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Session ordinaire de 1999-2000 - 44ème jour de séance, 107ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 18 JANVIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

Sommaire

          MODERNISATION ET DÉVELOPPEMENT
          DU SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ
          -nouvelle lecture- (suite) 2

          MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 21

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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MODERNISATION ET DÉVELOPPEMENT DU SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ -nouvelle lecture- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.

M. Franck Borotra - Ce projet, Monsieur le ministre, témoigne de votre volonté de rompre avec le consensus qui existait depuis vingt-cinq ans sur le contenu de notre politique énergétique. Depuis vos décisions concernant Superphénix, vous l'avez engagée dans de mauvaises directions, la soumettant au gré des alternances politiques, et vous avez abandonné l'idée de rechercher un consensus qui était pourtant pratiquement acquis. Ces choix lourds de conséquences engagent votre responsabilité politique car ils n'offrent de garantie ni à EDF, ni à ses personnels, ni aux consommateurs. En choisissant le statu quo, vous les exposez tous à des risques importants.

Dans la tornade, EDF a formidablement rempli sa mission et je n'avais d'ailleurs jamais douté de sa capacité à faire face. Ce constat modifie-t-il la donne s'agissant de la transposition de la directive « électricité » ? Autrement dit, si EDF n'avait pas été un établissement public, aurait-elle moins bien rempli sa mission de service public ? Avec honnêteté, notre rapporteur, M. Bataille, dans une interview récente publiée dans Le Figaro reconnaît que l'ensemble des entreprises, quel que soit leur statut, ont rempli leur mission. Il ne s'agit donc pas d'opposer les tenants du monopole aux partisans de l'ultralibéralisme. Ce qui est en cause, c'est l'organisation dans le cadre européen du marché de l'électricité et la nécessaire évolution d'Electricité de France. Evacuons les faux débats. L'enjeu est de savoir si la défense du service public passe par le statu quo ou si, comme je le pense, il doit évoluer en profondeur. Votre décision de revenir sans concession au texte initial s'apparente à mes yeux à un vote bloqué. Je regrette cette attitude, motivée pour l'essentiel par votre volonté de ne pas heurter le parti communiste alors qu'il y avait, je le répète, une voie pour un consensus. Cette position ne sert pas le service public et elle est une source de difficultés pour l'ensemble de la politique énergétique.

Proposer un système rigide, opaque, qui rend captifs vingt-neuf millions de consommateurs ne relève pas du XXIème siècle. Nous pensons plutôt qu'il faut gérer l'évolution et s'adapter. Afin de ne pas allonger les débats, nous n'avons déposé qu'une quarantaine d'amendements importants, convaincus que les contraintes économiques européennes vont vite contourner la ligne Maginot que vous vous proposez d'édifier au détriment d'EDF et du service public de l'électricité.

Je souhaite esquisser ce que sera, de manière inéluctable, le « paysage électrique » dans les années qui viennent. Votre transcription risque d'isoler la France, dans un contexte qui s'impose à elle de manière irréversible.

Vous avez réagi vivement tout à l'heure, lorsque j'ai rappelé l'état dans lequel j'avais trouvé ce dossier à mon arrivée au ministère, totalement bloqué du fait de l'entêtement de vos amis...

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Ne succédiez-vous pas à M. Rossi ?

M. Franck Borotra - A partir de 1993, et avec un coup d'accélérateur après 1995, tout a évolué, sans que pour autant je me prenne pour Zorro ! Mais vos amis, en défendant la positon intenable du statu quo, compromettent l'avenir de notre politique énergétique. Si ce projet satisfait en apparence les obligations posées dans la directive, il bloque les nécessaires évolutions du système électrique et d'EDF. Je lis parfois dans la presse qu'il s'agit d'une transposition a minima. Mais il ne suffit pas d'ouvrir le marché à 300 ou 400 clients pour que la concurrence joue. Au moins, pour ces quelques centaines de clients, faut-il créer les conditions de la venue possible d'opérateurs nouveaux sur le marché. Or vous passez votre temps à vider de tout contenu les conditions de cette ouverture maîtrisée. De ce fait, la transcription que vous proposez préserve le statu quo. Le parti communiste a lieu d'être satisfait, et c'est bien ce que vous souhaitiez.

Notre excellent rapporteur, dans Le Figaro de ce matin, confirme cette attitude ultra-conservatrice : « Ne modifions pas ce qui fonctionne bien ». Oui, mais à quel prix ?

Voilà donc une libéralisation apparente, mais vidée de son contenu. Vous créez une autorité de régulation, mais sans pouvoirs, comme si vous aviez peur de cette autorité. Je ne suis pas hostile aux pouvoirs du ministre. Mais laissez la commission exprimer un avis, après quoi vous déciderez. Pourquoi avoir voulu réduire à rien cette instance de régulation, qui est indispensable à l'affichage de votre réforme ?

Il en va de même pour la gestion du réseau, que vous confiez à EDF. Vous constituez donc l'opérateur public en arbitre des conflits d'intérêt entre le monopole et le marché, exposant ainsi EDF au soupçon d'être à la fois juge et partie.

Vous vous ingéniez à placer des freins à l'entrée de nouveaux opérateurs, avec les charges du service public étendu, des conventions collectives électriques et gazières extraordinairement coûteuses, en prenant le risque, au bout du compte, de menacer le statut d'EDF. Vous multipliez les situations de confusion de compétences entre les différents acteurs, ce qui vous permet en contrepartie de maintenir la pression étatique, sans compter les organismes et comités que vous multipliez à plaisir, comme s'il vous fallait occuper des permanents.

De plus, le texte demeure très imprécis. Nous ne connaîtrons sa réalité qu'après la publication d'une trentaine de décrets, si bien que l'esprit de cette directive risque d'être profondément modifié.

Vous mélangez les genres en incluant des clauses sociales dans la transcription d'un dispositif relatif à l'organisation du marché. Je suis favorable au droit à l'électricité, moins au droit à l'énergie, qui est aussi celui d'accéder aux pompes de Total Fina. Mais il faut distinguer les domaines. Vous affaiblissez les choix de la politique énergétique, en verrouillant les productions autonomes décentralisées, en limitant les énergies renouvelables et la diversité de production. Le nucléaire même n'est pas à l'abri. Vous retardez la nécessaire évolution qui doit faire d'EDF une entreprise comme les autres, en mesure de définir sa propre stratégie. Elle y est prête et en est parfaitement capable. Malheureusement, l'image qu'elle donne à l'extérieur est celle d'une entreprise agressive commercialement hors de nos frontières, et protectionniste à l'intérieur.

Il est pourtant possible de faire autrement, et c'est ce qui se produira inéluctablement.

D'abord, il fallait une loi qui modernise la politique énergétique de la France, et non pas qui l'affaiblisse par un excès de verrouillage. L'organisation du marché électrique se fondera demain sur la diversité, celle des approvisionnements et donc des opérateurs, celle des modes de production ; sur une incitation à la gestion décentralisée du système électrique, sur une planification pluriannuelle par l'Etat, sur des procédures d'installations nouvelles permettant une certaine concurrence. Il faudra développer une maîtrise technologique et industrielle des différentes formes de production, avec la possibilité de financer le prototype de l'EPR, dont vous allez certainement nous annoncer la date de mise en place.

Voilà des points sur lesquels nous pouvons nous rencontrer, mais votre protection frileuse d'un monopole centralisé sous le contrôle trop méticuleux de l'Etat y fait obstacle.

Il aurait aussi fallu que la loi organise les pouvoirs dans la clarté, l'indépendance et la transparence. Sans du tout dessaisir l'Etat de ses responsabilités, il s'agit de clarifier les pouvoirs respectifs du Gouvernement et de l'autorité de régulation, laquelle doit disposer de pouvoirs d'investigation, de contrôle et de sanction. En particulier elle doit instruire les demandes d'autorisation d'exploiter une installation de production, contrôler les achats d'électricité d'EDF, la comptabilité des opérateurs, la tarification des coûts de transport, et les prix de l'électricité. Ce faisant, elle ne se substituera pas à vous, qui resterez celui qui décide.

Il est impératif que le gestionnaire du réseau de transport soit indépendant d'EDF. Vous en êtes bien conscient ; alors, autant le faire directement. J'ai proposé pour ma part la création d'un établissement public.

La transparence appelle aussi une politique tarifaire claire, qui ne fasse pas payer aux clients captifs les avantages consentis aux clients éligibles.

Enfin nous avons besoin d'une loi conçue pour renforcer la compétitivité économique du pays. Le prix de l'énergie est un élément essentiel des prix de revient, et il n'est pas en France le plus bas d'Europe, contrairement à ce qui se dit. Il faut pratiquer une politique de prix vraie et compétitive, qui tienne compte de la charge du service public.

Bref, la bonne loi serait celle qui conforte les missions du service public en les adaptant, et mette en _uvre un processus de transformation d'EDF et de renforcement de sa compétitivité. EDF doit se transformer dans son statut, dans son organisation et dans ses coûts. Je ne suis pas favorable à l'ouverture de son capital, mais je crois nécessaire de transformer son statut d'établissement public en société anonyme, de filialiser ses activités de diversification et de résoudre le problème des régimes de retraite, qui vont devenir insupportables, en cherchant une solution analogue à celle de France Télécom. En outre, l'ouverture du marché permettrait une déspécialisation progressive de l'entreprise, que votre texte rend envisageable. Il faut enfin mettre la production d'électricité nucléaire à l'abri de votre folle politique fiscale, puisque vous envisagez de créer une taxe sur les consommations intermédiaires avec une taxation minimale sur la consommation d'électricité, faisant payer au nucléaire une contribution à l'effet de serre qu'il ne produit pas.

M. le Président - Veuillez conclure !

M. Franck Borotra - Voilà quel était un terrain d'entente possible. Vous ne l'avez pas voulu pour des raisons politiciennes. Cela, ce n'est pas pardonnable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Léonce Deprez - Très bonne intervention sociale-libérale !

M. Alain Cacheux - Cette nouvelle lecture intervient bien sûr après l'échec de la CMP, mais aussi après les tempêtes dramatiques qui ont touché presque tous les Français. Or cet événement a démontré tout l'intérêt de disposer d'un service public de l'électricité : celle-ci n'est pas un banal bien marchand. Qu'elle vienne à manquer, la vie de chacun en est perturbée : c'est l'eau potable qui fait défaut, c'est le téléphone qui cesse de fonctionner. Conforter ce service public est donc un impératif d'intérêt général et nous ne saurions l'oublier quand nous examinons ce projet.

La tempête de ces dernières semaines a aussi fait la démonstration de l'efficacité et de la capacité de mobilisation des salariés d'EDF. Avec leurs collègues des entreprises sous-traitantes, ces derniers ont manifesté leur détermination, leur dévouement et j'irai jusqu'à dire leur acharnement à réparer les lignes et à porter assistance aux usagers du service public. Ils sont allés en effet bien au-delà de ce qu'exige la simple conscience professionnelle, faisant la preuve qu'une entreprise ne se résume pas à un chiffre d'affaires, à des taux de profit et à un cash-flow, mais qu'elle peut aussi être une collectivité d'hommes et de femmes capables de se surpasser pour faire face à un événement exceptionnel. Ils ont ainsi fait honneur à l'entreprise publique, ce au moment où une autre très grande entreprise privée celle-là apparaissait dénuée d'esprit de responsabilité, frileuse et même pusillanime, face à un autre drame.

Tout cela ne peut que conforter le groupe socialiste dans la position qui fut la sienne en première lecture. Nous entendons n'ouvrir que progressivement le marché de l'électricité à la concurrence, dans le respect cependant de la directive européenne. En matière d'électricité surtout, la concurrence n'a pas, en effet, toutes les vertus qu'on lui prête et, portée à son paroxysme, elle peut entrer en contradiction avec l'esprit d'un service public de qualité.

Nous voulons aussi défendre les chances d'une entreprise publique qui vient de faire la preuve de son efficacité, cela en élargissant le principe de spécialité, en donnant à EDF la possibilité de proposer, comme ses concurrents, une offre multi-énergies à ses clients éligibles et en maintenant son unité -c'est tout le débat que nous aurons sur le gestionnaire du réseau de transport.

A propos de la commission de régulation, nous affirmerons la pleine responsabilité de l'Etat et des pouvoirs publics en matière de politique énergétique. Enfin, nous défendrons aussi le statut du personnel des industries électrique et gazière, non pour défendre des acquis mais parce que le service public ne peut bien fonctionner sans l'adhésion de ses agents et parce qu'une concurrence fondée sur la dégradation des conditions de vie et de travail de ceux-ci serait inadmissible.

Après avoir écarté en CMP les dérives auxquelles conduisaient les propositions de la majorité sénatoriale, le groupe socialiste s'en tiendra donc, je le répète, à l'équilibre défini en première lecture, convaincu que tel est l'intérêt de nos concitoyens et d'EDF. Contrairement à ce que donnent à entendre les propos de certains, il s'est produit le mois dernier des événements dont il faut tirer les enseignements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Goulard - Beaucoup ici veulent tirer les leçons des événements dramatiques de ces dernières semaines...

