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Session ordinaire de 1999-2000 - 51ème jour de séance, 122ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 3 FÉVRIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Patrick OLLIER

vice-président

Sommaire

          COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA SITUATION
          DANS LES PRISONS FRANÇAISES 2

          EXPLICATIONS DE VOTE 13

La séance est ouverte à quinze heures.

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA SITUATION DANS LES PRISONS FRANÇAISES

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Laurent Fabius et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises.

Le rapport de la commission des lois porte également sur les propositions de résolution de M. Claude Goasguen et plusieurs de ses collègues, de Mme Christine Boutin et plusieurs de ses collègues, et de M. Guy Hascoët et plusieurs de ses collègues.

M. Raymond Forni, rapporteur de la commission des lois - Je me réjouis que la pratique consistant à créer des commissions d'enquête se généralise, car elle participe de la mission de contrôle de l'application des politiques publiques qui est celle du Parlement. Il s'agit, dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, du fonctionnement du ministère de la justice. Il est vrai que le livre publié par Mme Vasseur a servi de catalyseur en permettant, sans tomber dans la facilité, de faire prendre conscience, sur ces bancs mais aussi à l'opinion publique, de ce qu'est la situation dans les prisons françaises. Et c'est ainsi que quatre propositions de résolution ont été déposées : celles de M. Goasguen, celle de Mme Boutin, celle de M. Hascoët et enfin celle du Président de l'Assemblée, M. Laurent Fabius.

Les quatre propositions ont un même objet, qui est de créer une commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner une question d'une extrême gravité, qui préoccupe nos concitoyens au plus haut point. Mme la Garde des Sceaux elle-même n'a-t-elle pas été amenée à dire les établissements pénitentiaires français « indignes d'un pays démocratique » ?

Il ressort des dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 et du Règlement de l'Assemblée que la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions : en premier lieu, elle doit déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics dont la commission doit examiner la gestion ; à cet égard, il est incontestable que le fonctionnement des prisons relève d'une mission de contrôle d'un service public. D'autre part, les faits qui ont motivé le dépôt de la proposition ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires.

Interrogée à ce sujet, Mme la Garde des Sceaux a indiqué que certaines procédures judiciaires sont en cours pour une partie des faits qui ont motivé le dépôt des propositions -homicides et suicides notamment-, et elle a signalé que ces procédures visaient tant des détenus que des membres du personnel pénitentiaire.

A mes yeux, l'existence de ces procédures ne suffit pas à interdire la création d'une commission d'enquête. Estimer qu'il en va différemment reviendrait à admettre l'existence de zones de non-droit dans lesquelles le Parlement serait empêché de remplir sa mission. Que la justice s'intéresse régulièrement aux événements dont les prisons sont le théâtre, il n'y a rien là que de normal, mais la commission aura pour objectif de mener une réflexion générale sur le système carcéral.

La recevabilité des propositions ne fait donc aucun doute.

Se posait ensuite la question de l'opportunité des propositions. Elle ne fait aucun doute, tant les chiffres sont éloquents. Ainsi le nombre des détenus est passé de 36 900 en 1980 à 55 000 en 1996, signant l'échec des politiques pénales successives, en dépit des diverses tentatives de la Chancellerie, la dernière s'étant traduite par le texte sur la présomption d'innocence. Quant au taux d'occupation des établissements, il s'établissait à 107 % en moyenne, et à 115 % dans les maisons d'arrêt, le plus alarmant étant qu'elles accueillent, pour 40 % des effectifs, des prévenus bénéficiant de la présomption d'innocence. Le législateur ne peut se satisfaire d'une telle situation. Le constat est encore plus accablant outre-mer, où le taux d'occupation oscille entre 127 % et 203,9 % pour les seules maisons d'arrêt !

La surpopulation carcérale étant celle qui a été décrite, la situation sanitaire y apparaît particulièrement préoccupante. Quinze pour cent de la population pénale est toxicomane, et la proportion s'élève à 30 %, ou même 40 % en Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur ou dans le Nord. De plus, l'infection par le VIH touche 2,3 % des détenus, ce qui représente un taux dix fois supérieur à la prévalence au sein de la population générale.

Le cadre pénitentiaire, vétuste, paraît particulièrement mal adapté à une surpopulation qui a des effets délétères sur les détenus mais aussi sur le personnel, parfois démotivé et poussé à des revendications jusqu'au-boutistes. Comment s'en étonner alors que, sur les 187 établissements pénitentiaires que compte notre pays, 92 sont installés dans des locaux vieux de plus d'un siècle ?

Certes, les choix budgétaires du Gouvernement reflètent sa volonté d'améliorer la situation. Cependant, ce n'est ni en fermant certaines prisons ni en en ouvrant d'autres que l'on résoudra les problèmes de fond. L'opportunité de la création d'une commission d'enquête paraît donc établie. Elle permettrait de procéder, dans la sérénité, à une réflexion sur le système pénitentiaire français dans son ensemble, et, notamment, à l'examen des mesures qui permettraient de développer les solutions alternatives à l'incarcération.

La commission, sans écarter les propositions formulées par MM. Goasguen et Hascoët et par Mme Boutin, a jugé qu'elles n'abordaient que des aspects particuliers du système pénitentiaire, au contraire de celle du Président de l'Assemblée, qui prévoit un champ d'investigation plus vaste et qui lui est apparue, unanimement, répondre aux interrogations posées.

Votre rapporteur suggère pour sa part de compléter l'énumération des questions à traiter par celles de la réinsertion des détenus et du développement des alternatives à l'incarcération. Je déplore en effet la facilité avec laquelle certains magistrats condamnent à des peines de prison ferme des délinquants primaires. Plutôt que, pour des délits qui ne les justifient pas toujours, de se borner à des réquisitoires brutaux, ces magistrats seraient bien inspirés de s'intéresser à ce qui se passe, ensuite, dans les établissements pénitentiaires en exerçant effectivement la mission de contrôle des prisons que leur assigne la loi.

Trop de procureurs de la République désertent les maisons d'arrêt et les maisons centrales. Ils gagneraient beaucoup à y venir pour constater le sort qu'ils réservent à ceux contre lesquels ils requièrent !

