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Session ordinaire de 1999-2000 - 57ème jour de séance, 134ème séance

1ÈRE SÉANCE DU JEUDI 24 FÉVRIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Yves COCHET

vice-président

Sommaire

          DÉONTOLOGIE DE LA SÉCURITÉ (deuxième lecture) 2

          ARTICLE PREMIER 12

          ART. 2 13

          ART. 5 13

          ART. 6 13

          ART. 7 14

          ART. 8 14

          EXPLICATIONS DE VOTE 15

          GENS DU VOYAGE (deuxième lecture) 15

La séance est ouverte à neuf heures trente.

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DÉONTOLOGIE DE LA SÉCURITÉ (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet portant création d'une commission nationale de déontologie de la sécurité.

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Ce projet revient devant vous après avoir été adopté par le Sénat à l'unanimité, le 3 février dernier. Tout en approuvant les orientations générales du texte adopté ici en première lecture, le Sénat lui a apporté des modifications, dont la plupart semblent utiles et pertinentes au Gouvernement et dont certaines appellent quelques réserves.

La commission des lois et son rapporteur ayant procédé à de nombreuses consultations préalables, il s'est dégagé un consensus qui traduit le souci des parlementaires de garantir le respect d'une déontologie de la sécurité sur l'ensemble du territoire de la République. Il s'agit en effet de créer une autorité administrative indépendante que l'Assemblée a dénommée « Commission nationale de déontologie de la sécurité » et qui serait compétente pour toutes les activités de sécurité, publiques ou privées, permanentes ou occasionnelles, y compris bénévoles. Le Parlement souhaite d'ailleurs élargir encore ce champ de compétence déjà très étendu.

D'une incontestable légitimité en tant qu'autorité indépendante, la Commission nationale devrait dans un souci d'efficacité, comprendre un nombre limité de membres : huit dans l'état actuel du texte.

Dans l'esprit du Gouvernement, l'intervention des parlementaires dans la saisine constitue un gage supplémentaire d'autorité et d'efficacité. L'importance du tri des plaintes n'échappe à personne. Destinataires initiaux de la réclamation, les parlementaires apprécieront s'il y a lieu de saisir.

La Commission nationale n'a pas de pouvoir de décision. Instance consultative, elle émettra des avis ou recommandations destinés aux autorités publiques et aux personnes privées concernées. Elle pourra aussi indiquer au Gouvernement les modifications législatives ou réglementaires qu'elle trouve souhaitables. Pour autant, la Commission dispose de prérogatives importantes lui permettant d'instruire efficacement les réclamations qui lui seront transmises par les parlementaires. Elle bénéficie en effet d'un droit de communication, d'un droit d'audition et peut procéder à des vérifications sur place.

Les assemblées parlementaires ont d'ailleurs souhaité renforcer ces prérogatives en créant un délit d'entrave à l'encontre de ceux qui s'opposeraient aux investigations menées par la Commission nationale.

C'est en définitive une institution équilibrée, dont l'indépendance est garantie et dont l'intervention ne compromet pas le fonctionnement de la justice ni des instances disciplinaires que le Gouvernement s'est proposé de créer.

Les modifications apportées par le Sénat constituent, pour partie d'entre elles, des améliorations. Ainsi, le Sénat a modifié l'article premier du projet dans le souci de clarifier la compétence de la Commission nationale, qu'il s'agisse des agents des collectivités territoriales exerçant une mission de sécurité ou de l'exercice bénévole d'activités de sécurité. Ces éclaircissements méritent d'être retenus, sous réserve de ce que je dirai tout à l'heure quant au fond.

Le Sénat a aussi modifié la composition de la Commission nationale afin de garantir la continuité de son action. Il a ainsi prévu un renouvellement par moitié, sans revenir sur le caractère non renouvelable du mandat. Cette modification, qui a pour conséquence de porter à huit le nombre des membres, me semble bienvenue.

Enfin, le Sénat a renforcé les garanties de procédure qui entourent l'exercice des prérogatives dont dispose la Commission nationale. Il en est ainsi de l'obligation de motivation des demandes de communication adressées aux autorités publiques ou aux personnes privées et de l'obligation de préavis avant l'accomplissement d'une vérification sur place. Sur ce dernier point, l'Assemblée nationale avait souhaité la disparition du préavis. Je pense que des considérations juridiques -il n'est pas raisonnable de s'exposer à la censure du juge constitutionnel- autant que pratiques -il n'y a que des avantages à assurer le bon déroulement d'une vérification sur place- justifient son maintien.

Le Sénat, en outre, veut rendre systématique l'information du parlementaire auteur de la saisine, quelle que soit la suite réservée à la plainte.

L'analyse des amendements, adoptés par le Sénat sur proposition, dans la quasi-totalité des cas, de sa commission des lois, montre que la nature et la portée du projet ont été parfaitement comprises.

Deux modifications seulement appellent des réserves.

S'agissant du champ d'application de la loi, le Gouvernement avait prévu, dans son projet initial, que les personnels de l'administration pénitentiaire ne seraient pas soumis au contrôle de la Commission nationale. Il ne s'agissait pas de les soustraire au contrôle, d'autant qu'un projet de code de déontologie, élaboré par les services du Garde des Sceaux, sera pris par décret. Mais la mission des agents étant d'assurer l'exécution des décisions rendues par le juge, il ne semblait pas qu'ils constituent une force contribuant à assurer la sécurité générale.

Cependant, les idées cheminent. Je crois comprendre que votre commission des lois s'est montrée favorable à une extension du champ de compétence. Le Gouvernement abordera ce point dans un esprit ouvert. Nous en parlerons avec votre rapporteur, dont je salue le travail.

Par ailleurs, le Sénat, en modifiant l'article 2 du projet, a entendu assouplir le régime d'incompatibilités que vous aviez approuvé en première lecture. Il serait pourtant dangereux qu'un membre de cette instance puisse être suspecté en raison d'activités ou de fonctions qui l'amèneraient à intervenir lui-même en matière de sécurité. Le Sénat a voulu faciliter la tâche des parlementaires qui, en qualité de maire ou d'adjoint ayant délégation pour la sécurité publique, dirigeraient la police municipale ou les agents de la commune assurant des missions de sécurité. Dans le souci de garantir l'indépendance de la commission nationale, le Gouvernement vous propose de rétablir le texte initial.

Je souhaite que nous trouvions ici le même consensus qu'au Sénat.

Je suis satisfait de constater que ce projet a reçu un accueil très favorable. Le strict respect de la déontologie par la police nationale et l'ensemble du personnel de sécurité constitue un objectif essentiel, pour la représentation nationale mais aussi pour le ministre de l'intérieur lui-même, et je suis persuadé que les élus de l'Assemblée nationale apporteront une fois encore à ce texte leur soutien et y mettront leur patte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bruno Le Roux, rapporteur de la commission des lois - Les aléas de la vie parlementaire ont provoqué par deux fois le retrait de ce texte de l'ordre du jour. L'encombrement de nos assemblées a également retardé son examen par le Sénat. Je constate Monsieur le ministre, que vous aurez mené à bonne fin deux textes sur la sécurité qui étaient devenus de vrais serpents de mer, le texte sur les polices municipales et celui-ci.

Le Sénat a non seulement approuvé l'économie générale de ce projet, mais proposé des amendements importants et utiles. Je salue le travail de son rapporteur, M. Henri de Richemont. Notre commission des lois a largement entériné les propositions adoptées par le Sénat ; seuls quelques points restent en discussion.

Ce projet correspond à un engagement pris par le Premier ministre lors de son discours de politique générale du 17 juin 1997.

La création d'une instance indépendante chargée de contrôler le respect de règles déontologiques par l'ensemble des acteurs de la sécurité est en effet un élément important de la politique de sécurité de proximité impulsée par le Gouvernement. La sécurité est désormais conçue comme un droit du citoyen en même temps qu'un devoir de l'Etat.

M. Jean-Luc Warsmann - Ce sont des mots !

M. le Rapporteur - La réunion du conseil de sécurité intérieure, la mise en place des contrats locaux de sécurité, la réforme de la justice en sont des traductions, tout comme la création de cette autorité indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie.

J'ai été sensible à la préoccupation exprimée par notre Assemblée et par le Sénat à voir se multiplier ces nouvelles autorités placées en dehors de l'administration, mais dépourvues de personnalité morale. Néanmoins, je crois que la formule est particulièrement adaptée dans le domaine de la sécurité, où le secteur privé et le secteur public sont également actifs.

En effet, la formule de l'autorité administrative indépendante assure par définition l'impartialité par rapport à la fois aux professions concernées et aux pouvoirs publics, on l'a constaté dans d'autres instances.

Et le retour de la confiance entre le citoyen et ceux qui sont chargés de sa sécurité passe certainement par la médiation d'une instance détachée de l'administration. On connaît le succès de la COB, de la CNIL, l'efficacité de la formule du médiateur de la République. La commission nationale de déontologie de la sécurité sera une sorte de médiateur spécialisé de la sécurité et devrait connaître le même succès. Parce qu'elle n'est pas l'administration, le citoyen aura moins d'appréhension à se tourner vers elle. Et les auditions de première lecture ont montré que tous les acteurs de la sécurité eux-mêmes, les syndicats de policiers, les syndicats de l'administration pénitentiaire, les professions privées sont demandeurs d'une telle instance. Ils veulent que le Gouvernement et le législateur tracent les bornes de l'exercice de leur métier et participent à l'édification de normes de déontologie d'un secteur en plein développement, du fait notamment des évolutions technologiques et de l'ouverture des frontières.

Puisque l'Etat accepte, sous certaines conditions, de partager l'exercice de sa mission de sécurité entre des intervenants multiples -collectivités locales, établissements publics, mais aussi secteur privé- il importe qu'il mette en place des moyens de contrôle efficaces et un socle commun de règles de comportement, comme l'a souligné le Sénat. La création de la commission nationale de déontologie de la sécurité répond à cette exigence démocratique.

Dans chaque circonstance, le citoyen est en droit d'attendre les mêmes garanties et le respect de règles communes, contrôlées par une instance unique ; c'est un gage de rapprochement entre la population et ceux qui ont la charge de sa sécurité.

Si notre commission a largement entériné les propositions du Sénat, je m'arrêterai cependant sur deux points de discussion essentiels. L'article premier du projet détermine le champ de compétence de la nouvelle autorité. En première lecture, les échanges sur ce point avaient été les plus longs et les hésitations les plus grandes. La position de notre commission est aujourd'hui très claire. Si l'on établit une liste, comme le projet initial et le Sénat le proposent, les risques d'oublis sont grands ! Si au contraire on décide que la compétence de la commission indépendante s'appuie exclusivement sur un critère matériel, l'exercice d'une mission de sécurité, ce risque est écarté. Il n'y a pas à craindre d'extension illimitée de son rôle puisque le recours à la commission se fera toujours sous contrôle du juge administratif.

A l'article 5, l'Assemblée nationale avait, en première lecture, complété le projet du Gouvernement concernant le respect de certains secrets. Le Sénat a étendu cette protection de façon si large qu'elle risque de vider de leur substance les pouvoirs de contrôle de la nouvelle institution. Notre commission vous propose de revenir à sa position de première lecture.

En conclusion, Monsieur le ministre, je voudrais à nouveau souligner que la création de cette instance est un élément indispensable pour atteindre l'objectif de proximité qui anime votre politique de sécurité et qui place le citoyen au centre du dispositif (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilbert Gantier - Nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, un projet de loi visant à créer une commission nationale de la déontologie de la sécurité : encore une nouvelle autorité administrative !

C'est devenu une manie, pour ne pas dire une obsession : chaque fois qu'il y a un problème, on crée une autorité administrative !

Les exemples sont innombrables, j'en livrerai un simple échantillon : l'incontournable commission des opérations de bourse, la non moins incontournable commission nationale informatique et libertés, le conseil de la concurrence, le conseil supérieur de l'audiovisuel, la commission des sondages, la commission pour la transparence financière de la vie politique, la commission de contrôle des assurances, l'autorité de régulation des télécommunications...

Cette énumération, pourtant non exhaustive, a de quoi donner le tournis. Si nous, parlementaires, avons quelque peine à identifier ces autorités, comment le simple citoyen pourrait-il s'y retrouver ?

Je n'aurais pourtant rien à redire à la multiplication des autorités administratives indépendantes si celles-ci permettaient de traiter de manière plus efficace un problème donné. Malheureusement, leur création est plus généralement révélatrice de la carence de l'Etat.

Et les autorités en question, loin d'apporter un regard neuf, se caractérisent par la même opacité que celle qui est reprochée à l'Etat. Elles ne sont pas dotées de la personnalité morale, elles appartiennent à l'administration de l'Etat, mais elles échappent à tout contrôle hiérarchique.

En fait, cette inflation témoigne d'un manque de volonté politique et d'un manque d'imagination pour régler un problème. C'est une solution de facilité.

Je rappellerai le mot d'Edgar Faure : « Quand je ne sais pas quoi faire, je crée une commission ! »

Certains corps constitués, comme les gendarmes ou les douaniers, possèdent un code de déontologie. Mais le secteur privé -sociétés de gardiennage, de surveillance, de transport de fonds- échappe à ces règles. Il n'est soumis qu'à un agrément préfectoral.

N'y aurait-il pas quelque chose d'ubuesque à voir la commission nationale saisie de réclamations de particuliers pour manquements à des règles de déontologie qui ne sont, en fait, pas définies ? Dans ces conditions, je doute fort de l'utilité de cet organisme.