M. Alain Clary - A juste titre !

M. François Goulard - Je crois moi aussi juste de rendre hommage aux agents d'EDF, qui ont admirablement travaillé pour restaurer au plus vite le réseau mais il serait à mon avis inéquitable de ne pas associer à cet hommage les quelque 10 000 salariés des entreprises privées qui ont, eux aussi, _uvré d'arrache-pied au rétablissement des lignes. Je n'aurai garde non plus d'oublier les bénévoles qui ont lutté contre la marée noire. On valorise au-delà du raisonnable le service public quand on le fait pour décrier les autres entreprises ! Et, pour en revenir à la marée noire, j'ai pu constater, dans ma région, que les services publics étaient parfois absents ou défaillants.

M. le Secrétaire d'Etat - Ce que vous dites est très grave !

M. François Goulard - Oui, cela est grave, par ses conséquences ! Mais je ne pense pas que les autorités maritimes, que les autorités de l'Etat aient réagi comme l'exigeaient les circonstances. Sans les associations, nous n'aurions pu lutter contre le fléau !

Et si la société Total n'a pas assumé correctement ses responsabilités, d'autres compagnies pétrolières avaient, elles, refusé de recourir au pétrolier Erika. Les choses sont donc moins manichéennes que vous ne le dites et il apparaît bien illusoire de chercher dans ces événements récents une ligne de conduite pour la discussion de cette loi. M. le Secrétaire d'Etat s'est d'ailleurs montré prudent à cet égard tout à l'heure lorsqu'il a évoqué l'organisation du réseau, la centralisation de la production ou l'enfouissement des lignes. Il est assez clair en effet que notre service public n'a pas toujours retenu des solutions préférables à celles qu'ont choisies les sociétés étrangères, non publiques.

Les monopoles, à notre époque, ont d'ailleurs toutes les chances d'être rapidement dépassés...

M. Alain Cacheux - La formule a bien fonctionné, pourtant !

M. François Goulard - Nous ne sommes plus en 1946 et la formule n'est pas intangible. C'est ce qu'ont compris tous nos partenaires européens (Exclamations sur les bancs du groupe communiste), tous les pays développés, quelle que soit la couleur politique de leur gouvernement-certains sont socialistes ! Ils ont en effet le souci d'adapter le secteur de l'électricité aux données nouvelles : progrès des turbines à gaz, développement de la cogénération, évolution et diversification de la demande... Eux sont pragmatiques ; vous, vous faites du service public un dogme. Eux cherchent à agir dans l'intérêt des citoyens en organisant la baisse des prix et l'offre la mieux adaptée aux besoins.

Il faut naturellement que chacun ait accès aux fournitures d'électricité mais je n'ai pas entendu dire que personne en soit privé dans ces pays. Vous assignez, vous, une mission sociale au service public et, sous l'impulsion du groupe communiste, vous avez institué la fameuse « tranche sociale ». Je partage votre objectif -il est intolérable que quelqu'un soit privé d'électricité faute d'argent- mais le moyen d'y parvenir est très simple et il a été trouvé voici longtemps par les centres communaux d'action sociale ! Ceux qui ne peuvent payer l'électricité ont aussi du mal à payer d'autres dépenses de première nécessité et ce n'est pas l'existence du monopole ou le maintien du service public tel qu'il est aujourd'hui qui peuvent répondre à un besoin aussi légitime. La solution est à rechercher bien plutôt dans les mécanismes sociaux et le rôle social du service public n'est à cet égard qu'un alibi pour renforcer ce même service public.

En maintenant une organisation dépassée, en écartant les solutions adoptées par nos partenaires européens, vous faites aussi courir à l'entreprise EDF des risques majeurs. En effet, une entreprise qui opère sur un marché intérieur dans des conditions radicalement différentes de celles de ses principaux concurrents, quels que soient ses succès présents et ses possibilités financières, est une entreprise condamnée à régresser.

En refusant les évolutions nécessaires pour des considérations strictement politiciennes, vous faites prendre du retard à notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Claude Billard - Le groupe communiste ne trouve pas plus de vertus à ce texte en nouvelle lecture qu'en février 1999. Au contraire, les débats au Sénat, l'échec de la CMP, la procédure d'infraction engagée contre la France, tout comme les tempêtes qui ont frappé le territoire national nous incitent plutôt à penser que nos craintes étaient fondées.

Les intempéries ont mis en évidence le rôle irremplaçable du service public, de l'entreprise publique, des femmes et des hommes qui assurent l'accomplissement de ses missions. Mais elles ont aussi montré les risques de la déréglementation.

Les conditions dans lesquelles a été rétabli le courant électrique sont également révélatrices des conséquences que peuvent avoir les politiques visant à faire des services publics des entreprises comme les autres.

Les dégâts sont considérables : 25 % du réseau très haute tension a été totalement détruit, 10 lignes à haute tension, d'innombrables kilomètres de lignes moyennes et basse tension sont irrémédiablement endommagés, de nombreuses centrales ont été directement touchées et 3,4 millions de foyers ont été privés d'électricité pendant plusieurs jours.

Or le courant a été rétabli en quinze jours chez tous les abonnés et la reconstruction de certains éléments du réseau doit commencer très prochainement.

Cet exploit, c'est à l'entreprise publique qu'on le doit. Par parenthèse, je vous invite à imaginer la situation si une telle tempête avait touché la Grande-Bretagne, où le système électrique est privatisé, déréglementé, éclaté...

Tout le monde ou presque, jusqu'au plus haut sommet de l'Etat, a salué l'efficacité du service public. Plus une voix n'ose s'élever pour dénoncer le « trop d'Etat », le « trop de service public ».

Il y a peu, cependant, on réclamait l'abandon du statut public d'EDF, de France Télécom ou de la SNCF, entreprises qui, pour certains, auraient vocation à retourner dans le secteur concurrentiel. Quel archaïsme hexagonal représentaient ces entreprises, alors que le traité de Maastricht dans son fameux article 102 A proclame que « les Etats agissent dans le respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».

Ce n'est évidemment pas une tempête, et moins encore des sondages très favorables au service public, qui mettront un terme à une bataille dans laquelle les puissances du libéralisme, en France et en Europe, n'ont pas dit leur dernier mot. D'ailleurs, les sondages indiquent que la préférence donnée par les Français au public sur le privé se fonde plus sur la nature du service, sur son efficacité, que sur un parti pris idéologique.

Nos concitoyens ne sont pas devenus, le temps d'une catastrophe naturelle, des partisans d'un « tout-Etat », mais ils savent que, même en économie de marché, tout ne peut pas être marchandise. A la suite de l'épreuve que nous avons connue, nos services publics ont fait une éclatante démonstration : l'intérêt du particulier et l'intérêt général ont partie liée.

Quand l'électricité, le téléphone, la route ou le chemin de fer sont coupés, le mot «client » sonne bizarrement. Chaque maison, chaque village, chaque quartier pense « solidarité ». L'agent EDF, celui de l'équipement, le cheminot ou l'agent de France Télécom ne travaillent pas pour une facture, mais pour relier des hommes entre eux, pour le bien de tous et de chacun.

Le Gouvernement doit tirer profit de cette expérience et de cette conscience nationale qui ne doit pas rester une exception, à défendre comme un réduit, mais une conception à étendre au-delà de nos frontières. La France, qui va bientôt présider l'Union européenne, a ainsi des atouts en main pour faire prévaloir une autre conception de la construction européenne et résister à l'introduction d'une concurrence effrénée dans tous les secteurs.

Les catastrophes naturelles arrivent au plus mauvais moment pour l'entreprise publique, alors que l'Europe a ouvert ses frontières à la concurrence sur le marché de l'électricité depuis plus d'un an. EDF devra faire des choix, réorienter sa stratégie en fonction du nouveau contexte et du cadre qui lui sera imposé par la nouvelle législation.

Avec un coût estimé à 17 milliards, le chantier de reconstruction est colossal. Les choix à opérer ne peuvent être du seul ressort de l'entreprise publique, mais impliquent la collectivité nationale.

La tempête a montré l'intérêt d'une entreprise intégrée et du maintien de la mixité de certains services entre EDF et GDF. On voit mal, en outre, comment l'autonomie financière du GRT pourrait être utile à la reconstruction.

Certains ont pris prétexte de la destruction d'une partie importante du réseau pour promouvoir la production décentralisée. Celle-ci, outre son coût, n'empêcherait ni les arbres de tomber sur les lignes, ni les pylônes d'être arrachés. C'est au contraire l'existence d'un réseau de production cohérent qui a permis d'organiser la solidarité nationale.

Par ailleurs, la reconstruction du réseau suite à la tempête ne doit pas servir de prétexte à l'abandon des investissements dans la production, dans le renouvellement du parc et dans le programme EPR. Il serait fallacieux d'opposer production et réseau, car l'entreprise intégrée a justement pour intérêt qu'elle équilibre ses investissements en évaluant les besoins futurs des usagers. Il serait absurde d'avoir un bon réseau si, à terme, la production ne suivait pas.

Bien que le président d'EDF ait assuré la semaine dernière, à l'occasion de la présentation de ses v_ux, que l'entreprise « était en mesure d'assumer les conséquences financières des intempéries dans le respect de ses grands équilibres », ne serait-il pas nécessaire de tirer quelques enseignements des événements, en procédant à des modifications, dont certaines pourraient trouver place dans le texte qui nous est soumis ?

Je pense à la levée de l'interdiction d'emprunts qu'impose la tutelle de l'Etat, alors que l'établissement a maintenant un faible endettement et que ses charges financières ont baissé. On pourrait ainsi envisager un emprunt à taux bonifié, garanti par l'Etat et consacré à un programme de reconstruction et d'enfouissement de certaines lignes.

Il faudrait aussi revoir l'obligation d'achat aux auto-producteurs, dont le coût pour 2000 sera de 4 milliards, dont 3,3 pour la seule convention de cogénération. Il faudrait de même suspendre, à titre exceptionnel, la rémunération complémentaire de l'Etat et de dotation en capital, ainsi que les impôts et taxes acquittés par l'entreprise. Enfin, la participation des entreprises privées à la couverture du risque pourrait être renforcée, afin de financer les investissements nécessaires à la reconstruction.

C'est dans ce contexte qu'il convient d'examiner le texte qui nous revient du Sénat.

En première lecture, le groupe communiste avait obtenu plusieurs mesures positives dans ce projet dont nous contestons la philosophie générale : l'instauration d'un véritable droit à l'électricité pour tous, l'établissement d'une tranche sociale de consommation pour les familles les plus modestes, une tarification de l'électricité au coût de revient pour les usagers domestiques, des dispositions garantissant la démocratisation du service public et de l'élaboration de la politique énergétique, diverses mesures limitant l'entrée des intérêts privés et l'extension des dispositions statutaires.

Le Sénat a profondément bouleversé, sinon dénaturé, le texte issu de nos débats : sur les 52 articles que comptait le texte initial, auxquels il convient d'ajouter l'article additionnel que nous avions adopté, seuls trois articles et une suppression d'article avaient été adoptés conformes.

Le Sénat s'est principalement attaqué à la définition du service public. Il a limité la portée de la création d'une tranche sociale de consommation, affaibli les possibilités de maîtrise publique de la politique énergétique, accru de façon tentaculaire les pouvoirs de la Commission de régulation de l'électricité, étendu les modalités de soutien à la production décentralisée, ouvert la porte à une modification de statut du GRT et enfin modifié les conditions d'ouverture du marché, la définition des consommateurs éligibles et les conditions d'exercice du négoce.

Sur toutes ces questions, nous souhaitons le rétablissement du texte adopté ici en première lecture.

Nous souhaitons aussi, Monsieur le secrétaire d'Etat, que vous acceptiez les ajustements qui nous semblent nécessaires pour tenir compte de la situation nouvelle dans laquelle se trouve EDF (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Claude Birraux - La production et la distribution d'électricité ne sont pas en France qu'une histoire d'électrons et de lignes. A quelques exceptions près, sur ces bancs, les parlementaires ressentent un réel attachement à l'entreprise EDF. Chacun d'eux reconnaît en elle une entreprise de pointe, technologiquement avancée, le premier électricien au monde. Les événements dramatiques causés par les tempêtes de fin 1999 ont montré qu'elle savait être solidaire et je voudrais, au nom du groupe UDF, rendre hommage à la conscience professionnelle, au courage et au dévouement de ses agents.

Nous voici donc en nouvelle lecture, puisque le Gouvernement de M. Jospin annonçait à la presse, la veille de la réunion de la commission mixte paritaire, que celle-ci n'aurait qu'à émettre un avis sur la qualité du beaujolais nouveau, servi à l'issue d'un simulacre de CMP...

Ce faisant, le Gouvernement, qui avait attendu sept mois après le vote par l'Assemblée nationale en première lecture pour inscrire le texte à l'ordre du jour du Sénat, s'exposait non seulement aux critiques de la Commission européenne, qui a déclenché la procédure d'infraction, mais aussi à celles des autres membres de l'Union, des concurrents d'EDF, de certaines organisations syndicales et même des dirigeants d'EDF, dont on ne peut pas dire qu'ils soient proches de l'opposition.