Sous ces réserves, je vous propose la création d'une commission d'enquête, qui, sous la présidence du Président de notre Assemblée, mènera à bien une mission susceptible de déboucher sur des mesures concrètes (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Mme Christine Boutin - La controverse née à l'occasion de la publication du livre du docteur Vasseur révèle le malaise profond qu'éprouve notre société devant les conditions de détention déplorables qui ont cours dans les prisons françaises. Personne n'avait jusqu'à présent osé traiter ce problème au fond et la création d'une commission d'enquête parlementaire répond à une nécessité. Elle prouve aussi la capacité de réaction de notre Assemblée qui n'hésite pas à s'attaquer à un domaine où des remises en cause brutales sont à prévoir. Les conditions de détention dans nos prisons posent d'abord un problème humain. Les conditions de vie des détenus sont en effet souvent indignes de la personne humaine, comme l'atteste le doublement du nombre des suicides en dix ans. De même, les violences entre détenus sont de plus en plus difficiles à maîtriser et il n'est pas rare que son passage en prison transforme un petit délinquant en grand délinquant. La principale cause de ces phénomènes est la surpopulation carcérale qui entraîne de surcroît de nombreux viols, et qui tient à l'allongement des peines et des procédures comme à la diminution des libérations conditionnelles. Il importe également de faciliter les relations des détenus avec leur famille et d'en préserver mieux l'intimité.

Les conditions d'emprisonnement posent ensuite un problème social. L'objectif de la privation de liberté est double : que le détenu paie sa dette vis-à-vis de la société et qu'il se voie proposer de réels moyens de réinsertion. En l'espèce, aucun des deux n'est atteint. De même, les conditions d'éducation et de formation des détenus -et notamment des mineurs- souffrent d'un manque de moyens. Alors que beaucoup de détenus sont illettrés, il est rare que le temps de détention soit mis à profit pour y remédier.

Il s'agit enfin d'un problème de nature politique car le délabrement de certaines prisons nous interroge sur le sens que nous donnons, dans notre démocratie, à la sanction. Que vaut un système pénitentiaire qui ajoute à la privation de liberté des conditions de vie indignes ? Quelle est la valeur d'un système qui ne dissuade pas de la récidive ?

La France, pays des droits de l'homme, ne peut admettre que l'on maltraite des hommes et des femmes placés sous la responsabilité de l'Etat et que le passage en détention détruise les personnes plus qu'il ne les aide à vivre en société, d'autant moins que beaucoup n'ont même pas été jugés. Aucun Gouvernement ne s'est jusqu'à présent donné les moyens d'humaniser les prisons. On entend parfois que l'opinion française ne serait pas prête. Mais je suis persuadée que si les Français savaient ce qui se passe réellement en prison, ils exigeraient une vraie réforme.

Notre administration pénitentiaire manque de moyens. Son personnel n'est pas assez nombreux -bien qu'il soit admirable. Il manque de moyens et de formation. Nous avons besoin de prisons modernes mais humanisées. Un détenu n'est pas mieux traité dans une structure très moderne lorsqu'elle manque d'humanité. Je suis donc convaincue que nous devons privilégier les moyens humains, bien plus que les améliorations matérielles.

Certes, l'emprisonnement n'a pas vocation à devenir une partie de plaisir, dans un cadre au confort disproportionné. Mais il doit permettre au détenu, tout en remboursant sa dette à la société, d'apprendre à respecter les règles de la vie en société. Un visiteur de prison me rapportait qu'il avait vu inscrit au fronton d'une prison américaine une inscription que nous devrions méditer : « Notre travail, c'est votre avenir ».

M. Michel Hunault - L'exemple américain n'est pas forcément à suivre !

Mme Christine Boutin - Il est donc opportun que notre assemblée, dans sa fonction de représentation de tous les citoyens, se saisisse de cette question en créant une commission d'enquête dont le groupe UDF souhaite qu'elle soit compétente pour traiter de tous les aspects de la détention.

M. le Rapporteur - Très bien !

M. Claude Goasguen - La multiplication des commissions d'enquête sur des sujets voisins témoigne de l'émotion qui a saisi l'opinion à la suite des « révélations » du docteur Vasseur, qui n'en sont pas vraiment pour qui voulait savoir. Elle montre aussi qu'il s'agit d'un sujet « consensuel », ni de droite, ni de gauche puisqu'il tient à la défense des droits de l'homme et à l'image de notre pays, qui aime à donner des leçons de droits de l'Homme au reste du monde. Peut-on admettre et faire savoir que nous avons au c_ur de Paris une véritable cour des miracles pénitentiaire ? Nous accueillons donc avec satisfaction la création de cette commission d'enquête et nous remercions le président Fabius d'avoir élargi le sujet à l'ensemble de la condition pénitentiaire.

Nous ne doutons pas, Monsieur le Président de l'Assemblée nationale, que notre Assemblée vous élise massivement à la présidence de cette commission mais gardons nous de noyer dans une perspective trop générale les problèmes concrets qui sont à l'origine de cette initiative. Les grandes administrations sont parfois tentées de se réfugier dans la généralité pour échapper à ce qui les gène en particulier.

Nous sommes également satisfaits de constater que les députés vont contribuer à l'application des peines, qui sont une composante du code général. Ainsi, les parlementaires deviennent de véritables conseillers du Gouvernement en matière de justice, comme nous l'avons déjà proposé dans le texte sur la présomption d'innocence. Cela pose certaines questions de nature politique mais je les laisserai aujourd'hui de côté.

Les forces politiques que je représente sont soucieuses des conditions de détention dans notre pays et prouvent ainsi une nouvelle fois qu'elles ne sont pas insensibles à la souffrance d'autrui, comme les en a accusées récemment Mme Royal. Je serais donc tenté de redire à la majorité et au Gouvernement dans un autre contexte : « Vous n'avez pas le monopole du c_ur ! ».

Je partage assez largement l'appréciation terrible que porte Mme Vasseur sur nos prisons. La France a d'ailleurs conscience de ce problème depuis plusieurs siècles. Des intellectuels et des philosophes s'en sont saisis et M. Mermaz ne me contredira pas si je dis qu'il y a là une des origines de la Révolution française. En 1820, Villermé évoquait déjà les prisons mouroirs. L'opinion publique est certes saisie, mais surtout d'horreur, et elle se réfugie dans l'ignorance. L'administration pénitentiaire, elle, cultive l'opacité et l'absence de communication avec l'extérieur. C'est là un défaut propre aux grandes administrations même s'il convient de rendre hommage à ses personnels.