Les infractions aux règles déontologiques entraînent le plus souvent des poursuites disciplinaires, voire pénales, alors que l'intervention de la commission sera purement symbolique. Elle n'aura, au plus, qu'une autorité morale : le projet ne lui confère aucun pouvoir de sanction, elle ne peut qu'émettre des recommandations qui, si elles ne sont pas suivies d'effet, donneront lieu à un rapport publié au Journal officiel. Concrètement, cela n'aura aucun impact...

Au total, nous avons donc affaire à une nouvelle autorité administrative, dont le caractère complémentaire par rapport aux pouvoirs disciplinaire et judiciaire n'est pas démontré, qui est supposée faire respecter des règles qui ne sont pas définies et qui n'a aucun pouvoir de sanction. Son utilité est plus qu'incertaine et je ne peux m'empêcher de penser que nous assisterons à la création d'un nouveau tigre de papier.

Créer un organisme dont on sait à l'avance qu'il ne servira à rien n'est pas bon, surtout si cela a pour seul résultat de jeter la suspicion sur des professions qui, plus que toutes autres, ont besoin de reconnaissance.

M. Jean-Luc Warsmann - Tout à fait !

M. Gilbert Gantier - Il y a d'ailleurs une disproportion entre les pouvoirs reconnus à cette commission -investigation, droit de visite sur place- et les suites qui seront données. La montagne accouche d'une souris. Et je m'inquiète des risques de paralysie d'activités entières, le temps de l'enquête, pour des résultats bien modestes.

Cette commission ne garantira en rien un meilleur respect des règles de déontologie. Elle entretiendra même un mélange des genres, en se surajoutant aux poursuites disciplinaires et judiciaires. Par ailleurs, en mettant à l'index les professions de sécurité sur des critères qui ne sont même pas définis, elle risque de créer une atmosphère de malaise, aboutissant ainsi au résultat inverse de celui qui était recherché. Pour toutes ces raisons, le groupe Démocratie libérale votera contre ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Christophe Caresche - Je me réjouis que ce texte revienne aujourd'hui devant nous et, si je comprends que l'on puisse s'interroger sur la multiplication des autorités indépendantes -encore que je ne pense pas que des institutions comme la COB soient apparues inutiles-, je trouve paradoxal de dire à la fois que la nouvelle commission accaparera des compétences de l'administration et de l'Etat et qu'elle ne servira à rien.

Oui, la création de cette commission marquera un progrès de la démocratie ! Nous avons tous à l'esprit des situations dans lesquelles un système de recours pour les citoyens serait fort utile. En outre, l'édiction et l'application de règles de déontologie...

M. Jean-Luc Warsmann - Mais elles existent déjà !

M. Christophe Caresche - ...permettra de garantir le respect des personnes et de conforter ainsi la nécessaire relation de confiance entre les citoyens et ceux qui sont chargés de leur sécurité. La nouvelle commission garantira de façon impartiale et incontestable le respect de ces règles.

Le Sénat a accepté ce principe auquel adhèrent de nombreux professionnels de la sécurité, notamment les syndicats de policiers. Dans beaucoup d'autres pays, des dispositifs similaires donnent pleine satisfaction.

En ce qui concerne le champ d'application du texte, je juge satisfaisante la solution retenue par la commission des lois. Mieux vaut en effet s'en tenir à une définition générale car l'établissement d'une liste conduirait sans doute à oublier certains organismes.

Sous réserve de cette modification, le groupe socialiste votera ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Antoine Leonetti - Personne ne contestera que la déontologie, qui est la science des devoirs, ne doive s'appliquer au domaine de la sécurité. Dans toute démocratie, il est nécessaire de rechercher l'équilibre entre la force indispensable pour assurer le respect des lois de la République et le respect de la personne humaine, même lorsqu'elle a commis un crime ou un délit.

Pour autant, ce texte, même amendé par le Sénat, présente à nos yeux plusieurs défauts majeurs.

Tout d'abord, il crée une autorité administrative indépendante de plus. Nous sommes nombreux à nous inquiéter de la multiplication de ces autorités qui n'ont aucune légitimité populaire et qui pourtant donnent des avis, formulent des recommandations et, souvent, inspirent des lois. Leur création apparaît souvent comme un manque de courage politique, une façon de contourner les difficultés. Ainsi, on écarte des décisions ou des propositions les représentants du peuple qui seuls devraient pouvoir légiférer. Qui plus est la commission ne comportera que deux élus, dont un seul au suffrage universel direct, et que le choix des personnalités ne préjuge pas obligatoirement d'une compétence particulière sur le sujet concerné.

M. Jean-Luc Warsmann - C'est vrai !

M. Jean-Antoine Leonetti - Nous évoluons ainsi insensiblement vers une République des experts, sans lien direct avec les réalités.

Le parlementaire ne jouera qu'un rôle de filtre pour les réclamations déposées devant la commission. Mais si le filtre est trop serré, on l'accusera de complaisance vis-à-vis des forces de l'ordre et s'il est trop lâche, on l'accusera de favoriser les plaintes abusives.

Notre deuxième reproche a trait à la difficulté de définir la place de la commission, à côté du pouvoir hiérarchique qui s'impose pour les services de l'Etat et de l'autorité judiciaire qui s'impose à tous.

Si cette commission avait procédé vis-à-vis des forces de sécurité comme la Cour des comptes vis-à-vis de l'administration ou des collectivités territoriales, elle aurait pu avec l'aide de la profession, contrôler sur le terrain la situation, proposer des règles de déontologie applicables à tous, publier un rapport annuel et édicter des recommandations. Et si le projet avait institué le médiateur spécialisé de la sécurité évoqué par le rapporteur, nous l'aurions soutenu. Hélas, vous avez préféré faire de la commission un système judiciaire bis, qui enquête, vérifie, voire perquisitionne, mais est contraint de s'écarter sans s'effacer complètement lorsque la justice est saisie. Votre commission a l'apparence de la justice, sans le pouvoir de la justice ; elle concurrence la justice sans la remplacer. En fait, elle a surtout un pouvoir médiatique. Annonçant sa création le Premier ministre avait, dans la même envolée lyrique, envisagé la suppression des renseignements généraux, qualifiés alors de « police politique ». Mais le pragmatisme que donne l'exercice du pouvoir vous a conduits à renoncer à certaines promesses...

Par ailleurs, le champ de compétence de la commission couvre des secteurs bien disparates. La police et la gendarmerie ont déjà des mécanismes de contrôle, une hiérarchie structurée, une culture républicaine des droits et des devoirs.

En revanche, les services de sécurité privés, qui se sont considérablement développés ces dernières années, évoluent dans un cadre législatif qui mériterait d'être précisé. Les textes datent de 1963, ils sont largement obsolètes et méritent d'être revus ; édicter des règles de déontologie est nécessaire mais insuffisant.

Enfin, de manière peu compréhensible, l'administration pénitentiaire reste en dehors du champ de la compétence de la commission. Lors du débat de 1998, nous avions évoqué le risque de violations des droits de l'homme dans les prisons françaises en raison des mauvaises conditions de détention. Cela vous avait alors semblé hors de propos, mais l'actualité vous a rattrapés... Nous savons aujourd'hui que ce débat était nécessaire. Vous n'avez pas voulu l'aborder.

Enfin, l'examen de ce texte est pour certains membres de la majorité un moyen de jeter le discrédit sur les forces de l'ordre.

M. le Rapporteur - D'où sortez-vous cela ?

M. Jean-Antoine Leonetti - Du Journal officiel !

Lors de la première lecture, la nouvelle commission était censée « percer les secrets des commissariats » ou mettre fin à la « faiblesse congénitale du pouvoir judiciaire vis-à-vis des forces de sécurité ».

Hier, en commission des lois, le Sénat a été accusé d'avoir fait traîner ce texte pour protéger la police ou la gendarmerie.

M. le Rapporteur - Personne n'a dit ça !

M. Jean-Antoine Leonetti - Peu importe à vos yeux que le système soit efficace ou pas, républicain ou pas, l'important est de laisser entendre qu'il y a des choses que l'on ne sait pas, des secrets inavoués, des bavures inconnues, protégées par une loi du silence !

Vous avez, Monsieur le ministre, maintes fois souligné combien le travail des forces de l'ordre demande du sang-froid, du courage, et nous savons que vous avez donné instructions pour que la déontologie soit respectée. Les forces de l'ordre subissent provocations et violences. Elles répliquent en n'utilisant que la force nécessaire pour faire respecter la loi républicaine.

Les manquements à ces règles sont rares et sanctionnés et les policiers savent que la loi s'applique à eux, et même plus strictement qu'aux autres. Le débat entretenu par certains autour de ce texte pourrait accréditer l'idée que ce n'est pas le cas.

Entre la tyrannie de la force sans la justice et l'impuissance de la justice sans la force, comme l'écrit Pascal, il faut trouver l'équilibre dans le respect de la loi républicaine. Ce texte ne le respecte pas.

Le groupe UDF ne le votera donc pas en l'état. Mais les idées cheminent. Le rapporteur s'est dit sensible à certains arguments, le ministre a souhaité que l'Assemblée « mette sa patte » sur ce texte. Si l'opposition pouvait aussi y mettre sa griffe, peut-être aboutirions-nous un jour à un texte consensuel.

M. Jean-Luc Warsmann - Très bien !

M. le Rapporteur - Mais vous n'avez déposé aucun amendement...

M. Jean-Pierre Blazy - Cette commission de déontologie sera un élément essentiel de la politique de sécurité du Gouvernement. Le Sénat l'a bien compris. Lors du conseil de sécurité intérieure du 6 décembre dernier, le Premier ministre l'a rappelé une fois de plus : la sécurité est un droit, l'insécurité une inégalité sociale.

Assurer la sécurité est un devoir régalien fondamental. Mais depuis quelques années, « l'offre » de sécurité s'est beaucoup diversifiée et il faut réguler la déontologie des agents de sécurité, qu'ils soient publics ou privés.

Le texte y concourt -deux ans après la première lecture, c'est hélas un peu long- avec la loi sur les polices municipales et la future loi sur la sécurité privée.

Au passage pouvez-vous nous indiquer dans quels délais seront publiés les décrets d'application de la loi sur les polices municipales ? Ils sont très attendus.

M. Jean-Antoine Leonetti - Très juste.

M. Jean-Pierre Blazy - D'autre part, il serait souhaitable de présenter au plus vite le projet sur la sécurité privée. Quel en est l'état d'avancement ?

Pour certains, cette commission nationale risque de déposséder l'administration de l'exercice de ses prérogatives, voire d'exonérer les politiques de leurs responsabilités. Je ne le crois pas. Force est de constater que la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme.

Il ne s'agit nullement, Monsieur Leonetti, de suspecter les institutions chargées de la sécurité. Mais nos concitoyens en ont souvent une image négative. La police de proximité joue un rôle essentiel pour rapprocher les forces de l'ordre et les citoyens ; la possibilité de recourir à une commission de déontologie concourra aussi à briser l'image, répandue notamment dans les banlieues, du policier raciste, bénéficiant de l'impunité...

M. Jean-Antoine Leonetti - Image que vous répandez !

M. Jean-Pierre Blazy - Pas du tout !

Cette commission confortera aussi le droit des victimes.

La création du haut conseil de la police nationale en 1993 n'avait pas abouti. Ce texte contribuera à renforcer le pacte républicain, comme le respect des droits de l'homme.

Repoussant le discours sécuritaire comme l'angélisme, le Gouvernement traite les questions de sécurité de manière responsable et approfondie. Avec ce texte, il montre une fois de plus que la sécurité est une priorité nationale. Je souhaite que nous trouvions ici, comme au Sénat, le consensus nécessaire pour aboutir rapidement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Luc Warsmann - Nous sommes bien sûr sensibles au renforcement de la déontologie, mais je ne peux que renouveler les réserves que nous exprimions en première lecture.

N'y a-t-il pas déjà des principes de déontologie formalisés et applicables ? Tout un corpus existe, de la loi relative à la fonction publique du 13 juillet 1983 à l'arrêté du 22 juillet 1996 portant règlement général de l'emploi dans la police nationale, en passant par des texte particuliers, ou avec la loi du 12 juillet 1983 sur les activités de surveillance et de gardiennage. Il n'y a donc rien à réinventer.

Aujourd'hui, lorsque la déontologie est bafouée, ou il s'agit d'une faute disciplinaire et l'inspection générale des services est saisie, ou il s'agit d'une infraction et c'est le procureur qui l'est. Créer cette commission, c'est constater que les procédures sont inefficaces et désavouer les corps chargés de les appliquer. Je ne peux approuver ce constat d'échec. Si les procureurs de la République ne portent pas assez d'attention à ces plaintes, que le ministre de la justice donne une directive de politique générale et applique pleinement la politique pénale, comme nous l'y appelons depuis plusieurs années.

Instituer une commission intermédiaire entre pouvoir hiérarchique et pouvoir judiciaire est malaisé, on s'en aperçoit tout au long du texte. A l'article 6, on essaye de créer un pouvoir d'investigation, mais limité, car le Conseil constitutionnel a rappelé en 1984 que les mesures d'instruction doivent être ordonnées ou contrôlées par des magistrats. Un orateur de la majorité a d'ailleurs reconnu que la commission jouait un rôle « à la limite du droit pénal ». A l'article 8, on essaye de régler les problèmes de concurrence entre cette commission et la justice. La commission ne pourra intervenir dans une procédure engagée ni remettre en cause une décision juridictionnelle. Heureusement ! Mais on a jugé indispensable de le rappeler.

