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Session ordinaire de 1999-2000 - 54ème jour de séance, 128ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 10 FÉVRIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

vice-président

Sommaire

PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
-deuxième lecture- (suite) 2

ART. 15 (suite) 2

ART. 16 3

ART. 17 4

APRÈS L'ART. 17 4

ART. 17 bis 4

APRÈS L'ART. 18 4

APRÈS L'ART. 18 bis 5

ART. 18 ter 5

APRÈS L'ART. 18 ter 6

ART. 19 7

APRÈS L'ART. 19 8

ART. 19 bis 8

ART. 20 8

ART. 20 bis 9

ART. 21 9

ART. 21 bis A 10

ART. 21 bis B 10

ART. 21 ter 11

ART. 21 quinquies 11

AVANT L'ART. 21 sexies 11

ART. 21 sexies 11

ART. 21 septies 11

ART. 21 octies 11

APRÈS L'ART. 21 octies 15

ART. 21 nonies 15

APRÈS L'ART. 21 nonies 16

ART. 21 decies 16

APRÈS L'ART. 21 decies 16

APRÈS L'ART. 21 duodecies 17

ART. 22 A 18

ART. 22 20

APRÈS L'ART. 24 22

ART. 25 23

ART. 25 bis 24

ART. 25 ter 25

ART. 26 25

ART. 26 bis 26

APRÈS L'ART. 26 bis 26

ART. 27 26

ART. 28 26

ART. 28 ter 26

APRÈS L'ART. 28 quater 26

ART. 29 A 27

APRÈS L'ART. 29 B 27

ART. 31 septies 28

APRÈS L'ART. 31 septies 28

AVANT L'ART. 32 28

ART. 33 29

ART. 33 bis 30

APRÈS L'ART. 37 30

ART. 38 30

APRÈS L'ART. 38 30

ART. 39 31

ART. 41 31

APRÈS L'ART. 41 32

SECONDE DÉLIBÉRATION 33

EXPLICATIONS DE VOTE 34

SAISINE POUR AVIS
D'UNE COMMISSION 37

SUSPENSION DES TRAVAUX
DE L'ASSEMBLÉE
NATIONALE 37

La séance est ouverte à quinze heures.

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PRÉSOMPTION D'INNOCENCE -deuxième lecture- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.

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ART. 15 (suite)

M. le Président - L'amendement 217 n'est pas défendu.

Mme Christine Lazerges, rapporteuse de la commission des lois - L'amendement 131 tend à rétablir le texte adopté en première lecture par l'Assemblée et de limiter ainsi le recours au motif d'ordre public pour prolonger la détention provisoire.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Je me demande si pour certains délits très graves, punis de plus de 10 ans d'incarcération, il ne faudrait pas conserver le recours au motif d'ordre public. Nous pourrions y réfléchir au cours de la navette. En attendant, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. André Gerin - Nous soutenons l'amendement. Depuis longtemps, sur tous les bancs, nous condamnons le recours excessif à la détention provisoire, qui a des conséquences sociales désastreuses. Il importe donc de limiter les cas où sa prolongation est possible. La difficulté est réelle, car il faut protéger la société, mais il faut aussi protéger les libertés individuelles et ne punir que les délinquants. C'est pourquoi il convient de restreindre l'usage de la prolongation de la détention provisoire.

Mme Frédérique Bredin - Nous soutenons l'amendement avec force. Le motif d'ordre public est par trop subjectif, et notre souci est que la détention provisoire, si elle s'impose, ne résulte que de critères strictement objectifs. Il faut donc exclure ce motif pour justifier la prolongation de la détention provisoire, quitte à préciser le texte au cours de la navette.

M. Pierre Albertini - J'avais déposé un amendement qui allait dans le même sens. Le motif d'ordre public est une notion floue, et donc difficile à interpréter, si bien qu'elle est utilisée pour justifier des maintiens abusifs en détention provisoire. Il est en effet assez facile de se fonder sur des articles de presse pour prétendre qu'il y a trouble à l'ordre public. On conviendra que l'argument est fallacieux. Au demeurant, ce n'est pas au juge d'instruction, selon moi, mais bien davantage au Parquet qu'il devrait revenir de décider de la prolongation de la détention provisoire. Bref nous soutenons l'amendement, comme nous l'avons fait en commission.

L'amendement 131, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

M. Alain Tourret - La commission a adopté à l'unanimité, au terme d'une longue discussion, l'amendement 132, 2ème rectification, qui dispose que sauf en matière criminelle ou en cas de poursuites relatives aux infractions commises envers les enfants ou de non-respect des obligations du contrôle judiciaire, la détention provisoire ne pourra être ordonnée à l'égard des pères et mères d'un enfant dont l'âge est inférieur à dix ans, ayant chez ce parent sa résidence habituelle et à l'égard duquel ce parent exerce l'autorité parentale. Le juge des enfants peut, pour préserver les intérêts de l'enfant, s'opposer à cette mesure.

Ce faisant, la commission s'est inspirée des dispositions similaires adoptées en Italie en 1975. Cette mesure vise à éviter que les enfants ne soient les victimes d'affaires qui ne les concernent pas. En l'adoptant, l'Assemblée ferait grandement progresser notre droit. Mes confrères Floch et Hunault, (Sourires), je veux dire mes collègues, avec lesquels j'ai beaucoup travaillé à ce sujet, ne me contrediront pas.

Mme la Garde des Sceaux - Les « confrères » ayant décidé (Sourires) qu'il convenait d'interdire la détention provisoire pour les parents d'enfants âgés de moins de 10 ans, je leur donnerai mon point de vue...

Je comprends dans quel esprit l'amendement a été déposé : il n'est pas douteux que l'incarcération d'un parent est un moment très douloureux pour un enfant, surtout si ce parent l'élève seul.

Cependant interdire qu'une catégorie de personnes puisse être placée en détention provisoire suscitera des difficultés, la première étant que des réseaux de malfaiteurs ne manqueront pas d'utiliser ces personnes pour leurs basses _uvres.

Pour mieux éclairer l'Assemblée, je me bornerai à vous donner quelques chiffres. A Fleury-Mérogis, la plus grande maison d'arrêt de femmes de France, sont incarcérées 78 mères d'enfants de moins de 10 ans, et 50 seraient concernées par les dispositions préconisées. Pour la plupart, leur emprisonnement est dû à des violations de la législation sur les stupéfiants, mais certaines purgent des peines qui font suite à des actes de violences sur les personnes, de proxénétisme ou d'association de malfaiteurs. Cela ne donne-t-il pas à réfléchir ?

Quoi qu'il en soit, étant donné le caractère « humanitaire » de l'amendement, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

M. Jacques Floch - Conscients des graves inconvénients que vous avez évoqués, nous avons précisé que le juge des enfants peut, pour préserver les intérêts de l'enfant, s'opposer à cette mesure.

Ce que nous voulons, c'est éviter que les enfants soient eux-mêmes, en quelque sorte, condamnés et qu'ils « trinquent ». J'espère donc que l'Assemblée adoptera cet amendement qui représente un grand progrès, d'un point de vue humanitaire sinon judiciaire.

M. André Gerin - Je soutiens cet amendement qui se situe dans l'esprit de l'ordonnance du 2 février 1945. Il s'agit en effet de donner aux enfants les chances d'un parcours citoyen.

Mme Frédérique Bredin - On voit bien l'intérêt de cet amendement, mais il faut ici penser avant tout aux enfants. Je propose donc d'ajouter « exclusive » après « autorité parentale ». Il s'agit d'empêcher que la détention provisoire soit ordonnée à l'égard d'un parent qui ne pourrait trouver une solution de remplacement avec l'autre parent, soit que celui-ci ait été destitué de son autorité parentale, soit que celui-là élève seul l'enfant.

M. le Président - S'agissant d'un texte important, il n'est pas bon de le modifier par des sous-amendements de séance. Evitons de faire du bricolage législatif et renvoyons d'éventuelles modifications à la lecture suivante.

L'amendement 132, 2ème rectification, mis aux voix, est adopté.

L'article 15, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 16

Mme la Rapporteuse - L'amendement 133 réécrit le deuxième alinéa de l'article 145-1 du code de procédure pénale relatif à la durée de la détention provisoire en matière correctionnelle : la durée maximale, qui serait normalement d'un an pourrait être portée à deux ans lorsqu'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national ou lorsque la personne est poursuivie pour trafic de stupéfiants, terrorisme, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour une infraction commise en bande organisée et qu'elle encourt une peine égale à dix ans d'emprisonnement.

Mme la Garde des Sceaux - Il est bon d'instaurer des butoirs. Avis favorable.

Mme Frédérique Bredin - Je soutiens cet amendement qui constitue une avancée très importante en limitant le temps que quelqu'un qui n'a pas été déclaré coupable peut passer en prison.

L'amendement 133, mis aux voix, est adopté.

L'article 16, ainsi modifié est adopté.

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ART. 17

Mme la Rapporteuse - L'amendement 134 rectifié pose que la détention provisoire ne peut excéder quatre ans en matière criminelle.

Mme la Garde des Sceaux - Favorable.

L'amendement 134 rectifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 17, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 17

M. Alain Tourret - Mon amendement 195 tend à ce que le juge ayant la responsabilité d'ordonner ou non une prolongation de la détention provisoire reçoive toute information possible sur les mesures socio-éducatives propres à se substituer à la détention de la personne mise en examen, à favoriser la réinsertion et à prévenir la récidive.

Mme la Rapporteuse - La commission a émis un avis favorable unanime sur cet amendement qui tend à ce que d'autres solutions que la détention soient envisagées au terme d'une première période de détention provisoire. Mme Bredin présente plus loin un amendement un peu différent puisqu'il a pour objet d'imposer une enquête sociale au cours de cette période.

Mme la Garde des Sceaux - Les services visés par cet amendement peuvent, c'est vrai, éclairer utilement le juge et l'amener à opter, par exemple pour un contrôle judiciaire socio-éducatif dont le projet consacre l'existence. Mais faut-il obliger le juge à les saisir avant de décider ou non d'une prolongation ? Je pense qu'il vaudrait mieux lui laisser le choix. Cela étant, je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée.

L'amendement 195, mis aux voix, est adopté.

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ART. 17 bis

Mme la Rapporteuse - L'amendement 135 tend à supprimer cet article introduit par le Sénat.

L'amendement 135, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté et l'article 17 bis est ainsi supprimé.

L'article 18, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 18

M. Jacques Floch - L'amendement 136 3ème rectification a pour objet de rendre possible, sur décision du juge et avec l'accord de l'intéressé, l'exécution de la détention provisoire selon les modalités dites du « bracelet électronique ».

Mme la Rapporteuse - Favorable.

Mme la Garde des Sceaux - Le placement sous surveillance électronique, dispositif issu de la loi du 19 décembre 1997, pourra très bientôt faire l'objet de premières expérimentations. Normalement réservé aux condamnés, il constitue une modalité d'exécution des peines.

Vous proposez ici d'en faire une alternative à la détention provisoire. S'il s'agit vraiment d'offrir une solution de remplacement à la prison, et donc de diminuer le nombre de détentions provisoires, je ne vois pas de raison de m'y opposer, même si l'expérience a été peu probante en Angleterre et si dans la plupart des autres Etats qui ont expérimenté cette formule, elle est réservée à l'exécution des peines privatives de liberté. Mais il me paraît très important de veiller à ce qu'elle ne morde pas sur la liberté des personnes. C'est pourquoi l'alignement des critères du placement sous surveillance électronique sur ceux de la détention provisoire me paraît indispensable. L'amendement ayant été rectifié en ce sens, suite aux discussions que nous avons eues ensemble, je n'y suis pas défavorable.

M. Jean-Luc Warsmann - D'abord, je suis heureux de voir que le dispositif prévu en 1997 va bientôt connaître un début d'application... Je voudrais ensuite souligner que la référence faite dans l'exposé des motifs à un parent qui élèverait seul un enfant en bas âge n'a plus lieu d'être puisque l'Assemblée a tout à l'heure adopté un amendement interdisant de placer en détention provisoire une personne dans cette situation.

M. André Gerin - Je suis pour ma part totalement opposé à cette expérimentation -car nous parlons bien ici, n'est-ce pas ? de détention provisoire et de présomption d'innocence. Nous sommes dans l'impasse.

Mon groupe s'était opposé à l'usage du bracelet électronique pour les personnes condamnées. Comment imaginer de le faire porter à des personnes présumées innocentes ?

M. Jacques Floch - Elles sont tellement mieux en prison !

M. André Gerin - Il faut leur éviter la prison comme le bracelet. Ce n'est pas ainsi qu'on résoudra le problème de la surpopulation carcérale. Quelle vie sociale pourra avoir une personne assignée ainsi à son domicile ? (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe socialiste)

On passe du principe de la présomption d'innocence à celui de la présomption de culpabilité.

L'amendement 136, 3ème rectification, mis aux voix, est adopté.

Mme la Garde des Sceaux - Je veux profiter de ce débat pour vous communiquer le calendrier selon lequel entreront en application la loi du 19 décembre 1997 et les dispositions qui viennent d'être votées.

Dès 1998, le dispositif du bracelet électronique a été mis à l'étude, pour un coût d'un million. Un cabinet de consultants spécialisés a rendu à mon administration un rapport établi au vu des expériences étrangères et tenant compte des spécificités françaises. L'expérimentation a débuté en avril 1999 et l'évaluation financière sera terminée en septembre. Un décret d'application est en cours d'élaboration et le Conseil d'Etat pourra être saisi rapidement, de sorte que, pour un investissement inférieur à 300 000 F, le système pourra être utilisé dans quatre mois, en liaison avec trois établissements pénitentiaires et des juges d'application des peines particulièrement motivés.

La généralisation de cette mesure devrait coûter 50 millions. Un appel d'offres sera lancé au niveau européen. Je vous informerai, en décembre 2000, du résultat de l'expérimentation. Il faut en tout cas absolument éviter que ce dispositif soit utilisé à la place du contrôle judiciaire.

L'article 18 bis, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 18 bis

M. Patrick Devedjian - Je retire mon amendement 263.

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ART. 18 ter

Mme la Rapporteuse - Le Sénat a imaginé un mécanisme compliqué se substituant à la procédure actuelle du « référé-liberté ». L'amendement 137 de la commission visait à supprimer cet article additionnel, mais il est retiré au profit de l'amendement 230 du Gouvernement.

Mme la Garde des Sceaux - Je vous en remercie. L'amendement 230 vise à réécrire l'article 18 ter afin d'améliorer la procédure de référé-liberté, en prévoyant que le président de la chambre d'accusation pourra procéder à l'audition de la personne avant de statuer de sa demande.

Il ramène par ailleurs de quinze jours à dix jours le délai dans lequel la chambre d'accusation doit statuer en cas d'appel concernant un placement en détention provisoire.

Ces deux modifications renforcent sensiblement le contrôle de la chambre d'accusation et de son président sur les décisions de placement en détention provisoire.

