Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1999-2000)

Session ordinaire de 1999-2000 - 67ème jour de séance, 159ème séance

2ème SÉANCE DU MARDI 21 MARS 2000

PRÉSIDENCE de M. Laurent FABIUS

Sommaire

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

INDEMNISATION DU CHÔMAGE 2

RÔLE DU PARLEMENT 3

LUTTE CONTRE LE RACISME 4

SECTES 5

OTAGE FRANÇAIS EN TCHÉTCHÉNIE 6

ACCÈS AUX SERVICES PUBLICS DE LA POSTE ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS 6

OMC 7

FUSION DES COMMUNES DE LILLE ET DE LOMME 8

COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE 9

EDUCATION NATIONALE 10

SYNCHROTRON DE TROISIÈME GÉNÉRATION 11

DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES 12

SOLIDARITÉ ET RENOUVELLEMENT URBAINS (suite) 13

EXPLICATIONS DE VOTE 14

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION 19

LIBERTÉ DE COMMUNICATION
(deuxième lecture) 19

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 28

QUESTION PRÉALABLE 33

La séance est ouverte à quinze heures.

    Top Of Page

    QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

M. le Président - J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à nos trois nouveaux collègues : M. Leroy, M. Menjucq, M. Geveaux (Applaudissements).

Top Of Page

INDEMNISATION DU CHÔMAGE

M. Jean-Claude Sandrier - Madame la ministre de l'emploi, les partenaires sociaux ont engagé des négociations sur l'avenir de l'UNEDIC et les intentions du MEDEF sont claires : utiliser l'indemnisation du chômage comme outil de flexibilité, de diminution du coût du travail et de précarité (M. Jean-Marie Geveaux entre dans l'hémicycle sous les applaudissements du groupe RPR ; M. Jean-Pierre Menjucq fait de même sous les applaudissements du groupe UDF).

Alors que l'UNEDIC est excédentaire de 6 milliards et que quatre chômeurs sur dix ne sont pas indemnisés, le MEDEF n'a avancé aucune proposition tendant à une revalorisation des indemnités ou un élargissement du nombre des bénéficiaires. Il prétend décider des conditions de retour à l'emploi des chômeurs tout en transférant au maximum le coût social du chômage vers la collectivité nationale, c'est-à-dire vers l'Etat.

Dans tous les domaines, le MEDEF remet en cause les avancées sociales. Il s'en prend au SMIC, à la sécurité sociale, au contrat de travail et veut avoir les mains libres pour rendre les salariés taillables et corvéables à merci.

L'intérêt général exigerait au contraire que le MEDEF assume ses responsabilités en créant des emplois stables et correctement rémunérés. La croissance et la réforme des 35 heures en ouvrent la possibilité. Aujourd'hui, les entreprises doivent être rendues collectivement responsables de la capacité des salariés à être embauchés ainsi que des revenus des salariés qu'elles mobilisent et démobilisent.

Ne pensez-vous pas, Madame la ministre, que le Gouvernement doit faire entendre l'expression de l'intérêt général face à l'attitude rétrograde du MEDEF ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Le MEDEF et les autres organisations patronales ont en effet décidé de lancer des négociations interprofessionnelles avec les organisations syndicales. Je me réjouis qu'elles s'ouvrent enfin à ce niveau, après cinq années où il n'y a quasiment rien eu de tel. Encore faut-il qu'elles mènent à des accords permettant des progrès sociaux et donnant aux entreprises de meilleurs moyens de fonctionner.

L'indemnisation du chômage n'a pas été revue depuis des années alors même que le marché du travail a beaucoup évolué. Par exemple, la part des licenciements dans les inscriptions à l'ANPE a baissé de 10 points tandis que celle des contrats à durée déterminée et des missions d'intérim augmentait d'environ 12 %. Les partenaires sociaux doivent prendre en compte ces nouvelles réalités afin d'infléchir ce mouvement néfaste qui fait qu'aujourd'hui seulement 42 % des chômeurs sont indemnisés, contre 52 % il y a dix ans.

Il faut que L'UNEDIC, organisme paritaire, comprenne que lorsqu'on est en excédent, on ne doit pas continuer à se tourner vers l'Etat pour demander à la solidarité nationale d'intervenir, comme elle a été amenée à le faire en 1992 quand l'indemnisation du chômage était en déficit.

Croyez bien que le Gouvernement sera extrêmement attentif, en particulier sur deux points : la prise en compte de la précarité et l'indemnisation du chômage des jeunes -lesquels ont eux aussi perdu dix points ces dix dernières années pour ce qui est du nombre de chômeurs couverts par une indemnisation.

La négociation ne fait que commencer et je fais pour l'instant confiance aux négociateurs mais l'Etat n'hésitera pas à jouer sa partie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Top Of Page

RÔLE DU PARLEMENT

M. Philippe Douste-Blazy - Ma question s'adresse au premier ministre et je la pose non seulement au nom du groupe UDF mais aussi des présidents des groupes RPR et DL, MM. Debré et Rossi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). Elle concerne le fonctionnement de nos institutions.

Jeudi dernier, Monsieur le Premier ministre, vous avez choisi le journal télévisé de 20 heures pour annoncer le détail de mesures fiscales dont, 48 heures auparavant, ni le ministre de l'économie et des finances ni la secrétaire d'Etat au budget n'avaient daigné informer la commission des finances (« Hou ! » sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Tout à l'heure, après la séance des questions au Gouvernement, vous allez annoncer des mesures sur les retraites à la faveur d'une conférence de presse (Mêmes mouvements). Demain, nous examinerons le projet de loi sur la liberté de la communication sans que la ministre de la communication soit venue en parler la semaine dernière devant la commission des affaires culturelles (Mêmes mouvements).

D'où ma double question. Pouvez-vous donner à la représentation nationale sinon l'exclusivité du moins la primeur de vos propositions concernant les retraites ? Quel est selon vous le rôle que doit jouer le Parlement dans une démocratie comme la nôtre ? Le considérez-vous comme une simple chambre d'enregistrement ? Auquel cas, permettez-moi de vous rappeler que depuis les débuts de la République, ce sont les parlementaires qui consentent l'impôt et qui contrôlent les dépenses de l'Etat. Ou pensez-vous, comme nous tous ici, que le Parlement est le lieu où, après débat, ce sont les députés et seulement eux qui donnent aux choix du Gouvernement force de loi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - Depuis juin 1997 et ma déclaration de politique générale, ce gouvernement a parfaitement respecté le Parlement. Il n'y a aucune grande question qui n'ait été débattue ici quand vous l'avez souhaité. Je pense en particulier aux débats que nous avons eus sur le Kosovo, sur l'euro, sur les conséquences des tempêtes et de la marée noire... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) Ce gouvernement et ses ministres sont totalement disponibles pour l'Assemblée nationale, que ce soit en commission ou dans l'hémicycle (Mêmes mouvements). Il vous est même arrivé de nous reprocher de trop légiférer. Le fait est, nous avons mené une politique de réformes et nous continuerons à le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Respecter le Parlement, ce n'est pas seulement respecter les droits de l'opposition, c'est aussi respecter sa propre majorité. En trente-trois mois, ce gouvernement, contrairement à d'autres, n'a pas recouru une seule fois à l'article 49-3... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Vous avez souhaité que le débat sur la « cagnotte » ait lieu ouvertement. C'est précisément pourquoi nous avons décidé, à titre exceptionnel, de discuter d'un collectif de printemps. Les décisions seront donc prises à l'Assemblée. Car c'est bien à l'Assemblée nationale qu'il revient de voter l'impôt et d'autoriser les dépenses. Vos prérogatives seront totalement respectées. Il en ira de même pour les retraites si des dispositions législatives doivent être arrêtées.

Mais on ne peut pas pour autant s'abstraire de la démocratie telle qu'elle fonctionne aujourd'hui. Il s'agit d'une démocratie de masse où chaque citoyen exige d'être informé à tout moment des décisions que nous prenons (Huées sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Qu'il s'agisse de l'impôt, des dépenses publiques ou des retraites, tous les Français sont concernés. Et ils méritent aussi d'être informés en direct, dès lors que vos prérogatives sont respectées (Mêmes mouvements ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

Je me souviens d'un plan de sécurité sociale qui a été présenté devant l'Assemblée : personne n'en a gardé un très bon souvenir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

Top Of Page

LUTTE CONTRE LE RACISME

M. Georges Frêche - Je salue nos nouveaux collègues, en particulier M. Leroy, nouveau député du Pas-de-Calais (Les députés socialistes se lèvent et applaudissent).

M. Philippe Briand - Deux à Un !

M. Georges Frêche - Ma question s'adresse à Mme la ministre de la justice. La commission nationale consultative des droits de l'homme, à l'occasion de la présentation annuelle, le 15 mars, de son rapport au Premier ministre sur la lutte contre le racisme, a commandé un sondage auprès de la population française. Les résultats en sont partiellement consternants. Ainsi 69 % des Français se disent plutôt racistes ou un peu racistes ; 63 % trouvent qu'il y a trop d'Arabes en France ; 1 % seulement estiment qu'il y a trop de Juifs, mais 31 % qu'ils ont trop de pouvoir... Ce sondage illustre une tendance au durcissement de la société française sur les questions liées à l'immigration.

On constate aujourd'hui de plus en plus d'actes et d'attitudes de discrimination raciste ou antisémite, que ce soit en matière de droit au travail, au logement, ou d'accès aux loisirs, et je pense notamment aux discothèques.

Chacun reconnaît ici que la France doit faire respecter les droits des étrangers en situation régulière, et a fortiori ceux des Français issus de l'immigration.

Il y va de la dignité de notre pays. Dans cet esprit, le Gouvernement a mis en place les commissions départementales d'accès à la citoyenneté. Beaucoup reste à faire. Plusieurs associations soulignent l'absence de sanctions pour les auteurs de ces actes condamnables. Souvent, en effet, les parquets hésitent à poursuivre, du fait que la preuve est difficile à apporter, et cela contribue à la banalisation du phénomène (Exclamations sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR). Messieurs, vous n'êtes pas obligés de vous faire les porte-parole de M. Le Pen ! (Mêmes mouvements)

La question de la charge de la preuve a fait l'objet d'une réforme importante : il appartiendra désormais au juge d'apprécier la réalité de la discrimination au vu du dossier, et non plus à la victime d'en apporter la preuve.

Vous sachant attachée, Madame la ministre, à la lutte contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme, mais aussi toutes les discriminations sociales ou sexistes, je vous demande si ces mesures seront mises en place sur le plan judiciaire, et si des instructions seront données aux parquets pour qu'ils traitent avec fermeté et intransigeance de ces actes délictueux (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous venez de rappeler l'analyse de la commission consultative des droits de l'homme sur le racisme, et il est vrai que le constat est inquiétant. Car chaque acte de discrimination est un déni de justice, une atteinte au principe d'égalité, une violence qui mine le contrat social. Le Gouvernement a donc décidé de prendre à bras-le-corps ce difficile problème. C'est pourquoi le Premier ministre a organisé samedi dernier les Assises de la citoyenneté. Il a décidé que les commissions départementales d'accès à la citoyenneté seraient interministérielles, afin que tous les services de l'Etat se mobilisent dans chaque département. Il a annoncé un plan de lutte contre les discriminations, qu'elles concernent le droit au travail, au logement, aux loisirs ou à la culture. Il a appelé à la mobilisation contre tout comportement raciste ou xénophobe. Un numéro vert a été mis en place.

Pour ce qui est de l'action de la justice, j'ai adressé dès le 16 juillet 1998 une circulaire aux magistrats du parquet, les incitant à intensifier la lutte contre le racisme, en coopérant davantage avec tous les acteurs sociaux. Il est vrai qu'il est aujourd'hui difficile d'apporter devant la justice la preuve des discriminations. Que faire ? Le Gouvernement a tout d'abord invité les associations à se mobiliser -et elles le font- pour organiser des opérations de « testing » en présence de témoins susceptibles de témoigner devant les tribunaux. Pour ce qui est de la discrimination à l'embauche, il fallait aménager la charge de la preuve pour permettre aux victimes d'obtenir plus facilement réparation devant les juridictions civiles. En juin, le projet de loi de modernisation sociale comportera des dispositions concernant l'aménagement de la charge de la preuve, la possibilité pour les syndicats d'ester en justice en lieu et place de leurs adhérents, et pour les inspecteurs du travail de dresser des procès-verbaux.

Chacun est interpellé par le constat de la commission consultative : non seulement la justice, mais toute la société. Car les jeunes, et les moins jeunes, victimes des discriminations, sont français : ils ne demandent pas l'intégration, car ils sont intégrés. Ils demandent l'égalité, et nous la leur devons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Top Of Page

SECTES

Mme Martine David - Ma question s'adresse aussi à Mme la Garde des Sceaux. En septembre, le procès de responsables de l'église de scientologie à Marseille a été marqué par la destruction d'une quantité importante de scellés judiciaires. Cet incident fâcheux survenait un an après la disparition, au Palais de justice de Paris, d'une partie d'un autre dossier lié à la même organisation. Il fallait enquêter, et c'est ce qu'a fait la Chancellerie. Pouvez-vous informer l'Assemblée sur l'état d'avancement de cette enquête, et éventuellement ses premières conclusions ? Plus généralement, par quelles dispositions entendez-vous garantir la confidentialité et l'impartialité indispensables à la bonne marche de la justice, et prévenir le risque d'intrusions sectaires dans le domaine délicat qui touche à la protection des citoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV)

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Vous avez rappelé le grave incident de la destruction de scellés au tribunal de grande instance de Marseille. L'Inspection des greffes, qui s'est rendue sur place, a confirmé l'origine accidentelle de l'incident, qui résulte d'une erreur du greffe dans l'interprétation d'une décision du tribunal.

Qu'avons-nous fait pour éviter qu'une telle erreur se renouvelle ? Tout d'abord, les affaires qui méritent une attention particulière seront signalées par une pastille fixée sur les dossiers. Ensuite les connections informatiques entre les greffes et les services des archives seront renforcées. Enfin, en cas de destruction de scellés, les fonctionnaires devront procéder à une vérification systématique. Cet accident n'a pas empêché le tribunal de porter son jugement. Il a retenu la responsabilité de cinq des sept prévenus, et les a condamnés à des peines de prison pour escroquerie et tentative d'escroquerie.

Il existe par ailleurs au ministère une cellule spécialisée sur ces questions. Nous examinons avec attention le rapport interministériel sur les sectes remis au Premier ministre par M. Alain Vivien.

Nous avons inscrit une première mesure dans le projet relatif à la présomption d'innocence, afin de favoriser l'action en justice des associations qui _uvrent dans ce domaine. Nous examinons d'autre part la question de la dissolution judiciaire des personnes morales exerçant des activités sectaires. Ces questions seront bientôt soumises à votre Assemblée.

J'ai par ailleurs adressé en décembre 1998 une circulaire demandant la mise en place dans chaque cour d'appel d'un magistrat chargé de coordonner la lutte contre le phénomène sectaire. Nous avons constitué des groupes de travail réunissant les associations et les parquets. Ces derniers sont bien mobilisés. Mais tout cela ne nous dispense pas d'une vigilance accrue face aux menaces qui pèsent sur nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

Top Of Page

OTAGE FRANÇAIS EN TCHÉTCHÉNIE

Mme Martine Lignières-Cassou - Monsieur le ministre des affaires étrangères, un jeune reporter photographe, Brice Fleutiaux, a été enlevé le 1er octobre en Tchétchénie. Depuis lors il est détenu dans des conditions difficiles, voire inhumaines. Sa famille, ses proches, le comité de soutien veulent garder l'espoir et attendent qu'il soit libéré. Quelles démarches a entreprises le Gouvernement pour obtenir sans délai sa libération ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Dans le passé j'ai dû suivre à plusieurs reprises des affaires d'otages, et je mesure le calvaire que constitue celle-ci pour la famille et ses proches. Depuis sont enlèvement les autorités françaises n'ont jamais cessé de s'en occuper.

Le Président de la République, le Premier ministre et moi-même avons saisi chaque occasion de faire savoir aux autorités russes le prix que nous attachons à une libération rapide. J'ai reçu sa famille, et je lui redis, par votre intermédiaire, que nous ferons tout ce qui dépend de nous pour qu'il soit libéré au plus vite (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Top Of Page

ACCÈS AUX SERVICES PUBLICS DE LA POSTE ET DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

M. François Brottes - Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie. L'effervescence autour d'Internet et l'escalade des nouvelles technologies doit nous rendre plus vigilants encore pour garantir l'accès de tous aux moyens plus classiques de communication, comme le téléphone fixe et le courrier.D'où mes questions. Tout d'abord, vous venez de confirmer le dispositif d'accès au téléphone fixe à des tarifs sociaux. Pouvez-vous nous en préciser les modalités et les échéances ?

