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Session ordinaire de 1999-2000 - 53ème jour de séance, 125ème séance

1ÈRE SÉANCE DU MERCREDI 9 FÉVRIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

RECETTES FISCALES 2

ENSEIGNEMENT DU CORSE 2

OGM ET SÉCURITÉ SANITAIRE 3

AVENIR D'ABB-ALSTHOM 4

CRÉATION DE L'AGENCE DE PRÉVENTION DES
RISQUES MINIERS 5

AVENIR DES NMPP 5

DISCRIMINATIONS RACIALES DANS LE MONDE
DU TRAVAIL 6

SITUATION EN TCHÉTCHÉNIE 7

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS
LA FONCTION PUBLIQUE 7

SURPLUS DE RECETTES FISCALES 8

MOYENS DÉVOLUS À L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE 9

MISE EN CAUSE DE LA PAC 10

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
(deuxième lecture) 10

La séance est ouverte à quinze heures.

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      QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

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RECETTES FISCALES

M. Philippe Auberger - Monsieur le ministre des finances, vous allez dévoiler tout à l'heure à notre commission des finances les résultats des comptes de l'Etat pour 1999. Pourquoi faire durer le suspense encore deux heures et ne pas annoncer dès maintenant, par la voie de la télévision, à la France entière les chiffres exacts ? Ce qui intéresse d'ailleurs le plus nos concitoyens est de savoir si vous allez réviser les prévisions de recettes du budget pour 2000 et comment vous allez utiliser le surplus. Présenterez-vous, comme le demandent d'ailleurs des membres éminents de votre majorité, un projet de loi de finances rectificative pour 2000 et si oui, dans quel délai ?

Par ailleurs, vous semblez donner la préférence à une baisse de la taxe d'habitation. Mais depuis deux ans et demi, ce n'est pas la fiscalité locale qui a le plus augmenté mais bien celle de l'Etat, qui a atteint des sommets inégalés. L'impôt sur le revenu a augmenté de plus de 15 % depuis 1997 (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL), soit beaucoup plus que les revenus eux-mêmes. Il serait donc urgent de remettre sur le métier la réforme de l'impôt sur le revenu que vous avez délibérément abandonnée dans le budget pour 1998, en un mot de rendre aux Français une partie du fruit de leurs efforts, comme l'avait demandé, dès le 14 juillet dernier, le Président de la République. Ce serait aussi suivre la voie empruntée par notre partenaire allemand (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - En m'interrogeant une nouvelle fois sur les recettes fiscales de 1999, vous continuez de faire diversion pour tenter de masquer les excellents résultats de l'économie française et des finances de l'Etat en particulier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). En 1999, la croissance a été de 2,7 %, le chômage a fortement baissé, les dépenses de l'Etat ont été maîtrisées, le déficit public a été réduit, à tout cela vous ne croyiez pas il y a un an et étiez des plus critiques. En 1999, l'impôt sur le bénéfice des sociétés a en effet rapporté davantage que prévu, et il faut s'en féliciter. Oui, nous disposerons en 2000 de recettes fiscales supplémentaires et nous débattrons tout à l'heure, en toute transparence démocratique, de leur utilisation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, sur plusieurs bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe communiste).

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ENSEIGNEMENT DU CORSE

M. Roland Francisci - Monsieur le Premier ministre, vous avez déclaré le 6 septembre dernier devant l'Assemblée de Corse que le Gouvernement était prêt à favoriser l'usage de la langue corse pour tous ceux qui le souhaitent mais qu'il n'était pas envisageable de l'imposer à tous, « ce qui serait contraire aux libertés individuelles », avez-vous précisé. Cette déclaration, respectueuse des libertés de chacun et conforme au bon sens, a été bien accueillie en Corse où l'enseignement obligatoire du corse est une ancienne revendication des nationalistes.

Mais dix jours plus tard, le recteur de Corse adressait un courrier aux secrétaires d'académie dans lequel il indiquait que l'enseignement du corse devait figurer « sans aucun commentaire » dans l'emploi du temps des classes de sixième, qu'aucune enquête n'avait à être effectuée auprès des élèves et que les familles souhaitant que leur enfant n'étudie pas cette langue devraient le notifier expressément au chef d'établissement avant le 15 octobre, date à laquelle l'inscription deviendrait définitive. « Il serait utile de discuter avec ces familles et de comprendre ce qui motive leur refus », ajoutait le recteur.

Voilà qui va à l'encontre de vos déclarations, Monsieur le Premier ministre. Cette pression, visant à rendre obligatoire l'enseignement d'une langue qui ne l'est pas dans les écoles laïques de la République, n'est pas tolérable. Le ministre de l'éducation nationale vous a-t-il informé de ce courrier du recteur ? Si oui, qu'a-t-il fait auprès du recteur de Corse pour faire respecter votre volonté de laisser aux parents et aux élèves le libre choix ? S'il n'en a pas lui-même eu connaissance, ce qui signifierait qu'il ignore les graves dysfonctionnements dont son ministère est le théâtre, lui demanderez-vous d'interroger le recteur de Corse sur les motivations de sa surprenante initiative attentatoire, comme vous l'avez dit vous-même, aux libertés individuelles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, et sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe DL)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Je souhaite vous répondre dans un cadre plus large. En effet, je me refuse à extraire tel ou tel élément des dossiers actuellement discutés par les élus de Corse -vous participez vous-même, Monsieur le député, à ces discussions- pour y apporter une réponse particulière car cela ne me paraît pas de nature à favoriser les discussions en cours.

L'Île de beauté connaît depuis plusieurs décennies de très graves difficultés auxquelles aucun gouvernement, quelle que soit sa sensibilité, n'a pu, en dépit de ses efforts, apporter de solution satisfaisante. Mon gouvernement a décidé de demander aux élus de Corse, que j'ai invités à Matignon en décembre dernier, de réfléchir à la situation de leur île, sachant que ce Gouvernement n'impute pas exclusivement aux Corses les difficultés chroniques de l'île -ce qui serait commode mais réducteur- et est prêt à examiner avec les élus comment avancer. Des discussions se sont depuis engagées à l'Assemblée de Corse, ouvertes aux présidents des conseils généraux et aux parlementaires de l'île. Le mieux est de laisser le processus en cours se dérouler et d'attendre que les élus de Corse, qui peut-être esquisseront des solutions communes, peut-être manifesteront leurs divisions, nous disent les points sur lesquels ils souhaitent que nous avancions. J'ai rendez-vous avec eux en mars s'ils y sont prêts...

Plusieurs députés RPR, UDF, DL - Ce n'est pas la question !

M. le Premier ministre - Sur la base de leurs propositions, nous verrons s'il est possible de franchir une nouvelle étape. C'est dans ce cadre que sera abordée la question de l'enseignement, obligatoire ou non, du corse. Vous ne me ferez détacher aucun élément de ce qui doit demeurer une discussion globale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Sachez en tout cas que mon gouvernement a ouvert le dialogue avec les élus de Corse, y compris les nationalistes, et non pas avec les nationalistes à travers les élus de Corse. C'est la capacité de tous les élus de l'île à formuler des propositions et à se réunir qui m'est utile. C'est dans cet esprit de responsabilité que vous devriez accompagner l'action du Gouvernement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. André Santini - Très bien !

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OGM ET SÉCURITÉ SANITAIRE

M. Jean-François Mattei - Ma question s'adresse également au Premier ministre. Il y a quelques jours, lors de la Conférence de Montréal, l'Europe a obtenu la reconnaissance du principe de précaution sur les OGM sans toutefois obtenir aucune garantie ni sur leur traçabilité ni sur leur étiquetage. En matière de sécurité sanitaire, la France a toujours été pionnière, ayant été la première à adopter par exemple à l'unanimité de son Parlement une loi sur le sujet. Mais depuis, plusieurs événements sont intervenus. Tout d'abord, la crise de la vache folle qui a conduit le gouvernement français à prendre des mesures de prudence, tout à fait justifiées, malheureusement encore minoritaires en Europe. En deuxième lieu, est apparue la nécessité de créer rapidement une agence de sécurité sanitaire de l'environnement. Ensuite, la crise des OGM a montré le lien étroit qui existe entre alimentation, santé et environnement. Enfin, le Conseil de l'Europe a voté la semaine dernière à la quasi-unanimité une recommandation -dont j'étais le rapporteur- relative à la sécurité sanitaire non plus seulement dans l'Union européenne mais dans les 41 Etats de la grande Europe.

Ma question sera triple. Quelle est l'opinion du Gouvernement après les accords de Montréal ?

Etes-vous toujours disposés à créer très vite une agence de sécurité sanitaire environnementale et à réunifier les trois pôles de la sécurité sanitaire -santé, alimentation, environnement ?

Enfin, la France, qui va présider l'Union européenne à partir de juillet, va-t-elle _uvrer en priorité pour la création d'une agence de sécurité sanitaire européenne, qui ne se limiterait pas à l'alimentation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL)

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement - Vous avez bien voulu saluer l'aboutissement à Montréal des négociations menées depuis plusieurs années, grâce à l'action de la France qui a rallié à ses positions l'Union européenne et les pays en voie de développement.

Deux avancées considérables ont été obtenues : l'affirmation de la nécessité d'un accord explicite du pays pour l'importation d'OGM et la reconnaissance du principe de précaution.

Ce protocole international reste néanmoins en deçà des exigences communautaires concernant la traçabilité et l'étiquetage. La révision de la directive communautaire 90-220 sera l'occasion de les renforcer encore. Le rapport rendu par M. Aschieri et Mme Grzegrzulka a montré la nécessité d'améliorer la veille sanitaire et la veille environnementale avec le souci de croiser les informations des deux organismes compétents, d'intensifier les efforts de recherche et d'expertise sur ces questions et de compléter le dispositif institutionnel voté à l'unanimité par l'Assemblée : je pense à la création d'une agence santé-environnement et à la collecte de données au niveau communautaire.

Les efforts du Gouvernement, soutenus par les vôtres au Conseil de l'Europe, ont montré l'intérêt d'une agence européenne de sécurité des aliments. Je compte profiter de la présidence française pour faire avancer un autre dossier, celui d'une agence européenne de sécurité environnementale au sens large (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

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AVENIR D'ABB-ALSTHOM

M. Guy Hascoët - Le secteur énergie d'ABB et le groupe Alsthom ont fusionné l'été dernier et aujourd'hui on craint pour l'avenir de plusieurs sites : dans ma circonscription, 340 emplois sont menacés.

Si on peut comprendre que les secteurs soumis à une concurrence internationale dure soient amenés à procéder à des fermetures, ce n'est pas le cas sur ce site, qui produit des chaudières de retraitement des déchets et dont 80 % des commandes proviennent des collectivités locales.

Depuis dix-huit mois, les élus de la région ont mené sept réunions avec les directions locale et nationale et avec les syndicats pour étudier une diversification du site. Un protocole en ce sens a été signé entre la direction nationale et les syndicats en juin dernier.

Je suis convaincu qu'il est possible de créer dans cette zone un pôle industriel combinant les métiers actuels et de nouvelles filières industrielles.

Comment le Gouvernement évalue-t-il les perspectives industrielles du secteur ? Est-il prêt à convoquer une table ronde pour remettre à plat le dossier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Comme le Premier ministre l'a souvent rappelé, les entreprises et groupes ayant une situation financière saine -c'est le cas d'ABB-Alsthom Power- doivent assumer leurs responsabilités vis-à-vis de leurs salariés et des régions où ils sont implantés, même en cas de baisse de commandes.

Avec M. Sautter, nous avons reçu récemment le président du groupe pour lui exprimer nos très vives préoccupations (Rires sur les bancs du groupe UDF) face à la réorganisation projetée. Nous avons pris acte de cinq engagements sur lesquels nous serons très fermes : revoir à la baisse le nombre de suppressions de postes ; éviter tout licenciement sec, à Lys-lez-Lannoy comme à Belfort ; offrir à chaque salarié au moins deux vraies solutions de reclassement ; compenser toute baisse d'activité par une réindustrialisation volontaire ; augmenter, à cette fin, les crédits consacrés par le groupe à la diversification d'activités.

Je suis prêt à vous recevoir avec les autres élus des sites concernés. Le Gouvernement veillera au respect strict de ces cinq engagements (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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CRÉATION DE L'AGENCE DE PRÉVENTION DES RISQUES MINIERS

M. Jean-Pierre Kucheida - La loi adoptée à l'unanimité par le Parlement en mars dernier visait à remédier aux lacunes du code minier en précisant la responsabilité des exploitants vis-à-vis des dégâts miniers après cessation de l'exploitation et à organiser la prévention des risques miniers : affaissements de terrain, remontées de grisou, conséquences sur l'eau, etc.

La création d'une Agence de prévention des risques miniers devait assurer une gestion transparente des problèmes en mettant tous les documents nécessaires à disposition des parties concernées par la réparation des dégâts et en préparant des mesures de prévention. Les services de l'Etat et les collectivités locales y sont représentés à égalité. Mais le décret d'application fixant les modalités de mise en place de cette agence n'est toujours pas paru. Ce retard n'est pas conforme à l'esprit d'unanimité qui a présidé au vote de la loi. Quand le décret sera-t-il publié ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - La loi que vous citez a effectivement été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée et le Sénat. Elle affirme la solidarité nationale à l'égard des communes concernées par les affaissements miniers, communes représentées par l'association que vous présidez.

Quatre décrets d'application sont prévus. Le premier doit fixer les modalités d'indemnisation en cas de sinistre, le second traiter de la prise en compte des risques miniers dans les décisions d'urbanisme, le troisième des demandes d'arrêts de travaux. Ces trois décrets vont paraître très prochainement.

Le quatrième décret, concernant l'Agence de prévention des risques miniers, doit également être publié très vite car cette agence est indispensable pour assurer une gestion transparente des problèmes liés aux risques miniers. Je vous affirme ma détermination à faire progresser ce dossier et souhaite qu'en concertation avec l'association des communes minières la rédaction du décret soit achevée avant l'été.

D'ores et déjà, le Parlement a voté une dotation de 10 millions pour l'année 2000 pour renforcer la surveillance des zones concernées, qui englobent des dizaines de communes (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

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AVENIR DES NMPP

M. Michel Françaix - Madame la ministre de la culture, la distribution de la presse exige un acheminement rapide de produits éminemment périssables, insiste Jean-Claude Hassan dans le rapport qu'il vous a remis sur la réforme de ce système, aujourd'hui en crise.

Vous êtes favorable à un système de distribution solidaire, combinant un regroupement à vaste échelle et l'égalité de traitement de chaque titre. La modernisation des NMPP en est la condition préalable, sinon de grands groupes de presse vont se doter de leurs propres outils, entraînant la disparition des titres les plus fragiles.

Le groupe Hachette a proposé un plan en ce sens.

Pouvez-vous nous assurer, Madame la ministre, que le plan qui sera défini ne visera pas seulement à des économies importantes -elles sont nécessaires- mais qu'il traduira aussi le résultat de négociations avec les syndicats ? Il s'agit, on le sait, d'une entreprise privée, mais l'Etat ne peut se désintéresser de l'avenir de la distribution de la presse, l'un des piliers de la démocratie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Vous vous êtes fait l'écho des préoccupations des entreprises de presse mais aussi de nombreux parlementaires, sur tous les bancs. Les NMPP connaissent en effet de graves difficultés, ce qui m'a conduit à demander à M. Jean-Claude Hassan un rapport à ce sujet. Il réaffirme, dans ses conclusions, la pertinence et l'utilité du système français de distribution de la presse, le plus équitable de tous, car il est fondé sur la solidarité.