Pour éviter les plaintes infondées, on avance que les parlementaires joueront un rôle de filtre. C'est illusoire. Comme ils transmettent les requêtes des citoyens au médiateur de la République, sans exprimer d'avis, ils transmettront les plaintes à la commission -ou un collègue le fera- et toute plainte, même injurieuse ou diffamatoire, sera donc transmise à un organisme devant lequel les possibilités de défense seront extrêmement légères.

Il existe certes des dysfonctionnements dans la justice et la police, nous le rappelons tous. Oui, certains locaux de garde à vue ne sont pas convenables. Mais à quoi bon ce texte ? Le ministre de l'intérieur a tout pouvoir pour lancer un programme de remise en état. Nos prisons ne sont pas dignes d'une démocratie. Mais ce texte ne les concerne pas !

Finalement, créer cette autorité administrative indépendante est un constat d'échec, un désaveu des autorités chargées de faire respecter la déontologie, une tentative de se débarrasser d'un problème difficile. Elle traduit une absence de confiance dans les force de l'ordre et les magistrats, que nous ne partageons pas.

« Le Sénat a voté à l'unanimité », avance la majorité, pour nous inciter à faire de même. Mais, chers collègues, cette unanimité sénatoriale ne vous a pas empêchés de voter contre un texte mardi matin ! (Rires) Alors laissez chaque groupe se prononcer. En l'état, le groupe RPR à l'Assemblée nationale ne pourra pas approuver ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Blazy - Dommage !

M. Patrice Carvalho - L'insécurité est un problème de société que la création de cette commission nationale devrait permettre de mieux traiter, dans l'esprit du colloque de Villepinte. La montée de la violence, qui trouve ses racines dans les souffrances, les difficultés d'emploi, les problèmes de l'école et de la famille, rend indispensable la mobilisation de tous ; mais celle-ci suppose qu'une relation de confiance s'établisse entre les citoyens et tous ceux qui apportent une contribution à leur sécurité. A cet égard, ce projet constitue une avancée réelle.

La mise en place d'une autorité indépendante chargée de veiller au respect de la déontologie de la sécurité, qui recouvre une grande part des libertés individuelles et collectives, répond non seulement aux aspirations de nos concitoyens, mais aussi à celles des personnels, qui souvent déplorent certaines attitudes sans pouvoir protester ou saisir leur hiérarchie.

Déjà, un code de la déontologie de la police a été élaboré en 1986, un conseil supérieur de l'activité de la police a été créé en 1993, puis transformé sous l'égide de M. Pasqua en haut conseil de la déontologie de la police nationale. On pourrait s'interroger sur l'opportunité de créer une nouvelle instance.

M. Jean-Antoine Leonetti - On pourrait...

M. Patrice Carvalho - Serait-ce un signe de défiance à l'égard des personnels ?

M. Jean-Antoine Leonetti - Oui.

M. Patrice Carvalho - Nous ne le pensons pas. La grande originalité de ce projet est de donner compétence à la commission pour apprécier tout manquement déontologique, quel que soit le statut de la personne qui l'a commis, dès lors que celle-ci « concourt à une activité de sécurité ».

En effet, un officier de police judiciaire, un agent de police municipale ou un salarié d'une société privée de gardiennage, sont tenus au respect des mêmes valeurs. Il est bon que la commission puisse s'intéresser non seulement à ce qui se passe dans la rue, dans un commissariat, ou un centre de rétention, mais aussi dans les entreprises, où d'aucuns peuvent être tentés d'exercer par l'intermédiaire du service de sécurité des pressions illégales sur l'action syndicale, ou dans les grandes surfaces ; il est bon aussi qu'elle puisse apprécier les agissements des services d'ordre mis en place à l'occasion d'une réunion publique ou d'une manifestation. La création de cette autorité administrative indépendante emporte donc l'assentiment des députés communistes.

Il y a légitimement débat sur l'opportunité d'étendre les compétences de la commission à l'administration pénitentiaire. En première lecture, en mars 1998, les députés communistes, bien que l'administration pénitentiaire ne puisse être assimilée à une force de sécurité publique, avaient déposé un amendement l'intégrant dans le champ d'investigation de la commission, tant ils souhaitaient que la clarté soit faite sur les graves problèmes qui se posaient dans les prisons. Les explications données à l'époque par le Gouvernement pour exclure les agents de l'administration pénitentiaire étaient guidées par un souci d'efficacité ; nous les avions entendues. Vous avez rappelé, Monsieur le ministre, qu'un code de déontologie de l'administration pénitentiaire est en cours d'élaboration. Par ailleurs, nous ne devons pas réagir uniquement sous le coup de l'émotion suscitée par la publication du livre du docteur Vasseur.

Les conclusions de la commission présidée par M. Canivet devraient être connues rapidement, et une commission d'enquête parlementaire sur le fonctionnement des prisons vient d'entreprendre ses travaux. Il reste que des réponses doivent être apportées aux interrogations qui ont été formulées tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, qui pour sa part a intégré l'administration pénitentiaire dans le champ de compétence de la commission. Sans remettre en cause notre approbation sur la philosophie générale de ce projet, Monsieur le ministre, nous attendons des éclaircissements sur ce point important.

M. le Ministre - Je regrette que les députés de l'opposition n'aient pas vu l'intérêt de cette autorité administrative indépendante pour assurer le respect de la déontologie de sécurité, non seulement dans la police nationale -où je suis très attaché à ce respect, même si je dois m'efforcer d'éviter les mises en cause injustes-, mais aussi dans la gendarmerie, les polices municipales et les sociétés privées de gardiennage.

Le cas de l'administration pénitentiaire est très particulier ; nous en reparlerons dans la discussion des amendements.

Ce projet a été approuvé par toutes les sensibilités du Sénat. M Leonetti a terminé son intervention en souhaitant qu'un consensus puisse se dégager, mais il faudrait qu'il nous dise quelles en sont les conditions.

Je remercie les parlementaires de la majorité de leur soutien constant à ce texte qui, c'est vrai, a cheminé avec lenteur du fait de l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire. Monsieur Blazy, en ce qui concerne la loi sur les polices municipales, neuf décrets statutaires ont été publiés. Trois décrets portant respectivement sur l'armement, sur les conventions de coordination entre la police nationale et les polices municipales et sur les infractions au code de la route sont au contreseing des ministres et seront donc publiés dans les tout prochains jours. Les préfets auront le devoir de faire en sorte, dans les six mois, que les conventions de coordination soient signées. Un décret sur la commission consultative des polices municipales est soumis aujourd'hui même au conseil supérieur de la fonction publique territoriale.

En ce qui concerne les activités privées de sécurité le projet de loi renforçant la législation actuelle -qui date de 1983- est en cours d'examen au Conseil d'Etat. Il devrait être présenté en conseil des ministres au mois d'avril et viendra en discussion dès que l'ordre du jour parlementaire le permettra.

Je remercie le rapporteur de son travail. Il a trouvé la bonne formule : la commission sera un médiateur spécialisé dans la sécurité. Ce sera une autorité incontestable, qui ne s'opposera nullement, Monsieur Warsmann, au pouvoir hiérarchique et au pouvoir judiciaire.

M. le Rapporteur - Je ne voudrais pas qu'on laisse se développer l'idée d'une suspicion à l'égard des agents, notamment de l'Etat, chargés de la sécurité. Je ne détaillerai pas les mesures qui ont été prises pour requalifier leur métier. Mais je tiens à dire ceci : dans la préparation de ce débat, nous avons entendu les principaux syndicats de la Police nationale, l'Alliance, l'UNSA, le syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires, le syndicat général de la police, ainsi que les syndicats de la pénitentiaire. Nul d'entre eux n'a laissé entendre qu'il percevait dans ce texte une quelconque défiance envers l'action des personnels concernés ; tous ont au contraire souhaité la mise en place aussi rapide que possible de la commission nationale. Ce qui n'empêche pas que nous ayons connaissance de certaines dérives, qui sont aujourd'hui prises en charge par les contrôles internes de l'administration. Ce texte apporte une dimension supplémentaire en matière de déontologie, mais il n'est aucunement vécu par ceux qui travaillent dans les forces de sécurité comme un texte de défiance.

Je constate, d'autre part, un cheminement de l'opposition. En première lecture, vous vous opposiez en présentant des amendements. En deuxième lecture, vous vous opposez sans en présenter...

MM. Jean-Antoine Leonetti et Jean-Luc Warsmann - Vous les refusez tous !

M. le Rapporteur - Quand on dit qu'on souhaiterait un consensus, et qu'on aborde une lecture avec un seul amendement qui tend à la suppression du texte, on a une position peu cohérente !

La discussion générale est close.

M. le Président - En application de l'article 91, alinéa 9, du Règlement, j'appelle maintenant les articles du projet de loi.

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ARTICLE PREMIER

M. Gilbert Gantier - Mon amendement 6 a pour objet, en supprimant cet article, de rendre le texte inapplicable. J'ai expliqué pourquoi je crois non seulement inutile mais nocif de créer cette commission. C'est en vain, d'ailleurs, que vous demanderiez à l'homme de la rue quelle peut être son utilité. Pourquoi ne pas créer aussi bien des commissions sur la sécurité alimentaire, la violence à l'école, les banlieues difficiles, les fusions d'entreprises, que sais-je ? Après quoi on pourra fermer le Parlement, qui sera remplacé par un ensemble de commissions administratives... C'est aux élus qu'il appartient de prendre leurs responsabilités, non à une commission administrative irresponsable. Dans notre arsenal nous avons une Constitution, nous avons ce que le Conseil d'Etat appelle les « principes généraux du droit », des lois, des règlements. Votre commission créera de nouvelles lourdeurs sans résoudre aucun problème.

Je tiens à rappeler, à ce stade du débat, que l'Assemblée n'est pas tenue de suivre les avis du Sénat. Ce dernier est une assemblée parfaitement indépendante, et l'Assemblée nationale également. Je ne me sens donc pas tenu par les votes du Sénat.

M. Jean-Luc Warsmann - Il y a un mois la majorité voulait supprimer le Sénat, aujourd'hui elle l'écoute !

M. Gilbert Gantier - D'où l'amendement 6 qui, amputant le texte de son dispositif essentiel, le rendrait inutile, comme je le souhaite.

M. le Rapporteur - Cet amendement n'avait même pas été déposé en première lecture...

M. Jean-Luc Warsmann - Si le rapporteur voulait bien cesser de polémiquer...

M. le Rapporteur - Ce qui est polémique, c'est plutôt de passer sous silence le fait que nous avons retenu le plus grand nombre des amendements de la droite sénatoriale. Nous souhaitons l'adoption de ce texte et c'est pourquoi la commission est défavorable à l'amendement.

M. le Ministre - Défavorable.

L'amendement 6, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 1 tend à supprimer le dernier alinéa de l'article, c'est-à-dire la liste limitative -comme toute liste- des personnels relevant de la compétence de la nouvelle autorité. En effet, les techniques, les champs d'intervention peuvent évoluer dans l'avenir. Mieux vaut, même si cela donnera lieu à interprétation, se contenter de disposer que tous les personnels exerçant une activité de sécurité sur le territoire de la République sont concernés.

M. le Ministre - Je comprends l'intention de la commission. Je me demande cependant si la suppression de cet alinéa, qui énumère les diverses institutions auxquelles s'applique la compétence de la commission de déontologie, ne comporte pas certains inconvénients. M. le rapporteur a d'ailleurs reconnu que sa suppression autoriserait plusieurs interprétations. Je ne crois pas bon que le Parlement vote un texte qui ne comporte pas une interprétation claire. Je sais que les esprits cheminent ; l'argument que je viens d'avancer a sa force, mais je reconnais que le souci d'une stricte déontologie de la sécurité est un souci partagé. Se pose évidemment le problème de l'administration pénitentiaire, car c'est de cela qu'il s'agit.

Il vaudrait mieux dire -et je le dis pour que cela figure au Journal officiel- que la commission aura compétence, mais dans la seule hypothèse où ils concourent à une activité de sécurité, pour connaître des manquements à la déontologie des agents et personnes suivants : premièrement, les personnels de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes ; deuxièmement, les agents de l'administration pénitentiaire ; troisièmement, les gardes forestiers ; quatrièmement, les agents des collectivités territoriales et des établissements publics ; enfin, les personnes physiques ou morales de droit privé assurant à titre permanent ou occasionnel, principal ou accessoire, y compris bénévolement, des activités de sécurité. Je pense que ce qui va sans dire va encore mieux en le disant : c'est la raison pour laquelle je l'ai dit.

M. le Président - Dois-je comprendre que le Gouvernement est plutôt défavorable à l'amendement 1 ?

M. le Ministre - Non : il est favorable, sous réserve que les choses soient clairement explicitées.

M. le Président - Est-ce alors une sorte de sous-amendement ?

M. le Ministre - C'est une explication du Gouvernement destinée à éclairer l'interprétation du texte ; moyennant quoi il peut donner un avis favorable.

M. le Rapporteur - Les explications du ministre précisent le champ d'intervention, sans maintenir pour autant une énumération limitative qui empêcherait de tenir compte des évolutions ; elles sont donc bienvenues.

L'amendement 1, mis aux voix, est adopté.

L'article premier ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 2

M. le Ministre - Par l'amendement 7, le Gouvernement propose d'écrire : « La qualité de membre de la commission est incompatible avec l'exercice de fonctions ou d'activités dans le domaine de la sécurité ou de la protection ». Je regrette que sur ce point, le Sénat ait modifié le texte voté par votre assemblée en première lecture. L'incompatibilité prévue par le texte initial est un gage d'indépendance de la commission. Elle interdit que soient désignées des personnes qui seraient en même temps maires ou adjoints à la sécurité publique, comme elle écarte des dirigeants d'une entreprise de surveillance ou de gardiennage, par exemple. Le maintien de cette incompatibilité -qui dans les faits n'aura guère à s'exercer- reste à mes yeux un gage de la crédibilité de cette instance.

M. le Rapporteur - La commission a estimé judicieuse la rédaction du Sénat. La commission de déontologie exercera ses prérogatives non seulement sur ceux qui font professionnellement de la sécurité, mais sur ceux qui peuvent en faire à titre bénévole. Il serait déraisonnable d'en écarter un magistrat qui assurerait, à titre bénévole, la sécurité dans le club sportif de son fils... La précision du Sénat « à titre principal » est donc plutôt pertinente. Notre commission est par conséquent défavorable à l'amendement, sans toutefois y attacher un excès d'importance, et surtout dans le souci de voir aboutir rapidement la deuxième lecture au Sénat.

M. Jean-Luc Warsmann - Contre l'amendement. Sa philosophie est qu'il faut écarter de la commission toute personne qui connaît bien le secteur sur lequel elle va travailler ! On va ainsi jusqu'à écarter les élus bien au fait des problèmes de sécurité. Nous atteignons l'absurdité absolue.

L'amendement 7, mis aux voix, n'est pas adopté.

Les articles 2 et 4, successivement mis aux voix, sont adoptés.

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ART. 5

M. le Rapporteur - L'amendement 8 est de coordination.

L'amendement 8, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 2 rétablit le texte de l'Assemblée, et s'inspire des dispositions en vigueur pour le médiateur de la République. Une définition trop extensive du secret viderait de leur substance les pouvoirs d'investigation de la commission.

L'amendement 2, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 5, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 6

M. le Rapporteur - L'amendement 3 de la commission vise à rétablir le texte adopté ici en première lecture.

M. le Ministre - Je regrette de ne pas pouvoir donner un avis favorable à cet amendement, qui vise à supprimer le préavis en cas de vérification surplace. Le préavis, c'est la garantie de trouver les autorités hiérarchiques ou la direction sur place, et d'entendre leurs explications. Le supprimer, c'est risquer de rendre vaine l'intervention de la commission nationale.

On peut en outre s'interroger sur la validité juridique d'une visite sans préavis dans des locaux professionnels privés.

M. Jean-Luc Warsmann - Certains voudraient faire de la commission nationale une nouvelle institution judiciaire. Or il existe des règles protectrices des libertés. On veut donner à cette commission nationale un droit de visite qui s'apparente au droit de perquisition : mais seul un magistrat peut procéder à une perquisition. Votre dispositif semble s'inspirer des séries américaines, dans lesquelles l'enquêteur se présente à six heures du matin. Dans ces conditions, les libertés ne sont plus garanties.

M. Jean-Antoine Leonetti - J'approuve les propos du ministre de l'intérieur. Les députés de la majorité voudraient faire de la commission nationale une sorte de justice-bis : au lieu d'une instance de médiation et de proposition, ils veulent un pouvoir inquisitoire qui, inévitablement, entrera en concurrence avec la justice. Certains membres de la majorité sont obsédés par ce fantasme d'une commission totalement indépendante qui viendrait perquisitionner sur place. Cet amendement montre à quel point nos réticences, en première lecture, étaient fondées.

M. le Rapporteur - Il serait curieux que de telles dérives se produisent, compte tenu de la composition de cette commission nationale.

M. Jean-Antoine Leonetti - Voyez ce qui s'est produit à propos des tribunaux de commerce !

M. le Rapporteur - Cela a permis de secouer le cocotier, ce qui était nécessaire.

Dans la rédaction que nous proposons, il peut y avoir un préavis : dans la majorité des cas, il y en aura un. Cependant, la commission nationale pourra parfois juger nécessaire de s'en passer.

Par ailleurs, il n'est pas question de perquisitionner : nous ne reconnaissons qu'un droit de visite à la commission nationale.

Enfin, notre dispositif s'inspire de la loi instituant la CNIL, qui a été reconnue conforme à la Constitution.

J'ajoute que les visites au domicile privé ne sont pas autorisées.

L'amendement 3, mis aux voix, est adopté et l'article 6 est ainsi rédigé.

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ART. 7

M. le Rapporteur - L'amendement 9 de la commission est de coordination.

L'amendement 9, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 7, modifié, mis aux voix, est adopté.

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ART. 8

M. le Rapporteur - Les amendements 4 et 5 de la commission visent à supprimer les dispositions relatives à la dénonciation calomnieuse introduites par le Sénat, car elles sont redondantes avec le code de procédure pénale.

L'amendement 4, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, de même que l'amendement 5.

L'article 8, modifié, mis aux voix, est adopté.

Les articles 9, 9 bis, 13 bis et 14, successivement mis aux voix, sont adoptés.

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Antoine Leonetti - L'opposition n'a déposé qu'un amendement en deuxième lecture. Nous en avions défendu un grand nombre en première lecture, mais vous n'en avez retenu aucun. Au Sénat en revanche, vous avez accepté des amendements identiques aux nôtres : je dois donc constater que, les majorités s'entendant visiblement entre elles, vous écoutez davantage la majorité sénatoriale que l'opposition à l'Assemblée nationale.

Le groupe UDF est attaché au respect des libertés. Mieux définie, constituée après la parution des décrets relatifs à l'organisation des polices municipales et un toilettage de la loi régissant les entreprises privées de sécurité, une commission nationale de déontologie aurait été la bienvenue.

Si la majorité avait fait quelques pas vers l'opposition, nous aurions pu aboutir à un texte satisfaisant, conforme aux principes de la République. Je déplore une surdité qui oblige l'UDF à voter contre, l'opposition pourra cependant revoir sa position si le Sénat parvient à le modifier et à trouver un équilibre entre la tyrannie et l'impuissance, pour parler comme Pascal...

M. Jean-Luc Warsmann - Ce texte illustre l'échec et la démission du pouvoir exécutif. L'instance que vous allez créer rappelle cette commission des recours que souhaite créer Mme Guigou pour traiter son courrier, je veux dire toutes les plaintes qu'elle reçoit au sujet de ses magistrats.

S'agissant du contrôle des prisons, je regrette que nous avancions de manière si incertaine. Une commission, une de plus, vient d'être constituée par le ministère de la justice, sous la présidence de M. Canivet. Mais à chacune de ses suggestions, la Chancellerie freine des deux pieds. C'est donc grâce à des amendements que nous avançons, dans ce texte comme dans le projet relatif à la présomption d'innocence.

S'il approuve l'extension du dispositif au personnel pénitentiaire, le groupe RPR votera contre ce projet dont les autres dispositions ne sont pas satisfaisantes.

L'ensemble du projet, mis aux voix, est adopté.

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      GENS DU VOYAGE (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage.

M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement - Votre assemblée va examiner, en deuxième lecture, un texte qui vise à apporter des réponses efficaces à des problèmes dont l'acuité n'est plus à démontrer.

Les tensions liées à l'accueil des gens du voyage -qu'ils soient itinérants toute l'année ou quelques mois par an- sont en effet nombreuses et parfois vives. Vous les connaissez comme moi.

Le Gouvernement veut garantir une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes de la population. Il nous faut pour cela permettre aux gens du voyage d'être accueillis dans des conditions dignes, ce qui implique d'enrichir le cadre législatif actuel, c'est-à-dire l'article 28 de la loi du 31 mai 1990. Issu d'un amendement parlementaire, cet article institue un schéma départemental d'accueil des gens du voyage, crée l'obligation, pour toute commune de plus de 5 000 habitants, d'aménager une aire d'accueil et autorise le maire d'une commune ayant aménagé une telle aire à interdire par arrêté le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal.

Cet article 28 a permis des avancées, en particulier l'adoption d'un certain nombre de schémas départementaux et la réalisation de quelques milliers de places dans des aires d'accueil.

Ces avancées ne doivent pas dissimuler les importantes limites de la mise en _uvre de la loi : un tiers seulement des départements ont un schéma approuvé par le préfet et le président du conseil général, un quart seulement des 1 800 communes de plus de 5 000 habitants ont une aire. Alors qu'il faudrait environ 30 000 places de caravanes, il n'en existe que 10 000, dont 5 000 seulement répondent aux normes.

Le projet présenté par le Gouvernement, que vous aviez adopté en juin dernier, tient compte de ces enseignements. Il repose sur un équilibre des droits et devoirs entre les collectivités locales qui « participent à l'accueil des gens du voyage », les gens du voyage qui doivent respecter les règles collectives et l'Etat qui doit être le garant de cet équilibre et exprimer la solidarité nationale.

Ce projet privilégie le partenariat et les incitations financières, notamment.

Le schéma départemental en est le pivot. Une bonne concertation, en particulier au sein de la commission consultative départementale, permettra des réponses adaptées au sein d'un territoire. Le schéma prévoira les communes où les aires doivent être réalisées, leur capacité ainsi que leur destination en fonction notamment des durées de séjour.

Le schéma devra tenir compte de l'évolution, depuis une dizaine d'années, des besoins des gens du voyage. Certains d'entre eux, qui ont vu leur situation économique se dégrader, demandent des durées de séjour plus longues qu'auparavant. En outre, les gens du voyage tendent de plus en plus à circuler en France par grands ensembles de caravanes -100 voire 200 caravanes.

Les textes d'application de la loi et les schémas révisés prendront en compte ces demandes et pratiques nouvelles. Une circulaire d'octobre 1999 en a déjà tenu compte, en créant une aide à l'aménagement temporaire de grands terrains pour l'accueil des groupes importants.

Pour la réalisation et la gestion des aires, l'accord entre communes est, à mes yeux, la meilleure solution, celle qu'il faut privilégier. L'Etat les accompagnera par un effort financier sans précédent.

Les subventions d'investissement doubleront pour atteindre 70 % des dépenses dans la limite d'un plafond. Cet effort financier est estimé à 1 750 millions en quatre ans.

En outre, une aide à la gestion des aires sera créée. Elle représentera environ la moitié des frais annuels et coûtera, à terme, environ 300 millions par an.

Autre point crucial, des moyens nouveaux pour faire face aux stationnements illicites seront donnés aux maires des communes qui auront rempli leurs obligations et à ces maires seulement. Les élus concernés ont en effet besoin de moyens juridiques plus efficaces, même si la résorption des difficultés doit surtout venir, à terme, de capacités d'accueil adaptées.

Enfin, avec les « terrains familiaux », le texte crée un outil nouveau pour favoriser la sédentarisation des gens du voyage qui le souhaitent.

Mais, le 4 février dernier, le Sénat a supprimé ou vidé de leur substance plusieurs des orientations que je viens de vous exposer et que vous aviez adoptées. Cela change ou limite sérieusement la portée du projet de loi.

Un schéma national pour les grands rassemblements ne me semble pas pertinent car trop éloigné des acteurs locaux. Il semble préférable que les schémas départementaux concernés prévoient les terrains à mobiliser temporairement pour ces grands rassemblements.

Par ailleurs, l'ensemble du dispositif privilégie les réponses intercommunales. Mais, si un accord intercommunal n'est pas trouvé, il importe d'être sûr que des aires seront réalisées. Il faut donc maintenir une obligation spécifique pour toutes les communes de plus de 5 000 habitants.

Compte tenu des difficultés rencontrées pour l'application de l'article 28 de la loi de 1990, des délais réalistes mais précis doivent être fixés et l'Etat doit en garantir le respect.

C'est pourquoi l'élaboration du schéma doit exclure des dispositifs de coordination trop complexes, par exemple entre départements. Le préfet doit pouvoir adopter le schéma seul si, au bout de dix-huit mois, un accord avec le président du conseil général n'a pu être trouvé. Le délai de deux ans pour la réalisation des aires doit s'imposer à toutes les communes concernées et le préfet doit pouvoir se substituer, en leur nom et pour leur compte à celles qui ne l'auront pas respecté. Je rappelle que depuis que la loi a institué une possibilité d'approbation du plan départemental d'action pour le logement des défavorisés même en cas d'absence d'accord du président de conseil général, tous les plans ont été cosignés dans le délai prévu...

Ces derniers points sont incontournables, vous le savez, pour l'efficacité du texte : seul un effort massif et effectué dans un délai relativement court peut répondre aux difficultés actuelles.

Enfin, le projet accroît les pouvoirs, face aux stationnements illicites, des maires dont les communes auront réalisé des aires. Cependant, pour respecter les libertés individuelles et les principes de base de notre justice, les décisions d'expulsion doivent être prises par le juge.

Le Gouvernement compte sur votre sagesse pour revenir à un texte plus efficace et plus équilibré, afin de mieux répondre aux besoins de tous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Raymonde Le Texier, rapporteur de la commission des lois - Le 3 février dernier, le Sénat a adopté le projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage que nous avions voté le 24 juin 1999, en le modifiant profondément.