D'autre part vous allez bientôt, avec vos collègues de la Communauté, évoquer la fièvre de libéralisation des commissaires européens sur le secteur réservé à La Poste en matière de courrier. Quelle sera la position de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Un axe fort de la politique du Gouvernement est le renforcement du service public, notamment en matière de communication et de télécommunication. Sur votre première question, je serai précis : il s'agit de favoriser pour les plus démunis l'accès au service du téléphone à des coûts abordables. Pour cela, automatiquement, les titulaires de l'AAH, de l'ASS et du RMI, ainsi que les invalides de guerre, recevront un formulaire qui leur permettra d'obtenir la réduction de 78 F à 45 F du coût de leur abonnement. C'est une démarche simple et automatique.

Pour ce qui est de La Poste, la directive actuelle est conforme aux orientations défendues par la France. La Commission semble vouloir la faire évoluer dans un sens ultralibéral. Je continuerai à lui tenir le langage de la fermeté, comme je l'ai fait en novembre 1999 devant le commissaire Bolkestein.

Nous ne voulons pas d'une libéralisation programmée, même partielle, de la directive en vigueur qui donne satisfaction aux différents gouvernements européens. Nous sommes favorables au maintien dans la durée du monopole...

M. Pierre Lellouche - Voyez France Télécom !

M. le Secrétaire d'Etat - ...et nous ne voulons pas de possibilités de contournement afin de garantir le financement du service public et en particulier la péréquation des tarifs. Mais nous voulons en même temps imprimer une vision dynamique à ce service universel, qu'il faut enrichir dans son contenu, en termes d'accessibilité à tous les usagers et de qualité des services. La France n'est à cet égard pas du tout isolée... (Vives exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL) puisque l'Union postale universelle a confirmé dès l'année dernière que telle était son orientation quasi unanime et puisque les syndicats membres de l'Internationale des communications vont unanimement dans la même direction. Nous avons reçu sur cette position l'accord de dix Postes européennes et une résolution du Parlement européen a confirmé ces orientations en faveur du service public. Je suis très heureux de pouvoir annoncer à la représentation nationale que nous serons très fermes sur le maintien et le développement du service public des télécommunications et de La Poste (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Top Of Page

OMC

M. Yves Cochet - Monsieur le ministre du commerce extérieur, la conférence des Nations unies pour le commerce et le développement s'est réunie à Bangkok il y a quelques semaine et il y a été fait assaut de déclarations d'intentions d'autant plus généreuses qu'elles étaient peu contraignantes pour le commerce international. De même, un protocole intéressant a été adopté à Montréal sur la biosécurité, mais dont on peut se demander de quelle manière il sera pris en compte par l'OMC. Si la légitimité est du côté de l'ONU, il semble que la puissance soit à l'OMC. Nous constatons donc une sorte d'étanchéité entre le droit international et le commerce mondial. Il est probable que les négociations redémarrent prochainement, d'abord sur les services, puis sur l'agriculture. La France et l'Europe vont-elles tenter d'exclure les services publics du champ d'application de l'OMC ? Vont-elles défendre le principe de multifonctionnalité de l'agriculture, en cohérence avec le protocole de Montréal ? Enfin, il semble que le commissaire Lamy soit assez pressé de rouvrir le cycle de négociations : où ? quand ? sur quel ordre du jour ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et sur quelques bancs du groupe socialiste)

M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur - Je reviens d'un conseil informel des ministres du commerce extérieur à Porto, où nous avons évalué la situation après Seattle et la stratégie que devait tenir l'Union dans les mois à venir. J'ai eu ainsi l'occasion de réaffirmer la position de la France qui est en faveur d'un cycle large de négociations, équilibrant libéralisation et régulation. Dans cette optique, il semble difficile que le cycle puisse repartir dès cette année, d'abord parce que les élections américaines pèsent aujourd'hui comme hier sur les circonstances, ensuite parce que les pays en voie de développement attendent de notre part des signes clairs, également parce que l'OMC doit gagner en légitimité et, enfin, parce qu'il nous faut expliquer nos positions en matière d'environnement et de normes sociales et qu'elles ne sont pas toujours bien comprises. Le sommet de Porto a confirmé notre position et il y a tout lieu de s'en réjouir. Je me félicite comme vous, Monsieur le député, que l'accord de Montréal ait permis de reconnaître le principe de précaution et de le faire progresser, en le plaçant sur le même plan que les règles de l'OMC. Par conséquent, il ne me semble pas du tout inéluctable qu'il y ait, comme vous le craignez, étanchéité entre le droit international et les règles de l'OMC. S'agissant des négociations qui reprennent maintenant à Genève, le gouvernement français n'entend en aucune façon négocier sur les services publics.

M. Pierre Lellouche - On l'a vu à Bercy !

M. le Secrétaire d'Etat - Sur l'agriculture, les négociations reprendront à leur rythme et comme elles seront conduites sur la base de l'article 20, nous aurons toute possibilité de discuter de la multifonctionnalité.

S'agissant enfin de l'information du Parlement, plusieurs réunions ont déjà eu lieu : j'ai réuni le 2 mars, à Bercy...

Plusieurs députés RPR - Où ?

M. le Secrétaire d'Etat - ...plusieurs représentants du Parlement et de la société civile et j'ai l'intention de poursuivre le dialogue dans les mois à venir autour de tables rondes spécifiques (« Ah ! » sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Avant, pendant et après Seattle, le dialogue a prévalu (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Top Of Page

FUSION DES COMMUNES DE LILLE ET DE LOMME

M. Franck Dhersin - Monsieur le Premier ministre, nous ne pouvons qu'être désolés de votre réponse à M. Douste-Blazy au sujet de votre conférence de presse sur les retraites (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Vous nous confirmez que vous préférez les débats avec la presse plutôt qu'avec les députés et cela est consternant de la part d'un premier ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Dimanche dernier, malgré l'annonce dans la semaine du saupoudrage de la cagnotte en mesures clientélistes, la gauche a été battue dans deux circonscriptions qui lui semblaient acquises (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Plusieurs députés socialistes - Et M. Vasseur ?

M. Franck Dhersin - Le groupe DL se félicite de ces résultats... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) qui prouvent que les Français qui ont subi plus de 420 milliards de prélèvements supplémentaires en deux ans et demi n'ont pas été dupes du plan du premier ministre qui ne porte que sur quarante milliards ! Les effets d'annonce sur lesquels vous surfez depuis 1997 ne trompent plus personne et votre méthode prend de plus en plus l'allure d'une spirale de l'échec : échec électoral, échecs à Bercy et à l'éducation nationale avec 200 000 manifestants dans les rues il y a quelques jours. L'ampleur de cet échec est telle qu'elle a incité M. Pierre Mauroy à effectuer à la va-vite la fusion de sa commune de Lille avec celle de Lomme, réputée traditionnellement à gauche... (Huées sur les bancs du groupe socialiste)

Face à la montée du mécontentement, et pour accroître les chances éventuelles de succès de Mme Martine Aubry, le Gouvernement a oublié son soi-disant sens de la morale en acceptant à moins d'un an des élections municipales une fusion de commune qui pèsera sur les échéances. Les Lillois ont eu Lomme, ils auront la femme l'année prochaine ! Voilà sans doute votre conception de la parité ! (Mêmes mouvements)

M. le Président - Veuillez, Monsieur le député, finir de poser vos diverses questions...

M. Franck Dhersin - Ne convient-il pas, Monsieur le Premier ministre, dans le souci de respecter le vote des électeurs, d'interdire toute fusion de communes dans l'année qui précède les élections municipales ? En outre, de telles fusions ne devraient-elles pas donner lieu à référendum car, en l'espèce, les habitants de Lomme le souhaitaient mais ils n'ont été entendus ni par M. Mauroy, ni par Mme Aubry.

Plusieurs députés socialistes - La question ?

M. Franck Dhersin - Vous avez une nouvelle fois imposé la méthode au détriment de la concertation et les citoyens n'ont pu s'exprimer face à cette nouvelle manipulation. Décidément, le Gouvernement vire à l'aigre... ou, en tout cas, cela ne saurait tarder ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR ; huées sur les bancs du groupe socialiste)

M. Lionel Jospin, Premier ministre - J'ai d'abord pensé que vous m'interpelliez sur des questions qui concernaient l'ensemble du pays. Puis, votre angle de vision s'est progressivement rétréci, et vous avez finalement évoqué une fusion entre Lille et Lomme.

En ce qui concerne le collectif budgétaire, qui est l'occasion, y compris par le Parlement, de débattre de la cagnotte et des choix budgétaires, il n'y a, contrairement à ce que vous indiquez, aucun saupoudrage. Les allégements d'impôt, que vous appeliez de vos v_ux, sont massifs. Vous reprochiez au Gouvernement de ne rien décider : nous avons tranché en faveur d'une réduction de la taxe d'habitation, des tranches inférieures de l'impôt sur le revenu et de la diminution d'un point de la TVA -mesure qui bénéficiera à tout le monde, classes populaires et moyennes confondues. Il n'y a pas eu saupoudrage mais à l'inverse concentration d'un effet d'allégement d'impôt qui est juste socialement et bon économiquement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

De même, nos priorités de dépenses, qui touchent la prise en compte des tempêtes, les problèmes de l'hôpital public et la question de l'éducation, constituent là encore des choix adaptés.

Un député RPR - Ils sont dans la rue !

M. le Premier ministre - La situation économique dans notre pays est celle d'une croissance forte, d'un investissement actif, d'une consommation soutenue, d'un chômage qui baisse, de prix contrôlés et d'un excédent commercial. Voilà des éléments dont les Français peuvent se réjouir et dont vous devriez vous réjouir avec nous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Au-delà des conflits qui se sont produits, l'un circonstanciel à propos d'une réforme qui est souhaitable et dont je me réjouis d'ailleurs d'entendre à son propos des responsables syndicaux, alors qu'elle est retirée en vue d'ouvrir de nouvelles discussions,... (Huées sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)...continuer à dire qu'il est souhaitable de réformer pour mieux servir les contribuables et les Français. Au-delà de ces situations ponctuelles et des problèmes dans l'enseignement, vous avez parlé, Monsieur le député, de 200 000 manifestants : c'est loin du million que M. Bayrou avait rassemblé contre lui dans les rues (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

A l'inverse, le nombre des conflits sociaux recule dans notre pays. Pour ce qui concerne enfin la fusion entre Lomme et Lille, ces décisions ont été prises conformément à la loi et il n'y a donc rien à y redire.

A M. Douste-Blazy, qui m'interrogeait tout à l'heure, je dirai qu'il y a aussi ceux qui fusionnent Lourdes et Toulouse et que s'ils ont informé les parlementaires, ils n'ont pas informé les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; huées sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Top Of Page

COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

M. Jean-Marie Geveaux - (Applaudissements prolongés ; plusieurs députés RPR se lèvent et applaudissent) Madame le ministre de l'emploi et de la solidarité, l'application de la CMU pose de graves problèmes. Cela ne nous étonne pas, mes collègues vous avaient mis en garde tout au long de la discussion du projet de loi. Les faits leur donnent aujourd'hui raison : caisses d'assurance maladie submergées, du fait notamment de l'impréparation des personnels, assurés sociaux pénalisés, personnels de santé démobilisés et inquiets. Qu'allez-vous répondre aux infirmières et aux généralistes, qui comptent de nombreux bénéficiaires de la CMU parmi leurs clients et ne parviennent pas à se faire rembourser, le tiers-payant ne fonctionnant pas ? Qu'allez-vous dire à toutes les personnes que le seuil retenu exclut du dispositif ? Qu'allez-vous faire pour tous ceux qui bénéficiaient jusqu'à présent de l'aide médicale gratuite et que des ressources dépassant le plafond empêchent dès juillet prochain d'être soignés gratuitement ? Enfin, comme il était prévisible, les mutuelles qui participent pourtant au financement de la CMU se trouvent hors jeu, les caisses primaire d'assurance maladie assurant 80 % de la couverture complémentaire (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité - Les trois millions de personnes qui bénéficient d'ores et déjà de la CMU et les trois millions d'autres qui en bénéficieront dans les prochains mois, dès qu'elles se seront inscrites, apprécieront sans nul doute les propos de l'opposition pour qui soigner gratuitement six millions de personnes dans notre pays constitue une grave erreur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous êtes, Monsieur le député, en accord avec vos amis qui n'ont pas voté la CMU !

La CNAM, organisme paritaire, m'avait demandé 1 400 emplois supplémentaires pour faire face au surcroît de travail induit par la mise en place de la CMU ; elle les a obtenus. Comme les caisses primaires ont aujourd'hui à traiter un plus grand nombre d'ordonnances en raison de l'épidémie de grippe (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) et que leur nouveau système informatique leur cause des difficultés, j'ai décidé de leur allouer en plus 600 emplois sous contrat à durée indéterminée et 500 emplois sous contrat à durée déterminée. Je regrette moi aussi que la CNAM, qui compte aujourd'hui 90 000 salariés, ne puisse pas optimiser l'allocation de ses moyens de façon à rattraper les retards accumulés en Ile-de-France.

Au-delà, j'invite l'opposition à faire preuve de plus de cohérence. Souvenez-vous que la majorité de l'opposition, puisque c'est ainsi que vous vous qualifiez, s'est opposée au projet de loi de financement de la sécurité sociale au motif qu'il était trop généreux pour l'hôpital public et qu'à peine trois semaines plus tard, elle montrait le Gouvernement du doigt parce qu'un conflit se développait à l'hôpital... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe RCV) Vous ne pouvez pas à la fois reprocher au Gouvernement d'être immobile et lui reprocher tout ce qu'il fait, comme cette avancée sociale que représente la CMU ou bien les accords qui viennent d'être signés et permettront à l'hôpital de mieux remplir ses missions de service public. Alors, assez de critiques, Messieurs ! Nous attendons toujours vos propositions, et les Français avec nous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe RCV et du groupe communiste).

Top Of Page

EDUCATION NATIONALE

M. Bruno Bourg-Broc - « La seule politique valable pour ce Gouvernement, c'est le dialogue et le dialogue suppose la compréhension », c'est en ces termes, Monsieur le Premier ministre, que le professeur Jospin réprimandait jeudi soir dernier son mauvais élève Allègre. Vendredi, ce fut au tour de M. Hollande de tancer vertement le ministre de l'éducation nationale. Enfin, hier, le secrétaire national du parti socialiste chargé de l'éducation sonnait l'hallali en réclamant, à mots couverts, sa tête. Toutes ces admonestations publiques ne changeront rien à la situation, désormais complètement bloquée du fait de votre méthode. L'immobilisme électoraliste n'est pas vertu. Les élèves, les parents d'élèves et les professeurs exigent aujourd'hui un véritable projet éducatif répondant aux enjeux du XXIème siècle. Ce n'est pas une question d'argent seulement. Ce n'est pas un milliard supplémentaire qui permettra de résoudre les problèmes. Monsieur le Premier ministre, quelle réponse allez-vous apporter aux professeurs et aux parents d'élèves en colère ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. le Président - La parole est à Mme la ministre déléguée à l'enseignement scolaire (Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Plusieurs députés RPR, UDF, DL - Allègre ! Allègre !

M. le Président - Un peu de silence ! (Mêmes mouvements) De tels comportements ne sont pas admissibles dans cet hémicycle.

M. Jacques Blanc - Allons, Monsieur le Président !

M. le Président - Je n'ai certainement pas de leçon à recevoir de vous, Monsieur Blanc (Mêmes mouvements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Messieurs, démonstration sera faite, si vous continuez, de vos méthodes ! Je demande à tous, sur tous les bancs, de se taire, y compris à vous, Monsieur Kucheida.

Mme Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire - Le Premier ministre a répondu aux attentes en acceptant le principe d'une discussion sur l'emploi et les moyens budgétaires qui seront consacrés à l'éducation sur plusieurs années. Une négociation s'engagera donc dans les semaines qui viennent afin de définir un plan pluriannuel d'amélioration de l'éducation nationale (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) qui s'appliquera dès la rentrée scolaire 2000. Ce plan prendra en compte les besoins et les améliorations qualitatives nécessaires, tant sur le plan national que dans chaque académie (Mêmes mouvements). Sur la base de cet engagement, confiants en la parole donnée, enseignants, élèves, parents d'élèves et responsables académiques à tous niveaux, sans oublier les collectivités locales desquelles dépend la qualité des locaux, se mobiliseront pour que la réforme de l'éducation nationale se poursuive au service de la réussite des élèves (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe RCV ; exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Top Of Page

SYNCHROTRON DE TROISIÈME GÉNÉRATION

M. Pierre Lasbordes - Monsieur le Premier ministre, je souhaite vous interpeller sur les conclusions du rapport remis le 15 mars par l'Office parlementaire d'évaluation des choix technologiques et scientifiques. Ce rapport lui avait été commandé à la suite de votre décision, le 2 août dernier, d'abandonner la construction en France d'un synchrotron de troisième génération.

Plusieurs députés RPR, UDF et DL - Allègre !