Le 1er novembre 1993, à la suite d'un entretien avec le Docteur Vasseur, j'adressais au Garde des Sceaux -qui était alors proche de mes idées- une question écrite.

Je demandais un état des lieux et soulignais notamment que l'humidité permanente de la prison de la Santé créait des conditions sanitaires propices au développement de la tuberculose. La réponse vint rapidement, le 17 janvier 1994, mais, probablement rédigée par un fonctionnaire de l'administration pénitentiaire -dirigée à l'époque par M. Dintilhac-, elle prêterait à sourire si le sujet n'était pas aussi grave. On me faisait en effet valoir que d'importants travaux avaient été réalisés au cours des dernières années, parmi lesquels la restauration d'un portail permettant de séparer l'entrée des familles des détenus et celle des familles des personnels. Bref, alors que je m'inquiétais de l'insalubrité des lieux, on m'expliquait que tout allait mieux puisqu'un portique évitait désormais aux familles des personnels de croiser les détenus. C'est dire que l'esprit de l'administration pénitentiaire n'est pas toujours aussi ouvert qu'il le faudrait.

A ce propos, je m'étonne un peu que le même M. Dintilhac, devenu depuis procureur, ait cru devoir reprocher à Mme Vasseur d'avoir sorti un livre plutôt que de demander à ses supérieurs hiérarchiques de remédier à la situation -chose qu'à mon avis, elle a dû faire à maintes reprises. Mme Vasseur a-t-elle commis un délit en révélant la vérité aux Français ? Etait-elle astreinte au devoir de réserve ? Il me semble que ces réactions témoignent d'une volonté de faire taire ceux qui s'efforcent d'alerter l'opinion.

Pour que la commission d'enquête que nous allons constituer ne soit ni de droite ni de gauche mais simplement de première catégorie, il faudrait qu'il y ait un partage des postes à responsabilités entre la majorité et l'opposition. On éviterait ainsi les petites pratiques classiques : l'opposition cherchant à mettre en difficulté le gouvernement en place, la majorité guidant la commission dans un sens plutôt que dans un autre. On éviterait aussi ces remarques critiques que l'on trouve parfois à la fin des rapports d'enquête et qui en diminuent la portée. Ces remarques faites, le groupe DL votera pour la constitution de la commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et sur quelques bancs du groupe socialiste).

Mme Nicole Feidt - La création d'une commission d'enquête parlementaire sur la situation matérielle des établissements pénitentiaires et sur la vie dans ces établissements me semble particulièrement justifiée. Un grand nombre d'entre eux sont en effet vétustes ou inadaptés et chacun sait que les capacités d'accueil ne sont pas à la hauteur des besoins, même si la population carcérale se stabilise depuis deux ans. L'allongement de la durée moyenne d'incarcération se poursuit, et il semble bien que les peines infligées par les tribunaux soient à leur maximum. La vie à l'intérieur des prisons est souvent contraire aux règles les plus élémentaires de la dignité.

Les détenus ont été condamnés à une peine privative de liberté. Point n'est besoin d'y ajouter d'autres compléments que ceux requis par la vie en collectivité pour des durées plus ou moins longues.

Les détenus n'ont pas que des devoirs, ils ont aussi des droits, à tout le moins ceux retenus par la Convention européenne des droits de l'homme, comme le droit à l'hygiène et à la santé.

Lors du budget 2000, le Garde des Sceaux a annoncé plus de crédits de fonctionnement, ce qui permettra d'améliorer les conditions d'hygiène. Chaque année nous apportons un mieux à la vie des détenus, mais tant de retard a été pris que ces efforts restent insuffisants.

Par ailleurs, il semble que 40 % de la population carcérale relèvent d'une prise en charge psychiatrique, à des degrés divers, laquelle n'est plus assurée à l'extérieur. Il y a sûrement des mesures à prendre.

Les conditions de la détention préventive doivent aussi être revues.

Assurément, la justice ne se grandit pas en l'utilisant comme moyen de pression. Censée être exceptionnelle, la détention provisoire concerne en réalité 40 % des détenus. Quelque 20 000 personnes sont chaque année placées en détention provisoire. Sa durée est passée, en 15 ans, de 3 à 4 mois.

Il nous faudra aussi nous pencher sur les conditions de travail de tous ceux appelés à exercer dans les établissements pénitentiaires : personnels de l'administration, éducateurs, médecins, enseignants, aumôniers, visiteurs des prisons. Tous les professionnels concernés pensent qu'une gestion humaine des détentions nécessite plus de places, au moins une cellule par personne incarcérée. Peut-on y parvenir ?

Si la formation des personnels est aujourd'hui dans l'air du temps, elle a cruellement manqué dans le passé et les comportements de certains agents peuvent avoir été à l'origine de difficultés.

Des initiatives sont prises pour ouvrir un peu les prisons sur le monde extérieur, mais elles ne sont pas suffisantes pour créer un climat favorable

C'est donc une vaste enquête que devra mener cette commission, avec la volonté de faire des propositions en vue d'une modernisation complète du système pénitentiaire français. Le groupe socialiste est bien sûr favorable à sa constitution. Nous espérons que l'analyse de la situation des prisons -reflet en concentré des maux de notre société- fera progresser la réforme de la justice qui a été amorcée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Robert Pandraud - En transférant la question des établissements pénitentiaires du ministère de l'intérieur vers celui de la justice, Waldeck-Rousseau a sans doute fait un cadeau empoisonné à vos prédécesseurs et à vous-même, Madame la Garde des Sceaux.

Depuis, les ministres de la justice sont accusés soit de laxisme, soit d'inhumanité. Vous encourez aujourd'hui ce dernier reproche, vos prédécesseurs ont eux, plutôt été taxés de laxisme, en particulier à cause du nombre d'évasions. Je me rappelle à cet égard avoir entendu un Garde des Sceaux affirmer avoir repris plus de prisonniers qu'il ne s'en était évadé ! (Sourires)

Notre système pénitentiaire est un spécimen éclatant du mal français. La France donne volontiers des leçons à la terre entière en matière des droits de l'homme, mais quand on y regarde de plus près, on voit que la réalité n'est pas toujours aussi brillante que les discours.