Je suis heureuse que toutes les parties concernées s'attachent à dialoguer pour mettre en _uvre un plan de réforme des NMPP. Les propos les plus récents de M. Lagardère sont d'ailleurs encourageants.

L'avenir des NMPP passera par une réforme, qui doit se faire dans le cadre actuel, celui d'une coopérative, et permettre la diffusion des magazines comme de la presse quotidienne. Opérateurs, éditeurs et direction de l'entreprise mettront en _uvre, je le souhaite, le meilleur plan possible, selon le calendrier approprié, qu'il leur revient de déterminer, puisqu'il s'agit d'une entreprise privée. Lorsque le Gouvernement aura connaissance de ce plan, il s'attachera à vérifier que l'égalité de traitement entre les titres et le pluralisme sont respectés, et qu'il est toujours possible d'acheter un journal ou un magazine dans un kiosque, au plus près de chez soi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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DISCRIMINATIONS RACIALES DANS LE MONDE DU TRAVAIL

M. Damien Alary - Une étude de l'INSEE publiée en juin 1999 et de nombreux articles parus dans la presse montrent l'existence de pratiques discriminatoires, dont sont victimes des jeunes gens issus de l'immigration. Dans le monde du travail, elles prennent des formes diverses et s'exercent aussi bien au moment de l'embauche que, plus tard, au long du déroulement des carrières.

Je sais le Gouvernement préoccupé par ces questions et vous avez indiqué, Madame la ministre de l'emploi, qu'il s'agissait de l'une des priorités de votre action. Des propositions ont été faites le 11 mai dernier et les Assises de la citoyenneté qui se tiendront le 18 mars devraient permettre de les compléter. Quel est l'état d'avancement de la réflexion et comment envisagez-vous la lutte contre les inégalités et les discriminations au travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Les discriminations raciales constatées dans le monde du travail comme ailleurs, qu'elles soient liées aux patronymes ou à la couleur de la peau, sont inacceptables. Elles le sont d'autant plus que les parents des jeunes gens qui en sont les victimes ont été appelés en France pour reconstruire ou participer au développement de notre pays et qu'eux-mêmes ont souvent acquis leur diplôme dans des conditions très difficiles.

Le Gouvernement a fait de la lutte contre ces pratiques une de ses priorités. Réunis en mai à son initiative, représentants des entreprises et des syndicats ont reconnu l'existence de ces pratiques inacceptables qui, recensées, feront l'objet d'un rapport annuel. Aux agents de l'ANPE et de AFPA, j'ai demandé de ne pas se faire, par inertie, les complices de tels actes et je les ai invités à tenter de convaincre les entreprises concernées de revenir sur leurs positions et, éventuellement, à saisir les tribunaux. Dans le cadre de la réforme du droit du travail, il est prévu de permettre aux organisations syndicales d'ester en justice quand les cas de discrimination sont avérés.

En 1999, vingt mille jeunes ont été pris en charge par les entreprises. Le 18 mars auront lieu les Assises de la citoyenneté qui devraient permettre que les pratiques discriminatoires, mieux connues, soient mieux combattues. Les jeunes gens, qu'ils soient étrangers ou français issus de l'immigration, doivent savoir que le Gouvernement s'engage à lutter contre toutes les formes de discrimination, afin que leurs droits, corollaires de leurs devoirs, soient respectés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

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SITUATION EN TCHÉTCHÉNIE

M. François Loncle - Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez rencontré à Moscou le Président par intérim de la Russie, dans le cadre dramatique de la guerre en Tchétchénie. Quels enseignements avez-vous tirés de cette entrevue et vous a-t-elle permis d'espérer la libération prochaine du journaliste Brice Fleutiaux, retenu en otage en Tchétchénie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe UDF et du groupe DL)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - La position de la France est bien connue et elle n'a pas varié : nous souhaitons une solution politique au conflit en Tchétchénie et nous avons dénoncé les souffrances de la population civile. Je le fais une nouvelle fois ici, après l'avoir exposé, dans les mêmes termes, à M. Poutine, sans contester la souveraineté de la Russie sur la Tchétchénie, ni le droit des Russes de lutter contre le terrorisme. C'est, vous le savez, l'argument utilisé : il s'agirait d'empêcher « l'afghanisation » de la région.

J'ai redit au Président par intérim la nécessité de faire preuve de la plus grande retenue pour éviter, par l'engrenage de la violence, de nouvelles victimes civiles dans Grozny passée sous le contrôle des troupes russes. Je lui ai dit aussi le souhait de la France de voir se dessiner, pour la Tchétchénie un avenir politique au sein de la CEI, mais dans le respect de la volonté du peuple tchétchène. J'espère que la voix de la France, soutenue par certains pays européens, finira par être entendue.

J'ai trouvé M. Poutine dûment informé de ce que M. Fleutiaux était retenu en otage, et conscient de ce que sa libération, dans de brefs délais et en bonne santé, contribuerait à rendre sa crédibilité à l'action menée par la Russie, et j'ai eu le sentiment que mon intervention réitérée avait renforcé la motivation de mon interlocuteur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

M. Jean-Jacques Jegou - Ma question s'adresse à Monsieur le Premier ministre, qui me répondra s'il le veut bien.

Le Gouvernement a dû engager de difficiles négociations sur la réduction du temps de travail dans la fonction publique. Les syndicats concernés ont clairement fait savoir que cette négociation devait aussi avoir pour effet une augmentation des effectifs. Pensez-vous que cela soit compatible avec la présentation de l'évolution triennale des dépenses publiques faite par le Gouvernement à la Commission européenne ? Est-il, d'autre part, concevable et admissible que le Gouvernement décide seul de mesures dont l'application dépendra ensuite des collectivités locales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, sur quelques bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation - La réduction du temps de travail doit bénéficier, aussi, à la fonction publique, tout en respectant un double objectif : améliorer la qualité du service offert aux usagers et maîtriser l'évolution de la dépense publique.

Sur cette base, j'ai soumis à mes interlocuteurs un projet d'accord qui comporte deux volets complémentaires : un volet réglementaire qui précise un certain nombre de notions telles que celles de travail effectif, d'astreinte et le mode de décompte du temps de travail sur une base annuelle de 1 600 heures. En contrepartie, ce projet comporte un volet sur la politique des effectifs sur laquelle je suis déterminé à faire des propositions raisonnables. C'est ainsi que j'ai réaffirmé les engagements du Gouvernement en matière d'évolution des effectifs, au regard notamment de la courbe démographique de la fonction publique. Une augmentation des recrutements dans la fonction publique d'Etat permettra de garantir les renouvellements nécessaires et ma collègue Martine Aubry a déjà indiqué que le Gouvernement consentirait un effort particulier de création d'emplois dans les hôpitaux. J'ai, par ailleurs, l'intention de m'attaquer à la question récurrente de l'emploi précaire. L'Etat et les collectivités locales doivent montrer l'exemple et une série de dispositions permettront d'avancer dans ce domaine.

Plusieurs députés RPR - Ce n'est pas la question !

M. le Ministre - Le projet d'accord ainsi finalisé réalise un juste équilibre entre l'avancée sociale que constitue pour les fonctionnaires le passage aux trente-cinq heures et l'amélioration du service rendu à nos concitoyens. Quant au problème de l'équilibre budgétaire... (« Ah ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)... je tiens à redire que nous avons su depuis 1997 réduire les déficits publics tout en respectant nos engagements. Nous n'avons donc pas de leçon à recevoir en la matière (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste ; « C'est nul ! Zéro » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

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SURPLUS DE RECETTES FISCALES

M. Félix Leyzour - Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, vous allez annoncer cet après-midi à la commission des finances de notre assemblée le montant des recettes fiscales supplémentaires dégagées sur l'exercice 1999. Vous avez déjà donné quelques éléments de réponse mais le sujet est si important que personne ne s'étonnera que j'y revienne.

Ce surplus de recettes est le fruit de la croissance retrouvée et de la politique de relance. La question qui reste posée est simple : comment l'utiliser ? Nous considérons, pour notre part, que cette marge budgétaire ouvre des possibilités d'agir en amendant la loi de finances pour 2000 pour mieux prendre en compte la priorité nationale que constitue l'emploi. Si les résultats de l'économie sont bien meilleurs qu'en 1997... ( Quelques exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) il ne faut perdre de vue ni la fragilité de la conjoncture mondiale, ni le chemin qui reste à parcourir pour atteindre le plein emploi. L'heure est donc plus que jamais à la mobilisation de tous les leviers de l'action publique. Faut-il baisser les impôts et les charges ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Mais quels impôts ? Et au bénéfice de qui ? Et de quelles charges parle-t-on ? (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

Le débat est ouvert mais il serait dommage qu'il n'ait lieu que dans la presse (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Un député UDF - Il doit avoir lieu ici !

M. Félix Leyzour - Le groupe communiste propose que ces nouvelles recettes s'inscrivent dans un collectif budgétaire, qui permettrait de financer des dépenses urgentes comme l'augmentation des minima sociaux et le déblocage de certains crédits budgétaires pour les hôpitaux, l'éducation nationale ou la recherche. Il est aussi possible de conforter la relance par la consommation populaire, à travers des mesures fiscales telles que la baisse ciblée de la taxe d'habitation, l'allégement de l'impôt sur le revenu pour les tranches les plus basses ou le remboursement de la CSG aux familles modestes. Vous avez indiqué, Monsieur le ministre, que vous vouliez que ce surplus de recettes soit affecté en toute transparence. Pouvez-vous nous préciser si cela signifie bien que le Gouvernement a l'intention, dans les toutes prochaines semaines, de proposer au Parlement un projet de collectif budgétaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe UDF et du groupe du DL)

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - La politique économique, que vous soutenez, produit de bons résultats. La croissance progresse, le chômage recule et les Français consomment (Bruits sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Nous poursuivrons dans cette voie et nous l'avons annoncé dans le cadre de la programmation pluriannuelle des finances publiques qui fixe nos choix économiques jusqu'en 2003.

Nous croyons aux vertus de la transparence et du débat. Cet après-midi, nous annoncerons les chiffres définitifs de l'exécution budgétaire au titre de 1999... (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) soit moins de dix jours après la clôture de l'exercice, ce qui constitue une performance qui doit être saluée. Nous sommes favorables au débat et il aura lieu dans les prochains mois...

Plusieurs députés UDF - C'est trop tard ! Ici et maintenant !

Mme la Secrétaire d'Etat - Nous débattrons de la meilleure manière d'affecter ces recettes supplémentaires. Notre politique économique reste toute entière tournée vers la croissance, vers l'emploi et vers la réduction des inégalités et nous aurons une attention toute particulière pour les classes moyennes ou défavorisées que vous avez signalées à notre attention (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

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MOYENS DÉVOLUS À L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE

M. Bernard Outin - Monsieur le ministre de l'éducation nationale, la vie de la communauté éducative est traversée ces dernières semaines par de nombreux mouvements de protestations. Le personnel enseignant et non enseignant, les parents d'élèves et les élèves expriment leurs inquiétudes.

S'agissant de l'enseignement primaire, je vous rappelle que la principale raison pour laquelle le groupe communiste a voté le budget de l'enseignement scolaire pour 2000 tenait à votre engagement de maintenir l'effectif des enseignants alors qu'une baisse du nombre des élèves était prévisible. Avez-vous l'intention de revenir sur cette importante décision ?

Pour ce qui concerne la mise en place d'aides et d'actions de soutien individualisé dans les collèges et dans les lycées, nous considérons que ces initiatives constituent une avancée favorable à l'égalité des chances. Envisagez-vous de faire assurer cette mission, à la prochaine rentrée scolaire, par des créations d'emplois ou en recourant une nouvelle fois aux heures supplémentaires, ce système faisant l'objet de vives critiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire - Nous sommes actuellement en période de préparation de la carte scolaire. Il s'agit d'un exercice délicat puisqu'il consiste à donner des emplois là où les effectifs augmentent et à restructurer les établissements qui perdent beaucoup d'élèves. Le souci de la justice scolaire et de l'amélioration qualitative du système nous anime dans cette démarche et c'est pourquoi le Gouvernement a décidé, à la prochaine rentrée, de maintenir le nombre d'enseignants alors que l'effectif scolaire va diminuer d'environ 20 000 élèves. Cet engagement nous permettra en particulier de protéger les zones d'éducation prioritaire, là où les élèves ont le plus besoin de soutien, et les écoles rurales qui ont fait un effort de mise en réseau.

S'agissant du deuxième volet de votre question, un crédit de 240 millions a été mis en place pour l'aide individualisée aux élèves. Il y a là une mutation importante du système scolaire, puisqu'il s'agit de prendre en compte les différences entres élèves, de donner plus à ceux qui décrochent et d'encourager ceux qui s'accrochent. Elle sera rendue possible grâce au recours aux heures supplémentaires mais puisque le nombre d'élèves du second degré diminue alors que l'effectif des enseignants reste constant, l'aide individualisée sera aussi réalisée par la mise à disposition de postes d'enseignants. Soyez donc rassuré, Monsieur le député.

Le Gouvernement, qui a remis au premier plan de ses priorités le budget de l'Éducation nationale, est farouchement attaché au recul des inégalités scolaires et à la réussite de l'ensemble des élèves qui sont accueillis dans nos écoles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

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MISE EN CAUSE DE LA PAC

M. Eric Doligé - J'observe en préalable que M. Sautter n'a pas répondu à M. Auberger et que faire état de « bons résultats » alors que le déficit budgétaire dépasse 220 milliards n'est pas très raisonnable ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

De même, ni M. le Premier ministre, ni M. Zuccarelli n'ont réellement répondu à nos questions. Je suis également surpris de la réponse de Mme Parly car je ne pensais pas que la transparence était réservée à la Représentation nationale.

M. le ministre de l'agriculture, au printemps dernier, grâce à la détermination des autorités françaises, et en particulier du Président de la République, les chefs d'Etat de l'Union européenne sont parvenus au sommet de Berlin à un accord sur la réforme de la politique agricole commune. Celle-ci est aujourd'hui remise en cause par la Commission européenne, qui entend durcir l'accès aux aides, en particulier dans le domaine des céréales. Les nouvelles exigences des experts en technocratie sont de nature à menacer l'ensemble du dispositif d'intervention et d'aboutir, à terme, à un démantèlement de la PAC.

Elles vont également favoriser les Etats-Unis et tendent à handicaper lourdement l'un des secteurs les plus exportateurs de notre économie.

Allez-vous, Monsieur le ministre, vous contenter une nouvelle fois de dire non ou entendez-vous tout mettre en _uvre pour convaincre nos partenaires de refuser une telle réforme ? Votre attitude nous indiquera qui décide au sein de l'Union : les responsables politiques, les technocrates ou les Américains ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche - Vous avez souhaité évoquer à nouveau le déficit budgétaire et le niveau de la dette publique. Je dirai simplement : 200 milliards, c'est trop,... mais c'est mieux que les 340 que nous avons trouvés en 1997 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; vives protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) Les Français jugeront !

J'ajoute que quand on a doublé la dette publique par Français, la portant de 100 000 à 200 000 F entre 1993 et 1997, on n'est pas très bien placé pour donner des leçons... (Mêmes mouvements)

En ce qui concerne la PAC, vous avez raison, des décisions politiques ont été prises à Berlin. Elles doivent être appliquées. Or il arrive souvent que des fonctionnaires de Bruxelles tentent de rédiger des règlements européens qui remettent en cause ces décisions. Il est de notre devoir de l'éviter. Sur ce sujet comme sur d'autres, nous sommes très vigilants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20 sous la présidence de M. Forni.