M. Pierre Lasbordes - Ce rapport, adopté à l'unanimité, constitue un grave désaveu pour le ministre de l'éducation et le Gouvernement. S'il reconnaît qu'une collaboration franco-britannique est une voie à explorer, il conclut toutefois à la nécessité de construire dans les plus brefs délais un synchrotron dans notre pays, dans une région à la fois bien desservie et à vocation scientifique affirmée. Cela confirme ce que disent l'opposition et la communauté scientifique depuis plusieurs mois. Allez-vous suivre les recommandations de ce rapport ? Cela remotiverait la communauté scientifique nationale qui en a bien besoin et permettrait à notre pays de conserver son avance en ce domaine (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - J'ai bien reçu le rapport parlementaire sur le synchrotron. Et à sa lecture, je me suis interrogé. Pourquoi ne m'a-t-on pas entendu ? Pourquoi avoir fait croire que l'on avait consulté l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la Suède alors que l'on a seulement consulté les directeurs de synchrotrons de ces pays ? Pourquoi dire que ce rapport a été adopté à l'unanimité alors que Georges Charpak, Guy Hourisson et Jean-Marie Changeux ne sont pas d'accord ?

Cela dit, ce rapport est intéressant. Il approuve notamment le projet franco-britannique de synchrotron à Oxford, tout en demandant davantage de sources de rayonnements synchrotron en France. Nous allons transmettre ses conclusions au groupe européen des grands équipements.

Maintenant faut-il un nouvel équipement en Ile-de-France ? Un synchrotron associant la France, la Grande-Bretagne, la Belgique et la Hollande pour la biologie dans le Nord ? Un centre européen de laser de forte puissance en Aquitaine ? Un centre de neutrons rapides pour étudier les déchets nucléaires en PACA ? Des moyens supplémentaires pour la construction navale afin de renouveler la flotte océanographique nationale ? Le Gouvernement, soucieux d'un aménagement équilibré du territoire, étudiera toutes ces questions dans un cadre général et associera bien entendu le Parlement à cette réflexion (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Top Of Page

DROIT DE VOTE DES ÉTRANGERS AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES

M. Bernard Birsinger - En ce 21 mars, Journée internationale de lutte contre le racisme, nous nous félicitons tout particulièrement des mesures annoncées par le Gouvernement samedi dernier afin de faire reculer le racisme dans le domaine du travail et du logement. Il serait temps maintenant d'en finir avec une autre discrimination, celle qui interdit aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne d'être électeurs ou candidats aux élections municipales. Cette avancée démocratique, qui pourrait se traduire dès les élections de 2001, permettrait aux habitants de nos villes en particulier de mieux vivre ensemble. Pour promouvoir la nouvelle citoyenneté que chacun appelle de ses v_ux, nous avons besoin de ces étrangers. Leur donner le droit de vote aux élections locales était l'un des grands engagements pris en 1981. Force est de constater que le rendez-vous a été manqué depuis vingt ans. La majorité de nos concitoyens souhaite maintenant que le droit de vote soit accordé à ces étrangers. Les associations, notamment « Même sol, mêmes droits, mêmes votes » ont largement contribué à cette évolution des mentalités. Le groupe communiste a déposé une proposition de loi.

Tous les groupes de la majorité plurielle souhaitent une telle réforme. Certains maires de l'opposition de grandes villes y sont favorables. Des millions de nos concitoyens sont des étrangers qui vivent depuis des années sur notre sol, attendent de notre part une détermination comparable à celle qui fut la nôtre sur le PACS ou sur les 35 heures.

Une telle mesure ferait honneur à la gauche et à notre pays. Ce serait un signal fort adressé à l'Europe, en particulier aux démocrates autrichiens.

Etes-vous prêt, Monsieur le ministre, à faire en sorte que le droit de vote des étrangers soit effectif dès les élections municipales de 2001 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste)

M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur - Votre question pose le problème très vaste des liens entre citoyenneté et nationalité. Les citoyens français ont la responsabilité de l'avenir de la France, de son influence, de son rayonnement, de sa cohésion. On ne peut pas demander la même chose à des étrangers qui ont préféré, comme ils en ont le droit, conserver la nationalité de leur pays d'origine.

Cela dit, en vertu du traité de Maastricht, les étrangers ressortissants de l'Union européenne peuvent déjà prendre part aux élections municipales.

La question que vous posez a déjà été évoquée au sein de la majorité plurielle. Le groupe communiste a déposé une proposition de loi et le groupe socialiste une proposition de loi constitutionnelle tendant à rendre les étrangers non ressortissants de l'Union européenne électeurs et éligibles aux élections municipales. Le mouvement des citoyens et les Verts ont également pris position en faveur du droit de vote des étrangers aux élections locales. En ce qui concerne les groupes de l'opposition, j'ai cru entendre M. Barre dire quelque chose d'analogue.

Sur un tel sujet, évitons de lancer un brûlot qui ressusciterait des passions malsaines. Faisons un effort de conviction et de rassemblement pour obtenir un consensus assez général sur des dispositions qui ne concerneraient que les élections locales.

Cela dit, n'oublions pas que près de 2 millions de jeunes nés de l'immigration et qui ont la nationalité française, subissent un taux de chômage deux à trois fois supérieur à celui des autres jeunes. C'est pourquoi le Gouvernement a organisé les Assises de la citoyenneté afin de prendre les mesures que le Premier ministre a annoncées, notamment l'octroi de 5 000 bourses de service public et de 10 000 bourses au mérite pour favoriser l'accès à la fonction publique, ainsi que les dispositions relatives à la naturalisation des jeunes arrivés en France avant l'âge de six ans. Il faut garder ces faits présents à l'esprit lorsqu'on pose une question qui intéresse les étrangers non communautaires, dont la participation aux élections locales pourrait être envisagée dans les mêmes conditions que celle des étrangers communautaires. C'est un débat que nous devons avoir en toute sérénité (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Houillon remplace M.  Fabius au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Philippe HOUILLON

vice-président

Top Of Page

SOLIDARITÉ ET RENOUVELLEMENT URBAINS (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur l'ensemble du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement - M. Besson, M. Bartolone et moi-même avons vivement apprécié la qualité du travail réalisé par votre commission de la production et par son rapporteur, M. Patrick Rimbert. La clarté du rapport et le contenu des interventions témoignent de l'intérêt que votre assemblée porte à ce projet. La concertation, à laquelle la commission et le Gouvernement ont procédé, et l'apport des députés ont contribué à enrichir le débat.

Bien sûr, certains ont tenu des propos excessifs, mais je me félicite que personne n'ait soutenu l'idée exprimée publiquement par un ancien ministre, disant qu'il n'appliquerait pas la loi. Outre la gravité de ce propos contraire au pacte républicain, le pire, en ce domaine, est le conservatisme et l'immobilisme.

Tout le monde admet le besoin de solidarité, de cohérence, de modernisation et de simplification de la politique urbaine que ce projet tend à satisfaire.

Durant nos cinquante heures de débat, sur 1 560 amendements examinés, 426 ont été adoptés avec l'accord du Gouvernement qui, dans quelques cas, s'en est remis à la sagesse de l'Assemblée.

Faire progresser la mixité sociale et fonctionnelle dans la ville consiste à rompre avec un laisser-faire qui, à brève échéance, aggraverait la déchirure du lien social.

Confrontés aux effets conjugués du chômage massif, des ségrégations sociales et spatiales, de l'empilement des textes et des procédures, nous devons intégrer la dimension de l'urbain, du développement durable, de l'environnement et du droit à l'esthétique.

Je salue les hommes et les femmes de gauche, de progrès, les humanistes, de tous bords qui font de la lutte contre les injustices, les inégalités et le mépris une dimension essentielle de leur engagement. C'est à ce prix que nous donnerons sens aux valeurs de la République, dont l'Etat doit être le garant. Sinon, que vaudrait notre engagement fondateur pour la liberté, l'égalité et la fraternité ?

Les dispositions du présent projet en faveur de la mixité sociale sont raisonnables. Elles permettent aux communes, dont le pourcentage de logements sociaux est inférieur à 20, de rattraper progressivement leur retard en vingt ans. Il n'en coûtera rien à celles qui le feront.

En outre, nous avons accepté que la définition des logements sociaux soit élargie pour tenir compte de la situation réelle des agglomérations concernées et des efforts qu'elles ont fournis durant les décennies passées.

Ce texte a permis d'ouvrir le débat sur la question récurrente des logements insalubres et des copropriétés dégradées et de trouver des solutions en faveur de celles et ceux qui y vivent dans des conditions indignes de notre époque.

Ce projet ne procède pas d'un mouvement de recentralisation contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Les pouvoirs des préfets ne seront guère modifiés, s'agissant des documents d'urbanisme. Notre réforme tend seulement à simplifier le code de l'urbanisme et à rendre plus démocratique l'élaboration et la mise en cohérence des projets urbains.

N'ayons pas peur de la civilisation urbaine. Nous refusons d'assimiler la reconstruction de la ville à la reproduction de pratiques abandonnées, la construction de barres et de tours étant devenue insupportable. Bien au contraire, il s'agit non seulement de demander aux villes qui n'ont pas assez de logements sociaux d'en faire plus, mais aussi d'aider celles qui en ont beaucoup à améliorer la situation. Nous refusons d'assimiler le logement social au ghetto, à la précarité et à l'insécurité. Reprenant une formule heureuse de M. Deprez, je préfère parler de politique sociale du logement plutôt que de politique du logement social.

Il s'agit de mettre fin au cloisonnement fonctionnel de nos villes grâce à une approche globale des problèmes d'aménagement, d'urbanisme et de déplacements. Nous voulons substituer aux procédures rigides une démarche plus démocratique, plus cohérente, plus lisible, facilitant l'adaptation continue des espaces aménagés. Il faut favoriser la mixité dans la cité, en confortant la politique de la ville et en garantissant à tous des conditions de logement décentes.

Ce projet, enrichi par nos travaux, répond à la fois à des préoccupations immédiates de nos concitoyens et à une demande d'évolution de nos cités vers plus de justice, plus de respect, plus d'égalité, bref plus d'urbanité (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

Top Of Page

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean Proriol - Quelle épreuve nous auront imposée la solidarité et le renouvellement urbains ! Maquis des sigles, complexité des articles, procédure d'urgence, examen de 1 500 amendements, discussion pendant de longues heures -de préférence entre 2 et 4 heures du matin, moment choisi pour les débats gauche-gauche, et même socialo-socialistes, faits de surenchères et difficilement arbitrés- : tels furent les composantes d'une marche forcée qui prit l'aspect d'un laborieux travail de commission ; il est vrai que celle-ci avait bâclé son ouvrage.

M. André Lajoinie, président de la commission de la production - Oh !

M. Jean Proriol - Fallait-il que le Gouvernement tînt à l'adoption rapide du projet et voulût l'inscrire à son bilan, afin de masquer son échec et l'effondrement du logement social !

Ce texte a pourtant deux défauts majeurs.

Tout d'abord, il correspond à une vision collectiviste et rétrograde de l'habitat.

Vous faites pratiquement l'impasse sur la propriété privée. Vous décrétez la mixité sociale et édictez des mesures coercitives à l'encontre des communes, sans tenir compte de la surcharge foncière qu'elles supportent. Surtout, vous vous arrogez le privilège de la bonne action ou de la bonne conscience.

Vous prétendez établir que gauche égale générosité et que droite égale égoïsme (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste). Chacun ici adhère au principe de mixité sociale mais vous prenez le risque d'une densification urbaine, alors que cette mixité doit être assurée par l'accession à la propriété.

Par ailleurs, les élus de l'agglomération parisienne, notamment Pierre Cardo et Francis Delattre, déplorent que l'on pense seulement à augmenter l'offre de logements sociaux dans les communes qui n'en ont pas assez ; rien n'est proposé pour favoriser l'implantation, dans les quartiers actuels d'habitat social, d'autres types de logement. Ce texte pérennise la « ghettoïsation » des quartiers à forte concentration de logements de familles nombreuses (Applaudissements sur les bancs du groupe DL ; M. Lajoinie s'exclame). Monsieur Lajoinie, vous ne vous êtes pas souvent exprimé dans le débat. Vous n'allez pas commencer maintenant !

Pour avoir présidé un OPAC pendant 20 ans, je n'ai, avec d'autres sur nos bancs, ni complexe ni sentiment de culpabilité. Nous avons fait construire des logements sociaux en fonction des besoins et de nos moyens, y compris en centre ville, non en fonction de la couleur politique des communes.

Vous prétendez réhabiliter les logements insalubres mais dans la loi de finances, vous réduisez les dotations prévues à cet effet de 23 %.

Enfin, votre texte va entraîner des contentieux longs et coûteux, pour les communes et entre locataires et propriétaires.

En second lieu, ce projet est une occasion perdue dans son volet transports.

En matière de déplacements urbains, pourquoi imposer partout le même carcan ? Les autorités organisatrices de transports en commun vont être dépourvues de véritable pouvoir d'action.

Vous n'avez pas répondu aux deux questions fondamentales que pose le transfert des lignes ferroviaires régionales aux conseil régionaux : celle du financement et celle de la responsabilité. L'Association des régions de France craint à juste titre un délestage de charges sur les régions. Le président de la SNCF, Louis Gallois, n'a-t-il pas reconnu en commission des finances le 1er mars que l'activité TGV finançait le reste de l'activité SNCF ? Les conseils régionaux n'accepteront pas un transfert de déficit non gagé (Applaudissements sur les bancs du groupe DL).

M. le Président - Il faut conclure.

M. Jean Proriol - Par ailleurs, les régions ne savent toujours pas dans quelle mesure ce transfert est susceptible d'engager la responsabilité pénale des présidents de conseils régionaux.

Je conclus. Votre politique est indiscutablement plurielle ! A l'heure où Mauroy est chargé d'une mission pour renforcer la décentralisation, vous nous soumettez un projet qui accroît les pouvoirs des préfets dans l'élaboration des documents d'urbanisme. Vous ne vous êtes pas montré très ouvert aux amendements de l'opposition, sauf pour faire annuler l'article L. 111-3 du code rural, relatif à la réciprocité, imprudemment voté dans la loi d'orientation agricole.

Le grand architecte Le Corbusier dans Le Monde urbain, déclarait : « Les matériaux de l'urbanisme sont le soleil, les arbres, le ciel, l'acier, le ciment, dans cet ordre hiérarchique et indissolublement... » Je n'ai rien trouvé d'approchant dans votre texte... (Applaudissements sur les bancs du groupe DL)

M. Daniel Marcovitch - Ce texte a donné lieu aux caricatures les plus outrancières, M. Proriol nous en a donné encore un exemple. Nos villes seraient appelées à devenir des zones de non-droit, remplies de tours et de barres criminogènes.

Pourtant, il s'agit là de la description des villes des décennies 60-70, époque où la droite au pouvoir préservait ses îlots de tranquillité en concentrant des ghettos de misère dans certaines banlieues.

Mme Christine Boutin - Caricature !

M. Daniel Marcovitch - La France des droits de l'homme ne peut plus accepter que des millions de nos concitoyens soient relégués dans un habitat de seconde zone.

Mme Christine Boutin - Nous sommes tous d'accord !

M. Daniel Marcovitch - Certains élus de droite s'opposent à la mixité. A Paris, l'union sacrée se refait lorsque M. Tiberi cosigne un amendement avec Mme de Panafieu et M. Balladur pour éviter de construire des logements sociaux. Ces égoïsmes non dénués d'arrières pensées électorales n'empêchent pas 78 % de nos concitoyens d'approuver les mesures proposées par le Gouvernement. De même, le Président de la République expliquait à Xavier Emmanuelli en début d'année que s'il ne fallait pas légiférer dans tous les domaines de la vie de nos concitoyens, il ne fallait pas s'en abstenir pour le logement social.

Mais ce texte ne se limite pas à son article 25. Des dispositions sont prises pour aider les victimes des marchands de sommeil, d'autres pour prévenir la dégradation des copropriétés en difficulté ou protéger les accédants à la copropriété. S'agissant de favoriser la mixité sociale, les bailleurs sociaux se voient autorisés à construire des logements pour les mettre en vente avec un plafond de prix.

Sans énumérer tous les progrès contenus dans le texte, citons encore les nouveaux droits des locataires, la réforme tant attendue de l'ANAH et, dans le domaine du transport, la régionalisation du transport ferroviaire et l'entrée de la région Ile-de-France dans le Syndicat des transports parisiens.

Après des dizaines d'heures de travail, en commission ou en séance, l'étude de 1 500 amendements et l'adoption d'un grand nombre d'entre eux parmi lesquels beaucoup venaient de l'opposition, nous nous apprêtons à adopter une loi capitale. Aux députés de l'opposition, je dis avec force qu'ils ne peuvent pas être absents d'une réalisation qui dessine aujourd'hui la vie future de nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Serge Poignant - Comme l'a dit mon collègue Proriol, la discussion se sera souvent déroulée en séance de nuit... Nous regrettons vivement que ce projet ait fait l'objet d'une déclaration d'urgence et qu'il n'ait pas donné lieu au débat sérieux qu'il méritait ni à la concertation que l'Association des maires pouvait légitimement attendre. Nous avons réaffirmé que nous étions pour la mixité sociale, mais avec une approche bien différente de la vôtre.

