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Session ordinaire de 1999-2000 - 58ème jour de séance, 136ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 29 FÉVRIER 2000

PRÉSIDENCE de M. Pierre-André WILTZER

vice-président

Sommaire

          JOURNÉE NATIONALE DES JUSTES DE FRANCE 2

          FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 17

          ANNEXE ORDRE DU JOUR 18

La séance est ouverte à neuf heures.

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JOURNÉE NATIONALE DES JUSTES DE FRANCE

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Jean le Garrec et plusieurs de ses collègues, instaurant une Journée nationale à la mémoire des victime des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France.

M. Daniel Marcovitch, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Le 16 juillet 1942, la journée s'achève. Il règne dans le Vel d'Hiv une chaleur étouffante. Anna Zimmerman a été arrêtée le matin même avec ses deux filles, Fanny et Louise. Des milliers de familles sont entassées dans des conditions d'hygiène inhumaines. Soudain, Anna, mue par le désespoir, se lève et se dirige vers la sortie avec ses deux filles. Dans un français approximatif marqué de son fort accent polonais, elle explique aux deux jeunes hommes en uniforme qui gardent l'entrée du camp qu'elle était venue à la recherche d'une amie et que, ne l'ayant pas trouvée, elle repart. Les deux jeunes hommes ne sont pas dupes mais la laissent sortir. Anna et ses deux filles survivront à la guerre ; Fanny, aujourd'hui retraitée, aurait aimé retrouver ces deux gendarmes, non pour leur décerner le titre de Juste, mais leur reconnaître celui d'homme, pour avoir désobéi à des lois édictées par l'Etat français qui allait toucher le fond de l'horreur et de la honte.

Le 10 juillet 1940, le Parlement français est réuni au Casino de Vichy pour voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Hormis les quarante-cinq députés communistes, interdits depuis1939, les députés retenus sur le Massilia et les deux cents députés et sénateurs encore sous les drapeaux ou prisonniers, seuls cinquante-huit députés et vingt-deux sénateurs s'opposent aux pleins pouvoirs du maréchal, dont on sait où ils conduiront. La descente vers l'abîme commence. Avant même que l'occupant allemand ait pu exiger des lois raciales à l'encontre des Juifs et des Tsiganes, la France les devance. La liste des lois qui vont interdire aux Juifs certains métiers, comme ceux de la presse et de la finance, leur imposer un numerus clausus dans les écoles et les universités serait trop longue à rappeler. Ce sont ces lois qui s'appliqueront jusqu'au 16 juillet 1942 où 4 500 policiers et gendarmes, sous les ordres de Jean Leguay, adjoint de Bousquet, délégué de la police de Vichy, organisent une rafle au cours de laquelle plus de 13 000 juifs, dont 4 500 enfants, seront arrêtés, internés au Vél'd'hiv' et à Drancy, puis déportés vers les camps de la mort. D'autres rafles ont déjà été opérées mais celle-ci, de par son ampleur, son organisation et la participation de l'Etat français, est la plus importante.

En 1992, Jean le Garrec propose qu'une loi institue une journée commémorative pour les victimes des crimes racistes commis sous l'autorité de fait du gouvernement dit de Vichy. Le président Mitterrand prendra un décret et depuis 1993, nous commémorons le 16 juillet la mémoire de ces victimes.

L'Histoire est à la fois plus simple et plus compliquée : le Gouvernement au pouvoir à l'époque, à défaut d'être légitime, était légal : les crimes alors commis l'ont bien été sous l'autorité de l'Etat français. Mais dans le même temps où s'étendait cette nuit, comme de Gaulle depuis le 18 juin 1940, comme les députés et les sénateurs qui dès le 10 juillet 1940 avaient dit non, comme ceux entrés dans la Résistance, comme ces deux jeunes gendarmes qui gardaient les portes du Vél'd'hiv' au moment où Anna Zimmerman put s'enfuir, d'autres personnes, seules, dans l'ombre, mues par la seule conviction qu'il n'est de plus haute valeur que la vie humaine, se sont levées et ont sauvé des milliers et des milliers de juifs. Alors que la communauté juive comptait 300 000 personnes en France, 76 000 furent déportées, sur lesquelles un peu plus de 2 000 seulement sont revenues.

Ces hommes et ces femmes grâce auxquels un grand nombre de juifs purent ainsi échapper à l'horreur, n'ont jamais été reconnus car ç'eût été reconnaître la faute de l'Etat français. Jusqu'à juillet 1995, où le Président de la République déclara que l'irréparable avait été commis, personne n'avait fait ou voulu faire le lien entre le racisme, les déportations, et la France elle-même. Ces hommes et ces femmes n'ont donc jamais été officiellement honorés par notre pays. Ils l'ont été depuis 1953 par l'Institut de Yad Vashem en Israël et depuis 1978 par le Consistoire israélite. Depuis 1953, leur est reconnu le titre de Juste. Un Juste est celui qui, par son action, est capable de sauver le reste de l'humanité. Souvenons-nous de la parole de Dieu devant Sodome et Gomorrhe : « S'il est cinquante Justes dans cette ville, je la sauverai. »

On a dénombré jusqu'à ce jour 1 900 Justes mais sans doute sont-ils beaucoup plus nombreux à avoir sauvé l'honneur de la France. Alors que beaucoup sont morts, que tous ne sont pas connus et que la plupart ne seront jamais connus, il n'est pas possible de les honorer aujourd'hui autrement que de façon collective.

Au-delà de la médaille décernée à ceux d'entre eux toujours vivants, nous avons voulu qu'à travers la loi, la nation française tout entière reconnaisse la gloire et l'honneur de ces Justes ; que l'histoire officielle, qui jusqu'à ce jour niait la participation de l'Etat français aux crimes racistes, reconnaisse enfin que ces crimes ont été commis au nom d'une certaine France, même si aux côtés de cette France-là, il existait une France résistante à Londres, dans le Vercors ou en Afrique du Nord.

Nous vous appelons aujourd'hui à un devoir de mémoire et d'honneur à l'égard de personnes qui ont, à un moment, affirmé qu'il n'était de plus haute valeur que la vie humaine. Au moment où certains pays d'Europe montrent qu'ils n'ont pas été capables de revenir sur leur passé et d'entreprendre la dénazification qui leur aurait été indispensable pour regarder l'avenir, la France s'honorera en le faisant (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles - Il est des moments privilégiés où dans le décor empreint d'histoire de cet hémicycle nous pouvons parler d'histoire. Merci, Monsieur le rapporteur, d'avoir évoqué des événements et des dates aussi terribles, avec autant d'émotion.

« Quiconque oublie son passé est condamné à le revivre », a écrit Primo Levi : phrase qui demeure d'une brûlante actualité ! Henri Rousso pouvait écrire dans son ouvrage consacré à Vichy que la France « était malade de son histoire ». Et il est vrai qu'un long travail de mémoire a été nécessaire. Il n'est que de nous souvenir des polémiques suscitées par le film de Marcel Ophüls Le chagrin et la pitié ou par l'ouvrage de Paxton La France de Vichy.

Au fil des années, des débats, des combats et des témoignages, de la volonté de dire de la République, l'histoire est revenue, avec ses périodes troubles, avec ses zones d'ombre mais aussi de lumière.

Lorsque, en réponse à l'appel du comité du Vél'd'hiv', j'ai déposé, le 25 novembre 1992, une proposition de loi cosignée notamment par Laurent Fabius, par Jean Auroux et par Yvette Roudy, mon propos n'était pas seulement de participer au devoir impératif de mémoire, mais aussi de faire reconnaître l'écrasante responsabilité du gouvernement de Vichy, de l'Etat français.

Le 4 février 1993, le Président de la République François Mitterrand publiait un décret organisant une journée nationale de commémoration des persécutions racistes et antisémites à la date anniversaire de la rafle du Vél'd'hiv'. Le 16 juillet 1995, le Président Chirac reconnut avec force cette responsabilité en déclarant : « Oui, la folie criminelle de l'occupation a été secondée par des Français, par l'Etat français. Oui, la France a une dette imprescriptible à l'égard de ces victimes ». C'est ce qui autorise le Premier ministre Lionel Jospin à dire à Stockholm, le 20 janvier 2000, que l'_uvre de mémoire accomplie en quelques années est importante.