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

vice-président

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PRÉSOMPTION D'INNOCENCE (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Au cours de la première lecture de ce projet, j'ai constaté, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, qu'il existait un très large accord sur l'objet principal de ce projet, qui est d'améliorer les droits des citoyens mis en cause par la justice. Sur tous les bancs, existe la volonté de permettre à ces personnes de se défendre en disposant d'armes égales à celles de l'accusation. Mais, bien entendu, nous avons eu des discussions et même parfois des divergences, sur les moyens d'atteindre cet objectif.

Pour clarifier le débat, éviter les malentendus, les faux-semblants et les non-dits, je rappellerai brièvement le raisonnement qui a guidé les grands choix de ce projet.

Quel que soit le système procédural, dans toutes les démocraties, les procédures pénales connaissent des points de passage obligés qui sont la recherche et la connaissance des faits constitutifs d'une infraction pénale, la mise en cause d'une personne, sa rétention pour les besoins de l'enquête, les investigations, la notification de charges, l'éventualité de la détention avant le jugement, le procès, enfin, le jugement. Celui-ci est l'aboutissement du processus et les phases qui le précèdent n'ont d'autre justification que de le préparer.

L'objectif de toute procédure pénale est d'organiser ces phases dans le respect du nécessaire équilibre entre la protection des droits des personnes mises en cause, d'une part, l'efficacité de l'enquête, d'autre part.

Je parlerai peu du procès lui-même qui suscite peu de critiques, même si la conduite de certains procès est quelquefois contestée. Je mentionnerai cependant un progrès considérable puisque cette deuxième lecture devrait permettre un accord sur l'appel des verdicts de la cour d'assises. Nombre d'entre vous ont, en première lecture, défendu avec force cette idée, en particulier Raymond Forni, Jacques Floch, Christine Lazerges et, bien sûr, Catherine Tasca. J'avais alors indiqué que j'y étais favorable et à deux conditions : d'abord, qu'émerge un accord sur un système d'appel tournant, moins coûteux en moyens humains que le système prévu par mon prédécesseur sur la base du rapport Deniau ; ensuite, que j'obtienne les postes supplémentaires de magistrats nécessaires à un tel projet. Ces deux conditions me paraissent remplies. Je suis donc très heureuse de proposer d'instaurer l'appel tournant du verdict des cours d'assises.

J'en viens à l'enquête, phase essentielle, où tout se joue, et qui a été au c_ur de toutes les réformes récentes de la procédure pénale, tant en France qu'à l'étranger, comme elle est au centre du présent projet.

Dans la phase d'investigation, trois principes fondamentaux m'ont guidée.

Premièrement, l'enquête doit être menée et contrôlée par un magistrat et non laissée à la seule initiative de la police. C'est là une différence radicale avec la procédure anglo-saxonne de type accusatoire, dans laquelle l'enquête est confiée à la police qui agit seule et dispose de larges pouvoirs d'initiative : par exemple, elle décide du placement en garde à vue, sans en référer à une autorité ; elle dirige et effectue seule l'enquête pendant toute la phase des investigations ; elle peut, sans contrôle d'un juge, perquisitionner au domicile d'une personne qu'elle vient d'arrêter, même sans son accord ; enfin, privilège déterminant, elle décide de l'opportunité de poursuivre l'enquête. La police dispose ainsi du pouvoir, celui de classer une affaire sans en rendre compte à une autorité, judiciaire ou autre.

C'est du reste pour corriger ces défauts qu'au Royaume-Uni, en 1985, a été institué le « Crown Prosecution Service ». Ce service, composé de fonctionnaires, n'a rien à voir avec un Parquet à la française. Il n'a pas le pouvoir initial de classement et dépend en cela de la police, qu'il ne dirige pas ni ne peut dessaisir. Ces faiblesses sont toujours soulignées en Grande-Bretagne, où le débat public sur ce point est très ouvert.

En France, la mission de contrôle et de direction de la police judiciaire est confiée à un magistrat : soit le procureur de la République, soit le juge d'instruction.

La décision sur les suites des investigations et l'opportunité des poursuites est exclusivement réservée au procureur de la République, qui exerce cette mission dans le cadre des directives de politique pénale adressées au Parquet par le Garde des Sceaux.

C'est le magistrat, procureur ou juge d'instruction, qui dirige, effectivement, la police judiciaire et donne des instructions précises pendant les enquêtes sur le choix des investigations, celui des personnes à interpeller et à lui présenter. C'est lui qui contrôle la garde à vue, peut y mettre fin ou en autoriser la prolongation. Sans ce magistrat, la police ne peut voir aboutir ses investigations.

Je suis convaincue qu'au regard des libertés individuelles, des garanties personnelles, il est préférable que les orientations essentielles de l'enquête soient confiées à un magistrat, parce que son statut garantit au justiciable son impartialité.

Deuxième principe : le magistrat chargé de l'enquête doit être le juge d'instruction pour les affaires les plus importantes, les plus graves, les plus complexes, bref, celles qui font l'objet d'une attention particulière dans tous les pays. En France, le procureur est saisi, au départ, de toutes les procédures et c'est lui qui décide de confier les plus graves à un juge d'instruction.

Il existe donc une complémentarité forte entre le parquet et le juge d'instruction. Loin d'être source de confusion, cette dualité est une garantie supplémentaire pour les justiciables puisqu'elle met en place une double clé : l'un ne peut rien faire sans l'autre. Le procureur de la République saisit le juge d'instruction et ne conduit donc plus l'enquête. Le juge d'instruction conduit l'enquête sans pouvoir se saisir seul ni étendre sa saisine sans acte du parquet.

Certains proposent de supprimer le juge d'instruction et de laisser le parquet, seul, conduire toutes les enquêtes , y compris dans les affaires les plus sensibles et les plus complexes. Il serait pourtant moins protecteur des libertés individuelles de concentrer dans les mêmes mains le pouvoir de choisir les faits poursuivis et les modalités de cette poursuite.

Une telle concentration des pouvoirs de saisine et d'investigation serait d'autant moins souhaitable que, si la réforme constitutionnelle relative au Conseil supérieur de la magistrature n'est pas votée, les textes actuels ne garantissent pas aux procureurs de pouvoir mener leurs enquêtes sans pression du pouvoir politique. Les magistrats du parquet demeurent, pour leur carrière, privés de garanties de nomination. Certes, ma pratique fait que depuis deux ans et demi, dans les faits, ces garanties existent. Mais tant que la Constitution ne consacrera pas la non-intervention dans les affaires individuelles et le respect absolu des avis du Conseil supérieur de la magistrature, il est pour moi inconcevable de retirer la conduite des enquêtes sur des faits graves ou complexes aux juges d'instruction. Car comment assurer les garanties dues aux justiciables quand la personne qui décide des infractions retenues, des moyens de l'enquête et des suites qu'il convient de lui donner, n'a pas les garanties d'indépendance que requiert un tel pouvoir ?

Mais même si cette condition était remplie, le Gouvernement opte résolument pour le maintien du juge d'instruction, magistrat du siège indépendant et qui ne peut pas s'autosaisir. Le système de contrepoids et de double clé, qui existe entre lui et le parquet et offre une garantie fondamentale pour le justiciable, est plus sain pour notre démocratie.

En France, comme ailleurs, une majorité d'enquêtes est conduite sans juge d'instruction. Dans ces affaires simples, où le suspect est renvoyé devant une juridiction de jugement, les garanties sont maintenues car le parquet doit saisir un magistrat du siège et ne peut jamais traiter une affaire seul.

Dans les affaires simples, comme dans les affaires complexes, la dualité du parquet et des magistrats du siège constitue une garantie pour le justiciable.

Le projet comporte par ailleurs de nombreuses dispositions favorisant, dans les affaires qui ne sont pas confiées au juge d'instruction, une amélioration des droits des citoyens : énoncé dans un article préliminaire des principes fondamentaux, droit à la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue, contrôle de la durée des enquêtes préliminaires, égalité des armes à l'audience dans toutes les affaires, protection de l'image des personnes menottées.

De plus, chez nous, le parquet, s'il choisit les peines et le type de procédure, ne dispose pas, contrairement à la pratique de certains pays, du pouvoir de négocier la peine ou la qualification des faits réservé aux seuls magistrats du siège.

Cette séparation me semble fondamentale : là aussi, les deux acteurs sont complémentaires et les garanties d'égalité de tous devant la justice plus fortes.

Cette dualité, loin d'être source de confusion, est au contraire une garantie supplémentaire car ce dialogue entre le parquet et les magistrats du siège organise des contre-pouvoirs qui s'équilibrent.

Troisième principe sur lequel se fonde ce projet de loi : encadrer de façon très stricte l'enquête du juge d'instruction de façon, d'une part, à donner un plus grand rôle à la défense, d'autre part, à confier à d'autres juges un pouvoir de contrôle des moments essentiels de l'enquête.

Le projet renforce de manière considérable le rôle de l'avocat : présence accrue en garde à vue, possibilité de demander des actes au cours de la procédure. Certains auraient souhaité que ce rôle devienne le même que dans la procédure anglo-saxonne où, l'enquête étant confiée à la police qui établit l'accusation, il revient à la défense de mener une contre-enquête, les oppositions entre les deux se découvrant à l'audience. Ce système est trop inégalitaire : pour mener une contre-enquête de type privé, il faut d'importants moyens dont tous les justiciables ne disposent pas.

Là encore, notre procédure, à condition de la perfectionner, est plus protectrice des libertés que la procédure accusatoire.

Ainsi, en Grande-Bretagne, la police, qui doit permettre la présence d'un avocat dès la première heure de garde à vue, si elle estime que cette présence risque de favoriser la destruction de preuves peut la refuser, quel que soit le type d'infraction. Notre projet au contraire ne prévoit d'exceptions à la présence d'un avocat dès la première heure que dans un nombre limitativement énuméré de cas, prévus par la loi.

En ce qui concerne les investigations, dans la procédure accusatoire, accusation et défense s'affrontent devant un juge qui doit les départager ; dans notre système procédural, un magistrat instruit, au nom de l'Etat, à charge et à décharge. Afin de garantir qu'il y parvienne effectivement, nous proposons d'en faire un juge arbitre impartial, en soumettant son action à l'appréciation du juge de la détention provisoire et de la chambre d'accusation ainsi qu'en donnant aux avocats la possibilité de demander des actes d'instruction.

Je comprends que certains s'interrogent, j'ai confiance dans la capacité des juges d'instruction d'utiliser les nouvelles possibilités que nous leur offrons.

Voilà pourquoi le Gouvernement a opté pour le maintien du cadre procédural français tout en réformant en profondeur notre procédure pénale afin de renforcer les justiciables tout au long de l'enquête. Je remarque d'ailleurs que les deux chambres du Parlement ont choisi de conforter notre système lors de l'examen du texte en première lecture, et je m'en réjouis.

Les choix essentiels qui ont conduit à l'élaboration de ce projet découlent d'une réflexion, d'une analyse de la réalité du fonctionnement judiciaire mais aussi de la prise en compte de notre histoire. Aussi bon que soit un texte que vaut-il sans l'adhésion de ceux qui ont vocation à l'appliquer ?

J'en viens aux grandes lignes du projet initial, tel que je l'ai présenté en conseil des ministres le 16 septembre 1998.

Les enquêtes préliminaires, conduites par la police sous le contrôle du parquet, sans possibilité pour les personnes en cause de pouvoir accéder à la procédure ou intervenir sur sa durée durent souvent trop longtemps. Il convenait de limiter leur durée. Il arrivait que des personnes mises en cause et parfois livrées à l'opinion publique, attendent des mois avant de connaître les suites données à leur affaire.

Le Gouvernement a donc souhaité instaurer, c'est une première, un contrôle de la durée des enquêtes, par le président du tribunal de grande instance, dans les mois qui suivent la garde à vue.

Celle-ci est une mesure grave qui est souvent la première atteinte à la présomption d'innocence et s'applique chaque année à plus de 400 000 personnes. La loi du 4 janvier 1993 apportait déjà des améliorations en permettant la présence de l'avocat à la vingtième heure. Le Gouvernement a souhaité renforcer ce contrôle en permettant à l'avocat de prendre contact avec la personne retenue dès le début de la garde à vue.

Par ailleurs, le déroulement de l'instruction est encore trop marqué par la procédure inquisitoire. Alors que le parquet dispose du droit de demander au juge d'instruction tous les actes qu'il estime utiles, le juge devant déférer à cette demande ou rendre une ordonnance susceptible d'appel, les mis en examen et les victimes ne disposent pas des mêmes droits. Il était nécessaire de placer la défense et l'accusation sur un pied d'égalité. Le projet prévoit donc d'instaurer le droit pour toutes les parties, de demander tous actes utiles : perquisitions, auditions, reconstitutions, confrontations, expertises et transport sur les lieux.

De même, les règles de procédure conduisent aujourd'hui à prononcer des mises en examen, alors qu'il pourrait entendre la personne sous un statut de témoin.

C'est pourquoi le Gouvernement propose de créer un statut de témoin assisté lequel, accompagné de son avocat, aura accès au dossier, contrairement au simple témoin. Ainsi les juges pourront réserver la mise en examen aux cas où elle est vraiment indispensable.

Pour ce qui est de la détention provisoire, il convient de distinguer ses deux formes : celle prononcée par une formation collégiale, après comparution immédiate, et pour une durée brève -600 personnes sont actuellement détenues après une telle procédure- et celle, décidée par un juge d'instruction pour une durée moyenne beaucoup plus longue, supérieure aujourd'hui à quatre mois -13 000 personnes sont détenues dans ce cadre. C'est celle-ci que se propose de traiter le projet de loi.

La détention provisoire doit demeurer exceptionnelle. Pour ce faire, le projet propose la création d'un juge de la détention provisoire, qui décidera de celle-ci sur proposition du juge d'instruction, la réduction des cas permettant le placement en détention provisoire et la limitation de la durée de la détention provisoire : en particulier, des délais seront institués en matière criminelle, ce qui est nouveau.

En ce qui concerne la durée de l'instruction, les dispositions actuelles sont parcellaires et inefficaces. La durée moyenne est actuellement de 16 mois et certaines procédures peuvent durer plusieurs années, ce qui est particulièrement choquant quand elles aboutissent à un non-lieu.

Le texte prévoit la fixation d'un délai par le juge d'instruction lui-même, d'une durée maximale d'une année. Passé ce délai, les parties peuvent à tout moment saisir la chambre d'accusation pour qu'il soit statué sur la poursuite des investigations.

J'en viens à la publicité des procédures. Le secret de l'instruction a été instauré, à l'origine, pour protéger les personnes mises en cause. Il s'agit d'un secret professionnel et non d'un secret absolu. Il s'applique uniquement aux magistrats et aux policiers, non aux parties, ni aux journalistes. Dans une société de plus en plus médiatisée, il se heurte évidemment aux nécessités de l'information. C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité permettre aux personnes mises en cause d'organiser, à leur initiative, la publicité autour de l'affaire qui les concerne en ouvrant des « fenêtres » de publicité aux divers stades de la procédure.

S'agissant du déroulement de l'audience, les parties ne sont pas non plus à égalité. Alors que le parquet peut poser, à tous les acteurs, toutes les questions qui lui paraissent utiles, les prévenus et les victimes sont obligés de s'en remettre au président de la juridiction. Désormais les parties pourront poser leurs questions directement sans l'intermédiaire du juge.

Ces avancées concernent tous les justiciables et démontrent la volonté d'une réforme profonde et globale.

Pour renforcer le droit des victimes, le projet initial comporte des avancées importantes dans trois directions : leur faire une place plus large dans le procès pénal, en facilitant notamment l'accès au procès et les modalités de représentation ; renforcer la dignité des victimes, par la création d'une infraction spécifique sur ce point ; améliorer leur indemnisation.

J'en viens maintenant aux modifications du texte intervenues au cours des débats parlementaires, en distinguant les amendements adoptés en première lecture avec l'accord du Gouvernement, ceux qui me paraissent inacceptables et, enfin, les amendements déposés pour la présente lecture.

L'Assemblée nationale a adopté en première lecture des dispositions essentielles en faveur des victimes, intégrant ainsi les propositions du rapport Lienemann. En outre, l'Assemblée a engagé un débat fructueux sur la détention provisoire et sur la question de l'appel des décisions des cours d'assises.

Des débats du Sénat, je retiens ceux qui ont porté sur la mise en examen et le témoin assisté, ainsi que l'amendement sur le principe de l'appel tournant des verdicts des cours d'assises.

Sur beaucoup de points importants, un accord est d'ailleurs intervenu entre les deux assemblées. Ont été ainsi votés en termes conformes les articles qui prévoient l'intervention de l'avocat en garde à vue à la première, puis à la vingtième heure ; la suppression de la garde à vue des simples témoins et la notification d'un « droit au silence ».

Les principales dispositions concernant les droits des parties ont également été votées conformes.

Un accord de principe est aussi intervenu sur ma proposition de création d'un juge de la détention provisoire, sur le respect d'un délai raisonnable, sur le contrôle de la durée des enquêtes préliminaires, sur le calendrier prévisionnel de l'instruction et les délais d'audiencement en matière correctionnelle et criminelle.

En matière de communication, sont votés conformes les articles qui tendent à éviter la prise de photo des personnes menottées, qui prévoient l'appel suspensif des référés en matière de presse, qui réglementent les communiqués du parquet et qui instituent des fenêtres de publicité.

Enfin, sous réserve de détails techniques ou rédactionnels, les principales dispositions concernant les victimes, ajoutées à l'initiative de votre rapporteur, ont fait l'objet d'un accord de fond.

Au total, l'Assemblée a adopté en première lecture 80 amendements de la majorité et 15 amendements de l'opposition avec l'accord du Gouvernement. Celui-ci a de son côté déposé 30 amendements.

Au Sénat, ce sont 47 amendements de sénateurs de droite et 15 amendements de sénateurs de gauche qui ont été adoptés avec l'accord du Gouvernement. Pour sa part, le Gouvernement déposait 20 amendements. Ainsi, les premières lectures ont permis la discussion et l'adoption, avec l'accord du Gouvernement, de 207 amendements. Je veux y voir un signe de l'esprit d'ouverture de chacun dans l'examen de ce texte.

En revanche certaines dispositions adoptées en première lecture par le Sénat me paraissent inacceptables.

Votre commission propose de les supprimer. Je l'approuve.

Il s'agit, en premier lieu, de dispositions de nature à porter gravement atteinte à la liberté de la presse, comme celles qui aggravent les peines de diffamation et portent de 3 mois à 3 ans la prescription en matière de presse.

Je pense également aux dispositions visant à créer des privilèges particuliers en faveur de certaines catégories, notamment des décideurs publics : garantie personnelle des fonctionnaires ou des élus, subordination des poursuites pénales les concernant à une autorisation du juge administratif, délocalisation de leurs procès.

Certes, la question de la responsabilité pénale des « décideurs publics », notamment pour des délits non intentionnels, soulève de vives discussions, ce qui m'a conduite à demander à un groupe de travail présidé par M. Massot de me faire des propositions sur le sujet. Le rapport de cette commission m'a été remis en décembre.

Le Premier ministre a posé le principe que l'institution de règles de procédures spécifiques aux décideurs publics n'est pas acceptable, car elle porterait atteinte au principe d'égalité. Aussi le Gouvernement a-t-il accepté l'approche de la proposition de loi déposée par le sénateur Fauchon, qui porte sur la définition des infractions non intentionnelles, et a été adoptée par le Sénat en première lecture. Il faudra en revoir certains points, mais elle a le mérite de présenter une solution unique pour tous les justiciables.

J'en viens maintenant aux améliorations que la seconde lecture va permettre d'apporter et qui sont proposées soit par le Gouvernement, soit par votre commission, soit sur initiative conjointe.

Conformément aux engagements que j'avais pris, notamment dans la lettre que j'ai adressée à l'ensemble des parlementaires, le 13 décembre dernier, j'ai déposé plusieurs amendements qui concernent essentiellement trois questions : la mise en examen, la protection de la dignité des personnes, la durée des instructions.

Actuellement la mise en examen peut intervenir, sur simple lettre recommandée, dès lors qu'il existe de simples indices laissant présumer la culpabilité d'une personne.

Cette situation n'est évidemment pas satisfaisante : il faut limiter la mise en examen aux cas où elle est vraiment nécessaire et la faire précéder d'un débat contradictoire. Dans le prolongement de la réflexion initiée par votre assemblée en première lecture -qui a limité la mise en examen aux cas d'indices « précis »- puis par le Sénat -qui a exigé des indices « graves ou concordants »- je propose de ne mettre en examen que les personnes contre lesquelles il existe des indices graves ou concordants « rendant vraisemblable » la culpabilité de la personne. L'expression « rendant vraisemblable » me paraît préférable à « laissant présumer » puisque la personne est « présumée » innocente.

Deuxième principe, le juge d'instruction ne pourrait procéder à une mise en examen sans organiser un débat contradictoire en présence de l'avocat de la personne. A l'issue de ce débat, il décidera soit de la mettre en examen, soit de l'entendre comme témoin assisté, soit comme simple témoin.

Troisième principe, la mise en examen ne devra intervenir que si le recours à la procédure de témoin assisté n'est pas possible.

Dans mon courrier du 13 décembre dernier, j'avais évoqué la mise en place d'un statut de « déclarant volontaire » qui permettrait à une personne autour de laquelle des investigations se multiplient de demander au juge d'instruction de l'entendre. J'ai préparé un amendement en ce sens. Je ne l'ai pas déposé, car je souhaite sur ce point, poursuivre les consultations. Je serais très intéressée par vos remarques à ce sujet au cours du débat.

Les dispositions du projet initial sanctionnant la diffusion de l'image d'une personne menottée ou de la représentation d'un crime ou d'un délit portant atteinte à la dignité de la victime, ont suscité des inquiétudes parmi les journalistes, les organes de presse et les photographes.

Je rappelle à nouveau que je suis fermement opposée à toute atteinte à la liberté de la presse. C'est pourquoi j'ai déposé plusieurs amendements qui définissent plus rigoureusement la portée des nouvelles incriminations.

En premier lieu, la diffusion de telles images ne constituera un délit que si elle est faite sans le consentement de l'intéressé. Si la personne menottée souhaite la diffusion de son image, par exemple pour revendiquer la commission de ses actes, ou si la victime estime que la diffusion de l'image du crime permettra de témoigner de son malheur, aucun délit ne sera constitué.

En second lieu, les poursuites ne pourront être engagées que sur plainte de la personne concernée.

Ces garanties me paraissent mieux concilier la protection de la réputation ou de la dignité des personnes et la liberté de la presse.

J'ai, d'autre part, déposé un amendement qui vise à améliorer les dispositions relatives à la durée des instructions, car il m'est apparu nécessaire de renforcer le texte que votre assemblée avait adopté. Je vous propose donc qu'au-delà de deux ans d'instruction, et même en l'absence de demande des parties, la rédaction d'une ordonnance, motivée au regard des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, soit rendue obligatoire.

Des amendements proches ont été déposés par votre commission, et je ne doute pas que les débats nous permettent d'aboutir.

Je partage le souci que certains d'entre vous ont manifesté et dont je me suis entretenue avec Jack Lang, de voir la France traduire en droit interne les conséquences des condamnations prononcées à son encontre par la Cour de Strasbourg... Il est juste de revoir une procédure dont il a été jugé qu'elle violait la Convention européenne des droits de l'homme. Mes services y travaillent, et je vous ferai prochainement des propositions à ce sujet.

D'autres améliorations résultent des propositions de votre commission. Ainsi, j'approuve les amendements qui étendent et précisent le statut du témoin assisté. En particulier, je crois très utile de lui donner des droits étendus mais plus limités que ceux de la personne mise en examen. Il convient en effet de distinguer clairement les deux statuts, sinon le statut de témoin assisté risque de perdre de son intérêt.

A propos de la détention provisoire, votre commission propose de rétablir la dénomination du juge de la détention provisoire, supprimée par le Sénat. J'approuve ce retour au texte initial.

Elle améliore encore le texte sur de nombreux points, qui reçoivent l'accord du Gouvernement, même si cet accord est parfois subordonné à certains aménagements.

Ainsi, votre commission propose que le juge de la détention, s'il ne s'agit pas du président du tribunal, puisse se voir confier par le président certaines de ses prérogatives en matière de procédure pénale ou « parapénale », en matière de contrôle de la rétention administrative des étrangers ou de l'internement des personnes atteintes de troubles mentaux. Cela sera très utile dans les grosses juridictions, et je suis favorable à cette proposition qui ne modifie pas les attributions des différents magistrats : président du tribunal, procureur de la République, juge d'instruction et juge de la détention provisoire.

Votre commission précise aussi très clairement dans quelles conditions le juge de la détention doit statuer après un débat contradictoire et rendre une ordonnance motivée.

Elle élève encore les seuils de peine au-dessus desquels le placement en détention est interdit et les fixe à trois ans d'emprisonnement en matière correctionnelle, suivant en cela la proposition du Sénat, qui avait mon accord. Elle élève ce seuil à cinq ans pour les délits contre les biens, ce qui recueille également mon accord si les infractions financières, et notamment les abus de biens sociaux, ne sont pas concernés.

Il reste à préciser l'application de ces seuils aux mineurs, puisque l'ordonnance de 1945 sur la délinquance juvénile prévoit de diviser par deux les peines encourues par les mineurs. Pour éviter tout flou à ce sujet, le Gouvernement souhaite indiquer que la peine prise en compte doit être celle que prévoit le code pénal et non celle qui peut être prononcée du fait de la minorité. Ce point, qui a donné lieu à de longues discussions avec votre rapporteur, devait être précisé.

Votre commission propose encore de limiter la durée de la détention provisoire à deux ans en matière correctionnelle et à trois ou quatre ans en matière criminelle. Le Gouvernement accepte cette position.

Je m'expliquerai lors des débats sur la proposition de votre commission concernant l'utilisation du placement des prévenus sous surveillance électronique. Il convient en effet de s'assurer que cette disposition est bien une substitution à la détention provisoire et non une nouvelle forme de privation de liberté venant mordre sur la liberté.

M. Pierre Albertini - C'est mieux ainsi.

Mme la Garde des Sceaux - Vous avez tenu compte de mes remarques sur ce point. Je parlerai de la détention des parents isolés d'un enfant de moins de dix ans, point sur lequel des amendements sont proposés.

Votre commission propose par ailleurs d'instituer l'enregistrement sonore des interrogatoires des personnes gardées à vue. Je suis favorable sans réserve à toutes les dispositions qui permettront un meilleur contrôle des garde à vue. Chacun se rappelle que la France a été condamnée récemment par la Cour européenne des droits de l'homme pour des violences commises sur la personne d'un gardé à vue. De tels faits ne sont pas acceptables dans une démocratie.

L'amendement propose un enregistrement audio des interrogatoires en garde à vue. A ce sujet, il convient de bien préciser l'objectif poursuivi : ou bien il s'agit de protéger la personne gardée à vue, et seul l'enregistrement vidéo continu de la garde à vue le permettra, ou bien l'objectif est de certifier les déclarations du gardé à vue et il convient alors de préciser le statut de cet enregistrement au regard de la procédure ultérieure et de mesurer les conséquences, pour l'intéressé, de la lecture à l'audience de l'aveu enregistré.

Sur plusieurs points, le Gouvernement, d'une part, votre rapporteuse et les membres du groupe socialiste siégeant à la commission, d'autre part, ont déposé des amendements identiques, ce qui montre, s'il en était besoin, notre communauté de vue sur la réforme de la procédure pénale. Par ailleurs, des amendements ont été déposés par votre rapporteuse qui anticipent des réformes que j'ai engagées. Je veux notamment parler de la juridictionalisation de l'application des peines.

J'avais, dès octobre 1997, annoncé en conseil des ministres mon intention de réformer la procédure d'assises. Je considère en effet que l'absence de recours des décisions des cours d'assises est un anachronisme. Toutefois, une telle réforme ne s'improvise pas, tant en raison de sa complexité juridique que des moyens qu'elle exige.

C'est pourquoi, depuis plus de deux ans, j'ai demandé à mes services de réfléchir aux différents scénarios envisageables et à leur coût respectif, et j'ai adressé aux parlementaires intéressés un document de synthèse.

Les trois budgets que vous avez adoptés et le renforcement des cours d'appel par l'arrivée de cent magistrats recrutés grâce aux concours exceptionnels que vous avez votés permettent d'affecter des postes à cette réforme.

Lors de l'examen du projet, en juin dernier, le Sénat a voté un amendement instituant le principe d'un appel tournant des décisions des cours d'assises. Je vous propose aujourd'hui le dispositif complet, dont l'objectif est de donner aux personnes condamnées pour crime le droit à une seconde chance.

On sait, d'autre part, que la nature -administrative ou judiciaire- des décisions du juge de l'application des peines prête à controverse. Avec l'amendement que votre rapporteuse a proposé, les décisions du juge seront entourées des trois garanties propres au procès judiciaire : le débat contradictoire, la motivation des décisions et l'appel devant la chambre correctionnelle de la cour d'appel.

Je reviendrai sur ce sujet en détail et j'évoquerai le rapport de la commission, présidée par M. Farge, conseiller à la cour de cassation, à ce sujet.

Je souhaite, enfin, rappeler l'engagement que j'ai pris de ne pas engager une réforme sans moyens. Les budgets pour 1998, 1999 et 2000 que vous avez votés, et je vous en remercie, ont permis de créer 422 postes de magistrats, soit autant que pendant la décennie antérieure.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Ça, c'est un changement !

Mme la Garde des Sceaux - Cent postes de juge de la détention provisoire ont été prévus. Ces créations de postes se sont accompagnées d'une augmentation de 14% des crédits, soit 3,4 milliards.

Je souhaite, en conclusion, remercier Christine Lazerges, votre rapporteuse, qui a fourni un travail considérable et qui est parvenue à l'améliorer tout en en conservant l'esprit. Elle a su trouver un équilibre entre de nombreuses propositions parfois difficilement conciliables. Je remercie également votre commission des lois, et notamment sa présidente, Catherine Tasca, dont l'investissement personnel a été l'une des clés des progrès obtenus au fil des mois.

Nous instituons, ensemble, une grande réforme qui apporte aux justiciables des protections jusqu'ici inconnues. Nous sommes tous conscients qu'il n'existe pas de procédure pénale idéale, car chacune doit réaliser un équilibre entre la protection des droits des justiciables et l'efficacité de l'enquête.

Comme pour toutes les grandes réformes, le succès de celle-ci dépendra de l'implication de tous : des magistrats bien sûr, et en particulier du juge d'instruction désormais placé en position d'arbitre impartial et qui devra réellement instruire à charge et à décharge, mais aussi des avocats, sur qui pèsent des responsabilités accrues.

Avec ce texte, nous contribuons à l'élaboration du nouveau modèle européen, qui résultera du rapprochement des procédures pénales de type accusatoire et inquisitoire.

Nous nous félicitons de ce travail collectif, mené depuis dix-huit mois, et qui constitue un progrès manifeste pour la démocratie en France (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

La séance, suspendue à 17 heures 15 est reprise à 17 heures 45.

Mme Christine Lazerges, rapporteuse de la commission des lois - Nous voici donc revenus à la réforme de la justice, par-delà les récents aléas politiques. Elle mérite mieux que cela, et il est temps pour l'ensemble des députés de s'y attacher sans arrière-pensée, comme nous y invite aujourd'hui la Garde des Sceaux, dont je tiens à saluer le courage. Cette réforme de la justice, quelle est-elle ? Elle comporte un premier volet qui s'est concrétisé par le vote de la loi du 18 décembre 1998 sur l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, et de la loi du 23 juin 1999 offrant des alternatives aux poursuites pénales. La transformation profonde de la procédure pénale fait l'objet du deuxième volet de la réforme, qui nous réunit aujourd'hui. Après la justice au service des citoyens, c'est la justice au service des libertés qui est en jeu.

Voté en première lecture en mars 1999 par notre Assemblée, le projet de loi procède d'un constat que la présomption d'innocence est trop souvent bafouée, que la place des victimes est trop souvent ignorée et que la justice est trop souvent critiquable par sa longueur et ses insuffisances. Traduction récente de cet état, un sondage récent indique que 56 % des Français sont peu confiants dans la justice. Faut-il se consoler en voyant que nos concitoyens sont encore moins confiants à l'égard du Parlement ? Sans doute pas. Face à cela, il convient de restaurer la confiance, en revenant aux sources de la procédure pénale, dans une perspective pratique : la liberté est le principe, l'innocence est présumée, la justice est au service de tous les hommes. Ce sont bien ces impératifs qui sont à l'_uvre dans le texte proposé.

Du point de vue procédural, le texte qui vous est soumis fait clairement entrer les phases de l'enquête et de l'instruction dans le contradictoire -« l'égalité des armes » selon la Convention européenne des droits de l'homme. Oublions la vaine querelle entre systèmes accusatoire et inquisitoire ; seul importe de savoir si la pluralité des points de vue peut s'exprimer sans nuire à l'efficacité de la procédure. La réponse apportée par le texte est affirmative. Dans cette perspective, le renforcement du « témoin assisté » est déterminant. Le statut de témoin assisté, c'est-à-dire d'une personne qui fait l'objet d'une accusation de la part d'un tiers, doit devenir la norme, lorsqu'il n'existe pas d'éléments suffisants pour procéder à une mise en examen. Le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le Sénat en sont d'accord. Pouvant être obtenu de droit, il permet d'avoir accès à l'ensemble du dossier et de bénéficier de certains droits dans la procédure, comme celui d'être confronté à son accusateur. Le renforcement du contradictoire se lit aussi dans la place faite aux droits de la victime. Informée systématiquement de ses droits à indemnisation, pouvant se constituer partie civile de façon radicalement simplifiée, épaulée sur l'ensemble du territoire par des associations au statut consolidé, la victime est bien désormais au c_ur de la politique pénale.

En deuxième lieu, l'encadrement des atteintes à la liberté d'aller et venir est considérablement renforcé au fil de la navette parlementaire. Il faut enfin restituer à la privation de la liberté son caractère tout à fait exceptionnel, sans nier pour autant son caractère parfois absolument nécessaire. Dans cette logique, la garde à vue sera limitée aux seuls suspects, à l'exclusion des témoins. C'est la concrétisation d'une échelle d'innocence simple : le témoin est totalement, simplement innocent ; le suspect, le témoin assisté et le mis en examen sont présumés innocents. De plus, des garanties sont apportées au déroulement de la garde à vue telles que l'intervention d'un avocat à plusieurs reprises et l'enregistrement des auditions.

Autre aspect fondamental, les mesures de détention provisoire seront doublement limitées. Elles ne pourront intervenir qu'à partir d'un certain seuil de peine -trois ans ou cinq ans. La durée de la détention provisoire ne pourra dépasser un délai préfixé de deux ans en matière correctionnelle, et de quatre ans en matière criminelle. Il s'agit d'un progrès considérable, là encore acquis à l'unanimité en commission des lois.

Le placement en détention provisoire a fait l'objet d'acquis considérables en première lecture avec l'instauration d'un juge de la détention. Il est en outre proposé d'élargir sa mission au contrôle d'actes aujourd'hui confié au président du tribunal de grande instance tels que la perquisition dans un cabinet d'avocat, la prolongation de la garde à vue en matière de terrorisme ou de trafic de stupéfiants ou le contrôle de la durée de l'enquête préliminaire. Dans la plupart des tribunaux, le président du TGI pourrait être ce juge. Ces mesures sont la marque que le juge de la détention a vocation à devenir une pièce maîtresse dans la défense des libertés.

En matière de détention provisoire, le principe d'un détenu par cellule est acquis. Il va de soi que sa réalisation exige des moyens conséquents. Nous serons attentifs à leur mise en place. Il est désormais acquis qu'un passage en prison n'est jamais anodin. A ce titre, toute détention provisoire abusive -en cas de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement- doit ouvrir droit à une indemnisation. Une juridiction est créée à cet effet. En pratique, le Premier président de la Cour d'appel sera compétent, avec possibilité d'appel devant la Cour de cassation. La dignité des personnes et la démocratie en sortiront grandies.

La « judiciarisation des peines », souhaitée par le Gouvernement et par le Parlement, parachève le dispositif. Les mesures décidées par le juge d'application des peines seront désormais des jugements à part entière. N'est-il pas normal de pouvoir faire appel lorsque l'on vous refuse une mesure de mise en liberté ?

Troisième élément, le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, qui marque un tournant majeur, rendu au surplus nécessaire par la Convention européenne des droits de l'homme. Pour les affaires ne faisant pas l'objet d'une instruction -soit la très grande majorité-, l'appel en matière de comparution immédiate devra désormais être jugé dans le délai de deux mois. Ce dispositif permet raisonnablement de lutter contre l'inertie, aux effets dévastateurs en matière pénale, tout en conservant la souplesse nécessaire.

Quatrième aspect, les rapports entre la présomption d'innocence et la liberté d'expression sont clarifiés. Le secret de l'instruction doit demeurer comme une barrière symbolique. La Garde des Sceaux rappelait d'ailleurs qu'il n'est que le secret professionnel s'imposant aux personnes qui « concourent à la procédure ». S'agissant des atteintes à la dignité des victimes ou des personnes poursuivies, notamment dans les médias -dont l'action est par ailleurs légitime-, leur sanction pénale sera désormais assurée. Mais dans un souci d'équilibre les poursuites seront subordonnées à la plainte des victimes elles-mêmes.

Enfin, dernier aspect et non des moindres, l'appel des décisions des cours d'assises constitue une révolution. Depuis des décennies, lequel n'entre nous n'a souhaité que toute personne condamnée puisse faire examiner sa condamnation par une autre juridiction ? A l'initiative du Parlement, la France va donc rejoindre la norme européenne grâce à cette réforme capitale.

Un fort bon projet est donc devenu, Madame la Garde des Sceaux, un excellent texte grâce à un dialogue permanent entre vous-mêmes, les services de la Chancellerie et les députés impliqués. Notre travail marque aujourd'hui une avancée considérable dans la définition du procès pénal avec les garanties qui l'accompagnent. En amont, il commence dès la garde à vue qui sort d'une zone d'ombre. En aval, il ne s'achève qu'avec le terme de l'exécution des peines, ultime phase où se joue la réinsertion du condamné et qui devient juridictionnelle.

Ce Gouvernement et ce Parlement n'ont pas une nouvelle fois « rapiécé » la procédure pénale. Ils l'ont revisitée de part en part. Il s'agit d'une étape essentielle dont les justiciables nous sauront gré, qu'ils soient témoin, suspect, témoin assisté, mis en examen, condamné, relaxé, acquitté ou victime. Il reste à mettre en _uvre les moyens nécessaires à sa réussite. Nous nous y emploierons.

Sans désarmer la répression, les libertés sont garanties. Sans nier les exigences de la procédure et la difficulté du travail des magistrats auxquels nous devons rendre hommage, le respect de la présomption d'innocence et le souci des victimes sont réaffirmés avec force. Voilà un grand texte de procédure pénale, un grand texte pour les libertés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Houillon - Ce texte nous revient après avoir été considérablement modifié, non seulement par le Sénat, mais surtout par nombre d'amendements de la majorité, qui en modifient la portée.

Ces nouvelles orientations, même si le texte reste trop souvent à mi-chemin, ont été à l'évidence inspirées par les suggestions que l'opposition avait faites en première lecture. Notre important travail de pédagogie en faveur de règles plus conformes à une conception moderne de la justice pénale et à la pratique européenne a donc porté ses fruits. Je pense à l'emprisonnement individuel, dont vous nous disiez, Madame la Garde des Sceaux, qu'il était inapplicable ; à l'enregistrement des interrogatoires de garde à vue auquel vous étiez défavorable sur le fond comme en raison de son coût. Je n'ai d'ailleurs pas bien compris tout à l'heure quelle était maintenant votre position, qui m'a toutefois semblé un peu moins défavorable qu'en première lecture. Je pense aussi au relèvement des seuils de peines encourues pour la mise en détention provisoire, auquel vous vous opposiez ; à l'abandon du critère de trouble à l'ordre public pour une prolongation de détention ; à l'encadrement du délai raisonnable ; à la création d'un recours contre les décisions des cours d'assises ; ou à l'encadrement de la détention provisoire ; ou encore à l'accélération des instructions.

Quant au c_ur du problème, l'atteinte à la présomption d'innocence par des mises en examen ressenties dans l'opinion comme une véritable déclaration de culpabilité avant jugement, nous suggérions de rapprocher le temps judiciaire du temps médiatique en rapprochant la mise en examen, la mise en accusation -c'est-à-dire le moment où des charges suffisantes sont réunies-, de l'audience de jugement, publique et contradictoire. A l'évidence, la majorité a jugé cette idée pertinente et, même si elle demeure timide par rapport à cette logique moderne, elle a compris qu'il fallait privilégier le statut de témoin assisté et restreindre les conditions de la mise en examen, ressentie plutôt comme une phase ultime de la procédure d'instruction. Même si la commission des lois n'a pas voulu encadrer ce système, nous espérons que la pratique répondra à notre attente.

Au total, si le texte est voté en l'état des travaux de notre commission des lois, il marquera, ce qui est rare, un réel progrès par rapport au projet initial du Gouvernement et pour la présomption d'innocence, une victoire du Parlement et une reconnaissance par la majorité de la pertinence des thèses que nous avions soutenues.

Je crains toutefois que des considérations politiques ne soient pas totalement étrangères à ce changement de pied radical de la majorité et du Gouvernement. En première lecture, nombre d'intervenants de la majorité avaient jugé le projet trop timide, conscients d'être en retrait par rapport à l'opposition et à sa vision moderne d'une justice pénale plus efficace et plus équilibrée sur ces questions de liberté, de respect du contradictoire, de droits de la défense, de transparence, d'ajustement de notre procédure aux textes européens. Il fallait donc rattraper le retard et c'est sans doute ce qui explique l'arbitrage qui a été rendu en faveur d'un texte profondément modifié.

Une distance importante subsiste toutefois entre l'affirmation du respect des principes de la Convention européenne des droits de l'homme et le respect effectif de ces principes. Il y a là un véritable problème culturel. On le mesure dans le vocabulaire : le juge de la détention aurait pu être le juge de la liberté, comme l'a suggéré Jack Lang ce matin, mais ses amendements ont hélas été repoussés. Mais surtout, ce juge de la détention est saisi par le juge d'instruction uniquement dans les cas où ce dernier souhaite la mise en détention provisoire. Le dossier arrive donc avec un pré-jugement de détention et le risque est grand, notamment dans les petits tribunaux, de voir le juge de la détention devenir le juge de la confirmation. Il n'y a pas un double regard, mais un regard orienté. On a coutume de dire que la chambre d'accusation est la chambre des confirmations. Cette fois, il n'y aura pas même de distance géographique entre le juge d'instruction et le juge de la détention. Vous devez donc absolument, pour respecter les principes du droit européen, qui est aussi notre droit positif, revenir sur ce dispositif, comme nous vous y avons invités.

En vérité, sous des pressions corporatistes, vous refusez, malgré la recommandation de la commission Truche, rejoignant celle de la commission Delmas-Marty, d'écarter totalement le juge d'instruction de la détention et du contrôle judiciaire. On voit pourtant se dessiner un nouveau statut de l'instruction qui ne supprimera pas le juge mais rendra plus claire sa mission, qui est d'instruire à charge et à décharge.

Il faut achever ce que vous avez commencé. Ce texte, en effet, n'ose pas séparer clairement les fonctions de juge et de procureur et les récents débats auxquels a donné lieu la réforme du CSM ont bien montré qu'il existait une confusion préjudiciable dans l'esprit du public entre ces deux fonctions. Est-il normal, par exemple, que l'accusation participe avec les juges à la composition prévisionnelle des audiences pénales et puisse ainsi choisir et son jour et son juge ? Il y a encore bien des progrès à faire pour aboutir à cette égalité des armes prévue par la Convention européenne.

En ce qui concerne le droit au délai raisonnable, des améliorations sont intervenues, mais leur effet reste très aléatoire alors que la lenteur extrême porte gravement préjudice à la présomption d'innocence et que la France est régulièrement condamnée pour dépassement de ce délai. D'ailleurs, parmi les affaires notoires qui font quotidiennement la Une des journaux, combien sont terminées ? Il serait bon qu'elles le soient dans des délais raisonnables.

Reste encore toute la matière des enquêtes préliminaires, qui représentent quelque 90 % des affaires pénales. Que le suspect soit ou non mis en garde à vue, il n'a pas accès à son dossier et le flou règne sur le déroulement de ces procédures, comme d'ailleurs sur la politique de classement sans suite.

Il est dommage, Madame la Garde des Sceaux, que vous ne soyez pas venue devant notre commission des lois nous faire part de votre position sur un texte largement remanié, sur les nombreuses questions qui demeurent en suspens, ainsi que sur les moyens financiers que le Gouvernement va mettre à votre disposition pour appliquer toutes ces réformes qui s'ajoutent à celle des tribunaux de commerce. Sans moyens, elles resteraient lettre morte.

En première lecture, mon groupe avait voté contre ce texte. Certes, celui-ci a considérablement évolué et il retient désormais l'esprit de nos suggestions, mais vous le laissez dans un costume trop étroit et ne permettez pas qu'il assure à notre pays une justice moderne. Compte tenu du progrès fait et pour vous encourager à faire mieux encore, le groupe DL s'abstiendra cette fois. Nous sommes prêts à continuer le travail d'explication et de pédagogie qui a déjà porté des fruits (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Alain Tourret - Notre Constitution a fortement contribué à réduire le rôle du Parlement, à faire des députés des godillots, au mieux des faire-valoir. Comment ne pas se réjouir aujourd'hui d'avoir contribué de manière significative, le plus souvent en accord avec le Gouvernement, à l'élaboration d'un texte novateur et protecteur des libertés ? Certes, le texte du Gouvernement était porteur de nombreuses avancées et le rapporteur et les membres de la commission des lois, souvent unanime, ont fait beaucoup.

Ce travail fructueux vient à point nommé, après le report du Congrès qui a pu donner l'impression que la réforme de la justice était remise à plus tard.

Nous revenons de loin ! Car avec 41 % de prévenus en détention provisoire, soit 21 366 personnes au 1er janvier 1997, la France semblait avoir renoncé à faire de la présomption d'innocence un des principes fondateurs de la République. Bien loin des 26 % des prévenus en détention provisoire en Belgique, des 25 % en Italie, des 24 % en Espagne, la France, régulièrement condamnée par les juridictions européennes, n'était plus ce modèle de droits de l'homme qu'elle a longtemps voulu être. La durée moyenne de la détention provisoire était passée de 3,2 mois en moyenne en 1986 à 3,9 mois en 1996. Que dire de 1 938 libérations intervenues en 1994 au motif d'acquittement, de relaxe et de non-lieu, avec seulement 28 indemnisations, d'un montant moyen de 42 000 F, une obole ? Que dire de ces atteintes inutiles et avilissantes à la dignité humaine : menottes, entrave, fouilles au corps, légales mais bien proches du viol de la personne ?

Oui, il fallait rompre avec la culture de la détention, avec la religion de l'aveu, avec ces moyens modernes de torture. Car qu'est-ce que la détention provisoire, si ce n'est le moyen le plus raffiné de la torture ?

Sans doute nous a-t-on souvent taxés de laxisme ou d'angélisme, mais nous sommes enfin revenus aux principes fondateurs de la déclaration des droits de l'homme. Les radicaux y ont contribué. Sur ce thème de la liberté et de la présomption d'innocence, ils seront toujours là pour rappeler que l'innocence est le principe, que tout emprisonnement injustifié est une tâche indélébile pour chacun d'entre nous.

Nous retrouvons dans ce projet les idées qui nous sont chères, en particulier la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, principe que nous avions adopté dès 1998 dans une proposition de loi tendant à limiter la détention provisoire. La garde à vue reste trop souvent une période de non-droit. Il est indispensable d'interdire tout ce qui est contraire à la dignité humaine. Par exemple, les fouilles au corps doivent avoir fait l'objet d'une autorisation préalable du procureur de la République. D'autre part, l'enregistrement des auditions est de nature à garantir les libertés.

Nous nous réjouissons aussi que la mise en examen ne puisse plus être prononcée qu'après l'audition du suspect. Ainsi en aurons-nous fini avec les lettres recommandées, aussitôt communiquées à la presse, façonnées pour les médias et conçues pour l'opinion.

En ce qui concerne la détention provisoire, le présent projet va plus loin que le texte initial. En particulier, les délais butoirs sont désormais fixés à deux ans en matière correctionnelle et à quatre ans en matière criminelle. La détention provisoire ne pourra plus être décidée lorsque la peine encourue est inférieure à trois ans pour les délits en général et à cinq ans en cas de délit contre les biens. Je me félicite d'avoir été entendu après m'être longtemps battu pour que ces seuils soient retenus. Je suis convaincu qu'ils seront efficaces pour éviter les détentions provisoires abusives. Il faut limiter le pouvoir du juge d'instruction définitivement marqué, comme le soulignait le premier président Truche, « par la culture de la détention ». A cet égard, l'amendement adopté à l'unanimité par la commission et visant à tenir compte de la présence d'enfants de moins de dix ans, après avis du juge des enfants, constitue un progrès essentiel.

En première lecture, Louis Mermaz avait réclamé l'attribution d'une cellule individuelle aux détenus provisoires. Nous nous sommes donné trois ans pour appliquer cette mesure et mettre fin à la honte que représentaient les prisons françaises à cet égard. Pourquoi ne pas y consacrer une partie des surplus budgétaires ?

A ces mesures essentielles, s'ajoutent deux amendements révolutionnaires. Le premier tend à prévoir un appel des verdicts des cours d'assises qui n'était jusqu'à présent pas possible en vertu des principes d'infaillibilité du jury populaire. Cette mesure nous satisfait, mais comment ne pas avoir une pensée pour tous les condamnés qui ne pourront en bénéficier alors qu'ils ont toujours clamé leur innocence ? Le second étend les pouvoirs du juge d'application des peines à l'égard des enfants condamnés à des peines inférieures à quatre ans.

Bien entendu, il n'est pas question, avec ces réformes essentielles, de priver l'Etat de son droit de sanction, car la répression est indissociable de sa mission, mais celle-ci impose que les droits des individus soient préservés.

Hommes et femmes politiques, nous protestons contre les décisions des juges lorsqu'elles nous paraissent injustes. Mais que dire du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, qui ont progressivement pénalisé tous les aspects de la vie ? Plus de dix mille textes sont assortis de sanctions pénales très lourdes ! Cette situation kafkaïenne ne peut persister dans un pays dont aucun citoyen n'est censé ignorer la loi. Il est urgent que nous dépénalisions de nombreux textes qui, le plus souvent désuets, devraient être abrogés.

Nous nous féliciterons de l'adoption de ce projet amendé par le Gouvernement lui-même et par notre Assemblée. Mais n'oublions pas que les grandes réformes de société ne sont durables que si elles sont portées par une majorité de députés dépassant les clivages politiques traditionnels. Le débat en commission a montré qu'une telle majorité d'idées existe sur ce projet. J'espère qu'il en sera de même en séance publique.

Ce texte fondateur constituera alors un modèle français de l'Habeas Corpus que les députés radicaux approuveront sans réserve (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Patrick Devedjian - Le 6 octobre 1992, un autre gouvernement socialiste nous soumettait une autre réforme de la procédure pénale, dont l'exposé des motifs affirmait : « De la garde à vue jusqu'au renvoi devant la juridiction de jugement, le code de procédure pénale suscite critiques et réserves. Le présent projet... a pour objet de remédier aux défauts et aux insuffisances qui apparaissent aujourd'hui ». Le Garde des Sceaux de l'époque, Michel Vauzelle, s'exclamait avec ravissement : « C'est une grande réforme qui vous est soumise » et il assurait à propos de la garde à vue, que ce dispositif constituait « la plus profonde réforme depuis l'instauration du code de procédure pénale » ! Sur la présomption d'innocence, il y avait, à l'en croire, « une avancée considérable pour la patrie des droits de l'homme et des libertés fondamentales » !

Pourquoi, Madame le Garde des Sceaux, revenir sept ans après nous assurer, avec la même immodestie, que vous allez nous guérir d'un mal que votre parti prétendrait avoir définitivement éliminé ?

Mme la Garde des Sceaux - Vous avez abrogé le texte !

M. Patrick Devedjian - D'où vient votre assurance alors que vous nous offrez toujours les mêmes expédients ?

D'où vient que persiste ce que le professeur Delmas-Marty dénonce, dans Le Monde du 2 février 2000, comme « une dérive infernale » qui « complique encore une procédure devenue inapplicable par les praticiens et incompréhensible même aux juristes » ?

Votre projet est dénoncé par toutes les personnes averties, à commencer par M. Badinter, comme l'ultime rapiéçage d'un système à bout de souffle qui conduit le législateur à bégayer.

Le reproche essentiel est là : vous ne voulez pas changer cette logique de l'inquisitoire qui fait de l'Etat la valeur suprême. Là est votre faute, là est votre démission devant les lobbies. Vous croyez qu'il suffit de s'attaquer aux mots sans toucher aux ressorts internes. La fascination qu'exerce sur vous le vocabulaire est votre grande faiblesse. Ainsi, en 1992, l'inculpation devenait la mise en examen. M. Vauzelle déclarait : « Le prononcé de l'inculpation, s'il est rendu public, porte gravement atteinte, souvent de façon irrémédiable, à l'honneur et à la réputation de personnes qui n'ont pas encore été jugées et qui, par la suite, peuvent bénéficier d'un non-lieu. Quelle injustice ! » Mais qu'avez-vous changé ? Que croyez-vous encore changer réellement en vous en prenant aux photographies ? L'obsession des apparences est la seule logique de votre projet.

Il faut beaucoup d'inconséquence pour affirmer, comme vous l'avez fait le 23 mars 1999, Madame le Garde des Sceaux, que le Premier ministre s'est plusieurs fois refusé, notamment lors de ses v_ux à la presse pour 1999, à toutes mesures conduisant à limiter la liberté d'expression et annoncer, quelques minutes après, la création de quatre nouveaux délits de presse ! ,J'avais vainement dénoncé, en première lecture, le grave danger que présentent ces interdictions. Il faudra désormais regarder les télévisions étrangères pour voir des images que nos chaînes n'auront plus l'autorisation de diffuser.

Il n'est même pas prévu d'exception pour les crimes de guerres et les crimes contre l'humanité. On ne pourra plus confondre les négationnistes de la Shoa en leur montrant les cadavres décharnés d'Auschwitz. Je ne pourrai plus mettre sous les yeux de M. Védrine, qui le conteste, les photographies des alignements de victimes du génocide arménien. On ne pourra plus dénoncer les crimes de guerre de la Bosnie, du Kosovo ou de Grozny. Certes, telle n'est pas l'intention du Gouvernement, mais ce sera le résultat de sa compassion démagogique !

En ce qui concerne la présomption d'innocence, cette réforme évite soigneusement le problème essentiel de la détention provisoire. Or, chaque année, près de 2 000 personnes sont incarcérées qui seront ensuite reconnues innocentes. Il ne suffit pas de limiter le droit de mise en détention provisoire ; il faut entourer cette mesure des mêmes garanties que la condamnation elle-même (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Présidente de la commission des lois - Quelle démagogie !

M. Patrick Devedjian - Je comprends que cela vous gêne. Vous êtes habitués à être encensés !

Mais qu'on entre en prison par l'ordonnance secrète d'un juge ou par une condamnation publique, la prison et la souffrance restent les mêmes. En fait, la mise en détention provisoire est le dernier avatar de la lettre de cachet. A droite, nous pensons que la liberté est si précieuse que nous en sommes tous les garants. Ainsi, personne ne doit en être privé sans que nous puissions tous contrôler les conditions de cette privatisation... (Rires sur les bancs du groupe socialiste) je veux dire privation.

Mme Frédérique Bredin - Quel lapsus !

M. Patrick Devedjian - Selon votre projet, le juge d'instruction devra désormais saisir le juge de la détention mais il gardera le droit de décider seul de la mise en liberté. On lui reprochait de pouvoir dire : « Parlez, ou je vous mets en prison » ; désormais il pourra dire : « Parlez, et je vous mets en liberté ». Encore une fois, votre réforme est essentiellement celle du vocabulaire. Vous aboutissez à ce non-sens juridique qui consiste à confier au juge la réquisition de la détention qui appartient normalement au parquet. Que de contorsions pour ne rien changer tout en se donnant l'air de la modernité !

Certes, tous les juges d'instruction n'agissent pas ainsi, mais il suffit qu'un seul le puisse pour que le système soit dangereux.

Quand on lit sous la signature d'un Premier président de la Cour de cassation que le reproche fait au juge de détenir pour faire pression est parfois fondé, le citoyen moyen a de quoi frémir ! Et après avoir fait ce constat, le rapport Truche conclut que le pouvoir de mettre en détention doit être séparé de celui d'enquêter et souhaite l'intervention d'une collégialité dont le juge d'instruction serait exclu.

L'hypocrisie habituelle consiste à prendre prétexte des difficultés matérielles de la collégialité pour refuser d'exclure le juge d'instruction de la procédure de mise en détention. Mais, si vous n'avez pas les moyens de l'un, c'est parce que vous n'avez toujours pas eu le courage d'aborder la réforme de la carte judiciaire, pas plus, du reste, que ne l'avaient eu les gouvernements précédents. Mais ayez au moins le courage de résister au lobby des juges d'instruction en les excluant de la procédure de mise en détention. A défaut, il n'y aura pas de véritable respect de la présomption d'innocence.

Personne ici ne demande la disparition du juge d'instruction, mais seulement la fin d'un mélange des genres. Le juge d'instruction est un enquêteur avec toute l'incertitude que cette tâche comporte ; il ne peut donc être le juge impartial qui pèse les charges. La détention, même provisoire, ne peut être légitimée par les nécessités de l'enquête, car celle-ci est bien souvent à géométrie variable. Ce qui est vrai aujourd'hui ne l'est plus demain, car, comme l'écrivait Balthazar Gracian, « la vérité arrive toujours la dernière, et fort tard, parce qu'elle a pour guide un boiteux qui est le temps ».

En réalité, sous prétexte d'un double regard, on revient au code d'instruction criminelle de 1808. Le juge d'instruction était alors associé à une formation collégiale pour instaurer un triple regard. En fait, le juge d'instruction, seul réel connaisseur du dossier, réussissait à faire prévaloir son point de vue auprès de ses deux collègues. En 1856, on a considéré que leur présence était devenue inutile et coûteuse en emplois. On les a donc supprimés. Arriverons-nous un jour à ne plus bégayer ?

Pour le reste, je conviens volontiers que votre ravaudage fera illusion quelques petites années, comme la réforme du 4 janvier 1993 dont la gauche s'est gargarisée.

Mme Frédérique Bredin - Badinage !

M. Patrick Devedjian - 1993, 2000, la longévité des réformes diminue ! Nous voudrions, nous, reconstruire pour plus longtemps !

Le Gouvernement et la majorité socialiste ont repris à leur compte entre la première et la deuxième lecture quelques-unes des propositions de l'opposition. Des députés socialistes disent même que le Premier ministre leur a donné raison contre la Garde des Sceaux, qui a été désavouée. Bien entendu, ces propositions sont présentées désormais comme émanant de la gauche alors qu'elles viennent de nos rangs. Peu importe, nous ne réclamons pas de droit d'auteur : seul compte l'intérêt de notre pays.

Notre refus aura donc été utile alors que se répandait une vaine propagande selon laquelle l'opposition ne serait pas raisonnable.

L'indignation feinte ou réelle de la majorité devant notre opposition était telle que nous aurions pu nous demander si le Gouvernement n'allait pas nous envoyer les gendarmes. Mais sans opposition, il n'y a pas de démocratie et le consensus mou fait le lit des extrémismes. Ne comptez pas sur nous pour cela. D'ailleurs, quand nous nous opposons, le Gouvernement fait des efforts ; nous continuerons donc à nous opposer.

Oui, c'est bien d'accepter enfin que l'avocat puisse être présent dès la première heure de garde à vue... comme c'est le cas dans tant de pays qui n'ont pas la prétention de donner des leçons au monde. Mais ce serait beaucoup mieux qu'il ne soit pas seulement là pour faire illusion ou pour remplacer une assistante sociale, mais qu'il puisse accomplir sa véritable mission : conseiller utilement en ayant connaissance des charges, contrôler réellement en assistant aux interrogatoires.

La garde à vue a été instaurée en 1897 quand la loi a autorisé l'avocat à être présent devant le juge d'instruction. Elle devait permettre d'éloigner l'avocat pendant un moment pour avoir le suspect à sa main. Cet éloignement de l'avocat est une des formes de la raison d'Etat. Il aura fallu un siècle pour qu'il revienne. Et le travail n'est pas achevé

Je peux comprendre, Madame le Garde des Sceaux, votre hostilité à un système accusatoire ; je préfère, moi aussi un système contradictoire. Mais je n'aime pas vos propos contre les avocats qui seraient, selon vous, l'instrument d'une inégalité entre riches et pauvres. Sachez que le système judiciaire anglais, accusatoire, consacre à l'aide juridictionnelle dix fois plus que la France. Pensez aussi à Gambetta, auquel aime à se référer le Premier ministre, et qui disait que « celui qui n'aime pas les avocats n'aime pas la liberté ». Alors que nous souhaitons tous que les pauvres soient aussi bien jugés que les riches, force est de constater que les riches sont aussi mal jugés que les pauvres. Voilà bien votre triste égalité, celle qui abaisse !