Les amendements que vous avez dû accepter ne font que corriger un texte bien trop technocratique. Vous avez ainsi accepté de rétablir les déclarations de travaux, accepté de replacer dans le PLU des dispositions normatives essentielles contenues dans les POS, vous étant rendu compte du risque de multiplication des contentieux. Mais vous n'avez accepté qu'un élargissement très limité de la définition du logement social. Vous avez refusé de prendre en compte l'accession sociale à la propriété et vous avez délibérément ignoré le parc locatif privé.

Pour favoriser la mixité sociale, la bonne démarche aurait consisté à tenir compte de la réalité locale de chaque commune, de ses caractéristiques foncières et environnementales. Or, jamais un texte n'aura été aussi centralisateur que celui-ci. Ni aussi planificateur. Les schémas de cohérence territoriale devront intégrer les plans de déplacements urbains, les programmes locaux de l'habitat, les schémas nationaux de services collectifs... et j'en passe. Les plans locaux d'urbanisme devront eux aussi tenir compte de tous ces documents.

Autre leitmotiv : la densification, encore et toujours. Certains des membres de la majorité plurielle en ont d'ailleurs bien vu les dangers pour l'environnement.

Ce texte tente de dissimuler l'échec du Gouvernement pour ce qui est de la politique de la ville et tourne le dos à une gestion équilibrée de l'espace. Pourquoi vouloir concentrer plus de monde dans les villes alors que les Français aspirent au calme et à un environnement de qualité ?

S'agissant des déplacements urbains, ce texte manque complètement d'ambition. La régionalisation des transports collectifs engagée par la loi Pons n'y trouve pas la nouvelle étape que nous attendions.

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera contre ce texte, qui trahit votre dogmatisme en matière d'urbanisme et d'habitat et qui repose sur une conception restrictive et orientée de la mixité sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Michel Vaxès - Cette loi était attendue par tous ceux qui vivent douloureusement une ville blessée par les conséquences de l'urbanisation des années 60-70. Une ville qui donne à voir les injustices et les inégalités de la société tout entière.

Reconstruire une ville solidaire, renouveler l'urbanisme, aménager durablement le territoire et mettre à son service une politique de déplacement cohérente et efficace, tels sont les objectifs d'un texte dont le groupe communiste partage pleinement l'ambition et qui repose sur trois principes : la solidarité, le développement durable et la démocratie.

C'est en référence à ces trois principes que les députés du groupe communiste se sont attachés à réduire les éventuels écarts entre des objectifs partagés et leur traduction concrète dans le texte même.

Nous avons le sentiment d'y être parvenus puisqu'un certain nombre de nos amendements visant à renforcer la dimension démocratique et les pratiques partenariales dans l'élaboration des documents d'urbanisme ont été retenus.

Vous avez vous-même, déclaré, Monsieur le ministre, qu'il était important « d'acquérir le sens du diagnostic partagé ». Nous en étions tellement convaincus que nous avons proposé de le rendre obligatoire avant l'élaboration des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme. L'Assemblée ne nous a pas suivis jusque là. Mais elle a retenu notre proposition de mettre en place des comités de ligne permettant aux usagers, aux représentants des salariés et aux élus d'être associés à l'amélioration de l'offre de transport.

Plusieurs de nos amendements tendant à la réalisation de la mixité sociale et à l'amélioration de la politique sociale du logement ont été satisfaits : relèvement du plafond des ressources, augmentation du seuil du surloyer, définition plus précise des normes minimales d'habitat décent, possibilité de mettre en place des commissions d'attribution et de créer ou de redynamiser les conférences communales du logement, progressivité des pénalités en fonction de la richesse fiscale des communes, renforcement des sanctions visant les marchands de sommeil.

Actuellement, toutes les familles vivant sur notre sol n'ont pas la possibilité d'accéder à un logement de qualité et trop de nos concitoyens sont pour ainsi dire interdits de séjour dans certains quartiers, villes et villages. Pourtant, les valeurs de notre République, liberté, égalité, fraternité, devraient prévaloir partout. Pour que chacun puisse accéder à un logement correct dans la ville et le quartier de son choix, il faut, premièrement, offrir en tout lieu toute la diversité de l'habitat, de façon à combattre partout la sélection par l'argent. Nous savons que telle est bien votre volonté, Monsieur le ministre, et que la droite parlementaire s'en accommode mal, même si elle proclame son désir de mixité. Mais, Messieurs de l'opposition, la mixité ne doit pas être réalisée seulement aux échelons les plus élevés de la hiérarchie sociale. Pour être satisfaite, elle exige que personne ne soit assigné à résidence du fait de sa condition ou de sa naissance.

La deuxième condition, c'est de consentir en même temps un effort financier allant bien au-delà de la DSU et des crédits spécifiques de la politique de la ville pour réhabiliter, requalifier, démolir, reconstruire, bref aider les villes qui, parce qu'elles ont fait l'effort d'accueillir ceux que d'autres ont rejetés, sont aujourd'hui confrontés aux effets cumulés de trente années de crise économique et sociale.

Cet effort de reconquête urbaine exige des moyens importants. S'ils ne sont pas mobilisés, c'est l'économie générale de la loi qui pourrait être remise en cause. En adoptant un amendement de notre groupe à ce sujet, l'Assemblée a tenu à souligner l'importance qu'elle accordait à cette question.

Soyez en tout cas convaincu, Monsieur le ministre, que notre vigilance ne faiblira pas, ni lors de l'examen de cette loi, ni lors de la discussion de la prochaine loi de finances.

Parce que ce texte porte un projet global et cohérent de développement des bassins de vie, parce qu'il s'inscrit dans une perspective de réduction des inégalités sociales et spatiales, parce qu'il vise un aménagement durable de la cité et de l'agglomération, parce qu'enfin il est imprégné des valeurs de solidarité et de partage, les députés communistes le voteront (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Germain Gengenwin - Ce projet s'assigne des objectifs qui ne sont pas, sur le fond, contestables et que nous partageons : refonder des règles d'urbanisme parfois dépassées, améliorer la qualité de la vie en ville, accroître la mixité sociale par la réalisation de logements sociaux harmonieusement intégrés dans l'espace urbain.

Comme l'annonçait M. Daubresse, il y a deux semaines, nous étions donc prêts à faire avec vous « le pari de l'intelligence » -pour reprendre une expression de M. Bartolone. A condition toutefois que certaines de nos propositions, sur quelques points majeurs, soient retenues.

Reconnaissez d'ailleurs que bien des élus de notre groupe ont déjà atteint, voire dépassé, dans leur propre commune, le quota de 20 % de logements sociaux. Il ne s'agissait donc pas pour nous de contester les principes mais simplement de revoir la méthode, de simplifier, de privilégier la responsabilité sur la contrainte, l'initiative de terrain sur la recentralisation insidieuse.

Nous vous avons donc proposé un système plus incitatif. Vous l'avez refusé. Nous vous avons proposé aussi, en totale cohérence avec la loi Chevènement, une approche intercommunale, au niveau des agglomérations. Vous l'avez également refusée.

Nous vous avons proposé d'ouvrir la définition du logement social au parc privé et aux logements en accession à la propriété, afin que nos concitoyens puissent réellement avoir le choix entre le locatif social et la propriété. Mais vous avez encore refusé.

Enfin, au lieu de faire confiance aux élus locaux, en particulier aux maires qui se battent tous les jours sur le terrain pour améliorer les conditions de vie de leurs administrés, vous avez maintenu le droit de substitution du préfet en cas de carence de la commune, disposition contraire au principe de la libre administration des collectivités locales et donc inacceptable.

Caricaturant nos arguments, vous avez focalisé le débat autour d'une opposition sans nuances entre communes riches et pauvres, alors que la réalité est infiniment plus complexe.

Votre réforme de l'urbanisme est porteuse d'incohérences qui ne manqueront pas de susciter de multiples contentieux, comme l'ont d'ailleurs laissé entendre certains députés de votre majorité.

La disparition du POS au profit du PLU, outre qu'elle supprime tant pour les citoyens que pour les élus un repère fondamental en matière d'aménagement urbain, comporte bien des risques liés au caractère moins normatif de ce nouveau document d'urbanisme.

La création d'un schéma de cohérence territoriale accroît le risque de chevauchement des périmètres non identiques et introduit de la complexité là où il faudrait de la clarté.

Concernant les transports ferroviaires, nous avons bien noté que vous reconnaissez le succès de l'expérimentation engagée par Mme Idrac en 1997, puisque vous proposez de l'étendre à l'ensemble des régions françaises. Nous craignons cependant qu'il ne s'agisse que d'un faux-semblant car vous ne donnez pas aux régions les moyens d'assumer cette nouvelle charge. Bien au contraire, par l'indexation que vous retenez, vous programmez à terme la réduction des moyens affectés au transport ferroviaire dans nos régions ! Comment croire alors à vos discours sur le développement durable ?

Plusieurs députés socialistes - C'est trop long !

M. Germain Gengenwin - Bref, ce texte est une occasion manquée pour la ville et contient des mesures dont nous craignons qu'elles n'aboutissent à reproduire les erreurs du passé. Il ne correspond pas aux attentes de nos concitoyens (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

En conséquence, le groupe UDF, même s'il souscrit à l'objectif de mixité sociale et urbaine, votera contre ce projet, tout en accordant la liberté à chacun de ses membres, et en souhaitant qu'une nouvelle lecture s'engage vraiment dans un esprit de conciliation (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Michel Marchand - Il nous est impossible d'avoir sur ce projet une analyse globale, et force est d'en examiner chaque volet. La volonté de certains aurait été, et restera sans doute, de focaliser le débat sur le volet social. C'est un mauvais procès. Promouvoir la mixité sociale, parvenir à 20 % de logements sociaux dans les communes qui n'en ont pas assez est un bon objectif, que nous soutenons. Et il est bon de se donner les moyens de réussir, voire en contraignant.

Mais la mixité sociale, c'est aussi une meilleure répartition du logement social, pour réduire les concentrations constatées dans certaines communes, certains quartiers, certains immeubles. Même si elle passe par l'accès d'un plus grand nombre aux logements sociaux, elle ne doit pas en exclure les plus démunis pour les cantonner dans le logement privé dégradé ou les logements publics concentrés en ghettos... Pour réussir la mixité, les organismes sociaux doivent pouvoir acquérir des logements sur l'ensemble des tissus urbains et les mettre en location sociale ; tel doit être le rôle spécifique des organismes HLM.

Le volet habitat comporte des mesures intéressantes, concernant les logements insalubres ou déclarés en péril ou l'instauration d'un carnet d'entretien, qui clarifiera les relations entre copropriétaires et syndic. Même si nous ne sommes pas allés jusqu'au permis de louer, la notion de logement décent est enfin inscrite dans la loi. Nous avons donné des droits aux occupants des logements-foyers, dont les premiers bénéficiaires seront les travailleurs migrants. Mais nous n'avons pas modifié le texte concernant le droit au relogement pour ceux que frappe un arrêté d'expulsion, et qui pourront de fait être condamnés, faute d'avoir d'autre choix que de rester dans leur logement, même insalubre. Cela est grave, car la période approche où les mesures d'expulsion seront à nouveau effectives.

Quant aux transports urbains, le texte affirme une volonté politique : réduire la place de la voiture et prendre en compte les modes de transport alternatifs. Il prévoit la coordination des politiques de déplacements avec les documents d'urbanisme, et recherche une meilleure gestion des flux de marchandises en ville. Mais une telle politique demande d'importants moyens. Le milliard annoncé est une bonne chose, mais il faut aussi des outils financiers sur la durée.

Enfin la rénovation des politiques urbaines, même si elle donne aux différents schémas d'urbanisme de la cohérence et un caractère opérationnel, pose plus d'un problème. C'est tout d'abord l'abandon du POS au profit du PLU. Nous référant à un rapport de 1992 du Conseil d'Etat, « L'urbanisme, pour un droit plus efficace », nous attendions un document plus normatif, car c'est toujours l'environnement qui sert de variable d'ajustement et qu'on oublie de prendre en compte. Vous avez choisi un document plus souple et plus simple, avec pour arrière-pensée la volonté de supprimer nombre de possibilités de recours pour les citoyens et les associations. Le Gouvernement a choisi la simplification, mais n'a pas voulu, pour équilibrer la loi, donner aux associations les moyens de contester les décisions. Pire, le changement de dénomination du POS en PLU risque d'anéantir les acquis jurisprudentiels obtenus contentieux après contentieux.

Enfin une série d'amendements -adoptés pour la plupart contre l'avis du Gouvernement- a remis en cause les dispositions d'urbanisme de la loi montagne. Il est inacceptable de remettre en cause sans examen global l'équilibre d'un texte, équilibre justifié par la fragilité du milieu montagnard, dans le seul but de régler des difficultés d'application particulières.

En conclusion le groupe RCV, dans sa pluralité, émettra les votes suivants : les Radicaux de gauche et les Citoyens voteront pour, les Verts s'abstiendront.

A la majorité de 303 voix contre 218, sur 546 votants et 521 suffrages exprimés, le projet de loi est adopté.

La séance, suspendue à 16 heures 55, est reprise à 17 heures.

Top Of Page

SAISINE POUR AVIS D'UNE COMMISSION

M. le Président - J'informe l'Assemblée que la commission de la production et des échanges a décidé de se saisir pour avis des titres I et II de la deuxième partie -articles 27 à 47- du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.

Top Of Page

LIBERTÉ DE COMMUNICATION (deuxième lecture)

L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - J'ai plaisir à vous présenter les évolutions de ce projet de loi. En première lecture, nous avons eu un débat riche et je gage que la présente discussion sera fructueuse. Je concentrerai mon propos sur le dispositif, que je sais très attendu, relatif au numérique hertzien terrestre. En effet, ce volet donne toute leur portée aux deux priorités sur lesquelles je souhaite insister : la refondation du service public et la dynamisation de l'industrie des programmes. Comme vous le savez, le projet de loi a fait l'objet d'un examen attentif par le Sénat. A l'occasion de cette seconde lecture, je tiens à remercier le rapporteur, M. Didier Mathus, la commission et son président, M. Jean le Garrec, pour leur travail qui nous permet d'aborder ce débat dans les meilleures conditions.

Une évolution importante du texte par rapport au projet initial concerne la Cinquième et Arte. Le Gouvernement a finalement préféré retenir une organisation distincte pour les deux chaînes, en choisissant de garantir l'autonomie du pôle français d'Arte hors du futur groupe France télévision et le Sénat l'a accepté à l'unanimité.

S'agissant de la Sept Arte, notre partenaire allemand s'était inquiété du fait que son intégration dans la holding puisse remettre en cause l'indépendance d'Arte, garantie par le traité franco-allemand. Si nous ne partagions pas ces inquiétudes, il est toutefois rapidement devenu manifeste que les conditions sollicitées pour l'intégration de la Sept-Arte dans le groupe risquaient d'en compromettre le bon fonctionnement. Il a semblé préférable, dans ces conditions, de conforter séparément les deux chaînes, dans leur mission et dans leur vocation.

La Cinquième, garantie dans le respect de la spécificité de ses missions par la loi, est érigée au rang de société nationale de programme, au même titre que France 2 et France 3. Chaîne de la connaissance, de la formation et de l'emploi, elle contribuera à conforter le groupe France Télévision dans sa vocation à satisfaire les plus larges publics.

Quant à la Sept-Arte, dont les missions sont définies de manière distincte par la loi, elle n'est plus seulement chargée de « fournir les programmes et les moyens nécessaires à l'exercice des missions du GEIE-ARTE », mais aussi de les « concevoir ». La loi conforte donc ce pôle d'excellence dans sa vocation européenne et culturelle. La composition du capital du pôle français d'Arte, aujourd'hui partagé entre l'Etat et les sociétés audiovisuelles publiques, est inchangée. Il appartiendra à Arte d'ouvrir une nouvelle phase de son développement, visant à élargir son audience et son champ de coopération internationale.

Le déploiement du numérique hertzien terrestre représente une nouvelle frontière pour la télévision. Compte tenu de l'importance et la technicité du sujet, j'ai souhaité mener une large concertation afin de définir le meilleur cadre juridique, économique et technique de cette nouvelle modalité de diffusion. Éclairé par cette consultation et par le rapport de synthèse de M. Raphaël Hadas-Lebel, le Gouvernement est aujourd'hui en mesure de vous présenter cette réforme. Le dispositif proposé diffère de celui adopté en première lecture par le Sénat, dont le travail doit être salué, car il n'a disposé du rapport Hadas-Lebel que la veille du débat. La réforme s'inscrit résolument dans le choix du Gouvernement de s'engager fortement en faveur d'une large diffusion des nouvelles technologies. Complémentaire au développement d'Internet, la « nouvelle télévision » permettra à un public plus large que celui des internautes et des abonnés à la télévision payante de se familiariser avec de nouveaux moyens de communication.