Je ne connais pas Mme Vasseur, qui est sûrement un très bon médecin et en tout cas une personne courageuse, mais je trouve dommage qu'il ait fallu attendre la sortie, très médiatisée, de son livre pour que tout un chacun s'agite, alors que les syndicats de personnels et toutes les personnes concernées diffusent régulièrement des communiqués alarmants.

Nous voterons pour la constitution de la commission d'enquête, mais j'insiste sur le fait qu'il y a un équilibre difficile à trouver entre respect des droits de l'homme et nécessaire répression. On pourrait certes faciliter les visites aux détenus, mais il faut aussi se demander qui transporte les drogues et les armes ? Autre exemple : il est beaucoup question des suicides de détenus, mais cela ne doit pas faire oublier les agressions, parfois mortelles, dont sont victimes les personnels...

M. Michel Hunault - Très bien !

M. Robert Pandraud - Et sans doute n'a-t-on pas assez cherché de solutions de remplacement. Je pense en particulier au bracelet électronique, qu'il serait souhaitable de mettre au point très vite.

Pour les détenus étrangers, je suis favorable à la double peine, je pense même qu'il faudrait les expulser à mi-peine vers leur pays d'origine. Mieux vaut pour eux casser des cailloux sur les routes sub-sahariennes que de pourrir dans les geôles françaises.

Enfin, je regrette que le Président de l'Assemblée, président autoproclamé de la future commission, ne puisse, n'étant plus présent, entendre mon souhait que l'on confie le rapport à un député de l'opposition.

D'ordinaire celle-ci se croit obligée d'ajouter ses observations en fin de rapport alors qu'elle était d'accord avec les orientations de la commission, et ce uniquement pour marquer sa différence, tant la majorité a ficelé le texte, comme si les gouvernements avaient peur des commissions d'enquête.

M. Claude Goasguen - Très bien !

M. Robert Pandraud - En ce qui concerne l'efficacité, il faut reconnaître que les fonctionnaires auditionnés mentent systématiquement. On l'a vu lors de la commission sur la MNEF. Si l'on transférait au parquet le dossier des personnes auditionnées qui n'ont pas respecté les règles, ce serait dissuasif. J'ai souvent été auditionné. Quand j'étais haut fonctionnaire, j'étais convoqué par le ministre pour apprendre ce qu'il fallait dire et surtout ne pas dire ; quand j'étais ministre, je récitais la leçon. C'est un problème pour toutes les commissions d'enquête.

Pour terminer, je demande solennellement à la majorité de donner le poste de rapporteur à un membre de l'opposition. Le groupe RPR votera ce texte, sans faire de politique politicienne. Simplement au cours des travaux nous espérons entendre le Garde des Sceaux -car les ministres sont ordinairement les porte-parole de leur administration.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Pas moi.

M. Robert Pandraud - Et l'administration pénitentiaire ne saurait prétendre être un modèle (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Bernard Outin - Les députés communistes sont favorables à cette proposition car la situation dans nos prisons est préoccupante. Il faut aborder publiquement les difficultés et instaurer la transparence.

Dans une société solidaire, dans un Etat de droit, l'incarcération doit être vécue dans des conditions humaines ; reconnaître les droits de la personne favorisera la réinsertion et préviendra la récidive.

Le détenu est privé de liberté par une décision de justice prise au nom du peuple français. Mais il peut légitimement prétendre exercer son droit à la sûreté, à la santé, à la formation, à la culture ou au travail. Cela exige des politiques volontaristes.

Dans le cadre de la réforme de la justice que vous faites avancer courageusement malgré les aléas, Madame la Garde des Sceaux, vous consacrez un effort particulier aux services pénitentiaires et à la protection judiciaire de la jeunesse.

Amélioration de la prise en charge des détenus, construction et rénovation des établissements, développement des alternatives à l'emprisonnement, circulaires pour renforcer le droit des détenus et contrôler les mesures d'isolement, modifications du code de procédure pénale par le décret de décembre 98, toutes ces mesures prouvent votre volonté de mener à terme la réforme en profondeur de la déontologie des personnels et du contrôle des établissements.

Mais les besoins sont immenses et les retards énormes.

La situation dans les prisons reste, à bien des égards, catastrophique, comme en attestent les suicides, les scandales, les violences et s'ils étaient confirmés, les faits relatés par le médecin chef de la prison de la Santé. La situation est telle que malgré bien des efforts la plupart des centres restent vétustes, dégradés et inadaptés. Parmi les causes, soulignons la faiblesse des crédits d'entretien et la surpopulation carcérale.

Le taux d'occupation des prisons est passé de 114 % en 1998 à 107 % en 1999 mais on ne peut s'en satisfaire, surtout outre-mer où il s'élève à 127 %. Dans les maisons d'arrêts et les centres de semi-liberté il atteint 115,7 %, 203,9 % outre-mer.

Une telle surpopulation affecte les conditions d'hygiène.

Elle est d'autant plus inadmissible que nombre de prévenus bénéficient de la présomption d'innocence et beaucoup de condamnés le sont à de très courtes peines.

Concernant l'incarcération des mineurs, les efforts du Gouvernement ne sont pas vains. Les députés communistes sont favorables à toute politique d'alternative à l'incarcération, afin d'éviter la récidive des mineurs.

Tout cela est connu. Pourtant la situation évolue peu et les personnels doivent affronter cette réalité dans des conditions souvent difficiles.

Leur insuffisance en nombre est source de difficultés qui diminuent d'autant les chances de réinsertion. Pourtant cette mission délicate et complexe exigerait un personnel qualifié, motivé et en nombre suffisant.

Lors de l'examen des crédits de l'administration pénitentiaire, vous avez souligné l'importance des moyens humains dégagés. Néanmoins, nous souhaitons qu'en concertation avec les organisations syndicales la gestion des personnels de l'administration pénitentiaire satisfasse les attentes et les besoins exprimés. Aucune réforme aussi pertinente soit-elle n'est efficace sans les moyens nécessaires.