Le Gouvernement avait choisi une démarche pragmatique pour répondre aux attentes fortes de tous les acteurs concernés. Le texte initial s'efforçait de régler une question préalable à la problématique plus générale liée aux gens du voyage, celle du stationnement suivant en cela les conclusions du préfet Delamon dans son rapport au Premier ministre. Il proposait un dispositif cohérent pour inciter à la réalisation de nombreuses aires de stationnement dans un délai rapide.

Rappelons que, faute de dispositions contraignantes, l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 n'a pas permis la réalisation de ces aires en nombre suffisant. Un quart seulement des villes de plus de 5 000 habitants a réalisé une aire et 30 000 caravanes tentent en vain de stationner sur 5 000 emplacements. De ce fait, les maires qui ont fait l'effort de réaliser des aires continuent à subir les stationnements illicites.

L'accueil des gens du voyage est donc un problème récurrent. Et, pour la première fois, un gouvernement se donne les moyens de répondre efficacement à cette problématique.

Pourtant, le Sénat, qui réclamait l'amélioration du dispositif existant, a adopté une attitude surprenante en supprimant tous les moyens prévus pour garantir la mise en _uvre rapide de mesures capables de répondre aux attentes des élus.

Selon le dispositif que nous avions voté le 24 juin, les départements avaient dix-huit mois pour établir un schéma départemental, et les communes inscrites au schéma deux ans pour appliquer ses prescriptions. L'Etat prenait toute sa part de responsabilité en finançant largement la réalisation des aires et leur fonctionnement.

Les pouvoirs des maires contre les stationnements illicites étaient renforcés, pour autant qu'ils se conformaient au schéma. En contrepartie, le préfet pouvait contraindre les communes récalcitrantes à la réalisation des terrains d'accueil prévus par le schéma.

Malgré un discours mesuré du rapporteur au Sénat, ce dispositif a été dénaturé par la majorité sénatoriale. Elle a voulu adjoindre aux schémas départementaux un schéma national, sans pour autant proposer de coordination entre les deux. Elle a supprimé ou dilué les délais de validation des schémas départementaux, ainsi que les délais de réalisation des aires et retiré au préfet le pouvoir de signer seul les schémas, en l'absence d'accord dans les délais fixés.

Les moyens susceptibles d'obliger les communes à réaliser les aires prévues par les schémas départementaux ont également été supprimés.

Ainsi, la majorité sénatoriale s'est enfermée dans un étrange paradoxe : tout en exigeant du Gouvernement qu'il prenne ses responsabilités sur la question du stationnement des gens du voyage, elle supprime toutes les mesures répondant à cette exigence. On en revient au dispositif de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, les moyens financiers de l'Etat en plus.

Le message du Sénat est ainsi clair : on prend l'argent, mais on ne veut pas des obligations !

Une telle logique ne ferait qu'accroître les difficultés que nous rencontrons dans nos communes.

Notre commission a décidé de revenir au texte équilibré que nous avions voté en première lecture. Elle a rétabli les dispositions qui permettaient la réalisation rapide des aires dans un cadre départemental, le seul adapté aux besoins.

En outre, elle a essayé de clarifier la notion de seuil. Nous réaffirmons que toutes les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental, sans exclure la possibilité, pour les communes de moins de 5 000 habitants, d'intégrer le schéma. Cette rédaction répond clairement à l'exigence pour chaque département d'établir un schéma répondant aux spécificités locales en matière d'accueil et d'habitat des gens du voyage.

Notre commission a également veillé à ce que les communes qui contribueront à l'accueil des gens du voyage soient davantage aidées financièrement.

Enfin, la commission propose de revenir à l'unification des compétences au profit du juge civil en matière d'expulsion en cas de stationnement illicite. La suppression par le Sénat d'une disposition pourtant adoptée à l'unanimité des députés en première lecture, revient en effet à la compétence partagée entre juge civil et juge administratif. Mais dans ce cas, il convient de ne pas oublier celle du tribunal de police. A défaut, le Sénat a, de facto, opéré une unification au profit du juge administratif, en le rendant compétent sur le domaine public y compris en matière de contravention de voirie.

Si nous devions revenir à une compétence partagée, un élu local devrait s'adresser au tribunal de police si les gens du voyage se trouvent sur un parking attenant à la voirie, au juge administratif s'ils sont sur un stade municipal, au TGI s'ils stationnent sur un terrain privé. Et qu'adviendrait-il lorsqu'un même campement stationnerait à la fois sur ces trois types de terrains ? Un maire est suffisamment préoccupé lorsque des gens du voyage s'installent illicitement dans sa commune pour que le législateur ne complique pas sa tâche...

C'est ce qui a poussé notre commission à unifier à nouveau ces compétences au profit de la juridiction la plus souvent sollicitée, se fondant sur la décision du 23 janvier 1987 relative au conseil de la concurrence, par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que la mise en _uvre du principe de séparation des pouvoirs ne s'opposait pas à ce que le législateur « dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, unifie les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé, lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et judiciaire ».

Dans ce même article, la commission est évidemment revenue à l'obligation préalable d'une décision de justice pour toute expulsion, que la majorité sénatoriale avait refusée pour les terrains à usage économique, bien que le rapport ait indiqué que l'intervention du juge était nécessaire.

En ce qui concerne le domaine public, les compétences des préfets sont clairement établies. Néanmoins, consciente des difficultés, la commission a validé l'introduction du référé heure à heure adoptée par le Sénat et soutenue par le Gouvernement.

Contrairement aux intentions que nous prête la majorité sénatoriale, ce texte n'est pas le reflet d'une vision laxiste et angélique de la population des gens du voyage. C'est parce que beaucoup d'entre nous dans nos fonctions d'élus locaux avons été maintes fois confrontés aux difficultés liées au stationnement des gens du voyage que nous croyons à ce texte, à ce dispositif pragmatique qui devrait résoudre une grande partie des problèmes, pour peu que tous les maires concernés jouent le jeu.

Dans la rédaction retenue par notre commission, le projet devra permettre la réalisation rapide des aires que nous appelons de nos v_ux. En coordination avec la commission nationale consultative des gens du voyage qui vient d'être réactivée, il favorisera la relance du dialogue indispensable. Il faut en effet prendre en compte les spécificités des conditions de vie des gens du voyage dans un environnement pensé pour et par la majorité sédentaire.

En reconnaissant les droits des gens du voyage à leur mode de vie tout en précisant les règles qui doivent être respectées par tous, ce texte offre un juste équilibre entre les efforts demandés aux maires, la contribution financière importante de l'Etat et la répression accrue en cas de stationnement illicite. Il devrait contribuer à apaiser les tensions et à normaliser les rapports entre les sédentaires, les gens du voyage et les élus locaux. Il en va de la cohésion nationale et de l'égalité entre les citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Patrick Braouezec - Il est urgent de trouver une solution efficace à l'accueil des gens du voyage, personne ne le conteste. On pouvait donc raisonnablement penser que la philosophie du projet du Gouvernement, qui organise globalement et durablement l'accueil des gens du voyage dans un souci de respect et de préservation des intérêts des uns et des autres, recevrait l'assentiment unanime des parlementaires. Mais force est de constater qu'il ne suffit pas de répéter comme un leitmotiv son attachement aux libertés fondamentales, au respect des principes essentiels de la citoyenneté, au droit de choisir son mode de vie, à la liberté de circulation. Encore faut-il confirmer cette volonté politique, en se donnant les moyens législatifs appropriés.

Le texte que nous avions adopté en première lecture apportait des réponses fortes aux questions posées tout en respectant un certain équilibre. Il permettait en effet, par des mesures contraignantes, de réaliser un nombre suffisant de places d'accueil dans l'ensemble des départements et prévoyait que le schéma départemental devait être élaboré en dix-huit mois ; à défaut d'accord, le préfet pouvant prendre seul la décision.

Ces dispositions, auxquelles ce débat doit permettre de revenir, rompent avec l'inefficacité de la loi de 1990, unanimement déplorée sur tous les bancs. Le bilan de l'application de l'article 28 est éloquent : seuls un tiers des départements ont un schéma approuvé et un quart des 1 800 communes de plus de 5 000 habitants seulement se sont dotées d'une aire d'accueil. Au total, il n'existe que 5 000 places de caravanes correspondant aux normes alors que le besoin est estimé à 30 000. Nous sommes loin du compte et le statu quo est impossible.

Cela n'a pas empêché la majorité sénatoriale, tout en dénonçant l'inefficacité de la loi de 1990, de refuser les moyens de la rendre efficace, en reprenant les préjugés anciens pour stigmatiser les gens du voyage.

M. François Goulard - C'est faux !

M. Patrick Braouezec - Au-delà de débats sereins en apparence, à l'exception de quelques caricatures discriminatoires, le texte qui nous revient sape le dispositif tout en augmentant considérablement les pouvoirs des maires, qui étaient à l'origine une contrepartie à l'obligation de réaliser des aires d'accueil, et qui sont devenus essentiels, limitant ainsi la question des gens du voyage aux seuls problèmes de stationnement illégal.

Les dispositions retenues par la majorité sénatoriale, à l'image de la loi de 1990, ne constituent guère qu'une incitation pour les communes, sans que l'Etat puisse se substituer à celles qui seront défaillantes. Il n'y a dès lors aucune chance que ces mesures soient plus efficaces que celles de l'article 28... Mais n'était-ce pas l'objectif recherché par la droite sénatoriale ?

Les jugements négatifs à l'égard des personnes itinérantes ont la peau dure et il serait grave de laisser perdurer, en refusant de les reconnaître, les discriminations que ces populations vivent au quotidien. Comment exiger des individus qu'ils se comportent comme des citoyens si nous ne les considérons pas comme tels ? Suffit-il de clamer sa volonté d'accueillir dans la dignité les gens du voyage pour se donner bonne conscience ?

Avec le projet initial, l'Etat était parfaitement dans son rôle de définition de l'intérêt général. Les mesures proposées permettaient la réalisation rapide d'un nombre suffisant d'aires d'accueil pour sortir de la paralysie ces communes qui se refusent à réaliser une aire de crainte de la voir dégradée et suroccupée en raison de la pénurie générale.

M. Charles Cova - Mais c'est bien cela la réalité !

M. Patrick Braouezec - L'insuffisance des aires d'accueil explique en effet en partie la surpopulation et les dégradations des aires existantes. Cette pénurie se traduit par une très forte pression sur les communes qui ont fait l'effort de se doter d'un équipement, ce qui dissuade davantage encore les communes récalcitrantes. Cette difficulté concernant des communes de tous bords, nous aurions dû parvenir à un accord. Mais la majorité sénatoriale a préféré aborder la question sous le seul angle des problèmes soulevés par l'accueil des gens du voyage. Il ne faut donc pas s'étonner que les mentalités rétrogrades perdurent et nourrissent incompréhension, rejet et tensions.

Qui pourrait se satisfaire de la situation profondément inégalitaire faite aux gens du voyage, à ces hommes, ces femmes, ces enfants, membres de notre société ? Ils vivent en liberté surveillée. Trop de témoignages attestent, hélas, de discriminations, de brimades et de contrôles abusifs, qui se teintent le plus souvent d'un caractère raciste, dont les nomades, citoyens français à 95 %, sont l'objet.

Une politique d'ensemble, respectant la liberté de circulation, le droit à la différence, le mode de vie ancestral, tenant compte de tous ces aspects, permettrait, certes non sans difficultés, de résoudre les problèmes de passage et de stationnement des gens du voyage dans les communes.

Cela fera l'objet d'un autre débat, car nous sommes convaincus que l'on ne pourra en rester là dès lors que les dispositions du projet initial visent précisément à une cohabitation harmonieuse de toutes les catégories de la population sur l'ensemble du territoire national.

M. Charles Cova - Utopie !

M. Patrick Braouezec - En préalable, ce texte vise à créer les conditions d'un équilibre satisfaisant entre, d'une part, la liberté constitutionnelle d'aller et venir, l'aspiration légitime des gens du voyage à stationner dans des conditions décentes, d'autre part, le souci légitime des élus locaux d'éviter les installations sauvages à l'origine des difficultés de coexistence avec leurs administrés. Il en va de la dignité des personnes concernées comme de celle des habitants et riverains des communes de passage ou de séjour.

Cet équilibre entre droits et devoirs est de la responsabilité de l'Etat, en partenariat avec les collectivités locales, les gens du voyage et les populations sédentaires concernées. L'incitation à ce nouveau dialogue, à cette concertation inédite devrait permettre de lever nombre de difficultés.

Au regard des objectifs qu'il s'assigne, des compétences qu'il prévoit, des instruments financiers qu'il propose, ce projet d'intérêt général engage la solidarité nationale, nous le pensons aujourd'hui comme en première lecture.

Nous espérons que la suite de la navette parlementaire permettra de lever l'inquiétude que suscite chez les élus l'importance de la contribution financière demandée aux communes et aux départements, en plus de l'effort substantiel de l'Etat.

L'impulsion que ce projet donnera à la réalisation d'aires d'accueil sera propice à un dialogue accru avec les gens du voyage sur les autres questions, notamment scolaires et sociales. Il importe en effet de concilier le respect du mode de vie et des traditions de la communauté et la liberté des individus qui la composent, notamment des enfants, de perpétuer ou non ce mode de vie. Nous aimerions donc, Monsieur le ministre, connaître les projets du Gouvernement en matière éducative et socio-économique.

Les députés communistes soutiendront ce projet qui concilie le droit à un habitat adapté et la libre circulation des personnes, dans l'équilibre entre les droits et les devoirs de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Charles Cova - En juin dernier, le groupe RPR n'avait pas souhaité approuver ce texte, qu'il jugeait peu satisfaisant car il n'imposait de contraintes qu'aux maires et ne rappelait pas assez les obligations incombant aux gens du voyage.

J'avais alors parlé d'une occasion manquée. Discuter du stationnement des gens du voyage, c'est aller au-delà du simple constat. Proposer une législation sur ce sujet, c'est avant tout garantir le droit de propriété, naturel et imprescriptible, c'est imposer l'autorité de l'Etat et mieux faire respecter celle des décisions de justice.

Or, faute d'offrir les moyens d'agir de manière rapide et efficace, ce texte sera aussi peu incitatif que le précédent.

Sur tout sujet sensible -l'immigration, la chasse, les gens du voyage aujourd'hui- le Gouvernement se sent obligé de qualifier ses projets « d'équilibrés ». Est-ce pour convaincre l'opinion et mieux se convaincre lui-même de leur pertinence ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Le texte modifié par le Sénat nous paraît bien plus équilibré que le projet initial.

Soucieux d'exprimer un attachement sans concession à la loi républicaine, nous exigeons que les obligations qui s'imposent aux gens du voyage comme aux autres figurent expressément dans la loi.

Leur droit de circuler est garanti. En contrepartie, ils doivent respecter les biens des particuliers et des collectivités. La loi doit être explicite et contraignante sur ce point. Ce n'est pas le cas.

Il est possible d'utiliser des instruments juridiques efficaces, en premier lieu pour obliger les gens du voyage à stationner sur les terrains prévus à cet effet.

En cas d'infraction, on pourrait immobiliser non la caravane -considérée comme un domicile- mais le véhicule qui la tracte. Après tout, la police met bien en fourrière les véhicules des particuliers mal garés. Pourquoi les nomades bénéficieraient-ils d'un statut spécifique ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Il serait aussi souhaitable de leur faire déposer une caution -comme la garantie locative de droit commun- auprès des gestionnaires des aires d'accueil. Ce serait dissuasif, dira-t-on, ils s'installeront ailleurs. Mais retenir cet argument serait reconnaître que les procédures d'expulsion seront inefficaces.

M. Jean-Jacques Weber - Impossible.

M. Charles Cova - On ne peut exiger des maires de participer à l'élaboration d'un schéma départemental et de créer des aires d'accueil s'ils ne disposent pas des moyens juridiques de faire respecter les arrêtés municipaux et de recourir, le cas échéant, à des procédures d'expulsion.

C'est pourquoi l'article 9 est fondamental. A notre avis, on peut fixer pour le référé un délai de 48 heures voire de 24 heures. Les propriétaires sauraient ainsi que l'urgence est prise en compte, l'autorité de la justice en serait renforcée.

Nous sommes nombreux -sur tous les bancs, ne vous en déplaise- à penser qu'il serait encore plus efficace de permettre au maire de solliciter directement la force publique, à condition de s'entourer des garanties constitutionnelles préservant la liberté individuelle (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe DL et du groupe UDF). Pour réussir, il faut tout mettre en cause afin d'aider les maires confrontés à un stationnement anarchique. Le recours direct à la force publique se justifie en cas d'urgence. Le Sénat l'a même proposé en cas d'atteinte à l'activité économique d'un bien. Nous sommes nombreux à penser qu'on pourrait l'utiliser pour l'ensemble des stationnements irréguliers. Une telle mesure révélerait un réel courage politique. L'avez-vous vraiment, Monsieur le ministre ?

L'essentiel est de consolider le contrat de confiance entre l'Etat et les responsables locaux. Il doit respecter son engagement moral envers eux.

Souvent nos concitoyens s'étonnent de voir des gens du voyage bénéficier d'un niveau de vie élevé puisqu'ils circulent dans de grosses berlines, tout en bénéficiant de revenus sociaux. Certains sénateurs ont proposé à juste titre que ces indemnités soient versées sur des comptes bancaires qui permettraient de mieux suivre les déplacements des nomades, de contrôler fiscalement leurs sources de revenus et de s'assurer du bon emploi des indemnités à caractère social que la France leur verse et que nos concitoyens paient.

M. Daniel Vachez - Eux aussi sont des citoyens.

M. Charles Cova - Enfin, rappelons que la Déclaration des droits de l'homme de 1789 affirme trois droits fondamentaux, la liberté individuelle, l'égalité des citoyens, le droit de propriété. Que la majorité cesse de nous opposer tel ou tel principe. Ceux que nous évoquons sont tout aussi fondés. Sur un tel sujet, il serait aisé d'emporter la conviction d'une large majorité, y compris sur nos bancs, à condition de préserver de manière effective le droit de propriété.

Le problème des gens du voyage met en jeu l'ordre et la liberté. Un Gouvernement qui affiche un tel souci de rétablir l'état de droit se doit de garantir les droits de chacun, dont le droit de propriété. Sinon, vous ne calmerez pas l'exaspération croissante des Français qui ont le sentiment que les nomades sont au-dessus des lois.

La responsabilité du Gouvernement est grande, d'autant qu'il faut prendre garde à l'élargissement de l'Union européenne. Aussi, ne rejetez pas systématiquement les modifications, précieuses apportées par le Sénat, comme ce fut le cas en commission des lois. Essayons de trouver un compromis qui assure l'efficacité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Dans ce problème difficile, il faut prendre en compte, d'une part, la liberté constitutionnelle d'aller et de venir et le droit pour chacun de choisir son mode de vie conformément à sa tradition et à sa culture, donc de vivre autrement. Gardons-nous de toute tentation raciste ou xénophobe, d'autant qu'il s'agit de populations victimes de persécutions de 1940 à 1945 et composées, pour 95 %, de citoyens français. D'autre part, il faut tenir compte du droit de propriété, de celui de vivre dans la tranquillité, et du devoir de respecter les règles collectives et la loi républicaine.

Les droits des gens du voyage doivent être respectés, ceux des sédentaires tout autant, faute de quoi les tensions se multiplieraient. Il faut donner aux élus locaux confrontés à cette question les moyens juridiques appropriés.

Votre projet vise à assurer l'équilibre entre les droits et devoirs de chaque partie.

Il comprend l'élaboration d'un schéma départemental, qui prévoit les communes où des aires d'accueil des gens du voyage doivent être réalisées. Cela ne signifie nullement que chacune devra en créer. L'Etat prend en charge les investissements nécessaires à l'aménagement et à la réhabilitation de ces aires à hauteur de 70 %, la région, le département et les caisses d'allocations familiales pouvant apporter des subventions complémentaires.

L'Etat compense également les charges de fonctionnement en versant une aide forfaitaire aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale qui gèrent des aires d'accueil.

En contrepartie, dès lors qu'une commune respecte les obligations qui lui incombent en application du schéma départemental, les pouvoirs des autorités administratives et juridictionnelles seront sensiblement renforcés à l'encontre des stationnements illicites de caravanes.

Député de plusieurs communes concernées -dont Villeneuve-Saint-Georges, Villecresnes, Boissy-Saint-Léger-, je juge indispensable que l'arsenal juridique dont disposent les élus soit renforcé.

La solution, apparemment la plus simple, serait que les maires puissent saisir directement le préfet. Mais une telle disposition serait sans doute censurée par le Conseil constitutionnel, qui a souvent rappelé, se fondant sur l'article 66 de la Constitution, le principe du recours obligatoire au juge chaque fois qu'une liberté individuelle est en jeu.

Tout en tenant compte de cette jurisprudence, votre projet de loi apporte d'importants progrès. Ainsi, le maire peut, par arrêté, interdire le stationnement sur le territoire de sa commune en dehors des aires d'accueil. En cas de stationnement sur un terrain n'appartenant pas au domaine public, il peut, par voie d'assignation délivrée aux occupants ainsi qu'au propriétaire du terrain, saisir le président du tribunal de grande instance pour faire ordonner l'évacuation forcée des caravanes.

Le juge peut en outre prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée, à défaut de quitter le territoire communal, et ordonner l'expulsion de tout terrain qui serait occupé en violation de cette injonction.

Le juge statue en la forme des référés. Sa décision est exécutoire à titre provisoire. En cas de nécessité, il peut ordonner que l'exécution ait lieu au seul vu de la minute, ce qui, évitant la notification à personne, rendra la décision plus rapidement applicable.

Les maires, donc, pourront se substituer aux propriétaires privés pour obtenir l'expulsion, le juge aura un pouvoir d'injonction, éventuellement assorti d'astreintes -qui évitera aux maires d'engager de nouvelles procédures en cas de déplacement d'un groupe sur le territoire de la commune-, et la signification aux intéressés sera facultative.

En cas de stationnement sur le domaine public, le juge administratif, de même, peut prescrire aux occupants, le cas échéant sous astreinte, de rejoindre l'aire de stationnement aménagée, peut ordonner une expulsion et statue en la forme des référés. Pour simplifier l'action des maires, il serait sans doute préférable d'unifier le contentieux au profit du juge judiciaire.

Ce texte peut être encore amélioré pour raccourcir les délais. D'une part, il est souhaitable que la Garde des Sceaux adresse une directive générale de politique pénale aux parquets, insistant sur l'urgence qu'il y a à traiter ces situations.

MM. Dominique Bussereau et François Goulard - En effet !

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - D'autre part, il importe de raccourcir le délai d'obtention du référé qui, par définition, doit être une procédure d'urgence.

Le Gouvernement a très bien fait de proposer devant le Sénat un amendement permettant de recourir à la procédure du référé d'heure à heure, prévue par l'article 485 du code de procédure civile, qui permet la délivrance d'une ordonnance de référé le jour même de la demande. Quand cette procédure ne peut être utilisée, il paraît nécessaire de poser en règle que le référé doit être obtenu dans les 24 ou 48 heures.

Les gens du voyage doivent voir leurs droits respectés, mais les habitants sédentaires aussi : la loi républicaine doit s'imposer à tous et partout (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. François Goulard - Chacun a le droit de choisir son mode de vie, mais dans le respect des lois. De ce principe unanimement admis découlent, s'agissant des gens du voyage, deux impératifs : accroître le nombre de places et, parallèlement, faire reculer celui des stationnements illégaux, sur les terrains privés comme publics, avec leur cortège de nuisances. Les législations successives n'ont pas été suffisamment efficaces : le nombre d'occupations illégales est incomparablement élevé, le nombre de places disponibles n'atteint pas la moitié de ce qui serait nécessaire.

Je n'adhère pas au dispositif proposé dans ce projet car je ne crois pas qu'on puisse contraindre les communes à réaliser des aires d'accueil. D'une part, je suis, avec mes collègues de Démocratie libérale, particulièrement attaché au principe de libre administration des collectivités locales, alors que des tendances jacobines s'expriment au sein du Gouvernement ; d'autre part, je suis persuadé que la contrainte n'est pas efficace.

Je suis donc opposé à ce qu'on donne au préfet le pouvoir, en dernier ressort, d'arrêter le schéma départemental, et farouchement opposé à ce qu'on lui donne un pouvoir de substitution lorsqu'une commune n'a pas réalisé les aires d'accueil prévues au schéma. D'ailleurs, Monsieur le ministre, imaginez-vous une seconde un préfet faire réaliser des aires sous sa propre autorité ? La population locale lui fera manger sa casquette ! Enfin, il me paraît inconcevable qu'on puisse opposer le schéma départemental aux plans d'occupation des sols des communes.

Les conditions de la réussite sont simples. La première est la neutralité financière : l'accueil des gens du voyage ne doit pas être générateur, pour les collectivités locales, de charges nouvelles et non compensées. La deuxième est un renforcement de l'arsenal permettant de réprimer l'occupation illégale : la commune qui réalise une aire d'accueil doit être sûre de disposer des moyens juridiques nécessaires pour s'y opposer, qu'il s'agisse du domaine public ou de terrains privés.

La proposition sénatoriale adoptée en novembre 1997 était bien meilleure que ce projet. Elle était beaucoup plus réaliste : elle supprimait le seuil de 5 000 habitants ; elle fixait des délais raisonnables ; elle comportait des dispositions adaptées pour les grands rassemblements, pour lesquels il faut un schéma national ; elle donnait un meilleur arsenal juridique.

Je partage avec M. Schwartzenberg l'idée qu'il faudrait mettre l'ensemble du contentieux entre les mains du juge judiciaire -en étant conscient que c'est une entorse au principe de séparation des deux ordres de juridiction. Par ailleurs, il faut absolument que les référés puissent être obtenus dans des délais très rapides ; cela relève d'instructions du Garde des Sceaux.