Je serais tenté de dire que le socialisme, c'est l'enfer, parce qu'il est pavé de bonnes intentions. Qu'elles sont nombreuses dans ce texte qui cherche à plaire à tout le monde et tout de suite ! Le résultat est l'édification, encore une fois, d'usines à gaz, désormais les seules à s'installer sur le territoire français.

Ainsi de la limitation de la détention provisoire, intention louable s'il en est. Celui qui encourt de dix à quinze ans de prison -c'est le cas par exemple de celui qui tombe sous le coup de l'article 22-1 du nouveau code pénal pour avoir commis « des actes de torture ou de barbarie » sur autrui- ne pourra rester en détention provisoire plus de deux ans. Or la durée moyenne d'une instruction criminelle dépasse aujourd'hui seize mois et la complexité croissante des procédures ne ralentira pas cette évolution. Reste donc huit mois pour passer devant la cour d'assises, puis la cour d'assises d'appel, désormais prévue, et la Cour de cassation si pourvoi a été interjeté, à supposer que celle-ci ne casse pas. Qui peut croire que tout cela puisse être fait en deux ans ? De dangereux criminels seront automatiquement remis en liberté du seul fait que la procédure aura dépassé ce délai.

De même, la mise en examen par lettre est supprimée. Elle présentait l'avantage relatif de la discrétion, mais elle avait l'inconvénient de ne pas expliquer suffisamment les charges reprochées. Le remède préconisé est pire que le mal alors qu'il eût suffi de demander que la lettre de mise en examen précisât les charges.

L'institution d'un débat préalable à la mise en examen est une lourdeur qui ralentit encore les procédures sans offrir de garantie sérieuse au justiciable. Quand le juge d'instruction convoque, son opinion est faite. Ce débat ne changera rien ni pour la mise en examen ni pour le placement en détention provisoire.

En revanche, alors que la mise en examen créé un véritable préjudice, tandis que l'accusation n'est pas encore établie et que parfois elle ne le sera jamais, il n'est pas permis d'en faire appel et elle n'est pas considérée comme un acte juridictionnel mais comme un simple acte administratif. M. Balladur, dont nous aurions pu penser que vous l'écouteriez, avait pourtant formulé deux propositions de nature à faire évoluer le système actuel en profondeur : d'une part, la suppression de la mise en examen et la généralisation du statut de témoin assisté, d'autre part, l'instauration d'un tribunal des libertés donnant la garantie d'un acte juridictionnel. Vous ne les avez pas reprises.

Au demeurant, vos rustines ne dureront qu'une saison alors même que la situation n'est plus tolérable. Il nous faudra bâtir une justice nouvelle dont les principes se dégagent déjà de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. La justice s'achemine vers un modèle européen que vous n'apercevez toujours pas. Ce projet traduit une fois de plus de l'immodestie et sera celui des occasions manquées. Il reste à l'opposition qui, je le reconnais, n'a pas toujours été à la hauteur de son devoir, à faire preuve de patience et d'humilité. Vos échecs réitérés ont pour nous une vertu pédagogique : ils nous aident à devenir meilleurs (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Frédérique Bredin - Les Français ont une très mauvaise image de leur justice, qu'ils jugent trop complexe, trop lente et trop chère. Quant à la justice pénale, ils la trouve insuffisamment respectueuse de la dignité humaine et de la présomption d'innocence, à laquelle chacun a pourtant droit selon les principes fondateurs mêmes de notre République. 21 000 personnes se trouvent actuellement en détention provisoire, c'est-à-dire sont emprisonnés avant d'avoir été condamnées.

La défiance qui s'ensuit envers la justice n'est pourtant pas une fatalité. Ainsi, dans dix des quinze pays de l'Union européenne, les citoyens ont confiance dans la justice de leur pays : c'est le cas en Europe du Nord, mais aussi en Allemagne et au Royaume-Uni. La France, elle, se situe à l'avant-dernière place, derrière l'Italie, pourtant si critique envers ses institutions, et juste devant la Belgique, encore traumatisée par de récentes affaires judiciaires. A nous d'agir pour rétablir la confiance de nos concitoyens dans la justice.

Ce texte sur la présomption d'innocence est une belle histoire. Pour ceux qui croient au travail du Parlement, d'abord, puisque de lecture en lecture, son rôle s'est affirmé. Pour ceux qui croient en la justice, ensuite, puisque de lecture en lecture, le texte a été rendu plus soucieux de la dignité humaine, du respect de la présomption d'innocence, de la qualité de la justice au quotidien. Belle et grande réforme de la justice donc que celle que nous aurons élaborée ensemble !

Les réactions de l'opposition seront mitigées -je laisse de côté les propos caricaturaux de M. Devedjian. Elle jugera sans doute le texte bon mais insuffisant ou inachevé. Il faut dire que la droite s'est pris les pieds dans le tapis s'agissant de la réforme de la justice, comme souvent d'ailleurs s'agissant des réformes de société. Ainsi la droite a-t-elle été d'abord défavorable à la parité, avant de l'être un peu moins et de finalement voter pour, même si la présidente du RPR est contre... Les Français ont du mal à comprendre ! De même, la droite fait-elle semblant d'être favorable à la limitation du cumul des mandats tout en votant contre et en expliquant aux Français qu'elle est pour. Là encore nos concitoyens ont du mal à comprendre !

Et sur la justice, sa position est encore plus incompréhensible. Elle a en effet refusé en janvier 2000 de voter la réforme du CSM qu'elle avait votée en juin 1998 alors même que pas un mot n'avait été changé au texte. Il lui a donc fallu expliquer ce revirement que seul expliquent pourtant des considérations politiciennes. Les textes n'étaient pas connus, a-t-elle prétendu.. Ils l'étaient depuis deux ans ! Le texte sur la présomption d'innocence n'était pas suffisant. Etait-ce vrai ou s'agissait-il d'un prétexte ? Nous allons le savoir aujourd'hui.

Ce texte n'est sûrement pas parfait. Qui oserait prétendre qu'un texte sur les libertés publiques est suffisant pour son époque ? Mais il constitue un progrès indéniable puisque nous allons en finir avec les archaïsmes de notre procédure pénale, indignes d'un pays qui se réclame des droits de l'homme.

M. Alain Tourret - Très bien !

Mme Frédérique Bredin - Gardes à vue mal contrôlées dans des conditions indignes, détentions provisoires abusives et excessives, triomphe de la présomption de culpabilité plutôt que d'innocence, instructions interminables, procédures criminelles sans possibilité d'appel : autant d'archaïsmes que ce projet de loi fera disparaître.

Permettez-moi de retracer brièvement l'histoire de ce texte et de ses améliorations successives.

Le Gouvernement avait proposé la présence d'un avocat dès la première heure de garde à vue, avancée considérable. En première lecture, le Parlement a décidé que l'avocat pourrait revenir à la 20ème et à la 36ème heure, et que seuls les suspects pourraient désormais être entendus en garde à vue. En deuxième lecture, nous proposerons l'enregistrement sonore des gardes à vue.

Le Gouvernement avait proposé l'instauration d'un juge de la détention, avancée fondamentale sur la voie de la collégialité que nous sommes nombreux à réclamer. En première lecture, les députés ont proposé une indemnisation systématique pour les personnes placées en détention alors qu'elles bénéficieront ultérieurement d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement. A l'initiative de Jacques Floch, ils ont voté le principe selon lequel chaque détenu doit être emprisonné dans une cellule individuelle.

Pour cette deuxième lecture, nous proposons d'encadrer encore davantage la détention provisoire en instaurant des seuils plus élevés et des délais butoirs. Avancées également que le bracelet électronique comme modalité d'exercice de la détention provisoire et l'accélération des délais de jugement et d'appel en cas de comparution immédiate.

Sur la présomption d'innocence, le texte initial comportait une innovation considérable : la création du statut de témoin assisté pour avoir accès au dossier. En deuxième lecture, le Gouvernement nous propose à nouveau une avancée importante, l'entretien préalable à toute mise en examen.

Pour en finir avec les instructions qui durent 5 ou 7 ans, notre rapporteuse propose un véritable contrat de procédure.

Enfin, point essentiel, la réforme des assises. Voilà des années que nous menons ce combat pour le double degré de juridiction...

M. Alain Tourret - Très bien !

Mme Frédérique Bredin - ...contre cette injustice qui veut qu'il y ait un droit d'appel pour les petits délits, mais pas d'appel pour les condamnations les plus lourdes. Après tant de tentatives manquées, de belles déclarations jamais suivies d'effets, nous y sommes enfin aujourd'hui, avec cet appel tournant -une réforme indispensable et qui fera date ! Merci Madame la Garde des Sceaux, merci chers collègues pour cette belle réforme qui nous donnera le sentiment précieux de ne pas être inutiles à la justice de notre pays (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Pierre Albertini - Inutile de souligner combien la justice est au c_ur du pacte social, combien sa fonction de régulation irremplaçable doit nous inciter à aborder cette réforme sans esprit partisan. Les attentes des Français en la matière sont considérables : depuis vingt ans les enquêtes d'opinion montrent une constante dégradation de leur perception de la justice et un sondage publié il y a huit jours reflétait bien les critiques des justiciables : justice trop lente, trop complexe, parfois trop coûteuse et trop souvent indifférente aux droits de la personne.

Nous abordons donc de manière à la fois constructive et vigilante la deuxième lecture d'un texte qui vise à renforcer la présomption d'innocence et les droits des victimes.

Nous avions trouvé le projet initial très insuffisant et j'avais parlé de propositions « cosmétiques ». Nous nous étions prononcés contre cette première version.

Mais entre la première et la deuxième lecture, des améliorations incontestables ont été apportées et je salue l'excellent travail de Mme la rapporteuse, ainsi que l'excellent climat en commission des lois.

Ces améliorations justifient a posteriori qu'on ait pris un peu plus de temps pour opérer cette réforme et justifient également le report du Congrès (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Encore un petit effort, Madame la Garde des Sceaux, et nous allons parvenir à un équilibre beaucoup plus protecteur des droits de la personne ! (Sourires sur divers bancs)

Je voudrais souligner les quatre principales améliorations par rapport à la mouture initiale de la réforme.

La première concerne l'encadrement des pouvoirs du juge d'instruction. L'élargissement du statut de témoin assisté et l'audition préalable en présence d'un avocat et après accès au dossier marquent un incontestable progrès, le juge d'instruction étant souvent tenté d'instruire plus à charge qu'à décharge. Mais n'oublions pas que 93 % des affaires échappent à la procédure d'instruction...

La deuxième amélioration importante concerne les conditions de la garde à vue. Nous avions défendu farouchement l'enregistrement sonore des interrogatoires car cela nous semblait capital pour la compréhension de la situation de la personne en garde à vue. Nous avons eu satisfaction et c'est une garantie supplémentaire pour les droits des justiciables. L'indication, dans le procès-verbal, des questions posées est aussi une avancée significative.

J'espère qu'au terme de cette réforme de la garde à vue, que nous avons été nombreux à proposer, l'intégrité physique et morale de la personne sera mieux respectée.

Troisième amélioration, la limitation du recours à la détention provisoire et de sa durée. Notre collègue Alain Tourret a été, sur ce plan, d'une exceptionnelle fermeté et je l'invite à poursuivre ce juste combat. Le bracelet électronique, conçu comme une alternative à la détention, le relèvement des seuils de peine, la limitation de la durée de la détention provisoire, la suppression de la notion d'ordre public sont des éléments très positifs, d'autant qu'on sait qu'il y a des abus dans le placement en détention et que c'est là une des raisons de la surpopulation carcérale.

Enfin, amélioration attendue depuis très longtemps, l'organisation d'un appel tournant en matière criminelle. Nous l'avions évoqué en 1997 ; vous l'avez repris, Madame la Garde des Sceaux et le Sénat l'a voté en première lecture. Ce n'est pas encore un véritable appel, mais c'est une première étape intéressante et qui devrait mettre fin aux critiques récurrentes que la Cour européenne de Strasbourg vous adresse à ce sujet.

J'exprimerai cependant un doute. La présomption d'innocence sera-t-elle significativement renforcée par ce texte ? La réponse reste incertaine, il faut le reconnaître. Certes, nous adhérons au recours accru à la notion de témoin assisté pour rendre plus exceptionnelle la mise en examen. Mais quelle perception l'opinion aura-t-elle de ces diverses notions -témoin, témoin assisté, mis en examen ? Où le curseur s'arrêtera-t-il entre présomption d'innocence et culpabilité vraisemblable ?

En tout cas, il serait injuste de faire, sur ce plan, un procès aux médias. Ce n'est pas la manière dont la presse relate ces affaires qui est en cause.

Ce qui compte, c'est la manière dont l'opinion reçoit les informations. C'est dire, aussi, la nécessité, pour les journalistes, de respecter la déontologie et de faire _uvre pédagogique.

Le premier texte présentait une tendance fâcheuse à vouloir brider la liberté de la presse et à restreindre la portée de la loi de 1881. Dans ce domaine, on le sait, la plus grande prudence est de rigueur et la propension à la pénalisation a été d'autant plus durement ressentie que nous ne cessons, sur tous les bancs, de dénoncer la pénalisation excessive de notre droit.

On le sait, enfin, des progrès notables doivent encore être faits pour dessiner les contours d'une justice pénale rénovée. En la matière, c'est au Parlement qu'il revient de montrer le cap, et au Gouvernement de l'éclairer par les projets qu'il lui soumet. Sur quoi doit porter l'effort ? Sur les délais, bien sûr, mais aussi sur l'équilibre entre les parties et sur le respect des droits de la personne. Si les exemples, hélas, ne manquent pas des progrès encore à faire, force est de constater que l'accès de l'avocat au dossier est, une fois encore, conçu de manière restrictive, si bien qu'il est cantonné à un rôle d'assistanat social plus que de conseil juridique. Pourquoi ? Parce que, funestement, l'avocat est encore considéré avec méfiance.

On l'aura compris, il y a sans doute un problème de moyens, mais surtout de mentalité : les magistrats doivent se convaincre que la justice gagnera à un travail collectif.

M. Henri Plagnol - Très bien !

M. Pierre Albertini - L'harmonisation des procédures pénales va se faire en Europe, et elle peut se faire de deux manières : soit en retenant, le plus longtemps possible, les textes en vigueur, soit, avec plus d'allant, en admettant que la Convention européenne des droits de l'homme affirme des valeurs essentielles. Si la France veut tracer un cap, il serait souhaitable de reconnaître que la dissociation fonctionnelle entre le siège et le parquet sera un élément déterminant de la réforme à venir.

C'est dans cet esprit que le groupe UDF envisage ce débat (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. André Gerin - Puisque cagnotte il y a, ne pourrait-elle être affectée en priorité aux budgets de la justice, de la police de proximité, de l'éducation, de la lutte contre la violence, et de l'emploi ?

La réforme qui nous est proposée aujourd'hui est d'une importance incontestable mais certains, dont nous sommes, considèrent que c'est la procédure pénale dans son ensemble qui est en cause. Notre objectif commun doit être que la justice se fasse selon les lois et les valeurs de la République, et il transcende les clivages politiques traditionnels, puisqu'il y va de l'intérêt de la nation.

Faire en sorte que la justice soit plus proche des citoyens, plus respectueuse des libertés, garantir son impartialité en définissant les relations entre le Parquet et la Chancellerie et en réformant le CSM : ce sont autant de débats cruciaux, dont rien ne pouvait laisser penser qu'ils n'iraient pas à leur terme.

Pourtant, le 24 janvier, nous ne sommes pas allés à Versailles, ratifier en Congrès la réforme du CSM, parce que l'opposition, au lieu de jouer son rôle de contre-pouvoir, a stérilisé le débat en donnant la primauté aux querelles partisanes, et contribué de la sorte à renforcer la coupure entre le pouvoir et les citoyens.

En obligeant le Président de la République à renoncer à convoquer le Parlement en Congrès, vous avez pris une lourde responsabilité, d'autant plus lourde que c'est l'inverse de ce qu'attendait l'opinion ! Ce faisant, vous avez affaibli la Représentation nationale, que vous faites apparaître comme l'émanation d'une classe politique coupée des réalités au lieu de lui faire jouer son rôle de contre-pouvoir constructif.

Savez-vous assez que l'opinion estime, dans sa majorité, que la justice n'est pas indépendante du pouvoir politique et qu'elle n'est pas assez sévère pour les hommes politiques et les chefs d'entreprise impliqués dans des « affaires » ? Savez-vous assez qu'appelés à se rendre à Versailles, 46% des Français auraient voté la réforme du CSM et que 8% seulement l'auraient rejetée ? Jamais l'aspiration à une justice rénovée, indépendante et efficace, ne s'est manifestée avec autant de force.

Il suffirait de peu pour transformer le projet qui nous est soumis en une grande loi réformant la procédure pénale. Une telle loi est nécessaire, parce que la crise des institutions et l'opacité des circuits de décision conduisent les citoyens à s'en remettre de plus en plus souvent aux juges.

Or, si l'on s'en tient aux « affaires », comment ne pas constater la carence, sinon l'inexistence des institutions de contrôle, lacune révélatrice de la persistance d'une certaine culture monarchique qui menace la République ? Nous nous devons d'être exemplaires en tous points et ne pas nous laisser aller à penser qu'il suffirait, comme c'est devenu la mode, de « licencier » le personnel politique mis en examen pour réhabiliter la politique aux yeux des Français. Qui ne sait que la grève des urnes ne cesse pas ? Il ne suffit pas de couper les branches superflues, en espérant ainsi faire survivre le vieux tronc des pouvoirs en place, et le projet montre, aussi, la nécessité de renouveler le politique dans ce pays. Car contrairement à ce que l'on veut faire croire, les Français aiment la politique ; ce qu'ils n'aiment pas, c'est la manière dont elle est pratiquée.

Dans un tel contexte, il est bon que le projet reconnaisse de nouveaux droits et prévoie de nouvelles institutions de contrôle. Mais l'institution judiciaire a besoin, à ses côtés, d'un Parlement, lui aussi réhabilité. Ainsi progressera l'Etat de droit, ainsi la France retrouvera-t-elle son rôle d'éclaireur en matière de droit et de respect des libertés, rôle d'autant plus important que l'Europe cherche à se doter d'un modèle commun.

Qui l'ignore ? La justice est lente, coûteuse, inégale. Voilà ce que ressentent les citoyens. Se pose la question des moyens et je sais, Madame la Garde des Sceaux, vos efforts, qui témoignent de votre volonté de donner aux diverses juridictions les moyens de faire face à l'ampleur des tâches qui leur sont confiées. Mais nous sommes, hélas, loin du compte, et là est la faiblesse de la réforme ambitieuse que vous nous proposez.

Une justice efficace et plus rapide demande une volonté politique et des choix budgétaires déterminés, qui permettraient d'éviter les injustices les plus criantes. Optimistes et combatifs, les députés communistes entendent contribuer pleinement à l'aboutissement d'une réforme entreprise par le Gouvernement et qu'ils se refusent à considérer comme avortée. Aussi soutiennent-ils votre projet, tout en estimant qu'il faut aller plus loin.

Il était grand temps de modifier le régime de la garde à vue et de la détention provisoire, et de le rendre conforme à la déclaration des droits de l'homme. Il était grand temps, vraiment, de mettre fin à ces trop nombreuses « bavures » qui défraient l'actualité. A cet égard, l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue est une mesure excellente, que nous appelions de nos v_ux depuis de longues années.

Ne considérons pas les avocats comme des intrus dans les commissariats de police. A ce stade de la procédure, la présomption d'innocence doit être garantie.

D'autre part, ce débat aurait dû nous conduire à nous interroger sur la garde à vue des mineurs de treize ans, prévue par l'ordonnance de 1945. Une telle mesure est lourde de conséquence pour la société tout entière. Nous en sommes à la douzième réforme de la détention en vingt ans et, malgré tout, les interrogations demeurent. La principale innovation du projet tient à l'instauration d'un juge de la détention, distinct du juge d'instruction, mais qui reste seul à décider. Vous ne souhaitez pas, Madame la Garde des Sceaux, aller dès à présent vers la collégialité à laquelle nous sommes attachés depuis longtemps.

Nous comprenons votre réalisme, mais cela ôte une partie de sa crédibilité à votre projet. Celui-ci nous semble d'ailleurs quelque peu timoré en matière de détermination des seuils de recours à la détention provisoire. Il est en effet indispensable de réduire les détentions provisoires, qui constituent 40 % des mises en détention, et créent une surpopulation carcérale insupportable pour les détenus comme pour les personnels.

Nous proposons que la mise en détention soit l'exception pour les mineurs et pour les jeunes majeurs jusqu'à 25 ans. Il est urgent de cesser d'user de la détention provisoire pour faire pression sur la personne mise en examen.

J'en viens à la difficile conciliation de la présomption d'innocence avec la liberté d'informer. Le respect de la dignité de chacun est en effet mal défendu dans notre pays. On privilégie les rumeurs, les indiscrétions... tout ce qui concourt à une sorte de spectacle judiciaire. Face à la liberté de la presse, il y a le respect de la personne humaine. Mais nous nous opposons à toute modification de l'article 9-1 du code civil. Que resterait-il de la démocratie si la liberté d'expression était entamée au bénéfice de la présomption d'innocence ? Intégrer certaines dispositions de la loi du 29 juillet 1881 au code pénal ne reviendrait-il pas à soumettre les journalistes au régime de droit commun au même titre que les délinquants ordinaires ?

Enfin, même si ce texte innove sur le droit des victimes ; les dispositions proposées ne nous semblent pas de nature à améliorer leur statut de manière significative. Pour positives qu'elles soient, les améliorations proposées -qui tiennent notamment à la reconnaissance du rôle des associations- restent insuffisantes.

L'introduction d'une possibilité de faire appel des décisions rendues par les cours d'assises change le rapport du citoyen avec la justice de son pays. Tout jugement doit être susceptible d'appel. Le groupe communiste est depuis longtemps attaché à la défense de ce principe.

S'agissant des dispositions relatives à la responsabilité pénale des élus, que le Sénat a voulu intégrer à ce texte, je souscris à la proposition de notre commission de les supprimer. Elles n'ont en effet pas leur place dans ce projet.

Le chantier qui s'est ouvert est immense. La majorité de nos concitoyens est attachée à sa réussite. Faisons disparaître le paradoxe qui consiste à laisser les coupables en liberté et à placer en détention des présumés innocents ! Le groupe communiste votera ce projet. Il souhaite, en ce début d'année 2000 que la représentation nationale se donne les moyens d'effectuer cette révolution dans l'histoire de la justice.

Je rends hommage, enfin, au courage dont fait preuve le Gouvernement en proposant une telle réforme (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

Mme Nicole Catala - Au fur et à mesure qu'avançaient les travaux de la commission des lois, j'ai été conduite à m'interroger sur la nature de ce texte : s'agissait-il d'un projet de loi ou d'un projet mâtiné de proposition ? Le fait qu'une réforme aussi importante que l'appel des décisions d'assises soit imposé au Gouvernement par le Parlement ne témoigne-t-il pas de l'imperfection du projet original ?

La plupart des orateurs précédents se sont attachés à décrire longuement les mérites de ce texte. Vous me permettrez donc de faire part des interrogations qu'il m'inspire, qui tiennent à la fois aux effets pervers dont il pourrait être porteur et à mes doutes sur ses chances d'être un jour pleinement appliqué.

S'agissant des effets pervers de la réforme, je songe en premier lieu au régime de la garde à vue. Le projet renforce -et je m'en félicite- les conditions qui s'attachent à un placement en garde à vue. Il exige notamment que des indices probants établissent la participation de la personne retenue à une infraction. A l'évidence, le nombre de personnes gardées à vue devrait donc diminuer grâce au renforcement des garanties qui leur sont offertes, auquel nous sommes favorables depuis longtemps.

De manière toute aussi logique, le nombre de personnes entendues à titre de simples témoins va lui aussi augmenter. Or, aucune garantie ne leur est offerte, qu'il s'agisse de la possibilité de prévenir un proche ou, a fortiori, de faire appel à un avocat. La réforme risque donc d'aboutir paradoxalement à une augmentation du nombre des personnes entendues sans garanties.

Une deuxième crainte tient au mode de décision de la mise en détention. Celle-ci ne sera plus décidée par le juge d'instruction, mais par le juge de la détention. Rien n'interdit cependant au juge d'instruction, qui reste compétent pour le faire, d'imposer au mis en examen un contrôle juridique tellement strict qu'il sera difficile à respecter et qu'il conduira, de manière quasi automatique, à une mise en détention sous ce motif. Il y a donc là une possibilité d'échapper aux garanties posées par le texte.

Je souhaite, ensuite, faire part de mes doutes sur les chances qu'aurait ce texte d'être pleinement appliqué. L'institution judiciaire n'a pas les moyens de l'appliquer. Malgré votre volonté de réformer la carte judiciaire -je prends ici le pari que cela ne sera pas possible dans les deux ans qui viennent- et de recruter, vous n'avez pas assez de magistrats pour mettre en _uvre ce texte, alors même qu'une réforme des tribunaux de commerce est en cours. Les moyens matériels vous feront aussi défaut. Le texte voudrait rendre effectif le principe du placement en cellule individuelle de tout prévenu. Mais sur les 53 000 personnes détenues dans nos prisons, 21 000 relèvent de la détention provisoire.

Même si ce texte permet de réduire fortement le nombre de personnes en détention provisoire, il en restera au moins 10 000 à 15 000 et je doute fort que l'administration pénitentiaire dispose aujourd'hui d'autant de cellules individuelles. Il faudra donc modifier profondément l'organisation des établissements, ce qui prendra du temps. En attendant, nous verrons sortir de prison, en application d'un amendement de M. Floch, un grand nombre de détenus provisoires, parmi lesquels, peut-être, des délinquants dangereux. C'est un risque qu'on ne peut sous-estimer.

Je me félicite par ailleurs que ce texte prévoie un dispositif encadrant les délais de mise en examen et d'instruction -je ne reviens pas sur les doutes exprimés à juste titre par M. Devedjian sur le bien-fondé du délai retenu pour la mise en détention. Il conviendra de garantir concrètement le respect de ces dispositions, par exemple en obligeant chaque juge d'instruction à mettre en _uvre informatiquement un rappel systématique des dates d'échéance de la procédure. C'est à la portée de l'institution judiciaire et c'est ainsi seulement que l'on évitera que les juges laissent durer indéfiniment des procédures.

S'il est appliqué, ce texte permettra de mieux protéger les droits des personnes mises en cause dans une affaire pénale. Mais nos concitoyens se préoccupent sans doute moins de la liberté des personnes soupçonnées que de la violence sans cesse croissante dans notre société. Je forme donc le v_u que les mesures dont nous débattons ne nuisent pas à l'efficacité de la police et de la justice dans leur combat quotidien contre la violence dont trop de Français sont victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Michel - Non, la réforme de la justice n'est pas morte puisque nous débattons aujourd'hui en son temps, c'est-à-dire au début, de ce texte essentiel relatif à la procédure pénale, qui conditionnera tout le reste.

Il y a dans ce texte, tel qu'il nous revient en deuxième lecture, par une conjonction heureuse des efforts de la Chancellerie et de notre commission des lois, de très, très bonnes choses, pour lesquelles certains d'entre nous militaient depuis longtemps.

Ainsi, le juge d'application des peines va enfin devenir un vrai juge et ses décisions seront soumises à la contestation judiciaire. L'appel tournant pour les cours d'assises était la seule façon de prévoir un recours sans bâtir une usine à gaz comme celle que prévoyait le projet Toubon.

En ce qui concerne la détention, enfin sont imposées au juge d'instruction des mesures objectives qui limiteront la durée et les possibilités de la mise en détention provisoire. On crée aussi le juge de la détention, mais je regrette que l'on n'aille pas au bout de la démarche en lui donnant aussi le pouvoir de placer sous contrôle judiciaire et d'autoriser toutes les mesures attentatoires aux libertés, en particulier les perquisitions.

M. Alain Tourret - Très bien !

M. Jean-Pierre Michel - Sur toutes ces mesures, nous devons être conscients de nos responsabilités car s'il y a trop de monde en prison -on semble aujourd'hui s'en préoccuper au Parlement...- c'est que la nation et les élus le réclament. Il ne faudrait donc pas que les députés aient un discours à cette tribune et hurlent ensuite avec les loups quand un délinquant de leur circonscription est remis en liberté à la sortie du commissariat ou après avoir été présenté au procureur...

Des progrès notables sont faits dans la conduite du procès pénal, mais l'on ne va pas assez loin car il faudrait retarder le plus possible la mise en examen.

M. Patrick Devedjian - Très bien !

M. Jean-Pierre Michel - C'est une idée qui est revenue souvent dans le débat sur la responsabilité des élus et un colloque a rappelé la semaine dernière que la période la plus difficile pour une personne jouissant d'une certaine notoriété est celle qui s'écoule entre la mise en examen et la condamnation.

Il convient aussi d'en décider dans une audience publique...

M. Patrick Devedjian - Très juste !

M. Jean-Pierre Michel - ...et collégiale, afin que l'instruction ne soit plus secrète.

M. Patrick Devedjian - Très bien !

M. Jean-Pierre Michel - C'est la seule façon d'éviter les fuites organisées et orientées dans la presse et les déplacements de juges d'instruction encadrés d'une armada de journalistes, qui sont intolérables pour notre démocratie et qui la menacent. En la matière, ce n'est pas une fenêtre qu'il faut ouvrir mais la porte... Avec peut-être quelques précautions au début de l'enquête et dans certaines affaires, telles celles relatives aux m_urs, le principe doit être la publicité.

C'est parce que ce texte fait quelques pas vers la procédure accusatoire que je le voterai. Les prochaines étapes seront la disparition du juge d'instruction, la publicité de l'enquête, l'égalité des preuves en audience publique. Vous nous avez présenté, Madame la Garde des Sceaux, quelques arguments contre cette procédure. A ceux qui vous entourent et vous les ont fournis, je rappelle ce que disait fort justement Karl Marx (Sourires), la tradition des générations mortes pèse lourd sur leur cerveaux... (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste)

M. Patrick Devedjian - Très bien !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 15.

La séance est levée à 19 heures 40.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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