous paraît timide et inadapté au sport d'aujourd'hui. Il anticipe sur la réforme annoncée pour février et contient des dispositions inutilement contraignantes. Vous comprendrez dans ces conditions que le groupe DL s'abstienne. M. François Rochebloine - Au nom du groupe UDF, je déplore tout d'abord la précipitation avec laquelle le débat a été conduit, alors même que plusieurs dispositions appelaient un examen approfondi. Je regrette aussi qu'aient été systématiquement rejetés les différents amendements que nous avions proposés, M. Edouard Landrain et moi, à la fois en première et unique lecture, mais aussi en commission mixte paritaire. Si l'accord intervenu au cours de celle-ci, fruit d'un travail mené dans un esprit constructif, mérite d'être salué, il n'en est pas moins vrai que la recherche d'un compromis a conduit à l'abandon de deux dispositions importantes, la première relative au droit d'exploitation des manifestations sportives, la seconde prévoyant un avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur les projets d'acquisition d'un club sportif par un exploitant de service de télévision. Il est regrettable que ces deux dispositions que notre assemblée avait opportunément adoptées en première lecture n'aient pu être rétablies. Mais il est fort probable que nous serons amenés à reprendre ce débat dans les mois à venir. Nous avions également proposé, à l'article premier, d'élargir la gamme des formes juridiques offertes aux clubs sportifs, notamment en leur ouvrant accès à la nouvelle forme juridique par actions simplifiées. Cette proposition n'a pu être discutée au fond, mais il y aura d'autres occasions de travailler sur ce thème. Autre piste abandonnée, notre amendement relatif à l'entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée. On pouvait en effet concevoir d'autoriser l'EUSRL, comme la Société anonyme sportive professionnelle, à distribuer ses bénéfices éventuels, dès lors que seule l'association sportive bénéficierait de ces distributions. Par ailleurs, le texte initial de la proposition, tout en excluant la cotation des actions, permettait le placement des titres, voire d'emprunts obligataires, par un appel public à l'épargne. Mais une telle possibilité reste très hypothétique aujourd'hui, et ne saurait être mise en _uvre sans l'accord de la Commission des opérations de bourse ; il n'y avait donc pas lieu de légiférer sur ce point, alors qu'au demeurant la loi du 11 juillet 1985 autorise les associations ayant une activité économique à émettre des obligations et à faire appel public à l'épargne. Mais je ne veux pas refaire le débat ; je conclurai par quelques remarques sur l'ensemble du texte. A aucun moment, nous n'avons perçu une réelle cohérence dans votre approche de la réglementation sur le statut des clubs sportifs. On peut d'ailleurs craindre que la succession de mesures adoptées pose à terme plus de problèmes qu'elle n'en résoudra. Seule la perspective de rouvrir ce chantier au printemps, lors de la discussion de votre projet, peut nous inciter à relativiser l'impact de ces dispositions, sur un sujet où il aurait été judicieux de prendre du temps et de laisser de côté les présupposés idéologiques les plus dépassés. On peut aussi s'interroger sur la cohérence même de votre rédaction. Certaines améliorations introduites par le Sénat, que M. le rapporteur présente comme simplement rédactionnelles, vous ont pourtant contraints à renoncer à des dispositions qu'attendait le monde sportif. Pour toutes ces raisons, et dans l'attente du projet de loi à venir, le groupe UDF s'abstiendra, comme il l'a fait en CMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR). Mme Catherine Picard - On pourrait s'interroger sur la nécessité de légiférer sur les activités physiques et sportives. Pour certains le sport est l'objet d'inoffensives activités associatives ; pour d'autres c'est un domaine économique, à envisager selon la seule logique de la création de richesses. Faut-il voir dans cette proposition du groupe socialiste le fruit du dés_uvrement de parlementaires portés à légiférer là où ce n'est pas nécessaire ? Je ne le crois pas. L'accord des deux assemblées en CMP -fait assez rare pour être salué- montre que les préoccupations du groupe socialiste sont largement partagées. Il y va de l'intérêt général, et de la survie du sport tel que nous l'aimons, non pas tel que certains l'instrumentalisent. Faut-il alors y voir une nouvelle expression d'un désir français de se singulariser, en proclamant une spécificité sportive comme il y a une exception culturelle ? Pas davantage. Il s'agit simplement de permettre aux clubs sportifs qui ont des équipes engagées dans des compétitions professionnelles d'adapter leur structure financière et juridique à leurs besoins, sans tomber dans des mesures démagogiques et dangereuses à terme pour eux, comme la fausse bonne idée de l'introduction des clubs en Bourse. Sur ce point, je rappelle l'exemple de la Lazio de Rome qui, laissant échapper en 1999 le titre de champion d'Italie, avait perdu 130 millions. Autre exemple, le Real de Madrid, malgré de somptueux achats de