Au-delà des nécessités techniques et de l'avis de la plupart des experts qui présentent le déploiement du numérique hertzien comme inéluctable, le Gouvernement a choisi de s'engager dans cette voie, par une véritable loi de liberté de la communication, qui permettra de diversifier l'offre télévisuelle.

Le déploiement du numérique hertzien terrestre doit permettre de donner satisfaction aux nombreux téléspectateurs désireux de se voir offrir des programmes enrichis. Il permettra notamment le développement des télévisions locales et associatives, et de répondre ainsi à la demande de programmes de proximité.

En permettant aux télévisions associatives d'accéder aux fréquences numériques, le projet offre un socle au développement du « tiers secteur » cher à certains d'entre vous. Pour ma part, je retiendrai volontiers l'idée d'une « télévision citoyenne », venant compléter la télévision de service public et la télévision commerciale.

Au-delà des modifications éventuelles de la réglementation, notamment pour ce qui concerne les secteurs exclus de la publicité ou le recours à la syndication, le développement des nouvelles technologies est rendu possible par les perspectives d'évolution du marché publicitaire.

Pour le téléspectateur, la « nouvelle télévision » est une révolution. N'oublions pas que 80 % des foyers ne sont pas raccordés au câble, ou ne sont pas équipés pour recevoir les programmes du satellite. Pour eux, l'introduction de la nouvelle télévision permettra de recevoir plus de trente chaînes.

M. Rudy Salles - Avec trois ans de retard !

Mme la Ministre - Le dispositif qui vous est proposé cherche donc à concilier deux impératifs : d'une part, diversifier le paysage audiovisuel et, d'autre part, inciter les opérateurs existants à migrer rapidement vers ce nouveau mode de diffusion.

L'attribution des ressources numériques multiplexe par multiplexe, c'est-à-dire par bloc de canaux, n'a pas été retenue car la formule aurait été pénalisante pour les nouveaux entrants qui ne seraient pas en mesure de postuler pour un multiplexe entier. Elle n'aurait pas été non plus la plus satisfaisante au regard de l'objectif de préservation du pluralisme des courants d'expression. Attribuer la ressource par multiplexe conduirait en effet à donner un blanc seing à un opérateur pour constituer son offre et à priver ainsi le CSA d'une prérogative importante.

L'attribution canal par canal présenterait des inconvénients inverses, si elle n'était pas assortie de mesures favorisant le regroupement des chaînes et la gestion cohérente des multiplexes. Elle favoriserait certes le pluralisme, mais au prix d'un éclatement de l'offre audiovisuelle, ce qui risquerait d'être préjudiciable au déploiement rapide du numérique hertzien.

Le projet vise à concilier l'objectif démocratique de pluralisme et celui d'efficacité, en prévoyant que l'attribution de la ressource relève du CSA. Dans un contexte de croissance retrouvée, il offre des perspectives à beaucoup d'opérateurs, qu'il s'agisse de nouveaux diffuseurs, ou d'opérateurs de télédiffusion.

Le régime retenu pour TDF, sur la proposition de M. Pierret, favorisera le développement de cet opérateur, tout en ouvrant à la concurrence la diffusion en numérique, dont le coût sera beaucoup plus faible qu'en analogique.

L'autorité de régulation sera amenée à jouer un rôle éminent et légitime, car l'attribution prédéterminée de la ressource serait très rigide. Pour autant, les interventions du CSA sont très encadrées par la loi, qui prévoit notamment des régimes prioritaires d'affectation et des critères précis pour l'allocation de la ressource.

Afin d'optimiser la gestion de la ressource, le CSA devra veiller à favoriser les regroupements techniques et commerciaux et à rechercher la cohérence dans les regroupements ; il est par ailleurs tenu de regrouper les chaînes publiques numériques.

Sans l'implication forte et immédiate des chaînes publiques et des opérateurs privés existants, le déploiement rapide du numérique hertzien terrestre serait compromis. C'est pourquoi la loi prévoit une attribution prioritaire de la ressource au service public, qui bénéficie d'un traitement particulier. Tout en faisant place à de nouveaux opérateurs, il est en effet indispensable que les chaînes publiques constituent un élément moteur de l'offre, afin de garantir le pluralisme des programmes. A cette fin, il vous est proposé d'étendre aux fréquences numériques le mécanisme d'attribution prioritaire des fréquences prévu au bénéfice des chaînes de service public par la loi de 1986. Le CSA affectera par conséquent en priorité la ressource numérique nécessaire à la diffusion des chaînes numériques de service public, chaque fois que le Gouvernement l'aura choisi.

Le CSA devra ensuite attribuer deux canaux aux opérateurs privés existants, qui doivent, au moins dans un premier temps, pouvoir diffuser leurs chaînes analogiques en numérique. A défaut, l'offre numérique serait peu attractive et il est donc opportun de leur affecter une part de la ressource, en contrepartie des charges de diffusion simultanée de leurs programmes analogiques -dites de « simulcast »- qui pèsent sur eux.

Ces opérateurs disposent par conséquent d'un droit à l'attribution automatique d'un canal pour diffuser en simulcast leur chaîne analogique. Le CSA leur attribuera en outre un canal supplémentaire, à condition bien sûr que le service proposé soit conforme à la loi. Pour le reste, et dans la limite du dispositif anti-concentration, qui permet d'attribuer six canaux au plus à un opérateur, les diffuseurs existants postuleront lors des appels à candidature en concurrence avec de nouveaux opérateurs.

Le dispositif, qui offre donc des garanties importantes aux nouveaux entrants, devrait favoriser un développement rapide du numérique hertzien.

L'attribution multiplexe par multiplexe, pénalisante pour ces derniers a été écartée. Le CSA devra veiller au pluralisme dans l'attribution de la ressource hertzienne et au respect de critères tels que l'intérêt du projet pour le public, essentiel pour favoriser le développement des télévisions locales ; les engagements du candidat en matière de couverture du territoire et de production audiovisuelle et cinématographique nationale ; la contribution à un développement rapide du numérique.

Le CSA veillera aussi à prévenir l'éventuel « gel » des autorisations. Ses prérogatives, qui vaudront aussi pour le numérique hertzien, le lui permettent.

Le distributeur de service joue aussi un rôle important. Personne morale indépendante des éditeurs regroupés sur chaque multiplexe, il est désigné d'un commun accord par les chaînes regroupées sur ce multiplexe. Le CSA veille à ce que les relations entre chaînes et opérateur soient équitables et non discriminatoires. Il est doté à cette fin de pouvoirs d'arbitrage.

Un opérateur de télévision peut être à la fois actionnaire du distributeur de service et des chaînes regroupées sur le multiplexe géré par celui-ci. Il ne faut pas en effet pénaliser ceux qui souhaitent s'investir à la fois dans l'édition de chaînes et la gestion de multiplexes.

Le régime d'autorisation est incitatif. Prévu dix ans, il permet aux opérateurs d'amortir leurs investissements. En cas de simulcast, la durée de l'autorisation délivrée pour la diffusion analogique est portée jusqu'au terme de celle délivrée pour le simulcast, afin d'en harmoniser la date de reconduction pour le CSA.

Deuxième priorité : refondre le service public de l'audiovisuel.

Le passage au numérique donne l'occasion de réformer le groupe France Télévision autour d'un projet fédérateur : c'est une chance pour lui.

Le groupe pourra créer des filiales...

M. Pierre-Christophe Baguet - Usine à gaz !

Mme la Ministre - ...dédiées à l'édition de programmes en numérique. Un cahier des charges précisera les missions de ces filiales qui pourraient bénéficier d'une part de la redevance.

Les missions de la holding seront renforcées afin qu'elle puisse définir une véritable stratégie industrielle pour le groupe. Cette capacité d'impulsion conjuguée à la possibilité de créer des filiales favoriseront les projets de développement de France 2, France 3 et La Cinquième. Celle-ci, placée au même rang que les deux premières, trouvera au sein de la holding les conditions d'un développement ambitieux en numérique.

M. Rudy Salles - Baratin !

Mme la Ministre - Le groupe aura par ailleurs vocation à développer ses liens avec RFO. J'ai préféré une convention entre la holding et RFO, solution retenue par le Sénat, à une intégration de RFO en son sein. Je m'engage à ce que cette étroite coopération conforte RFO comme à ce que l'on prenne en compte les spécificités de chacun des DOM et des TOM.

L'ensemble des chaînes publiques profitera du déploiement du numérique. Arte pourra ainsi conforter sa vocation de chaîne culturelle et européenne et accentuer son rayonnement international.

Le succès de la réforme du service public de l'audiovisuel dépend naturellement aussi des moyens financiers qui lui seront affectés.

M. Pierre-Christophe Baguet - Ah ! quand même !

Mme la Ministre - France Télévision pourra affecter une part de la redevance à l'édition de nouveaux programmes en numérique gratuits, en particulier d'information de proximité, culturels, éducatifs, ainsi que de diffusion d'_uvres cinématographiques et audiovisuelles nationales et européennes.

L'augmentation de la part des financements publics, validée par le Sénat, garantira un financement pérenne libérant les chaînes d'une dépendance excessive à l'égard des ressources publicitaires.

Le remboursement intégral par le budget de l'Etat des exonérations de redevance conduira à abonder d'1,6 milliard le financement de l'audiovisuel, ce qui portera le montant total de la compensation à 2,5 milliards par an à compter de 2001.

Une fois déduit 1,2 milliard de manque à gagner en ressources publicitaires, il reste 1 milliard de ressources supplémentaires aux chaînes publiques pour financer l'amélioration de leurs programmes et les premiers investissements liés au passage au numérique terrestre.

M. Laurent Dominati - Non.

Mme la Ministre - Le Gouvernement n'ignore pas les conséquences financières de l'incitation faite aux chaînes publiques à jouer un rôle important dans la nouvelle télévision.

Il lui appartiendra de se prononcer, après un examen attentif, sur les propositions des diffuseurs. Une montée en charge des besoins liés au numérique est d'ores et déjà prévisible pour 2002. Ceux-ci devront néanmoins être pris en compte dès la loi de finances pour 2001, le lancement du numérique étant envisagé au second semestre 2001.

Le maintien de la redevance offre des garanties essentielles. Ressource indépendante du budget de l'Etat, qui progresse spontanément et régulièrement d'environ 400 millions par an, la redevance garantit durablement l'autonomie de l'audiovisuel public.

Nous attendons des gains de productivité, et donc des économies de la holding. Cependant, les synergies, même si elles ne sont pas négligeables, ne permettront sans doute pas de couvrir l'ensemble des besoins de financement de France Télévision.

Je crois par conséquent, comme le rapporteur et beaucoup d'entre vous, qu'il faudra rechercher des ressources financières complémentaires. Le moment venu, une dotation spécifique significative, dont le montant dépendra des projets finalement retenus, sera attribuée pour permettre le démarrage du groupe dans les meilleures conditions, son développement en numérique et un investissement complémentaire dans les programmes.

En contrepartie de ces moyens juridiques et financiers, la télévision publique devra accroître son effort en faveur de la création, de l'innovation et de la diversité des programmes.

Le Gouvernement s'attachera, notamment lors de l'élaboration des cahiers des charges ainsi que des contrats d'objectifs et de moyens, à ce que des programmes variés, accordant une large place aux _uvres originales, dans l'ensemble des genres, de la fiction au documentaire, soient proposés pour tous les publics.

Cette réforme offre une formidable opportunité au service public pour prendre des risques, tant dans les programmes proposés que dans le choix des horaires, des formats et des thèmes. L'attente du public et des créateurs de voir des _uvres françaises audacieuses ou des émissions novatrices présentées à des horaires variés en journée comme en soirée est légitime. Je serai, pour ma part, très attentive à ce que le relâchement de la contrainte d'audience lié à la réduction de la durée de la publicité se traduise par une programmation ambitieuse, mettant notamment en valeur le patrimoine et toute l'actualité culturelle.

Le succès de la réforme dépend aussi en grande partie de la mobilisation des équipes de télévision publique, qui m'apparaissent très motivées par les perspectives offertes.

Deuxième objectif : dynamiser notre industrie de programmes.

Sous-financée, elle est en situation précaire au regard de celle de nos partenaires allemands, britanniques ou espagnols. La situation de l'industrie cinématographique, certes meilleure, la part de marché du film français en salle s'étant établie à 30 % en 1999, doit être encore améliorée.

Il faut préserver et développer une grande diversité dans la production pour résister à une américanisation totale et permettre à nos industries de contenu de profiter d'une croissance retrouvée et des nouvelles opportunités, d'exportations notamment.

Une étape importante vient d'être franchie dans les relations entre cinéma et chaînes payantes avec l'accord négocié entre un opérateur important et l'ensemble des organisations professionnelles de cinéma, que j'ai pu réunir autour d'une table la semaine dernière. Négocié pour cinq ans, cet accord offre des garanties à l'industrie cinématographique, tout en permettant la fluidité du marché. Les principes sur lesquels il repose devraient inspirer durablement les relations entre producteurs et chaînes payantes qui ont le privilège de diffuser des films en première exclusivité.

Si ces principes permettent de prévenir tout risque de dérégulation du secteur du cinéma, qui serait fatal à la création, la dégradation de la situation de la création audiovisuelle demeure préoccupante.

Lors des Etats généraux de la création audiovisuelle qui se sont tenus hier, une vive émotion a été exprimée, qui ne peut nous laisser indifférents. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 600 heures de fictions produites par an en France contre 1 300 en Grande-Bretagne et 2 000 en Allemagne ; les fictions nationales représentent 47 % des fictions diffusées en première partie de soirée contre 70 % en Allemagne et 90 % en Grande-Bretagne, alors même qu'elles réalisent d'excellents scores d'audience. Nos entreprises sont trop peu présentes sur les marchés étrangers, dégagent des marges insuffisantes, sans commune mesure avec celles des diffuseurs privés, dont la capitalisation boursière connaît une croissance sans précédent.

S'il faut saluer cette bonne santé des diffuseurs, qui leur permettra de se développer sur le plan international et de se diversifier, il faut aussi infléchir une tendance qui conduirait à priver les créateurs de contenus, première richesse de la nouvelle économie.

La loi, sans même prendre en compte les effets du passage au numérique hertzien terrestre, permettra de relancer fortement la production audiovisuelle.

M. Laurent Dominati - Comment ?

Mme la Ministre - La réforme du financement du service public aura une forte incidence sur l'industrie des programmes par l'apport de ressources publiques d'une part, par les transferts d'une partie des recettes publicitaires vers d'autres diffuseurs d'autre part.

Ainsi, en 2001, environ 500 millions devraient profiter à la production cinématographique et audiovisuelle, par le jeu des obligations de production et de la taxe alimentant le compte de soutien.

Plusieurs mesures nouvelles favoriseront la création : l'obligation, pour tous les diffuseurs, de contribuer à la production d'une part ; des dispositions renforçant la fluidité des droits et la production indépendante, que le projet dote d'un statut législatif, d'autre part.

Réunie hier à l'occasion des Etats généraux, la profession audiovisuelle a souligné la nécessité absolue d'améliorer les conditions de financement du service public.

J'ai annoncé des mesures importantes à cette fin : 2,5 milliards de crédits en sus du produit de la redevance, surcompensant la baisse des recettes de publicité ; financement complémentaire sous forme d'une dotation spécifique substantielle pour conforter France télévision.

Au cours de ces Etats généraux, une attente forte s'est aussi exprimée pour que soit améliorée la situation de la production indépendante. Je vous propose, par conséquent, d'adopter une mesure cruciale pour tous les producteurs, qui y verront plus qu'un signe : la suppression de la prise en compte des parts de co-production dans le décompte des obligations des diffuseurs en faveur de la production indépendante.

M. Laurent Dominati - C'est ce que j'avais proposé.

Mme la Ministre - Ainsi, les producteurs indépendants disposeront des droits correspondants, qu'ils pourront valoriser au mieux.

Une seconde étape sera engagée dès l'issue de notre débat, en vue notamment d'élaborer les décrets d'application, en concertation avec tous les acteurs concernés.

La dynamisation de l'industrie des programmes a constitué aussi un axe prioritaire du dispositif relatif à la télévision numérique hertzienne, qui stimulera à moyen terme la création audiovisuelle et cinématographique. Les solutions doivent être à la hauteur de l'enjeu : assurer la diversité, la qualité et le volume de notre création audiovisuelle nationale, menacée d'uniformisation par la mondialisation.

Le déploiement du numérique hertzien terrestre offrira une opportunité nouvelle à l'industrie des programmes. Le numérique hertzien terrestre ne devra pas aboutir à la seule diffusion des chaînes existantes, même améliorée par l'offre d'horaires décalés ou de services associés. Il a donc paru primordial de prendre en considération la contribution à la production nationale et européenne dans les critères d'attribution de la ressource hertzienne. De même, comme pour la diffusion analogique, un régime complet d'obligation sera imposé aux diffuseurs : quotas de diffusion, contribution à la production, notamment indépendante...