Alors qu'EDF engageait une stratégie de développement européen et se préparait à l'ouverture du marché, le Gouvernement et sa majorité ont joué contre elle, malgré la mise en garde, le 10 novembre dernier, de la CFDT qui écrivait : « Il y a bel et bien urgence à ce qu'une nouvelle loi s'applique en France. Plus le temps passe et plus les événements se précipitent. En quelques semaines plusieurs gros industriels multisites ont déjà choisi en France un autre producteur d'électricité qu'EDF ». Et qui concluait ainsi : « L'échec de la commission mixte paritaire serait le plus sûr moyen d'hypothéquer le service public de l'électricité, de ruiner les chances des entreprises françaises dans la concurrence et dans l'Europe ». C'était oublier le congrès de M. Robert Hue.

Le regard fixé sur l'horizon 2002, M. Jospin a sacrifié les intérêts des industriels français, à ses intérêts électoraux (Protestations sur les bancs du groupe communiste). D'ailleurs le texte voté en première lecture à l'Assemblée nationale, mauvaise synthèse des divergences de la majorité, ne semble pas plaire à M. Dumont, député socialiste pourtant, qui regrette que le Gouvernement n'ait pas retenu sa proposition de création d'un EPIC et s'en soit tenu à l'indépendance comptable du GRT. « Si EDF ne parvient pas à maintenir l'indépendance du GRT, explique-t-il, elle pourrait faire l'objet d'attaques de la part de ses concurrents et son statut d'entreprise intégrée pourrait être remis en cause. » Je suis tout à fait d'accord et je considère que le Gouvernement a choisi la voie la plus conservatrice.

Le titre même du texte est trompeur, car il ne traite ni de modernisation, ni de développement du service public.

Il n'est pas de modernisation puisqu'il ne saisit pas l'occasion qui s'offrait, avec la transposition de la directive, de mettre à plat le problème des retraites des agents EDF comme cela a été fait pour ceux de France Télécom par un autre gouvernement, il est vrai.

Il n'est pas de modernisation puisqu'il fige des situations en excluant par avance toute adaptation en fonction de l'évolution du marché de l'électricité et met en place des positions défensives qui sont autant de lignes Maginot ! Ainsi, vous voulez contraindre tout entrant dans le secteur à appliquer le statut des Industries électrique et gazière. Or, vous savez bien que ces nouveaux producteurs pourront contourner l'obstacle en s'implantant à nos frontières ou par le biais de filiales. Sans parler du fait que certaines dispositions de ce statut ont une base juridique plus qu'incertaine.

Moderniser impliquerait de mettre notre producteur national en ordre de bataille pour partir à la conquête du marché européen. C'est loin d'être le cas.

EDF va au contraire être handicapée par les protections que le Gouvernement prétend lui donner. Ainsi, en excluant d'avance toute évolution de la définition des clients éligibles, il s'expose, compte tenu du principe de réciprocité, à ce que les ambitions européennes d'EDF soient bridées.

En faisant dépendre les possibilités commerciales de la capacité de production sur le sol national, il donne un avantage exorbitant à EDF et crée une distorsion qui sera source de contentieux juridiques. Bien petit avantage, en outre, et qui ne fera pas illusion longtemps : les grossistes iront s'installer à l'étranger d'où ils pourront distribuer leur électricité sur nos réseaux.

Le Gouvernement s'arc-boute sur l'éligibilité par site. Or une entreprise qui a plusieurs unités de fabrication, mais dont un seul site est éligible ne sera-t-elle pas tentée de regrouper sur ce site l'ensemble de ses productions ? Que deviendra alors l'emploi sur les autres sites ?

La durée des contrats obligatoirement de trois ans joue aussi contre l'emploi. En effet, comme le note encore M. Dumont, « les entreprises procédant à un nouvel investissement auront tendance à s'installer là où cette mesure n'existe pas, à Amsterdam ou ailleurs... »

Ces protections doctrinaires sont donc bien illusoires dans un environnement européen concurrentiel.

Quant à la commission de régulation de l'électricité, le Gouvernement et sa majorité se sont ingéniés à réduire ses pouvoirs et à la mettre sous la coupe de l'Etat, par le biais du commissaire du Gouvernement.

Le Sénat, lui, a simplement cherché à rétablir l'esprit de la directive. Il l'a fait avec prudence afin de ne pas compromettre un accord en CMP.

Cette nouvelle lecture ne fait donc que renforcer le hiatus qui existe entre le conservatisme le plus archaïque et ceux qui croient en la capacité d'EDF non seulement d'affronter la concurrence, mais même de partir avec confiance à la conquête du marché européen.

Ce texte, qui, n'en doutons pas, sera examiné à la loupe par nos partenaires européens et par la Commission ne répond ni à l'esprit de la directive, ni aux intérêts des entreprises françaises. Il est passéiste. La politique énergétique de la France méritait mieux que cette synthèse baroque et hétéroclite destinée à faciliter le déroulement d'un congrès nostalgique d'une période et d'une idéologie défuntes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Robert Honde - De nombreux débats ont précédé notre discussion d'aujourd'hui, ce qui se comprend car l'exercice consistant à transposer en droit interne la directive de 1996 portant sur le marché intérieur de l'électricité était difficile.

Cette transposition engage notre pays sur la voie de la modernisation de ses services publics tout en nous mettant en conformité avec nos engagements européens, engagements auxquels les radicaux de gauche ont toujours souscrit.

La construction européenne passe aussi par le développement et le maintien du service public à la française, certes décrié par les tenants du libéralisme mais plébiscité par l'ensemble de nos concitoyens, surtout depuis les événements tragiques de cette fin d'année, qui ont montré comment le service public peut réagir face à une catastrophe. Les agents d'EDF fidèles au principe de continuité du service public et d'égalité de tous devant lui ont travaillé jour et nuit à rétablir la distribution. Le dévouement et la célérité dont ont fait preuve actifs et retraités ont rappelé que la culture qui imprègne nos entreprises publiques, issue de l'éthique des textes fondateurs.

Une modernisation n'en est pas moins indispensable si nous voulons que l'entreprise publique reste présente sur les marchés nationaux et internationaux. La maîtrise que la France a acquise ces dernières années dans la filière électronucléaire, en particulier, est à cet égard de bon augure. Tout nouveau marché signé à l'export conforte ou crée des emplois dans notre pays. Il est donc impératif de favoriser la compétitivité de nos entreprises.

Mais cela ne sera possible qu'à partir du moment où nous nous serons mis en conformité avec la directive européenne. Alors seulement, il sera possible à EDF d'agir dans le cadre européen.

Ne pas voter ce projet nous exposerait à des contentieux qui imposeraient à terme une application directe de la directive, cette fois sans protection du service public. Ceux qui seraient tentés de ne pas voter cette loi en croyant le défendre lui porteraient donc au contraire un mauvais coup.

Le texte qui nous est présenté est équilibré, il répond aux exigences de l'ouverture des marchés à la concurrence comme à celles d'équité et de solidarité. Il garantit à l'ensemble des acteurs du réseau un accès au marché transparent et non discriminatoire. Ces garanties sont largement comparables à celles que l'on trouve dans d'autres pays de l'Union européenne.

Cette ouverture maîtrisée à la concurrence et la mise en place d'une commission de régulation de l'électricité permettra au service public de coexister harmonieusement avec le secteur concurrentiel, et ce au bénéfice de tous les clients. Le service public en sortira conforté. C'est pourquoi les radicaux de gauche voteront ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Robert Galley - Je veux à mon tour rendre hommage aux services d'EDF et à leurs sous-traitants qui ont travaillé de façon admirable dans les circonstances que nous savons. Je pense en particulier à ces agents que j'ai vus, le soir du 28 décembre, réparer dans le froid des lignes de haute tension. Je suis sûr qu'ils se moquaient bien des 35 heures, ceux-là, et qu'ils ne pensaient qu'au service public (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF ; murmures sur les bancs du groupe communiste).

Je veux d'abord souligner qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre l'application de la directive et l'accomplissement de la mission de service public au bénéfice de tous les clients français. Celle-ci doit être au contraire l'occasion de moderniser EDF. C'est bien l'intention qu'affiche le titre de votre projet. Mais vous avez choisi, dans votre transcription de la directive, moins que ce que je considère comme le minimum acceptable. Toute votre attitude traduit une volonté de statu quo. Il s'agit bien sûr de ne pas provoquer une fracture de votre majorité plurielle, et chacun le comprend. Mais ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi le Gouvernement et la majorité, si fiers -comme je le suis moi-même- des performances d'EDF, sont si frileux pour lui ouvrir les portes du grand large.

Voyons en effet les chiffres, et je les puise, Monsieur le rapporteur, dans des travaux que nous avons réalisés ensemble. Est-ce pour une raison de prix qu'il faut avoir peur de la concurrence ? Pas du tout : le prix de l'électricité livrée à l'industrie est en France le moins élevé d'Europe, hormis la Grèce. Pourquoi avoir peur ? EDF, a fourni en 1997 6 % de l'électricité consommée au Royaume-Uni. Faut-il, du jour au lendemain, avoir peur de promouvoir notre industrie nucléaire ? Je ne comprends pas. Cette même année 1997, EDF a vendu à l'extérieur 83 milliards de kilowattheures, faisant de l'électricité notre premier poste d'exportation en valeur. Prenons garde de ne pas compromettre cette position ! Les techniques d'EDF sont reconnues dans le monde entier pour leur sûreté et leur efficacité. Elle est partenaire de la construction des centrales chinoises ; c'est à elle que font appel la Slovaquie, la Tchéquie, la Bulgarie pour sauver les centrales soviétiques moribondes. Pourquoi donc avoir peur du grand large, de la concurrence ? Si l'Europe doit, comme l'a dit M. le ministre, devenir le marché domestique d'EDF, j'ai peur que, par votre pusillanimité, vous ne brisiez les chances d'y parvenir. Votre transcription va ouvrir de nombreux contentieux, qui se préparent dès aujourd'hui ; ils contribueront à affaiblir l'idée de service public, et à ternir l'image d'EDF, déjà un peu atteinte, notamment en Grande-Bretagne.

On ne peut pas être juge et partie, et entretenir la confusion des pouvoirs, comme le fait votre texte en privant de moyens les autorités indépendantes. Vous pouviez profiter de cette loi, et de celle qui viendra sur le gaz, pour faire évoluer notre politique énergétique, et favoriser la diversification des sources. Sur ce point le deuxième alinéa de l'article premier avait été heureusement modifié par le Sénat, pour souligner la nécessité de se pencher sur l'EPR. C'est avec stupeur, Monsieur le rapporteur, que je vous vois balayer cet amendement, alors que, dans deux rapports récents, vous-même voyez dans l'EPR une priorité absolue. Par ce revirement vous risquez de retarder l'évolution d'EDF, qu'il s'agisse de l'organisation, du statut juridique ou des perspectives commerciales.

En voulant protéger EDF, vous vous exposez à la scléroser. Elle n'a pas besoin d'être protégée, mais libérée ! C'est pourquoi nous ne vous suivrons pas (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Président - La parole est à M. Dumont.

M. Franck Borotra - Il va lire son rapport !

M. Jean-Louis Dumont - Nullement. Je me suis rendu compte aujourd'hui, si ce n'est en première lecture, qu'il avait été fort bien lu, et de plus commenté... J'ai forgé mes convictions, je les garde. J'apprécie la démarche engagée cette dernière année, sachant d'où nous partions. Nous sommes bien sûr tous d'accord pour que, demain, une entreprise de service public soit confortée, renforcée dans ses capacités d'intervention en faveur des clients éligibles, mais aussi des ménages, et sur tout le territoire. Voici que revient ce projet de modernisation du service public d'électricité. On me permettra de regretter le temps qui passe, et qui nous attire les foudres de Bruxelles, mais qui surtout fait regretter à certains acteurs que nous n'ayons pas achevé l'organisation de notre marché, en votant cette loi dans les délais prévus par la directive. D'autant qu'il faut prévoir vingt-cinq à trente décrets d'application, et qui seront importants.

On peut aussi déplorer l'échec de la CMP, bien que ce soit chose habituelle : depuis quelque temps que je travaille à la commission des finances, je ne me souviens pas d'avoir vu une CMP parvenir à un résultat positif. C'est peut-être dommage, d'autant que votre commission, Monsieur le rapporteur, a adopté un certain nombre d'articles dans la rédaction du Sénat. Mais sur certains points on voyait clairement la distance entre les souhaits de notre majorité et ceux du Sénat. Aujourd'hui, sans plus tarder, il faut donner à l'opérateur historique les moyens de son développement, dans une logique de conquête, voire de reconquête, et dans le respect des missions réaffirmées du service public.

Ce développement implique des évolutions nombreuses. Mes collègues les ont évoquées ; pour ma part j'en retiendrai deux. La première est l'ouverture du principe de spécialité d'EDF au bénéfice des clients éligibles. L'entreprise publique doit pouvoir offrir, dans un contrat de fourniture d'électricité, un ensemble de services d'ingénierie, et passer alliance avec d'autres entreprises pour mieux répondre aux projets économiques et industriels qui lui sont proposés.

Une deuxième évolution doit concerner l'organisation dans l'entreprise publique du transport d'électricité, qu'elle soit à haute, moyenne ou basse tension. La création d'un service spécifique indépendant est indispensable, quitte à ce qu'il reste intégré dans l'entreprise. Ce service, ce « gestionnaire du réseau électrique » doit être l'unique responsable de la maintenance, des investissements, de la création des lignes. C'est la garantie d'un transport d'électricité de qualité sur tout le territoire. Lors des accidents qui ont marqué l'histoire énergétique de nombreux pays, ce qui est chaque fois mis en cause, c'est l'absence de maintenance et le manque d'investissements.

La récente tempête a permis à chacun de souligner la réactivité de l'entreprise, et de tous les acteurs du marché de l'électricité, ainsi que la solidarité qui a joué. Certains médias ont même redécouvert l'intérêt d'avoir des maires, qui organisent sur leur territoire la solidarité et les interventions. Mais qui trop embrasse mal étreint. Certains découvrent tout à coup la nécessité d'enfouir les lignes : mais EDF le fait depuis des années ! Dans mon département, pourtant éminemment rural, et dont la densité, tant de population que d'activité économique, est faible, elle enfouit des lignes chaque année ; l'an dernier elle y a consacré 700 millions. Mais enfouir des lignes n'est pas suffisant si on ne poursuit pas le maillage du territoire. Qu'un câble soit enfoui ou aérien, une rupture peut toujours survenir. Ce qui a sauvé certains territoires, y compris ruraux, c'est le développement des interconnexions, qui a permis de dévier le courant en utilisant d'autres itinéraires. On cite souvent l'exemple allemand. Or l'Allemagne a maillé son territoire, installé des circuits parallèles avec des dérivations possibles. Dans ma circonscription, c'est le maillage du territoire qui a permis de faire intervenir cette production par la petite hydraulique pour alimenter certaines communes !

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Jean-Louis Dumont - Tout au long de la mission que m'a confiée le Premier ministre a l'instigation de M. Pierret, j'ai affermi ma conviction que l'entreprise et les hommes de l'entreprise ont une grande capacité de s'adapter, d'opérer de façon moderne et efficace, non seulement sur notre territoire mais à l'extérieur. Je regrette certes qu'on n'ait pas été plus loin, qu'on se tienne en dehors d'un certain courant d'échanges qui est en place, et qui a aussi servi à EDF. La centrale de Cordemais, condamnée il y a quelques années, a battu depuis des records de production en achetant directement le fioul venu de Bretagne qui passait à sa portée. C'est dire que, quand on a besoin de courant à un prix compétitif, il faut utiliser l'ensemble des énergies primaires : l'atome, l'hydraulique, le gaz, l'éolien... tout ce panel qui fait la force d'EDF.

M. le Président - Il faut conclure.

M. Jean-Louis Dumont - Il est temps de voter cette loi et d'en publier les décrets d'application, afin de donner à l'ensemble des acteurs du marché de l'électricité les moyens de conquérir de nouveaux clients et de maintenir la qualité du service (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Proriol - La libéralisation du marché de l'électricité était inéluctable et devenait urgente. La France avait en effet jusqu'au 19 février 1999 pour transposer la directive de 1996 qui abolit les monopoles en matière d'électricité. Les débats en première lecture ont permis de voir émerger, pour cause de majorité plurielle, une transposition a minima, puis le Gouvernement a accepté 187 amendements d'origine sénatoriale sur 250, afin d'assouplir un texte initial trop rigide et de se rapprocher de l'esprit de la directive. Il y avait tout lieu de s'en féliciter et vous aviez, Monsieur le ministre, revêtu alors les habits d'un libéralisme tempéré qui vous allaient à merveille. Mais la situation a évolué. La commission mixte paritaire n'a pas abouti alors qu'un accord était possible. Le président Roussely considère que l'on aurait ainsi évité le contre coup de la procédure d'infraction instruite à l'encontre de la France qui a fortement pénalisé EDF à l'international et risque de lui faire perdre des clients, y compris en France. EDF, prise au piège de la gauche, a pris du retard dans sa nécessaire modernisation et dans le développement du service public de l'électricité. EDF souhaite d'ailleurs elle-même aller plus vite et devenir multiservices pour répondre aux attentes de ses clients. Officieusement, les responsables de l'entreprise font valoir que tous les autres pays sont allés plus vite que la directive. EDF est prête à son tour à aller plus vite que la loi pour ne pas perdre des parts de marché.

Il semble que le Gouvernement ait enfin compris qu'il faut mettre les bouchées doubles et accélérer. Notre rapporteur, il faut le reconnaître, a, lui, toujours été pressé mais il n'a su convaincre ni le Gouvernement, ni la gauche, ni la gauche de la gauche qui, hier encore, nous a envoyé ses syndicats préférés pour nous convaincre de ne pas voter la transposition. On a les conservateurs que l'on mérite ! (Interruptions sur les bancs du groupe communiste)

Comme l'a brillamment démontré M. Goulard, la concurrence n'est pas le grand Satan : bien au contraire, elle stimule, elle contribue à la régulation et à la réciprocité des échanges internationaux. Mais elle a surtout le mérite de faire baisser les prix, pour les industriels comme pour les consommateurs domestiques : moins 6 % en Italie, moins 21 % en Allemagne, moins 12 % en France pour les entreprises ; moins 27 % en Italie, moins 23 % en Allemagne, moins 22 % en France pour les ménages. EDF est prête à faire plus comme elle s'y est engagée avec le « programme exceptionnel du renforcement du service public », lancé en décembre dernier et maintenu malgré la tempête, qui dégage 855 millions pour favoriser la maîtrise de l'énergie à l'égard des plus démunis, améliorer l'accueil et renforcer la qualité des réseaux électriques.

Je tiens à saluer le dévouement de tous les agents de la base qui ont rétabli les lignes dans des conditions pénibles, comme je rends hommage à la direction de l'entreprise qui a su communiquer de manière exemplaire. Devant les difficultés, l'entreprise a su se mobiliser. Mais les événements récents ont aussi démontré la nécessité d'intensifier la politique d'enfouissement des réseaux de distribution, comme, d'ailleurs, les collectivités locales ne cessent de le rappeler. En ma qualité de président du syndicat d'électrification de la Haute-Loire, je me réjouis de l'intention annoncée dernièrement par EDF de privilégier l'enfouissement. Cependant, si la nécessité d'une telle orientation, que ce soit pour des raisons esthétiques ou techniques n'est plus à démontrer, la question de son coût demeure.

Un autre enjeu de l'ouverture du marché de l'électricité tient au rôle des collectivités locales. Il importe que ce projet permette de promouvoir la participation active des élus à l'orientation et au contrôle du service de la distribution publique d'électricité, de veiller à ce que l'accentuation de la logique commerciale d'EDF n'engendre pas une baisse de la qualité des services rendus, notamment dans les zones rurales, et de s'assurer que les collectivités concédantes soient dotées des moyens nécessaires pour répondre aux besoins à satisfaire sur les réseaux de distribution. Il convient donc d'accroître les crédits du remarquable outil d'aménagement du territoire que constitue le Fonds d'amortissement des charges d'électrification et de le pérenniser.

C'est dans cet objectif que j'ai déposé un certain nombre d'amendements et je remercie notre rapporteur d'en avoir accepté certains, trop peu hélas pour que le groupe DL vote ce texte en l'état (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. René Dutin - On ne saurait aborder cette nouvelle lecture sans évoquer le déchaînement de la nature qui a frappé une grande partie de nos concitoyens. Au-delà des deuils et des souffrances, ces épreuves ont démontré la nécessité de disposer de services publics efficaces.

Si tous les foyers de mon département n'ont retrouvé que ces derniers jours l'électricité, qu'en serait-il allé sans la mobilisation des 300 personnes qui ont _uvré sans relâche pour rétablir l'électricité dans toutes les localités de la Dordogne ?

Animés par un esprit de solidarité, les électriciens qui sont venus de toute la France, mais aussi d'Italie, du pays de Galles ou de Belgique ont démontré que l'Europe peut prendre un tout autre visage que celui de la concurrence et de la course à la rentabilité.

Nos concitoyens ne s'y sont d'ailleurs pas trompés et ont affirmé leur attachement au service public avec la même force qu'ils condamnent l'irresponsabilité criminelle de la société Total Fina. Cependant, si tout le monde n'a de cesse de louer les mérites des agents d'EDF, cette catastrophe appelle, au-delà des déclarations de circonstances, des actes concrets. La satisfaction des besoins de chacun est tout à fait incompatible avec une logique qui ne prend en compte que le client solvable.

Il importe que le redéploiement d'EDF vers l'international ne se fasse pas aux dépens du service public dans notre pays. En effet, une politique de désengagement d'EDF en France pénaliserait les investissements nécessaires pour y renforcer la fiabilité du réseau.

Donner la priorité au service public n'est effectivement pas incompatible avec le développement de larges coopérations, comme en témoigne le récent et magnifique élan d'entraide.

Aussi est-ce la logique même de la directive européenne, tendant à toujours plus de concurrence et de soumission des services publics à la loi des marchés financiers, qui est inacceptable. Les avancées, initiées par notre groupe et mises à mal au Sénat, méritent donc de se retrouver intégralement dans le texte définitif. A ce titre, la catastrophe que nous venons de vivre a certainement renforcé l'intérêt que portent nos concitoyens à l'avenir du service public rejoignant l'action de notre groupe pour permettre une renégociation de la directive (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Christian Martin - Ce texte, qui est l'occasion de réaffirmer le rôle des collectivités locales dans la distribution d'électricité, s'inscrit dans le droit fil de la décentralisation, et c'est tant mieux.

La distribution d'électricité est un service collectif de proximité. L'autorité organisatrice de la distribution est une collectivité locale, le plus souvent un syndicat intercommunal de taille départementale, la distribution étant assurée pour l'essentiel par EDF.

L'ouverture du marché va conduire cette entreprise à définir sa stratégie en fonction d'objectifs de plus en plus souvent commerciaux. Aussi les collectivités concédantes sont-elles bien placées pour concilier cette ouverture avec les exigences du service public. La loi devrait donc les doter de moyens de contrôle réels, et en particulier d'un accès aux informations utiles à l'exercice de leurs compétences. Or l'article 17 du projet semble établir un lien de dépendance entre le droit à communication des informations détenues par EDF et l'application du secret industriel et commercial, dont il faudrait avoir la certitude que cet opérateur ne cherchera pas à l'invoquer pour faire de la rétention d'informations. Il faut que vous donniez des instructions très fermes à EDF sur ce sujet.

De même, je souhaiterais que le code des marchés publics, qui s'applique aux syndicats d'électrification, s'applique également à EDF.

Les gros consommateurs vont bénéficier les premiers des effets positifs de l'ouverture du marché, à commencer par une baisse des prix de l'électricité. Les collectivités concédantes doivent veiller à éviter que cette évolution ne s'opère au détriment des petits et moyens consommateurs.

L'électricité représente aujourd'hui encore un irremplaçable facteur de progrès économique et de cohésion sociale et territoriale. A preuve les récentes intempéries, et la situation dans laquelle s'est retrouvée une partie de la population, privée d'électricité.

Comment éviter qu'une nouvelle tempête ne provoque des dégâts aussi considérables sur nos réseaux électriques ?

Ceux de l'Allemagne ont mieux résisté. EDF nous a transmis un beau dossier sur les deux tempêtes, qui montre qu'après avoir traversé la France, elles sont arrivées en Allemagne et en Suisse. Or les pylônes de ligne haute tension chez nos voisins seraient restés debout alors que chez nous, 200 pylônes se sont pliés en deux. Pourquoi cette différence ? La part en souterrain des réseaux de distribution, qui atteint 70 % en Allemagne contre 30 % en France, explique largement cette situation.

Il faut impérativement dégager de nouveaux moyens pour accentuer l'enfouissement de nos réseaux.

Déjà les collectivités concédantes ont consacré des efforts importants à l'enfouissement des lignes de basse et moyenne tension, qui leur appartiennent. Leur longueur est de 1 260 000 kilomètres, soit 90 % de la longueur totale des réseaux électriques en France.

Environ 6 milliards de travaux d'extension, de renforcement et d'amélioration esthétique sont investis chaque année par les collectivités sur leurs réseaux de distribution. Dans les seules zones rurales, ces travaux sont financés directement sur les fonds propres de ces collectivités ou avec l'aide du Fonds d'amortissement des charges d'électrification, dont l'enveloppe s'élève à environ 3 milliards, répartis entre les collectivités bénéficiaires en fonction des différents programmes de travaux. Le programme principal, qui permet de financer des travaux d'extension et de renforcement, atteint 2,4 milliards pour l'année 2000. Le programme spécial environnement est doté de 700 millions, destinés à des travaux d'amélioration esthétique. Félicitons-nous donc que le projet ne comporte plus de dispositions de nature à affaiblir le Facé, indispensable outil d'aménagement du territoire. Vous saurez, Monsieur le ministre, prendre rapidement les mesures qui s'imposent pour reconstruire les lignes détruites, notamment en dotant le Facé des moyens lui permettant de relever ce nouveau défi. L'objectif de 80 % de lignes basse et moyenne tension enterrées représenterait des crédits Facé multipliés par 3 pendant 20 ans.

Aussi, voici quelques propositions.

Le taux actuel des taxes sur les consommations d'électricité perçues par les communes est au maximum de 8 % et pour les départements de 4 %. Ces taxes ne sont pas affectées. Serait-il possible que ces ressources soient obligatoirement affectées à tout ce qui touche à l'énergie électrique et en particulier à l'enfouissement des réseaux basse et moyenne tension, ou à défaut, d'augmenter la taxe de deux points qui seraient strictement réservés à l'enfouissement du réseau électrique ?

A ce sujet, n'oublions pas les réseaux téléphoniques. Là aussi, des instructions impératives doivent être données à France Télécom. On ne peut enfouir les réseaux électriques sans en faire autant pour les lignes téléphoniques qui de plus, sont souvent posées sur les poteaux électriques.

Il existe au Facé une ligne de crédit « Programme spécial énergies renouvelables et maîtrise de la demande d'électricité » -doté de 75 millions pour 2000. Ces crédits sont très peu consommés faute de projets. Il est indispensable que les collectivités soient habilitées à financer des travaux de maîtrise de la demande d'électricité portant sur le patrimoine de personnes privées. Ainsi, pourrait être subventionné l'achat par les agriculteurs, d'alternateurs tournant sur la prise de force de leur tracteur, ou celui de groupes électrogènes et de câbles permettant de rétablir rapidement la distribution d'eau potable.

La gravité des événements récents devrait conduire à mettre en place un programme exceptionnel au sein du Facé.

M. le Président - Veuillez conclure !

M. Christian Martin - Ce programme est nécessaire pour assurer une reconstruction durable des ouvrages ruraux de distribution, comportant un enfouissement à grande échelle.

Il devrait comporter un volet préventif, afin d'intensifier la mise en souterrain des lignes non affectées par les intempéries. Votre réponse est très attendue par les élus locaux qui s'emploient sur le terrain à dissiper certaines tensions nées d'un sentiment d'injustice bien compréhensible.

Je tiens pour finir à saluer le courage de tous ceux qui ont participé à une véritable course contre la montre afin de rétablir le plus rapidement possible l'électricité dans les foyers. Je pense bien entendu aux moyens exceptionnels mobilisés par EDF, mais souhaite également rendre hommage aux entreprises de travaux du secteur électrique, que la presse a ignorées. 9 000 professionnels de ces entreprises se sont pourtant mobilisés. Ils méritent notre reconnaissance (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jacques Desallangre - Depuis la précédente lecture, et cependant que la droite sénatoriale confirmait ses orientations ultralibérales, est intervenu un événement majeur : la tempête, qui a donné à EDF l'occasion de confirmer son efficacité lorsqu'il a fallu rétablir le réseau endommagé. Le service public « à la française » qui confie à des établissements publics des missions d'intérêt général en se soumettant aux trois principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, a prouvé qu'il savait parvenir à un optimum économique et social : en l'espèce, EDF assure un prix de l'électricité très compétitif et garantit une péréquation des tarifs sur tout le territoire. Il nous faut à tout prix préserver ce service public car est-il sûr que, dans la situation que nous venons de vivre, un opérateur privé eût fait preuve de la même efficience pour rétablir les lignes électriques dans les régions enclavées et peu peuplées, donc peu rentables ? EDF apparaît donc comme le seul établissement capable d'assurer en France la gestion et la sécurité de notre réseau -n'en déplaise au Sénat, qui souhaitait une stricte séparation entre le GRT et Electricité de France.

La tempête a par ailleurs confirmé le caractère particulier de l'électricité. Contrairement au dogme que veut imposer la Commission, l'électricité n'est pas, en effet, un bien comme les autres, relevant comme eux de la libre concurrence : c'est un bien vital, un bien stratégique, indispensable à la production industrielle. Les intempéries n'ont fait que souligner la nécessité de l'indépendance énergétique pour notre pays : nous ne pouvons nous en remettre par conséquent à des sociétés, à des « traders » qui cherchent la rentabilité à court terme. Souvenons-nous de ce qui s'est passé dans le Middle West en 1998 : après une crise exceptionnelle, le prix du mégawatt-heure a décuplé !

Enfin, la tempête a prouvé que l'existence de quasi-monopoles n'empêche en rien la coopération internationale !

La qualité de nos débats nous avait permis, en première lecture, de parvenir à un texte presque équilibré malgré le vide originel d'une directive qui vise à la libéralisation du marché de l'électricité et à la mise en concurrence d'EDF, en vertu d'une conception consumériste. Vous aviez su, Monsieur le secrétaire d'Etat, écouter la majorité plurielle et soutenir efficacement certains de nos amendements en faveur des principes qui régissent le service public. La droite sénatoriale a préféré adopter un texte ultra-libéral, renonçant à notre indépendance énergétique et à la sûreté de notre approvisionnement et sapant le principe d'égalité. Notre travail en commission, nos amendements ont permis de réaffirmer que notre indépendance et la sûreté de notre approvisionnement devaient s'entendre dans un cadre national, et non européen comme le souhaite le Sénat. La commission a aussi refusé de modifier profondément le régime juridique applicable à tous les services publics en ajoutant aux trois principes fondateurs une référence aux règles de concurrence.

Le Sénat a tenté de supprimer le principe d'égalité en organisant une ouverture du marché plus large que ne le prévoit la directive et en autorisant à prendre en considération des données locales pour l'établissement des tarifs. Cela aussi, nous l'avons refusé, comme nous avons tenu à réhabiliter le pouvoir du politique face à la volonté de la Haute assemblée de conférer une quasi-omnipotence à une énième « autorité indépendante ». La nation, les collectivités locales, le Parlement et le Gouvernement ne sauraient être dessaisis de leurs prérogatives au profit de la CRÉ.

Malgré tous vos efforts pour en réduire la nocivité, Monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'avez pu triompher de la contrainte forte qu'impose cette directive ultra-libérale. Les députés du MDC, hostiles à cette injonction de libéraliser sans frein, ont eux aussi tenté d'améliorer ce texte mais ils n'y sont parvenus qu'imparfaitement -la marge du Gouvernement est étroite ! Notre politique n'est pas celle du pire et nous espérons que M. Goulard devra attendre longtemps des lendemains qui chantent pour lui. Cependant, ce deuxième examen ne devrait pas nous permettre de réviser radicalement nos réserves de première lecture : les contraintes imposées par Bruxelles demeurent trop fortes pour que nous puissions considérer ce texte comme entièrement satisfaisant, en dépit des efforts des uns et des autres (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Pierre Ducout - Comment ne pas avoir présents à l'esprit les effets des tempêtes qui ont ravagé une grande partie de notre pays, occasionnant notamment des dégâts sans précédent dans le Sud-Ouest où la filière bois tient tant de place. Des milliers de Français ont été plongés dans le noir, certains pendant près de trois semaines !

De cette catastrophe, nous devons tirer toutes les leçons à l'appui de notre position

En premier lieu, il est apparu évident que l'électricité n'est pas une marchandise comme une autre, au sens de la directive. C'est un service vital -le seul indispensable à tous les foyers, du centre de Paris jusqu'au fond de nos landes.

En second lieu, la mobilisation, la compétence, le sens du service public des agents d'EDF -particulièrement des « lignards »- ont été salués unanimement et à juste titre. Il convient donc de garantir, au sein d'EDF, le maintien de moyens nécessaires à la réparation des réseaux -sans pour autant oublier la contribution des personnels communaux et des retraités d'EDF ni l'apport de la solidarité européenne.

On a également salué le rôle joué par les collectivités locales, grâce au réseau de proximité et de solidarité que représentent nos 36 000 communes. Le lien entre celles-ci, autorités concédantes, et EDF doit être renforcé, pour mieux imposer et pour améliorer la qualité du service rendu sans pour autant imposer de trop lourdes charges aux petites municipalités.

Desserte universelle et péréquation tarifaire sont des obligations républicaines. Or on sait le travail que représente, par exemple, la remise en place d'une ligne à moyenne tension desservant deux ou trois maisons isolées. Les amendements déposés par nos collègues communistes devraient nous permettre de définir le droit à l'électricité pour tous, à un niveau pertinent. Les récents événements nous confirment dans les choix que nous avons faits en première lecture, pour assurer la qualité du service public tout en permettant à EDF de s'affirmer sur le nouveau « marché européen ». L'intégration au sein d'Electricité de France des activités de production, de transport et de distribution est un atout pour la reconstruction des réseaux, dont le coût est évalué à 17 milliards. Cette réfection doit permettre en particulier d'enterrer les lignes à moyenne tension et de réfléchir à une nouvelle norme de résistance aux vents pour les pylônes très haute tension.

Le bouclage des réseaux de transport très haute tension et l'interconnexion ont facilité le raccordement de la plupart des foyers. La surcapacité si critiquée de notre parc nucléaire a également permis d'assurer la fourniture, malgré des incidents qui ont affecté certaines centrales nucléaires. A propos de celle du Blayais, il faut d'ailleurs souligner que la sécurité n'a jamais été menacée : les autorités de sûreté ont été correctement informées. Cependant, il conviendrait de progresser dans la définition des crues « millennales » fluviales, dans les sites d'estuaire, et d'améliorer encore l'information des acteurs locaux.

Pour ne pas obérer les capacités d'investissement d'EDF, il est nécessaire de ramener à 12 MW la puissance maximale de la production autonome rachetable par EDF. Le GRT ne doit correspondre qu'à une séparation comptable et la commission de régulation doit se cantonner au contrôle de l'accès aux réseaux.

Cette loi de transposition sera ainsi vraiment une loi de modernisation et de développement tout en assurant à EDF sa place de premier énergéticien européen ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Yvon Montané - Cette nouvelle lecture s'inscrit dans un contexte que nous n'avions pas prévu. Les récentes intempéries ont balayé bien des incertitudes, y compris au sein d'EDF. Il faut qu'à quelque chose malheur soit bon ! Si nous devions tirer qu'une seule leçon de ces événements, ce serait que, plus que jamais, la France a besoin d'un service public de qualité.

Je préside un syndicat de distribution d'électricité dans un département rural sinistré. Certes, le Gers a été moins touché que ses voisins par la tempête. Nous avons cependant subi une tempête en février 1996, la neige en janvier 1997, une tornade en septembre 1999 et enfin la tempête de décembre : si elle a causé relativement peu de dégâts, c'est que les arbres tombés en septembre ne pouvaient plus tomber en décembre... (Sourires)

A chaque fois, les coupures d'électricité ont été nombreuses. En décembre, elles ont concerné un tiers des usagers, soit 35 000 abonnés.

Les réseaux aériens nus -de simples fils de cuivre- sont encore trop présents : ils représentent 57 % du total, ce qui rend le réseau très vulnérable.

Les collectivités locales du Gers, associées au sein d'une structure intercommunale, ne sont pas restées inactives. Chaque année, elles investissent 60 millions pour moderniser les réseaux, alors même qu'elles assistent à un désengagement d'EDF. Le réseau n'a pas atteint le degré de sûreté nécessaire et la tempête nous l'a rappelé.

Nous devons nous interroger sur les faiblesses de notre système électrique : l'insuffisance des réseaux THT et HTB, le manque de groupes électrogènes et les carences de la politique d'enfouissement des lignes. Cependant, une chose est sûre : le service public de l'électricité ne doit pas être sacrifié au nom du dogme de la rentabilité.

Seul le service public est capable de garantir l'égalité de traitement, la péréquation tarifaire, l'universalité, la qualité, la continuité et l'adaptabilité. Lui seul traitera l'usager d'une commune rurale sinistrée avec le même soin que les abonnés d'une mégalopole et vice-versa. Je vous laisse imaginer, en effet, ce qui se serait passé si la région parisienne avait été privée d'électricité !

La preuve est faite que l'ultralibéralisme et la dérégulation ne sont pas des solutions pour répondre aux attentes des usagers. Il suffit de voir la situation des chemins de fer britanniques...

M. François Goulard - Et les chemins de fer norvégiens ?

M. Yvon Montané - Le contexte n'est pas le même.

Je veux saluer le travail formidable qu'ont accompli les salariés d'EDF, les services de l'Etat, les élus locaux, ainsi d'ailleurs que les entreprises privées du secteur électrique, qui ont agi en partenaires du service public.

Je profite de l'occasion pour signaler l'insuffisance des filières de formation au métier de monteur de réseau dont la tempête a révélé l'importance. Il faut prévenir toute pénurie dans cette qualification.

Des équipes étrangères sont venues au secours de la France : alors qu'on ne parle guère que de l'Europe des grands groupes, c'est l'Europe des hommes, l'Europe de la solidarité, l'Europe des services publics qui s'est manifestée. C'est cette Europe qu'il faut préserver.

Nous avons pu aussi mesurer l'importance vitale de l'électricité dans notre vie quotidienne et prendre conscience qu'elle n'était pas une marchandise comme les autres.