Aujourd'hui, le moment est venu pour le Parlement de prendre part à cette oeuvre de mémoire et de rendre hommage aux quatre-vingts parlementaires qui ont dit « non ». Comme l'écrit Pierre Miquel dans le livre qu'il leur a consacré, ce non minoritaire fut la première manifestation de résistance dans l'hexagone. Nombre d'entre eux seront arrêtés, déportés, assassinés après s'être engagés dans l'action directe ou le renseignement. Après l'hommage que le Président Laurent Fabius a rendu le 20 juin 1990 à trois d'entre eux -Emile Fouchard, Philippe Serre, Maurice Montel- notre Assemblée s'honorerait en apposant une plaque rappelant le nom de ces quatre-vingts parlementaires qui ont incarné un esprit de résistance, lequel a pris des formes diverses. Peu à peu, sur tout le territoire, en zone occupée comme en zone libre, des hommes et des femmes vont protéger des Israélites, les cacher, leur fournir des papiers, leur épargner une répression stupide et injuste. Ces milliers de gestes anonymes ont apporté la part de lumière, la part des « Justes » à cette période tragique.

Vous avez justement dit, Monsieur le rapporteur, que le mot « Juste » a une signification biblique. Il n'était pas question pour nous de le traduire par une équivalence. Il fallait lui garder toute sa force. Je pense, par exemple, au réseau Marcel, qui sauva 527 enfants juifs et, en cette minute, j'ai aussi une pensée pour mon père.

La proposition initiale, qui a été amendée, prévoyait l'attribution d'un titre de Juste. Mais les auditions auxquelles la commission a procédé, ont fait apparaître des réticences sur ce point, liées notamment à un risque de confusion avec le travail accompli par l'Institut Yad Vashem. Nous ne pouvions pas ne pas tenir compte de ces interrogations légitimes. Aussi, modifierons-nous le texte dans un sens plus symbolique. Il appartiendra ensuite à la République de rechercher les moyens d'exprimer sa reconnaissance. Je suis persuadé, Monsieur le ministre, que vous nous y aiderez.

Cela dit, le présent débat ne perd rien de sa nécessité, sinon de son actualité. Je rappelais en introduction la phrase de Primo Levi : « quiconque oublie son passé est condamné à le revivre ». Le travail de mémoire a été accompli en France, parfois douloureusement. Il a été fait en Allemagne. Mais il n'a pas été fait suffisamment en Autriche, qui a ainsi rejeté Thomas Bernhardt. Nous voyons aujourd'hui les conséquence de cette carence ! Pour ne choquer personne, je citerai Franz Ceska, ambassadeur d'Autriche en France : « La Shoah, catastrophe unique dans l'histoire de l'humanité, a anéanti une grande partie des juifs autrichiens, qui avaient joué un rôle si déterminant dans la culture, la politique, l'économie, en somme dans tous les domaines de la vie en Autriche... Les Autrichiens savent aujourd'hui qu'ils ne peuvent s'abriter derrière la fiction d'avoir été seulement des victimes d'Hitler : victime, l'Autriche l'était, mais beaucoup d'Autrichiens ont été complices de l'horreur nazie ».

La France devra continuer à regarder son histoire en face. Je pense, par exemple, à la guerre d'Algérie. Dans son livre remarquable L'âge des extrêmes, l'historien anglais Hobsbaum fait commencer cet âge en 1914. Grandeur, découvertes, développement mais aussi durcissement extrême marquent la fin du XXe siècle. Faisons en sorte que le siècle qui commence soit moins dur.

Le Parlement s'honore d'avoir ce débat, de participer ainsi à la culture citoyenne et républicaine. Bien entendu, nous devons rester modestes mais, parfois, l'addition de petits gestes contribue à faire l'histoire, à éviter d'en écrire une autre...(Applaudissements sur tous les bancs).

M. Armand Jung - En cet instant, je m'adresserai à toutes celles et ceux qui, de 1940 à 1945, ont vacillé entre vie, souffrance et mort en rejoignant les convois qui allaient les emporter vers la barbarie nazie.

Comme vous, juifs connus ou inconnus, tziganes, objecteurs de conscience, communistes, résistants, homosexuels, opposants politiques et droits communs, que je convoque à cette cérémonie du souvenir, afin que votre esprit se joigne à nous, à cette République enfin lucide.

Etait-ce un jour comme celui-ci, aussi gris que peut être l'âme de celui qui est arraché aux siens, ou bien dans la touffeur de l'été parisien, ou encore un jour où les arbres déversaient la neige de leur floraison dans le vent tiède ? Quel jour était-ce donc, celui de ton arrachement à ta famille pour aller nourrir le Moloch barbare, son besoin de sang et de victoires iniques ? Nul ne le saura jamais. Mais vous êtes ici, à présent, avec tous ceux qui revinrent et les innombrables qui ne revinrent jamais. Pour ceux qui connurent la grâce d'un retour, la vie n'aurait plus jamais le goût de l'insouciance joyeuse et du bonheur de vivre.

La guerre, la souffrance et l'humiliation des camps nazis avaient marqué au fer les corps et les esprits des rescapés. Depuis plus d'un demi-siècle, ils ont témoigné et perpétué la mémoire de ceux qui, transitant par le Vélodrome d'hiver, Drancy ou Schirmeck, ont rejoint Auschwitz sans espoir de retour.

Vivants ou disparus, ils sont aujourd'hui parmi nous, aucun n'est anonyme, perdu, abandonné. Tous, ils ont leur place dans notre souvenir.

A vous tous, à vos frères de souffrances, ombres et fantômes des camps nazis, je dédie la Journée nationale que nous allons instaurer.

Mais l'Histoire n'est pas blanche ou noire, elle est grise, note avec justesse notre rapporteur. Il existe une face lumineuse, qui doit aussi être mise en avant. C'est pourquoi l'Assemblée devait rendre hommage à ces quelque 1 900 « Justes parmi les nations » répertoriés par le Comité français de l'association Yad Vashem.

Pour sauver des juifs, il fallait oser risquer sa vie et sa liberté, et c'est ce qu'ont fait Léon Bronchard à Lyon, Edmond Evrard à Nice, Anne et Ernest Schoeller à Longueville-en-Barrois, André et Adèle Lambert, Marie-Jeanne Galand, Pierre Bockel de Strasbourg, et tant d'autres.

Il y eut également Joseph Storck de Guebwiller qui, le 6 juin 1999, à Strasbourg, a reçu à titre posthume la médaille des Justes. J'ai eu le grand honneur de participer à cette cérémonie empreinte de dignité et d'émotion. Joseph Storck, décédé en 1989, était, durant la guerre, proviseur de lycée à Limoges, où étaient réfugiés de nombreux Alsaciens. Il a protégé un jeune juif de ses élèves en le faisant vivre dans sa propre famille, puis en le dissimulant lors du passage des miliciens. Ce lycéen est devenu le Pr. Lazare Landau, figure connue à Strasbourg et spécialiste des relations judéo-chrétiennes.

Oui, entre la honte et l'honneur, il y a eu cet élément indéfinissable qu'on appelle héroïsme.

Notre France n'est jamais aussi belle que lorsqu'elle est solidaire et fraternelle. Est-ce à dire que notre débat sur les responsables des actes commis pendant l'Occupation est secondaire ? Au vu de tant de souffrances et de tant d'héroïsme, on pourrait le penser, mais il n'en est rien.

Je suis élu d'une région, l'Alsace, qui a encore un compte à régler avec son histoire. Et parce qu'elle ne l'a pas fait à la Libération, les mouvements populistes et xénophobes y ont proliféré. Il a fallu plus de 50 ans pour que le maire de Strasbourg, M. Roland Ries, dans un geste solennel, aille s'incliner en 1998 devant les victimes d'Oradour-sur-Glane, drame qui a profondément marqué l'Alsace.

De même, l'Autriche n'a jamais apuré son passé.

Le 10 juin 1940, le Parlement français votait les pleins pouvoirs au maréchal Pétain par 569 voix contre 80 et 17 abstentions. La République n'existait plus, mais l'Etat français demeurait, avec ses forces de l'ordre et ses fonctionnaires.

En 1995, les déclarations du Président de la République, suivies de celles du Premier ministre, ont mis fin à cette ambiguïté typiquement française qui a consisté, durant des années, à jouer sur les mots.