L'offre de nouvelles chaînes, assortie d'une limitation de la durée de détention des droits de diffusion, facilitera l'amortissement des catalogues d'_uvres existantes, donc l'amélioration de la situation financière des producteurs. En outre, une audience élargie et la création de nouvelles chaînes provoqueront une augmentation des recettes publicitaires des diffuseurs, donc des investissements dans la production de nouvelles _uvres.

Outre la relance de la production rendue possible par toutes ces dispositions, des aspects plus qualitatifs doivent être soulignés. Grâce à la flexibilité de la diffusion dans les horaires notamment, grâce au développement de nouvelles chaînes et à l'arrivée de nouveaux diffuseurs, le passage au numérique garantira une plus grande diversité dans la programmation.

Mon intervention, nécessairement un peu longue, se voulait la plus complète et la plus pédagogique possible.

Le projet, tel qu'amendé, assure un équilibre entre le secteur public et le secteur privé. Il favorise l'expression citoyenne grâce à l'ouverture des fréquences analogiques et du numérique hertzien terrestre aux chaînes locales et associatives. Enfin, il renforce l'industrie des programmes.

Cette nouvelle loi doit redonner espoir aux producteurs mais aussi faire profiter tous les Français des capacités créatrices de ceux qui alimentent la filière audiovisuelle. Je me réjouis qu'après un examen attentif de ce texte par votre Assemblée, les Français disposent enfin de la télévision évolutive et proche d'eux qu'ils attendent.

Ne manquons pas ce rendez-vous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Laurent Dominati - En ce moment même, le Premier ministre annonce à la presse son plan de réforme des retraites. Comme tout citoyen, nous aimerions en être informés. A cette fin, je souhaite une suspension de séance pour réunir mon groupe, à moins que le représentant du Gouvernement ici présent ne nous expose le contenu de ce plan.

M. le Président - La suspension est de droit.

La séance, suspendue à 17 heures 40 est reprise à 17 heures 50.

M. Didier Mathus, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Avant d'évoquer les évolutions que comporte le texte qui nous est soumis en deuxième lecture, je voudrais rappeler les éléments essentiels du projet tel que nous l'avions amendé et adopté en première lecture, il y a près d'un an.

Son premier volet portait sur la refondation de la télévision publique, avec la création d'une holding, la baisse du recours à la publicité et l'attribution de moyens supplémentaires par le remboursement intégral des exonérations de redevance. Le deuxième volet concernait la transcription de deux directives européennes dans notre droit. Le troisième avait pour but de favoriser et organiser la concurrence et le pluralisme dans de meilleures conditions de transparence.

Notre assemblée avait amendé ce texte sur des points importants pour en renforcer l'efficacité. Elle avait, en particulier, établi le principe du développement de la télévision numérique dans son article 29 bis nouveau, par un amendement que je vous avais proposé. Aujourd'hui le Gouvernement, à travers les amendements qu'il nous soumet, répond à l'attente de notre assemblée sur ce sujet et à l'impatience que l'opposition avait manifestée. Le numérique, Messieurs, le voilà !

M. Laurent Dominati - Sans nous, que feriez-vous !

M. le Rapporteur - Dans l'intervalle, le budget 2000 a permis au Gouvernement de tenir la première partie de ses engagements financiers en apportant un financement supplémentaire de 900 millions à la télévision publique.

Par ailleurs, les négociations avec nos partenaires allemands au sein d'Arte ont conduit le Gouvernement, lors de la lecture au Sénat, à défusionner Arte et la Cinquième pour maintenir Arte en dehors de la holding. On peut s'étonner de la vigueur de l'argumentation allemande, alors qu'Arte est confinée en Allemagne à une distribution marginale. Mais prenons-en acte et faisons en sorte que les coopérations entre la future holding et Arte soient les plus fructueuses possibles et que la Cinquième puisse conforter dans la holding ses missions spécifiques et son identité.

La nouveauté importante de cette deuxième lecture réside donc dans le dispositif que vous venez de nous présenter, Madame la ministre, pour développer la télévision numérique terrestre.

La diffusion numérique permet d'améliorer considérablement la qualité de l'image et du son. Mais c'est surtout la multiplication des capacités de diffusion qui fait le grand intérêt du système. La compression des six fréquences aujourd'hui disponibles en analogique permettra, selon l'Agence nationale des fréquences, de disposer d'au moins 36 canaux répartis en six multiplexes, dont quatre couvriront 80 % du territoire national et deux, 60 %.

La diffusion numérique débute, selon des modalités variables, dans la plupart des pays développés. A l'exception des Etats-Unis, où le basculement total de l'analogique sur le numérique est prévu en 2006, compte tenu du dispositif très contraignant et fort peu libéral mis en place par la FCC, la plupart des pays envisagent ce basculement à l'horizon 2010.

Depuis notre première lecture, le Gouvernement a procédé à de nombreuses consultations. Plusieurs rapports sont venus nourrir la réflexion collective, en particulier le rapport Cottet-Eymery et le rapport Hadas-Lebel. Le lancement d'une large consultation en juin 1999, sur la base d'un livre blanc, a permis au ministère de solliciter l'avis de trois cents membres et représentants du secteur audiovisuel, de la presse écrite, des télécommunications, des collectivités locales et du monde associatif. Les particuliers ont également pu intervenir via Internet.

Un large accord sur la nécessité de la numérisation de la diffusion hertzienne terrestre s'est dégagé. Certes, les opérateurs du câble et du satellite ont fait montre d'une certaine réserve, craignant certainement que cette nouvelle offre vienne concurrencer la leur, mais globalement, la numérisation de la diffusion hertzienne est apparue comme inéluctable et génératrice de nombreux progrès.

Le câble, le satellite et le hertzien terrestre ne doivent pas être en compétition. Chacun a ses atouts : le câble permet une grande diversité de services, comme l'accès à Internet et le téléphone ; le satellite offre une richesse de programmes inégalable, répondant à une logique thématique de ciblage de l'audience ; le numérique hertzien devrait bénéficier de sa simplicité de réception, des perspectives de portabilité et de son prix. Ces modes de diffusion seront également complémentaires sur le plan géographique, les zones d'ombre de la diffusion hertzienne pouvant aisément être couvertes par le satellite.

L'apparition du numérique hertzien peut être une révolution pour la télévision. C'est, d'une certaine façon, la fin de la télévision telle qu'elle a été fondée dans les années cinquante et soixante. C'est aussi la rupture avec la montée en puissance des télévisions payantes, apparemment inéluctable : le numérique peut être la revanche du gratuit.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Très bien !

M. le Rapporteur - Multiplicité de chaînes, multiplicité des opérateurs, horaires décalés, interactivité : la façon de regarder la télévision ne sera plus la même.

Le morcellement de l'audience va accentuer l'affaiblissement du rôle fédérateur des grandes chaînes hertziennes. Leur fonction éminente dans la construction de l'imaginaire social et des représentations collectives s'amenuisera peu à peu. Il est donc légitime que la collectivité veille à donner au service public un rôle central dans la télévision numérique pour garantir certaines valeurs. Je salue les choix faits par le Gouvernement à cet égard. Par ailleurs, le progrès technologique et la baisse des coûts devraient permettre de répondre à un besoin très fort de télévision de proximité.

Le numérique est une chance pour le pluralisme. La télévision française est dans une situation unique pour un pays démocratique : la faiblesse de la concurrence, la situation ultra dominante d'un opérateur qui capte à lui seul 55 % du marché publicitaire, l'absence de préoccupations internationales pour la plupart des opérateurs à l'exception de Canal +, sur le créneau spécifique de la télévision payante, tout cela nous amène à une asphyxie dont les Etats généraux des producteurs ont largement témoigné. L'avènement du numérique est une occasion unique d'ouvrir les fenêtres. Bien sûr, il faut donner envie aux consommateurs, en leur assurant une transcription de la télévision analogique par « simulcast » et en leur proposant une offre accrue.

Personne ne peut mettre en doute la nécessité de convertir la distribution de télévision au numérique. Elle reste en effet le dernier maillon de la chaîne de la production d'images à fonctionner en analogique : sa mutation est irréversible.

Certains pensent que les progrès fulgurants des hauts débits sur Internet condamnent à terme la télévision. Certes, on voit se dessiner une zone de superposition entre l'interactivité de l'Internet et celle de la télévision numérique, mais la consommation d'Internet ne revêt pas les mêmes formes et n'obéit pas aux mêmes motivations que celle de la télévision. Je pense par conséquent qu'il serait irresponsable de geler une mutation aussi essentielle que cette migration de la télévision vers le numérique.

Le dispositif proposé par le Gouvernement et amendé en commission réserve une place centrale au service public, qui disposera des fréquences dont il a besoin et pourra créer les filiales nécessaires à son développement, en même temps qu'il assurera la fluidité du système.

Beaucoup d'observateurs s'interrogent, au vu des états de services du CSA, sur sa capacité à être un véritable organisme de régulation. Ses récents atermoiements concernant la publicité sur Internet nourrissent cette interrogation et il est pour le moins surprenant que le CSA s'arroge des attributions réglementaires qu'il n'a pas, alors qu'il a usé avec tant de timidité de ses pouvoirs réels à l'égard des opérateurs (Exclamations sur les bancs du groupe DL). Les discussions précédant l'examen de ce texte nous auront, hélas, montré que la cohabitation est une période qui se prête mal à une réforme du CSA. Cela reste à mon sens une question non résolue qu'il faudra bien un jour oser remettre sur le métier.

M. Laurent Dominati - Osez !

M. le Rapporteur - Le dispositif proposé par le Gouvernement ne prétend donc pas tout régler par la loi. Il fait le pari d'un CSA intelligent et audacieux, d'entreprises ambitieuses et innovantes.

Plusieurs opérateurs français ont commencé de réfléchir aux contenus de ces futurs canaux numériques. France Télévision, en particulier, a travaillé avec beaucoup de dynamisme sur différentes hypothèses. Je pense pour ma part que nous avons trop raisonné, au début, sur une logique de niches thématiques. Or le numérique hertzien, ce sera d'abord de la télévision gratuite concernant la quasi totalité de la population (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Vous nous avez fait une annonce importante, Madame la ministre, et dont je me réjouis : celle d'une dotation spécifique à France Télévision (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Sachant où nous en sommes avec la redevance, je crois en effet qu'une ressource complémentaire s'impose si nous voulons vraiment, comme c'est notre devoir, donner une place prioritaire au service public sur le numérique hertzien. Le CSA avait évoqué la possibilité de nouvelles ressources publicitaires, mais plutôt que décréter, il faut discuter et surtout s'assurer que l'éventuelle mobilisation de nouveaux financements -y compris par la levée de certains interdits publicitaires- profite vraiment à la création de richesses -c'est-à-dire à de nouveaux opérateurs, à de nouvelles formes d'expression ou à la création.

Je crois que la télévision numérique peut représenter un formidable progrès démocratique. Elle constitue en tout cas un enjeu considérable et je suis heureux que le Gouvernement ait tenu les délais annoncés.

Plusieurs députés DL - C'est de l'humour ?

M. le Rapporteur - La grande consultation sur le numérique hertzien a eu lieu et nous disposons maintenant de tous les éléments qui nous permettent de mettre en _uvre dans ce pays une véritable révolution de la télévision (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Top Of Page

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe DL une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Laurent Dominati - J'avais demandé tout à l'heure une suspension de séance afin que nous puissions entendre les propositions du Premier ministre concernant les retraites. Permettez-moi donc de vous communiquer deux dépêches AFP sur le sujet. Selon la première, M. Lionel Jospin ne juge pas nécessaire d'allonger la durée des cotisations du régime général. La deuxième indique qu'il plaide pour l'allongement de la durée des cotisations... Ses propos ont dû manquer de clarté. J'y vois pour ma part l'illustration d'une méthode de gouvernement marquée par les effets d'annonce et la confusion (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Compte tenu de la longue habitude interventionniste de l'Etat dans le domaine audiovisuel -pas moins de 700 textes !- il peut sembler surprenant qu'un parlementaire vienne soutenir que le dernier en date est anticonstitutionnel.

Encore faut-il savoir, pour se prononcer à ce sujet, de quel projet nous parlons. Dès votre arrivée au Gouvernement, vous aviez annoncé, Madame la ministre, un projet visant à moraliser la télévision en général, la télévision privée en particulier, notamment s'agissant des relations que pourraient entretenir avec l'Etat certains grands groupes de communication à l'occasion de marchés publics. En janvier 1998, vous annonciez d'une part que la télévision publique serait coiffée par une holding, d'autre part qu'il y aurait une sorte de comité interne de surveillance pour les télévisions privées. Mais vous y avez renoncé, et vous avez bien fait. En juin 1998, le groupe socialiste venait à votre secours et annonçait une loi anticoncentration. Finalement en septembre 1998, vous avez mis au point un premier texte sur la télévision publique, tout en en annonçant un autre sur la télévision privée. Malheureusement pour vous, le Conseil d'Etat l'a jugé attentatoire aux libertés publiques et finalement, en décembre, sous la pression du groupe socialiste qui trouvait que vous faisiez là un cadeau monumental au privé, vous avez dû le retirer.

La nouvelle mouture que vous en avez proposée en mai 1999 n'est pas passée devant le Conseil d'Etat. Vous prévoyiez alors un certain nombre de modifications, dont le fameux amendement censé assurer aux chaînes publiques le remboursement des exonérations de redevance, mais qui est purement virtuel puisque seule la loi de finances décide de la redevance et de son affectation. Par ailleurs, la nouvelle version intégrait une directive européenne. Vous confirmiez alors à l'Assemblée qu'un autre texte, sur le secteur privé, verrait le jour.

L'Assemblée adopta plusieurs amendements concernant Internet. Et le Sénat vous en proposa d'autres sur la télévision numérique. Vous-même, Madame la ministre, avez déposé 53 amendements concernant la télévision numérique et Internet, et ce la veille de la réunion en commission. De sorte que le Conseil d'Etat n'a pas vu la moitié du texte.

J'affirme donc que vous n'avez pas respecté les formes et les procédures qu'exige la discussion démocratique.

Vous auriez dû présenter un texte global, assorti d'un exposé des motifs et d'une étude d'impact. Au lieu de quoi, vous n'êtes pas même en mesure de nous dire quel sera l'impact financier de ce texte sur les chaînes publiques puisque vous nous annoncez pour celles-ci une dotation spécifique spéciale... sans doute puisée dans la cagnotte.

En fait, le noyau du texte, c'est la réduction de la publicité et l'obligation par l'Etat de rembourser les exonérations de redevance. Or la première mesure est de nature réglementaire et la deuxième relève de la loi de finances. C'est dire combien notre réunion d'aujourd'hui est sans objet.

Seule la loi de finances devrait décider de ce qui est l'élément principal de votre réforme.

Certes son caractère incohérent -et j'ajouterai archaïque et un peu hypocrite- ne suffit pas à la rendre inconstitutionnelle. Vos décisions vont renforcer un peu le secteur privé -c'est le cadeau dont parlait il y a un an le groupe socialiste, mais il a oublié- mais elles vont affaiblir le secteur public. Il suffit de comparer les budgets de TF 1 et de France 2. Ils étaient à peu près équivalents à l'époque de la privatisation : le premier est aujourd'hui presque double du second. Celui de TF 1 connaît chaque année une croissance à deux chiffres, quand celui de France 2 progresse de 3 ou 4 % dans le meilleur des cas. Dans ce bras de fer le secteur public se révélera incapable de faire face à la concurrence. Car face à cette évolution inéluctable, vous ne prévoyez rien de sérieux, n'osant pas remettre en cause le périmètre du secteur public et la définition de ses missions. Telle est l'analyse qu'on peut faire de votre loi, telle qu'elle a évolué au fil de vos annonces successives -même s'il est une évolution que j'approuve, celle qui concerne les producteurs : il était temps, et j'avais proposé cette mesure il y a près d'un an.

Cela dit, son caractère incohérent et archaïque ne suffit pas à rendre votre loi inconstitutionnelle -encore qu'on puisse se demander ce que pensera le Conseil constitutionnel de la non-consultation du Conseil d'Etat... Le plus important est de savoir, dans l'hypothèse où il y a une révolution numérique et où c'en est fini de la télévision des années cinquante et soixante, si l'intervention de l'Etat et du législateur, telle que vous la concevez, est légitime.

Qu'est-ce qui fonde l'intervention du législateur dans le domaine de la communication ? Relisons l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi. » La liberté de la presse et la liberté de communication sont fondées sur cet article, selon les décisions du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1982 et des 10 et 11 octobre 1984. Certes le Conseil ajoute que ce principe de la liberté d'expression ne s'oppose pas à ce que le législateur dicte des règles sur l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer. Oui, mais pas n'importe comment ! Selon le Conseil, le législateur ne peut intervenir que pour rendre l'exercice de cette liberté plus effectif. Vous n'avez donc le droit d'intervenir que s'il s'agit de renforcer la liberté d'expression et, s'agissant d'établir une autorisation préalable, seulement si des contraintes techniques l'imposent.