joueurs et une dette que certains estiment à 2 milliards de francs, se traîne aujourd'hui à la dix-septième place de son championnat. On imagine ce qui adviendrait si à la crise sportive s'ajoutait une crise boursière, donc financière. (Murmures sur les bancs du groupe DL) Il s'agit aussi de reconnaître que le sport est un formidable vecteur de médiation sociale, dont les collectivités auraient tort de se priver, et qu'il y a lieu de lever l'hypothèque d'un décret quelque peu irresponsable de 1996. Désormais les collectivités pourront financer les activités d'intérêt général, non le fonctionnement du club. Ainsi, l'argent public ne s'évaporera pas en profits privés. Rappelons enfin qu'il n'y a pas de grands sports sans bon système de formation, que le système de formation français, exemplaire à bien des égards, n'est pourtant pas exempt de défauts, et que les valeurs du terrain ou de la piste ne sont pas toujours respectées par les dirigeants des clubs étrangers. Pour ces raisons nous avons jugé important de garantir aux clubs la possibilité de conserver, pendant une période maximale de trois ans, les sportifs qu'ils ont formés. A l'inverse, la commission mixte paritaire s'est penchée sur la difficile condition des jeunes à qui on ne propose pas de contrat professionnel à l'issue de la formation. Le texte impose aux clubs de leur proposer une aide à l'insertion professionnelle ou scolaire. Enfin, félicitons-nous de l'occasion que nous offre le présent texte de parfaire la loi de lutte contre le dopage. Ces mesures sont loin d'être anodines. Le sport ne peut être considéré comme une marchandise. L'Union européenne elle-même commence à en convenir. Dans un document de travail, elle identifie cinq fonctions du sport : fonctions éducative, sociale, culturelle, ludique et de santé publique. S'y ajoute la dimension économique, qu'il ne faut pas refuser, et dont bénéficient les villes, départements et régions, mais aussi les sportifs eux-mêmes quand ils deviennent professionnels. Mais afin de conserver ses vertus au sport, il convient de maintenir la glorieuse incertitude des résultats en s'assurant que nul ne puisse avoir des intérêts dans deux clubs concurrents. Il faut s'assurer que des équipes ou des sportifs puissent être promus sur leur seule valeur sportive. Ce qui implique que nul ne puisse être maintenu au sommet d'une compétition pour d'autres motifs que la valeur sportive. Et il faut éviter que d'importants déséquilibres financiers ne faussent les résultats des compétitions. C'est un des problèmes auxquels répond notre proposition de loi. Nous sommes aujourd'hui rejoints par Mme Redding, commissaire européen en charge des sports, au moins au niveau des principes, et du diagnostic selon lequel le « laisser-faire » serait destructeur pour le sport et les sportifs. Je citerai aussi le rapport d'information de notre collègue Alain Barrau, président de la délégation aux affaires européennes, qui écrit : « l'arrêt Bosman a méconnu le rôle éducatif, culturel, moral du sport, et notamment du football ». L'arrêt Bosman est synonyme d'ultra-libéralisme. Avec cette proposition, nous tirons les conséquences de ce constat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Alain Rodet - Le retour de ce texte devant nous, après le travail positif de la CMP, est une étape importante. Ce texte répond certes à une urgence, mais s'inscrit aussi dans le long terme, en prenant en compte ce fait de société qu'est le sport professionnel. Selon un proverbe bavarois, « Quand on place les principes assez haut, il est plus facile de passer dessous sans se baisser »... (Sourires) C'est bien le cas dans le domaine qui nous occupe : d'un côté il y a les grandes déclarations sur l'éthique sportive, et de l'autre un monde opaque, marqué par les tentations de l'argent-roi. Le comité international olympique lui-même illustre cette ambivalence, voire cette duplicité. Alors qu'il réunit ses instances cette semaine à Lausanne, je pense aux propos d'un de ses anciens présidents, l'américain Brundage, qui se voulait le défenseur de l'amateurisme. Si je pense ensuite à la situation telle qu'elle est aujourd'hui sous la présidence de M. Samaranch, je suis frappé par l'écart entre ces deux époques. Certes la loi Avice de 1984 avait ouvert des pistes ; mais elle a peu à peu révélé ses lacunes, qu'il fallait corriger. Evoquons aussi le DDOF de 1994, plus inspiré par M. Pasqua que par la ministre des sports de l'époque, qui fait aujourd'hui parler d'elle pour d'autres raisons. M. Pasqua, aujourd'hui souverainiste, était alors un ardent partisan d'une application des règles européennes dans tout ce qu'elles avaient d'excessif ; pour régler des problèmes sportifs en Ile-de-France, si ce n'est dans les Hauts-de-Seine, il a bâti un système qui risquait d'être fatal à une grande partie du sport professionnel français. Vous-même, Madame la ministre, avez déclaré quelques semaines après votre nomination que, si l'on en restait aux textes de 1994, on verrait rapidement disparaître les clubs professionnels de deuxième division de football, et de première division en rugby, basket, volley-ball et handball... Le présent texte est l'aboutissement d'un travail en profondeur. Je veux notamment saluer cette entité juridique nouvelle : la SASP ou Société anonyme sportive professionnelle, plus adaptée que la SEM ou la SAS, qui ont montré leur insuffisance. La SASP permettra une gestion plus rigoureuse, avec des responsabilités bien identifiées. Les dispositions relatives aux jeunes sportifs et aux centres de formation vont également dans le bon sens ; elles protègent les clubs qui ont décidé, avec altruisme, d'investir dans la formation. L'article 5 rétablit et encadre les subventions sportives ; il permettra une utile remise en ordre. Cela dit, le problème et Mme Picard l'a évoqué, reste celui des instances européennes. La compétition se situe de plus en plus au niveau européen, et à cet égard les clubs français sont désavantagés. L'Europe qui, en bien des matières, nous impose sa réglementation, parfois extravagante, reste très insuffisante dans le domaine du sport. Si nous voulons des championnats européens dignes de ce nom, une compétition européenne où s'exerce une vraie concurrence, il faut que les règles sociales et fiscales dans le domaine sportif soient progressivement harmonisées. M. Dominique Dord - Très bien ! M. Alain Rodet - Or on trouve dans certains pays voisins des pratiques qui ne sauraient se conjuguer avec une vraie directive européenne sur le sport. Puisque nous venons de renouveler le Parlement de Strasbourg, souhaitons que ces nouveaux collègues -qui ont peut-être un plus grand sens de la communication que les membres des parlements nationaux- s'attaquent au plus vite à ce problème. Ce texte, et les propositions de la CMP, constituent à mes yeux une étape importante dans la vie des clubs sportifs professionnels dont, quoi qu'on dise, la France a besoin (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). La discussion générale est close. Mme la Ministre - Le problème des droits de télévision est en effet réel et sérieux. Je pense qu'il faut renforcer les pouvoirs des fédérations afin qu'elles maîtrisent les contrats passés avec les télévisions. Quatre ou cinq de nos clubs, on le sait, ont cherché à négocier directement leurs droits au niveau européen. Le projet que vous examinerez en février prochain traitera de cette question. Oui, il existe, à l'échelle de l'Union européenne, une concurrence déloyale. Le Real Madrid accuse ainsi un déficit de 1,611 milliard, alors que chez nous la Ligue de football a créé une commission de contrôle destinée à imposer aux clubs une gestion financière saine. Fin février, nous verrons comment étendre ce dispositif à tous les sports professionnels. J'ai moi-même proposé de créer une commission de contrôle de la gestion des clubs au niveau européen. Passer par l'UEFA serait un bon moyen d'y parvenir. La présidence française, au deuxième semestre de l'an 2000, donnera l'occasion de faire avancer fortement l'homogénéisation du sport professionnel afin d'éviter cette concurrence déloyale. On a parlé du sport-spectacle. Je ne sais pas bien ce que c'est. Le geste sportif, à tous les niveaux, peut être beau. Reste qu'il faut faire obstacle à certaines pressions financières afin que le spectacle ne l'emporte pas sur les règles et sur l'incertitude du sport. La proposition que vous venez d'examiner permettra de préserver l'esthétisme du sport (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste). M. Guy Drut - Je vous prie d'excuser l'absence inopinée de Christian Estrosi. Oui, il y a eu une succession de compromis sur un coin de table qui ne sont pas dignes du sport français. Je ne suis pas d'accord avec M. Nayrou, qui connaît bien le sport, sur l'idée de taxer les droits de retransmission télévisée. Il est démagogique de proposer de distribuer aux pauvres ce que gagnent les riches (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Il suffirait, au lieu de taxer d'office les fédérations bénéficiaires, de leur permettre d'aider volontairement celles qui gagnent moins d'argent. Si elles ne le faisaient pas, alors seulement elles seraient taxées. Au reste, l'ensemble du mouvement sportif est opposé à cette taxe. Monsieur Rodet, le CIO ne se réunira pas demain, mais dimanche. Ce qui sépare M. Brundage de M. Samaranch, ce sont trente années. Entre-temps le sport a évolué. Je suis favorable à une cotation des clubs en Bourse, qui favoriserait la transparence de leur financement et de leur gestion. Mme Picard s'y oppose, mais pas M. Strauss-Kahn, et même s'il n'est plus ministre, il est toujours socialiste ! Les clubs français doivent disposer des mêmes armes que leurs homologues européens. Espérons que nous pourrons traiter cette question dans le cadre du projet de février 2000, en prenant le temps de la discussion et de l'écoute. La proposition d'aujourd'hui, devenue un projet, ne réglera rien. C'est pourquoi le groupe RPR s'abstiendra. L'ensemble de la proposition, compte tenu du texte de la CMP, mis aux voix, est adopté. Prochaine séance mercredi 8 décembre à 15 heures. La séance est levée à 20 heures 5. 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