Cette commission d'enquête contribuera à renforcer la transparence et le contrôle républicain ; les députés communistes voteront pour sa mise en place (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Michel Hunault - Le groupe RPR salue cette initiative et votera en sa faveur. Il y avait urgence à créer une commission d'enquête, étant donné l'ampleur des problèmes ; il y a urgence aussi à agir.

Nous espérons donc que cette commission ne se bornera pas à établir un constat mais sera aussi une force de proposition.

Sur 55 000 prisonniers, 27 000 sont présumés innocents et plus de 2 000 reconnus totalement innocents chaque année. Mais chaque année aussi, 120 d'entre eux se suicident. Les conditions de détention sont indignes d'une grande démocratie. Chaque jour il faut dénoncer des agressions contre la dignité humaine, des fouilles à corps qui se multiplient sans justification, des installations sanitaires qui ne respectent ni décence ni intimité. On continue à utiliser les entraves lors des transferts ; il est même arrivé qu'une détenue accouche les pieds enchaînés. La prison expose aux violences, au harcèlement sexuel et au viol. Le détenu n'a pas toujours accès aux soins immédiats. Ses conditions de vie dépendent souvent de ses moyens.

Le système pénitentiaire est en échec. La préventive fabrique des coupables, la détention des récidivistes -60 % des détenus libérés- ou des clochards. Il n'y a qu'un éducateur social pour une centaine de détenus. Les familles sont humiliées, soumises à des tracasseries administratives : files d'attente, fouilles inutiles, parloirs sordides où les enfants doivent rester debout...

Les prisons doivent devenir transparentes et je souhaite que cette commission d'enquête y contribue, mais notre initiative serait sans intérêt si elle n'aboutissait à une réduction du nombre des détenus. A cet égard, je tiens à saluer le débat historique que nous venons d'avoir, il y a quelques heures à peine, en commission des lois : siégeant une bonne part de la nuit, nous avons arrêté des dispositions de nature à développer les alternatives à l'emprisonnement -je pense en particulier à l'emploi du bracelet électronique- et à réduire les cas de détention provisoire. Toutes ces initiatives parlementaires qui, avec la contribution de l'opposition, viennent appuyer la politique du Gouvernement, ne visent qu'un objectif : préserver la dignité de la personne humaine, fût-elle privée de liberté.

Grâce à la mobilisation de la presse et à des témoignages courageux, l'opinion prend conscience des problèmes qui se posent dans les prisons. Nous sommes ici les garants de ces droits de l'homme dont la France ne manque aucune occasion de rappeler qu'ils sont le fondement de la démocratie : en créant cette commission d'enquête, nous ferons honneur au Parlement et je souhaite donc que notre décision soit la plus consensuelle possible. Je souhaite aussi que le Gouvernement ne se contente pas d'une déclaration de bonnes intentions, mais qu'il tienne effectivement compte des travaux de cette commission et vide nos prisons des personnes qui n'ont rien à y faire.

Je terminerai en adressant une pensée à tous ceux qui sont morts par suicide dans ces prisons au cours des derniers mois, ainsi qu'à ce SDF à qui la commission de dédommagement a attribué en tout et pour tout 200 000 francs pour compenser quatre années de détention injustifiée : 6 francs par jour ! Mais il est vrai qu'il n'était que SDF... On voit en tout cas combien il est urgent d'améliorer le sort de ceux qui sont incarcérés, mais aussi de proposer des alternatives à la prison ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL, du groupe UDF et nombreux bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je remercie les Présidents Fabius et Mermaz d'avoir déposé ce projet de résolution et je sais gré à Mme Boutin, à M. Goasguen et à M. Hascoët d'avoir pris des initiatives similaires, montrant que cette volonté d'enquêter sur les conditions de vie des détenus était largement partagée. Tout ce qui contribue à faire prendre conscience de l'état de nos prisons et à briser l'indifférence à l'égard de ce qui se passe « derrière les murs » est bienvenu et je ne doute pas que vos travaux soient bénéfiques.

Je souhaite que votre commission puisse _uvrer efficacement et mon cabinet, ainsi que la direction de l'administration pénitentiaire seront naturellement à votre disposition pour vous informer et pour vous faciliter la tâche.

Depuis mon arrivée à la Chancellerie, la situation dans nos établissements pénitentiaires est l'une de mes premières préoccupations. Aussi, en sus de mes propres visites, ai-je demandé, dès juillet 1997 puis en juillet 1999, aux membres de mon cabinet, d'effectuer le même jour d'autres visites dans une quinzaine d'établissements, pour me faire rapport le soir même et examiner ensemble les mesures à prendre. Nombre de parlementaires -40 en 1999- ont également souhaité visiter les prisons et j'ai facilité leurs démarches.

Je remercie pour la qualité de son travail votre rapporteur sur le budget de l'administration pénitentiaire, M. Gerin, et, pour son soutien personnel, la présidente de votre commission des lois, Mme Tasca, qui a visité en 1998 la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy et, l'an passé, celle de femmes de Versailles. Je rends également hommage à la mission parlementaire qui m'a alertée sur la situation dans l'établissement pénitentiaire de la Réunion, ce qui m'a déterminée en septembre à décider la construction d'un nouvel établissement.

Comme vous le savez, j'ai engagé depuis deux ans et demi de nombreuses actions en faveur de la pénitentiaire : dès le 8 avril 1998, j'ai fait une communication sur le sujet au Conseil des ministres et, auparavant, le 19 mars, j'avais réuni le conseil supérieur de l'administration pénitentiaire qui ne l'avait pas été depuis douze années ! Deux autres réunions ont été organisées depuis, de sorte que les personnalités extérieures présentes dans ce conseil puissent donner leur avis.

En écho à l'excellent rapport de M. Forni, et sans anticiper sur les travaux de votre commission, je souhaite saisir l'occasion de ce débat pour rappeler les grandes lignes de ma politique dans ce secteur. Mes priorités, approuvées par le Conseil des ministres, sont au nombre de trois : améliorer la vie quotidienne des détenus comme des surveillants, rénover ou fermer les établissements vétustes et en construire d'autres, développer enfin les alternatives à la prison.

Je peux aujourd'hui vous présenter un premier bilan sur ces deux premiers points. En effet nous débattrons du dernier lorsque nous discuterons du projet de loi sur la présomption d'innocence, qui vise à limiter les entrées en prison par la réforme de la détention provisoire et à favoriser les sorties par les libérations conditionnelles, meilleure façon de prévenir la récidive. Sur ces sujets, je ne puis que me féliciter du soutien de la commission des lois.

Le budget pour 2000 de l'administration pénitentiaire est de 7,8 milliards, soit une hausse de 434 millions et de 5,85 % après celle de 408 millions et de 5,8 % intervenue l'an dernier.

Merci d'avoir bien voulu voter ces crédits qui participent aussi du bilan.

L'effort en matière immobilière est une condition non suffisante mais très nécessaire de l'amélioration des conditions de vie des détenus : il en va de leur hygiène, de l'espace mis à leur disposition, de la qualité de leur environnement immédiat.

En 1995, le précédent gouvernement avait lancé un plan pluriannuel pour la justice, qui prévoyait notamment la rénovation du parc pénitentiaire. Or, lorsque j'ai pris mes fonctions, ce plan était gelé depuis plus d'un an, après seulement un commencement de réalisation.

Pourtant, pour une population de près de 54 000 détenus, le nombre de cellules ne dépasse pas 39 000, obligeant à la promiscuité si souvent dénoncée. J'ai donc décidé, d'abord, la construction de nouveaux établissements. Entre 2002 et 2003, sept ouvriront au terme d'un programme lancé au début de 1999. Les maisons d'arrêt de Sequedin près de Lille, de Seysses près de Toulouse, et du Pontet près d'Avignon, seront terminées à la fin de 2002. Celles de Liancourt, Chauconin et La Farlède seront mises en service en 2003. Enfin, l'établissement de la Réunion sera ouvert en 2005.

En contrepartie, six établissements seront fermés : seul subsistera celui de Loos-lès-Lille qu'il ne s'agissait que de désengorger. Remplaçant des établissements vétustes, ces constructions s'inscrivent en effet dans une politique de modernisation du parc, et non dans une logique du « tout répressif » ou du « tout carcéral ».

Nous créerons ainsi 4 280 places, soit 18 % de celles qui auront été ouvertes depuis 1981, et nous en fermerons 1 075, soit 26 % des fermetures depuis 1981. L'ensemble de ce programme coûtera 2,6 milliards.

J'ai obtenu les 2 à 3 milliards nécessaires pour la rénovation complète de nos cinq plus grandes maisons d'arrêt. Ce programme fait suite à des études minutieuses et a été annoncé dès juillet 1999.

Il nous reste à réhabiliter l'ensemble du parc classique. Un programme d'un milliard est déjà en cours d'exécution. L'opération totale devrait coûter 3,2 milliards.

Outre les 5,5 milliards déjà obtenus, 10 milliards seraient nécessaires pour mettre notre parc immobilier aux normes modernes : une cellule par détenu, une douche par cellule, des espaces suffisants pour les promenades, le sport, et le travail, ainsi que des locaux pour le personnel pénitentiaire.

Lors de ma communication au Conseil des ministres le 8 avril 1998, j'ai exprimé ma volonté d'améliorer les conditions de prise en charge des détenus, avec des dispositifs particuliers pour les toxicomanes, les délinquants sexuels ou les mineurs.

J'ai d'abord mis en _uvre des moyens propres à éviter la détention : la réforme des comités de probation, en avril 1999, tendait à assurer un meilleur suivi des personnes confiées par la justice.

Ainsi, 22,8 millions ont été consacrés en 1999 à l'amélioration des conditions de vie des personnes incarcérées, pour lesquelles les soins médicaux sont entièrement confiés au personnel d'un établissement hospitalier.

J'ai demandé qu'une trousse hygiénique soit remise à chaque entrant, et renouvelée pour les indigents.

Le nombre de douches a été porté à trois par semaine. Le code de procédure pénale a été modifié en ce sens le 8 décembre 1998.

En outre, une circulaire du 28 mai 1998 concerne la prévention des suicides, une autre, du 14 décembre 1998, l'encadrement de la procédure d'isolement.

L'amélioration de la détention des mineurs est évidemment un objectif prioritaire.

Le quartier des mineurs de Fleury-Mérogis a été rénové, sur la base de quartiers de 15 à 20 mineurs, encadrés par des surveillants formés par la protection judiciaire de la jeunesse et volontaires. D'autres quartiers seront ouverts en 2000 sur le même modèle.

Des projets importants sont en cours : centres pour peines aménagées, dont les deux premiers ouvriront à la fin de l'année aux Baumettes et à Metz ; unités de vie familiale, qui seront bientôt testées dans trois établissements.

M. Hunault s'est fait l'écho de l'accouchement d'une détenue les pieds entravés. C'est impossible, les accouchements ayant toujours lieu à l'hôpital, jamais en détention.

M. Michel Hunault - Il n'y a donc pas de problèmes !

Mme la Garde des Sceaux - Certainement si ! Mais je voulais relever une inexactitude. La situation est déjà suffisamment sérieuse. Mais ce que vous décrivez n'existe pas.

M. Michel Hunault - C'est vous qui le dites !

Mme la Garde des Sceaux - Un accouchement tel que vous le décrivez est impossible, puisque la responsabilité en appartient au ministère de la santé.

Mauvaises conditions de détention et mauvaises conditions de travail vont de pair. C'est pourquoi il faut agir dans les deux domaines. Je tiens à rendre hommage aux personnels pénitentiaires, qui accomplissent une tâche difficile au nom de la nation. J'espère que la commission d'enquête permettra de mieux faire comprendre leur travail. Comme l'a souligné M. Forni, ce travail est devenu plus difficile, car la population pénale a beaucoup changé. 30 % des entrants déclarent une consommation excessive de drogue, 21 % des détenus sont illettrés, 23 % des entrants sont sans emploi, 10 % déclarent avoir fait l'objet d'un suivi psychiatrique.

La prison est souvent le bout de l'exclusion, et cette population est beaucoup plus difficile à gérer, et trop de détenus relèveraient davantage des hôpitaux psychiatriques. Même peu nombreux, ils suffisent à perturber la vie de tout un établissement, et le travail des surveillants s'en trouve accru d'autant. Améliorer les conditions de travail requiert des moyens adaptés.

Or lorsque la bonification du 1/5ème a été décidée en 1996 pour les personnels pénitentiaires, aucune mesure n'avait été prise pour anticiper les départs à la retraite et pour créer des postes correspondants.

Aussi ai-je créé, en 1999, 344 emplois dont 215 de personnels de surveillance et, en 2000, 386 emplois dont 290 de personnels de surveillance.

M. Michel Hunault - Vous nous présentez le budget de la Justice ?

Mme la Garde des Sceaux - Le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires et le renforcement des règles déontologiques figurent parmi mes priorités.

Dès la première réunion du Conseil supérieur de l'administration pénitentiaire, en mars 1998, qui ne s'était pas réuni depuis 12 ans, j'ai engagé le débat sur le code de déontologie. Ce texte, maintenant rédigé, a été soumis à la Commission consultative des droits de l'homme, qui a rendu son avis le 27 janvier dernier. Il sera transmis au Conseil d'Etat dans les prochains jours.

Actuellement, au Sénat, se déroule un débat sur le « conseil supérieur de la déontologie de la sécurité ». Le Gouvernement n'a pas souhaité intégrer dans la compétence de ce conseil l'administration pénitentiaire, pour des raisons de principe.

Votre rapporteur, Bruno Leroux, au cours des débats sur ce texte, le 4 juin 1998, s'en est expliqué : « Dans ce texte, le critère de sécurité est entendu comme sécurité du citoyen dans sa vie quotidienne. Dès lors, je n'ai pas jugé opportun d'inclure les services pénitentiaires dans le champ de compétence de la commission dans la mesure où leurs agents ne sont qu'exceptionnellement en contact avec l'ensemble de la population ». Vous l'avez suivi.

La convention européenne sur la prévention de la torture n'a d'ailleurs pas confondu les missions et les rôles de chacun, et aucun de nos partenaires européens n'a fait le choix, en matière de contrôle déontologique, de mélanger services pénitentiaires et services de police.

Pour autant, il ne s'agit pas de frilosité, puisque j'ai installé, en juillet 1999, un groupe de travail sur le contrôle des établissements pénitentiaires confié au premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet. J'attends ses conclusions.

Ce groupe s'est notamment rendu aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Ce dernier pays vient de se doter d'un organe indépendant de contrôle des prisons, et d'installer des médiateurs civils pour les détenus. Ces deux organes sont spécifiques aux prisons. Cet exemple doit être étudié, mais d'autres solutions sont possibles.

Croyez-le bien : je suis très déterminée à mettre en place, très rapidement, des instances efficaces et totalement indépendantes, pour assurer un réel contrôle de la vie carcérale.

Il faut, d'autre part, se garder de mettre en cause les fonctionnaires. Je vous le rappelle, Monsieur Goasguen : tout Garde des Sceaux est responsable des réponses faites par ses services et, pour ma part, je n'ai jamais cherché à me défausser de mes responsabilités sur mes services. Il n'est d'ailleurs pas d'usage de s'en prendre, dans cette enceinte, à de hauts fonctionnaires, qui ne font qu'appliquer les directives du pouvoir politique.

Pour ce qui est des alternatives à la détention, il en sera débattu lors de l'examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la présomption d'innocence. Nous comptons agir en amont, en limitant les détentions provisoires, en effet trop nombreuses puisqu'on en compte 21 000. Nous veillerons cependant à distinguer nettement, dans les statistiques, ceux des détenus de cette catégorie qui n'ont jamais été jugés -ils sont 13 000- et ceux qui, déjà jugés en première instance, attendent les conclusions d'un appel. Les mesures déjà adoptées, et que le débat à venir permettra d'améliorer encore, devront permettre de réduire ce nombre.

Nous agirons aussi en aval, sur les libertés conditionnelles, indispensables car elles préviennent les récidives ; leur nombre a tout juste commencé d'augmenter en 1999. J'ai demandé un rapport à ce sujet à un magistrat de la Cour de cassation. Je suis d'autre part favorable à ce que les décisions des juges d'application des peines puissent faire l'objet d'appels, et je suis heureuse que la commission des lois se soit prononcée en ce sens hier.

Vos préoccupations, concernant les prisons, sont également les miennes. Pour tous ceux qui s'intéressent à ces questions, l'annonce de la constitution de votre commission est une bonne nouvelle. Non seulement elle a une forte valeur symbolique mais je ne doute pas que vos constats et vos propositions seront des aides précieuses pour le Gouvernement.

Votre unanimité aujourd'hui est un gage supplémentaire de réussite. Le service public pénitentiaire et la nation y gagneront (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - J'appelle maintenant, dans les conditions prévues par l'article 91, alinéa 9, du Règlement, l'article unique de la proposition de résolution dans le texte de la commission.

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Robert Pandraud - Nous vous avions indiqué que le groupe RPR voterait la proposition de résolution et nous n'avons évidemment pas changé d'avis. Mais pourquoi vous être lancée dans un discours sur la politique pénitentiaire que vous menez et que nous ne remettons d'ailleurs pas en cause puisque, depuis M.Chalandon, auquel je tiens à rendre hommage, vous êtes des Gardes des Sceaux successifs celui qui a mis en chantier le plus grand programme de rénovation du parc pénitentiaire ? Le moment ne se prêtait pas à cet exercice et vous devrez revenir devant la commission d'enquête défendre pied à pied chacune de vos mesures.

Pour le reste, nous n'avons pas attaqué les hauts fonctionnaires mais je maintiens que les visites « touristiques » organisées dans les prisons s'apparentent à ces pseudo « stages ouvriers » qui avaient cours naguère. Nous entendrons, certes, le directeur de l'administration pénitentiaire mais, si mon groupe me fait l'honneur de me désigner comme commissaire, je demanderai aussi que l'on désigne, par tirage au sort, d'autres agents de cette administration qui seront, eux aussi, entendus et qui diront quelle est la situation réelle.

Le vrai problème est bien celui de l'application des décisions prises. Le Journal officiel a-t-il jamais été plus épais qu'en 1944, alors même que plus personne n'obéissait ? Cela n'empêchait nullement les règlements de s'empiler !