On ne fera rien sans l'assentiment des collectivités locales, lequel suppose une plus grande participation à leurs charges et la mise en place d'un arsenal juridique plus efficace. C'est pourquoi notre groupe ne pourra pas voter ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Daniel Vachez - Confrontés dans nos circonscriptions à des situations de plus en plus tendues entre populations sédentaires et itinérantes, nous souhaitions depuis très longtemps, au groupe socialiste, que le législateur donne aux maires, souvent désemparés, les moyens d'agir. A ce jour la législation en matière d'accueil des gens du voyage se résume à un article de la loi de 1990 sur le logement des plus défavorisés. Adopté à l'initiative de parlementaires de la majorité de l'époque, il se voulait d'abord un signe lancé au Gouvernement et aux élus locaux sur l'urgence d'agir, et n'entendait pas régler tous les problèmes, mais amorcer une réflexion plus globale. Il aura fallu près de dix ans pour que cette réflexion aboutisse à un projet de loi spécifique. Dix ans pendant lesquels, sous l'effet notamment de la raréfaction des lieux de stationnement et de la montée des difficultés économiques, les situations se sont détériorées. Nous avons eu ainsi tout le loisir de constater les insuffisances de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990. D'une part, faute de délai et de pouvoir de sanction, les obligations qui incombent aux départements et aux communes n'ont été que très partiellement appliquées ; d'autre part, les communes qui ont consenti à réaliser une aire ont dû faire face seules à de lourdes dépenses de fonctionnement ; enfin, les communes qui avaient rempli leurs obligations n'ont pas pu pour autant faire cesser plus facilement les stationnements sauvages sur leur territoire. Pire, elles ont souvent été confrontées à un afflux supplémentaire de gens du voyage, la réalisation d'une aire constituant un « appel d'air » dans un contexte de pénurie.

M. Yves Bur - Votre projet n'y changera rien.

M. Daniel Vachez - Ce constat sur les insuffisances de la loi de 1990 peut être partagé sur tous nos bancs. En tirant les conséquences, les députés socialistes ont soutenu une approche qui s'articule autour de trois axes. Le premier consiste à préciser les obligations des collectivités locales, afin que chaque département se dote d'un schéma d'accueil des gens du voyage et que chaque commune inscrite au schéma remplisse ses obligations dans un délai limité. Il faut, ensuite, instaurer une solidarité financière pour aider les communes qui aménagent des aires à faire face non seulement aux frais de fonctionnement, mais aussi aux dépenses indirectes qu'elles engagent au profit des populations itinérantes. Il faut, enfin, instaurer un traitement différencié entre les communes qui ont rempli leurs obligations et les autres en ce qui concerne l'expulsion des caravanes qui stationnent de façon irrégulière : les communes dotées d'une aire doivent pouvoir obtenir plus facilement et plus rapidement un jugement d'expulsion.

Sur toutes ces questions, le projet du Gouvernement apporte des réponses sérieuses, cohérentes et souvent courageuses.

M. Charles Cova - Et insuffisantes.

M. Daniel Vachez - Autant d'avancées qui ont justifié notre soutien à ce texte en première lecture. Le travail du Sénat a malheureusement consisté pour l'essentiel à vider de sa substance le texte de notre assemblée. Il a supprimé toutes les dispositions destinées à permettre la publication rapide des schémas départementaux et la réalisation effective des aires d'accueil par les communes. Sont ainsi supprimés la possibilité offerte au préfet de signer seul le schéma départemental à l'issue d'un délai de dix-huit mois, le caractère opposable du schéma, et le pouvoir de substitution du préfet en cas de non-respect du schéma départemental par la commune. De fait, le Sénat est quasiment revenu à la loi de 1990, et donc à ses insuffisances.

On a peine d'ailleurs à trouver une cohérence dans la démarche du Sénat. D'un côté, il sollicite un recours accru à l'intervention de l'Etat appelé, par un schéma national, à gérer les grands déplacements, ou à participer davantage au financement des aires. Mais, de l'autre, le Sénat refuse cette même intervention de l'Etat lorsqu'il s'agit de s'assurer que les collectivités remplissent leurs obligations. Nous ne saurions suivre le Sénat sur cette voie. Si l'Etat doit soutenir plus les communes qui aménagent des aires, il doit aussi pouvoir faire pression efficacement sur les communes récalcitrantes. Ces dix dernières années ont prouvé qu'on ne pouvait s'en remettre comme le Sénat à la seule bonne volonté des communes, car celle-ci n'est pas générale. Le groupe socialiste soutiendra donc tous les amendements de la rapporteuse qui restaurent l'économie générale du projet, gage de son efficacité.

Je le rappelle, notre propos n'est pas de conférer de nouveaux droits à une catégorie de population, qui doit d'ailleurs faire partie intégrante de notre communauté nationale. Il est d'apporter des solutions pragmatiques et humaines à des situations devenues intenables. Je regrette, à cet égard, que les discours de la droite sénatoriale aient été plus souvent dictés par des considérations idéologiques ou électoralistes que par la recherche de solutions concrètes (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Exhorter ou agir, il faut choisir ! Or, si nous suivions la majorité du Sénat, les problèmes actuels persisteraient, et ceux qui dénoncent aujourd'hui l'inertie de l'Etat -ceux-là même souvent qui refusent d'assumer leurs responsabilités- pourraient légitimement continuer à protester.

Est-ce à dire que ce projet réglera tous les problèmes ? Certes non. Sa réussite exigera la mobilisation et la responsabilisation de chacun. Mais elle dépend surtout de l'usage que le Gouvernement, et particulièrement les représentants de l'Etat dans les départements, feront des facultés que leur ouvre ce texte.

Celui-ci repose sur un équilibre entre les droits et les devoirs de chacun. Équilibre entre l'obligation pour les communes d'aménager des aires et le soutien financier important accordé en contrepartie ; équilibre entre le droit des gens du voyage d'accéder à des aires aménagées et leur devoir de ne pas stationner hors de ces aires. Il faut le reconnaître, cet équilibre est fragile. Leur expérience rend souvent les élus locaux sceptiques sur la capacité du préfet d'exercer son pouvoir de substitution pour réaliser une aire à la place d'une commune récalcitrante, ou d'engager rapidement la force publique pour faire évacuer, en application d'une décision de justice, des caravanes qui stationnent irrégulièrement dans une commune dotée d'une aire aménagée. Je souhaite, Monsieur le ministre, que, sur ces deux points fondamentaux, vous assuriez à nouveau clairement la représentation nationale et les élus locaux de la volonté du Gouvernement d'exercer pleinement ses prérogatives. Il est essentiel que nous soyons assurés qu'aucune commune ne pourra échapper durablement à ses responsabilités, mais aussi que celles qui ont aménagé une aire obtiendront plus facilement et plus rapidement l'évacuation des caravanes en stationnement irrégulier. C'est là que se joue la crédibilité du présent texte.

Dans cette perspective, je réaffirme l'attachement du groupe socialiste à la rédaction de l'article 9 retenue en première lecture par notre assemblée. A cet article, qui concerne la procédure engagée par le maire en cas de stationnement illicite, un amendement de la rapporteuse, adopté à l'unanimité en séance, a prévu d'unifier le contentieux au profit du seul juge civil. Le Sénat, pour des raisons que je comprends mal, a cru bon de rétablir la compétence du juge administratif lorsque le stationnement illicite a lieu sur l'espace public. Le groupe socialiste souhaite rétablir notre texte de première lecture, qui avait le mérite de simplifier la procédure et d'en améliorer l'efficacité. La procédure est en effet simplifiée puisque le maire saisira un seul et même juge, quand bien même le stationnement illicite jouxterait des terrains de nature juridique différente. Son efficacité est également améliorée puisque la décision du juge sera valable pour un même groupe de voyageurs sur tout le territoire communal et pour une période donnée.

La réussite de la loi résultera également du soutien financier de l'Etat aux communes qui réalisent une aire d'accueil. Il ne serait pas juste qu'elles doivent faire face seules aux très lourdes charges résultant de cet aménagement. La solidarité nationale doit s'exercer. Le projet apporte à cet égard un progrès considérable. Tout d'abord, il porte la subvention à l'investissement de 35 à 70 %. Comme je l'avais demandé en première lecture, le Gouvernement a décidé d'anticiper l'application de cette mesure, qui est donc déjà à l'_uvre depuis septembre dernier et je m'en réjouis. Par ailleurs la création d'une allocation logement forfaitaire de 10 000 F par an et par place, versée directement au gestionnaire de l'aire, répond enfin pour une large part au problème du coût de fonctionnement des aires. S'ajoutant à la participation des conseils généraux et à celle des gens du voyage eux-mêmes, cette allocation devrait couvrir l'essentiel des dépenses correspondantes, réduisant considérablement la charge restant à la commune.

D'autres charges pèsent toutefois sur les communes dotées d'une aire, et appellent une compensation financière de l'Etat : ce sont toutes les dépenses indirectes, notamment d'intervention sociale, qu'engagent ces communes. Le Gouvernement a reconnu la légitimité d'une participation à ces charges en prévoyant un abondement de la DGF versée à ces communes. La discussion a porté dès la première lecture sur le niveau de cette participation.

La question n'est pas simple, car la DGF est une « enveloppe fermée ». Le groupe socialiste est certes désireux d'assurer aux communes dotées d'une aire d'accueil un soutien correspondant aux charges qu'elles assument seules, mais il partage le souci du Gouvernement de ne pas déstabiliser le système de la DGF, et notamment de ne pas pénaliser, en modifiant sa répartition, les communes qui bénéficient de la DSU ou de la DSR bourg-centre. En première lecture, j'avais demandé au Gouvernement de nous faire des propositions de nature à concilier ces deux objectifs. Une concertation s'est engagée, qui devrait permettre un compromis acceptable ; nous y reviendrons à l'article concerné.

Reste que les gens du voyage sont confrontés à nombre d'autres difficultés : scolarisation, accès aux soins, insertion économique, statut... Elles nuisent à leur bonne intégration dans la société française. Ces questions sortent du champ du présent projet ; elles devront être abordées au sein de la commission nationale des gens du voyage. En juin dernier, j'avais demandé qu'elle soit rapidement reconstituée. C'est chose faite, puisque ses membres ont été désignés et son président nommé. Je souhaite que le Gouvernement la réunisse sans tarder pour engager le dialogue approfondi qui fait si souvent défaut entre les gens du voyage, les élus et les services de l'Etat.

Car le temps presse. Chacun, sur tous nos bancs, reconnaît qu'il est urgent d'agir. S'agissant du processus législatif, il appartient au Gouvernement et aux deux assemblées de montrer responsabilité et célérité. L'Assemblée nationale a démontré sa volonté d'aboutir rapidement en inscrivant cette deuxième lecture trois semaines après la transmission du texte par le Sénat. J'ose espérer que celui-ci procédera rapidement à sa seconde lecture, afin que l'examen de ce texte soit achevé avant la fin de cette session. Quant aux départements, sans attendre la promulgation de la loi, ils doivent s'engager dans l'élaboration ou la révision de leur schéma d'accueil. C'est le cas dans le département de Seine-et-Marne que j'ai l'honneur de représenter. Il est souhaitable que le Gouvernement donne des instructions claires aux préfets pour généraliser ce mouvement à l'ensemble des départements.

Le leitmotiv de ce projet de loi est : permettre la réalisation d'un maximum d'aires en un minimum de temps, pour sortir d'une pénurie qui explique l'essentiel des tensions actuelles. Il ne s'agit pas, je le répète, d'accorder quelque droit exorbitant à une catégorie de la population, mais de régler de façon réaliste et pragmatique un problème qui n'a que trop duré. Nous voulons sortir de l'impasse actuelle, source de violences et d'incompréhensions mutuelles. La majorité du Sénat a manifestement préféré s'enferrer dans une logique politicienne et idéologique, en échafaudant un dispositif incohérent dont elle sait qu'il sera inefficace.

Le groupe socialiste, quant à lui, assumant ses responsabilités, mettra tout en _uvre pour que ce projet de loi aboutisse rapidement et qu'il soit une réussite sur le terrain (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Weber - Le débat en première lecture avait déjà mis en évidence à quel point ce texte est en décalage avec la réalité et les attentes des maires.

Avec les associations qui les représentent, nous avions cherché des règles qui assurent une vie meilleure aux gens du voyage. Il faut mettre fin aux conflits qui opposent, trop souvent, les gens du voyage aux populations sédentaires et à leurs élus.

Nous voulions garantir un ordre républicain et c'est parce que votre texte ne le permettait pas que nous avons refusé de le voter le 24 juin dernier.

Dans le même souci humaniste et républicain, le Sénat a apporté à votre projet pour le rendre plus opérationnel, un certain nombre de retouches. Il a jugé nécessaire l'élaboration d'un schéma national pour encadrer les grands rassemblements et canaliser de manière planifiée des flux massifs qui excèdent le cadre départemental.

Le Sénat a aussi voulu doter les maires d'une sorte de boîte à outils. Il a souhaité instaurer un partenariat entre les maires et le préfet, et rééquilibrer votre texte initial, qui créait des obligations aux communes sans exiger de contreparties de la part des gens du voyage.

Or les communes qui ont aménagé des aires d'accueil rencontrent les pires difficultés à obtenir des décisions de justice en cas de stationnement illicite.

Au Sénat, M. Charasse a tenu des propos réalistes, en insistant sur la difficulté à établir l'identité des contrevenants, ce qui rend illusoire le système de l'astreinte.

Il a aussi estimé que, dans le cas où le préfet refuse le concours de la force publique, la responsabilité civile et pénale du maire devrait pouvoir lui être transférée.