C'est bien l'Etat français, « légal à défaut d'être légitime » comme le note notre rapporteur, qui a participé à ces crimes. Il y a, désormais, concordance entre mémoire et histoire.

Jean le Garrec, le président de notre commission, avait raison lorsqu'il qualifiait en 1995, « d'historiquement et juridiquement fausses » certaines réactions au discours du Président de la République lors du 53ème anniversaire des rafles du Vel'd'Hiv'. Le mythe de l'irresponsabilité de l'Etat est désormais caduc. Mais votre rapporteur va plus loin, et je l'approuve, en établissant la responsabilité collective de l'Etat français, qui a bien été complice de crimes contre l'humanité, selon la définition du tribunal de Nuremberg, en élaborant, de sa propre initiative, une législation raciste et antisémite et en la mettant en pratique par des rafles et des déportations.

Mais si notre texte conclut à la responsabilité collective de l'Etat français, il n'établit pas la culpabilité collective d'un peuple car les réactions des Français, entre 1939 et 1945, ont été diverses. A côté des ombres, il y eut des lumières et la culpabilité, comme l'innocence, n'est pas collective mais personnelle. Dans les procès Papon et Touvier, ce sont des hommes qui furent jugés pour crime contre l'humanité et non une institution.

Il aura donc fallu plus de cinquante ans pour qu'une vérité inscrite dans la mémoire de dizaines de millions de Français soit enfin reconnue et énoncée dans la loi. Oui, en juillet 1942, la France a commis l'irréparable.

Ainsi, non seulement notre texte apure-t-il le passé, il a également valeur d'avertissement : l'Etat, fut-il bâti sur les principes de la République, peut les bafouer et l'autorité qu'il détient peut être mise au service du crime.

Le groupe socialiste, initiateur de la proposition, votera, avec émotion et solennité, mais aussi avec soulagement, un texte qui aurait dû l'être depuis bien longtemps (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Georges Sarre - Au nom du Mouvement des citoyens, j'apporte mon soutien à la proposition. Il est en effet heureux d'instaurer une journée des Justes, et de rendre hommage aux victimes des persécutions antisémites commises par le régime de Vichy. Il est bon de rappeler qu'à côté d'une minorité d'activistes qui soutint l'imposture vichyssoise, le peuple français, dans sa majorité, refusa les lois infâmes. L'instauration du régime de Vichy fut bien une disparition temporaire de la République, le vote des pleins pouvoirs à Pétain, un coup de force et une usurpation qui a permis d'instituer ce que le gouvernement provisoire a légitimement qualifié d' « autorité de fait ».

Ceux qui votèrent les pleins pouvoirs n'avaient plus de légitimité républicaine. Elle s'incarnait désormais dans les quatre-vingts parlementaires qui refusèrent de les accorder, dans ceux qui, tels Mendès-France, s'embarquèrent sur le Massilia, tous ceux qui finirent en prison, à Fresnes ou ailleurs.

Le peuple, lui, sut se montrer digne des valeurs que lui avaient enseignées l'école laïque et cacher, courageusement, naturellement, les femmes, les hommes, les enfants destinés à la mort par l'occupant et ses complices. C'est pourquoi l'Institut Yad Vashem a distingué de nombreux Français en leur accordant le titre de « Juste parmi les nations ». Je tiens à souligner toute l'importance de cette distinction que l'exposé des motifs de la proposition tend à minimiser. Sans Yad Vashem que saurions-nous du rôle éminent joué par les Justes de France ?

Si, enfin, la proposition doit être amendée, ce ne devrait être qu'après consultation des instances représentatives des juifs de France. Le débat doit en effet être le plus ouvert possible afin que le Parlement ait une juste vision des choses (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Michel Herbillon - Trop longtemps, la France a voulu ignorer l'histoire qui fut la sienne durant l'occupation nazie et se contenter de faux-semblants.

Trop longtemps, notre pays a cherché à taire le rôle joué par le gouvernement de Vichy et l'administration placée sous son autorité dans les persécutions et la déportation de juifs français ou réfugiés sur notre sol, de tsiganes, d'homosexuels ou de résistants.

Oui, des Français ont facilité les persécutions exercées par l'occupant, parfois même au-delà de ses exigences. Oui, des Français ont été complices de crimes contre l'humanité, ou les ont perpétrés eux-mêmes.

Ce n'est qu'à l'orée des années 1980 avec la mise en cause de hauts fonctionnaires de Vichy, le procès Barbie et, paradoxalement, les théories révisionnistes dont le développement a montré l'impérieuse nécessité de revivifier la mémoire collective, qu'a été levé le voile sur cette période sombre et que l'exigence de vérité s'est faite jour.

Cette exigence était salutaire car assumer pleinement son histoire, non seulement dans ses heures glorieuses mais aussi dans ses heures sombres, c'est, pour un pays, un signe de maturité et de vitalité démocratique.

En cela, l'instauration par décret, en 1993, d'une journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite « Gouvernement de l'Etat français » a contribué à restaurer la vérité sur la responsabilité de Vichy dans la violation des droits et les persécutions des dizaines de milliers de juifs.

L'étape décisive, et la plus symbolique, fut franchie, avec un indéniable courage politique, par le Président de la République Jacques Chirac, lorsqu'il a reconnu solennellement, le 16 juillet 1995, la responsabilisé de l'Etat français dans la rafle du Vél'd'hiv' et, plus largement, dans la persécution des juifs.

Voilà qui tranchait singulièrement avec l'attitude officielle, jusqu'alors faite de non-dits et de silences gênés nourrissant une bonne conscience collective, qui aspirait à maintenir le mythe d'une France unanimement résistante.

Cependant, comme le Président de la République l'a également souligné le 2 novembre 1997, lors de l'inauguration du Mémorial des Justes élevé, à l'initiative du Consistoire israélite de France, à Thonon-les-Bains, « si le mal doit être reconnu, le bien ne doit pas être méconnu. Aux heures les plus noires, la noblesse et l'espérance continuaient de vivre. Elles étaient dans le c_ur des combattants de la France libre, des résistants, si nombreux dans cette belle province. Dans le c_ur, aussi et surtout, de tous ces Français anonymes, ces Justes parmi les nations qui, au plus noir de la tourmente, sauvèrent les trois quarts de la communauté juive résidant sur notre sol ».

Le devoir de mémoire et l'équité exigent en effet de rendre aujourd'hui justice à tous ceux qui, le plus souvent au péril de leur propre vie, ont protégé et sauvé des milliers de juifs pourchassés par l'occupant et le régime de Vichy.

« Il faudrait commencer par le commencement et le commencement de tout, c'est le courage », a écrit Vladimir Jankelevitch. C'est en effet au courage de ces milliers d'anonymes, comme à celui des résistants, que la France doit d'avoir, dans la tourmente, conservé son honneur.

En refusant l'inacceptable, en refusant l'oppression de Français par d'autres Français, en refusant que soit trahie notre tradition nationale d'asile, les « Justes » ont permis que survivent les valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité.

A la différence d'autres pays, la France ne leur a pas assez rendu hommage. Le mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, a ainsi accordé le titre de « Juste parmi les nations » à 1 900 de nos compatriotes et le Consistoire israélite de France a élevé en plein procès Papon un mémorial des Justes. Mais il est plus que temps que notre Assemblée rende à ces hommes et à ces femmes l'hommage officiel qui leur est dû. Alors que beaucoup d'entre eux se sont malheureusement éteints, cet hommage sera d'autant plus fort qu'il aura une portée collective qui rend témoignage de la somme des actions héroïques de chacun.

En reprenant et en modifiant l'article premier du décret du 3 février 1993, afin que le 16 juillet soit désormais reconnu par la loi comme journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux Justes de France, notre Assemblée apporte une contribution essentielle au devoir de mémoire. Le groupe DL, qui se félicite du changement spectaculaire accompli par notre pays depuis quelques années dans l'approche de cette période, apportera son soutien unanime à cette initiative.

Que l'Assemblée vote cette loi cette année, soixante ans après la remise des pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940, lui donne une portée supplémentaire. Notre Assemblée pourra ainsi revenir sur cette journée funeste où des parlementaires, abdiquant leur propre autorité, ont sabordé la République. Il ne s'agit pas de les fustiger car qui peut dire ce qu'il aurait fait dans la tourmente, mais de faire _uvre, en toute sérénité, d'histoire.