Le texte voté ici en première lecture permet à la France de respecter ses engagements tout en garantissant un service public moderne, soucieux de l'intérêt général et conforme à notre tradition. Il doit servir de base à cette nouvelle lecture (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Yann Galut - L'expérience douloureuse des intempéries a démontré que l'électricité n'est pas un produit comme les autres. La privation d'électricité, au-delà de quelques heures, devient insupportable et peut avoir des conséquences dramatiques. L'énergie électrique est devenue vitale.

L'entreprise publique EDF a montré sa capacité à se mobiliser et je veux rendre hommage à ses agents ainsi qu'au président Roussely. Nous avons pu mesurer l'intérêt d'un vrai service public et d'un maillage territorial conséquent. EDF est non seulement un service public à visage humain, mais surtout un service public efficace.

Au même moment, la manière dont un célèbre groupe pétrolier a méprisé les communes souillées illustre une toute autre approche des crises. Peut-être faut-il s'habituer à un traitement des intempéries comme Total Fina gère les marées noires causées par ses productions ? Total s'est davantage intéressé au cours de son action à la Bourse qu'au désastre causé par sa volonté de réduire les coûts au détriment de la sécurité.

Vous comprendrez mon inquiétude quand j'entends certains prôner son entrée dans le capital de GDF, après la prochaine transposition de la directive sur le gaz.

Ces événements ont conforté ma conviction intime : la régulation par le marché n'est ni saine ni adaptée à la distribution d'un produit de première nécessité. Je reste persuadé que la politique énergétique est une responsabilité éminente de l'Etat, parce qu'elle repose sur des considérations de long terme que le marché est incapable de prendre en compte.

Je considère que toute politique énergétique doit assurer l'indépendance énergétique de la France et la sécurité de son approvisionnement indépendamment des aléas du marché, tout en respectant l'environnement et en privilégiant les énergies renouvelables.

Nous devons nous interroger sur l'avenir du service public de l'électricité. Comment une pluralité d'acteurs, dans un marché concurrentiel, pourraient-ils assurer un service public performant ?

Nous devons au contraire construire un véritable pôle énergétique national, en renforçant la cohérence entre les entreprises du secteur public.

Ce projet, qui ouvre le marché de l'électricité, ne prend pas suffisamment en compte les exigences de développement, de rénovation et de démocratisation du service public de l'électricité. Comment garantir que les grands principes du service public, facteurs de cohésion sociale, soient respectés dans les prochaines années ?

Quand EDF procède à près de 400 000 coupures pour insolvabilité, il est légitime de s'inquiéter de la réalité du droit à l'énergie pour nos concitoyens. L'instauration d'une tranche tarifaire sociale pourrait constituer une manifestation réelle de ce droit.

Je reste fidèle à la position des députés socialistes, qui dénonçaient à propos de la directive « un reniement du service public en particulier dans son principe d'égalité du traitement de tous les consommateurs ».

Oui, notre service public et républicain de l'électricité doit être préservé : celui qui est apprécié par la population, celui qui assure l'indépendance énergétique de la France, celui qui fait rentrer des devises par des exportations, celui qui assure la péréquation tarifaire et le maintien de l'égalité de traitement.

Le texte issu du Sénat, où les libéraux de tout poil se sont déchaînés, est éloquent. Il va beaucoup plus loin que la directive. Est-il même nécessaire de commenter les conceptions de ces inconditionnels du libéralisme, qui n'ont aucun scrupule à appeler l'Etat à la rescousse quand il faut mutualiser les charges mais veulent privatiser les profits ?

Je ne peux me résoudre à la destruction d'un service public au nom d'impératifs de productivité. L'Europe n'a que trop tendance à privilégier les grosses entreprises au détriment des hommes.

On ne pourra jamais éviter certaines catastrophes naturelles, mais les Français sont en droit d'attendre un système de fourniture d'électricité capable d'y résister.

Monsieur le ministre, en Gironde, le raccordement des foyers a pris du temps parce qu'en 1992, on a concédé la distribution d'électricité à une entreprise du groupe Lyonnaise des Eaux. On a pu voir la différence, en cas de crise, quand ce n'est pas EDF qui gère le réseau !

Nous devons saisir l'occasion qui nous est donnée pour conforter le service public de l'électricité conformément aux principes fondateurs de la loi de 1946.

Il faut étendre le contenu du service public au-delà de la seule fourniture de courant et de gaz. EDF doit pouvoir proposer aux usagers des offres multi-services et multi-énergies alliant gaz, électricité et chaleur, comme par exemple le contrôle et la sécurisation des installations intérieures, des conseils tarifaires ou des aides à l'efficacité énergétique...

Mes chers collègues, prenons garde de ne pas détruire notre service public de l'électricité, que de nombreux pays nous envient. L'ouverture à la concurrence est pour l'instant limitée aux gros clients éligibles, mais jusqu'à quand ? Je sais, Monsieur le ministre, que vous avez tout fait pour préserver au maximum le service public de l'électricité. Je ne voudrais pas cependant que cette transposition soit un premier pas dans la libéralisation du marché de l'électricité. Il faut au contraire tirer les enseignements de la tempête et inverser la tendance en Europe en refusant toute nouvelle libéralisation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Philippe Duron - La notion de service public est au c_ur du projet que nous examinons aujourd'hui. La mobilisation exemplaire d'EDF à l'occasion des récentes intempéries témoigne bien de l'importance de cette notion qui donne corps aux valeurs de solidarité et de cohésion sociale. On a pu mesurer en cette même occasion à quel point l'électricité est un bien de première nécessité.

Dans mon département, le Calvados, le réseau électrique a subi d'importants dégâts qui ont privé quelque 143 000 habitants d'électricité. Le jour-même, tous les agents d'exploitation d'EDF se sont mobilisés pour engager, aux côtés des agents d'astreinte, les premières actions d'urgence. Je voudrais ici leur rendre hommage. Grâce à cette mobilisation, le nombre d'abonnés privés d'électricité descendait à moins d'une centaine dès le 5 janvier au matin et le rétablissement total du réseau intervenait dans la soirée de ce même jour.

La discussion de ce projet nous offre l'occasion de réaffirmer notre attachement au service public de l'électricité. Dans son avis du 5 mai 1998, le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz présidé par M. Kucheida, a lui aussi insisté sur l'importance de cette notion.

A propos d'elle, on parle souvent d'exception française. Mais il faut rappeler que la directive européenne du 19 décembre 1996 donne aux Etats membres la faculté d'imposer des obligations de service public aux entreprises du secteur de l'électricité, dans l'intérêt économique général. Longtemps discutée par l'Union européenne, la notion de service public est ainsi désormais expressément inscrite dans le droit communautaire. L'article premier du projet, qui définit pour la première fois le service public de l'électricité, est donc en parfaite cohérence avec la directive et se situe dans le droit fil de ce que la France et quelques autres Etats ont obtenu lors des négociations.

Le service public de l'électricité a un rôle capital à jouer dans la politique énergétique française. Il contribue en effet à l'indépendance et à la sécurité d'approvisionnement. Rappelons ici que la France avait obtenu, lors des négociations, que la notion essentielle de sécurité d'approvisionnement soit expressément mentionnée dans la directive.

Il contribue aussi à la gestion optimale des ressources nationales et à l'utilisation rationnelle des énergies. La commission de la production se réfère aussi à sa contribution, à la qualité de l'air et à la lutte contre l'effet de serre, élément fondamental si l'on songe aux modifications climatiques dont on mesure depuis une décennie environ, et tout récemment encore, les conséquences dramatiques.

Le service public de l'électricité concourt à un aménagement harmonieux du territoire et joue un rôle décisif en matière de cohésion sociale. La commission de la production avait d'ailleurs adopté un amendement affirmant le droit à l'électricité pour tous. Il suppose d'assurer aux consommateurs non éligibles une fourniture d'électricité de qualité, au moindre coût, et dans le respect des principes de péréquation. Le projet comporte aussi des mesures en faveur des plus démunis qui s'inscrivent dans la continuité de l'action menée depuis deux ans par le Gouvernement et sa majorité pour lutter contre les exclusions.

La définition d'un service public de l'électricité solidaire est à rapprocher d'autres dispositions de ce projet. Je pense en particulier au maintien d'EDF à 100 % dans le secteur public, au maintien intégral du statut actuel du personnel des Industries électriques et gazières et de tous les acquis sociaux, facteur d'harmonisation par le haut des règles sociales européennes, ou encore à l'adoption d'un système transparent de régulation économique et sociale.

Toutes ces mesures témoignent du fait que les marges de man_uvre laissées par la directive ont été bien utilisées et font de ce projet un texte équilibré (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

La discussion générale est close.

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MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une demande de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Franck Borotra - Nous avons un an de retard, vous le savez. La transposition aurait en effet dû être terminée en février 1999 et nous voici déjà en janvier 2000. Nous n'en sommes donc pas à une semaine près. C'est bien pourquoi je plaide pour un renvoi en commission qui nous permettrait d'améliorer le projet et de parvenir, peut-être, au consensus souhaité.

Mais je voudrais revenir un instant sur les conditions dans lesquelles ce texte nous revient. Le Sénat a travaillé très sérieusement et s'est efforcé de préserver la possibilité d'un accord avec l'Assemblée, raison pour laquelle il n'a pas touché à la structure même du texte mais s'est contenté d'y apporter des améliorations. Evitant un débat manichéen qui aurait opposé les ultralibéraux aux tenants du monopole, il a proposé quelque 440 amendements : 206 ont été adoptés, dont 178 avec votre soutien, Monsieur le secrétaire d'Etat. Vous donniez alors l'impression de chercher le consensus et à la fin du débat devant le Sénat, vous avez d'ailleurs déclaré qu'il ne demeurait que trois ou quatre points de désaccord. J'ajoute que sur chacun de ces points, la discussion était possible. Pourtant, en CMP, les députés de la majorité ont purement et simplement claqué la porte au nez des sénateurs. Quelqu'un a dit tout à l'heure qu'il n'était pas courant qu'une CMP arrive à un accord. Peut-être mais il est encore moins courant qu'il n'y ait pas de discussion du tout !

Le rapporteur a été choqué que je qualifie son rapport de sectaire. Je veux bien retirer le terme s'il lui déplaît trop, mais il reste qu'en quinze ans de parlementarisme, je n'ai jamais lu un rapport contenant autant de déclarations désobligeantes à l'égard d'autres parlementaires.

Après nous avoir expliqué que le retard de transposition était sans importance (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), ce qui n'est pas l'avis des dirigeants d'EDF, lesquels ont publiquement regretté l'échec de la CMP, M. Bataille n'a pas hésité à dire que l'Assemblée était seule représentative des forces vives de la nation, ce qui est insultant pour le Sénat. J'ajoute qu'en la circonstance, M. Bataille a surtout été l'instrument d'une décision prise à Matignon sans lui. Cela ne l'empêche pas de se gausser du Sénat, de sa ténacité, de ses prétendues « frustrations », de son « contorsionnisme législatif », de son « ignorance manifeste », de la différence qui existe entre « transcrire comme un greffier » et « transposer comme un législateur ». Je pourrais citer encore bien des jugements de ce type sur les travaux du Sénat. Ce n'est pas convenable, et ce n'est pas ainsi qu'il faut s'y prendre pour être pris au sérieux.

J'ajoute qu'en commission M. le rapporteur a indiqué que, sur les quelque 250 amendements à examiner, MM. Proriol et Goulard en avaient déposé une centaine, déjà rejetés en première lecture, ce qui donnerait lieu à un avis défavorable global et systématique. Voilà qui en dit long sur votre volonté de dialogue. Je ne partage pas cette conception autoritaire du débat parlementaire. Telle est la première justification du renvoi en commission : je considère que tous les efforts n'ont pas été faits pour parvenir, non pas à un « compromis » comme dit M. le rapporteur, mais à un consensus. Peut-être, Monsieur le ministre, aurez-vous trouvé d'autres sources d'inspiration en écoutant M. Dumont : si votre projet s'était inspiré de son excellent rapport, je l'aurais voté. Ce n'est malheureusement pas le cas, alors que les trois quarts de l'Assemblée et du Sénat auraient pu se mettre d'accord sur un texte à la fois conforme à ce que vous attendiez et raisonnable au regard de l'application de la directive.

C'est d'autant plus vrai qu'en commission, M. le rapporteur a parlé du « fruit d'un équilibre délicat ». C'est délicatement dit... Politique, quand tu nous tiens ! Quel est cet équilibre, sinon celui des concessions faites aux différentes composantes de la majorité plurielle ? L'une d'elles est d'ailleurs très intéressante : c'est la promesse par le Gouvernement de la construction d'une nouvelle centrale électrique à Gardanne, et je regrette que notre collègue Roger Meï ne soit pas là. M. le ministre a d'ailleurs déclaré le 16 mars que le Gouvernement avait -j'aime beaucoup cette formulation- « l'intention de décider » la construction d'une tranche supplémentaire de centrale électrique pour aider à la reconversion de Gardanne. Or le président d'EDF a récemment affirmé sa volonté de se battre contre ce projet, préférant consacrer ces 2,5 milliards à autre chose. Et le préfet du département confirmait ce refus, déclarant que le projet était techniquement réalisable, mais qu'il restait à démontrer son efficacité économique. La réalisation de la centrale, disait-il, reste subordonnée à la possibilité de commercialisation de l'électricité produite. Exit la promesse du Gouvernement, et le fruit délicat de l'équilibre...

M. le Secrétaire d'Etat - Je confirme qu'il n'y a qu'une politique énergétique en France, et qu'elle est définie par le Gouvernement, sous le contrôle du Parlement. Telle est la philosophie de ce projet. Pour ce qui est de Gardanne, la décision de réaliser un lit fluidisé circulant est prise. Dans le cadre de la loi que le Parlement voudra sans doute bien adopter, nous lancerons l'appel d'offres nécessaire à la réalisation de cet équipement structurant à Gardanne, et ce dans le cadre du pacte charbonnier, dont les échéances ont été fixées et seront respectées (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Franck Borotra - L'Etat s'exprime par la voix de son ministre, mais aussi par celle de son préfet, dont je ne peux douter qu'il ait puisé son inspiration auprès du ministre. Je prends acte de votre déclaration. Ce que je souhaite pour M. Meï, c'est que cette centrale soit un objectif à court terme, et non pas un horizon -lequel, on le sait, recule à mesure qu'on s'en approche. Nous verrons bien la suite.

M. Alain Clary - Nous avons là une déclaration ministérielle !

M. Franck Borotra - Vous savez, les déclarations ministérielles, non seulement j'en ai fait (Sourires), mais j'en ai entendu : elles n'engagent que ceux qui les reçoivent...

Mais ma seconde raison de souhaiter le renvoi en commission, Monsieur le ministre, c'est que le texte auquel vous voulez revenir est insuffisamment préparé, et qu'il faut l'améliorer sur plusieurs points.

M. Jean-Pierre Kucheida - Il fallait le faire à votre époque !

M. Franck Borotra - Monsieur Kucheida, il ne sert à rien de crier. Vous avez un organe puissant, mais cela ne remplace pas les arguments et la raison, et dans ce domaine vous êtes moins bien placé.

Ce texte, dis-je, est contestable, tout d'abord parce qu'il n'est pas compatible avec la loi de 1946. Le Gouvernement le sait bien, mais il évite d'agiter le chiffon rouge d'une remise en cause de la loi de 1946 devant le parti communiste, qui la tient pour sacrée. Il faudra pourtant bien la modifier, Monsieur le ministre, si l'on veut confirmer le rôle du service national de distribution qui existe à titre provisoire, alors que de nombreuses concessions ont été accordées. En outre, si le Gouvernement maintient sa volonté d'appliquer aux nouveaux entrants le statut des industries électriques et gazières, il faudra bien faire évoluer ce statut, donc la loi de 1946.

En second lieu votre texte est contestable au regard de la jurisprudence européenne. Vous n'y faites nulle allusion. Je pense malheureusement que surgiront des contentieux. Je ne le souhaite ni pour EDF, ni pour notre pays, mais je préfère vous en prévenir, Monsieur le ministre. Vous pourriez en effet soutenir le renvoi en commission, et modifier le texte pour éviter ces contentieux : vous le voyez, je ne cherche qu'à vous aider. Le texte est en effet contestable en ce qu'il fait supporter aux nouveaux opérateurs les charges des missions d'intérêt général. Car dans ce domaine la jurisprudence européenne est claire : ces charges liées au service public doivent être assumées par les opérateurs qui disposent de droits exclusifs. En outre votre imprécision sur ces charges vous expose à d'autres contentieux. Par ailleurs la commission a clairement pris position sur des charges comme le financement des retraites d'EDF, ou le coût du démantèlement de Superphénix -que vous avez essayé d'introduire dans la première lecture de ce texte. Quand l'Assemblée, dans sa sagesse, ne vous a pas suivi, vous avez dit que les tarifs publics paieraient ce coût... Donc, qu'il s'agisse des retraites, de Superphénix, mais aussi du surcoût des contrats d'achat des petits producteurs indépendants, ou de l'organisation du marché national, tous ces coûts ont été examinés par Bruxelles, et rejetés sous l'angle des aides d'Etat. Ainsi les dispositions transitoires que souhaitaient introduire six pays, dont la France, ne seront pas applicables. Ce qui renvoie l'appréciation de ces coûts à la réglementation sur la concurrence, et non à la directive sur l'électricité.

Je pourrais multiplier ces cas d'incompatibilité entre votre loi et la directive. Ainsi votre souhait de revenir au texte de l'Assemblée s'oppose à l'article 8-3 sur la priorité à donner aux énergies renouvelables. Il s'oppose aussi à l'article 20 portant sur les procédures pour les installations nouvelles : la directive retient l'appel d'offres comme la procédure normale, alors que votre projet le cantonne aux cas où les capacités de production ne répondent pas aux objectifs de la programmation pluriannuelle. Sur ce point aussi il faudra se confronter aux interprétations de la Commission ou de la Cour de justice. Même chose pour les restrictions législatives imposées aux accords contractuels entre partenaires industriels. Autant de problèmes que vous n'avez pas abordés et qui justifient le renvoi en commission.

D'autre part, ce texte ne tiendra pas dans le temps, et vous devrez, Monsieur le ministre, le modifier sous la contrainte, même si ce n'est pas avant 2002. Monsieur le rapporteur a d'ailleurs déclaré en commission : « une nouvelle lecture se rapprochant le plus possible du texte de l'Assemblée nationale peut garantir à la loi une certaine longévité » et vous avez ajouté « il est clair que ce texte n'aura pas la durée de vie plus que cinquantenaire de la loi de 1946 mais on peut espérer légiférer sur ce point pour les dix ou quinze années à venir ». Je pose votre candidature pour un accessit au prix de l'humour politique (Sourires sur divers bancs) parce que c'est absolument impossible. S'agissant par exemple du trading que vous avez réservé aux seuls producteurs, EDF a déjà, avec raison, créé une filiale opérationnelle de trading dirigée par M. Dreyfus, avec l'autorisation du ministre. Le sujet ne peut donc être évacué d'une phrase. Ce qui est vrai du trading l'est aussi du gestionnaire du réseau. Il ne faudra pas attendre quelques années avant que le gestionnaire du réseau sorte d'EDF, ne serait-ce que pour la placer en état de non-suspicion par rapport à ceux qui déposeraient des plaintes contre elle. Faisons-le et ce n'est pas une mauvaise grâce faite au parti communiste puisque cela confortera au final EDF et le service public.

Vous vous êtes, Monsieur le ministre, opposé en première lecture à tous les amendements renforçant les pouvoirs de la commission de régulation de l'électricité au motif que le Gouvernement se trouverait empêché de mener sa politique de l'énergie. Mais en réduisant le champ des compétences de la CRÉ, vous retenez une organisation qui va être une source évidente de contentieux et notamment de conflits d'attributions entre les différentes instances. N'organisez pas le contentieux de demain car vous serez de toute façon contraint d'accroître les prérogatives de la CRÉ dans plusieurs domaines essentiels.

Vous avez écrit dans votre rapport, Monsieur Bataille que les principes classiques d'égalité, de continuité et d'adaptabilité ne sont pas suffisants aux yeux des sénateurs qui ont cherché à promouvoir une conception du service public qui intègre le respect des règles de la concurrence. Ne vous en déplaise, la recherche du meilleur coût fait partie des obligations du service public, en particulier pour la clientèle captive.

La concurrence va s'imposer vite dans sa logique et nous aurons bien avant dix ans l'occasion d'en reparler. L'isolement de la France est une réalité. L'Allemagne, l'Espagne, en 2002, ont fait le choix de la libéralisation complète. Tous les autres pays ont ainsi fait le choix de multiples opérateurs, qu'il s'agisse de production ou de distribution.

L'ouverture, on l'a dit, fait baisser les prix, qu'il s'agisse de l'industrie ou du résidentiel.

Enfin, ce texte doit être retravaillé car il expose EDF à des conséquences que l'on peut éviter. En vous montrant particulièrement restrictif, vous l'exposez d'abord à des règles de réciprocité alors qu'une démarche ouverte lui permettait de disposer de tous les atouts pour être la meilleure en Europe. La plupart de nos partenaires européens ont à plusieurs reprises manifesté leur volonté de voir appliquer le principe de réciprocité à l'égard des importations françaises d'électricité. Quant à la Belgique, elle a su mettre en place un projet ambitieux qui tout en affichant une volonté d'ouverture supérieure aux obligations de la directive permet au gouvernement de garantir un contrôle étroit sur l'évolution du marché avec une véritable autorité de régulation, un accès réglementé au réseau, un gestionnaire des réseaux juridiquement indépendants et une réelle ouverture du marché.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Franck Borotra - Je termine. Au fur et à mesure de l'ouverture, l'objectif est de passer d'une logique d'établissement public à une logique de marché prenant en compte la demande. Cela vaut aussi pour la gestion des risques : en tant qu'établissement public, EDF est son propre assureur et c'est le monopole qui paie. Les autres producteurs assurent leurs risques.

Vous faites, Monsieur le ministre, un choix désastreux dont vous appréciez mal les conséquences, qui seront plus importantes qu'une crise passagère avec le parti communiste ! Comme le dirait notre rapporteur, il s'agit là d'une conception originale de votre responsabilité politique que je ne peux partager (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Rapporteur - Je ne peux laisser passer plusieurs assertions de M. Borotra sur la manière dont la commission et la CMP ont fonctionné. Au préalable, je répondrai à M. Galley sur la question de la mise à l'étude de l'EPR. Ce n'est pas le sujet du jour et il ne peut être traité hors de son contexte. Je partage l'idée que le Parlement doit en débattre, mais on ne peut mélanger tous les problèmes.

M. Borotra déplore le mauvais fonctionnement de la CMP et de la commission. Je relève d'ailleurs qu'il propose plus un renvoi en CMP -qui n'est pas prévu- qu'un renvoi en commission ! Pour ma part, j'assume les propos que j'ai tenus en CMP dont il a, de manière habile, donné une vision caricaturale. Je n'ai à aucun moment déclaré que l'Assemblée nationale était seule représentative de l'équilibre des forces politiques du pays. En revanche, j'ai écrit dans le rapport que l'Assemblée nationale était représentative des forces politiques du pays. J'ai le compte rendu sous les yeux.

M. Franck Borotra - Regardez ce qu'a dit le sénateur Larcher !

M. le Rapporteur - Seul le compte rendu fait foi.

M. Franck Borotra - Ils sont trop gentils !

M. le Rapporteur - La CMP a constaté un point de vue, qui a d'ailleurs été avalisé de conserve par le président de la commission du Sénat, M. François-Poncet, et par le président de notre commission, M. Lajoinie. Il y avait effectivement impossibilité d'aboutir à un vote positif.

J'ai alors proposé de ne pas rejeter entièrement le travail réalisé par le Sénat, et de retenir certaines des dispositions qu'il avait adoptées. Nous sommes donc loin de l'image que vous avez présentée d'une CMP au cours de laquelle nous aurions claqué la porte au nez des sénateurs.

Je m'inscris également en faux contre votre affirmation selon laquelle, en CMP, j'aurais obéi à des instructions du Gouvernement ou lu un texte pour la rédaction duquel on m'aurait tenu la main. Il n'en est évidemment rien. Reste que j'avais en tête l'idée que mes propos pouvaient bien correspondre à la position du Gouvernement.

Les débats en commission se sont donc déroulés normalement. Le RPR et la majorité ont pu s'y exprimer comme ils l'entendaient. J'ai conclu en disant que le retour au texte adopté en première lecture était le résultat d'un équilibre délicat. Plutôt que « délicat », j'aurais dû dire « nécessaire ». En effet, pour qu'un texte soit voté, il faut réunir une majorité sur la base d'un équilibre interne.

Selon vous, le Sénat aurait tout mis en _uvre pour trouver un compromis avec l'Assemblée. Or, en première lecture, le Sénat a adopté trois articles conformes alors que je vous propose d'en voter 15 dans le texte du Sénat. Le travail de ce dernier est donc bien pris en compte.

L'équilibre que nous avons trouvé est issu de compromis. Vous me parlez du trading, qui s'est développé depuis Londres. Je me suis rendu sur place, et j'ai eu le plaisir de voir dans des sociétés de trading une foule de gens qui double-cliquent sur leur ordinateur. Nos habitudes ne sont pas celles-là. L'ouverture au marché de 30 % pour les gros clients me paraît suffisante.

Ce texte ne tiendra pas dans le temps, affirmez-vous. On verra ! Vous ne pouvez que présumer. Ce texte est solide et équilibré. Sans doute appellera-t-il plus tard, comme c'est normal, des ajustements.

La commission de régulation n'est pas rendue obligatoire par les dispositions communautaires. Que serait cette régulation, telle que le Sénat la conçoit ? Je ne suis pas persuadé qu'elle libérerait vraiment le marché de l'électricité. La CRÉ ainsi définie risquerait plutôt d'être un carcan bureaucratique. Là aussi nous avons voulu revenir à une position prudente.

Je suis donc persuadé que l'Assemblée va repousser le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Secrétaire d'Etat - Le débat a été très complet, et je serai bref au cours de la discussion des amendements. Je suggère à l'Assemblée d'adopter la même attitude.

M. Cacheux a bien résumé les enjeux : n'ouvrir que progressivement, défendre les chances de l'entreprise publique par une offre multi-énergies, et un amendement du rapporteur à l'article 42 y pourvoit, défendre les pleines responsabilités de l'Etat dans la politique énergétique, garantir le statut des personnels des IEG, voilà un bon cadre.

Monsieur Borotra, vous avez développé vos arguments dans une intervention pleine d'esprit. L'organisation du GRT est conforme, nous l'avons vérifié, aux règles fixées par la directive. Serait en revanche non conforme une éventuelle clause de réciprocité.

Je précise qu'au plus fort de la crise, soit le 7 janvier, étaient mobilisés 18 100 techniciens, dont 8 500 agents d'EDF, 4 200 salariés d'entreprises privées, 3 600 militaires et 1 800 personnels de pays étrangers. Saluons tous ceux qui ont participé à ce remarquable élan.

S'agissant de l'enfouissement éventuel, il existe en France 100 000 km de lignes haute et très haute tension, et 1,2 million de km de lignes moyenne et basse tension. On mesure l'ampleur du chantier, sachant que notre taux d'enfouissement en moyenne tension est actuellement de 31 %, contre 81 % en Belgique et 61 % en Allemagne. EDF a engagé des efforts considérables, dans le respect du protocole de 1992 et de l'engagement renforcé pris en 1997 dans le cadre du contrat de plan Etat-EDF ; en haute tension, le taux d'enfouissement est de 20 % et l'enfouissement de lignes nouvelles ou renouvelées a atteint 67 % en basse tension et 90 % en moyenne tension en 1998. La part totale des réseaux souterrains en basse et moyenne tension croît de 1 % par an, ce qui est énorme, et techniquement difficile pour la haute et très haute tension.

Pour me résumer, je dirai donc : oui, EDF est prête à accomplir un effort et j'ai d'ailleurs demandé sur le sujet plusieurs études dont je vous rendrai compte, mais cet effort doit être compatible avec les capacités de financement de l'entreprise publique et avec les possibilités techniques actuelles.

Le FACÉ aide en effet à l'enfouissement des lignes dans les zones rurales, où les collectivités locales sont maîtres d'ouvrage. Sans bien sûr avoir prévu ce qui allait se passer, j'ai, en décembre, porté le taux d'intervention de ce fonds de 50 à 65 %, Monsieur Martin, et j'ai signé avec le ministre des finances un arrêté relevant le taux du prélèvement opéré en sa faveur. Le Gouvernement n'est donc pas inactif dans ce domaine. Mais l'enfouissement ne peut être qu'une solution partielle et il faut par conséquent le continuer avec l'installation de nouvelles lignes aériennes, avec une meilleure utilisation de la production décentralisée et avec une amélioration des caractéristiques mécaniques des ouvrages. Lorsque des lignes à très haute tension peuvent être tordues par le vent ou des poteaux en béton renforcé cassés par la tempête, il est clair que des progrès sont à faire ! Une réflexion est déjà lancée sur ce point et je veillerai à ce que toutes les possibilités soient exploitées au mieux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - Nous en arrivons aux explications de vote sur la motion de renvoi.

M. Yvon Montané - Désireux d'éviter tout ton polémique ou revendicatif, je recourrai au conte !

Il était une fois, il n'y a pas longtemps, une fée : la fée Electricité, qui se trouva fort dépourvue face à la venue, pourtant prévue, de la muse Europe et de sa fille Directive. La première, après consultation de son aréopage, décida que les fées Electricité de ses Etats devaient changer d'atours. Chez nos voisins, la chose fut menée rondement cependant que notre fée française restait vêtue à la mode ancienne. Les éléments, déchaînés par Carabosse, lacérèrent alors ses habits, la transformant en oripeaux.

Pendant tout l'été, la fée Electricité fut toute dépenaillée et se trouva ensuite bien dépourvue quand la bise fut venue.

En ce début d'année, l'époque des soldes étant arrivée, il est temps pour elle de se pourvoir de nouveaux atours afin de paraître convenablement vêtue face à ses concurrentes. Or c'est compter sans quelques embûches, qui ne visent qu'à gêner les projets de notre bonne fée ! Au surplus, ce n'est pas au rabais, mais à la mode nouvelle qu'il nous faut rassembler sa garde-robe pour parer de bons et beaux brocards celle qui nous éclaire et nous réchauffe !

Or que lis-je ? Qu'entends-je ? Que rien ne presse, que demain il sera temps, que nous tenons la gageure à peu de gloire, qu'il y va de notre honneur de partir tard et que peu nous chante de voir notre fée en guenilles... Nous nous amusons à tout autre chose qu'à la gageure, il est vrai, même si cette motion obéit à un rituel légitime. Prenons garde qu'à trop tarder, nous ne laissions notre fée dépérir irrémédiablement !

Toutes les belles histoires ayant toujours une fin heureuse, je reviendrai à un ton plus grave. L'Assemblée a déjà examiné la question et nous avons fait le point après l'échec de la CMP. Il ne semble ni opportun ni responsable de retarder l'adoption d'un texte minutieusement élaboré et enrichi, d'un texte équilibré, fruit d'un travail parlementaire intense -et qui, de toute façon, doit être adopté ! En effet, la France était tenue par ses engagements européens de transposer la directive sur le marché intérieur de l'électricité le 19 janvier 1999 au plus tard : comme l'a calculé M. Borotra, elle est en retard d'un an et le seul pays des Quinze dans ce cas, ce qui a conduit la Commission à ouvrir une procédure contre elle. Cette procédure arrive à son terme et si la situation ne changeait pas, nous serions rapidement assignés devant la Cour européenne de justice pour manquement aux obligations découlant des traités. Nous pourrions ainsi être condamnés à des pénalités financières, ce qui serait inopportun à la veille de votre présidence ! Nous nous exposerions également à des rétorsions commerciales de la part d'autres pays membres, rétorsions qui n'ont jusqu'ici été évitées que parce que le Gouvernement s'est engagé à respecter un calendrier précis. Tout délai supplémentaire serait donc préjudiciable à EDF et aux autres entreprises françaises d'électricité.

Foin donc de procédure ! C'est l'avenir du service public d'électricité qui importe : rejetons cette motion pour éviter que de mauvaises fées ne viennent tout déréglementer, et mettons au bout de la baguette magique de notre fée nationale une étoile lumineuse, afin qu'elle puisse montrer la voie à l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Robert Galley - M. Borotra a très bien expliqué les imperfections de ce projet, qui ne mérite guère le qualificatif d'équilibré, faute pour la majorité d'avoir recherché un consensus en CMP. Le renvoi en commission apparaît donc justifié.

Le texte transmis au Sénat et auquel le rapporteur nous invite à revenir, comporte toute une série de dispositions propres à entraver les échanges d'électricité, dans un esprit malthusien qui va à l'encontre de celui de la directive. Les menaces brandies par l'Espagne, en vertu du principe de réciprocité, doivent être prises au sérieux et il nous faut revenir par conséquent à l'esprit de la directive si nous tenons à ce qu'EDF conquière des marchés.

D'autre part, comment justifier l'interdiction du négoce de l'électricité et la limitation corrélative de la faculté d'acheter du courant pour le revendre ? Cela a d'autant moins de sens qu'on sait qu'EDF elle-même a créé à Londres une filiale pour le négoce !

Enfin, comment soutenir en droit la faculté donnée à EDF de dénoncer les contrats, de vente ou d'achat, en cours ? Certains seront fondés à voir là une possibilité de représailles et un moyen de lutter contre l'ouverture du marché, ce qui ne peut que susciter des procédures de contentieux, pour abus de position dominante.

Ces imprécisions et contradictions seraient préjudiciables aux investisseurs, qui ont avant tout besoin d'un code juridique stable et précis. Le texte peut être contesté devant la juridiction européenne. Autant de raisons pour le groupe RPR de voter cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Léonce Deprez - Avec toute la conviction d'un gaulliste social, M. Borotra a, à deux reprises, redit sa détermination de mettre EDF en position de devenir une entreprise exemplaire, par sa politique sociale libérale. Nous sommes nombreux ici à être en accord avec lui.

Et, lorsque nous avons entendu les autres orateurs du RPR, de l'UDF, de Démocratie libérale, mais aussi M. Dumont par exemple, comment ne pas penser qu'un large accord était possible ? Ne sommes-nous pas tous convaincus des mérites d'EDF et désireux d'en faire une entreprise moderne, capable d'assurer un service public à des conditions tarifaires égales pour tous les foyers ?

Pourquoi dès lors, Monsieur le secrétaire d'Etat, ne pas travailler à une loi qui porterait votre nom mais qui résulterait de l'accord général ? Nous proposons donc de revoir ce texte en commission, pendant quelques jours, pour qu'EDF ne soit pas exposée à des contentieux européens et handicapée dans la compétition internationale.

J'ai participé, avec quelques-uns de nos collègues, au déjeuner de travail organisé par M. Roussely. Son message était clair : il souhaitait que la directive soit transcrite rapidement pour que l'Europe de l'électricité ne se ligue pas contre EDF. Il nous demandait de voter le projet pour éviter de couper les ailes à EDF.

Nous sommes d'accord pour faciliter la marche d'EDF vers le futur. Il faut en faire une société anonyme à capitaux d'Etat. Nous sommes une majorité à penser qu'EDF garantira mieux qu'une entreprise privée l'aménagement du territoire et que la péréquation doit être maintenue.

Comme mon collègue Borotra, je souhaite que le vote de ce projet soit reporté de quelques jours, le temps de rechercher un accord général. Nous sommes persuadés que c'est possible. Les Français y seraient sensibles.

Le président Roussely nous l'a dit, le développement d'EDF ne se fera plus en France mais hors de France.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Léonce Deprez - N'oublions pas l'avertissement qu'a constitué pour EDF la perte de la fourniture électrique d'une grosse papeterie.

Le vote de ce projet ne doit pas être un rendez-vous manqué (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean Proriol - C'est avec compétence, calme, clarté, humour et quelque malice que Franck Borotra a fait l'historique de l'échec de la CMP du 18 novembre.

M. Alain Cacheux - C'est du passé, tout cela.

M. Jean Proriol - Cela vous gêne. Nous avons assisté à un véritable blocage, le président de notre commission de la production, André Lajoinie, estimant qu'il fallait éviter que la CMP parvienne à un accord qui risquerait de ne pas être approuvé par les deux assemblées. Notre rapporteur, Christian Bataille, a conclu quant à lui que seule la version de l'Assemblée nationale garantissait l'acceptation de la loi « sur le terrain ».

Franck Borotra, qui a déploré cette absence de dialogue, a rappelé l'importance du travail accompli par le Sénat, travail auquel Christian Bataille a tenu à rendre hommage.

En commission, ce texte a été expédié et la discussion, cadenassée. M. Bataille, qui nous avait habitué à une plus grande ouverture, est devenu un « M. Niet » (Sourires). Peut-être obéissait-il à d'autres directives ?

Nos concurrents nous attendent au coin du bois.

Ce texte ne sera que provisoire. D'ailleurs, Christian Bataille a reconnu dans son rapport qu'il n'aurait sans doute pas la même durée de vie que la loi de 1946.

Depuis la première lecture, nous sommes passés du terrain idéologique au terrain industriel et commercial.

Le président d'EDF a réagi vivement à l'échec de la CMP. Nous sommes restés trop tributaires des divergences au sein de la gauche. Dans les majorités, ce sont souvent les minorités qui commandent.

Il faut remettre l'ouvrage sur le métier et c'est pourquoi le groupe DL votera cette motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Guy Hascoët - Je remercie M. Borotra pour son humour et sa pédagogie.

S'il y avait quelque sincérité dans les propos de M. Deprez, le Sénat aurait trouvé des points d'accord, qu'il s'agisse du GRT ou de la cogénération. Or il a adopté un texte d'inspiration très libérale, ce qui ne pouvait guère nous séduire, et a même ajouté un cavalier, rendant impossible la recherche d'un accord. Il n'y aura donc pas cet élan fusionnel que M. Deprez appelait de ses v_ux.

Vous nous reprochez d'être une majorité qui garantit sa cohésion en respectant ses différentes composantes. Nous nous en félicitons, quant à nous, et nous ne voterons pas cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Claude Billard - J'ai écouté avec attention M. Borotra, pour qui l'échec de la CMP était écrit d'avance (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Franck Borotra - Il était écrit dans le journal de la veille !

M. Claude Billard - La vérité, c'est que la CMP a fait le constat d'un désaccord.

Faut-il renvoyer ce texte en commission ? En première et en deuxième lecture, nous avons eu le temps d'échanger nos arguments et les positions des uns et des autres sont connues.

Vous avez évoqué le principe de réciprocité : il n'a pourtant aucune base dans ce débat, puisqu'il ne figure pas dans la directive, qui laisse au contraire les Etats décider du degré d'ouverture souhaitable de leur marché intérieur.

Nous observons donc un désaccord politique sur la portée de cette transcription, ce qui est normal en démocratie.

Le groupe communiste votera contre cette motion (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, mercredi 19 janvier, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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