M. Patrice Martin-Lalande - Il a raison.

M. Jean-Jacques Weber - « Quelles que soient les procédures envisagées, a dit M. Charasse, qu'on saisisse le juge judiciaire ou le juge administratif par la voie du référé, il faut savoir que, dans la plupart des cas, il est très difficile d'obtenir une décision du juge, d'abord dans des délais rapides et même, de façon générale, pour la raison très simple que les identités des intéressés ne sont pas connues, parce que les deux ou trois gendarmes du coin ont généralement peur de pénétrer dans un campement de gens du voyage sur leurs gardes, voire hostiles, pour aller relever les identités et que, de toute façon, s'ils le font, on leur dit que telle caravane est fermée, que telle autre appartient à on ne sait qui... ».

M. Charles Cova - C'est la réalité !

Mme la Rapporteuse - Calmez-vous, mes chers collègues, ce n'est pas parce que M. Charasse est socialiste qu'il a raison...

M. Jean-Jacques Weber - Comme toute liberté, celle d'aller et de venir a une contrepartie : respecter le choix de vie et la liberté d'autrui.

Avec plusieurs de mes collègues, j'ai déposé une série d'amendements réalistes. J'ai peur cependant que vous ne cherchiez qu'à rétablir le texte adopté ici en première lecture. Ce serait montrer que votre souci n'est pas d'aider les maires, mais seulement d'augmenter le nombre des places de stationnement. Ce n'est pas suffisant.

Certes, il faut renforcer le potentiel d'accueil et je n'ai jamais critiqué votre volonté d'inciter les communes et les structures intercommunales à aménager des aires de stationnement. Cependant, le problème est plus vaste. Les gens du voyage français qui sont en général pauvres, ont le droit d'être traités en citoyens. J'attendais des initiatives, comme la suppression de ce carnet de voyage indigne d'un pays humaniste, la création de domiciles de secours, le renforcement du contrôle scolaire ou la lutte contre l'usure à l'intérieur des clans. Par angélisme, vous allez manquer l'occasion de trouver des solutions et de rétablir enfin l'équilibre entre droits et devoirs.

Pourquoi repousser ma suggestion de sanctionner les récalcitrants par des retraits de points du permis de conduire ? Voilà un dispositif simple, qui ne nécessite que l'intervention de la gendarmerie et qui permettrait en outre de s'assurer que les intéressés sont bien titulaires du permis de conduire et que leur véhicule est assuré.

Faudra-t-il attendre l'élaboration d'une loi-cadre, associant les ministres de l'intérieur, des affaires sociales et des affaires européennes ?

Je suis de ceux qui respectent les droits des minorités. Je souhaite que notre tradition française d'hospitalité bénéficie à tous les étrangers, mais dans le respect de nos principes républicains. Fixons donc des règles en fonction de ces principes, qui respectent les droits et les biens de nos concitoyens sédentaires.

Or c'est un débat que vous ne paraissez pas vouloir ouvrir. Votre texte n'est pas conforme à ce que les gens du voyage attendent d'une République humaniste, ni d'ailleurs au v_u des maires. En déposant de nombreux amendements, nous vous avons donné la possibilité de le renforcer (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean-Pierre Blazy - Le Sénat a bouleversé le texte voté par notre assemblée en première lecture. Nous avions voulu à la fois contraindre et inciter, pour obtenir, dans un délai raisonnable mais le plus court possible, l'aménagement des nombreuses aires d'accueil nécessaires.

Ce projet est attendu, car il vise à remédier à une situation de plus en plus insupportable pour nos concitoyens, pour les élus, mais aussi pour les gens du voyage.

En effet, le dispositif issu de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 n'a pu être appliqué de façon satisfaisante. Les communes qui ont eu le courage et la possibilité d'aménager des aires d'accueil sont confrontées aux problèmes les plus aigus du fait d'une présence continue de gens du voyage, souvent en surnombre d'ailleurs.

Quant aux communes qui connaissent une présence massive et désordonnée de gens du voyage, elles ne peuvent faire admettre la nécessité d'améliorer les conditions d'accueil à leur population, exaspérée et révoltée par l'immunité réelle dont jouissent les campements (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR).

La situation est devenue insupportable dans la région parisienne. Maire d'une commune de la grande couronne, je la vis quotidiennement. Mes concitoyens ont à subir les intrusions des gens du voyage. Non seulement certaines entreprises menacent de quitter la commune, mais ce sont les contribuables qui doivent supporter le coût des procédures, incessantes d'ailleurs, car trop souvent déjouées : il suffit en effet que les gens du voyage se déplacent de quelques centaines de mètres pour contraindre le maire ou le propriétaire privé à engager une nouvelle procédure.

Si la réalisation d'aires d'accueil est indispensable, elle va de pair avec le respect et l'application de la loi de la République. Je voudrais insister essentiellement sur ce point et donc sur la force de l'article 9.

Si nos concitoyens refusent a priori la mise en place des aires d'accueil des gens du voyage, ce n'est pas par racisme, mais parce qu'ils ont le sentiment que les gens du voyage bénéficient d'une impunité et que les groupements de gens du voyage constituent des zones de non-droit ambulantes.

Il est incontestable qu'une part minoritaire des gens du voyage a su profiter de la gêne historique des pouvoirs publics face au phénomène du nomadisme. Ce projet a le mérite de réaffirmer que les gens du voyage sont des citoyens ordinaires, qu'ils méritent le respect pour autant qu'ils respectent la loi de la République.

L'article 9 devait être amélioré. Le Sénat l'a fait en prévoyant la possibilité offerte d'user de la procédure d'heure à heure, prévue par le code civil, qui rend possible la délivrance d'une ordonnance de référé le jour même de la demande. Cette mesure, soutenue par le Gouvernement, permettra d'agir efficacement et avec célérité.

En revanche, il semble indispensable de rétablir l'unification des compétences au profit du tribunal de grande instance, afin de simplifier la procédure d'expulsion.

Ce projet cherche l'équilibre entre droits et devoirs. Les gens du voyage ne parviendront à s'intégrer dans la communauté nationale que s'ils prennent conscience qu'ils sont des citoyens ordinaires, soumis aux lois de la République, ce qui implique le respect de la propriété d'autrui.

L'article 9 rend crédible le dispositif. La faculté donnée aux maires de se substituer aux propriétaires de terrains privés pour obtenir l'expulsion des gens du voyage en situation d'infraction, la capacité donnée aux maires des communes ayant contribué à l'aménagement d'une aire intercommunale de prendre des arrêtés d'interdiction de séjour sont des avancées importantes, qui doivent avoir pour pendant la réalisation rapide des aires d'accueil.

Monsieur le ministre, ce projet de loi constituera un progrès réel si tous les acteurs concernés sont rapidement mobilisés : les préfets, la justice, les collectivités locales, le gens du voyage. Il faut réaliser les aires d'accueil aménagées, par l'incitation, et si nécessaire par la contrainte. Il faudra également inciter et contraindre les gens du voyage à respecter la loi républicaine.

C'est seulement dans ces conditions que ce texte pourra permettre un changement dans la perception que nos concitoyens ont généralement des gens du voyage et que les gens du voyage changeront certains de leurs comportements.

La commission nationale des gens du voyage, qui a été heureusement réactivée récemment, devra évaluer régulièrement la mise en _uvre de la loi.

Les élus socialistes vous soutiennent ; ils seront aussi vigilants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Bernard Schreiner - Nous applaudissons le constat !

M. Patrice Martin-Lalande - Comme tous les maires de France, nous nous inquiétons du face à face trop souvent soupçonneux, et parfois haineux, entre les gens du voyage et le reste de la population.

Le laxisme de l'Etat et l'impuissance des maires créent un climat exécrable, qui est le meilleur terreau du racisme et de l'exclusion.

Pour en sortir, il faut rétablir l'équilibre républicain entre droits et devoirs de chacun.

Comme pour la première lecture, j'ai organisé dans ma circonscription une réunion de concertation avec les élus locaux et les riverains directement concernés par le stationnement des gens du voyage. J'ai été frappé par leur profond sentiment de scepticisme et d'inquiétude.

Oui, notre mission est de concilier durablement le respect d'un mode de vie spécifique avec le respect des lois de la République et notamment le droit de chacun à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publique.

Oui, il ne nous faut pas oublier le droit des gens du voyage à une existence décente, mais faisons attention à ne pas oublier que des riverains de stationnements sauvages vivent dans l'angoisse pour eux-mêmes et pour leurs biens, souvent modestes, surtout en comparaison de beaucoup de caravanes puissamment tractées. Faisons attention à ne pas oublier que des élus, maires en tête, vivent plusieurs fois par an, sinon par mois, un scénario inacceptable : l'invasion sans préavis, la négociation sous la menace physique, l'impuissance à faire respecter par la justice les règles imposées aux autres citoyens, l'obligation de « se débrouiller » seuls dans une zone de non-droit.

Cette loi corrige très insuffisamment le déséquilibre entre les comportements délictueux et les moyens de les empêcher. Force restera, non pas à la loi mais à l'impunité de fait. La commission, non seulement n'a pas réduit ce déséquilibre, mais au contraire l'aggrave, en remettant en cause les apports intéressants du Sénat et en refusant presque tous les amendements de l'opposition.

Il nous faut aujourd'hui rééquilibrer le texte. Permettre aux communes d'assurer dans les meilleures conditions l'accueil des gens du voyage implique de consulter l'ensemble des communes du département, de réaliser une enquête publique avant la réalisation d'une aire de stationnement, de mettre en _uvre un schéma national pour l'accueil des grands rassemblements, en mobilisant, par exemple, les terrains militaires désaffectés et en protégeant les sites naturels classés, enfin de faire cofinancer par l'Etat, non seulement l'équipement initial, mais aussi les réparations ou remplacements ultérieurs.

Garantir un véritable respect de la loi implique de permettre aux maires de constater les infractions sans avoir recours à un huissier, d'obtenir des juges une décision en 24 heures pour éviter l'impunité de fait, de limiter à 24 heures le simple « passage » dans les communes, de permettre la mise en fourrière d'un véhicule tracteur, de rendre plus systématiques les contrôles des titres de séjour, d'éclaircir la situation professionnelle et fiscale des gens du voyage et de leur faire respecter l'obligation de scolarisation, qui est la meilleure chance d'insertion.

Il nous faut sortir du face-à-face stérile et dangereux entre une partie des gens du voyage et le reste de la population française. Le texte présenté est très insuffisant, mais il nous revient aujourd'hui, chers collègues, de l'améliorer (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Yves Bur - Je suis d'accord avec vous, Monsieur le ministre, sur deux points. Tout d'abord, l'accueil des gens du voyage constitue un vrai problème dont la solution ne peut être retardée davantage car l'absence d'un véritable dispositif d'accueil réparti sur l'ensemble du territoire est source de conflits. Ensuite, l'application de la loi de 1990 est un échec, à cause de la réticence à accueillir cette population, réticence liée évidemment à son mode de vie et à ses comportements différents, mais aussi à l'impuissance des maire à faire respecter les arrêtés d'interdiction de stationnement sauvage, même quand leurs communes ont aménagé des aires d'accueil.

Le texte que votre majorité a voté en première lecture impose l'élaboration d'un schéma départemental opposable et l'obligation, pour toute commune de plus de 5 000 habitants, de réaliser une aire d'accueil dans les deux ans suivant la publication de ce schéma.

Malheureusement, les moyens législatifs mis à la disposition des maires pour lutter contre le stationnement sauvage restent en deçà des attentes et de la réalité des problèmes. L'article 9 n'améliore que très peu les conditions d'exercice de l'autorité du maire et rend bien aléatoire son respect par les gens du voyage, qui exploitent souvent les faiblesses de notre dispositif législatif et réglementaire.

En tant que maire d'une ville de la banlieue de Strasbourg, j'ai pu comme beaucoup de mes collègues, vérifier les difficultés pour obtenir de la justice une décision d'expulsion, le tribunal imposant parfois un délai de trois semaines pour obtenir le concours de la force publique.

Votre projet n'améliore en rien la situation car, au fond, vous restez persuadé qu'il faut donner aux gens du voyage, au nom du droit à la différence, plus de droits que de devoirs envers notre société.

S'il est nécessaire que l'effort d'accueil soit partagé entre toutes les communes de plus de 5 000 habitants -encore que ce seuil soit discutable- je regrette que vous préfériez la contrainte aux incitations positives. Je n'imagine pas le préfet se substituer au maire pour aménager un terrain qu'il aurait choisi lui-même...

En revanche, à l'article 9, les dispositions adoptées par le Sénat pour lutter contre le stationnement sauvage me paraissent plus réalistes. Il faut renforcer les pouvoirs du maire et assurer à ses décisions une exécution rapide. Revenir à la rédaction adoptée en première lecture, ce serait indiquer clairement aux maires et à la population que vous ne souhaitez pas réellement lutter contre ces abus inacceptables, au risque de perpétuer le climat de tension actuel.

Par ailleurs, si l'accueil des gens du voyage constitue une priorité, il faudra bien aborder d'autres questions les concernant : la scolarisation des enfants, l'insertion des bénéficiaires du RMI, les difficultés liées à la sédentarisation de certains groupes, l'origine de leurs ressources et leur situation au regard de l'impôt -les Français peuvent, en effet, avoir le sentiment que ce sont là des « questions tabou ».

Si notre société doit faire preuve de plus de tolérance vis-à-vis des populations du voyage et leur garantir le droit à la dignité dans le respect de leur différence, elle est en droit aussi d'exiger le respect de la loi et un équilibre entre droits et devoirs.

Je ne suis pas certain que vos propositions faciliteront cet équilibre, indispensable à l'objectif d'intégration (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 13 heures.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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