Il s'agit encore de rendre hommage aux quatre-vingts qui ont sauvé l'honneur du Parlement. A cette fin, je réitère ma proposition, dont j'ai saisi le Président Fabius, que notre Assemblée leur rende cette année un hommage solennel en dévoilant dans l'enceinte du Palais Bourbon une plaque commémorative. Je propose aussi que leurs portraits soient apposés sur la façade de notre Assemblée, à la date anniversaire du 10 juillet 2000 ou le jour de la commémoration nationale, soit le 16 juillet. Par ce geste, nous ferons _uvre de pédagogie. Raviver cette période n'a en effet de sens que si cela nous sert à construire l'avenir. Rendre hommage à ceux qui ont dit non à l'inacceptable, c'est donner un exemple aux jeunes, c'est fortifier en eux le respect de la différence et les inciter à la solidarité. Cinquante ans après la libération des camps nazis, nous savons bien, en effet, que la liste des crimes contre l'humanité n'est pas close avec eux. C'est dire l'actualité de cette loi. Il me revient alors à la mémoire le dialogue entre Jorge Semprun et Anton, le bibliothécaire de Buchenwald, rapporté dans l'Ecriture ou la vie. A Semprun qui s'étonne qu'Anton veille à la préservation de la bibliothèque du camp, Anton répond que la fin du nazisme n'annonce pas la fin de toute barbarie. Funeste prémonition en vérité : les goulags staliniens, les crimes de Pol Pot, la dictature sanglante de Pinochet, l'« épuration ethnique » au Kosovo illustrent que le combat pour la dignité de l'homme a une dimension prométhéenne et qu'il est inlassable.

Par delà les vicissitudes de notre histoire, cette loi témoigne de notre indéfectible foi en l'Homme. (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Bernard Birsinger - C'est avec une certaine émotion que je soutiens au nom du groupe communiste la proposition de loi du groupe socialiste qui touche aux moments les plus sombres de notre histoire récente. Il est difficile de trouver les mots pour évoquer la barbarie et toutes les souffrances qui ont accompagné cette période. A l'heure où dans certains pays, tels que l'Autriche, des partis se révèlent porteurs d'une idéologie raciste et antisémite, le devoir de mémoire est plus que jamais nécessaire. Il n'est d'ailleurs pas indifférent que cela survienne dans un pays qui a négligé d'accomplir son travail de mémoire.

Reconnaître les fautes du passé permet aussi de lutter contre toutes les tentatives de banalisation du racisme. C'est dans cet esprit que le groupe communiste a fait adopter, par la voix de Jean-Claude Gayssot, une loi tendant à réprimer toute manifestation d'antisémitisme ou de négationnisme. La présente loi s'inscrit dans la même démarche.

Aux termes de diverses lois successives, tous les opposants au régime de Vichy, et les Juifs en particulier, sont devenus hors-la-loi et le port de l'étoile jaune devient obligatoire le 7 juin 1942. Mais le pire reste à venir. L'Etat français participe à la déportation massive de femmes, d'hommes et d'enfants, qui commencent par la rafle du Vel'd'hiv' les 16 et 17 juillet 1942.

Plusieurs milliers de juifs de la région parisienne sont ainsi regroupés et internés à Drancy.

Bien qu'elle intervienne tardivement, les communistes se sont réjouis de la reconnaissance par le Président de la République et par le Premier ministre de la responsabilité de l'Etat français dans les persécutions antisémites. Notre peuple doit en effet assumer toute son histoire et reconnaître l'héroïsme de ceux qui se sont élevés contre Vichy. A cet égard, la présente loi a une portée considérable : il s'agit en effet du premier acte législatif qui admet la continuité politique de l'Etat français et sa responsabilité dans le sort réservé aux Juifs sous l'Occupation.

Hommage doit être rendu à ceux qui ont refusé l'avilissement. Interdit dès 1939, le parti communiste fut de ceux-là, lui qui vit fusiller 70 000 de ses militants et accéda ainsi au titre de « parti des fusillés ». Aujourd'hui, nous serons de ceux qui entendent donner une reconnaissance législative à ceux qui sont restés fidèles à la patrie des droits de l'homme et du citoyen, à ces justes qui firent vivre au péril de leur vie leur idéal de la France, en recueillant des enfants, en apportant une aide matérielle et morale aux familles privées de tout, en les munissant de faux papiers, en les prévenant de rafles imminentes ou en refusant de livrer leur nom aux autorités. C'est cette chaîne active de solidarité qui a permis aux trois-quarts de la communauté juive de France de ne pas monter dans les wagons de la mort. Si 1 900 Français ont déjà été honorés de leur action, ce chiffre reste largement inférieur à la réalité. Notre devoir est donc de rendre justice à tous ceux qui ont aidé des juifs à échapper à la déportation, même si, pour beaucoup d'entre eux, cette reconnaissance viendra trop tard. Mais mieux vaut tard que jamais et nous ne mesurerons pas notre soutien à cette avancée.

Enfin, vous permettrez au député de Drancy-Bobigny de se féliciter de toute initiative qui permet à la vérité historique de progresser. Le camp de la Muette, à Drancy, fut en effet la dernière demeure sur le territoire de la majorité des déportés de France et la gare de Bobigny le lieu du départ vers leur ultime destination.

Avec cette loi, nous aidons notre civilisation à entrer dans le siècle prochain, avec la ferme résolution du « plus jamais ça ».

Chacun doit pouvoir mieux comprendre en quoi le nazisme est destructeur d'humanité et comment des hommes sont capables d'aller au bout de leur indicible projet, comprendre aussi comment il est possible de s'y opposer et d'être acteur d'humanité. En reconnaissant l'action des Justes de France, nous contribuons à ce combat.

Il convient aussi de se doter de nouveaux moyens pour permettre la réalisation de projets sur la mémoire historique. Le Gouvernement a accompli des efforts en ce sens, mais les associations souhaitent que les subventions soient abondées. Par ailleurs, elles déplorent la complexité des démarches à effectuer, liée au nombre d'administrations concernées ; une simplification administrative serait nécessaire. Je suis déjà intervenu en ce sens auprès de M. le Premier ministre.

Permettez-moi d'évoquer un projet qui me tient tout particulièrement à c_ur, celui du « Triangle de la solidarité », réunissant les trois lieux symboliques que sont Gorée, qui vit partir les esclaves africains vers l'Amérique, Robben Island, geôle de l'apartheid, et Drancy. Notre pays s'honorerait à s'engager pleinement dans ce projet, qui s'inscrit dans la résolution 51-104 de l'Assemblée générale des Nations unies relative à la décennie pour l'information et l'éducation.

Les députés communistes voteront ce texte en espérant que plus personne ne puisse dire « je ne savais pas », que plus personne ne nie la vérité et que chacun puisse dire comme Baudelaire « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans ». (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Rudy Salles - « Né en 1927, j'ai 12 ans à la déclaration de guerre. Je suis un adolescent de 15 ans, élève au lycée Montaigne à Paris, lorsqu'en septembre 1942 la police, française hélas, viendra m'arrêter avec toute ma famille, mon père, ma mère, mes deux s_urs, ma tante et mon oncle.

« Au total, nous sommes sept personnes qui, ce jour-là, prendrons le chemin qui nous conduira du camp de Drancy aux camps d'extermination d'Auschwitz et d'ailleurs, sept camps en totalité.

« Pour le seul fait d'être nés juifs.

« Une bonne constitution physique d'adolescent, une certaine dose de chance, et pendant un temps la présence de mon père à mes côtés sont sans aucun doute les facteurs qui m'ont permis, malgré de multiples souffrances physiques et morales, de survivre à trois années de travaux forcés, de famine et de mauvais traitements.

« Au gré des sélections, des évacuations et après la « marche de la mort », je connais les camps tristement célèbres de Blechlammer-Auschwitz, de Gross Rosen, de Buckenwald, de Dachau-Allach.

« Je pèse 38 kg lorsqu'à bout de forces, au limites de la survie, je suis enfin libéré des SS par les troupes américaines, le 30 avril 1945.

« Je venais d'avoir 18 ans.

« Rentré à Paris fin mai 1945, j'apprends que les miens ont été exterminés dans les chambres à gaz et les fours d'Auschwitz, fusillés ou morts de dysenterie.

« La solution finale, la Shoah, a fait son _uvre.

« Orphelin, c'est désormais seul ou presque que je vais devoir réapprendre à vivre, à vivre autrement que depuis cet automne 42... »

Ces quelques lignes ont été écrites par un ancien déporté, âgé aujourd'hui de 73 ans. Il a du mal à dire si le fait d'avoir survécu doit être considéré comme une chance ou bien s'il n'aurait pas mieux valu qu'il accompagne les siens dans la mort. Il explique qu'après avoir ainsi côtoyé l'enfer sur terre, il était à l'ouverture du wagon à bestiaux dans lequel il se trouvait enfermé et entouré de cadavres de ses camarades de souffrance et alors qu'un GI lui indiquait qu'il était libre, resté sans réaction, ne disposant plus des forces intellectuelles, morales et physiques lui permettant de distinguer la liberté de la captivité.

En me racontant la semaine dernière son histoire, comme il le fait régulièrement dans des établissements scolaires, ce rescapé avait le ton calme d'un homme sans haine. Aux questions qu'on lui pose sur l'Allemagne, il répond que les générations d'aujourd'hui ne sont pas responsables du passé. Néanmoins, l'émotion reste intacte et quand il parle du moment où les « kapos » le séparèrent définitivement de son père, les sanglots se mêlent à sa voix et la gorge de ses interlocuteurs se serre.

Je suis frappé par la volonté des rescapés des camps de la mort, de se dépêcher de témoigner avant qu'il ne soit trop tard c'est-à-dire avant leur propre mort. Pendant de nombreuses années, ils se sont tus parce que la souffrance était trop forte, parce que l'horreur était trop grande pour être crédible. Aussi parce que, début 1945, alors que l'Allemagne nazie était prise en tenailles par les forces alliées, les déportés étaient exécutés ou transférés d'un camp à l'autre de façon à ce qu'ils ne puissent jamais raconter.

J'ai visité le camp d'Auschwitz-Birkenau pendant l'hiver 1997. La visite s'est effectuée de nuit en raison d'un retard d'avion. Elle était commentée par deux anciennes déportées. La réalité de ce que nous visitions paraissait à peine croyable. En déposant une gerbe de fleurs devant le mémorial, ou dans l'enceinte des chambres à gaz auprès desquelles demeure un vieux camion dont les nazis actionnaient le moteur bruyant pour éviter que les détenus entendent les cris de leurs frères, je me disais qu'il fallait non seulement ne jamais oublier mais surtout témoigner et donner une portée éternelle à ces témoignages. C'est aujourd'hui notre responsabilité collective.

Il y a ceux qui ont eu plus de chance, beaucoup plus de chance, je veux parler de ceux qui ont pu être sauvés de la déportation par le geste d'amis, de voisins, d'inconnus ; souvent des femmes et des hommes bien ordinaires d'apparence, parfois des personnes investies de responsabilités, toujours des gens de c_ur n'attendant rien en retour sinon le sourire d'un enfant blotti contre ses parents. Quelques années plus tard, plusieurs milliers de ces personnes ont été reconnues « Justes parmi les nations » à la suite de témoignages précis attestant de leurs actions pour sauver des Juifs.

J'ai assisté à la remise de diplômes à des « Justes ». C'est, là aussi, un grand moment d'émotion lorsque se rencontrent ceux qui ont été sauvés et ceux qui les ont sauvés. Les liens entre eux dépassent souvent en intensité les liens de sang. Malheureusement, souvent cette rencontre ne peut pas se faire car le temps a passé. Néanmoins, de nouveaux « Justes » sont reconnus, même à titre posthume car il convient de ne jamais oublier leur courage. J'ai même pu appuyer un dossier collectif pour que soit reconnu « Juste » le village de Braux, dans les Alpes-de-Haute-Provence, en reconnaissance de l'action de toute sa population. De tels comportements doivent être érigés en exemples pour les générations futures.

Nous avons encore des combats à mener pour empêcher que l'histoire ne se répète. L'idée de construire l'Europe est venue à ceux qui voulaient transformer le champ de bataille d'hier en un espace de paix, de liberté et de respect des droits de l'homme. Depuis 55 ans, la guerre s'est tue dans l'Europe occidentale. Cependant, les guerres et les comportements à caractère raciste ou antisémite n'ont pas disparu : je pense au Rwanda, au Burundi, à la Croatie, à la Bosnie ou au Kosovo ; je pense aussi à la situation des juifs en URSS, au goulag, à l'Afrique du Sud ou à la Tchétchénie.

Je pense encore aux risques de banalisation de certaines idées qui se nourrissent des instincts les plus bas et qui ont été portées par le Front national. Elu du Sud de la France, où ce parti a prospéré et ayant moi-même affronté Jean-Marie Le Pen aux élections législatives de 1993 dans ma circonscription, je puis témoigner de la violence de la campagne mais aussi des ravages insidieux des idées extrémistes. Le langage modéré des démocrates est alors étouffé par la dialectique populiste. On tente de nous dissuader de continuer le combat, mais les alertes à la bombe, les menaces personnelles, les pneus crevés, les graffitis en forme d'étoile jaune sur mon véhicule n'ont pas suffi à me faire taire.

Aujourd'hui, nos inquiétudes deviennent européennes. L'accession au pouvoir en Autriche d'un parti populiste et xénophobe est un événement majeur. Doit-on rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, son chef Jorg Haider faisait l'éloge de la « politique de l'emploi » menée sous le Reich hitlérien et qu'en octobre 1995, il rendait un hommage vibrant, devant une assemblée d'anciens SS, à ces « hommes honnêtes » restés « fidèles à leurs convictions » car « un peuple qui n'honore pas ses ancêtres est condamné à la décadence » ?

L'intransigeance attendue des gouvernants démocrates a été manifestée par les autorités françaises : le Président de la République d'abord, le Gouvernement ensuite ont réagi avec la fermeté qui s'imposait. La Présidente du Parlement européen, Nicole Fontaine, a immédiatement exprimé sa réprobation à l'égard de la coalition autrichienne, ce qui lui a valu instantanément des menaces personnelles. Le président de l'UDF François Bayrou, ainsi que le président du groupe UDF Philippe Douste-Blazy, ont adopté des positions semblables.

Mais ces interventions connaissent des limites. L'actualité va très vite, un sujet est rapidement remplacé par un autre sujet ; le risque de la banalisation est particulièrement redoutable : si le combat n'est pas soutenu avec une ardeur constante, il peut y avoir normalisation, voire contamination dans des pays voisins. Enfin, nous voyons bien la faiblesse des institutions européennes vis-à-vis d'une telle situation. L'article 7 du Traité d'Amsterdam permet la mise à l'écart des instances décisionnelles de l'Union d'un pays qui a enfreint les principes fondamentaux de l'Europe : cela veut dire que l'Europe ne peut intervenir qu'une fois que le mal est fait. Que veut dire une mise sous surveillance de l'Autriche dans ces conditions ? De quels moyens l'Europe dispose-t-elle pour prévenir l'irréversible ? Nous avons besoin d'une constitution européenne qui indique clairement la ligne que les partis au pouvoir ne doivent pas franchir. Ce n'est pas de l'ingérence. Paraphrasant Jean-Marie Colombani, dans son article du Monde du 19 février dernier, je dirai que nous ne pouvons accepter qu'un apprenti sorcier autrichien mette en péril les fondements mêmes de l'idée européenne. Les pays qui ont décidé d'adhérer à l'Union européenne doivent en accepter les contraintes comme ils en acceptent les avantages. Et ces contraintes de principe doivent être renforcées. Je souhaite que la présidence française fasse des propositions qui puissent figurer dans le futur traité de Nice. Le texte que nous examinons vise à réunir dans un même hommage ceux qui sont morts de la barbarie nazie et ceux qui l'ont refusée. La proposition initiale a été modifiée. En effet, vous envisagiez la création d'un ordre des Justes de France qui serait entré à terme en concurrence avec l'ordre des Justes parmi les Nations. C'était un piège que nous avons voulu éviter. Nous n'avons pas non plus l'ambition de définir, dans le droit français, le sens du mot « juste », qui est une notion biblique. Ce mot se suffit à lui-même.

Le groupe UDF se réjouit de cette initiative du Parlement français qui nous permettra de mieux remplir notre devoir de mémoire. Une mémoire qui ne doit pas être passive, le temps d'une commémoration, mais une mémoire active qui guide nos pas dans le futur pour éviter de répéter les errements du passé.

C'est pourquoi le groupe UDF est heureux et fier de voter en faveur de cette proposition (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean-Paul Bret - Est-ce le rôle du Parlement de légiférer sur un fait d'histoire ? La question ne semble même pas se poser aujourd'hui tant la réponse est d'évidence : oui. Et pourtant, la question a été posée à plusieurs reprises, lorsque notre Assemblée a reconnu l'esclavage en tant que crime contre l'humanité et lorsque nous avons voté la reconnaissance du génocide arménien.

Il y a quelques jours, s'appuyant sur cet argument que « la Constitution n'autorise pas le Parlement à qualifier l'histoire », les sénateurs ont refusé d'inscrire à leur ordre du jour le texte reconnaissant le génocide arménien, texte voté à l'unanimité par notre Assemblée. Ils ont tort. En effet, se souvenir, c'est penser l'avenir. C'est poser un regard lucide sur la vie des hommes. C'est accepter qu'il n'y a pas des temps qui se succèdent, cloisonnés, mais un temps unique qui se transforme.

Le législateur peut se pencher sur l'histoire parce que l'histoire lui donne des repères et qu'elle l'aide à comprendre et à avancer. Notre droit est un droit qui se souvient, qui tire des enseignements d'aventures individuelles, qui se fonde sur la vie.

Nous ne sommes pas des historiens. Nous vivons dans un état de droit et, depuis longtemps, nous faisons la différence entre l'_uvre de recherche et l'_uvre de mémoire. Mais nous savons qu'il existe des passerelles entre les deux. Il faut bien un fondement à nos travaux parlementaires. Si nous examinons aujourd'hui un texte honorant la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites, c'est bien parce que des historiens ont consigné des faits irréfutables.

Mais si nous légiférons plus de cinquante ans après, c'est aussi parce qu'il nous a fallu du temps pour accepter notre histoire. Il est heureux que nous parlions naturellement de ce passé. Dans nos familles, comme dans celles de nos concitoyens, il existe un souvenir d'hier. Les souvenirs de guerre sont de toutes natures. Infâmes ou glorieux, ils sont lourds et se transmettent de génération en génération.

Pourquoi faudrait-il que le Parlement ignore les souvenirs que sont l'histoire et la mémoire de la France.

Quiconque se promène au Chambon-sur-Lignon, ce petit village protestant de Haute-Loire, comprend que quelque chose s'est passé, il y a longtemps. Le souvenir des familles et des personnes qui ont sauvé des enfants juifs est inscrit dans la pierre des maisons. Quiconque se rend au Centre d'histoire, de la résistance et de la déportation à Lyon, apprend que, dans les sous-sol du bâtiment, des femmes et des hommes étaient torturés par l'occupant nazi, qui avait là son quartier général. Klaus Barbie officiait dans ce sous-sol sordide. Le savoir n'est jamais une entrave. Au contraire, c'est une juste reconnaissance pour ceux qui ont souffert.

Ce texte honore le Parlement. Chaque fois que notre Assemblée s'attache à raviver la mémoire, elle sort grandie de sa démarche.

La mémoire, et précisément celle que nous réveillons aujourd'hui, nous enseigne que dans la vie, même dans les pires moments, les citoyens que nous sommes ont encore le choix.

Qui sont les Justes ? Ils sont des hommes qui portent en eux la plus haute idée de la liberté. Ils choisissent la liberté quand d'autres acceptent de se soumettre. Souvent, la réussite de leur action ne tient qu'à un fil. Les Justes ne gagnent pas toujours, pas tout de suite. Certains perdent leur vie dans la bataille. Mais leur engagement est le préalable à un mouvement d'ensemble, à la liberté de tous.

Bien plus tard, leur engagement nous aide aussi à accepter toutes les facettes de notre histoire. Si nous pouvons reconnaître que, sur notre territoire, des Français se sont rendus coupables de crimes racistes et antisémites, c'est parce que nous avons aussi des raisons d'être fiers : à la même époque, d'autres Français ont choisi de dire non et d'apporter leur aide à des femmes, des hommes, des enfants juifs et tziganes. Il y a des pays qui n'ont pas cette chance. Avec le temps, ils s'enferment dans le mensonge. Ils font pression sur quiconque tente d'exhumer la vérité et se perdent dans la négation.

Désormais, le troisième dimanche de juillet, le dimanche qui suivra le 16 juillet, journée-anniversaire de la rafle du Vel'd'hiv', nous nous souviendrons de toute notre histoire. De ceux qui n'ont pas eu la chance d'être sauvés et qui sont morts en déportation. De ceux, vivants ou morts, qui ont sauvé des vies et qui, par leur geste, ont contribué à sauver notre pays. Aux uns et aux autres, nous devons reconnaissance.

Aux premiers, injustes victimes du nazisme, nous devons un souvenir éternel. Aux seconds, qui ont fait l'honneur de notre pays, nous devons les remerciements de la nation.

Cette journée prendra son sens quand les initiatives de mémoire et d'hommage foisonneront dans toutes les communes de France. Nous aurons alors fait _uvre utile et rempli notre devoir de représentants de la nation (Applaudissements sur tous les bancs).

M. François Baroin - Aujourd'hui, par l'examen et le vote -que j'espère unanime- de ce texte important et symbolique, la Représentation nationale va accomplir un nouvel acte solennel pour réconcilier notre pays avec son histoire.

Ce vote n'aura été possible que parce que le Président de la République, garant de l'unité nationale, incarnation de l'ensemble du peuple français a, le 16 juillet 1995, ouvert la voie à une modification de l'attitude de notre pays à l'égard de son histoire.

Oui, les structures de l'Etat français ont prêté la main, avec zèle, à l'occupant dans son entreprise odieuse et barbare. Il n'a pas fallu longtemps au général de Gaulle, aux résistants de la première heure, aux Français libres, de voir que la République était abattue, pour comprendre que la racaille de l'extrémisme allait s'engouffrer dans les nouvelles institutions, que des élus, des fonctionnaires, des tièdes de toutes complexions allaient, par arrivisme, par idéologie ou par opportunisme, entrer dans la machine administrative qui les rendraient complices de l'inacceptable.

Mais la France n'était pas tout entière dans ceux qui trahissaient son esprit, son histoire et son message. Les Français libres, les résistants continuaient le combat par les armes.

Partout, en France comme ailleurs en Europe et même au c_ur de l'Allemagne, des Justes sauvaient la vie de juifs et de tous les persécutés.

C'est le village héroïque du Chambon-sur-Lignon, ce sont là des prêtres, là des instituteurs, là des paysans qui cachent des familles, qui au péril de leur vie, ont permis aux trois quarts des juifs de France d'échapper à la solution finale. Il est juste qu'aujourd'hui, la nation leur rende hommage.

Le groupe RPR puise ses origines dans cette période de notre histoire et notre groupe votera avec enthousiasme cette proposition, qui revêt à nos yeux une grande signification.

Nous savons que le travail de mémoire est difficile et qu'il demande un effort constant. Nous savons qu'il lasse parfois. Pourquoi ne pas le dire ? « Pourquoi ressasser des souvenirs douloureux », se demandent certains. Dénoncer, stigmatiser, déclarer « plus jamais ça » est nécessaire pour conjurer les risques de retour de la barbarie. L'actualité récente nous montre que cela n'est pas toujours efficace. Pour certains, aussi, cette démarche sert de substitut à la vertu, une excuse pour ne pas voir les menaces nouvelles qui pèsent sur les libertés, la détresse causée par un système économique dont on accepte avec résignation l'injustice.

C'est le risque des commémorations. Je l'ai personnellement vécu auprès des trois présidents de la Mission du bicentenaire de la Révolution française. Il y avait ceux qui voulaient limiter cette commémoration à la célébration de conquêtes vieilles de deux siècles. Certes, le monde entier n'en a pas encore recueilli les fruits. Mais il était tout de même confortable de vouloir refaire, sans violence, 1789 en 1989 et célébrer des conquêtes qui sont pour nous acquises. Il y en avait d'autres qui, animés d'une exigence intellectuelle et morale supérieure, auraient voulu donner un sens plus élevé à ces célébrations : prendre de nouvelles Bastilles, faire naître une nouvelle génération de droits et de devoirs, renouveler le dialogue entre les cultures et les religions, inventer une morale universelle.

La célébration que nous allons instituer aujourd'hui s'inscrit dans cet esprit : il s'agit en effet d'exalter la part de lumière qui est en l'homme. Mieux qu'une dénonciation, l'exemple des Justes accusera les lâches, démontrant que l'on pouvait faire autrement. Mieux qu'une condamnation, elle contribuera à réveiller les consciences. Dénoncer les forces du mal est une chose, conforter le bien et l'amour en est une autre. Dénoncer les crimes, les extrémismes et le terrorisme est une chose facile. Travailler sans relâche à la paix avec patience et rigueur, sans éclats, en préservant les équilibres les plus fragiles, requiert maîtrise de soi et abnégation.

Méditons sur ces Justes. En les interrogeant, comme l'a fait Marek Halter dans son film Tsedek, on découvre que s'ils répondent très simplement à la question comment ?, ils demeurent interdits à la question pourquoi ?, comme si elle était absurde. L'évidence de leur devoir, l'amour d'autrui, l'exigence supérieure de la vie ont été pour eux plus fort que tout.

Selon une interprétation du Talmud, le monde repose sur trente-six Justes, deux fois dix-huit, chiffre du mot vie pour les Juifs. En votant l'institution de cette journée des Justes, ces Justes qui ont incarné la force de vie, qui ont risqué leur vie pour sauver des vies de Juifs français et étrangers, nous ne cédons pas à la facilité des commémorations trop rituelles et des dénonciations habituelles, nous honorons la difficulté du véritable don de soi. Ce texte doit résonner comme un appel pour nos compatriotes et les inviter à fédérer leurs énergies pour construire une communauté nationale et internationale plus belle et plus digne de l'homme (Applaudissements sur tous les bancs).

M. Jean-Paul Durieux - De trop rares débats nous permettent, au-delà de nos sensibilités respectives, de retrouver les fondements de l'unité nationale. Cette proposition de loi, qui nous rassemble ce matin dans une même émotion et une même volonté de se souvenir, nous donne l'occasion de nous retourner avec lucidité et sans faiblesse sur notre passé. Oui, l'Etat français, des Français ont été complices de 1940 à 1944 de l'arrestation, de la déportation et de la mort de juifs, de tsiganes, de ceux dont l'occupant nazi avait décidé l'extermination. Il nous faut garder mémoire de cette période, ô combien sombre, de notre histoire, et tout particulièrement de ce 16 juillet 1942, date de la rafle du Vél'd'hiv', antichambre des camps de la mort. Reconnaître les fautes du passé, c'est se rendre capable de construire un avenir dont l'homme soit le c_ur, c'est aussi rendre hommage à toutes ces victimes innocentes.

Mais dans cette longue nuit, a tout de même brillé une lumière, celle qu'ont fait naître des hommes et des femmes, anonymes, qui ont recueilli, caché d'autres hommes, d'autres femmes, des enfants surtout, traqués et promis à la mort. Ces anonymes, qui ne partageaient certainement pas tous les mêmes idées, étaient néanmoins mus par la même conviction que celui qui est persécuté doit être aidée, celui qui est voué à la mort doit être sauvé. Ils ont témoigné, sans éclats, que le citoyen peut faire preuve de courage dans les périodes les plus noires comme dans la vie de tous les jours. Répondant à l'appel le plus profond de la conscience humaine, ils ont pleinement mérité le titre de Justes. Ils sont notre conscience ; ils sont l'honneur et la fierté de notre pays. La Journée nationale que nous allons instituer leur rendra enfin l'hommage que justifient leur courage et leur haute conscience, comme l'exemple qu'ils nous ont livré pour aujourd'hui et pour demain (Applaudissements sur tous les bancs).

La discussion générale est close.

M. le Président - Je tiens à saluer la dignité et l'émotion qui ont marqué toutes les interventions. La représentation nationale a condamné d'une voix unanime le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.

M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat aux anciens combattants - Je salue à mon tour la dignité de ce débat autour d'une initiative qui vous rassemble tous, au-delà de vos engagements personnels. Cette démarche unanime s'inspire d'une double exigence de reconnaissance et de vérité.

Exigence de vérité tout d'abord. Depuis quelques années, la France montre qu'elle est capable d'assumer avec lucidité et courage son histoire, ce qui est le propre d'une démocratie forte et vivante. La présente proposition de loi complète l'initiative prise par le Président Mitterrand, confirmée par les propos tenus en juillet 1995 par le Président Chirac hors de la cérémonie à la mémoire des victimes de la rafle du Vél'd'hiv'.

Exigence de reconnaissance ensuite à l'endroit de ceux qui ont fait prévaloir le refus de la soumission, les valeurs de la République, l'honneur de la France, qui ont défendu les droits fondamentaux de l'homme et la dignité même de l'être humain. Ce combat n'est, hélas, jamais achevé, trop d'exemples nous le rappellent chaque jour. M. Salles nous a fait part de sa propre expérience lorsqu'il s'est trouvé opposé à l'extrême-droite lors d'élections législatives. L'exemple récent de l'Autriche montre que la vigilance ne doit jamais se relâcher. Comme l'ont réaffirmé le Président de la République et le Gouvernement qui n'ont pas non plus hésité devant des actes forts, l'Europe ne pourra pas se construire sans référence à un bloc de valeurs communes, sans lesquelles il ne saurait y avoir de vie ensemble. Seule cette référence peut permettre de rassembler sur l'essentiel et j'ai la faiblesse de penser que les valeurs de la République française peuvent avoir valeur universelle.

Années 1940-1944, années d'ombres et de lumières. Ombres de la défaite de 1940, en dépit de l'héroïsme de nos soldats -n'oublions jamais les 100 000 morts de l'armée française en mai et juin 1940 non plus que les soldats de la ligne Maginot qui résistaient encore le 2 juillet 1940. Les ombres, ce sont aussi la création du Gouvernement de l'Etat français, les lois d'exclusion des Juifs, des francs-maçons, des étrangers, la collaboration avec l'Allemagne nazie, la chasse aux résistants, les arrestations, les tortures, les déportations, l'extermination.

Les lumières, ce sont le refus de l'Occupation, l'appel du 18 juin 1940, la création de la France libre, les actes de Jean Moulin, les premiers actes de résistance, notamment au Musée de l'Homme, l'engagement de nos troupes sous uniforme français en Afrique, en Corse, en Italie, en Normandie, en Provence, les combats de libération, le développement de la résistance intérieure jusqu'à la création du Conseil national de la Résistance. C'est aussi le refus des pleins pouvoirs au maréchal Pétain et au gouvernement de Pierre Laval exprimé par 80 parlementaires à Vichy en juillet 1940, en dépit des intimidations et des violences physiques. L'une de mes premières sorties officielles fut de leur rendre hommage à Vichy en juillet 1997. Ces 80 parlementaires, qui n'ont pu expliquer leur position, le vote ayant lieu, rappelons-le, sans débat, savaient que le vote de ces pleins pouvoirs conduirait à la collaboration et à l'abaissement de la République, mènerait à ce que des Français pourchassent et torturent d'autres Français. Il est donc tout à fait essentiel qu'en 2000, soixantième anniversaire de cet acte de résistance, nous témoignions de notre respect et de notre reconnaissance à ces 80 parlementaires. Le Haut Conseil de la mémoire combattante, réuni sous l'autorité du Président de la République en janvier dernier, a d'ailleurs retenu leurs actes parmi ceux à commémorer en 2000. Il appartiendra à votre Assemblée de prendre ultérieurement toutes les initiatives qu'elle jugera utiles en la matière. Je demanderai, pour ma part, à M. Allègre et à Mme Royal que l'Education nationale prenne une initiative afin que nos enfants connaissent l'action de ces 80 parlementaires admirables. Cela me semble faire partie intégrante de l'éducation à la citoyenneté. Nos enfants doivent comprendre qu'au-delà des différences, il ne saurait y avoir de société juste et équilibrée sans référence à des valeurs communes. Une société repose sur un juste équilibre de droits et de devoirs, ceux-ci étant les valeurs de la République française.

La page de lumière porte le patronyme de milliers de Français, qui ont sauvé des hommes, des femmes et des enfants pourchassés simplement pour être des juifs.

Parmi ces milliers de Français, j'en évoquerai cinq.

Auguste Boyer, gardien du camp des Milles dans les Bouches-du-Rhône, sauve une famille de juifs, les Neiger, le 10 août 1942, alors que la police procédait à la déportation des internés. S'étant légèrement blessé en descendant tour à tour les trois enfants sur son dos par la gaine d'un monte-charge désaffecté, il brisa le mur extérieur à coups de marteau pour sauver leur mère, puis recueille la famille chez lui pendant une semaine jusqu'à ce qu'un autre sauveteur l'escorte vers Alès.

Maria Corbat est une vieille paysanne qui vit près de la frontière suisse. Une nuit de septembre 1942, une femme affolée, Sonia Winischki, accompagnée de ses deux fillettes, frappe à sa porte. Le passeur qui devait l'aider à passer la frontière, un escroc, vient de se fondre dans l'obscurité. Maria Corbat hébergera les trois réfugiées juives pendant dix jours, le temps de prendre contact avec d'autres sauveteurs.

Pour le pasteur Jean Lemaire, les actes de résistance « pure » ne se distinguaient pas du sauvetage des Juifs. Le décret qui l'admet dans l'ordre de la Légion d'Honneur salue son rôle dans le mouvement Combat : « a participé à la lutte clandestine contre l'ennemi, a organisé de multiples évasions des prisons et des centres d'internement, permettant le passage à l'étranger et dans les groupes francs de la résistance des Français et des alliés recherchés par l'ennemi. Arrêté par la Gestapo, interné, déporté à Mauthausen et Dachau, revenu grand invalide ». Si le Gouvernement français a ainsi honoré le résistant, le mémorial israélien de Yad Vashem lui a décerné le titre de Juste, pour avoir sauvé un grand nombre de Juifs et leur avoir procuré de fausses cartes d'identité.

Edouard Vigneron, chef du service des étrangers de la police de Nancy, son adjoint Pierre Marie et leurs cinq hommes ont fait échec à une rafle de juifs, le 19 juillet 1942. Prévenus la veille de l'imminence de cette rafle, ils ont passé la journée à prévenir les 385 juifs concernés et, souvent, à leur remettre de vrais-faux papiers d'identité. Grâce à eux, seuls dix-huit juifs -bien sûr, c'est encore trop-, furent arrêtés au lieu des 385 prévus. Edouard Vigneron sera démasqué, démis de ses fonctions et incarcéré à Fresnes, puis libéré et réhabilité après le départ des Allemands.

Enfin, Jeanne Roussel accueillit dans le préventorium qu'elle avait fondé dans le sud de l'Avesnois, près de 54 enfants juifs qui entrèrent en prononçant le mot de passe : « Avez-vous besoin d'une bonne ? » Elle leur retirait aussi leur étoile jaune, leur attribuait un nom et de faux papiers et les laissait observer les rites judaïques, le tout dans le plus grand secret. Elle n'avait que le sentiment de faire son devoir, au point de se sentir la débitrice de ses protégés : « Merci de m'avoir appris à être meilleure chrétienne », leur dit-elle en guise d'adieu le 15 octobre 1944.

Ces cinq personnes, comme des milliers d'autres expriment une certaine idée de la France. Nous devrons définir ensemble, au-delà de ce texte, les moyens de leur témoigner notre reconnaissance. Merci, Mesdames et Messieurs les députés, de permettre à la République française de rendre ainsi hommage à tous ces hommes et à toutes ces femmes, qui ont été à la hauteur de ses valeurs.

Merci aussi d'avoir pris l'initiative d'inscrire dans notre calendrier commémoratif national une date qui permette, chaque année, de rendre hommage aux victimes de la politique d'exclusion du gouvernement de l'Etat français ainsi qu'à ceux des nôtres qui, aux côtés des résistants, ont été les meilleurs d'entre nous (Applaudissements sur tous les bancs).

L'article unique de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.

M. le Président de la commission - Je me félicite de la qualité remarquable de ce débat. Le travail que nous avons accompli nous honore. En déposant cette proposition de loi, en 1992, je souhaitais ce vote. Il a fallu du temps, mais le vote qui vient d'avoir lieu est important pour marquer ce qui relève de la responsabilité du gouvernement de l'Etat français de Vichy et pour rendre hommage tant aux quatre-vingts parlementaires qui ont su dire non qu'aux Justes. Je remercie le rapporteur de la qualité de son travail.

Cela dit, Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous interveniez auprès du ministre chargé des relations avec le Parlement, pour que le Sénat examine rapidement cette proposition de loi.

D'autre part, il serait bon que le rapport et toutes les interventions sur ce texte soient publiés dans un document facile à diffuser, à des fins pédagogiques. Je ferai une proposition en ce sens au Président de notre Assemblée. Trop souvent, on caricature ce que nous sommes et ce que nous faisons. Notre travail de fond est méconnu. Publier un tel document contribuerait au travail de mémoire et serait faire _uvre de citoyenneté républicaine (Applaudissements sur tous les bancs).

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FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le Président - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 16 mars 2000 a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Il sera annexé au compte rendu de la présente séance.

Le Gouvernement a en outre communiqué, en application de l'article 48, alinéa 5, du Règlement, le programme de travail prévisionnel jusqu'au terme de la session. Ce document sera annexé au compte rendu intégral de la présente séance.

Par ailleurs, en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, il a été décidé que la sixième séance mensuelle d'initiative parlementaire, dont il revient au groupe DL de proposer l'ordre du jour, aurait lieu le mardi 28 mars, matin et se poursuivrait le mardi 4 avril, matin.

Prochaine séance, cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 10 heures 55.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ANNEXE
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 16 mars 2000 inclus a été ainsi fixé ce matin en Conférence des présidents :

Cet après-midi à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ deuxième lecture du projet de loi relatif aux volontariats civils institués par l'article L. 111-2 du code du service national ;

      _ projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 10 mars 1964 entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproque en matière d'impôts sur les revenus ;

      _ projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et la Ligue des Etats arabes relatif à l'établissement, à Paris, d'un Bureau de la Ligue des Etats arabes et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (ensemble une annexe) ;

      _ projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole, établi sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, relatif à l'interprétation, par la Cour de justice des Communautés européennes, de la convention concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale ;

      _ projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, concernant la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale ;

chacun de ces quatre derniers textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

      _ deuxième lecture du projet modifiant le code pénal et le code de procédure pénale et relatif à la lutte contre la corruption ;

      _ proposition de M. André Gerin relative à la validation législative d'un examen professionnel d'accès au grade de premier surveillant des services extérieurs de l'administration pénitentiaire ;

chacun de ces deux textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

      _ projet, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relatif à la signature électronique.

MERCREDI 1er MARS, à 15 heures, après les questions au Gouvernement :

      _ Proposition, adoptée par le Sénat, relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane ;

à 21 heures :

      _ projet, relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux relations de cette société avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile.

JEUDI 2 MARS, à 15 heures :

      _ nouvelle lecture du projet de loi relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

MARDI 7 MARS, à 9 heures :

      _ proposition de Mme Catherine Génisson et plusieurs de ses collègues relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (ordre du jour complémentaire) ;

à 15 heures :

      _ questions au Gouvernement ;

à 17 heures 15 et à 21 heures :

      _ suite de la proposition de Mme Catherine Génisson et plusieurs de ses collègues relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

MERCREDI 8 MARS, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures,

      _ lecture définitive du projet relatif aux incompatibilités entre mandats électoraux et fonctions électives ;

      _ quatrième lecture du projet de loi organique relatif aux incompatibilités entre mandats électoraux,

ces deux textes faisant l'objet d'une discussion générale commune.

      _ projet relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.

JEUDI 9 MARS, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite du projet relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.

MARDI 14 MARS, à 9 heures :

      _ questions orales sans débat.

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures,

MERCREDI 15 MARS, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures,

et JEUDI 16 MARS, à 15 heures et à 21 heures :

      _ suite du projet relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.


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