Le système actuel est marqué par la pénurie de fréquences. Or, M. le rapporteur lui-même admet que nous avons changé d'ère. Si nous devons entrer dans une ère d'abondance de fréquences, un Gouvernement ne saurait se contenter de rafistoler la loi, telle que nous l'avons écrite à plusieurs mains depuis des années. Il dit proposer une vraie loi sur la communication audiovisuelle, garantissant la liberté d'expression, comme la loi sur la presse de 1881, et éliminant le plus possible de ces contraintes réglementaires qui aboutissent à l'uniformisation des programmes, au recul de la culture française dans le monde, à un mode de concentration qui enrichit certes quelques opérateurs, mais sur un marché appauvri ; une loi qui garantirait la création française et un maximum de diversité dans l'audiovisuel.

Voilà pourquoi votre loi n'est pas légitime du point de vue constitutionnel, car, selon le Conseil, le législateur ne doit intervenir que pour favoriser plus de liberté. Or vous vous contentez de transposer au numérique la loi actuelle sur l'analogique hertzien : c'est du copier-coller. Avez-vous renoncé à un seul de vos pouvoirs ? Non. Le rapporteur dit que les années cinquante et soixante sont finies ; mais votre première mesure est d'instituer un régime d'Etat. Vous avez dû laisser Arte de côté, mais uniquement parce que vous n'avez pas su discuter avec les partenaires allemands. Et vous n'avez même pas fait une vraie holding. Vous ne donnez pas non plus au CSA un vrai pouvoir conventionnel. Qu'ont dit les producteurs et les réalisateurs hier aux assises de Chaillot ? Qu'il fallait passer d'une ère réglementaire à une ère conventionnelle, où le CSA aurait le pouvoir de contracter. Or M. le rapporteur met en cause le CSA...

Etes-vous capables de sortir de la relation de pouvoir ? Vous ne le faites pas pour la télévision d'Etat : votre astuce du remboursement des exonérations rendra la télévision publique beaucoup plus dépendante de Bercy. Chaque année le président de France Télévision se demandera : le ministre du budget est-il content de moi ? Aurais-je mon remboursement et mon petit cadeau ? (Sourires) Pour autant, ouvrez-vous cette ère nouvelle de liberté pour d'autres opérateurs ? Non. Vous gardez en main tout le pouvoir réglementaire. Ce qui signifie que les opérateurs privés sont suspendus à l'humeur du Gouvernement. Si vous êtes sages, vous aurez des canaux. Sinon, non : nous gardons la priorité, notamment pour le secteur public. Voilà dans quelle situation vous maintenez les télévisions, tant publiques que privées. On n'entre pas dans une ère de liberté de communication en maintenant les télévisions sous tutelle, fût-ce indirectement.

Voilà pourquoi cette loi est inconstitutionnelle : elle ne va pas dans le sens du renforcement des libertés. Vous êtes incapables de passer d'un régime complémentaire à un régime conventionnel, ni d'imaginer une vraie liberté des ondes pour l'avenir. Je sais que nous ne sommes pas encore dans l'ère de l'abondance des fréquences, mais nous y allons, par Internet, par le numérique. Il faut dès maintenant envisager un régime de déclaration préalable. Ne peut-on imaginer par exemple -comme ce fut le cas pour Canal Plus, il est vrai à titre dérogatoire- un régime de concession ? Ce sont des questions qu'il faut au moins se poser, même si je ne prétends pas avoir les réponses (Ah ! sur les bancs du groupe socialiste) car nous ignorons tous ce que deviendra la télévision.

M. Michel Françaix - Pas de certitudes...

M. Laurent Dominati - Non, mais je fais confiance à la vie et à la liberté, alors que vous vous maintenez dans un cadre classique. Quelle loi nous faut-il pour la liberté de communication du XXIème siècle ? Si nous étions dans une république majeure et responsable, depuis deux ans et demi le Gouvernement aurait réuni les parlementaires, les professionnels, des juristes, et posé un cadre législatif établissant les grands principes de la liberté de communication. Il instituerait une grande autorité de communication et lui donnerait l'essentiel du pouvoir, notamment la capacité de contracter avec tous les opérateurs.

Il marquerait aussi les limites et les missions du secteur public, comme le demande la Commission européenne. Tant que vous n'aurez pas défini ses missions, il ne trouvera pas sa légitimité. Quelle est aujourd'hui la différence entre TF1 et France 2 ? Nul ne la perçoit à l'antenne. Tant que vous ne justifierez pas la redevance par des missions spécifiques, vous vous exposerez à de perpétuelles mises en cause du secteur public.

Et l'Etat ne sera plus en mesure de financer toutes ses chaînes. Force est donc de s'interroger sur le périmètre du secteur public. Tant que vous ne direz pas pourquoi il faut garder France 2, ce qui supposerait que sa nature soit totalement différente de ce qu'elle est, vous resterez dans la confusion, et vous ferez la part belle, non pas tant au secteur privé français, mais aux Américains que vous dénoncez. Il faut quand même se demander pourquoi nous diffusons si peu de fictions nationales, moins que l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou l'Espagne, malgré nos quotas de diffusion. Et pourquoi France 2 diffuse chaque dimanche soir un film américain. La télévision est-elle là pour acheter des films américains ? Ce n'est sûrement pas votre souhait. Mais la logique où vous vous êtes enfermés, sans définir les missions de service public, conduit à cette chaîne bâtarde, qui se sent mal dans sa peau et mal défendue.

Ainsi vous ne faites pas progresser le secteur public, faute de lui donner sa légitimité en définissant ses missions ; vous ne garantissez pas plus qu'auparavant la liberté d'expression ; vous ne sortez pas d'une relation de tutelle avec les chaînes publiques et privées. Votre dispositif contredit donc l'intention du Conseil constitutionnel quant aux conditions d'une intervention légitime du législateur dans le domaine de la liberté de communication. Telles sont les raisons de cette exception d'irrecevabilité.

M. Olivier de Chazeaux - Très bien !

M. Patrick Bloche - J'ai vainement tenté de comprendre la logique du raisonnement de M. Dominati tendant à nous démontrer que notre texte comportait plusieurs éléments majeurs d'inconstitutionnalité. Il s'est en effet attardé sur un rappel historique pour nous rappeler ce que nous savions déjà : oui, ce texte a évolué et heureusement car, ainsi, il ne nous sera pas fait reproche de voter un texte en décalage par rapport aux réalités du secteur qu'il entend réglementer. Nous avons assez entendu, en première lecture, que ce texte se contentait de solder les problèmes de l'analogique sans prendre en compte les enjeux de la nouvelle télévision. M. Dominati fait ensuite valoir que les évolutions du texte n'ont pas été soumises au Conseil d'Etat. Mais appartient-il au législateur, investi de la légitimité que confère le suffrage universel, de s'en remettre aux compétences du Conseil d'Etat ?

M. Laurent Dominati - Alors, supprimez le !

M. Patrick Bloche - Il a également fait référence à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui affirme la liberté de la presse et de la communication et rappelé que ce projet vise à conforter le principe selon lequel « la communication est libre ». Partant, je ne vois pas comment il arrive à la conclusion qu'organiser la liberté serait inconstitutionnel. Ce qui vous préoccupe, Monsieur Dominati, et cela ne m'étonne pas de votre part, c'est de savoir quelle doit être la part de la régulation publique et ce qui doit être laissé au libre jeu du marché. Votre position politique est bien entendu de laisser la plus large part de la régulation au marché...

M. Laurent Dominati - Non, à une autorité administrative indépendante, le CSA.

M. Patrick Bloche - Vous considérez que le marché doit pouvoir s'auto-réguler en toute liberté. Vous mettez ainsi en exergue un clivage de nature politique car votre conception de la régulation n'est pas la nôtre. Nous considérons qu'en matière audiovisuelle, la régulation publique est indispensable et qu'il appartient au législateur d'organiser la liberté de communication, d'autant que le numérique offre de nouveaux champs d'expression audiovisuelle. Certes, avec trente-six canaux et six multiplexes, l'offre n'est pas encore très abondante, d'où l'opportunité de s'en tenir à un régime d'autorisation préalable et non de simple déclaration. Notre rôle est de fixer des règles d'attribution des canaux que le CSA sera chargé d'appliquer. Pour structurer le secteur, il nous semble essentiel de donner la priorité au secteur public car, comme l'a justement rappelé notre rapporteur, le passage au numérique fait courir un risque de segmentation, voire de « communautarisation » du paysage audiovisuel.

Si je peux comprendre l'idéal « libéral-libertaire » qui anime M. Dominati, je ne peux le suivre lorsqu'il avance que seule l'autorégulation par le marché est conforme à la Constitution. Si tel était le cas, il n'y aurait plus qu'à changer la norme constitutionnelle !

M. Olivier de Chazeaux - Il est toujours agréable d'entendre notre collègue Laurent Dominati...

M. Michel Françaix - Pas pour tout le monde !

M. Olivier de Chazeaux - ...défendre l'audiovisuel avec passion et il m'a convaincu lorsqu'il a présenté sa conception de la régulation. Mme la ministre a parlé de « nouvelle frontière » et elle a déclaré que la télévision entrait dans une « nouvelle ère ». Dans ces conditions, comment faire l'économie de nouvelles règles ? C'est bien ce que demande M. Dominati, lorsqu'il fait référence à la « holding » d'Etat que vous prétendez imposer au secteur et qui empêchera à la nouvelle liberté de communication de s'exprimer.

Les nouvelles dispositions relatives au numérique terrestre n'ont pas été examinées par le Conseil d'Etat. Or, le passage en Conseil d'Etat fait partie de nos règles de procédure et lorsque vous entendez vous en dispenser, c'est vous, Monsieur Bloche, qui souhaitez changer les règles constitutionnelles !

Le point le plus choquant de ce projet, c'est qu'il va créer une inégalité entre les opérateurs publics et privés. En matière de développement du numérique terrestre, le projet fait la part belle aux opérateurs publics : France Télévision sera ainsi titulaire de neuf canaux alors que les opérateurs privés ne s'en voient attribuer que deux. Chaque opérateur présent existant -je note au passage que la notion d'opérateur « historique » n'a pas été reprise, pourquoi ?- pourra prétendre à six services supplémentaires. Votre projet tend, au final, à développer le secteur concurrentiel ; encore faudrait-il que les conditions de concurrence soient les mêmes pour tous. Or, force est de constater que France Télévision bénéficiera de moyens supplémentaires par rapport aux autres...

M. Michel Françaix - M. Dominati a dit le contraire !

M. Olivier de Chazeaux - ...et que l'égalité de traitement entre les opérateurs n'est pas respectée.

M. Christian Kert - Plusieurs arguments de M. Dominati, que M. Bloche n'a manifestement pas compris, ont retenu l'attention du groupe UDF. M. Dominati a dit qu'il fallait aller vers plus de régulation au lieu de s'orienter vers davantage de réglementation. Il a ensuite appelé de ses v_ux l'affirmation d'une puissante autorité de régulation, garante de la différence qui doit exister entre les secteurs public et privé. Je m'étonne à cet égard que notre collègue Bloche n'adhère pas à ce qui me semble constituer une évidence.

Le second argument développé par notre collègue, à l'encontre de votre projet, c'est qu'il tend à maintenir une forme particulière de pouvoir sur la télévision. Or, nous ne partageons pas votre conception des liens qui doivent exister entre le pouvoir et l'audiovisuel : il faut passer de l'ère de la réglementation autoritaire à l'ère conventionnelle. Nous souscrivons pleinement à cette orientation.

Enfin, il a raison de dire que cette loi est inconstitutionnelle en ce qu'elle ne concourt pas à accroître les libertés, d'autant que si ce projet porte la belle ambition de favoriser la liberté de communication, rien dans le corps du texte ne permet de la retrouver. Nous avons le sentiment que le Gouvernement veut continuer à faire peser sur l'audiovisuel public une forme de pouvoir étatique contre lequel nous nous élevons avec force.

Nous voterons donc avec conviction l'exception d'irrecevabilité présentée par notre collègue Dominati (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme la Ministre - Je précise à M. Dominati que le Conseil d'Etat a été saisi sur l'intégralité du texte présenté en première lecture et consulté par lettre modificative sur les mesures relatives à la régulation.

Je rappelle ensuite que le Gouvernement a amendé le texte voté par le Sénat, qu'il respecte entièrement le travail parlementaire et qu'il s'y réfère.

M. Laurent Dominati - Vous ne pouvez pas dire cela.

Mme la Ministre - Enfin, à M. de Chazeaux qui m'a demandé pourquoi nous parlions des opérateurs existants plutôt que des opérateurs historiques, j'indique que nous avons voulu éviter toute ambiguïté. Les opérateurs existants, ce sont les chaînes disposant actuellement du droit d'émettre en analogique.

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

Top Of Page

QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Olivier de Chazeaux - Près d'un an après l'examen en première lecture de votre prétendue réforme de l'audiovisuel, nous nous retrouvons aujourd'hui pour évoquer enfin les véritables enjeux de l'audiovisuel français au XXIème siècle.

M. Marcel Rogemont - Merci de le relever !

M. Olivier de Chazeaux - Le Sénat, après nous, a sévèrement critiqué votre projet et l'a amendé pour tenter d'en faire une véritable réforme de l'audiovisuel. Il faut saluer la qualité du travail de nos collègues sénateurs qui ont apporté là la preuve de la modernité de la Haute assemblée, soucieuse de se tenir au fait des évolutions dans le domaine de l'audiovisuel. Ce travail ne sera pourtant pas reconnu dans cette enceinte...

Plusieurs députés socialistes - Si !

M. Olivier de Chazeaux - Ce n'est pas une surprise car vous nous l'aviez déjà laissé entendre en première lecture, Madame la ministre. Vous ne cessiez de nous renvoyer à la deuxième lecture, notamment pour tout ce qui concernait le numérique hertzien. Vous marquiez déjà bien peu d'intérêt pour le travail parlementaire, qu'a d'ailleurs confirmé votre absence en commission. Nous l'avons d'autant plus regrettée que nous débattons aujourd'hui d'un projet qui n'a que fort peu à voir avec celui examiné en première lecture, vous l'avez vous-même reconnu tout à l'heure. Vous auriez pu au moins venir exposer aux commissaires les nouvelles mesures relatives au numérique hertzien. Notre rapporteur n'a eu que 24 heures pour analyser tous les amendements du Gouvernement et je tiens ici à saluer la qualité de son travail. Si son rapport comporte des lacunes, ce n'est pas de son fait, mais bien du vôtre, Madame.

Cela confirme les criques que l'on ne cesse partout de vous adresser : impossible d'ouvrir un magazine spécialisé sans y lire une pique à votre endroit. Vous seriez même la responsable de tous les maux de l'audiovisuel et des retards pris dans sa réforme. Mais en réalité, le Premier ministre, qui a voulu cette réforme comme il l'a lui-même indiqué à Hourtin, en est le véritable maître d'_uvre. Mais là encore, l'immobilisme prévaut, et même en l'espèce, un « cyber-immobilisme » (Sourires). Le Premier ministre ne perçoit pas l'enjeu majeur que représente pour notre pays l'entrée de notre pays dans la société de l'information. Tout ceci a conduit aux péripéties navrantes de la préparation de ce débat.

Il faut reconnaître Madame, que votre tâche n'est pas facile... surtout quand le Premier ministre, par ses propres agissements, vous contredit. Alors que vous vous arc-boutez pour défendre le secteur public et en louer les performances, M. Jospin, pour répondre aux inquiétudes de nos concitoyens sur des sujets aussi importants que le malaise de l'éducation nationale ou la « cagnotte fiscale », choisit de s'exprimer sur TF1 ! Quelle reconnaissance pour le service public de l'audiovisuel !

Venons en au présent texte. Avec lui, le numérique hertzien nouveau est arrivé, serais-je tenté de dire. La belle affaire ! En réalité, vous n'avez fait qu'entendre les arguments de l'opposition, convaincue d'ailleurs que vous auriez pu présenter de telles mesures dès la première lecture. Votre texte est-il pour autant moderne ? Non, il manque d'audace. Comme l'a lui-même souligné le rapporteur, vous n'allez pas assez loin, rien n'étant dit de la convergence des médias. Et ce n'est pas l'amendement Bloche à ce sujet, très insuffisant, qui vous dédouanera : il est plutôt l'arbre qui cache la forêt.

Votre définition des missions de service public révèle une nouvelle fois que vous avez le service public honteux. Plutôt que de le défendre, vous cédez à l'esthétisme. Ce texte vous donnait pourtant l'occasion d'en finir avec l'hypocrisie du Gouvernement s'agissant du service public de l'audiovisuel. Malheureusement, vous définissez avant tout un service du public que tout opérateur, public ou privé, peut accomplir.