La commission d'enquête vous aidera si elle est bien traitée et je n'ai aucune raison de douter qu'elle le sera. Elle permettra que des choses soient dites qui ne le sont jamais, et l'on cessera de prétendre que des décisions annoncées à grand fracas sont appliquées, alors qu'elles ne le sont pas. Il est d'ailleurs risible d'entendre, en ce moment même, certains fonctionnaires des finances ou de La Poste, exposer tous les services qu'ils rendent et prétendre en défendre la pérennité, alors qu'ils défendent, tout au plus, leurs propres indemnités.

On l'aura compris : l'heure n'était pas à un discours de politique générale, et l'on ne peut fonder des mesures sur l'ouvrage de tel médecin ou de tel aumônier (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF).

M. Claude Goasguen - Le groupe DL est contraint de constater que, par un exercice d'autosatisfaction, on a tenté de transformer un consensus en combat politique, au risque, avec cette catilinaire injustifiée, je dirai de lasser les parlementaires. Ainsi, tout va bien dans le meilleur des mondes ?

S'agissant des hauts fonctionnaires, je les sais soumis à l'autorité de leur ministre et j'ai, du Parlement, au moins autant l'expérience que vous. Cela n'empêche pas que ceux qui manquent à leur devoir de réserve doivent être rappelés à l'ordre.

Mais cet agacement n'est que momentané, et je ne gâcherai pas, par un mouvement d'humeur, un moment important. Foin des chamailleries politiciennes : nous voterons sans hésiter cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Louis Mermaz - Le groupe socialiste constate qu'une grande unanimité s'est manifestée sur le fond. Que le Président Fabius ait indiqué son intention de présider la commission d'enquête donnera aux travaux à venir un éclat particulier et bienvenu.

Moins sourcilleux que mes collègues de l'opposition, je peux comprendre que Mme la Garde des Sceaux ait anticipé ce qu'elle exposera plus en détail à la commission d'enquête en dressant le bilan de l'action du Gouvernement. C'est une bonne chose de savoir qu'il travaille dans le même esprit que nous.

Nous allons nous mettre au travail. Après l'émotion légitime qu'a suscitée la publication du livre courageux du docteur Vasseur, nous sommes en situation de faire avancer les choses pour que notre pays redevienne vraiment pour tous ses citoyens le pays des droits de l'homme (Applaudissements sur tous les bancs).

Mme Christine Boutin - J'ai été étonnée du discours de Mme le Garde des Sceaux qui semblait donner par avance les conclusions d'une commission d'enquête qui va nous retenir pendant au moins six mois. Je me réjouis que les travaux de cette commission soient présidés par le Président Fabius, car il y a là un gage de sérieux. Mais en écoutant le Garde des Sceaux, je me demandais s'il était encore nécessaire de se réunir ! De plus, tout ce qu'elle a dit me semble bien abstrait. Je souhaite ardemment que nous nous attachions plutôt à l'étude des conditions concrètes de la vie en prison, en nous gardant des déclarations de principe ou d'une approche trop globale de la politique de la détention. Allons voir dans les prisons ce qui s'y passe et ce qui intéresse réellement les détenus et les personnels.

L'objectif central de cette commission est de faire respecter le droit de chaque détenu à des conditions de vie plus dignes. N'en faisons pas un enjeu de polémiques entre le Gouvernement et le Parlement et faisons tout pour que la dignité humaine soit mieux respectée en prison.

A l'évidence, le groupe UDF votera pour la création de cette commission (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Bernard Outin - Le groupe communiste est favorable à la création de cette commission. Si Mme le Garde des Sceaux a rappelé les efforts accomplis depuis son arrivée à la Chancellerie, elle n'a pas caché qu'un long chemin restait à parcourir. La publication d'un livre a frappé l'opinion et mis à jour des réalités que beaucoup connaissaient déjà. Mais il s'attache à décrire la situation de la prison de la Santé. Gardons-nous donc de généraliser ses conclusions à l'ensemble des prisons françaises et ne cédons pas à la tentation d'imputer la responsabilité de tout ce qui va mal aux agents de la Pénitentiaire...

M. Michel Hunault - Il n'est pas question de cela !

M. Bernard Outin - ...dont les conditions de vie sont elles aussi particulièrement difficiles.

M. Robert Pandraud - Très juste !

L'article unique, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - A l'unanimité.

M. le Rapporteur - Je rappelle les dispositions qui régissent nos travaux. Le Gouvernement s'exprime ici lorsqu'il le souhaite et il est naturel qu'il s'explique sur sa politique.

L'exposé de Mme le Garde des Sceaux a été extrêmement intéressant dans la perspective des travaux de notre commission d'enquête.

S'agissant de l'opportunité de créer une telle commission, il appartient aux membres de cette Assemblée et à eux seuls d'en juger.

M. Robert Pandraud - Très bien !

M. le Rapporteur - Quant à la recevabilité d'une telle initiative, le Gouvernement ne peut la mettre en cause que si des obstacles sérieux le justifient et il m'eût étonné que Mme la Garde des Sceaux en fasse état. Il était donc tout à fait légitime qu'elle rappelle l'action du Gouvernement et j'y vois pour ma part un signe encourageant pour la suite des travaux de notre commission (Sourires ironiques sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme la Garde des Sceaux - Je remercie M. le rapporteur d'avoir rappelé ces règles auxquelles je me conforme scrupuleusement. Même s'il n'appartient pas au Gouvernement d'apprécier l'opportunité de la création d'une commission d'enquête parlementaire, vous avez bien noté que j'ai remercié les présidents Fabius et Mermaz ainsi que d'autres parlementaires de leur initiative qui tend à briser l'indifférence de la nation. Je me suis donc permise de vous faire connaître mon sentiment et il est positif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. le Président - Afin de permettre la constitution de la commission d'enquête dont l'Assemblée vient de décider la création, MM. les présidents des groupes voudront bien faire connaître, conformément à l'article 25 du Règlement, avant le mardi 8 février 2000 à 17 heures, le nom des candidats qu'ils proposent. La nomination prendra effet dès la publication de ces candidatures au Journal officiel.

Prochaine séance mardi 8 février à 9 heures.

La séance est levée à 16 heures 55.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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