L'amendement 230, mis aux voix, est adopté, et l'article 18 ter est ainsi rédigé.

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APRÈS L'ART. 18 ter

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 232 du Gouvernement vise à renforcer le contrôle de l'instruction en supprimant les dispositions de l'article 219 du code de procédure pénale qui autorisent le président de la chambre d'accusation à déléguer ses pouvoirs propres à un magistrat du tribunal de grande instance.

Nous voulons que le président de la chambre d'accusation, à qui la loi confie la mission de contrôler le juge d'instruction, assume ses responsabilités.

Mme la Rapporteuse - La commission a repoussé cet amendement parce qu'il lui est arrivé tardivement et sans exposé des motifs. J'y suis personnellement favorable.

L'amendement 232, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - On nous a parfois reproché de ne pas nous intéresser à la procédure de comparution immédiate, par laquelle passent de nombreux prévenus. L'amendement 138 de la commission vise à limiter à un mois la durée de la détention provisoire décidée dans le cadre de cette procédure. Par ailleurs, afin d'éviter que la peine soit intégralement effectuée au moment de l'appel, l'amendement 139 vise à ramener de quatre à deux mois le délai dans lequel la cour d'appel doit se prononcer. Modestes en apparence, ces amendements sont importants.

L'amendement 138, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'amendement 139.

M. Jacques Floch - Mon amendement 140, adopté par la commission, vise à poser le principe de l'emprisonnement individuel des personnes placées en détention provisoire. La loi, aujourd'hui, autorise l'administration pénitentiaire à placer jusqu'à cinq ou six personnes dans la même cellule.

Mme la Garde des Sceaux - La commission propose de rendre obligatoire d'ici trois ans la règle de la cellule individuelle. Je partage votre objectif et toute ma politique pénitentiaire vise à l'atteindre. Les conditions de détention sont aujourd'hui très difficiles et, s'il n'y a pas de problème de surpopulation carcérale chez les condamnés, on enregistre dans les maisons d'arrêt des taux d'occupation qui vont jusqu'à 120 %.

J'ai demandé à l'administration pénitentiaire de procéder à un recensement et vous êtes les premiers à qui je livre ses chiffres : nous comptons 54 000 détenus pour 39 000 cellules, soit un déficit de 15 000 places.

J'ai engagé un programme de construction visant à créer sept établissements. Compte tenu de la fermeture des sites les plus vétustes, le déficit de places devrait être réduit à 12 500. Pour atteindre l'objectif d'une cellule par individu, il nous faudrait encore 10 milliards.

En outre, il faut compter avec les délais incompressibles qu'exigent la recherche de terrains et la construction. Le « programme 13 000 » a été décidé en 1986 et le premier établissement n'a été terminé qu'en 1990. Quant au programme que j'ai lancé en 1998, il ne devrait aboutir à l'ouverture de nouveaux établissements qu'entre 2000 et 2003, alors même que nous n'avons pas eu de problèmes pour décider de leur localisation. Quand l'administration pénitentiaire et les municipalités ne trouvent pas d'accord, les délais sont encore allongés.

Je nourris donc les plus grands doutes quant à la possibilité d'atteindre l'objectif en trois ans, mais je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée afin de ne pas donner un signal négatif.

M. Alain Tourret - Parmi les centres de détention que j'ai visités, la maison d'arrêt de Saint-Denis de la Réunion m'a laissé, comme à Jacques Floch, un souvenir effrayant : nous y avons vu dix-huit personnes entassées dans une même cellule. La prison, c'est la privation de liberté, ce ne doit pas être la privation de dignité : les hommes ne sont pas des sardines, que diable !

Je comprends l'argumentation du Gouvernement, mais nous devrions tout de même gagner 4 500 places grâce à l'élévation des seuils, et un certain nombre d'autres grâce à l'institution du juge de la détention provisoire. Il ne faudra donc pas construire 15 000 cellules, mais moins de 10 000 : c'est déjà plus raisonnable, et si cela paraît encore trop, nous devrons nous résoudre à faire sortir des gens !

M. Patrick Devedjian - Je soutiens l'amendement dans son louable angélisme, que je voudrais cependant tempérer d'une once de réalisme. Le principe de la cellule individuelle, je le rappelle, figure déjà dans la loi du 4 janvier 1993, que l'horrible droite n'a pas abrogée...

M. François Colcombet - Ni appliquée !

M. Patrick Devedjian - C'est vrai, tout comme il est vrai que l'état déplorable de nos prisons constitue une responsabilité terriblement partagée... Comme je suis sans illusions quant à la possibilité de changer radicalement les choses dans les trois ans à venir, je souhaite que l'effort porte en priorité sur la détention des mineurs, ainsi que sur celle des délinquants primaires : il est moins dangereux de laisser des récidivistes entre eux que de les mélanger aux primo-délinquants, a fortiori aux mineurs.

Mme Frédérique Bredin - Si l'article 716 du code de procédure pénale, issu de la loi de 1993, pose en effet le principe de la cellule individuelle, il prévoit également des dérogations temporaires, et de là sont nées toutes les exceptions qui tendent à devenir la règle. C'est justement pour cela que nous proposons de modifier la loi. L'objectif à atteindre est d'autant plus raisonnable que, comme l'a dit M. Tourret, l'élévation des seuils et l'institution du juge de la détention provisoire, sans même parler du bracelet électronique, devraient limiter le recours à la détention provisoire. Au Gouvernement de se donner les moyens de profiter de cette bouffée d'oxygène !

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

Mme la Garde des Sceaux - Je suis tout aussi révulsée que vous par les situations que provoque l'entassement des prévenus dans les maisons d'arrêt. Dans celle d'Avignon, la première que j'aie visitée à mon arrivée à la Chancellerie, j'ai vu une cellule qui contenait non pas dix-huit, mais vingt-six personnes -et sans être allée à la Réunion, j'ai pris la décision de faire construire un nouvel établissement immédiatement après avoir pris connaissance du témoignage des membres de la mission parlementaire. Je voudrais toutefois souligner que le problème n'est pas uniquement financier, mais aussi technique : à supposer que nous disposions des dix milliards supplémentaires qui seraient nécessaires, il faudrait au moins six ans pour trouver les réserves foncières, lancer les appels d'offres et mener à bien les travaux. Le délai de trois ans sera donc extrêmement difficile à tenir. De plus, vous devez être conscients que les mesures que vous avez votées auront un impact sur les « flux », et non pas sur les « stocks », d'autant que les tendances répressives de notre société sont de plus en plus fortes : il n'y a pas plus de gens en prison qu'il y a dix ans, mais ils y restent plus longtemps.

L'amendement 140, mis aux voix, est adopté.

M. Jacques Floch - Compte tenu de ce qui vient d'être dit, je retire l'amendement 141.

L'amendement 141 est retiré.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 143 comble une lacune du code de procédure pénale : il n'est pas normal qu'en cas d'annulation d'une procédure, la détention provisoire déjà effectuée ne s'impute pas sur la peine éventuellement prononcée pour les mêmes faits à l'issue de nouvelles poursuites.

L'amendement 143, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

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ART. 19

Mme la Rapporteuse - Nous avons beaucoup débattu, en première lecture, de l'indemnisation des personnes placées abusivement en détention provisoire. L'amendement 144 prévoit que celle-ci intervient une fois la décision devenue définitive.

L'amendement 144, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Jean-Luc Warsmann - L'amendement 44 se veut pédagogique : nous proposons que les magistrats qui ont concouru à la mise en détention provisoire de personnes ultérieurement innocentées reçoivent copie des décisions de non-lieu, de relaxe, d'acquittement et d'indemnisation. Il y aurait là l'amorce d'une responsabilité morale.

Mme la Rapporteuse - Défavorable. Il n'y a pas lieu de stigmatiser les juges d'instruction qui auraient décidé une mise en détention provisoire inutile. Nous avons opté pour un système de responsabilité sans faute. Pour autant, il est normal que la décision d'indemnisation soit portée à la connaissance du magistrat instructeur.

Mme la Garde des Sceaux - Défavorable. Je suis favorable en revanche à l'information des magistrats, mais elle obéit à l'exigence commune de bonne circulation de l'information, qui ne relève pas de la loi mais d'une simple circulaire.

M. Robert Pandraud - Je serais assez tenté de rejoindre la position de Mme la Garde des Sceaux, mais pour des raisons diamétralement opposées. Je crains en effet que les vertus pédagogiques qu'invoque M. Warsmann soient fortement contrecarrées par le corporatisme des juges !

L'amendement 44, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 190 revient sur le texte du Sénat qui avait transféré le contentieux des indemnisations aux juridictions administratives, en redonnant à la commission de la Cour de cassation le soin de statuer sur les indemnisations des détentions provisoires injustifiées, tout en prévoyant des décisions motivées rendues en audiences publiques. Il s'agira toutefois d'un dispositif transitoire car le contentieux sera ensuite déconcentré, la commission de la Cour de cassation devenant une instance de recours.

Mme la Rapporteuse - Favorable.

L'amendement 190, mis aux voix, est adopté.

L'article 19, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 19

Mme la Garde des Sceaux - Par l'amendement 27 rectifié, il est proposé de déconcentrer le contentieux des indemnisations, pour permettre d'instituer un recours et de faire face à son augmentation. Cette réforme n'entrera en vigueur que dans six mois afin de permettre à la commission de la Cour de cassation de stabiliser sa jurisprudence et de la faire connaître.

Mme la Rapporteuse - Favorable.

L'amendement 27 rectifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 19 bis

Mme la Rapporteuse - L'amendement 145 rectifié tend à instituer, auprès du ministre de la justice, une commission de suivi de la détention provisoire.

Mme la Garde des Sceaux - Sagesse.

L'amendement 145 rectifié, mis aux voix, est adopté et l'article 19 bis est ainsi rédigé.

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ART. 20

Mme la Rapporteuse - L'amendement 146 est rédactionnel.

L'amendement 146, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 147 est plus important : il tend à substituer dans l'article 77-2 du code de procédure pénale aux mots « nuire au bon déroulement de l'enquête » les mots « entraver les investigations nécessitées par l'enquête ». La commission estime que la rédaction actuelle est empreinte de trop de subjectivité.

M. Patrick Devedjian - C'est vrai ; vous l'améliorez.

Mme la Garde des Sceaux - Favorable.

L'amendement 147, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 20.

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ART. 20 bis

Mme la Rapporteuse - Par l'amendement 148, la commission demande la suppression d'un article introduit au Sénat. Il n'est pas souhaitable de permettre aux parties de demander directement le dessaisissement du juge d'instruction dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. Le « filtre » du procureur nous paraît absolument indispensable.

Mme la Garde des Sceaux - Favorable.

M. Patrick Devedjian - Il y a au procès deux parties : l'accusation et la défense. Votre « filtre », Madame Lazerges, ne bénéficiera qu'à l'une d'entre elles. Ce n'est pas équitable. Abandonnez l'idée que le Parquet est par principe supérieur à la défense !

Mme la Rapporteuse - L'appel reste possible, Monsieur Devedjian. Il y a une voie de recours pour la partie non satisfaite.

M. Patrick Devedjian - En passant par l'adversaire !

L'amendement 148, mis aux voix, est adopté et l'article 20 bis est supprimé.

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ART. 21

Mme la Rapporteuse - L'amendement 149 concerne le « contrat de procédure », tel que le propose la commission. Il est assez proche de celui que propose le Gouvernement, avec quelques nuances. Pour nous, le juge d'instruction peut s'engager sur des délais inférieurs à un an -en matière délictuelle- ou à dix-huit mois- en matière criminelle. Au début de la procédure, le juge d'instruction peut indiquer à la partie poursuivie si son instruction durera moins d'un an ou de dix-huit mois. Après ce délai, la personne mise en examen -ou le témoin assisté- peut saisir le président de la chambre d'accusation, pour demander une prolongation si la procédure n'est pas close. Notre système exige du président de la chambre d'accusation une réponse sous délai de huit jours : soit il autorise le magistrat instructeur à poursuivre pendant six mois, soit il saisit la chambre d'accusation. Dernière étape, si la chambre d'accusation a été saisie, soit elle renvoie devant la juridiction de jugement, soit elle évoque elle-même, soit elle renvoie au juge d'instruction en lui octroyant un délai d'un an ou de dix-huit mois selon la nature des poursuites. Nous ne souhaitons pas créer de délais butoirs car l'instruction peut être longue du fait de la complexité du dossier.

Pour complexe que notre système vous paraisse sans doute, il conjugue un engagement de la part du juge d'instruction et des possibilités d'allongement de la procédure, si cela est nécessaire.

M. le Président - Quelle est la position de la commission par rapport à l'amendement 21 du Gouvernement, qui traite du même sujet ?

Mme la Rapporteuse - Elle maintient son propre amendement.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis favorable à l'amendement de Mme Lazerges, mais je pense que le contrôle des délais à l'initiative des parties doit être complété par un contrôle automatique, que prévoit notamment l'amendement 21. Il convient de renforcer les mécanismes destinés à limiter la durée des informations, déjà prévus par l'article 175-1 du code de procédure pénale, et qui donnent un droit de contrôle aux parties, en posant de façon générale le principe selon lequel une instruction ne doit pas excéder une durée raisonnable, conformément aux dispositions de la convention européenne des droits de l'homme, et en obligeant le juge d'instruction à justifier de la durée de son information à l'issue d'un délai de deux ans. Je pensais pour ma part que nos deux amendements étaient complémentaires. L'Assemblée doit simplement être consciente du fait que le mien va plus loin.

M. le Président - Les amendements 149 et 21 ne concernent pas les mêmes dispositions du code de procédure pénale, il est possible de les voter séparément, quitte à y revenir, si besoin était, lors d'une lecture ultérieure.

M. Pierre Albertini - Je suis pour ma part sceptique quant à la compatibilité des deux amendements, qui poursuivent des logiques différentes. Au demeurant, je préfère la rédaction du Gouvernement. On connaît en effet la charge de travail des juges d'instruction. Si l'on généralise ce « contrat de procédure » -le terme lui-même me paraît d'ailleurs assez excessif-, ils risquent d'avoir les yeux rivés sur le calendrier et de consacrer une grande part de leur énergie au respect des délais annoncés à l'ouverture de la procédure. Ils risquent donc de ne prendre aucun engagement, considérant que l'instruction ne peut être enfermée dans aucun délai préétabli. La notion de délai « raisonnable » retenue dans la convention européenne des droits de l'homme, a au moins le mérite d'adapter le délai à la complexité du dossier. Elle me paraît plus souple et plus efficace que celle que nous propose Mme le rapporteur.

M. le Président - Du point de vue formel, les deux amendements ne semblent pas incompatibles. Pour le fond, je laisse l'Assemblée et la rapporteuse en juger ...

Mme la Rapporteuse - Il s'agit en fait de deux façons assez peu différentes -mais un peu tout de même- d'organiser l'instruction dans un délai raisonnable. Gouvernement et commission se sont abstenus de fixer des délais butoirs, mais, dans les deux cas, le juge d'instruction doit indiquer a priori quelle durée l'instruction lui semble exiger. En revanche, pour la suite, les deux textes divergent. Notre système est certes un peu plus contraignant que celui du Gouvernement mais on pourrait porter le même jugement sur bien d'autres amendements, Monsieur Albertini, y compris sur certains de ceux que propose le Gouvernement ! Et, en tout état de cause, les juges d'instructions seront obligés d'informatiser leur cabinet.

M. le Président - Nous considérerons donc les deux amendements comme incompatibles, quitte à revoir les choses ultérieurement.

Mme Frédérique Bredin - L'idéal serait sans doute de pouvoir fixer des délais butoirs mais on ne peut assigner a priori une durée à l'enquête. Il faut donc de la souplesse mais celle-ci ne doit pas être synonyme de laxisme et le contrat de procédure suggéré par Mme la rapporteuse permet précisément d'encadrer la durée de l'instruction. Nous y sommes donc favorables.

L'amendement 149, mis aux voix, est adopté, et l'article 21 est ainsi rédigé.

M. le Président - Nous considérerons que l'amendement 21 tombe pour l'instant.

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ART. 21 bis A

Mme la Rapporteuse - Nous regrettons que le Sénat ait souhaité créer par cet article de nouveaux délais de prescription pour l'abus de bien social -ce qui est tout aussi hors sujet que la responsabilité pénale des élus. Par l'amendement 150, nous demandons donc la suppression de ces dispositions.

Mme la Garde des Sceaux - Il n'est pas question pour ce Gouvernement et, je l'espère, pour cette majorité, de modifier, ici ou ailleurs, ces règles de prescription.

L'amendement 150, mis aux voix, est adopté et l'article 21 bis A est ainsi supprimé.

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ART. 21 bis B

Mme la Rapporteuse - En première lecture, le Sénat a tenu à traiter de la responsabilité pénale des décideurs publics. De ces dispositions non plus, la commission ne veut pas. Si ces règles doivent être modifiées, ces modifications doivent concerner tous les Français ! D'où l'amendement 151 de suppression.

L'amendement 151, accepté par le Gouvernement mis aux voix, est adopté et l'article 21 bis B est ainsi supprimé.

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ART. 21 ter

Mme la Rapporteuse - Cet article est de ceux qui traitent des droits des victimes. Par l'amendement 152, nous le rétablissons et précisons à nouveau que le juge d'instruction doit informer tous les six mois la partie civile de l'avancement de l'instruction.

L'amendement 152, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté et l'article 21 ter est ainsi rétabli et rédigé.

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ART. 21 quinquies

M. le Président - Cet article a été adopté par les deux assemblées dans un texte identique, mais sur lequel le Gouvernement a déposé un amendement 227 de coordination.

Mme la Garde des Sceaux - Il faut en effet modifier légèrement la rédaction du premier alinéa de l'article 215-2 du code de procédure pénale pour tenir compte de l'institution d'un appel en matière criminelle.

L'amendement 227, accepté par la commission et mis aux voix, est adopté.

L'article 21 quinquies ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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AVANT L'ART. 21 sexies

Mme la Rapporteuse - L'amendement 154 est de coordination, anticipant le rétablissement des dispositions relatives à la composition des audiences pénales.

L'amendement 154, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté.

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ART. 21 sexies

Mme la Rapporteuse - L'amendement 153 a trait aux délais d'audiencement. Magistrats du siège et magistrats du Parquet ne cessent de se renvoyer la responsabilité des retards. Nous proposons donc que la composition prévisionnelle des audiences pénales soit arrêtée par eux, en commun, dans le cadre d'une commission paritaire. C'est en quelque sorte une invitation à davantage de collaboration.

Mme la Garde des Sceaux - Sagesse !

L'amendement 153, mis aux voix, est adopté et l'article 21 sexies est ainsi rétabli et rédigé.

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ART. 21 septies

Mme la Rapporteuse - L'amendement 155 est de suppression pour des raisons de coordination.

L'amendement 155, accepté par le Gouvernement et mis aux voix, est adopté et l'article 21 septies est ainsi supprimé.

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ART. 21 octies

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 52 corrigé est celui qui institue l'appel tournant devant les cours d'assises. Celles-ci seront désormais compétentes pour juger les crimes soit en premier ressort, soit en appel. Sept jurés composeront la juridiction dans le premier cas, mais neuf dans le second. Il nous a paru en effet indispensable d'assurer une plus grande légitimité à la cour statuant en appel, sa décision risquant de contredire celle de la première cour.

Il en résulte qu'en premier ressort, la majorité qualifiée exigée pour condamner l'accusé ou pour prononcer contre lui le maximum de la peine encourue sera de 7 voix sur 10 -dont au moins 4 voix de jurés sur 7- et, en appel, de 8 voix, soit au moins 5 voix de jurés sur 9.

Mme la Rapporteuse - Cette nouvelle révolution silencieuse répond à la demande de beaucoup d'entre nous qui, depuis des années, réclamions que les décisions des cours d'assises soient susceptibles d'appel.

Il s'agit d'une révolution, mais aussi d'un symbole : enfin les cours d'assises entrent dans le droit commun ! Le sentiment élémentaire de justice l'exigeait, mais aussi l'article premier de ce projet, destiné à devenir le nouvel article préliminaire du code de procédure pénale et qui dispose que toute personne condamnée a droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. Nous étions également tenus par la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 2 de son protocole n° 7, ratifié par la France en 1988. Certes, des dérogations étaient prévues et nous avions assorti notre ratification de réserves, mais il est probable que nous n'aurions pas échappé longtemps à une condamnation de la Cour de Strasbourg.

A l'initiative du Sénat, puis de l'Assemblée, la France va donc s'aligner sur la norme européenne. Une multitude d'affaires ont montré l'importance qu'il y aurait eu à porter un second regard sur le fond : je pense aux procès Ranucci, Dominici, Raddad, mais on pourrait citer bien d'autres exemples encore. La réforme était donc attendue et les temps étaient mûrs pour cela. Je ne pense pas que l'opposition soutiendra le contraire (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR). Il y a en effet paradoxe, sinon scandale, à ce qu'on puisse faire appel du moindre jugement d'un tribunal correctionnel, mais non d'une condamnation à la réclusion à la perpétuité prononcée par une cour d'assises !

Il existait un obstacle : la décision d'une telle cour émane de la majorité du jury populaire et l'institution d'un appel remettrait en cause, disait-on, la souveraineté de tout le peuple. Cependant, toute décision de justice n'est-elle pas rendue au nom du peuple français ? Au reste, le dispositif de l'amendement 52 corrigé, comme celui du 156 de la commission, identique, ne va pas contre la souveraineté du jury populaire. En effet, en première instance, sept voix sur dix seront exigées pour que la culpabilité soit établie et, en appel, huit voix sur douze.

La juridiction d'appel sera désignée par le président de la chambre criminelle -qui devra se prononcer dans le mois. C'est là une garantie et ce président aura certainement la sagesse de choisir les cours les moins accablées d'affaires -il est des départements où l'on ne juge chaque année que très peu de cas criminels.

Voir son affaire rejugée et ses arguments repesés, dans une démocratie qui se veut exemplaire pour ce qui est de la protection des droits de l'homme, n'est-ce pas rien que de normal ? N'est-il pas extraordinaire qu'il ait fallu attendre la première lecture au Sénat pour qu'un droit aussi fondamental soit enfin consacré ?

M. Alain Tourret - Très bien !

M. Robert Pandraud - Vive le bicaméralisme !

Mme la Rapporteuse - Vous l'aurez enfin constaté : la parfaite identité de vues entre la commission et le Gouvernement fait que les amendements 52 et 156 sont identiques.

M. Jean-Luc Warsmann - Je prends la parole sans aucune intention polémique mais pour dire, au contraire, ma satisfaction de voir poser aujourd'hui le principe de l'appel devant les cours d'assises. Je me dois, en ce jour, de rendre l'hommage qu'ils méritent à M. Jacques Toubon, votre prédécesseur, Madame la Garde des Sceaux, et au Sénat, pour le travail qu'ils ont accompli.

Un débat se poursuit, nous le savons tous, sur le fait que l'appel ne soit pas confié à une juridiction supérieure, et que le Gouvernement ait choisi la solution de l'appel tournant, mais ce n'est pas de cela que traite le sous-amendement 245. Il s'agit, en précisant que la cour d'assises dispose d'un délai de six mois pour juger les personnes renvoyées devant elles, d'éviter que la France ne soit à nouveau condamnée en raison de la lenteur avec laquelle la justice est rendue.

Sait-on qu'une personne mise aujourd'hui en accusation à Aix-en-Provence se verrait fixer une date d'audiencement à 12, sinon 18 mois ? Sait-on qu'à Paris ou en Ile-de-France, ou dans les Ardennes, il lui faudrait attendre près d'un an ?

Mme la Garde des Sceaux nous a dit que, pour les appels tournants, le président de la chambre criminelle choisirait celles des juridictions les moins encombrées. Fort bien. Mais l'on voudra bine admettre que les juges y sont néanmoins très occupés, et il est donc bon de fixer un garde-fou et d'inscrire dans le texte un délai précis. Je ne suis pas insensible au principe de réalité, et je suis prêt à compléter le sous-amendement afin d'établir que la mesure ne s'appliquera que dans un ou deux ans. Mais l'on ne peut éluder cette question, car, de toutes les détentions provisoires, celle-là est la plus cruelle, et elle est indéfendable.

Mme la Rapporteuse - La commission s'est intéressée de près aux délais d'audiencement, et nous avons adopté des délais précis : six mois en matière correctionnelle et deux ans en matière criminelle. Pour le réaudiencement devant une cour d'assises, nous proposons un an, délai qui ne doit pas être dépassé, car l'ensemble de la procédure pourra, dans le pire des cas, avoir pris sept ans, ce qui est vraiment beaucoup.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement n'est pas favorable au sous-amendement. Je rappelle que l'article 21 quinquies, voté conforme, prévoit un délai d'un an.

Mme Frédérique Bredin - Nous allons donc en finir avec l'un des aspects les plus choquants de la procédure judiciaire française, qui trouve son origine dans une conception erronée, selon laquelle le peuple souverain ne peut se tromper. Les erreurs judiciaires existent pourtant, on le sait bien, en France comme aux Etats-Unis, où des tests ADN ont démontré que des innocents avaient été condamnés pour des crimes graves. Il est, de surcroît, d'une grande injustice que l'on puisse faire appel de peines légères infligées pour des délits, mais que cela ne soit pas possible lorsque de lourdes peines ont été prononcées pour des crimes.

M. Toubon avait, c'est exact, proposé un projet en ce sens, que le Parlement, droite et gauche confondues, a repoussé. La commission Deniau a alors été constituée, qui a élaboré un dispositif de qualité, dont le défaut était d'être d'application difficile, car trop théorique. Lorsque, en 1997, Lionel Jospin est arrivé au pouvoir, l'espoir d'une réforme était très fort : il fallait mettre fin à cet archaïsme intolérable. Nous nous y sommes employés, en concertation avec les associations qui _uvrent en faveur du respect des droits de l'homme, et c'est ainsi que le principe de l'appel tournant, simple, juste et applicable rapidement, a vu le jour. C'est une vraie révolution.

M. François Colcombet - Je suis de ceux qui, pendant longtemps, ont pensé que cette réforme n'était pas nécessaire et qui, confrontés à des situations particulièrement choquantes, ont compris qu'elle s'imposait.

Cela a déjà été dit, mais il faut y revenir : comment admettre plus longtemps que l'on puisse, en France, faire appel de petites condamnations, mais pas de lourdes peines ?

J'ai été bouleversé, comme bien d'autres, par le sort de M. Omar Raddad. On sait que tout, dans cette affaire, a commencé par un dysfonctionnement majeur de l'instruction : après que cinq juges d'instruction ectoplasmiques se furent succédés, la gendarmerie, devenue maîtresse de la procédure, s'est laissée influencer, tant et si bien que des pièces de la plus grande importance, telle que les photos de la victime, ont disparu. Après quoi l'audience a eu lieu, dans une ambiance détestable, dans une région où la présomption de culpabilité des Arabes est pratiquement de règle. De toute évidence, cette affaire aurait dû être rejugée, à tête reposée, et dans une autre juridiction.

Quant à l'argument selon lequel les jurés populaires ne se trompent pas, il ne tient pas. Partout où existe l'échevinage, il faut un degré d'appel. La loi Badinter a été à l'origine des catastrophes que l'on sait dans les tribunaux de commerce, où il faudra rétablir l'appel. Il devrait en être de même pour les prud'hommes, et pour les jurys de Nouvelle-Calédonie.

On l'aura compris, je suis favorable à l'appel tournant, pratique révolutionnaire, c'est vrai, et qui a le mérite d'utiliser l'infrastructure existante. Les juges sont très occupés, mais il devrait être possible d'équilibrer la charge de travail entre les juridictions.

La réforme ainsi mise en _uvre, qui évitera que l'appel se fasse dans le même contexte que lors du premier jugement, est une bonne réforme, et je me réjouis qu'une page de notre histoire judiciaire soit tournée. L'honnêteté commande de reconnaître que le projet Toubon avait eu le mérite de préparer les esprits à une évolution indispensable. Nous pouvons être satisfaits d'avoir, ensemble, bien travaillé.

M. Alain Tourret - C'est un moment important pour la République que celui que nous vivons. Relire l'histoire de la Révolution montre comment s'est forgé le dogme de l'infaillibilité du tribunal révolutionnaire, qui voulait que, plus la peine infligée était importante et mieux était démontrée la culpabilité de l'accusé, si bien que les guillotinés étaient coupables par définition. C'est cet état d'esprit qui perdure, et il convenait donc de donner une seconde chance aux condamnés en assises.

Reste le cas de ceux qui, condamnés avant la promulgation de la présente loi, ne pourront être rejugés.

Ne devrions-nous pas réfléchir à une extension des possibilités de révision ? Car tout de même il sera très dur d'expliquer à quelqu'un que la possibilité d'être rejugé s'est jouée pour lui à quelques jours près. J'invite donc au moins le Gouvernement à étendre les possibilités de révision, pour les affaires en cours, au profit de ceux qui ont plaidé innocent.

Par ailleurs, je voudrais que les choses soient bien claires : une personne qui se présente libre devant une première cour d'assises, qui est condamnée et qui fait appel n'ira pas en prison puisque l'appel est suspensif, nous sommes bien d'accord ?

Mme la Rapporteuse - Le cas est rare.

M. Alain Tourret - Pas tant que cela. Et d'autant moins qu'il n'y aura bientôt plus obligation de se constituer prisonnier.

Mais, surtout, j'insiste pour que nous pensions à ceux qui ont peut-être été condamnés à tort et donc pour que nous étendions les possibilités de révision.

M. Robert Pandraud - M. Colcombet nous a beaucoup émus en nous parlant d'une affaire dont nous ne sommes pas des spécialistes aussi avertis que lui mais qui semble avoir été entachée d'erreurs manifestes. D'où ma question à Mme la Garde des Sceaux : y a-t-il une trace de ces erreurs dans le dossier des fonctionnaires qui les ont commises ?

M. François Colcombet - Je me suis peut-être mal exprimé... Je ne voulais pas parler d'une faute des magistrats, mais de dysfonctionnements de l'institution judiciaire.

M. Robert Pandraud - Vous avez dit que certains avaient fait disparaître des pièces !

M. François Colcombet - Des pièces ont en effet été détruites parce que les services de police ont dit au magistrat qu'il n'était pas nécessaire de les garder. La culpabilité du suspect leur semblait tellement avérée qu'ils ne voyaient pas leur intérêt. Cela étant, on peut reprocher au magistrat d'avoir manqué de curiosité et considérer qu'il s'agit là d'une faute professionnelle.

M. Robert Pandraud - Il faut qu'il en reste trace quelque part.

M. le Président - Pensons à toutes les erreurs judiciaires qui ont été commises dans ce pays...

Le sous-amendement 245, mis aux voix, est adopté.

Les amendements 52 corrigé et 156, ainsi sous-amendés, mis aux voix, sont adoptés et l'article 21 octies est ainsi rédigé.

M. le Président - Ces amendements ont été adoptés à l'unanimité.

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APRÈS L'ART. 21 octies

Mme la Garde des Sceaux - Nous en arrivons à une question importante, la motivation ou non des décisions des cours d'assises, qui avait donné lieu à beaucoup de discussions lors de l'examen par le Parlement du projet présenté par mon prédécesseur, M. Toubon, sur la base de l'excellent rapport de M. Deniau.

Il ne paraît pas justifié de prévoir la motivation des décisions des cours d'assises, une telle exigence -qui ne découle nullement de l'institution d'un appel- ne correspondant pas à la nature de la juridiction. En revanche, il convient d'améliorer la précision des questions posées à la cour d'assises, en exigeant des questions spécifiques sur les éventuelles causes d'irresponsabilité. Tel est le sens de l'amendement 53 rectifié.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 157 rectifié de la commission est identique.

M. Alain Tourret - N'importe quelle décision est motivée et un verdict de cour d'assises ne le serait pas ? Je trouve que cette absence de motivation pose quand même un gros problème.

Les amendements 53 rectifié et 157 rectifié, mis aux voix, sont adoptés.

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 54 rectifié insère dans le code de procédure pénale un nouveau chapitre sur les modalités de l'appel en matière criminelle. Aux termes de cet amendement, seuls les arrêts de condamnations peuvent faire l'objet d'un appel, aucun appel n'est donc possible en cas d'acquittement.

Seuls l'accusé et le Parquet peuvent faire appel de la décision sur l'action publique, mais le Parquet ne peut former qu'un appel incident à la suite de l'appel de l'accusé, ce qui permet à la cour d'assises d'appel de conserver sa plénitude de juridiction pour diminuer ou aggraver, le cas échéant, la peine initialement prononcée ; en l'absence d'appel du condamné, le Parquet ne peut former un appel « a minima » pour obtenir une condamnation plus sévère.

La victime et les civilement responsables peuvent faire appel sur l'action civile, en cas d'appel du condamné.

La cour d'assises d'appel est désignée par le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

C'est un amendement clé pour le système d'appel tournant que nous sommes en train d'instituer.

Mme Frédérique Bredin - Je voudrais dire à M. Tourret que le système que nous sommes en train de mettre en place n'est assurément pas parfait mais qu'il constitue un progrès qui sera certainement suivi par d'autres, au rang desquels figurera sans doute un jour la motivation des décisions.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 158 rectifié est identique. J'approuve totalement ce qu'ont dit Mme la Garde des Sceaux et Mme Bredin.

Les amendements 54 rectifié et 158 rectifié, mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - A l'unanimité.

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ART. 21 nonies

Mme la Garde des Sceaux - L'institution d'un appel en matière criminelle justifie, à la fois dans un souci de cohérence et pour éviter l'allongement des procédures, de permettre au juge d'instruction de renvoyer directement l'accusé devant la cour d'assises, sans devoir transmettre le dossier à la chambre d'accusation. Il convient toutefois de permettre à l'accusé, dans le cas où il contesterait cette décision, de faire appel devant la chambre d'accusation. Celle-ci ne sera dès lors saisie que sur les dossiers qui soulèvent des difficultés particulières.

Par ailleurs, si l'article 215-1 qui oblige l'accusé à se constituer prisonnier la veille de l'audience doit être abrogé, comme l'a déjà fait le Sénat, il convient toutefois de maintenir la possibilité d'incarcérer une personne qui ne se présente pas à l'interrogatoire du président de la cour d'assises, qui ne respecte pas son contrôle judiciaire ou dont il apparaît qu'elle risque de prendre la fuite au cours de l'audience. En tout état de cause, cette personne peut toujours demander à la cour d'ordonner sa mise en liberté en cours d'audience.

Voilà ce qui amène le Gouvernement à vous présenter l'amendement 55.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 159 de la commission est identique.

Les amendements 55 et 159, mis aux voix, sont adoptés et l'article 21 nonies est ainsi rédigé.

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APRÈS L'ART. 21 nonies

Mme la Rapporteuse - Nous venons d'enlever à la chambre d'accusation ce qui justifiait son nom : la faculté de mettre en accusation. L'amendement 246 de la commission vise donc à la rebaptiser « chambre d'appel de l'instruction ».

Mme la Garde des Sceaux - Pourquoi pas ? Je m'en remets à la sagesse de cette Assemblée.

M. François Colcombet - Même si elle conserve d'autres attributions que l'appel de l'instruction, comme le contrôle de la police judiciaire, cette chambre doit en effet changer d'appellation.

L'amendement 246, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 247 est de coordination.

L'amendement 247, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

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ART. 21 decies

Mme la Rapporteuse - En première lecture, nous avions limité à deux ans le délai d'audiencement et le Sénat a voté conforme cette disposition, si bien que nous ne pouvons pas revenir dessus.

Je demanderai donc une nouvelle délibération sur le sous-amendement 245 de M. Warsmann qui tend à limiter ce délai à six mois, sans d'ailleurs prévoir de sanction.

L'amendement 160 rectifié de la commission vise quant à lui à fixer un délai pour le deuxième audiencement, pour les affaires rejugées. Au lieu de six mois, nous vous proposons un maximum d'un an assorti d'une sanction : la mise en liberté de l'accusé.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement a déposé un amendement 56 pour réécrire cet article et autoriser, si une peine privative de liberté est prononcée, l'incarcération du condamné malgré les délais d'appel et de pourvoi.

S'agissant du délai d'audiencement d'un an entre les deux procès, je m'en remets à votre sagesse, tout en appelant votre attention sur l'encombrement des cours d'assises : il ne me semble guère possible de faire immédiatement entrer en vigueur cette disposition qu'il faudra sans doute reconsidérer pendant la navette.

M. le Président - Puisque le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée, je mets tout de suite aux voix l'amendement 160 rectifié, laissant ainsi de côté le sous-amendement déposé par la commission à l'amendement 56, qui va sans doute tomber.

L'amendement 160 rectifié, mis aux voix, est adopté. L'article 21 decies est ainsi rédigé.

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APRÈS L'ART. 21 decies

Mme la Rapporteuse - L'amendement 249 de la commission est de coordination.

L'amendement 249, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 21 undecies, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 21 duodecies.

Mme la Garde des Sceaux - Nous avons terminé l'examen des articles relatifs aux cours d'assises. En moins d'une demi-heure, c'est une grande réforme que nous venons de voter.

La tentative de mon prédécesseur avait ouvert la voie. Mais le système qu'il avait imaginé, complexe et coûteux, n'était pas satisfaisant et c'est pourquoi je n'avais pas voulu reprendre la discussion au point où l'avait interrompue la dissolution. A l'époque, certains esprits n'étaient pas mûrs et la question de la motivation avait donné lieu à controverses.

Je me réjouis que vous ayez aujourd'hui voté à l'unanimité cette réforme capitale, la plus importante depuis longtemps dans notre droit pénal.

Désormais, les 2 500 personnes condamnées chaque année aux assises vont avoir une deuxième chance et les victimes pourront s'exprimer.

La Cour d'assise est la juridiction qui prononce les peines les plus lourdes, dont la réclusion criminelle à perpétuité. Il faut avoir visité des prisons dans lesquelles vivent des condamnés à perpétuité pour avoir une idée de ce qu'est cette peine, qui peut encore être assortie d'une peine de sûreté.

Nous connaissons les conséquences des condamnations aux peines les plus longues. Nous avons déjà pris des mesures pour favoriser la réinsertion des détenus. Il était indispensable de leur donner une voie de recours.

Je remercie l'Assemblée nationale d'avoir attendu que nous disposions des moyens nécessaires à la mise en _uvre d'une telle réforme : rien n'aurait été pire que de la faire échouer par un vote trop rapide.

Ce que nous venons de faire est historique. C'est une révolution. Je remercie les députés présents d'avoir approuvé cette grande réforme (Applaudissements sur tous les bancs).

Monsieur le président, je souhaite une suspension de séance.

La séance, suspendue à 17 heures 10, est reprise à 17 heures 35.

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APRÈS L'ART. 21 duodecies

M. Jack Lang - Retenu par la réunion de la commission des affaires étrangères, les bonnes nouvelles sont néanmoins parvenues jusqu'à moi, et je constate avec plaisir que la réforme s'enrichit d'heure en heure, que ce qui paraissait impossible hier devient possible aujourd'hui. Vous y avez contribué, Madame la Garde des Sceaux, et notre pays, qui a longtemps été, pour ce qui est de la protection des droits individuels, le wagon de queue de l'Europe, redevient un Etat de droit et de justice.

Vous avez évoqué tout à l'heure, à propos des cours d'assises, la cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci a condamné à plusieurs reprises notre pays, sans que cette condamnation emporte d'autres effets pratiques que le versement d'indemnités. Le maintien ou la révision de la décision de justice qui est à l'origine de la condamnation relève du droit interne de chaque Etat, et en France elle continue de s'appliquer en vertu du principe de l'autorité de la chose jugée. Certes, le requérant peut obtenir, outre la satisfaction morale d'avoir gain de cause à Strasbourg, la satisfaction pécuniaire dont je parlais à l'instant ; le plus souvent, cela suffit, mais il est des situations, peu nombreuses mais qui choquent, j'en suis sûr, la personnalité que vous êtes, où elle ne saurait réparer le préjudice subi. C'est le cas, en particulier, des personnes condamnées à la réclusion à perpétuité, dont vous avez su, tout à l'heure, décrire le sort avec des mots si justes.

C'est ainsi que M. Remli, ressortissant français d'origine maghrébine, a été condamné le 14 avril 1989 à la réclusion criminelle à perpétuité par un jury dont un membre avait, devant témoins, tenu des propos racistes juste avant l'audience, ce qui a valu à la France d'être condamnée à Strasbourg sur le fondement de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme ; mais M. Remli continue de purger sa peine.

Autre cas : celui de M. Hakkar, également condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, par la cour d'assises de l'Yonne, alors que son avocat n'était pas présent à l'audience ! Notre pays a été une nouvelle fois condamné sur le fondement de l'article 6 et M. Hakkar a certes reçu une indemnisation de 62 000 F, mais celle-ci est sans rapport avec la gravité du préjudice subi. Plusieurs collègues et moi-même allons lui rendre visite à Fresnes lundi prochain ; nous aimerions lui transmettre un message d'espoir, et c'est la raison de l'amendement 219 que je me suis permis de déposer, afin que cette anomalie soit réparée le plus rapidement possible (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste) .

Mme la Rapporteuse - La commission l'a reçu trop tard pour pouvoir se prononcer, et l'on peut donc considérer qu'elle l'a repoussé.

Mme la Garde des Sceaux - C'est une question que j'ai abordée hier dans mon discours préliminaire, et j'ai dit combien je souhaitais que notre pays traduise en droit interne les conséquences des décisions de la cour de Strasbourg. Mes services étudient actuellement, en particulier à la lumière des expériences étrangères, la meilleure façon de le faire, ainsi que je vous l'ai écrit en réponse à la lettre par laquelle vous m'avez saisie du cas de M. Hakkar. Je suis donc très favorable à votre amendement dans son principe, et je vous propose, n'étant pas en mesure, à ce stade, de valider sa rédaction, de profiter des navettes pour aboutir à un texte adéquat.

M. Jack Lang - Je vous en remercie. Si je comprends bien, l'Assemblée devrait le retenir malgré son imperfection, quitte à ce que le Sénat l'améliore ensuite...

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois - Tout à fait. Si la commission l'a repoussé, c'est pour une simple question d'organisation de ses travaux : il lui est en effet parvenu au milieu de la réunion qu'elle tenait au titre de l'article 88. Mais, pour qu'il soit amélioré, encore faut-il que nous l'adoptions au cours de la présente lecture...

M. Alain Tourret - Même s'il ne concerne que quelques cas chaque année, cet amendement est intéressant. Il permet en effet d'ouvrir la possibilité de révision aux cas où le justiciable n'a pas eu droit à un procès équitable. Cette notion est à la fois vaste et restrictive. Imagine-t-on que la France puisse être condamnée par la cour européenne des droits de l'homme au motif que M. Papon n'aurait pas eu droit à un procès équitable ? Nous aurions l'air malin ! Il est donc nécessaire de tracer une limite à cette notion. Mais l'amendement de M. Lang offre aux justiciables une nouvelle chance. Retenons-le et améliorons le.

M. Patrick Devedjian - Nous sommes tous d'accord sur ce point !

M. Jean-Luc Warsmann - Si M. Lang l'avait retiré, je l'aurais repris.

L'amendement 219, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - L'amendement a été adopté à l'unanimité

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ART. 22 A

M. François Colcombet - Cet article aborde le problème délicat de la presse. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui est notre bible, dit : « La libre communication des pensées et des opinions est l'un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Piétiné pendant une grande partie du XIXème siècle, ce texte a été défendu par de grands orateurs, Benjamin Constant, Chateaubriand. Une révolution a même eu lieu pour obtenir le droit de presse qui est inscrit dans notre histoire. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la loi de 1881 s'intitule « loi sur la liberté de la presse ». Tout ceci n'appartient pas à un lointain passé ; il n'y a qu'à évoquer le contrôle jusqu'à l'absurde de la presse pendant la grande guerre, sous Vichy ou pendant les événements en Algérie, pour s'en convaincre.

Restons donc attentifs à la liberté de la presse. Pour autant, la loi de 1881 n'a pas prévu un système où tout est permis aux journalistes. La répression y est cependant compensée par diverses recettes de procédures qui tendent à renforcer les droits de la défense. Or, il semble que l'on tende à grignoter ces règles. Le développement du référé, qui permet de saisir dans un délai très bref un livre ou un journal, n'est pas exempt de risques. Même s'il est en règle générale utilisé à bon escient, il représente un danger potentiel pour la liberté de la presse.

J'en viens à l'article 9 du code civil qui crée un droit à la protection de la vie privée. On a cru rendre le texte anodin en le mettant dans le code civil. Mais en appliquant des dispositions incluses dans des textes qui ne concernent pas directement la presse, on en vient à porter des atteintes graves à la liberté de celle-ci. Il faudra sans doute revoir ces textes. Nous sommes d'ailleurs nombreux à avoir prêté la main à des glissements, notamment lors de la réforme du code pénal qui a été l'occasion de faire glisser certaines dispositions de la loi de 1881 dans ce code.

M. Patrick Devedjian - Ce n'est pas bien !

M. François Colcombet - En effet, mais vous l'avez votée. J'ai relevé au moins neuf textes qui ont été intégrés à divers codes alors qu'ils concernent en réalité des violations de la loi sur la presse, qu'il s'agisse des messages violents ou pornographiques accessibles aux mineurs, de la provocation des militaires à la désobéissance, de l'atteinte à l'indépendance de la justice ou de la provocation à la toxicomanie.

Je souhaiterais, Madame la ministre, que l'article 9 bis, que l'on veut introduire dans le code pénal, trouve sa place dans la loi sur la presse.

M. André Gerin - La commission propose d'élargir au témoin assisté l'application de l'article 9-1 du code civil. Nous pensons que cette évolution n'est pas souhaitable. L'article 9-1 réalise en effet dans sa rédaction actuelle un équilibre satisfaisant entre le respect de la présomption d'innocence et la liberté de la presse.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 161 consiste en une toute petite modification de l'article 9-1 du code civil, qui est, Monsieur Gérin, absolument obligatoire. Nous ne pouvons oublier dans la liste des personnes qui peuvent invoquer une atteinte à la présomption d'innocence le témoin assisté, auquel nous avons pris soin de conférer un statut.

M. Pierre Albertini - Je propose un amendement 202.

M. Colcombet a cité avec raison la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Permettez-moi de citer à mon tour l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme : « Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées, sans ingérence des autorités publiques et sans considération de frontières ». Mis en vis-à-vis, ces deux textes donnent une définition assez complète de ce que doit être le droit de l'information. Je préfère en effet parler de droit à l'information que de liberté d'expression. Le code civil actuel protège la dignité de la personne et la présomption d'innocence et, Mme le rapporteur l'a reconnu elle-même, l'article 9-1 reçoit aujourd'hui des applications jurisprudentielles assez satisfaisantes. Il est cependant question de l'alourdir par un dispositif qui n'a pas sa place dans le code civil. Prenons un exemple simple : un grand quotidien de l'après-midi vient de publier quasiment in extenso le réquisitoire du procureur de Paris, qui était destiné exclusivement au juge d'instruction et aux défenseurs de M. Roland Dumas -ces derniers reconnaissant d'ailleurs qu'ils n'en ont pas eu connaissance. Je vous mets au défi d'appliquer le dispositif que vous soutenez pour sanctionner un tel fait ! Comme M. Colcombet l'a dit, la loi de 1881 est une grande loi de liberté, un mini code de la presse et de l'imprimerie. Que peut en l'espèce votre dispositif ? Que peut-on reprocher au journaliste ? A-t-il présenté M. Dumas comme un coupable ? Pas du tout, il se borne à reproduire un document qui aurait dû rester dans le secret de l'instruction judiciaire. Dans une société de confiance fondée sur le droit à l'information, le code civil prévoit des dommages et intérêts pour les personnes dont la présomption d'innocence est bafouée.

Pourquoi alourdir le système par le biais d'un dispositif inapplicable ?

Je souscris à la suggestion qui a été faite tout à l'heure de reprendre l'ensemble des textes qui touchent au droit à l'information. Ce lent grignotage de la loi de liberté de 1881 est en effet préjudiciable à toute la société.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis favorable à l'amendement de Mme la rapporteuse, car il tire les conséquences de l'extension du statut de témoin assisté et de la réduction des cas de mise en examen. En revanche, je m'opposerai à l'amendement de M. Albertini : les dispositions légèrement modifiées pour coordination par la commission apparaissent équilibrées.

Monsieur Colcombet, je suis tout à fait d'accord pour que nous incorporions toutes ces dispositions à la loi sur la presse. J'ai d'ailleurs commencé à le faire sur certains points.

L'amendement 161, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - L'amendement 202 tombe.

L'amendement 191 n'est pas soutenu.

L'article 22 A modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 22

M. Pierre Albertini - Notre amendement 203 vise à supprimer cet article qui risque d'être vain, s'il n'a des effets pervers.

On ne doit manier les interdictions qu'avec de grandes précautions, quand bien même il s'agirait des images, dont l'impact émotif est toujours très fort. Surtout, les télévisions sont habiles à contourner la loi : il leur suffit d'introduire un peu de flou à la hauteur des mains pour se mettre en règle avec les textes sans que personne s'y trompe. L'individu qu'on voit avancer, les bras croisés, entre deux gendarmes est forcément menotté ! Le dispositif n'est donc pas efficace : il n'est qu'hypocrite. Au reste, il y a tant d'autres façons de porter atteinte à la dignité humaine que de montrer des personnes menottées : d'autres images sont bien plus cruelles...

Mais les images ont quelquefois des vertus pédagogiques notamment...

M. Patrick Devedjian - Elles peuvent être édifiantes aussi !

M. Pierre Albertini - Si on ne les montre pas, on peut en arriver à anesthésier la démocratie et à tromper plus encore l'opinion qu'en les montrant. On se servira alors d'un paravent de vertu pour empêcher tout progrès dans la protection des libertés. C'est pourquoi je suis radicalement opposé à ce dispositif.

Mme la Rapporteuse - A la proposition de M. Albertini, la commission a préféré une restriction du champ d'infraction défini en première lecture, mais une restriction moindre que celle que suggère le Gouvernement : l'infraction pénale ne serait constituée que si les images étaient diffusées sans l'accord de l'intéressé et si celui-ci portait plainte. Grâce à ces deux verrous, le texte pourra avoir un effet pédagogique et conforter une déontologie de la presse parfois un peu floue.

M. François Colcombet - La presse peut certes contourner les règles mais nous lui donnerons ici une indication sur ce que nous souhaitons. Si, à cela, s'ajoute l'ouverture d'un débat avec les journalistes, nous pourrons espérer parvenir à un certain équilibre grâce à des règles de conduite définies collectivement. Édictons donc des interdictions et des sanctions, mais n'en faisons pas trop !

Je souhaite vivement que ces dispositions figurent dans la loi sur la presse, et non dans le code civil, de façon à ce que la procédure soit à la fois compliquée à mettre en _uvre et très rapide -pour pouvoir demander immédiatement des comptes aux journalistes.

Mme Nicole Catala - Il s'agit ici de personnes présumées innocentes, dont l'image est fixée, diffusée et reproduite dans des conditions et des circonstances telles qu'on ne peut plus que les présumer coupables ! Quitte à être isolée, je ne puis que m'élever contre la volonté de restreindre le champ des dispositions votées en première lecture. Cette immixtion des médias dans le cours de la procédure pénale devrait au contraire nous inciter à protéger plus fortement encore la dignité des personnes et la présomption d'innocence. Les amendements de la commission et du Gouvernement sont très en-deçà de ce que nous avions initialement envisagé : comment les intéressés pourraient-ils pratiquement s'opposer à la diffusion de leur image par le journal de 20 heures ? Le vote de ces dispositions marquerait un recul !

Mme la Garde des Sceaux - Contre l'amendement 203, le Gouvernement ayant présenté un autre amendement : le 22 rectifié.

En première lecture, nous avons adopté deux dispositions permettant d'infliger une amende lorsque des personnes protestaient contre la diffusion de leur image, prise alors qu'elles étaient menottées ou prises dans un attentat. Nous nous souvenons tous de cette femme qui s'était à juste titre insurgée après la publication de sa photo, prise lors de l'attentat de Port-Royal : il n'est que juste de mieux protéger l'intimité et la dignité des personnes. Pour autant, nous n'interdisions pas la prise de photos ni la diffusion d'images, les cas de guerre ou de catastrophe naturelle étant exclus.

Le vote de ces deux dispositions n'a suscité des réactions qu'après un certain temps.

M. André Gerin - Non !

Mme la Garde des Sceaux - Les réactions immédiates furent modérées. J'ai en tout cas pris en compte les observations des professionnels car il est vrai que l'application à la presse des dispositions visant à protéger la vie privée a entraîné beaucoup d'abus. Certains invoquent le droit à cette protection et le droit à l'image pour obtenir des condamnations sans rapport avec l'objet originel de la loi. Par glissements successifs, on passe d'un droit à l'image à un droit sur l'image, et de là à une commercialisation outrancière et dangereuse. Bientôt, plus aucune photo ne serait gratuite et la presse en serait alors réduite à n'utiliser que des images virtuelles...

Je n'avais pas présents à l'esprit ces abus lorsque nous avons légiféré mais j'ai pris conscience du problème en en discutant avec les directeurs de publications et d'agences de photographies, et avec les photographes. Je persiste à penser que la loi doit protéger les personnes isolées ou placées en situation de fragilité -elle seule le peut- mais, par l'amendement 22 rectifié, je souhaite éviter le risque de voir débordées les deux dispositions que nous avons édictées.

Je propose donc, avec cet amendement, de limiter la portée du délit réprimant les atteintes à la présomption d'innocence résultant de la diffusion de l'image d'une personne menottée en précisant que l'infraction n'est constituée que si cette diffusion est réalisée sans l'accord de l'intéressé.

Il n'y a en effet pas de raison de réprimer la diffusion de telles images si la personne photographiée entend, par exemple, dénoncer devant les médias les poursuites dont elle a fait l'objet. Ce fut le cas, on le sait, de M. José Bové.

Par ailleurs, cette infraction est insérée dans la partie de la loi sur la liberté de la presse qui réprime les infractions contre la personne où figurent déjà la diffamation et l'injure, afin de mettre en évidence qu'il s'agit de protéger la réputation de la personne poursuivie.

Avec cet amendement, le Gouvernement concilie liberté de la presse et liberté des personnes.

Mme la Rapporteuse - Très bien !

M. Patrick Devedjian - Votre présentation de la première lecture m'a paru exagérément simplificatrice, puisque l'amendement 207 de M. Albertini avait été adopté contre votre avis et qu'il vous a fallu demander une nouvelle délibération pour obtenir ce que vous souhaitez. A ce moment encore, comme le Compte rendu analytique des débats en fait foi, je me suis élevé vigoureusement contre cette disposition.

Je vous en donne acte : vous nous avez entendu, au moins partiellement, puisque vous admettez désormais qu'il ne pourra y avoir action du Parquet que sur plainte de l'intéressé. A cette correction indispensable vous avez ajouté une autre, qui me semble très théorique : imagine-t-on vraiment qu'un individu emmené menotté entre deux policiers prendra, toutes choses cessantes, le temps de signer un papier dans lequel il signifiera qu'il est d'accord pour être photographié ?

D'une manière plus générale, pourquoi vouloir à tout prix protéger les gens d'eux-mêmes ? S'ils veulent vendre leur image, qu'ils le fassent, ils en ont le droit, ils en sont propriétaires !

M. Pierre Albertini - Dans une certaine mesure !

M. Patrick Devedjian - Lorsque M. José Bové lève vers le ciel ses poignets menottés, il fait un acte volontaire, politique et militant. Au nom de quoi l'en empêcher ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

De surcroît, votre dispositif ignore la mondialisation qui fait circuler les images de manière incontrôlable. Dans un tel cadre, à quoi bon une législation strictement nationale ?

Parlons, par exemple, de M. Papon. On le photographie menotté, et cela ne lui convient pas. Votre dispositif lui permet d'attaquer, et il aura gain de cause, avec quelle conséquence ? Que les Français, s'ils veulent voir cette image d'une haute portée symbolique -tout particulièrement pour les familles comme la mienne, dont certains des membres ont été expédiés à Buchenwald sur son ordre- devront se tourner vers une chaîne de télévision étrangère, vraisemblablement américaine. Vous n'y pourrez rien.

Est-ce ce que vous souhaitez ? Que les Français délaissent les chaînes françaises et se tournent vers CNN ? Cette disposition n'aura pas d'autre effet.

M. Alain Tourret - Laissez donc Mme Catala vous exposer son point de vue sur cette question !

M. André Gerin - En première lecture, j'avais voté contre cette disposition, exposant que si elle avait été en vigueur au moment du débat, il aurait été impossible de traiter des « affaires » en cours à la Commission européenne ou en France.

Je persiste à penser qu'il ne faut pas toucher à l'article 9.1 du code civil, et accepter un espace de contradiction -ce qui suppose, évidemment que le sens moral et le sens des responsabilités s'exercent. Le scandale, ce ne sont pas les photographies, ce sont les menottes ! Nous traitons de la présomption d'innocence ; mais que sont, symboliquement, les menottes, sinon la preuve d'une présomption de culpabilité ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste)

L'amendement 203, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'amendement 22 rectifié, mis aux voix, est adopté.

L'article 22, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté, ainsi que l'article 23.

M. le Président - Les amendements 242 et 243 ne sont pas défendus.

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APRÈS L'ART. 24

M. Pierre Albertini - Tel qu'il est affirmé dans l'article 11 du code de procédure pénale, le principe du secret de l'instruction est aujourd'hui un mythe. Ne sont d'ailleurs tenus au secret professionnel que les personnes qui concourent à la procédure : magistrats, avocats, fonctionnaires de police judiciaire et gendarmes.

Il faut donc en finir avec cette fiction, d'autant qu'il est bien difficile de sanctionner des journalistes qui ne sont pas tenus de dévoiler leurs sources. C'est pourquoi l'amendement 204 propose de supprimer le premier alinéa de l'article 11 du code de procédure pénale, et de mettre ainsi le droit en conformité avec les faits.

Mme la Rapporteuse - Débat de juristes... Nous nous accordons tous à reconnaître que le secret professionnel doit être maintenu pour toutes les personnes qui concourent à la procédure. Vous estimez le premier alinéa de l'article 11 inutile ; je considère pour ma part qu'il annonce l'alinéa suivant, et facilite sa compréhension.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement est défavorable à l'amendement. L'affirmation du secret de l'enquête, sous réserve des « fenêtres de publicité » me paraît opportune.

L'amendement 204, mis aux voix, n'est pas adopté.

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ART. 25

M. Patrick Devedjian - Nous proposons, par l'amendement 45, de supprimer le I de l'article. On ne peut en effet affecter de considérer que le procureur de la République, partie ou procès, est objectif. Comment l'accusateur pourrait-il donner des informations impartiales ? Dois-je rappeler qu'un certain procureur, promu depuis,... avait déclaré publiquement que les informations qu'il distillait étaient destinées à « affoler la meute » ? Où est donc l'impartialité ? Et où l'objectivité ?

Mme la Rapporteuse - Dans une société aussi médiatisée que la nôtre, il me paraît important qu'un magistrat puisse, à des moments qu'il choisit, donner des informations pour contrebalancer celles qui circulent en tous sens à l'initiative des uns et des autres. J'ajoute que nous ne faisons là qu'inscrire dans la loi une pratique qui a déjà quelques années et qui a été introduite par une bonne circulaire de M. Arpaillange.

Avis défavorable, donc, sur l'amendement 45.

Mme la Garde des Sceaux - Même avis. Il est en effet souhaitable de consacrer dans la loi, en les encadrant, les communiqués du Parquet.

L'amendement 45, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Devedjian - Que le Parquet fasse des communiqués ne me dérange pas ; mais je trouve incroyable que l'accusé soit obligé de passer par son accusateur pour rendre publics certains éléments ! Car le procureur est bel et bien un accusateur. En tant que partie au procès, il ne peut être objectif. Je ne désespère pas d'être entendu un jour...

J'en viens à mon amendement 46, qui tend à supprimer la fin du dernier alinéa du II. Si la personne mise en examen demande que l'audience soit publique, il doit être fait droit à sa demande sans restriction. La publicité des débats constitue en effet une garantie indispensable et nul n'est digne d'être le seul gardien de ce bien précieux qu'est la liberté. Nous devons tous contrôler les conditions dans lesquelles quelqu'un peut s'en voir privé.

Mme la Rapporteuse - La commission n'est pas favorable à ce que l'on supprime la phrase : « sauf si la publicité est de nature à nuire à la dignité de la personne ou aux intérêts d'un tiers ». Une jeune femme violée, par exemple, n'a pas forcément envie que la mise en détention provisoire du violeur soit décidée en audience publique.

Mme la Garde des Sceaux - Même avis défavorable Il faut maintenir quelques exceptions au principe des fenêtres de publicité.

Mme Frédérique Bredin - Je reviens aux communiqués des procureurs pour souligner qu'ils doivent se limiter à des éléments objectifs. Ce n'est pas toujours le cas actuellement. Je pense par exemple à ce procureur qui, à propos de ces hommes qui s'étaient perdus en montagne et avaient vécu quelques jours dans un igloo, déclara : « ce ne sont pas des héros, mais des zéros ». Je ne pense pas qu'un procureur soit dans son rôle en se livrant à une telle appréciation.

J'aimerais donc que Mme la Garde des Sceaux s'engage à diffuser auprès des procureurs une circulaire claire sur la nature des communiqués, en soulignant bien que ceux-ci ne doivent pas comporter de commentaires subjectifs et que les procureurs qui passeraient outre seraient passibles de sanctions disciplinaires.

Je suis par ailleurs convaincue que le secret de l'instruction n'est plus qu'une illusion. Il faut donc donner aux mis en examen la possibilité de s'expliquer eux aussi devant la presse, élargir les fenêtres de publicité et restreindre les possibilités offertes aux juges de refuser cette publicité. C'est pourquoi, tout en n'étant pas d'accord avec la suppression proposée par M. Devedjian, je souhaite que l'on retire l'ordre public de la liste des motifs permettant au juge de refuser la publicité du débat. L'amendement 163 rectifié remplace donc cette référence à l'ordre public par : sauf si la publicité risque « d'entraver les investigations spécifiques nécessitées par l'instruction « .

M. François Colcombet - Il n'y a pas que le procureur, Monsieur Devedjian, qui peut décider de rendre public tel ou tel élément du dossier. L'avocat peut aussi lui demander de le faire. Et je pense que la circulaire de la Garde des Sceaux répondra à vos préoccupations.

L'amendement 46, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme Frédérique Bredin - J'ai défendu le 163 rectifié.

L'amendement 163 rectifié, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 164 est une amendement de coordination.

L'amendement 164, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Patrick Devedjian - L'amendement 47 est défendu.

L'amendement 47, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Rapporteuse - Le 165 est un amendement de coordination.

L'amendement 165, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 25, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 25 bis

Mme la Rapporteuse - L'amendement 166 tend à supprimer cet article introduit par le Sénat, relatif à la diffamation des personnes protégées. La commission l'a jugé peu judicieux.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement préférerait que l'Assemblée adopte l'amendement 221, fruit d'un travail commun avec Mme Trautmann.

Il a pour objet de supprimer les peines d'emprisonnement actuellement prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en matière de diffamation ou d'injures contre les particuliers, dans le seul cas où ces diffamations ou injures ne présentent pas un caractère raciste.

Ces peines ne sont quasiment jamais prononcées par les juridictions. Leur suppression aurait valeur d'exemple pour nombre de pays dont la législation en matière de presse reproduit celle de la loi de 1881 mais dans lesquels, à la différence de la France, les tribunaux n'hésitent pas à prononcer fréquemment des peines d'emprisonnement ferme contre des journalistes poursuivis pour injures ou diffamation.

Mon attention sur cette question a été appelée par l'association « Reporters sans frontières ». Je crois qu'une telle suppression pourrait également concerner d'autres infractions comme la diffamation ou l'injure envers des dépositaires de l'autorité publique, l'offense au Président de la République ou aux chefs d'Etat étrangers, l'outrage envers les agents diplomatiques. Mais cela nécessiterait une concertation préalable.

M. Pierre Albertini - Le Sénat a cédé ici à un malheureux réflexe de pénalisation excessive. Nous sommes donc d'accord avec la suppression proposée par l'amendement 166. Et par l'amendement 167 nous proposons de maintenir à trois mois le délai de prescription des infractions commises en matière de presse -délai que le Sénat voulait porter à trois ans, ce qui constituerait une atteinte à la grande loi de 1881.

L'amendement 166, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - L'amendement 221 tombe.

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ART. 25 ter

Mme la Rapporteuse - M. Albertini vient de défendre l'amendement 167 de la commission.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable.

M. André Gerin - Il faut supprimer cet article hors du temps voté par le Sénat.

M. Patrick Devedjian - On ne peut en effet porter à trois ans la prescription en matière de délit de presse. Ce serait faire disparaître une culture centenaire. Le Sénat a oublié que les coupures de presse sont celles qui cicatrisent le plus vite (Sourires).

En revanche, je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement a envisagé d'augmenter l'amende en cas de diffamation et de la réduire en cas d'injure.

L'amendement 167, mis aux voix, est adopté et l'article 25 ter est ainsi rédigé.

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ART. 26

M. Patrick Devedjian - Mon amendement 48 est de suppression.

L'amendement 48, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 23 du Gouvernement vise à limiter la portée du délit réprimant les atteintes à la dignité de la victime. En effet, seule la diffusion des images portant « gravement » atteinte à la dignité de la victime sont susceptibles d'être réprimées. De plus, il est précisé que l'infraction n'est constituée que si cette diffusion est réalisée sans l'accord de l'intéressé. Il n'y a donc pas de délit si la victime accepte cette diffusion, par exemple pour témoigner de ce qu'elle a subi.

Par ailleurs, cette infraction est insérée dans la partie de la loi sur la liberté de la presse qui réprime les infractions contre la personne -et où figurent déjà la diffamation et l'injure- afin de montrer qu'il s'agit de protéger les droits d'une personne, qui risque de subir un deuxième traumatisme en voyant diffuser les images de la souffrance qu'elle a subie.

Il en résulte que ce texte ne pourra s'appliquer qu'aux victimes vivantes. Au demeurant, la loi sur la liberté de la presse ne protège, de façon générale, que les personnes vivantes : ainsi, la diffamation envers les morts ne constitue pas un délit même si elle peut justifier un procès civil, sauf si elle porte aussi atteinte à la réputation des héritiers.

Je précise que l'autorisation de la victime ne porte pas sur la photographie, qui peut toujours être faite, mais sur sa diffusion ultérieure. La victime dispose donc d'un temps de réflexion pour s'interroger sur l'opportunité de la publication.

Mme la Rapporteuse - Avis favorable.

Mme Frédérique Bredin - La présomption d'innocence vaut certes dans la procédure pénale, mais aussi dans les médias. Il faut aussi protéger les victimes et c'est pourquoi je suis favorable à cette disposition. Cependant, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une déontologie de la presse.

Ce dispositif, par ailleurs équilibré, montre par ailleurs qu'il vaut mieux être vivant que mort... (Sourires)

L'amendement 23, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 250 de la commission est de coordination.

L'amendement 250, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 26, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 26 bis

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 24 du Gouvernement vise à modifier l'article 48 de la loi sur la presse, afin que les poursuites concernant le délit de diffusion de l'image d'une personne menottée ou le délit d'atteinte à la dignité de la victime ne puissent être engagées par le Parquet sans plainte préalable des intéressés, comme c'est le cas en matière de diffamation ou d'injure.

Le dernier alinéa de l'article 48 est également modifié pour permettre aux victimes d'engager elles-mêmes des poursuites, si le Parquet a classé leur plainte sans suite.

L'amendement 24, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté et l'article 26 bis est ainsi rédigé.

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APRÈS L'ART. 26 bis

M. Patrick Devedjian - Mes amendements 49 et 50 sont défendus.

L'amendement 49, repoussé par la commission et le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 50.

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ART. 27

Mme la Rapporteuse - L'amendement 168 de la commission est de coordination.

L'amendement 168, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 27, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 28

Mme la Rapporteuse - Cet article définit la mission des associations d'aide aux victimes. L'amendement 169 de la commission vise à faire disparaître le mot « assistance », celle-ci relevant de l'avocat.

L'amendement 169, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 28, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 28 ter

Mme la Rapporteuse - Le Sénat a souhaité que l'officier de police judiciaire puisse, dès le stade de la garde à vue, orienter la personne arrêtée ou la victime vers un avocat. Il a paru dangereux à votre commission que l'avocat soit choisi par l'officier de police judiciaire : c'est pourquoi l'amendement 170 vise à supprimer la référence à l'avocat.

C'est vers une association que l'officier de police judiciaire doit orienter la victime.

L'amendement 170, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 28 ter, modifié, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 28 quater

M. Jean-Pierre Michel - Le débat sur le Pacs a montré la nécessité de combattre l'homophobie. M. Léotard d'une part, le groupe communiste d'autre part, ont déposé une proposition de loi en ce sens.

L'homophobie peut se manifester sous forme d'injure ou de diffamation. Il faudra sans doute créer un délit spécifique, comme en cas d'injure raciale, mais je considère que les tribunaux peuvent déjà poursuivre, sur la base des textes généraux. J'ai posé à ce sujet une question écrite à Mme la Garde des Sceaux.

L'homophobie peut aussi être à l'origine de discriminations. J'ai défendu en 1985 un texte punissant les discriminations fondées sur les « m_urs », ce terme englobant l'orientation sexuelle.

Or, la jurisprudence est maigre, car les personnes discriminées hésitent à porter plainte, de peur d'être, en quelque sorte, discriminées deux fois. Mon amendement 205 vise donc à autoriser des associations répondant aux règles générales du code de procédure pénale à se constituer partie civile.

Nous aurons de la sorte une jurisprudence plus abondante, ce qui nous évitera peut-être d'avoir à légiférer.

Mme la Rapporteuse - Avis favorable.

Mme la Garde des Sceaux - Il me semblerait plus judicieux de compléter l'article 2-16 du code pénal. Nous pourrions voir ce point pendant la navette. Cela dit, favorable au principe, je m'en remets à votre sagesse.

M. André Gerin - Les discriminations fondées sur les m_urs existent réellement, mais les victimes hésitent à porter plainte. Il faut donc permettre aux associations qui répondent aux conditions générales du code de procédure pénale de se constituer partie civile afin que la répression de ces délits puisse s'exercer.

L'amendement 205, mis aux voix, est adopté.

M. le Président - A l'unanimité.

M. Pierre Albertini - L'amendement 1 est défendu. Pour une série de bonnes causes -la lutte contre les phénomènes sectaires, les accidents du travail ou la violence dans les grands ensembles- nous avons accordé l'action civile à une quarantaine d'associations, sous des régimes très disparates. Il faudra un jour y mettre de l'ordre, car l'action civile des associations devient un véritable labyrinthe.

Mme la Rapporteuse - Avis défavorable.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis, quant à moi, favorable à l'amendement, mais il convient de le rectifier, en faisant référence à l'article 2-18 et non au 2-17, qui concerne les sectes...

M. Pierre Albertini - Vous illustrez parfaitement mon propos ! (Sourires)

L'amendement 1, ainsi rectifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 29 A

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 225 est de coordination.

L'amendement 225, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 171 rétablit le texte voté en première lecture par l'Assemblée.

L'amendement 171, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 29 A, ainsi modifié, et que l'article 29 B.

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APRÈS L'ART. 29 B

M. Patrick Devedjian - L'amendement 193 de M. Mariani est soutenu.

Mme la Rapporteuse - L'adopter serait s'interdire de réprimer les délits économiques (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

M. Patrick Devedjian - Tout ne repose heureusement pas sur des dénonciations !

L'amendement 193, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Patrick Devedjian - L'amendement 192 de M. Mariani est également défendu.

L'amendement 192, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté.

Les articles 29, 30, 31 et 31 sexies, successivement mis aux voix, sont adoptés.

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ART. 31 septies

Mme la Rapporteuse - L'amendement 172 rétablit le texte voté par l'Assemblée en première lecture.

L'amendement 172, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, et l'article 31 septies ainsi rédigé.

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APRÈS L'ART. 31 septies

Mme la Rapporteuse - L'amendement 173 est retiré. Quant à l'amendement 174, il étend aux extorsions de fonds, destructions, dégradations et détériorations la réparation subsidiaire, actuellement limitée aux vols, escroqueries et abus de confiance, que l'article 706-14 du code de procédure pénale accorde aux victimes se trouvant dans une situation matérielle ou psychologique particulièrement difficile. Il s'agit en effet de personnes fort démunies, pour qui les conséquences de tels agissements sont particulièrement traumatisantes.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement est très favorable à cette extension, bien qu'elle ne soit pas de nature à améliorer la situation du fonds de garantie : pourquoi, en effet, une personne dont on brûle la voiture ne serait-elle pas indemnisée, quand celle dont on vole la voiture l'est ?

Je profite de cette intervention pour signaler que l'article additionnel 28 quater, adopté par l'Assemblée en première lecture à l'initiative de Mme Picard, présidente du groupe d'étude sur les sectes, et qui permet aux associations de défense des victimes de se porter partie civile, a été voté conforme par le Sénat. Or, la Mission interministérielle a remis entre-temps son rapport, qui conclut notamment à la nécessité de réserver cette faculté aux associations déclarées d'utilité publique, afin de prévenir tout risque de dérive (« Très bien ! » sur de nombreux bancs). L'article 28 quater ne pouvant toutefois plus être modifié, je déposerai un amendement à un autre texte en navette.

L'amendement 174, mis aux voix, est adopté.

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AVANT L'ART. 32

Mme la Rapporteuse - L'amendement 177 est de coordination.

L'amendement 177, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - L'Assemblée a adopté le principe d'un contrôle régulier des locaux de garde à vue par les procureurs de la République. Dans le même esprit, l'amendement 175 rectifié pose celui d'un contrôle annuel des locaux de rétention administrative et des zones d'attente des étrangers en situation irrégulière.

L'amendement 175 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

Mme la Garde des Sceaux - Dans sa décision Khalfaoui du 14 décembre dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré contraire à la convention européenne la procédure de mise en état, qui oblige toute personne condamnée à une peine de plus d'un an d'emprisonnement à se constituer prisonnière pour obtenir l'examen de son pourvoi en cassation. L'amendement 25 abroge donc l'article 583 du code de procédure pénale, qui prévoit cette procédure, ainsi que l'article 583-1, qui en précise les conséquences.

Mme la Rapporteuse - La commission approuve d'autant plus cet amendement que son propre amendement 176 est identique.

Les amendements 25 et 176, mis aux voix, sont adoptés.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 182 est de coordination.

L'amendement 182, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. Alain Tourret - L'amendement 178 rectifié, que la commission a voté à l'unanimité, dispose qu'une personne condamnée à quatre ans d'emprisonnement ou moins, ou à qui il reste moins de quatre ans à effectuer, et à condition que l'infraction commise ne l'ait pas été envers des enfants, exécute sa peine sous le régime de la liberté conditionnelle lorsqu'elle a un enfant de moins de dix ans, vivant chez elle et soumis à son autorité parentale. Cette mesure, à laquelle le juge de l'application des peines pourra toutefois s'opposer au nom des intérêts de l'enfant, est en vigueur en Italie depuis 1975, à la satisfaction générale.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de l'Assemblée.

L'amendement 178 rectifié, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - Les amendements 179 et 180 sont de coordination.

Les amendements 179 et 180, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 181 rectifié judiciarise l'application des peines, souhaitée par nombre de parlementaires, de praticiens du droit et d'universitaires depuis l'institution du juge de l'application des peines en 1958, et notamment par le grand pénaliste Georges Levasseur, qui a présidé la commission créée sur ce sujet par Robert Badinter dès son arrivée au ministère de la justice. Grâce à cet amendement, le procès pénal, dont nous avons souhaité qu'il commence dès le contrôle de la garde à vue, ne s'achèvera pas au prononcé de la peine, et la garantie offerte par le principe du contradictoire accroîtra les chances de réinsertion des personnes condamnées. Il faut que le juge de l'application des peines soit conscient qu'il est un juge à part entière, qui prend des décisions autres que de simple « administration judiciaire », et qui ne les prend plus seul puisqu'elles seront désormais susceptibles de recours. Nous parachevons ainsi une réforme d'une portée considérable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Garde des Sceaux - C'est un amendement très important qui prévoit, non plus la judiciarisation, mais la juridictionnarisation des peines. Il s'agit en effet de soumettre les décisions du juge d'application des peines à des garanties de contradictoire. Je rappelle que lors de ma communication en Conseil des ministres d'avril 1998 sur la politique pénitentiaire, j'avais déjà indiqué que des réflexions seraient engagées sur ce point et qu'un décret d'avril 1999 a mis en place les services pénitentiaires d'insertion et de probation. Vous êtes donc en train de voter une réforme dont les modalités d'application pratique sont déjà prévues.

Nous avons aussi créé un service départemental unique compétent pour le milieu ouvert ou fermé qui clarifie le rôle du juge d'application des peines. J'avais indiqué à l'Association nationale des juges d'application des peines que je m'engagerai vers la juridictionnalisation des peines. J'ai enfin mis en place un groupe de travail, présidé par M. Farge conseiller à la Cour de cassation, lors du conseil supérieur de l'administration pénitentiaire de juillet 1999. Je lui ai demandé d'explorer les pistes d'évolution possibles en matière de juridictionnalisation. Je ne puis donc que me féliciter de cet amendement qui rejoint mes propres préoccupations.

L'amendement 181 rectifié, mis aux voix, est adopté.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 183 est de coordination.

L'amendement 183, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

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ART. 33

Mme la Rapporteuse - Les amendements 184, 251, 252 et 185 sont de coordination.

Les amendements 184, 251, 252 et 185, acceptés par le Gouvernement, mis aux voix, sont successivement adoptés

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 231 est aussi de coordination.

L'amendement 231, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 33 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 33 bis

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 224 rectifié est de coordination.

L'amendement 224 rectifié, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté et l'article 33 bis est ainsi supprimé.

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APRÈS L'ART. 37

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 57 rectifié est de coordination.

L'amendement 57 rectifié, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté et l'article additionnel après l'article 37 est ainsi rédigé.

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ART. 38

Mme la Rapporteuse - Les amendements 253 et 187 rectifié sont de coordination.

Les amendements 253 et 187 rectifié, acceptés par le Gouvernement, mis aux voix, sont adoptés.

L'article 38 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 38

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 222 rectifié est destiné à adapter dans la législation interne les dispositions relatives à la compétence universelle prévue par la convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, ouverte à la signature à New York le 12 janvier 1998.

La France a été particulièrement active pour aboutir à l'élaboration de cette convention et à fait partie des premiers Etats à la signer et à la ratifier.

Elle prévoit que les Etats parties s'engagent à incriminer les attentats terroristes commis dans un lieu public. L'incrimination des actes visés ne demande pas d'adaptation du code pénal français puisqu'ils sont compris dans le champ d'application des infractions relatives au terrorisme.

En revanche, l'instauration de la compétence universelle est rendue nécessaire par l'article 6 paragraphe 4 de la convention, qui nécessite de modifier le code de procédure pénale pour donner compétence aux juridictions françaises de poursuivre et juger toute personne se trouvant en France, qui a commis hors le territoire français des actes visés par la convention.

Ce mécanisme d'élargissement est déjà prévu par l'article 689-1 du code de procédure pénale. Le nouvel article 689-8, proposé par le présent amendement, reprend la formulation employée dans ces articles 689-2 à 689-7 pris en application de plusieurs conventions internationales déjà adoptées pour la lutte contre le terrorisme.

L'amendement 222 rectifié, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté.

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 228 tend à rectifier une erreur matérielle.

La loi du 22 novembre 1999 portant sur diverses professions relevant du ministère de la justice, la procédure civile et le droit comptable a adapté la composition des formations disciplinaires des barreaux comprenant au moins 500 avocats disposant du droit de vote.

Cependant, à la suite d'une erreur matérielle dans la proposition de loi initiale, adoptée conforme en première lecture, le texte dispose que les anciens membres du conseil de l'ordre autorisés à siéger dans ces formations doivent avoir quitté leur fonction depuis au moins 8 ans alors que, pour des raisons pratiques évidentes, il était en réalité souhaité qu'ils ne puissent les avoir quittées que depuis moins de 8 ans.

Le présent amendement vise donc à rétablir ce qui était initialement recherché.

L'amendement 228, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté.

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ART. 39

Mme la Garde des Sceaux - L'amendement 58 rectifié, fixe un délai de six mois après la publication de la loi avant la date d'entrée en vigueur de la réforme de la cour d'assises, mais il permet à toutes les personnes condamnées après le vote de la loi mais dont la condamnation ne serait pas définitive dans les six mois -en pratique parce qu'elles auront formé un pourvoi en cassation- de faire également appel de leur condamnation.

Il allonge de un an à deux ans le report de l'entrée en vigueur des dispositions du projet -déjà votées conformes- instituant des délais d'audiencement en matière criminelle.

Compte tenu de l'encombrement actuel des cours d'assises, de l'augmentation très sensible, dans certains ressorts, des affaires en attente d'être jugées et de l'accroissement du contentieux qui résultera de l'institution d'un appel un report de deux ans paraît indispensable pour permettre à l'institution judiciaire de résorber de façon progressive son retard, tout en jugeant également les affaires ayant fait l'objet d'un appel. Ce report n'a évidemment pas pour objet de supprimer des garanties que j'estime comme vous essentielles mais il ne faut pas rendre inapplicable la réforme fondamentale de la cour d'assises.

Mme la Rapporteuse - Dans l'attente des explications du Gouvernement, la commission avait repoussé cet amendement. Autant il lui apparaissait normal de prévoir un délai de mise en place de six mois, autant il paraissait difficile de repousser à deux ans l'entrée en vigueur des dispositions déjà votées conformes et relatives aux délais d'audiencement.

Mme Frédérique Bredin - La commission a en effet repoussé cet amendement. Nous avons pris des dispositions très importantes dont la réforme de la cour d'assises. Il ne faudrait pas, par cette disposition transitoire, ôter tout effet bénéfique à cette réforme. Autant les deux premières mesures inscrites dans l'amendement sont compréhensibles, autant le report de l'entrée en vigueur des dispositions instituant des délais d'audiencement est difficilement recevable. Il est de nature à faire perdre son intérêt à notre réforme.

M. Patrick Devedjian - Cet amendement est bien compréhensible car le système est susceptible d'exploser. Les pourvois en cassation vont se multiplier. En réalité, cet amendement recèle toute la philosophie du projet, qui impose des contraintes à un système qui ne pourra pas suivre. Vous en avez tellement conscience que vous vous trouvez obligée de repousser les échéances. La machine judiciaire n'est pas en mesure de tolérer le corset dans lequel vous entendez l'enserrer. Dans ces conditions, je voterai contre votre amendement.

Mme la Garde des Sceaux - S'agissant de la cour d'assises, les intéressés n'auront à souffrir d'aucun délai. Même si l'amendement tend à reporter de six mois l'entrée en vigueur de la réforme, les personnes qui, à la date du vote de la loi, seront condamnées pourront faire appel, dès lors qu'elles auront formé un pourvoi en cassation. Pendant six mois, les pourvois en cassation risquent en effet d'augmenter mais il y a là un bon moyen de permettre aux personnes potentiellement concernées de bénéficier de la réforme.

Pour ce qui concerne les délais d'audiencement en matière criminelle, je suis disposée à sous-amender mon texte ramenant le délai de deux à un an, en sorte que vous puissiez voter l'amendement.

M. le Président - Je prends acte de cette modification au troisième paragraphe : «Les dispositions de l'article 21 quinquies de la présente loi entreront en vigueur un an après sa publication au Journal officiel ».

L'amendement 58 rectifié, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 39, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 40.

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ART. 41

Mme la Rapporteuse - L'amendement 188 est de coordination.

L'amendement 188, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 41, mis aux voix, est adopté.

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APRÈS L'ART. 41

M. Jean-Luc Warsmann - Bien avant que le livre du docteur Vasseur ne mobilise l'intérêt de l'opinion sur le sujet, l'Assemblée a adopté à l'unanimité un amendement au projet de loi sur l'action publique, disposant que les parlementaires « sont autorisés à visiter à tout moment tout établissement de l'administration pénitentiaire situé dans leur département ». Depuis, j'ai reçu nombre de lettres de détenus me demandant quand cette disposition serait appliquée et me priant de leur envoyer la liste de mes collègues !

C'est cet amendement que reprend mon amendement 83 car la disposition a, de l'avis général, toute sa place dans un texte qui traite de la présomption d'innocence -et dont l'application viendra plus vite que celle du projet sur les rapports entre le Parquet et la Chancellerie. Je remercie donc par avance mes collègues de maintenir leur soutien à cette disposition.

Mme la Rapporteuse - L'amendement 189 est identique.

Les amendements 189 et 83, acceptés par le Gouvernement et mis aux voix, sont adoptés.

M. le Président - A l'unanimité !

M. Jean-Luc Warsmann - J'ai été entendu par la commission sur le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Interrogé sur les moyens de mettre fin aux excès ou à la dégradation des prisons, j'ai déclaré que la meilleure solution était à mon avis d'organiser des visites régulières des commissions de sécurité. Le premier président de la Cour de cassation s'est alors tourné vers le directeur de l'administration pénitentiaire de l'Ile-de-France pour lui demander ce qu'il en était actuellement. Le directeur a dû reconnaître que, si les normes de sécurité étaient respectées lors de la construction de nouvelles prisons, les commissions de sécurité ne passaient pas dans les autres établissements, dont l'installation électrique n'est pourtant pas conforme aux normes, dans la majorité des cas.

Depuis cette discussion, je suis hanté par la crainte d'un incendie : nous serions tous un peu complices des morts qui se produiraient alors ! Pourtant, tous les élus locaux connaissent l'existence de ces commissions départementales de sécurité, qui inspectent les écoles neuves ou interviennent à chaque manifestation qu'ils organisent. Comment pouvons-nous admettre que des établissements vulnérables ne soient pas assujettis au droit commun ?

Mon amendement 197 vient en renfort de tous ceux qui ont souhaité une cellule pour chaque détenu comme à tous ceux qui réclament une loi de programmation. Ce n'est pas en six mois ou en deux ans qu'on remettra à niveau le parc pénitentiaire, il faut un effort de plusieurs années. Mais, en votant cet amendement, on se protégera de graves ennuis de sécurité, nous ferons entrer un peu les prisons dans le droit commun et nous aiderons tous ceux qui souhaitent faire la vérité sur notre système pénitentiaire y compris Mme la Garde des Sceaux.

On m'opposera peut-être la création de la commission d'enquête mais ma proposition ne nuit en rien à son travail. Au contraire, elle le facilitera. Surtout, depuis que j'ai pris connaissance de la situation, je n'irai pas jusqu'à dire que je m'en sens complice mais je pense que la laisser perdurer ne serait pas responsable.

Mme la Rapporteuse - Sur le fond, je suis d'accord avec la nécessité de visites des commissions de sécurité mais celles que vise l'amendement ne sont pas les bonnes. Je reprendrai donc le sous-amendement 264 de M. Caullet, qui suggère d'installer des commissions ad hoc dans chaque département.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis favorable à ces visites annuelles de la commission départementale de sécurité et d'accessibilité. En revanche, pour des raisons d'ordre public, je ne puis accepter que le rapport de cette commission soit rendu public. Je souhaiterais donc que l'amendement soit modifié en conséquence.

Avis défavorable au sous-amendement : je préfère que nous en restions au droit commun plutôt que de créer une commission ad hoc.

Le sous-amendement 264 est retiré.

M. Jean-Luc Warsmann - Je me réjouis du retrait du sous-amendement : chaque fois qu'il s'agit des établissements pénitentiaires, on est trop enclin à chercher des arguments pour ne pas leur appliquer les procédures de droit commun !

S'agissant de la publication du rapport, je suis prêt à m'incliner pourvu que Mme le Garde des Sceaux accepte de nous rendre compte des problèmes de sécurité posés par la non-conformité aux normes -à l'exclusion de tout ce qui pourrait favoriser des évasions.

M. Jacques Floch - Il faut savoir à quoi l'on s'expose si l'on fait passer la commission départementale de sécurité dans les prisons : à la fermeture de nombreux établissements. Le risque est donc plus grand que de s'engager à donner une cellule à chaque détenu !

Tous les élus locaux savent en effet que, depuis l'accident de Furiani, les commissions de sécurité sont intraitables, s'agissant des bâtiments accueillant du public. Les officiers des corps de sapeurs-pompiers ne prennent plus aucun risque -et on les comprend car ils seraient mis en examen au moindre incident. En outre, dans les prisons, la seule destruction d'un système d'alerte-incendie à la suite d'une émeute obligerait à faire sortir tout le monde : vous imaginez les conséquences.

Nous devrions donc bien commencer par analyser les effets de cette disposition avant de la voter ! Je ne dis pas qu'elle est démagogique, mais cela en approche !

M. le Président - Je vais mettre aux voix l'amendement 197 tel qu'il a été modifié avec l'accord de M. Warsmann.

L'amendement 197, modifié, mis aux voix, est adopté.

Mme la Garde des Sceaux - Je demande une suspension de séance.

La séance, suspendue à 19 heures 40, est reprise à 19 heures 50.

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SECONDE DÉLIBÉRATION

M. le Président - En application de l'article 101 du Règlement, la commission a demandé une seconde délibération de l'article 21 octies du projet de loi. La seconde délibération est de droit, et la commission interviendra dans les conditions prévues à l'alinéa 3 de l'article 101 du Règlement.

Mme la Rapporteuse - En première lecture, nous avons fixé à 2 ans en matière criminelle et à un an en matière correctionnelle les délais maximaux d'audiencement, en assortissant cette disposition de sanction en cas de dépassement des délais ainsi définis. Ce dispositif me semble préférable à celui que l'Assemblée a adopté au cours de la deuxième lecture, et qui fixe le délai à six mois pour les cours d'assises. La commission demande donc, par l'amendement 1, le retour au texte initial.

Mme la Garde des Sceaux - Ainsi que je l'ai exposé lors de la seconde lecture, cette question est réglée à l'article 21 quinquies, voté conforme par les deux assemblées. C'est pourquoi l'amendement adopté en seconde lecture n'avait pas lieu d'être voté. Le texte initial doit être rétabli et, pour cela, l'amendement 1 de la commission doit être adopté.

M. Jean-Luc Warsmann - Au terme d'un débat d'une exceptionnelle qualité, je n'aurai pas la cruauté de relever le flottement qui se manifeste, et je me limiterai à traiter du fond. Le Gouvernement a fait le choix de l'appel tournant. C'est son droit. Seulement, ainsi que je l'ai exposé lors de la seconde lecture, les greffes des principales cours d'assises interrogés m'ont indiqué que les délais d'audiencement étaient, dans la plupart des cas, de 12 mois, et qu'ils pouvaient même être de 18 mois. Cela signifie qu'une personne incarcérée aujourd'hui doit demeurer une année entière en cellule, sans qu'un seul acte d'instruction ait lieu. De toutes les détentions provisoires, celle-ci est la plus injustifiable.

Or, l'appel étant institué en matière criminelle, le nombre des affaires portées devant les cours d'assises va augmenter. L'Assemblée n'a eu, de Mme la Garde des Sceaux, aucune explication sur les moyens supplémentaires que la Chancellerie compte affecter à ces besoins nouveaux. Tout au plus la ministre a-t-elle fait état de « moyens suffisants », qu'elle se fait fort de trouver. Mais si l'on en croit les articles de presse les plus récents, une quarantaine de magistrats supplémentaires devront suffire pour venir à bout de 450 à 900 appels par an. Encore faut-il savoir que cette estimation repose sur les bases bien fragiles, puisque la Chancellerie considère que ne feront appel que les personnes condamnées à des peines de réclusion supérieures à 10 ans !

Dans ces conditions, quoi d'étonnant à ce que les syndicats de magistrats soient vent debout contre la dégradation prévisible des délais d'audiencement ?

Je tiens à souligner que l'amendement adopté par l'Assemblée en seconde lecture et qui vise à fixer à 6 mois le délai dans lequel les affaires doivent être jugées aux assises n'est pas contradictoire avec les dispositions précédemment adoptées par l'Assemblée : rien n'empêche, en effet, que les sanctions prévues ne soient prises qu'après un délai d'un an.

Il me semble d'une grande maladresse de repousser, entre tous, cet amendement-là, qui traite de la grave question de l'engagement des cours d'assises, au motif qu'il a été proposé par un membre de l'opposition.

Mme la Rapporteuse - Vous avez souligné, à juste titre, la qualité du débat qui s'achève. Si la commission souhaite que l'Assemblée revienne sur son vote, ce n'est nullement parce que vous êtes l'auteur de cet amendement, mais parce que les délais d'audiencement sont fixés à l'article 21 quinquies, qui a été voté conforme par les deux assemblées. Il s'agit donc simplement de réparer une erreur de procédure.

L'amendement 1 mis aux voix, est adopté.

L'article 21 octies, mis aux voix, est adopté.

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EXPLICATIONS DE VOTE

Mme Frédérique Bredin - On ne peut que se réjouir de la qualité du débat, qui a été approfondi et productif. Au terme de cette réflexion collective, nous allons voter une grande et belle réforme de la justice, qui permettra que la dignité de chacun soit davantage respectée et de la présomption d'innocence mieux garantie.

Permettez-moi un rappel rapide des améliorations concrètes qui ont été apportées.

S'agissant de la garde à vue, le Gouvernement a proposé que l'avocat soit présent dès la première heure et l'Assemblée qu'il puisse revenir en vingtième et trente-sixième heure. L'Assemblée a souhaité la limiter aux seuls suspects et s'est prononcée pour l'enregistrement sonore des interrogatoires.

S'agissant de la détention provisoire, le Gouvernement a institué un « double regard », puisque la mise en détention devra être décidée par le juge de la détention à la demande du juge d'instruction. Deux regards pour mettre en détention, un seul pour maintenir en liberté.

En première lecture, nous avions adopté un amendement rendant systématique l'indemnisation d'une détention provisoire suivie d'un non lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement. A l'initiative de M. Floch, nous avons posé le principe du droit de chacun, en détention provisoire, à une cellule individuelle. Nous avons restreint les possibilités de détention provisoire via les seuils de peine et nous avons prévu des délais butoirs : deux ans en matière correctionnelle, quatre en matière criminelle. Et nous avons dit que le bracelet électronique pouvait constituer une alternative à la détention provisoire -mais sûrement pas au contrôle judiciaire.

Concernant la comparution immédiate, nous avons accompli une révolution silencieuse en accélérant les procédures -un mois pour le jugement, deux pour l'appel.

S'agissant de la présomption d'innocence, le Gouvernement a proposé une avancée très concrète avec l'élargissement de la catégorie de témoin assisté, qui permet à la personne mise en cause d'accéder à son dossier et de demander les confrontations nécessaires. En deuxième lecture, le Gouvernement a proposé qu'un entretien préalable précède systématiquement la mise en examen.

Nous avons maintenant un système qui, avant le jugement, va du statut de témoin à celui de témoin assisté puis de mis en examen et qui est ainsi plus respectueux du principe de présomption d'innocence.

En deuxième lecture, nous avons mis au point un contrat de procédure qui encadrera très sérieusement les délais d'instruction.

Je terminerai par le plus important : pour les assises, après nous être battus pendant tant d'années pour obtenir un deuxième degré de juridiction et pour mettre fin à un archaïsme indigne du pays des droits de l'homme, nous tenons enfin une réforme, et je crois que nous pouvons être fiers du vote unanime que nous avons émis à ce sujet.

Nous avons donc le sentiment précieux d'avoir été utiles à la justice. J'en remercie le Gouvernement de même que je remercie chacun pour son apport. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

M. Patrick Devedjian - Ce projet apporte quelques améliorations indiscutables, que ce soit par rapport à la première lecture ou au code actuel de procédure pénale mais il ne change pas fondamentalement la logique épuisée du système.

Je note que les modifications les plus importantes, celles concernant l'appel des assises, ont été faites par amendements. Elles ne figuraient pas dans le texte initial !

C'est dire combien ce projet n'est que le rafistolage d'une bête expirante. Il obéit certes à de bonnes intentions mais il aura surtout pour effet de renforcer encore le carcan qui l'enserre.

En réalité, cette réforme est le faire-part de décès d'un système qui s'effondre de partout, à l'instar de ces prisons que l'on n'arrive pas à mettre dans un état conforme au respect de la dignité humaine. Je vous laisse la responsabilité de signer ce faire-part. Pour ma part, j'attendrai le faire-part de naissance d'une réforme plus radicale (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jacques Floch - Ce sont les propos d'un jaloux.

M. Pierre Albertini - Au terme d'un débat qui s'est déroulé dans des conditions très sereines, nous devons nous poser encore les mêmes questions : la présomption d'innocence sera-t-elle mieux respectée ? Les droits des justiciables seront-ils mieux garantis ?

Si j'en juge par les témoignages que j'ai lus dans la presse ce matin, ceux d'un lieutenant de police, d'un magistrat, d'un photographe et d'un avocat, le policier faisait remarquer que les claques pouvaient avoir une certaine vertu et qu'en tout cas « mettre trois baffes » n'avait rien à voir avec la torture. L'avocat soulignait qu'il ne serait pas facile, en particulier en province, d'être présent auprès du client dès la première heure et surtout qu'il serait difficile de le conseiller juridiquement sans connaître les éléments essentiels de son dossier. Le magistrat quant à lui parlait de la difficulté de porter un second regard, protecteur des libertés individuelles, en découvrant un dossier in extremis.

Certes, ce projet marque un progrès significatif par rapport à la première lecture et même par rapport à nos délibérations en commission des lois, la semaine dernière.

Mais globalement, l'approche des problèmes reste défectueuse car nous n'avons fait qu'apporter des remèdes limités à un système qui n'est peut-être pas aussi proche de sa fin que le dit M. Devedjian mais qui présente tellement d'inconvénients qu'il est très difficile de l'améliorer sans changer de logique.

J'ai pour ma part défendu un modèle d'harmonisation européenne, qui se caractériserait par un équilibre plus rigoureux entre l'accusation et la défense, par une séparation plus nette entre l'enquête et le jugement et par une dissociation claire et fonctionnelle entre le Parquet et le siège. Nous marchons vers lui trop lentement et d'une façon trop contrainte.

Dans ces conditions, le groupe UDF avait un avis partagé : plusieurs d'entre nous considéraient que les progrès accomplis étaient assez significatifs pour conduire à une approbation, d'autres, jugeant le chemin qui reste à parcourir encore trop long, prônaient plutôt l'abstention. Après une discussion où chacun put faire valoir ses arguments, le groupe UDF a décidé de s'abstenir. Mais je crois que si un scrutin public avait eu lieu ultérieurement, nous aurions été assez nombreux à adopter ce projet (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Claude Goasguen - Incontestablement, le texte final diffère de celui qui a été adopté en première lecture et témoigne du travail de la commission des lois.

Alors que plusieurs dispositions essentielles ont été votées à l'unanimité, les groupes de l'opposition vont s'abstenir. Pourquoi ?

Parce que, faute d'audace, vous n'êtes pas allés assez loin dans la réforme de notre procédure pénale. Certaines dispositions se révéleront inapplicables si les magistrats les suivent à la lettre, comme la mise en examen, qui ressemble terriblement au système antérieur de l'inculpation. Quant au juge d'instruction, il a perdu son rôle central dans la procédure inquisitoire.

Pour ne pas perturber les magistrats, vous avez renoncé à vous doter d'une nouvelle procédure pénale, plus proche de celle de nos voisins.

L'opposition a le devoir de vous pousser à aller plus loin. Il reste encore une lecture et je ne désespère pas. Le groupe DL s'abstiendra.

M. André Gerin - Malgré l'embarras et la frilosité de la droite, la réforme est toujours en marche. La présomption d'innocence est un principe fondamental sans lequel il n'y a pas de justice. Tout citoyen doit être considéré comme non coupable tant qu'il n'a pas été condamné. Or ce droit est si souvent bafoué qu'il devient presque hypocrite de l'invoquer. Chacun est partisan, pour soi-même, de la présomption d'innocence, mais on n'y pense guère pour autrui.

Nous venons d'avoir un grand débat politique. Sur une telle question, ce sont les mentalités que nous devons changer.

Avec ce texte, le justiciable obtient les garanties les plus sûres : un avocat dès la première heure de détention, la possibilité de faire appel des assises. La détention provisoire redevient l'exception.

Je ne regrette que les dispositions relatives au bracelet électronique, qui me paraissent contraires au principe de la présomption d'innocence.

Cette loi bénéficiera au justiciable ordinaire, aux humbles, au peuple. Dépassant nos a priori idéologiques, nous avons réalisé un beau travail républicain, grâce au courage et à la détermination de Mme la Garde des Sceaux (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Alain Tourret - Il y a plus de deux siècles, les Constituants lançaient à la face de l'Europe la Déclaration des droits de l'homme, qui fit de la France ce qu'elle aurait dû rester : la mère des lois, la protectrice des libertés.

Or, petit à petit, l'Etat jacobin a grignoté les libertés individuelles. Au nom de la raison d'Etat, on a laissé une véritable culture de la détention s'emparer des magistrats, si bien que nous avons fini par devenir bons derniers en Europe. La France est le pays où la détention provisoire est la plus répandue. Elle représentait 50 % des détentions il y a 20 ans. Nous en sommes encore à 41 %.

D'autres pays, auxquels nous avions jadis donné des leçons, sont devenus plus respectueux que nous des libertés. Comble du scandale : la France est le pays le plus souvent condamné au plan européen.

Mme la Garde des Sceaux - C'est la Grande-Bretagne, et de loin !

M. Alain Tourret - Nous figurons parmi les plus condamnés, alors que nous devrions donner l'exemple.

Pour rétablir l'équilibre entre l'individu et l'Etat, il fallait d'abord réformer la détention provisoire, qui m'a toujours scandalisé, car elle ruine l'individu. Nous l'avons fait reculer. Elle doit rester l'exception de l'exception.

Nous avons aussi encadré la garde à vue et permis aux justiciables d'être écoutés.

Marc Aurèle, avant nous, se posait déjà la question : d'un coupable en fuite ou d'un innocent enchaîné, que faut-il préférer ?

Nous pouvons être fiers de notre travail, qui honore la République. Je remercie tous ceux qui ont participé à ce débat : les grandes lois sont celles qui rassemblent une majorité d'idées et c'est en légiférant comme nous l'avons fait que nous définirons ensemble un modèle français de l'Habeas corpus.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

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SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission des lois a décidé de se saisir pour avis du Titre II de la proposition de loi de Mme Catherine Génisson relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

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SUSPENSION DES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

M. le Président - Sur proposition de la Conférence des présidents, l'Assemblée a décidé, en application de l'article 28, alinéa 2, de la Constitution, de suspendre ses travaux la semaine prochaine.

En conséquence, et sauf séance supplémentaire décidée en application de l'article 28, alinéa 3, de la Constitution, la prochaine séance aura lieu le mardi 22 février 2000, à 9 heures.

La séance est levée à 20 heures 30.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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