Nous souhaitons, pour notre part, un service public de l'audiovisuel différent de ce que vous proposez. Avant tout citoyen, il doit permettre de tisser le lien social indispensable à l'harmonie entre les générations et au sein des familles. La télévision publique a un rôle culturel et éducatif fondamental à jouer.

M. Marcel Rogemont - Tout à fait.

M. Olivier de Chazeaux - Il doit être le lieu privilégié de transmission des savoirs pour toute une génération qui peut avoir le sentiment d'avoir perdu tout repère familial et cherche sa place dans notre société.

M. Marcel Rogemont - Jusque là, nous sommes d'accord.

M. Olivier de Chazeaux - Dommage que cela ne se traduise pas lors de vos votes !

La véritable mission du service public que chaque citoyen est en droit d'attendre est celle que j'ai décrite. Ce n'est pas la voie que vous avez choisie. J'en veux pour preuve le retrait précipité de Arte de la holding, décidé le 18 janvier dernier. Nous avions souligné en première lecture que l'intégration de la chaîne dans la holding serait impossible aux termes de l'accord conclu entre les partenaires français et allemands. Une fois de plus, les faits nous ont donné raison. A nous écouter davantage, vous feriez moins d'erreurs à l'avenir ! Vous avez été contraints d'exclure de votre holding la seule chaîne qui rendait crédibles des missions de service public de type culturel.

Il faut se rendre à l'évidence, vous mettez en place des entreprises publiques, non un service public de l'audiovisuel. L'idée d'entreprises publiques dans ce domaine n'est pas condamnable en soi mais il faut alors donner les moyens à l'Etat d'y intervenir en tant qu'actionnaire. Cela suppose de revoir les modalités de financement.

Etant donné votre choix, il faut s'interroger sur le bien-fondé de la redevance, prélèvement fiscal inadapté, désuet à l'ère de la société de l'information. Avec la cagnotte fiscale dont il dispose, le Gouvernement devrait prendre la décision courageuse de la supprimer.

Mme Frédérique Bredin - Cela conduirait à terme à la paupérisation du secteur public.

M. Olivier de Chazeaux - Il ne s'agit pas de service public, mais d'entreprises publiques. Or, il n'existe aucune entreprise publique détenue à 100 % par l'Etat et bénéficiant d'une quelconque redevance.

Il faut repenser les modes de financement et les moyens que l'actionnaire entend donner à la société dont il détient le capital.

Dans ces conditions, et puisque vous dites vouloir doter France-Télévision des moyens nécessaires pour affronter la concurrence -qui est essentiellement celle de TF 1-, vous ne pouvez la priver de ses ressources publicitaires. Il convient donc de revenir sur la réduction du temps de publicité que vous nous avez proposée en première lecture et qui, contrairement à ce que vous en attendiez, n'a guère permis d'affirmer l'identité du service public audiovisuel.

Enfin, dès lors qu'il s'agit d'entreprises publiques, leur système comptable doit être revu. France-Télévision sera soumise au droit des sociétés anonymes régies par la loi de 1966. Actuellement, France 2 et France 3 reçoivent une dotation au titre de la redevance mais, en cas de bonne gestion, leurs bénéficies sont restitués à Bercy. C'est très pénalisant. Elles devraient pouvoir les réinvestir ou constituer des réserves. Ce serait beaucoup plus motivant pour les dirigeants de la holding.

J'en viens au numérique terrestre. A lire les rapports Lévrier, Cottet-Eymery ou Hadas-Lebel, nous devons absolument nous engager sur cette voie, mais dans quelles conditions ? Nous sommes d'autant plus perplexes que le rapport du commissariat général au plan de février 2000 contredit les précédents.

Or, l'expérience passée nous incite à la prudence. Souvenons-nous du plan câble ou des normes TDF1, TDF2 ! Etes-vous certaine, Madame la ministre, que la décision que vous allez nous demander de prendre est la bonne, compte tenu de la rapidité des évolutions technologiques ? Il y a un an, la tentative de rapprochement de Rupert Murdoch avec Canal Plus vous inquiétait. Or, cette situation est totalement dépassée. On voit aujourd'hui de jeunes entreprises, des « start-up »comme AOL ou Yahoo acquérir l'une la Warner, l'autre les droits de retransmission de la prochaine coupe du monde. Or, Yahoo n'est pas connu pour être un important opérateur audiovisuel.

Bref, les carences de votre projet sur la convergence des médias nous inquiètent.

Enfin, combien le passage au numérique hertzien coûtera-t-il ? Son président a évalué ce coût à 1,5 milliards pour France Télévision. Comment financerez-vous cet investissement ? Nous ne disposons d'aucune étude d'impact pour nous éclairer sur ce point.

En fait, vous n'avez d'autre souci que de faciliter le développement de France Télévision.

M. Michel Françaix - Il y a plus honteux !

M. Olivier de Chazeaux - C'est le rôle normal d'un actionnaire soucieux de privilégier la société qu'il contrôle au détriment des opérateurs privés.

S'agissant des nouveaux entrants dont vous espérez l'arrivée sur le numérique hertzien, qui seront-ils ? Des opérateurs français déjà connus écartés des précédentes attributions ou bien s'agira-t-il d'entrants allemands, américains ou paneuropéens ?

Je conclurai sur la convergence des médias pour montrer à quel point il est peu raisonnable de débattre aujourd'hui de ce projet. La convergence des médias, c'est l'interconnexion entre la télévision et Internet. Il appartient au législateur d'anticiper sur les évolutions technologiques. Or, on ne peut plus prétendre qu'Internet n'est pas connecté avec le monde de la télévision. Il est devenu un des facteurs importants du développement de l'interactivité. Je regrette donc que le projet n'aille pas plus loin en matière de convergence des médias, se satisfaisant de l'amendement Bloche, d'autant plus que le Gouvernement nous fait miroiter une future loi sur la société de l'information...

Mme la Ministre - Elle arrive.

M. Olivier de Chazeaux - Sans doute arrivera-t-elle trop tard. Une fois encore, vous allez rater le coche alors que vous auriez pu coupler la réforme audiovisuelle avec cette loi.

Bref, nous allons débattre d'un texte déjà dépassé, qui ne répond pas à l'attente des Français. Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter la question préalable.

M. Laurent Dominati et M. Christian Kert - Très bien.

M. Michel Françaix - Cette intervention était ambiguë et paradoxale. Il y un an, vous nous disiez « faites vite, le numérique hertzien ne peut pas attendre ». Et voilà que vous nous expliquez aujourd'hui qu'il n'y a pas lieu d'en débattre, qu'il faut attendre ! Pour vous, l'immobilisme est en marche et rien ne l'arrêtera (Sourires).

M. Laurent Dominati - Vous définissez exactement la politique du Gouvernement Jospin !

M. Michel Françaix - La pensée finit par tuer l'action.

Il est difficile de se substituer aux responsables des antennes et des programmes pour dire ce que sera le programme numérique proposé sur le réseau hertzien durant les prochaines années. Mais les programmes interactifs installés sur le câble, les stratégies de multidiffusions de Canal Plus, l'accès à Internet à haut débit et les premiers services proposés sur le réseau terrestre numérique par nos partenaires européens indiquent la direction vers laquelle les programmes hertziens numérisés français devront s'orienter.

Outre les nécessités techniques qui rendent cette réforme inéluctable, est-elle souhaitable ? Oui, parce que le projet opère un choix volontariste en faveur d'une large diffusion des nouvelles technologies ; oui, parce que l'introduction de la nouvelle télévision permettra aux 80 % de foyers non raccordés au câble de recevoir plus de trente chaînes, le plus souvent gratuitement ; oui encore, parce que complémentaire du développement d'Internet, cette nouvelle télévision permettra à un large public de se familiariser avec de nouveaux moyens de communication. Oui, parce que cela permettra d'affirmer le rôle moteur de la télévision du service public, de contribuer au développement de l'industrie des programmes et de faciliter l'arrivée de nouveaux entrants.

Oui, parce que cela favorisera l'émergence d'un secteur de télévision locale et de proximité.

Bien loin de votre ébriété technologique de la première lecture, vous voulez aujourd'hui faire du sur-place. Moi, je crois qu'il faut légiférer pour casser un modèle télévisuel qui conduit à la prédominance du marché sur la culture, de la technique sur le contenu et du commerce sur la pensée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Laurent Dominati - Monsieur Françaix, en disant « l'immobilisme est en marche, rien ne l'arrêtera », vous ne pouviez pas mieux résumer ce projet et, au-delà, la politique du Gouvernement !

M. de Chazeaux a mis le doigt là où cela faisait mal, en pointant toutes les défaillances du texte. On part avec un projet sur la télévision publique, on arrive à Internet : une chatte n'y retrouverait pas ses petits. Qu'est-ce que le service public ? A quoi sert la redevance ? Y a-t-il une différence entre les programmes de France 2 et de TF 1 ? A ces vraies questions, vous ne répondez pas car vous avez une vision dépassée, gouvernementale de la télévision publique.

Quant au numérique hertzien, si nous-mêmes et le Sénat n'en avions pas parlé, vous n'en parleriez pas non plus ! D'ailleurs, vous ne proposez quasiment rien. On dit que la télévision publique aura une priorité ; en sous-main, on dit à son président, qui demande douze canaux, qu'il en aura neuf -mais que s'il est gentil, il en aura plus. Aux télévisions privées, on dit qu'elles auront deux canaux -mais que si elles sont gentilles, elles en auront plus.

Ce texte est donc néfaste car il maintient les opérateurs publics et privés dans une situation de dépendance. Si vous faisiez confiance aux acteurs, vous feriez une loi de développement et d'internationalisation de la télévision, et une loi d'avant-garde sur Internet. Olivier de Chazeaux a eu raison d'élargir le débat ; les sociétés privées sont menacées par les sociétés étrangères, le secteur public est menacé d'une mise sous tutelle. Ce projet est donc confus, hypocrite et archaïque. C'est la raison pour laquelle nous voterons cette question préalable.

M. Patrice Martin-Lalande - Olivier de Chazeaux a rappelé à juste titre que le texte que nous examinons n'a plus grand-chose à voir avec le projet initial. Il a regretté -comme chacun de nous tous, j'en suis convaincu-, que Mme la ministre ne soit pas venue nous présenter le nouveau texte en commission. Il a souligné l'insuffisance du texte en matière de perspectives de convergence des médias ; on a l'impression qu'on choisit une option technologique et qu'on fait l'impasse sur les autres possibilités. Il a montré que les missions de service public de l'audiovisuel restent à définir. Il a regretté qu'Arte disparaisse de la holding et que le Gouvernement n'aille pas jusqu'à supprimer la redevance pour procurer à France 2 des recettes publicitaires comparables à celles de TF 1. Il a montré les risques d'un engagement en faveur du terrestre numérique sans vision d'ensemble et sans étude d'impact.

Pour toutes ces raisons, la question préalable est pleinement justifiée et le groupe RPR la votera (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Christian Kert - M. Françaix a l'art de rejeter les responsabilités sur l'opposition. C'est quand même elle qui a réclamé un débat sur le numérique hertzien ! C'est vous qui n'étiez pas prêts à l'engager !

Par ailleurs, Olivier de Chazeaux a raison de dire que nous n'examinons plus le même texte. Nous avons passé la première lecture à parler de la holding, dont on ne sait plus très bien à quoi elle va servir, et de la publicité. Le débat sur le numérique hertzien n'avait été ouvert, bien timidement, que par le dépôt hâtif d'un amendement.

Quant au service public, il faudra bien un jour que nous disions ce que nous en attendons. Olivier de Chazeaux a parlé à juste titre à ce sujet d'hypocrisie gouvernementale.

Enfin, Monsieur Françaix, de grâce ne nous accusez pas de rester immobiles : c'est à vous qu'il faut faire ce reproche !

Nous voterons donc cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Je voudrais profiter de ce débat pour poser de nouveau le problème de la redevance audiovisuelle.

Le 18 novembre 1999, lors de l'examen du budget de la communication, l'Assemblée nationale a adopté un amendement que j'avais déposé, ainsi rédigé : « Le Gouvernement déposera sur le bureau des assemblées avant le 30 juin 2000 un rapport sur la redevance des appareils récepteurs de télévision, actuellement réglementée par le décret 92-304 du 30 mars 1992, notamment dans ses aspects relatifs à l'assiette, au recouvrement, au contrôle et aux exonérations ».

L'objectif qui l'inspirait était d'étendre les exonérations de redevance audiovisuelle pour motifs sociaux. En 1999, 3 475 000 personnes ont été exonérées. En 2000, elles devraient être environ 3 370 000. A part les invalides ou les mutilés, seules sont exonérées les personnes âgées d'au moins 65 ans percevant l'allocation supplémentaire du Fonds de solidarité vieillesse. Il convient d'étendre cette exonération à d'autres bénéficiaires des minima sociaux : chômeurs en fin de droits qui perçoivent l'allocation de solidarité spécifique, personnes en attente de réinsertion qui reçoivent l'allocation d'insertion, allocataires du RMI, personnes qui perçoivent l'allocation aux adultes handicapés, conjoints survivants bénéficiaires de l'allocation d'assurance veuvage, personnes assumant seules la charge d'enfants et percevant l'allocation de parent isolé. Fin 1997, 3 034 000 personnes étaient bénéficiaires de ces minima sociaux en France métropolitaine.

La loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions veille à préserver l'accès des personnes en difficulté à l'électricité, au gaz, à l'eau et au téléphone ; mais pour beaucoup de personnes en difficulté, la télévision est l'un des rares moyens de conserver un lien avec l'environnement extérieur. Il serait donc très légitime de faire bénéficier tous les allocataires de minima sociaux d'une exonération partielle ou totale de la redevance -qui est très élevée au regard de leurs ressources.

Le rapport, qui sera déposé par le Gouvernement, devra donc porter en particulier sur l'extension des exonérations de redevance décidées pour motifs sociaux et sur son coût, étant entendu que le manque à gagner devrait être compensé à due concurrence par le budget général de l'Etat, comme le prévoit expressément l'article 7, paragraphe IV, du projet. Pour 2000, le montant des droits non émis en raison du régime des exonérations est évalué à 2,5 milliards, c'est ce montant que l'Etat doit en principe rembourser aux chaînes.

S'il paraissait nécessaire, pour des raisons de coût, d'avancer par étapes dans l'extension des exonérations, il faudrait exonérer dès l'année 2000 les bénéficiaires de l'allocation d'insertion et les chômeurs en fin de droits.

Pour ces 492 500 personnes, le coût de cette exonération serait environ de 370 millions, ce qui certes n'est pas négligeable mais qui apparaît néanmoins comme supportable vu les surplus de recettes fiscales dont Bercy dispose actuellement.

Il faut aussi moderniser la perception de la redevance.

Actuellement, tout détenteur d'un appareil récepteur de télévision doit en faire la déclaration dans les trente jours suivant l'entrée en possession. Il faut en finir avec cette déclaration spéciale et insérer cette obligation déclarative dans le formulaire de déclaration des revenus. Il comporterait une case à cocher où l'on déclarerait si l'on possède ou non un récepteur de télévision.

Le contrôle de cette obligation incomberait alors aux agents chargés de contrôler l'impôt sur le revenu, et non plus à ceux du service de la redevance. En 1998, ce service spécifique employait 1 470 agents et son coût de gestion s'élevait déjà environ 420 millions, coût élevé pour une efficacité réduite. La réforme proposée permettrait d'intégrer ces agents aux services fiscaux généraux, où ils renforceraient utilement la lutte contre la vraie fraude fiscale.

Dans un second temps, il faudra supprimer la redevance, car pour beaucoup de nos concitoyens aux revenus modestes, son montant constitue une charge importante. C'est d'ailleurs pourquoi la commission des affaires culturelles a adopté, sur proposition de M. Le Garrec, un amendement permettant de la mensualiser si les assujettis en font la demande.

Cette taxe uniforme qui frappe chacun sans aucune prise en considération de ses revenus est-elle conforme à la justice fiscale et sociale ? Je ne le crois pas et il me semble que la suppression de cette redevance viendrait utilement compléter les réformes fiscales annoncées par le Premier ministre en vue d'alléger les charges supportées par nos concitoyens aux revenus modestes.

Certes, la redevance rapporte plusieurs milliards et représente 66 % des ressources de l'audiovisuel public. Sa suppression aurait donc un coût élevé pour l'Etat, qui devrait compenser intégralement ce manque à gagner pour les radios et les télévisions publiques. Mais les surplus de recettes fiscales dont dispose actuellement l'Etat ainsi que le plan de baisse des impôts et des charges annoncé par le Premier ministre devraient lui permettre de faire face. Je demande donc que cette mesure soit chiffrée et prévue dans le rapport sur la redevance que le Gouvernement nous remettra avant le 30 janvier 2000.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce soir à 21 heures.

La séance est levée à 19 heures 35.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale