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Session ordinaire de 1999-2000 - 67ème jour de séance, 160ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 21 MARS 2000

PRÉSIDENCE de M. Philippe HOUILLON

vice-président

Sommaire

          LIBERTÉ DE COMMUNICATION
          -deuxième lecture- (suite) 2

          MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 23

La séance est ouverte à vingt et une heures.

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LIBERTÉ DE COMMUNICATION -deuxième lecture- (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion en deuxième lecture du projet de loi modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

M. Christian Kert - Nous avons comme le sentiment que ce texte est atteint d'une maladie à boutons, tant éclosent chaque jour amendements et sous-amendements.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - C'est un texte printanier.

M. Christian Kert - D'ailleurs, est-ce bien le même que celui que nous avons étudié en mai 1999 ?

Les mesures phares d'alors sont bien éteintes. C'est avec difficulté que nous les retrouvons dans le rapport sur le tout numérique de M. Mathus. Certes nous étions nombreux dans l'opposition à réclamer des dispositions relatives au numérique terrestre et il faut préparer l'avenir. Reste qu'on ne retrouve guère ici les dispositions votées en mai dernier, et que des mesures nouvelles concentrent l'attention.

Néanmoins la constitution de la holding France Télévision reste à l'ordre du jour. Sous la pression des Allemands, Arte en a été retiré. Il semble que vous refusez toujours d'y intégrer RFO. Comment la petite Cinquième, seule avec France 2 et France 3 défendra-t-elle sa spécificité, son budget ? Comment son président, qui est aussi celui d'ARTE va-t-il exercer sa fonction désormais double ? Les deux chaînes se partagent le même écran. Il serait dommage de ne pas maintenir une synergie. En tout cas nous sommes loin de la fusion. « Beaucoup de bruit pour rien... »

Où sont dans ce texte les nouvelles définitions des missions de service public, adaptées au monde actuel ? Où sont les obligations déontologiques pour parer à ses dangers ? Nous avons déposé, sans succès, des amendements pour éviter que les chaînes publiques diffusent des spectacles pouvant nuire aux mineurs.

Il est essentiel d'affirmer une éthique et d'éviter les dérives commerciales si l'on prétend organiser le paysage audiovisuel pour les vingt prochaines années.

Quant à la baisse de la publicité sur les chaînes publiques...

M. Michel Françaix - Ça marche.

M. Christian Kert - ...Ça marche trop bien, peut-être. On chuchote que la baisse importante de ces derniers mois n'ira pas sans difficulté financière en fin d'exercice. Pourtant le CSA a décidé d'autoriser la publicité à la télévision pour les sites Internet des secteurs de la grande distribution, de la presse, de l'édition et du cinéma sur Internet. Malgré la suspension « virtuelle » de cette disposition, n'y aura-t-il pas élargissement de cette publicité sur l'ensemble de l'audiovisuel ? Il y va du devenir de la presse écrite.

Le numérique terrestre est la pièce maîtresse de cette seconde lecture. L'opposition seule le réclamait en première lecture. C'est la seule chance de donner un souffle nouveau à notre secteur audiovisuel. Certes il ne faut pas détruire l'équilibre fragile entre chaînes analogiques, câble et satellite. Mais cette réserve admise, comment allez-vous faire place aux nouveaux entrants ? Le projet ne doit pas fermer le marché, mais favoriser l'émergence de nouveaux diffuseurs.

M. Michel Françaix - Très bien !

M. Christian Kert - Sur cela nous sommes d'accord. Vous dites vouloir aider les télévisions locales. Pourtant ce projet ne les favorise guère. Or le numérique hertzien peut permettre de prendre de nouvelles initiatives dans les régions où rien n'existe encore. On peut ainsi créer un second marché dont les professionnels disent qu'il est nécessaire à la survie des entreprises de production. Avant cela même, le CSA pouvait lancer des appels à candidature pour l'attribution de fréquences de télévisions locales en mode analogique partout où cela est techniquement possible, et c'est souvent le cas.

Enfin, comme les autres pays européens, il faudrait fixer une date butoir pour le passage de l'analogique au numérique.

Enfin ce texte est incomplet. Pourquoi ne pas traiter des nouvelles technologies de la communication ? Il faudra le faire à une session prochaine. Nous pensons que votre projet aurait dû aborder ce qui sera une nouvelle révolution audiovisuelle.

En raison de toutes ces réserves, le groupe UDF ne votera pas ce texte.

MM. Laurent Dominati et Patrice Martin-Lalande - Très bien !

M. Christian Cuvilliez - Hier aux Etats généraux de la création qui se tenaient au Théâtre national de Chaillot, 500 producteurs, auteurs, comédiens, réalisateurs et techniciens ont été unanimes à exprimer leur exaspération de voir le secteur télévisuel sinistré. La production a diminué de 21 % en 1999 et la France n'a réalisé que 600 heures contre 2 000 en Allemagne et 1 300 au Royaume-Uni. Une seule explication à cette crise, selon les producteurs : un manque de 3 milliards. Ils demandent qu'on stimule rapidement la production, notamment par une politique internationale offensive pour gagner des marchés, et la destruction de la séparation juridique entre cinéma et audiovisuel, que Christian Charret, dans Le Monde d'aujourd'hui, qualifie de « mur de Berlin ».

Selon mon ami Jack Ralite, auteur d'un contre-projet de loi issu de la longue marche des Etats généraux de la culture, on ne peut construire une loi novatrice en gardant le socle des lois Léotard et Carignon. Et plutôt que de réduire la notion de service public à un lien économique entre l'Etat et les acteurs de l'audiovisuel, il appelle un statut au service de l'esprit et du vivant. Nos propositions sont de la même veine.

En première lecture, en mai 1999, avant de voter pour ce projet, nous avons souligné que de nombreuses interrogations subsistaient. Elles portent notamment sur le financement de la holding France Télévision, qui doit être assuré de façon pérenne, notamment pour ce qui concerne le remboursement des exonérations de redevance. Sur ce point la loi de finances pour 2000 nous a apporté une première réponse. Nous avions aussi affirmé notre volonté de voir France 3 conserver son caractère généraliste, avec une forte spécificité régionale. Nous nous sommes également opposés à la fusion de la Cinquième avec la Sept-Arte, souhaitant deux lignes éditoriales indépendantes. Le partenaire allemand ayant souhaité maintenir l'indépendance d'Arte, il faut maintenant examiner les conditions du partenariat entre la chaîne et France Télévision.

Nous n'avons pas obtenu en mai que la SFP soit intégrée dans le pôle public de diffusion. Mais nous espérons toujours voir préserver sa capacité de production. Il en va de même de l'INA, et nous souhaitons le rétablissement de notre amendement supprimé par le Sénat.

Mais le caractère novateur de ce texte tient essentiellement au numérique hertzien. Après avoir conquis le satellite et le câble, le numérique entre à la télévision hertzienne. La France doit ouvrir cette technologie au plus grand nombre sur tout son territoire. C'est une mission d'intérêt général qui doit concerner tous les acteurs, publics ou privés. Le projet de loi, enrichi par les propositions du Gouvernement, pourrait ouvrir ce processus, qui devra impliquer tous les téléspectateurs, renforcer le service public, réguler la concurrence et aider à l'arrivée de nouveaux entrants, comme les télévisions de proximité.

Cet enjeu appelle des cadres juridiques évitant la monopolisation par des groupes privés, qui appauvrirait l'offre. Pour garantir le plus large accès, le principe de gratuité et d'accès à des programmes en clair doit s'appliquer largement. On pourrait y contribuer en mettant à disposition gratuitement des décodeurs. De même les téléviseurs intégrés devront être accessibles à des coûts sensiblement égaux à ceux des équipements analogiques, et permettre la compatibilité entre analogique et numérique pendant la phase de transition.

Pour réussir cette transition, il faut aussi diminuer les contraintes techniques pour les téléspectateurs, en impulsant la solution du « multicrypt », avec des décodeurs capables d'intégrer plusieurs systèmes d'accès conditionnels. Mettre au point un système de décodage unique serait d'intérêt général, et il faut y inciter nos industriels. Le téléspectateur choisira alors en fonction des programmes, et non des contraintes techniques de son décodeur. Cette interopérabilité doit être prise en compte dans la délivrance des autorisations de diffusion.

Porteuse de progrès, la technologie du numérique peut aussi être créatrice d'inégalités sociales. Elle ouvrira de nouveaux horizons à condition que les diffuseurs ne se contentent pas de puiser dans les catalogues existants mais recourent à de nouvelles productions audiovisuelles. L'augmentation du nombre de chaînes pourra alors s'accompagner d'un accroissement des recettes. Cet enjeu nécessite l'établissement de mécanismes d'incitation, d'obligations de production et de contrôle.

Le numérique, qui permet une qualité supérieure de l'image et du son, peut aussi conduire à une qualité médiocre ; cela dépend largement de la densité du débit choisi. CanalSat l'a bien compris, qui offre sur Kiosque des films de qualité très moyenne, puisque de type VHS, mais qui répondent à une demande des téléspectateurs.

Grâce à l'interactivité, la télévision numérique va changer le rapport du téléspectateur à l'image et à l'imaginaire. Chacun pourra choisir la fin d'une histoire ou d'un film parmi plusieurs propositions. Cette technologie n'appelle-t-elle pas une réflexion éthique ? Ce sont les notions d'_uvre et de relation entre le créateur et le public qui risquent d'être bouleversées, d'autant que les logiques commerciales peuvent détourner les technologies au détriment de l'épanouissement humain. Le numérique interactif ouvre les possibles, mais en fonction des choix éditoriaux. Selon que le choix sera réel ou pas, la liberté offerte sera réelle ou illusoire.

Par ailleurs l'interactivité peut être le support de nombreux services, notamment le commerce électronique. La télévision peut devenir un portail ouvert à des groupes industriels, dont le seul objectif serait de capter des acheteurs. Dans cette hypothèse la télévision proprement dite deviendrait secondaire. Nous affirmons donc que les services interactifs doivent être développés en lien permanent avec les programmes. Ce critère doit être reconnu dans les procédures d'autorisation de diffusion.

Une fois posés ces principes, examinons les enjeux et les chances de réussite du numérique hertzien. Déjà se dessinent des enjeux économiques, où les tensions s'aiguisent en terme de pouvoir et de domination. Avec le numérique la gestion des fréquences doit devenir plus rationnelle, plus économe, parce que la ressource est rare. Des critères d'attribution doivent être définis par le législateur, qui doit veiller dès l'origine à la mise en cohérence des territoires.

Faut-il libérer un maximum de fréquences au profit de nouveaux services, ou développer une offre élargie de programmes audiovisuels ? A nos yeux, un effort important étant nécessaire sur la création de programmes et d'_uvres audiovisuels, mieux vaut attribuer la ressource de diffusion en priorité aux programmes.

La première étape de la planification des fréquences pour le passage au numérique de terre, élaborée par l'Agence nationale des fréquences en collaboration avec le CSA, a retenu l'hypothèse d'un plan à six réseaux ou six multiplexes eux-mêmes composés de six canaux, avec conservation des émissions analogiques le temps de la migration des équipements des foyers vers les récepteurs numériques. C'est la proposition qui est faite dans le projet, et à laquelle nous adhérons. Mais il faut bien noter que chacun des quatre premiers multiplexes couvrira 80 % de la population, tandis que chacun des deux autres n'en touchera que 60 %. Il reste donc une partie de la population qui ne serait pas concernée. Qui va occuper ces multiplexes, et avec quelle couverture totale du territoire ? La question n'est pas technique mais politique et économique, car les coûts sont plus élevés pour la desserte des derniers 15 ou 20 % de la population. Selon certains, cette couverture du territoire pourrait se faire grâce à la complémentarité de la télévision numérique, du câble et du satellite. Mais il importe de rappeler que la couverture de l'ensemble du territoire est un objectif à atteindre, relevant d'une mission d'intérêt général. Faute de quoi on imposerait à certains téléspectateurs de payer l'abonnement pour accéder au câble et au satellite. N'y aurait-il pas là une inégalité de traitement envers 20 % de la population ?

Autre question importante : après la migration vers le numérique, que fera-t-on des fréquences libérées ? Les grands groupes impliqués dans les télécommunications, Internet et l'audiovisuel préconisent leur attribution à la téléphonie mobile ou à l'audiovisuel. Pour notre part, nous proposons que les fréquences libérées par l'extinction de l'analogique, ne soient pas attribuées immédiatement à la téléphonie mobile, celle de troisième génération notamment, mais utilisées en priorité pour la couverture totale du territoire par la télévision numérique hertzienne. Nous souhaitons que la planification soit la plus transparente possible, avec l'objectif de servir en priorité l'audiovisuel public. Je souhaiterais connaître, Madame la ministre, la position du Gouvernement sur cette importante question.

Comme le montre le paysage actuel des télécommunications, de l'informatique et de l'audiovisuel à l'échelle internationale, les enjeux du passage au numérique sont considérables. Depuis quatre mois sont intervenues dans le secteur de la communication les plus grosses fusions de l'histoire économique : celle de Worldcomm-MCI Sprint, celle d'AOL-Time Warner rachetant dans la foulée la firme musicale britannique EMI, enfin la reprise du groupe allemand Mannesman par le groupe anglais de téléphone mobile Vodafone-Air Touch, qui venait de passer un accord avec Vivendi. Ces fusions constituent un véritable séisme culturel et économique ; leur montant cumulé équivaut à deux fois le budget de la France. Nous assistons au rapprochement accéléré de deux industries : celles des _uvres originales de l'esprit, et celle qui gère des masses d'abonnés à des services payants de communication et d'information. AOL gère un parc de 22 millions d'abonnés à Internet dans le monde. Le distributeur Time Warner a 13 millions d'abonnés à ses réseaux câblés aux Etats-Unis, des millions d'abonnés à ses chaînes thématiques comme CNN ou HBO, 120 millions de lecteurs de presse magazine au niveau mondial. Mais ce groupe est surtout propriétaire de portefeuilles de droits sur d'immenses bibliothèques d'_uvres originales : le catalogue Warner comporte 5 700 films et 32 000 séries télévisuelles. Grâce à la fusion, le nouveau groupe possède donc de nombreuses _uvres à rentabiliser à l'échelle mondiale et des populations d'abonnés prêts à payer l'accès aux services via le portail pour l'Internet ou la télévision.

Dans ce contexte, la question de l'accès de tous à une télévision gratuite et de la place du service public de l'audiovisuel, fédérateur des publics au sein d'une puissante télévision généraliste, se pose avec acuité. Il y va de la création et de l'accès aux _uvres de l'esprit, de la culture des hommes de demain. Pour nous, l'attribution des possibilités de diffusion doit se fonder sur la diversification de l'offre pour permettre l'arrivée de nouveaux entrants, notamment du secteur associatif, et contribuer à rééquilibrer un paysage audiovisuel quelque peu oligopolistique.

Dans cet esprit, l'amendement du Gouvernement affirme que « nul ne peut être titulaire de plus de six autorisations, chacune relative à un service national de télévision diffusée exclusivement par voie hertzienne terrestre en mode numérique ». Vous soulignez, Madame la ministre, que l'attribution par multiplexe conduit à conforter la place des chaînes historiques, ce qui est néfaste au regard de l'objectif constitutionnel de préservation du pluralisme, plaçant les nouveaux entrants de fait dans une situation d'infériorité, diminuant les capacités de régulation du CSA.

Le fait que les chaînes privées dites historiques ne puissent être titulaires de plus de six autorisations reviendra à ce qu'elles occupent de fait chacune au maximum un multiplexe.

Comment, Madame la ministre, entendez-vous préserver l'indépendance éditoriale des nouveaux entrants et notamment de ceux qui émanent du tissu associatif ?

Le secteur public de l'audiovisuel peut constituer un modèle de développement : ainsi France Télévision doit renforcer ses programmes généralistes tout en développant des chaînes thématiques. La démarche ne sera pas spontanée et un travail de sensibilisation sur les chaînes thématiques publiques sera sans doute nécessaire.

Le passage au numérique peut être une chance pour le secteur public, à condition d'asseoir durablement son financement. Or, face aux flux financiers qui sont en jeu dans les dernières fusions, nous ne pouvons qu'être inquiets, alors qu'il subsiste des obstacles pour appliquer le remboursement des exonérations de la redevance ou pour décider de la nécessaire dotation en capital de France Télévision. L'attitude du ministère des finances n'est-elle pas de ce point de vue assez inacceptable,

L'autre élément stratégique est l'attribution des fréquences. Poser, comme le fait l'amendement du Gouvernement, que l'attribution sera prioritaire pour le service public, est une condition nécessaire mais pas suffisante. Nous considérons qu'au moins deux fréquences sont nécessaires au service public pour qu'il assure pleinement ses missions, d'autant que la reprise des chaînes publiques en simulcast occupera pratiquement la totalité d'un multiplexe.

Parce que le lien entre le secteur public et les téléspectateurs doit être renforcé, nous pensons que l'attribution des fréquences doit se faire en priorité sur les réseaux couvrant 80 % de la population. En effet, la couverture numérique du territoire par le service public devra tendre à être celle qui existe aujourd'hui en mode analogique.

Votre amendement, Madame la ministre, qui dit : « le CSA veille à regrouper sur une ou plusieurs fréquences le service public de l'audiovisuel », nous laisse perplexe. Une telle rédaction ouvre la possibilité que le secteur public côtoie sur une même fréquence des chaînes privées dont les finalités sont par essence différentes. Seul le CSA aura le pouvoir d'appréciation et de décision !

Ayant une fonction éditoriale et de régulation pouvant aller jusqu'à décider de la qualité de l'image et du son, à quelles logiques soumettra-t-il les chaînes publiques ? Comment imaginer que la fonction de commercialisation ne soit pas pilotée par le secteur public lui-même ? Le rôle de l'opérateur est stratégique et non technique !

Il est essentiel que l'ensemble des opérations, de l'éditeur au téléspectateur, puissent être maîtrisées par la puissance publique. Ne pas agir dans ce sens risque de casser le lien entre le téléspectateur et le service public, et de ne pouvoir assurer le respect des missions définies à l'article premier.

Vous proposez, Madame la ministre, que l'offre gratuite émerge de manière sensible sur le numérique et nous partageons cet objectif. C'est dans cet esprit que le projet reprend le principe de gratuité pour les nouvelles chaînes thématiques que France Télévision pourra développer sur ses filiales. Mais nous nous interrogeons : faut-il pour autant placer les chaînes privées sur un plan d'égalité avec le service public en leur octroyant prioritairement de la ressource de diffusion, au motif qu'elles vont elles aussi développer des services gratuits ?

Je pose alors la question essentielle du financement du secteur public : qui des chaînes publiques ou privées sera le mieux à même d'amortir la gratuité ?

Le passage au numérique confère au CSA des missions élargies. Il y a lieu, à ce titre, de s'interroger sur la tendance qui consiste à laisser de plus en plus de place à des autorités indépendantes, au détriment du législateur.

Le développement du numérique, les enjeux de la société de l'information et les dangers qui pèsent sur l'indépendance des esprits doivent nous interpeller sur le contenu que nous voulons donner à la régulation. Le CSA doit être le garant des équilibres établis par la loi et veiller à ne pas appliquer des mécanismes schématiques de concurrence entre les secteurs public et privé qui ne luttent pas à armes égales.

Si l'on veut préserver un peu d'humanité dans le monde de l'information, il faut faire le choix du secteur public de l'audiovisuel.

Nous continuerons, Madame la ministre, de vous accompagner dans les voies que vous avez proposées. Mais nous resterons attentifs à la question des moyens, au maintien de critères qualitatifs qui tendent à distinguer le service public et à la préservation de la liberté de création. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Laurent Dominati - En matière de télévision, nous n'en sommes qu'à la préhistoire : qui peut dire ce qui se passera dans dix ans et si la législation dont nous débattons ne sera pas balayée par le développement technologique et par les formidables progrès de l'accès à l'information ?

M. Michel Françaix - Enfin un moment de lucidité ! Mais elle durera toujours plus longtemps que la loi Léotard !

M. Laurent Dominati - La bataille de la communication est mondiale et ce que le projet méconnaît, c'est le paradoxe qui existe entre une abondance sans précédent de fréquences et la pénurie de programmes de qualité.

S'agissant de questions éminemment techniques, vous auriez été, Madame la ministre, mieux inspirée si vous aviez choisi la voie de l'humilité et de la recherche d'un cadre législatif pérenne et consensuel au lieu de faire un choix de nature idéologique.

En renforçant la relation de pouvoir entre les différents acteurs de l'audiovisuel et la puissance publique, vous montrez que vous ne leur faites pas confiance.

Ce dont souffre le secteur public, c'est du manque de cohérence de ses structures. Quelle est votre réponse ? Elle n'est guère différente de celle que proposait en son temps M. Douste-Blazy puisqu'elle tend à créer une holding, qui intégrerait France 2, France 3 et la cinquième -dont je note au passage qu'elle ne dispose que de la moitié d'un canal hertzien et qu'elle cesse d'émettre aux heures où le public afflue. Faute d'avoir bien négocié avec vos partenaires allemands, Arte en est exclue. Quant à RFO, vous ne savez pas s'il faut l'intégrer ou s'il faut constituer des RFO indépendants dans les différents territoires d'outre-mer. Vous constitueriez ainsi l'embryon de télévisions d'outre-mer indépendantes, ce qui pourrait préfigurer quelque chose d'intéressant pour l'ensemble du service public et pour France 3 en particulier. Une telle proposition avait d'ailleurs été émise il y a près de dix ans.

Mme la Ministre - Mais l'époque a changé.

M. Laurent Dominati - Certes, mais elle est favorable au développement de télévisions de proximité.

S'agissant du financement de l'audiovisuel, vous prétendez renforcer le secteur public mais vous avez commencé à diminuer ses ressources publicitaires qui sont constitutives de son indépendance. Était-il d'ailleurs nécessaire de faire voter une loi en ce sens alors que le règlement aurait pu y pourvoir ? En outre, alors que les investissements publicitaires ont augmenté de près de 8 %, que TF 1 et M 6 ont largement dépassé la barre des 10 %, ils ont baissé sur France 2 et France 3. Dans un marché publicitaire en pleine expansion, le service public conserve à grand peine son financement. Alors, était-il bien nécessaire de légiférer pour demander aux chaînes publiques de faire moins de publicité ? La différence essentielle entre le secteur public et le secteur concurrentiel tient en fait à la qualité des programmes : la légitimité de France 2 est-elle seulement de faire concurrence à TF 1 ?

M. Michel Françaix - C'était vrai il y a dix ans.

M. Laurent Dominati - Si le rôle de France 2 est au contraire d'assurer des missions de service public qui se distinguent du secteur privé, ce n'est pas de 2 % qu'il faut réduire les ressources publicitaires. Il faut aller vers une réduction drastique de la publicité sur les chaînes publiques. Mais vous ne pouvez pas le faire sans restreindre de manière sensible le périmètre du secteur public.

J'y suis d'ailleurs favorable comme je suis favorable à la constitution d'un véritable service public, dont les différences avec le secteur concurrentiel soient visibles à l'antenne. Serions-nous aujourd'hui capables, les uns et les autres, de dire si tel ou tel animateur -sans parler des animateurs producteurs- officie sur une chaîne publique ou privée ? Chacun sait qu'ils passent de l'une à l'autre et que le téléspectateur n'est pas en mesure de faire la différence, notamment entre France 2 et TF 1. Au demeurant, le service public défend-il véritablement, comme vous le dites, la culture et la création ? Si tel était le cas, comment expliquer que la part des fictions nationales dépasse 75 % en Allemagne et 80 % au Royaume-Uni -en l'absence de tout quota de diffusion- alors qu'elle stagne en France à 50 %, le secteur public restant bien en deçà du seuil de 70 % ?

On le voit, le secteur public de l'audiovisuel ne protège pas la culture française, comme ce devrait être son rôle. J'applaudirais à la proposition d'interdire à ses chaînes d'acheter des films américains car celles-ci pourraient alors être vraiment différentes de celles du secteur privé.

Au lieu de revoir les véritables missions et le périmètre du secteur public, vous préférez le statu quo. En effet, par le biais du pouvoir du ministre de la communication et de celui du CSA, vous exercez une réelle pression sur les chaînes privées tout en tenant la bride aux chaînes publiques. Cette mainmise de l'Etat -que je regrette- a encore malheureusement été accentuée par le Sénat en ce qui concerne les sociétés de droits d'auteur. Nous voterons bien sûr contre l'amendement Charasse qui tend à faire contrôler ces sociétés par la Cour des comptes. Elles le sont déjà par votre ministère.

Un véritable débat aurait dû avoir lieu sur ce que doit être le service public. Vous avez caricaturé notre proposition de privatiser France 2. Oui, nous pensons qu'il serait bon de privatiser cette chaîne qui ne doit plus être une chaîne publique d'Etat mais bien la chaîne du public. Alors que vous serez à l'horizon de cinq ou dix ans contraints de la vendre au plus offrant, nous proposons, nous, une privatisation populaire, l'Etat conservant 30 % du capital pendant cinq ans au moins. Voilà une idée qui mérite mieux qu'une caricature, surtout de la part de ceux qui n'ont aucune solution d'avenir pour le secteur public de l'audiovisuel. Car il est évident que l'Etat ne pourra pas continuer indéfiniment à financer France 2, France 3, Arte et la Cinquième, étant donné les besoins de développement qui se font jour.

L'Etat n'en conserverait pas moins dans mon idée d'éminentes responsabilités. Il veillerait au respect de la démocratie que peut menacer l'uniformisation des programmes, encore renforcée du fait que la législation est la même pour tous. C'est d'ailleurs pourquoi je plaide, contrairement à vous, pour un renforcement des pouvoirs du CSA, indispensable pour que cette autorité puisse réellement garantir la diversité des chaînes. L'Etat devrait également veiller au respect du pluralisme, qui n'est pas aussi bien garanti dans notre pays qu'on veut bien le dire, y compris sur les chaînes publiques. J'ai encore récemment protesté auprès du CSA au sujet de la sous-représentation à l'antenne de certains groupes politiques, dont le mien. L'an passé, l'opposition n'a même pas bénéficié du tiers de temps de parole qui lui revient selon la règle des trois tiers. Pourquoi Serge July est-il l'invité de France 3 tous les dimanches soirs ? Libération est-elle la voix officielle du pouvoir ? Dans d'autres pays démocratiques, on s'interrogerait sur l'absence permanente d'autres éditorialistes.

Mme Catherine Tasca - Cela est de la responsabilité de la chaîne.

M. Laurent Dominati - Et du président de France Télévision, Madame Tasca ! Ce n'est pas vous qui allez nous donner des leçons de pluralisme !

Autre responsabilité de l'Etat : l'éducation. La télévision éducative ne saurait se limiter à la Cinquième. Le secteur public de l'audiovisuel tout entier devrait participer à cette mission éducative. Or, votre projet ne comporte aucune disposition relative à la protection de la jeunesse. Il ne fixe non plus aucune obligation éducative aux chaînes alors qu'aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne par exemple, chaînes publiques mais aussi privées interviennent dans ce domaine. L'amendement déposé par Mme Bredin et M. Le Guen relatif à la protection de la jeunesse est surtout symbolique. J'ai, pour ma part, proposé que le CSA puisse sanctionner les manquements sur les chaînes publiques comme sur les chaînes privées. Il n'y a aucune raison d'exonérer les premières de leur responsabilité : elles doivent au contraire montrer l'exemple et tirer les programmes vers le haut. Au total, vous n'avez ni pris la mesure de la révolution en cours à la télévision ni voulu assumer le rôle de l'Etat en matière de service public non plus que de missions de service public.

Pour que les opérateurs puissent soutenir dans de bonnes conditions la concurrence, il faudrait donner davantage de pouvoirs au CSA et assouplir la réglementation Tasca. Quant aux coupures publicitaires dans les émissions de fiction, sans doute le CSA est-il mieux à même d'en décider que le législateur. Il en va de même pour les décrochements locaux, la séparation entre les diffuseurs et les producteurs, les seuils de participation des diffuseurs aux émissions de production. Bref, tout ce qui relève du domaine réglementaire devrait être traité par l'autorité de régulation. C'est d'ailleurs, Monsieur Cuvilliez, ce qu'ont demandé les producteurs et les créateurs hier à Chaillot : simplification du droit de la communication, assouplissement des règles, conventionnement. Ils ont d'abord besoin de liberté pour créer.

Oui, Monsieur Françaix, il faut encourager le développement des télévisions locales et pour ce faire, inciter les entreprises de presse qui y sont disposées à investir dans ce secteur. Nous n'avons déjà que trop tardé.

Oui, il faut permettre à de nouveaux investisseurs mais aussi aux opérateurs existants d'investir dans la télévision numérique. Le législateur doit ouvrir de nouvelles fréquences et inciter les opérateurs privés à investir. Il faut pour cela offrir bien davantage que deux canaux aux chaînes privées actuelles et leur donner, comme je l'ai proposé, un réel avantage comparatif. A défaut, elles n'investiront pas, sachant très bien qu'elles pourront à tout moment être sanctionnées par le CSA. Voilà comment l'Etat restreint subrepticement la liberté d'expression !

J'en viens au troisième volet de cette loi, relatif à Internet. Je note avec satisfaction que mes amendements à ce sujet rejoignent ceux de M. Bloche. Il faut sécuriser le commerce électronique. Il faut démocratiser l'accès à Internet. M. Blair, l'un de vos amis politiques s'est engagé à ce que chaque Britannique dispose d'un accès gratuit à Internet d'ici à 2005. Voilà ce qu'il faudrait faire aussi en France et que vous n'avez pas fait ! Lionel Jospin se vante de l'augmentation du nombre des internautes mais il n'y est pour rien. Son Gouvernement n'a rien fait en ce sens depuis les grandes déclarations de Hourtin. Et la seule initiative prise depuis l'a été par des parlementaires : la proposition de loi du groupe Démocratie libérale reprend quasiment l'amendement Bloche. C'est l'occasion pour moi de souligner que si vous vous étiez départis de vos a priori et de vos positions idéologiques, nous aurions pu parvenir à un certain consensus. En effet, sur ce sujet, je suis plus proche de M. Bloche que du Sénat. Une législation est inadaptée à l'apparition de l'ADSL et autres technologies de transmission à haut débit. La démocratisation réelle d'Internet exige l'ouverture à la concurrence de l'accès à la boucle locale, aujourd'hui privilège de France Télécom. Si nous ne le faisons pas, notre pays prendra un retard catastrophique. J'ai déposé un amendement à ce sujet.

Dans dix ans, toute la législation actuelle sur l'audiovisuel sera totalement dépassée. Il y aura des télévisions sur Internet, la diffusion de programmes sera soumise à un simple régime déclaratif comme aujourd'hui la presse. Y aura-t-il encore un secteur public de l'audiovisuel ? Oui, s'il a su faire la preuve de sa différence. Il sera sinon balayé par les évolutions comme votre loi le sera, Madame la ministre, par l'histoire qui avance décidément sans vous (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Michel Françaix - Je serai plus modeste que l'orateur précédent qui nous a décrit ce qui se passera dans dix ans alors que la situation évolue tous les six mois !

Avant de vous interroger sur le numérique hertzien terrestre, Madame la ministre, je constate que si l'on parle si peu du reste, c'est que vous avez su convaincre cette Assemblée du bien-fondé de votre projet !

Le choix majeur de ce texte consiste à donner une nouvelle structure à l'audiovisuel public : la holding France Télévision. Ce nouveau pôle, désormais doté d'une unité de stratégie et de décision, aura la taille critique pour aborder les marchés internationaux. Son assise économique et financière lui permettra d'assurer la montée en charge des nouveaux marchés. Enfin, l'harmonisation des programmes, fondée sur une conception nette des rôles impartis à chaque chaîne, garantit une audience accrue sans démagogie ni racolage.

J'en viens aux enjeux du numérique hertzien terrestre. La France est l'un des pays européens dont le plus grand nombre de ménages peut recevoir des programmes et des services de télévision numérique. Nous sommes en avance dans le domaine du câble et du satellite. En revanche, nous ne sommes pas encore engagés dans la diffusion numérique hertzienne terrestre, qui est pourtant devenue inéluctable.

Cette nouvelle technique va bouleverser les contenus, les grilles de programme et les services, ainsi que l'économie générale des médias et de l'audiovisuel, mais surtout les modes de loisirs, de travail, d'accès à l'information, contribuant ainsi à de profondes mutations culturelles et sociales.

L'efficacité du passage à la diffusion numérique hertzienne terrestre dépend de trois paramètres interdépendants : le taux de couverture du territoire par les émetteurs numériques associés au câble et au satellite ; l'équipement des ménages en récepteurs ou en décodeurs numériques ; l'attrait et la qualité des programmes et services offerts.

L'orchestration de ces trois facteurs nécessite une politique d'incitation et de coordination pour que le taux de couverture du territoire, l'offre de programmes et le développement du parc de récepteurs progressent à un rythme synchrone et soutenu.

Cela dit, cette réforme inéluctable est-elle souhaitable ? Oui, à trois conditions qui portent sur la part du secteur public par rapport au privé, sur la part des entrants par rapport aux sortants et sur la part du local par rapport au national.

La télévision de service public doit jouer un rôle moteur. La nouvelle offre de France Télévision reposera sur de multiples centres d'intérêt : fiction, information, duplication en numérique de France 2, France 3, canal sport, canal régional, canal arts et culture avec Arte, canal à vocation éducative avec la 5, canal société et vie quotidienne, chaîne parlementaire...

La gauche considère qu'un grand service public de télévision est une chance pour la France, parce qu'il peut offrir un espace de liberté pour la création sans être obnubilé par l'audience, parce qu'il peut permettre à toutes les sensibilités de s'exprimer, parce qu'il peut refléter la richesse de nos cultures régionales, parce qu'il peut respecter les minorités et toutes les sensibilités, à commencer par celle des enfants en s'interdisant tout racolage fondé sur la violence ou le voyeurisme. Bref, le service public doit être au service du public.

Encore faut-il donner à la télévision publique les moyens nécessaires pour jouer ce rôle. Il faut que l'actionnaire, c'est-à-dire l'Etat, soutienne le développement de cette activité nouvelle. Son financement pourrait être assuré par une dotation en capital au moment de la création de la société holding, afin de réaliser les investissements de départ et de couvrir les pertes des premiers exercices ; un accès à la redevance pour l'exploitation courante ; des économies obtenues grâce aux synergies à trouver entre les chaînes.

En ce qui concerne la part respective des entrants et des sortants, il est normal que de grands groupes se réunissent pour investir dans ces nouveaux médias, mais il est indispensable qu'ils soient suffisamment nombreux pour que ni l'information ni l'offre de programmes ne soient monocolores. Seule l'émergence de nouveaux diffuseurs renouvellera l'offre télévisuelle.

J'en viens à la télévision locale. La France connaît un retard étonnant dans le domaine de la télévision de proximité. Des télévisions locales ont tenté de trouver leur place mais, après dix ans d'expérience, elles n'ont pas su trouver le modèle économique qui aurait assuré leur viabilité et leur indépendance. Elles ont été prises au piège des conflits d'intérêts entre des fiefs locaux étrangers à leurs missions et leurs comptes ont affiché un déficit structurel.

Mais outre le fait qu'elle représente un marché nouveau et prometteur, la télévision locale offre la possibilité de mettre fin à une longue série de rendez-vous manqués entre les citoyens et leurs télévisions. Le public a toujours répondu présent aux rendez-vous des programmes de proximité comme en témoignent les résultats d'audience. Ainsi, les informations régionales de France 3 avoisinent quotidiennement une part de marché proche de 50 %. Le public aspire à voir émerger une télévision alternative. Pour la programmation, les télévisions locales se sont malheureusement enfermées dans un cycle manque de moyens/manque de programmes/manque de moyens qui les a rendues dépendantes et économiquement instables.

A cet égard, le numérique hertzien arrive à point nommé pour relancer la télévision locale. Il fait naître l'espoir d'une télévision plus proche du citoyen.

Le paysage audiovisuel français sera profondément remanié dans dix ans avec un réaménagement complet de l'affectation du bien rare que constitue le spectre des fréquences hertziennes, des offres nouvelles mieux adaptées aux modes de vie des Français, de nouveaux opérateurs, un groupe audiovisuel public renforcé.

Voilà pourquoi la France doit s'engager dans cette mutation et veiller à occuper en Europe l'espace numérique hertzien qui lui revient.

La télévision n'est pas un instrument comme les autres : elle informe mais elle suggère aussi, elle montre mais fait aussi rêver. Je souhaite que la télévision de demain permette aux téléspectateurs de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent.

Faire accepter les différences, sans les nier ni chercher à les réduire, n'est-ce pas là pour elle un véritable objectif éthique, une nécessité vitale, c'est-à-dire tout simplement un devoir civique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Patrice Martin-Lalande - Est-ce le sujet qui veut cela ?

Force est de constater que ce projet nous est présenté sous forme de feuilleton. A l'automne 1998, ce texte, critiqué par le CSA et le Conseil d'Etat, doit être réécrit par le Gouvernement. Il est ensuite reporté en catastrophe par la ministre, après son audition par la commission des affaires culturelles le 1er décembre 1998. Examiné finalement en mai 1999, il reste muet sur le numérique terrestre, alors que le Gouvernement dispose déjà du rapport Cottet-Emery.

Quant au projet de fusion de la Cinquième et de la Sept/Arte il avait été interrompu à la suite du renouvellement de l'Assemblée nationale au printemps 1997. Pourtant, arrivé enfin au Sénat en janvier 2000, et alors que la fusion La Cinquième/Arte était en marche depuis plusieurs années, un nouveau coup de théâtre se produit : La Sept/Arte est retirée du groupe de télévisions publiques.

Pour ce qui est du numérique terrestre, toujours absent du texte en janvier, ce n'est que deux semaines avant les débats à l'Assemblée que le Gouvernement fait connaître ses propositions, sans étude d'impact ni stratégie.

Quelle est l'ambition de ce projet de loi pour le secteur public de l'audiovisuel ?

Il s'agit d'inscrire le développement du secteur public dans la nouvelle perspective industrielle et culturelle. Pour cela, il faut d'abord redéfinir ses missions.

Le secteur public peine à se trouver une identité et le retrait de La Sept/Arte n'améliorera pas cette situation. De plus, comment préserver l'identité de la Cinquième au sein de la holding ?

Il faut ensuite en redéfinir le périmètre, surtout depuis l'échec de la fusion La Cinquième/La Sept/Arte. D'autre part, quelle place faut-il donner à la chaîne européenne dans le paysage audiovisuel français, alors que France 3 détient 45 % du capital ?

Enfin, il faut redéfinir le financement du service public. Le budget de l'audiovisuel public est de 18 milliards en France, contre 25 milliards en Grande-Bretagne, et 40 milliards en Allemagne. En six années, la part du financement publicitaire a augmenté de 54 % pour France 2 et de 58 % pour France 3. Dans le même temps, la durée de la publicité progressait de 81 % pour France 2 et de 138 % pour France 3. Le milliard et demi qui correspond chaque année au remboursement des exonérations de redevance suffira-t-il pour financer le passage au numérique ?

Les efforts de rationalisation de la gestion ne seront-ils pas remis en question par la séparation de La Cinquième/Arte ?

La baisse de quelques minutes de la durée de la publicité permettrait-elle d'identifier le service public ou n'est-ce qu'un gadget dont les conséquences financières ne seront évaluées qu'un an après l'application de la loi, c'est-à-dire trop tard ?

On ne décèle pas, dans ce projet, une véritable stratégie industrielle de la part du Gouvernement pour l'audiovisuel public.

Face au rouleau compresseur des géants américains de la production audiovisuelle, le pluralisme exige en France et en Europe une volonté politique de soutenir la création. Les besoins de contenus audiovisuels vont exploser avec la multiplication des chaînes numériques et la demande exponentielle d'images pour l'Internet.

Le présent projet inquiète les créateurs et les producteurs de programmes audiovisuels. Pour la première fois, ils font front commun comme hier lors des « Etats généraux de la création audiovisuelle ».

Les professionnels estiment que les sommes destinées à compenser le manque à gagner consécutif à la diminution de la publicité sur les chaînes publiques ne suffiront pas pour assurer le développement de leur industrie, alors qu'ils sont déjà moins aidés que leurs collègues britanniques ou allemands.

Dans le texte qui nous revient du Sénat, un amendement de M. Charasse tend à instituer un contrôle des sociétés d'auteurs par la Cour des comptes. Nous sommes nombreux à nous interroger sur sa constitutionnalité, car la Cour des comptes n'a pas vocation à contrôler des sociétés privées mais bien les services de l'Etat et des collectivités locales, et à en souhaiter la suppression.

Le volet le plus novateur du projet concerne la télévision numérique terrestre. La France doit s'engager dans la voie du numérique audiovisuel pour tous, c'est certain, mais plusieurs méthodes sont possibles pour atteindre cet objectif. Or les choix du Gouvernement en la matière ont été à la fois tardifs et lacunaires.

Tardifs car ils n'étaient pas inclus dans le projet présenté en 1999, ni même dans celui d'il y a deux mois au Sénat. Ils ont été introduits de manière improvisée entre deux lectures et sans audition de Mme la ministre par la commission, sous forme d'amendements, deux semaines avant les débats à l'Assemblée. Tardifs aussi parce que nous sommes en retard sur nos partenaires européens : la Grande-Bretagne et la Suède ont adapté leur cadre juridique au numérique hertzien en 1996, l'Espagne en 1998. Plus généralement, la plupart de nos partenaires ont commencé leur phase d'expérimentation en 1998 et ont prévu un lancement commercial pour 2002 au plus tard.

Lacunaires parce que ces choix n'ont pas fait l'objet d'une étude d'impact. Malgré quatre rapports publics demandés par le Gouvernement depuis 1996, aucune étude chiffrée n'a été fournie et TDF s'est toujours refusée à fournir les éléments nécessaires à l'évaluation de ces charges. Notre rapporteur a précisé en commission que « la question du financement serait effectivement traitée en loi de finances, les arbitrages sur l'engagement du service public dans le numérique terrestre ayant été rendus par le Gouvernement en toute connaissance de cause ». Mais le Parlement, lui, n'est malheureusement pas en mesure de se prononcer en toute connaissance de cause.

Lacunaires encore parce que aucun engagement n'est pris de valoriser l'atout principal de la télévision numérique terrestre : la mobilité. Or le numérique terrestre ne séduira les consommateurs, en particulier les jeunes, que s'il dispose de cet atout dès son lancement.

Il y a plusieurs moyens d'atteindre l'objectif du numérique pour tous. La numérisation de la télévision hertzienne en est un mais on peut aussi envisager l'équipement des foyers français en récepteurs satellite ou en réseaux câblés ; ou encore, la réception du multimédia par le téléphone grâce aux techniques ATM, ADSL et autres. Ainsi, en Grande-Bretagne, les clients de l'opérateur Kingston peuvent recevoir par téléphone, pour 120 F par mois, une trentaine de chaînes et visionner des films à la demande.

La France a-t-elle intérêt à encourager le développement simultané de ces différents moyens, ou bien à se focaliser sur l'un d'eux ? Nous aimerions en tout cas en savoir plus sur les raisons du choix effectué par le Gouvernement.

Par ailleurs, la question de la concurrence entre l'Internet et la télévision n'est pas traitée. Pourtant, l'Internet est un rival sans précédent qui déjà oblige la télévision à être interactive et connectée à la Toile.

Aucune réponse n'est apportée non plus à la question essentielle de savoir comment l'Europe rééquilibrera l'économie numérique, aujourd'hui largement dominée par les Etats-Unis.

Comme le souligne Laurent Cohen-Tanugi, le nouvel ordre numérique ne se rééquilibrera que si l'Europe surmonte ses handicaps : « fragmentation du marché, incapacité des champions nationaux à s'unir, rigidité des marchés du travail et des capitaux, aversion à l'égard du risque et du changement, faiblesse de l'investissement en recherche-développement, maintien tardif des industries concernées sous régime administré, voire sous monopole étatique, inefficacité de l'intervention publique, fiscalité pénalisante... » Vaste programme, que ce projet ne risque certes pas d'entamer !

S'agissant d'Internet, il faut profiter de ce projet pour régler certains problèmes urgents sans attendre l'hypothétique loi sur la société de l'information que le Gouvernement ne cesse de remettre à plus tard.

Premier problème urgent : la responsabilité des fournisseurs d'accès. Pour édifier un système de responsabilité, il nous faut trouver un juste équilibre. La responsabilité de l'éditeur de contenu doit être la règle, celle du fournisseur d'accès ou d'hébergement doit être strictement limitée à certains cas limitativement énumérés et celle des plaignants de mauvaise foi doit pouvoir être engagée. Tel est précisément l'objet d'un amendement que j'ai déposé avec André Santini.

Deuxième problème urgent : le dégroupage. Il est en effet reconnu par les instances communautaires, le Conseil de la concurrence, l'Autorité de régulation des télécommunications comme le seul moyen d'accélérer le développement sur tout le territoire d'offres innovantes et compétitives de services d'accès à l'Internet à haut débit.

L'extraordinaire développement de la téléphonie mobile montre que, là où la boucle locale peut être contournée, la concurrence se révèle très bénéfique pour le consommateur. Le câble et la boucle locale radio sont des moyens parmi d'autres de s'affranchir de l'absence de concurrence sur la boucle locale filaire. En tout état de cause, le dégroupage permettra de développer la concurrence pour l'utilisation du téléphone et des techniques ATM ou ADSL.

D'ailleurs de nombreux autres pays européens l'ont déjà mis en _uvre. Qu'attend le Gouvernement français ?

Troisième problème urgent : la place laissée à l'Internet dans le numérique terrestre. Il importe de préserver pour lui une partie de la bande des fréquences afin d'éviter que celle-ci ne soit cannibalisée par les services de téléphonie mobile. Et comme 20 % des lignes ne sont pas adaptées à l'ADSL et ne bénéficieront donc pas du haut débit, la télévision numérique terrestre peut constituer une voie descendante à haut débit.

Toutes ces questions laissées sans réponse conduiront le groupe RPR à ne pas voter ce projet de loi en l'état (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Noël Mamère - La seconde lecture d'un texte est toujours l'occasion de faire un bilan sur les occasions manquées et sur les insuffisances du travail en cours. C'est donc ce que je ferai.

Ce projet de loi n'est ni le pire ni le meilleur depuis 1981. La création de la holding France Télévision, le remboursement des exonérations de redevances, la prise en compte du secteur associatif de la télévision, des dispositions lisibles sur le numérique hertzien constituent des avancées notables. Mais nous regrettons que le Gouvernement ne soit pas allé jusqu'au bout des intentions proclamées lors de la déclaration de politique générale du Premier ministre -« à la télévision, déclarait-il, favoriser le pluralisme, c'est encourager et soutenir un service public fort et de qualité, ce qui impose de rééquilibrer la politique actuelle entre ressources publiques et recettes publicitaires »- et n'ait pas supprimé la publicité sur le service public de façon à lui permettre de rejoindre la BBC comme pôle européen d'excellence.

La crise du service public ne se résoudra pas par un changement d'hommes, mais par une rupture avec la course folle à l'audimat. Or la réduction de la publicité sur France 2 et France 3 se fait à doses homéopathiques. La part du financement public passera ainsi de 69,4 % en 1999 à 74 % en 2000. Qu'est-ce que cela changera réellement dans les pratiques de la chaîne ?

Le Gouvernement n'a pas eu le courage politique d'augmenter sur cinq ans la redevance pour donner à la nouvelle holding les moyens de sa politique de programmes 1999. Cette bataille pour la télévision publique n'est pas conservatrice.

La redevance n'augmentera cette année que de 0,9 %. Sa réforme s'impose, et la lutte contre la fraude, en l'inscrivant par exemple dans le cadre de la taxe d'habitation. Elle est inférieure à celle perçue chez nos voisins. Il faut en faire de nouveau le levier du financement de l'audiovisuel public.

Je déplore que TF1 rafle plus de la moitié des recettes publicitaires et étouffe ses concurrents en fixant un prix de publicité au niveau de la Grèce. Je m'étonne qu'on ne fasse aucune proposition conséquente pour lutter contre la concentration et la domination de ces nouveaux monopoles.

Ne pas renforcer le pouvoir du CSA, c'est lui ôter de sa légitimité. Il faut normaliser les rapports avec une autorité indépendante aussi forte qu'aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

Pourquoi s'occuper du contenant plus que du contenu, et fragiliser une production audiovisuelle déjà en récession ?

Je m'étonne que l'on ne réfléchisse pas plus sur la place complémentaire du câble, du satellite et du numérique, que l'on ne tienne pas plus compte du précédent constitué par le plan câble, déstabilisé par le lancement de Canal Plus, que l'on parle du numérique hertzien sans tenir compte de la convergence des télécoms, de l'informatique et de l'audiovisuel qui bouleversera dans peu de temps notre approche de la télévision.

Cette accumulation de négligences ne permettra pas de faire une grande loi. Nous resterons une fois de plus au milieu du gué entre les lobbies du bâtiment ou des eaux qui ne veulent pas de nouveaux entrants et Bercy qui a peur de laisser la bride sur le cou à France-Télévision. Vous n'êtes certainement pas, Madame la ministre, la responsable de cet état de fait et je me garderais bien de vous transformer en bouc-émissaire, après des décennies d'immobilisme et de décisions irresponsables comme celles de la première cohabitation où l'on avait bradé la chaîne amiral du service public en utilisant le prétexte du mieux-disant culturel. Mais le passage au numérique aurait pu être l'occasion de nous ressaisir.

Pourtant nous voterons cette loi qui répond à quatre de nos préoccupations : l'adaptation du service public à la rapidité de l'évolution technologique ; le renforcement des missions de ce service public moins soumis aux recettes publicitaires et plus cohérent grâce à France Télévision ; la légalisation des télés associatives par un amendement du Gouvernement à l'initiative des Verts ; une approche responsable de l'Internet grâce à l'amendement socialiste sur la responsabilité des hébergeurs.

Vous avez lancé ces réformes, un peu timidement à notre goût mais vous avez eu le mérite de tenir bon le cap.

Nous vous poserons néanmoins trois questions.

D'abord, pour France Télévision et sa filiale numérique, quel est le financement prévu dans la loi de finances rectificative ? Malgré la rétrocession des exonérations de redevances, le déficit budgétaire risque d'être comme chaque année à l'ordre du jour.

Ensuite, nous sommes heureux de la naissance d'un tiers secteur de l'audiovisuel. A côté du secteur public et du secteur commercial ce « tiers-secteur » constitué par des chaînes de radios et de télévisions, locales, régionales ou nationales, issues du droit commun, diffusées par voies hertziennes terrestres, réseaux câblés et par satellites, s'inscrit dans le champ de l'économie solidaire et sociale. Ses principes, synthétisés par la charte de l'économie sociale, adoptée en 1980, reposent sur l'indépendance par rapport à l'Etat et au marché, sur le fonctionnement démocratique, et sur le but non lucratif. Nous souhaitons que ces télévisons puissent avoir le droit à une fenêtre nationale et à un transport gratuit, financé par les distributeurs de service sur le numérique. Mais nous vous le demandons instamment. Ce tiers-secteur sera-t-il financé, aura-t-il un statut ? Nous avons proposé la création d'un fonds de soutien aux télévisions associatives, financé par les recettes publicitaires de la télévision, sur le modèle de celui qui existe depuis 18 ans pour les radios associatives.

J'aurais enfin souhaité vous interroger sur les choix de la tutelle en matière de numérique. Pour nous, diversité et pluralisme doivent être les caractéristiques du nouveau paysage audiovisuel. Vous pouvez compter sur les Verts pour faire respecter ces vertus essentielles (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Rudy Salles - Je regrette d'abord la façon dont l'Assemblée nationale est traitée.

Il y a un an, nous examinions ce projet que vous aviez eu tant de mal à faire accepter à votre majorité et qui était si mal reçu par tous les professionnels. Nous dénoncions ses carences, notamment l'absence totale de référence au numérique hertzien. Vous répondiez alors que le Gouvernement souhaitait une réflexion approfondie et que nous aurions l'occasion d'en débattre.

Le moment semble venu. Mais en introduisant cette réforme d'importance en seconde lecture et par amendements, vous privez le Parlement d'un débat approfondi sur un texte dont les retombées seront considérables à tous points de vue.

Pis encore, malgré nos demandes insistantes auprès du président de la commission, vous avez refusé de venir y exposer ces nouvelles dispositions. Le rapporteur a disposé de vos amendements la veille de notre réunion. Répondre à nos questions fut pour lui un exercice de haute voltige.

Plusieurs députés socialistes - Il est très bon !

M. Rudy Salles - Tout à fait. Il aurait été meilleur si vous étiez venue.

Finalement, c'est par Le Monde du 15 mars que les députés ont été informés des modalités d'installation du numérique hertzien. On peut s'interroger sur le rôle des commissions parlementaires et sur la considération que vous avez pour nos travaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Mais vous avez donné priorité à vos amis et présenté votre projet au groupe socialiste.

Dans ces conditions, nos débats seront longs. Il nous faudra sans esprit d'obstruction vous poser les questions que nous n'avons pu poser en commission.

Sur le fond, ce texte est marqué par l'improvisation. Il ne crée pas les bases de l'audiovisuel de demain. La holding France Télévision est une sorte d'ORTF en pire. Cette superstructure paralysera les PDG les mieux disposés, les personnels les plus motivés.

Les missions des chaînes ne sont pas clairement définies et la confusion continuera à régner. Le retrait d'Arte de la holding illustre cette improvisation. Et que deviendra la Cinquième ?

Les mammouths que sont France 2 et France 3 risquent de l'étouffer rapidement.

L'incohérence n'est pas moindre pour RFO. Si vous vouliez intégrer dans votre holding de l'audiovisuel public une chaîne pour moitié étrangère, on ne voit pas pourquoi refuser d'y inclure une société bien française comme RFO, qui rayonne sur les DOM-TOM. C'est une demande exprimée par nombre d'élus de l'outre-mer et à laquelle il faut répondre clairement. Et je ne crois pas que l'accord privilégié entre RFO et France Télévision, dont vous nous avez parlé, réponde à cette attente.

Un mot sur la baisse du volume de la publicité sur France Télévision. Le souci affiché par le Gouvernement est de faire en sorte que la télévision publique, moins contrainte par la publicité, privilégie la qualité et l'originalité des programmes. Mais cette diminution sera assez peu perceptible par le téléspectateur. D'autre part, dès lors que la publicité restera présente sur les antennes publiques, celles-ci devront de toute évidence continuer d'avoir des comportements apparentés à ceux des chaînes commerciales. Seule la suppression totale de la publicité, comme sur la BBC, permettrait de créer une télévision de service public vraiment originale. Mais cela ne saurait se faire avec autant de chaînes publiques : là aussi, il eût fallu faire des choix. Je pourrais également vous demander pourquoi votre projet de loi est muet sur la télévision locale alors que c'est une attente forte des téléspectateurs.

M. le Président - Veuillez conclure.

M. Rudy Salles - L'arrivée du numérique hertzien aura des conséquences positives sur le développement des télévisions locales. Plusieurs projets existent : la société M6 demande qu'on lui accorde une coupure publicitaire pour produire des programmes locaux ; de son côté la PQR projette de réaliser une syndication. La PQR, aujourd'hui en difficulté, cherche à diversifier son image. Nous devons tout faire pour permettre le maintien d'une PQR forte et élargie vers des supports complémentaires. Votre présence en commission nous aurait permis de connaître votre point de vue sur cette importante question.

Nous attendons sincèrement des éclaircissements quant aux intentions du Gouvernement sur ces différents points, car votre projet s'apparente davantage à du bricolage qu'à un grand chantier (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Je vous demande d'excuser la sévérité de mes propos, mais le fond de vos propositions et la forme de leur présentation à notre Assemblée nous paraissent inadaptés aux enjeux. C'est pourquoi nous attendons des réponses claires, et surtout nous souhaitons un débat attentif (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme Catherine Tasca - En modifiant la loi sur la liberté de communication, nous devons aujourd'hui poursuivre deux priorités : réaffirmer le rôle du service public audiovisuel et participer à l'émergence de la télévision numérique hertzienne. J'aborderai trois points : la mission propre du secteur public audiovisuel, la place de la Cinquième et le développement du numérique.

Depuis le début de la discussion sur ce texte, la géographie de la future holding France Télévision a considérablement évolué. On est parti du rêve de quelques-uns, vite abandonné heureusement, d'y rassembler la totalité de l'audiovisuel public de Radio France à France 3 en passant par RFO ; dans une étape intermédiaire on y mettait France 2, France 3, la Cinquième et la Sept-Arte. A mon sens, la défection récente de cette dernière n'était inévitable ni juridiquement, ni diplomatiquement et, si elle a été voulue par ses dirigeants français et allemands, je ne suis pas sûre qu'elle soit profitable à l'avenir d'Arte. Elle n'est en tout cas guère compréhensible si cette chaîne se situe toujours dans le projet global de l'audiovisuel public.

Reste à fonder clairement, à partir de son nouveau périmètre, les missions et les moyens de la nouvelle structure publique. Pour ce faire, nous devons d'abord réaffirmer notre volonté. Elle n'est pas de combattre frontalement le bloc audiovisuel privé et pas davantage de le concurrencer sur les mêmes terrains, mais de rééquilibrer l'offre télévisuelle française par un bloc public fort, dynamique et identifiable. Nous ne sommes pas toujours assez clairs sur cet objectif, qu'il faut rappeler aujourd'hui, sans ambiguïté, car c'est lui qui donne sens à ce texte. Les chaînes publiques et privées participent certes du même « marché » de la production, des programmes ou de la publicité ; il ne faut pas oublier pour autant l'objectif spécifique du secteur public, qui est d'offrir une alternative au secteur commercial. Pour chacun, il n'est pas nécessaire que ce choix soit exclusif ou dominant : il suffit qu'il reste toujours présent. C'est bien en cela que votre projet et notre vision de l'avenir se séparent radicalement des perspectives défendues par M. Dominati.

Dès lors, l'ancrage solide de la Cinquième dans le groupe audiovisuel public est indispensable. Cette chaîne est un atout encore modeste, mais qui mérite d'être renforcé ; elle a su trouver un ton, des publics, des thèmes qui manquaient à la palette du secteur public et dont chacun perçoit l'utilité. J'espère que la fin de sa brève liaison avec la Sept-Arte ne l'affaiblira pas et lui ouvrira des perspectives de développement au sein de la holding. La création de la présidence commune il y a près de dix ans avait amorcé entre France 2 et France 3 un rapprochement que j'espère irréversible, alors qu'auparavant elles s'ignoraient et se combattaient. L'avenir de la Cinquième devrait conforter cette cohérence du secteur public.

A l'article 2 du projet, la commission des affaires culturelles a adopté un amendement faisant de la Cinquième une société de programmes à rang égal avec les autres sociétés de France Télévision. J'espère que le Gouvernement souscrira à cette démarche. Nous resterons vigilants sur l'avenir de cette chaîne au sein de France Télévision : le service public doit s'adapter à l'évolution sociale et à la demande de savoir, et il n'y a aucune raison de laisser au secteur privé le monopole de l'innovation.

L'audiovisuel public que nous défendons n'est pas celui d'hier, mais celui de l'avenir. C'est notamment celui des nouveaux espaces du numérique, qui doit faire partie intégrante de notre modèle de développement du secteur public. Grâce à lui, l'audiovisuel de demain offrira à tous un accès à la société de l'information et aux chaînes thématiques, donc plus de liberté et d'égalité. France Télévision doit avoir un rôle d'impulsion dans le développement du numérique et d'une offre gratuite.

Le projet de loi et les derniers amendements, notamment à l'article 20A du texte conjuguent l'attribution prioritaire de fréquences aux chaînes publiques, une place pour les opérateurs privés déjà installés, et une ouverture aux nouveaux entrants, parmi lesquels les télévisions locales et associatives. La mise en _uvre du dispositif risque d'être difficile. Le texte laisse, en effet, toute latitude au CSA pour la répartition des fréquences numériques sans poser de règles quant à l'étendue géographique et au calendrier de ces attributions, qui peuvent pourtant être décisifs pour le succès ou l'échec de cette activité nouvelle. L'Etat ne peut-il dessiner plus précisément sa vision à long terme dans ce secteur ?

Par ailleurs l'avenir de la télévision numérique passe par la diversité des contenus. C'est par sa participation à la création, donc à la production, que l'audiovisuel public remplira son rôle. Dans le contexte européen et mondial, la production est un enjeu essentiel. Sans elle, le service public n'aurait plus de raison d'être. Je constate avec plaisir que France Télévision relève activement ce défi. Mais la compétition des contenus appelle des moyens financiers importants. Afin que la production française puisse égaler celle de nos voisins anglais et allemands, le projet de loi apporte des réponses intéressantes. Ainsi l'article 2 permet à France Télévision de créer des filiales pour financer de façon indépendante le développement et les programmes du numérique.

Ce débat doit être l'occasion pour l'Etat actionnaire de prendre des engagements forts concernant le financement de l'audiovisuel public. Cette question est cruciale à l'heure où vous avez, très justement, restreint le recours à la publicité sur les chaînes publiques, cependant que le CSA accroissait de son côté les possibilités de publicité sur les chaînes privées : double aubaine pour celles-ci. Cela éclaire d'un jour particulier le débat récemment resurgi sur l'éventuelle suppression de la redevance. Fort heureusement l'idée semble abandonnée. Cette suppression ne serait pas seulement incohérente avec l'article 6 qui prévoit enfin le remboursement intégral des exonérations ; ce serait doublement une erreur, d'abord parce qu'il n'y a aucune chance de compenser durablement au budget cette perte de ressources, ensuite parce que, symboliquement, c'est une part d'indépendance que les téléspectateurs, par la redevance, assurent à l'audiovisuel public.

Pour celui-ci, l'ère du numérique est une chance. Il faut lui donner les moyens de la saisir : ce n'est certes pas le moment de l'affaiblir face à l'opulence de l'audiovisuel privé, que ce soit en réduisant ses ressources ou en l'amputant d'une chaîne comme le suggère la droite. Assurons-lui plutôt des dotations à la hauteur de nos ambitions nouvelles. Souhaitons que cette deuxième lecture vous y aide, Madame la ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Frédérique Bredin - Les Etats généraux de l'audiovisuel se sont réunis hier au théâtre national de Chaillot. Rassemblant tous les acteurs de la création télévisuelle, ils nous ont adressé un message que nous devons entendre. Ils protestent contre l'état de l'audiovisuel français, et avancent des propositions. Tout d'abord l'unanimité s'est faite pour réaffirmer les missions du service public ; le présent projet essaie d'y répondre. Ensuite ils demandent au Gouvernement de s'engager dès aujourd'hui à accroître massivement l'ensemble des ressources de la télévision, à permettre la création de nouvelles chaînes, à contribuer au règlement de tous les problèmes sociaux, à assurer le financement normal par les chaînes de la production d'_uvres audiovisuelles.

Ces Etats généraux sont un véritable signal d'alarme pour les pouvoirs publics, à commencer par le Parlement. Mais ils ne se veulent pas seulement un bureau de doléances : ils sont une force de propositions économiques, sociales, politiques et culturelles. Notre responsabilité est d'y répondre. En première lecture, Madame la ministre, vous aviez déjà clarifié les missions du service public. Vous avez proposé de créer une structure du service public capable, par ses synergies, d'accroître sa place dans le paysage audiovisuel, face à un secteur privé en pleine restructuration et en pleine croissance capitalistique, et dans un monde où s'imposent les enjeux de la mondialisation.

Vous avez surtout proposé de modifier les clés de financement du service public et il s'agit d'un point essentiel car derrière les enjeux financiers se cachent des enjeux culturels. Réduire la publicité, ce n'est pas seulement mettre un terme aux tunnels publicitaires ; c'est aussi se détourner de la logique mercantile qui conduit à la quête obsédante de l'audimat, afin de sauver la dimension créative de la télévision française ; c'est concourir à en faire un lieu de connaissance et de culture, en sachant que les Français la regardent en moyenne quatre heures par jour. La recherche de la qualité des programmes doit être placée au c_ur des enjeux du service public de l'audiovisuel.

En première lecture, plusieurs dispositions ont été discutées en vue de renforcer les sources de financement du secteur public. Il ne s'agit pas seulement de compenser les pertes de recettes publicitaires. En effet, en matière audiovisuelle, la qualité coûte cher et si la production nationale est sous-développée -seulement 600 heures de fictions produites chaque année- c'est d'abord parce quelle est sous-financée. La paupérisation progressive du secteur public, dans un contexte hautement évolutif, conduit à sa mort lente, dont je sais que beaucoup ici, et M. Dominati a le mérite de ne pas le cacher, se réjouissent.

M. Laurent Dominati - Je souhaite l'inverse !

Mme Frédérique Bredin - Mais cette deuxième lecture va plus loin et il y a tout lieu de s'en réjouir. Elle ouvre, à travers le numérique hertzien, des perspectives considérables à l'audiovisuel français en général et au secteur public en particulier. Je ne cache pas mon optimisme car pour peu que l'on sache s'y prendre, il y a là une chance historique : trente canaux supplémentaires pour la production et la création françaises, la possibilité de mettre en cause la situation monolithique du paysage audiovisuel français, l'occasion de donner un nouvel élan au service public de notre pays.

Mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire de réunir certaines conditions pour réussir l'ère du numérique hertzien et associer cette nouvelle logique technologique à celle de la création française et à celle de la qualité des programmes offerts au public. A l'heure où l'on parle beaucoup d'éducation, intéressons-nous au contenu de ce qui constitue pour beaucoup d'enfants la « deuxième école » et la première pour certains !

Plutôt que de se hasarder à prévoir ce que sera l'audiovisuel dans dix ans, concentrons-nous sur quelques principes de base. Le numérique hertzien doit signifier l'ouverture sur de nouveaux programmes, sur de nouveaux diffuseurs et sur de nouvelles formes de télévision.

En matière de programmes, il constitue une véritable chance pour la création et la production françaises, qui doivent prendre le pas sur la « multiprogrammation » des mêmes émissions. Il doit permettre de multiplier les heures de fiction, les programmes éducatifs et culturels en direction des jeunes.

Pour ce qui concerne les diffuseurs, il doit permettre à de nouveaux entrants de se faire une place afin de diversifier l'offre. S'agissant enfin des nouvelles formes de télévision qu'a décrites M. Françaix, il permet d'envisager le développement de télévisions alternative, associatives ou locales.

Autre condition essentielle de réussite, le numérique hertzien doit être réservé en priorité au service public : sur trente canaux, une large place doit être donnée à celui-ci, au développement de ses créations et de ses propositions thématiques.

Mais le problème essentiel reste celui du coût. Pour le privé, faut-il ouvrir le numérique hertzien à de nouvelles sources publicitaires ? Il ne peut s'agir, nous en sommes d'accord, ni du livre, ni du cinéma mais pour ce qui concerne le secteur de la distribution, et en liant cette ouverture au développement du numérique, la question reste ouverte. Cela relève, Madame la ministre, de votre pouvoir réglementaire et non des prérogatives du CSA. Pour le public, le développement du numérique hertzien appelle un effort financier sans précédent, qui soit à la mesure de l'enjeu de société qu'il représente, car en dépit des affirmations réitérées des députés de droite, la télévision publique est pauvre. Un milliard de francs est nécessaire, Madame la ministre, pour relever la chance historique que représente le numérique hertzien pour le secteur public e l'audiovisuel.

M. Laurent Dominati - La cagnotte !

Mme Frédérique Bredin - Nous comptons sur vous, Madame la ministre, pour que l'entrée dans l'ère du numérique hertzien soit une grande date pour la création française et un moment historique dans l'histoire du service public, qui est le patrimoine commun de tous les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Marcel Rogemont - L'actualité de cette deuxième lecture tient essentiellement à la présentation par le Gouvernement de son texte visant à relever le défi du numérique terrestre. Vous en aviez, Madame la ministre, pris l'engagement. Vous l'avez tenu et nous vous en savons gré. Relever le défi que représente le numérique hertzien aura une conséquence économique immédiate, celle de dynamiser le marché de l'équipement audiovisuel. Parmi les conditions du succès, il y a bien sûr des aspects matériels élémentaires : pas d'installation de nouvelles antennes de réception, possibilité de recourir à la portabilité, extension d'une offre télévisuelle gratuite et forte, afin que chacun puisse en profiter et que son développement ne conduise pas à la multiplication des chaînes payantes.

Mme Catherine Tasca - Très juste !

M. Marcel Rogemont - Mais l'enjeu essentiel de cette offre supplémentaire est celui des contenus. Le numérique terrestre doit amener une télévision citoyenne, plus ouverte sur les réalités locales. Votre texte l'affirme et je m'en félicite. S'agissant des contenus, deux actions complémentaires doivent être menées de front : il faut d'abord permettre à de nouveaux éditeurs de services d'entrer dans le paysage audiovisuel afin de réduire la multiprogrammation des émissions d'une chaîne phare et d'empêcher les concentrations excessives ; la création audiovisuelle doit ensuite être encouragée. A-t-on fait suffisamment en ce domaine ? La voix de ceux qui demandent des efforts supplémentaires doit être entendue et ce texte leur apporte déjà des éléments de réponse significatifs.

S'agissant du renforcement du secteur public, vous avez, Madame la ministre, fait plusieurs annonces importantes qui tendent à conforter ce domaine essentiel car plus de télévision doit aller avec plus de création audiovisuelle et donc plus d'incitations. Les 500 millions que vous avez annoncés vont dans ce sens.

En matière de télévision locale, nous devons rester vigilants car la loi de 1982 -entamée par celle de 1986- prévoyait déjà son éclosion. Tout dépendra des formes que prendra l'accompagnement du développement d'un service public local de télévision. Pour ne prendre que les chaînes locales du câble, moins de soixante chaînes sont conventionnées par le CSA et une dizaine seulement produit chaque jour un journal télévisé local. Permettons leur de venir sur le numérique afin de conforter les initiatives existantes, auxquelles viendront s'ajouter les télévisions associatives locales.

Ne peut-on favoriser l'éclosion du local et, là où il existe, le conforter en posant la question de son financement que le recours à la syndication publicitaire ne peut couvrir dans son entier ? Peut-on envisager d'autoriser un financement public local pour un service public local ? Le Sénat avait adopté sur ce point un amendement sur lequel nous pourrions revenir avant d'arrêter notre position. Tous ces éléments nous indiquent clairement que l'existence et le développement des télévisions locales reposent sur nos décisions d'aujourd'hui et sur la vigilance dont nous saurons faire preuve demain. Je souhaiterais, Madame la ministre, vous entendre à nouveau sur ce sujet car, au-delà de vos déclarations, la question des conditions de mise en _uvre et de financement des télévisions locales reste posée.

Pour conclure, je tiens à vous remercier pour votre ténacité qui va permettre à notre pays de relever le défi du numérique hertzien. Certains, que je vois aujourd'hui sur ces bancs, n'y croyaient pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je souhaite d'abord revenir sur les propos erronés qu'ont tenus MM. Salles et Douste-Blazy (Protestations sur les bancs du groupe UDF). Mme Trautmann était à la disposition de la commission...

M. Olivier de Chazeaux - Ce n'est pas ce que vous avez dit en commission !

M. le Président de la commission - Ce point relève de mon entière responsabilité et je l'assume : si vous m'aviez, Monsieur Salles, posé la question, je vous aurais répondu.

M. Rudy Salles - C'est faux !

M. le Président de la commission - J'ai en effet considéré qu'après le travail remarquable effectué par votre rapporteur, en liaison constante avec Mme la ministre, (Interruptions sur les bancs du groupe UDF et du groupe du DL) qu'après les auditions ouvertes à l'ensemble des commissaires, après l'examen du texte en commission qui a duré plus de huit heures -dois-je rappeler que nous avons passé une heure et demie sur un seul amendement ?- j'ai considéré que notre débat était bien préparé...

M. Olivier de Chazeaux - Vous auriez pu, Monsieur le Président, vous passer de cette intervention, pour le moins maladroite.

M. le Président de la commission - J'assume mes responsabilités. C'est en toute honnêteté que j'ai fait cette mise au point qui me paraissait indispensable.

Je félicite encore une fois le rapporteur et l'administration de la qualité du travail réalisé et de la diligence mise afin que le rapport soit publié assez tôt.

Face aux mutations accélérées des technologies à l'origine, vous avez raison, Monsieur Dominati, d'une véritable révolution, il nous faut à la fois faire preuve d'humilité et, « mettre un bonnet rouge au dictionnaire ». Un retour au politique s'impose : pluralisme, citoyenneté -cet imaginaire social dont a parlé le rapporteur-, vulnérabilité sociale, lutte contre les discriminations mais aussi créativité doivent être les maîtres-mots qui nous guident.

Je ne reviens pas sur ce qui a été décidé en première lecture quant à la création de la holding. Nous reviendrons au cours de cette deuxième lecture sur l'affectation des canaux, les ressources nécessaires au secteur public pour remplir ses missions de service public. Nous aurons également un débat sur les opérateurs historiques comme TF 1, M6, Canal Plus... et les canaux supplémentaires, vraisemblablement au nombre de quatre. Une certaine souplesse sera nécessaire dans leur affectation, le rapporteur aura l'occasion d'y revenir.

Le secteur public va bénéficier d'une dotation exceptionnelle.

Mme Frédérique Bredin - D'un milliard !

M. le Président de la commission - Nous souhaitons, comme Mme Bredin l'a demandé dans son intervention, que cette somme soit affectée au capital de la holding, dès sa création. Nous espérons, Madame la ministre, une réponse précise sur ce point.

Pour ce qui est de la redevance, suivre les propositions de M. Schwartzenberg constituerait une grave erreur. Seule la redevance garantit la pérennité et l'autonomie du secteur public. Certes, cette dépense de 751 francs peut poser des problèmes à un foyer modeste. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement visant à la mensualiser.

M. Olivier de Chazeaux - Il fallait la supprimer. Le Gouvernement en a les moyens.

M. le Président de la commission - Nous reconnaissons que le téléspectateur est un citoyen de plein droit, libre de choisir son programme -il disposera de près de quinze chaînes en clair avec le numérique hertzien terrestre- et de changer de chaîne s'il n'est pas satisfait.

S'agissant de l'offre de services, il faudra trouver un espace de proximité pertinent pour les décrochages. Il y va de l'exercice de la citoyenneté mais aussi de l'aménagement du territoire par exemple. Les chaînes de services sont appelées à se développer. Dans le Nord-Pas-de-Calais, la région est prête à négocier avec le secteur public la création d'une chaîne interactive consacrée à l'emploi, à la santé... Une telle chaîne compléterait les services offerts par Internet.

Pour ce qui est de la création, les chiffres parlent d'eux-mêmes : 600 heures de créations de fiction par an en France contre 1 300 en Grande-Bretagne et 2 000 en Allemagne. Vous avez annoncé, Madame la ministre, que seuls les droits d'antenne seraient décomptés des obligations de production des indépendants. C'est une étape essentielle qui permettra à ces derniers de constituer un catalogue, commercialisable sur un second marché. Est-ce suffisant ? Comment dépasser la contradiction entre la nécessité d'une industrie de programmes, au risque de tirer les productions vers le bas, et le développement de productions de qualité, respectueux du pluralisme et favorisant l'exercice de la citoyenneté. Il n'existe pas de réponse toute faite...

M. Laurent Dominati - Si, la liberté !

M. le Président de la commission - Si tel était le cas, cela se saurait. Ce n'est qu'une conception parmi d'autres, Monsieur Dominati.

Il nous faudra changer les termes du problème, lui trouver une autre approche : la volonté s'en fait jour. Finissons-en avec une vision figée, trop centrée sur nous-mêmes. La créativité peut être déconcentrée, pour son plus grand bénéfice. Beaucoup de régions, dont la mienne, ont considéré que certaines difficultés économiques pouvaient être dépassées aussi par la création culturelle. N'est-ce pas l'occasion de mettre en valeur l'espace de déconcentration que nous appelons de nos v_ux et de dépasser la contradiction que j'énonçais tout à l'heure ? C'est un problème de fond qui trouvera des solutions non dans les mots, mais dans la pratique.

Permettez-moi enfin à cette heure un trait d'humour. Claudel écrivait dans son Journal qu' "en compagnie d'un saucisson à l'ail, on n'a jamais l'impression de solitude » (Sourires). Si nous savions, mes chers collègues, rechercher davantage la simplicité et la compréhension mutuelle dans nos débats, parfois jugés bien ésotériques et redondants, je ne sais si nous ferions _uvre créative mais à tout le moins, cela permettrait de faire avancer la réflexion (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication - Je remercie tous les orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale. Tous ont retracé les grands enjeux de ce texte et rappelé l'importance du dispositif proposé par le Gouvernement pour accompagner le passage au numérique hertzien terrestre.

Je ne reviens pas sur ce qu'ont dit MM. Cuvilliez, Françaix, Mamère, Rogemont ainsi que Mmes Bredin et Tasca sur les conditions nécessaires à la réussite de notre projet et l'intérêt d'ouvrir le numérique hertzien terrestre aux télévisions locales et associatives.

M. Schwartzenberg a évoqué le problème de la redevance. Comme l'ont souligné Mme Tasca et le président Le Garrec, cette ressource est indispensable à l'audiovisuel public. Représentant 66 % de ses ressources totales, elle progresse spontanément et régulièrement d'environ 400 millions par an, si bien que le Gouvernement n'a pas eu à en relever le taux hors inflation.

La redevance, qui présente un caractère forfaitaire, ne fait pas partie des prélèvements obligatoires et les Français ne sont pas forcément prêts à acquitter des sommes aussi importantes que les téléspectateurs anglais ou allemands, comme le suggèrent certains. Cela dit, en supprimant la redevance, la France irait à contre-courant de l'évolution des services publics audiovisuels les plus performants en Europe. La force de la production allemande est souvent citée en exemple.

Si nous voulons accroître les capacités de production de notre service public audiovisuel, il faut absolument préserver la redevance. Nous n'oublions pas, Messieurs de l'opposition, que les budgets des chaînes publiques n'avaient cessé de diminuer et le recours aux ressources publicitaires d'augmenter lorsque vous étiez au pouvoir. Pour notre part, nous avons réduit la publicité pour redonner leur identité aux chaînes publiques. Voilà pourquoi je plaide en faveur du maintien de la redevance, qui représente 13,2 milliards, et d'un financement équilibré associant celle-ci à des ressources budgétaires et à des recettes publicitaires moins importantes que par le passé. En augmentant les moyens budgétaires pour compenser les exonérations de redevance, cette loi garantira un équitable profit au service public.

Selon M. Kert, seule l'opposition aurait réclamé le passage au numérique hertzien terrestre. Dois-je lui rappeler qu'en première lecture le rapporteur a fait adopter, avec le soutien du Gouvernement, un amendement qui nous permet de légiférer sur ce point ?

Je partage l'opinion de M. Cuvilliez selon laquelle nous devons profiter de cette ressource nouvelle, pour offrir une majorité de chaînes gratuites et de programmes diffusés en clair à un public très large. Pour la réaffectation des fréquences actuellement dédiées à la diffusion analogique et qui seront libérées, vous proposez de donner la priorité à l'audiovisuel public. Nous avons le temps d'y réfléchir mais je partage votre souci que ces fréquences soient mises au service de la communication.

M. Dominati ne change pas ! Il martèle constamment avec une certaine force les mêmes arguments. Mais précisément, contrairement à ce qu'il dit, la loi que je propose fait confiance aux entreprises publiques de l'audiovisuel, au dynamisme des opérateurs privés, à tous les porteurs de projets de télévision citoyenne. Mais quand vous rêvez à l'audiovisuel public, Monsieur Dominati, c'est pour vous un cauchemar. Vous suggérez de privatiser France 2 pour sauver ce qui reste. Ce reste, voilà ce qu'est pour vous le service public, dont vous voulez définir plus étroitement les missions afin de mieux l'encadrer, autrement dit de l'affaiblir. Je ne partage pas du tout votre vision. De surcroît, vous dressez un constat des faiblesses du service public sans proposer de solutions pour y remédier. Comment, dans ces conditions, pourrions-nous trouver un consensus ?

M. Françaix a fait, quant à lui, un plaidoyer vibrant en faveur des télévisions locales. Je l'en remercie car le Gouvernement considère comme lui que le développement des télévisions alternatives profitera à la démocratie. Montrer la diversité de notre société, de nos territoires, de nos cultures, est une démarche qui authentifie le projet du service public. La télévision est un moyen de communication entre les hommes. Ouvrir les fenêtres peut lui permettre de jouer son rôle de cohésion sociale.

A propos de ce projet, M. Martin-Lalande a parlé de feuilleton. Personnellement, je préfère que nous débattions aujourd'hui d'un texte amélioré plutôt que d'essuyer les critiques que vous m'avez adressées en première lecture, en reprochant alors de ne pas parler du numérique hertzien. Aujourd'hui, vous voudriez rattacher à ce projet la future loi sur la société de l'information. Demain, vous formulerez d'autres exigences. Bref, ce sont là des arguments dilatoires peu convaincants.

Dans le discours du Premier ministre auquel vous avez fait allusion, Monsieur Mamère, il est question de rééquilibrer les recettes publiques, mais non de supprimer les recettes publicitaires.

Selon M. Salles, ce projet est de nature à décourager les PDG les mieux disposés et les personnels. Or, le PDG de France Télévision, son équipe de direction et le personnel sont très motivés par le passage au numérique hertzien. Quant aux animateurs de télévision, ils ont décidé de rester fidèles au service public, même après avoir fait l'expérience des télévisions privées (Exclamations sur les bancs du groupe DL).

M. Cuvilliez a aussi parlé de la compatibilité des décodeurs, dont la loi pose le principe. L'usager doit recevoir toutes les chaînes payantes avec le même décodeur.

M. Martin-Lalande a évoqué les liens entre la télévision numérique de terre et Internet. Pour la télévision, nous sommes dans une logique de diffusion de masse alors que la fréquentation du Net ne concerne que quelques millions de personnes. Nous nous efforcerons de rechercher une complémentarité entre le satellite, le câble et le numérique de terre. Démocratiser la télévision qui informe et distrait, reste notre objectif.

Plusieurs questions m'ayant été posées concernant le financement, je voudrais dire à MM. Le Garrec, Mathus et Françaix, à Mmes Tasca et Bredin, à M. Cuvilliez que je partage leur conviction que le service public doit être doté de moyens correspondant à l'ambition que nous plaçons en lui. Le chiffre qui a été cité à propos de la dotation spécifique correspond à l'évaluation faite par le Gouvernement et à l'effort qu'il est décidé à consentir : nous sommes bien dans un ordre de grandeur d'un milliard, étant entendu qu'il faudra affiner les choses au vu des projets numériques qui seront arrêtés dans quelques mois, après examen attentif des propositions des chaînes. Cet engagement se concrétisera avant la fin de l'année, au moment où le groupe sera constitué (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

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MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement.

M. Pierre-Christophe Baguet - Il y a dix mois, l'Assemblée nationale examinait en première lecture un projet de loi relatif à la liberté de communication, qui devait faire entrer notre pays dans l'ère de l'audiovisuel du futur. D'ajournement en coup de théâtre, de rebondissement en lettre rectificative, vous nous présentiez enfin, Madame la ministre, un projet qui, faute de nous convaincre, avait au moins le mérite d'exister. C'est lui qui nous revient aujourd'hui en deuxième lecture et je vais tenter de vous convaincre qu'il doit retourner en commission, pour être enfin étudié au fond, et ce pour huit motifs.

Premier motif de renvoi en commission : il nous est demandé de débattre en deuxième lecture d'un projet dont la première lecture remonte à dix mois, qui a été profondément modifié au Sénat en janvier dernier, puis en commission il y a quinze jours, au point que l'on peut légitimement se demander si nous parlons bien du même texte. Les préoccupations d'alors sont très éloignées de celles d'aujourd'hui. En première lecture, nous avions parlé de la réduction de temps de publicité sur le service public et de ses conséquences, du financement du service public, du remboursement des exonérations de redevance, de la construction d'une holding, des missions de service public... Aujourd'hui, de quoi parlons-nous ? De développement du numérique terrestre, d'attribution de multiplexes, de « simulcast », de « must carry », de responsabilité des hébergeurs de sites Internet, de contrôle des sociétés de droits d'auteur par la Cour des comptes... Bref, de sujets complètement différents.

D'ailleurs, le rapport ne dit pratiquement rien de ceux de la première lecture, qu'il s'agisse de la composition de la holding, des pouvoirs du CSA ou de la nomination du président de France Télévision.

Force est de constater que nous devons débattre aujourd'hui d'un texte complètement réécrit, à la faveur de 52 amendements gouvernementaux que notre rapporteur a découverts la veille de leur passage en commission et l'opposition le jour même. Vous avez de la chance, Madame la ministre, d'avoir trouvé en M. Mathus un tel funambule... capable en plus de travailler la nuit. J'ajoute que la commission n'a pu procéder qu'à trois auditions préalables, qui se sont d'ailleurs révélées très frustrantes.

Deuxième motif de renvoi en commission : vous n'étiez pas là, Madame la ministre, pour présenter vous-même à la commission les propositions du Gouvernement sur le numérique. Vous avez pourtant trouvé le temps de les présenter au groupe majoritaire de cette Assemblée et d'exposer à un grand quotidien du soir les raisons de vos choix. Nous aurions aimé les connaître autrement que par personne interposée. M. Le Garrec vient de nous dire que vous n'êtes pas venue parce qu'il ne vous avait pas invitée, mais cet aveu ne nous convainc pas tout à fait. Je ne pense pas non plus que vous vouliez ridiculiser le Parlement. Je crois plutôt que vos combats avec vos collègues de l'industrie et des finances se sont poursuivis jusqu'au dernier moment.

Troisième motif de renvoi en commission : l'absence d'une étude d'impact, outil pourtant indispensable lors de l'étude de textes techniques. Pourquoi nous en priver alors que vos dispositions sur le numérique terrestre entraîneront des modifications profondes du monde de l'audiovisuel.

Quatrième motif : la disposition phare de la première lecture, à savoir la création de la holding, se réduit comme « peau de chagrin ». Reconnaissez que le Gouvernement a fort mal géré l'affaire Arte, au risque de déstabiliser l'ensemble de l'architecture du texte, sans parler des relations franco-allemandes ! Par ailleurs, le retrait précipité d'Arte de la holding inquiète les responsables de la Cinquième qui craignent que leur chaîne soit bien petite devant les deux poids lourds que sont France 2 et France 3. Et nul ne sait si RFO entrera ou non dans la holding. L'heure est peut-être venue de demander aux élus de l'outre-mer leur opinion. Cela permettrait de clarifier le débat.

Cinquième motif : l'incertitude concernant les pouvoirs du CSA. Certes, ce texte tente de mieux les cerner et vous affichez l'intention louable de passer du stade de la réglementation à celui de la régulation. Mais vous attendiez-vous à ce que le CSA autorise la publicité à la télévision pour les sites Internet des secteurs de la grande distribution, de la presse et du cinéma ? Cette décision ne vous amènera-t-elle pas à réagir, au risque de passer du stade de la réglementation à celui de l'intervention ?

Sixième motif de renvoi en commission : la réflexion sur la responsabilité civile des fournisseurs d'accès et d'hébergement des sites Internet est à l'évidence inachevée. Certes il est souhaitable, et sans doute urgent, de fixer des règles dans ce domaine mais faut-il pour autant inscrire dans la loi un dispositif qui ne pourra être qu'incomplet, voire inadapté car je ne retrouve pas dans l'amendement de M. Bloche, adopté par la commission, les engagements que la France a pris à Bruxelles en souscrivant à la proposition de directive sur le commerce électronique. Pouvez-vous, Madame la ministre, nous éclairer sur la position finale du Gouvernement sur ce dossier ? Puisque vous nous annoncez un grand projet de loi sur la société de l'information, pourquoi légiférer à ce sujet dans la précipitation et dans le cadre d'une loi relative à la liberté de la communication ? Soit le projet annoncé est bientôt prêt, et il n'y a pas lieu de légiférer maintenant sur ces sujets, soit il n'est pas prêt et ne le sera jamais, et dans ce cas il faut nous le dire.

Notre rapporteur nous explique que l'Assemblée nationale a décidé de combler le vide juridique existant mais que cela ne l'empêchera pas de réexaminer cette question dans le cadre du futur projet de loi définissant un système de régulation d'Internet. Mieux vaudrait y réfléchir sérieusement en commission.

Septième motif de renvoi en commission à l'amendement de M. Charasse sur le contrôle des sociétés d'auteurs par la Cour des comptes. En septembre 1998, Madame la ministre, vous preniez l'engagement solennel devant le congrès annuel de la SACEM de ne pas revenir sur cette question. Aujourd'hui quelle est votre position ? Je propose que l'on retourne devant la commission afin que nous en débattions sérieusement.

Huitième motif : nous ne savons rien du financement. Vous parlez de 1,6 milliards mais pour quoi faire ? Pour combler le manque de recettes publicitaires ? Pour compenser les exonérations de redevance ? Ou pour financer le surcoût du numérique terrestre ? Il est inconcevable que le dispositif que vous proposez sur le numérique hertzien ne soit pas chiffré. Vous renvoyez la discussion à la loi de finances pour 2001 mais que de temps perdu d'ici là ! Comment le service public pourra-t-il anticiper sur les recettes supplémentaires nécessaires ? Envisagez-vous d'augmenter la redevance ? Vous avez dit que non mais un amendement adopté en commission tendant à permettre sa mensualisation nous fait craindre que son augmentation devienne indolore.

Nous resterons vigilants sur le respect de vos engagements. A propos du numérique, nous sommes très choqués par l'absence de référence au DAB pour la radio.

Madame la ministre, nous voulons continuer à enrichir ce texte. C'est pourquoi j'invite l'Assemblée à voter la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Président - Je suis saisi de plusieurs demandes d'explication de vote.

M. Jean-Marie Le Guen - L'opposition utilise toutes les motions pour s'exprimer. C'est bien normal. Mais cette procédure routinière nous fait parfois oublier ce qui a été dit précédemment. Or en première lecture, le principal argument de l'opposition pour demander le renvoi en commission était l'absence de disposition sur le numérique hertzien. Précisément, le Gouvernement répond aujourd'hui à cette préoccupation.

De façon systématique également, l'opposition voulait que ce projet traite de toutes les questions liées à l'audiovisuel et à la société de l'information. Restons concrets. Nous ne réglerons pas tout, mais ce qui peut l'être maintenant.

A propos de la redevance, je suis de ceux qui pensent qu'il est fondamental de la pérenniser, mais aussi il faudra réfléchir à substituer au prélèvement actuel, qui est injuste une ressource véritablement pérenne pour le secteur public de l'audiovisuel.

Ce texte permet de redéfinir l'audiovisuel public et d'avancer considérablement sur le numérique hertzien. Il est tout à fait opportun. Je vous invite donc à rejeter la motion de renvoi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Laurent Dominati - Monsieur Baguet a raison. Le numérique hertzien est important, même lorsque le Gouvernement dépose 53 amendements à ce sujet à la veille d'une réunion de commission, c'est son président, c'est le rapporteur, c'est la majorité elle-même qui devraient demander le renvoi en commission.

En outre, il n'y a pas eu d'étude d'impact et se pose la question du financement. Lors du dépôt de la première version du texte, le groupe socialiste refusait de voter ce « cadeau aux chaînes privées ». Un amendement « Daladier-Trautmann » sur le remboursement des exonérations de redevance avait fait passer le texte -alors que seule compte pourtant la loi de finances ! Arrive la deuxième lecture. Des personnalités éminentes du groupe socialiste y sont désormais favorables... grâce au jeu du milliard. Alors vive la cagnotte ! Renvoyons en commission, allons jusqu'en cinquième lecture, nous aurons peut-être cinq milliards ! (Rires et exclamations sur divers bancs). En réalité, puisqu'il est question du numérique hertzien, c'est une première lecture qu'il faudrait.

Mme Frédérique Bredin - Vous l'avez assez demandé en première lecture !

M. Laurent Dominati - Oui, nous faisions la liste de tout ce qui manquait.

Un amendement donne satisfaction aux producteurs. Tant mieux. Mais à propos de la création, lisez ce qu'a dit le président de l'USPA -l'Union syndicale de la production audiovisuelle- : « Le modèle français est inefficace et asphyxie créateurs et entrepreneurs ». Et cela, lors de ces assises auxquelles vous avez tous fait référence. Mais en tirer les conséquences, ce serait faire le pari de la liberté.

Quant à la fiction, elle est en crise parce que depuis deux ans et demi vous ne faites rien. Et cela n'a rien à voir avec la redevance, comme vous l'affirmez. L'Allemagne produit 2 000 heures, la France 550 heures de fiction et la différence de redevance est de 25 % ; l'Espagne en produit 850 heures, et elle ignore la redevance. L'industrie de la création audiovisuelle en France est sous-développée.

M. Marcel Rogemont - Nous sommes d'accord.

M. Laurent Dominati - Enfin, un milliard pour la télévision, c'est bien mais il faut aussi penser à la radio, et il faut un milliard pour la presse. Soyez donc généreux !

Renvoyez le texte en commission, pour avoir un peu plus accès à la cagnotte (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Rudy Salles - Nous suivons cette affaire depuis l'hiver 1998. Lorsque vous avez présenté le projet pour la première fois en commission, on sentait le malaise de la majorité. Vous l'avez donc retiré et le Président Le Garrec a coupé court à toute discussion. Il y a un an, nous avons débattu avec vous de la première version du projet pendant deux heures. Nous avons pu parler de la création de la holding, de la diminution de la publicité, nous avons appelé votre attention sur le numérique terrestre.

Aujourd'hui, vous introduisez des dispositions à ce sujet par amendement, presque à la dérobée ; le rapporteur les a reçus la veille de notre réunion de commission. Aussi n'avons-nous pas été trop exigeants avec lui. Il faisait son travail, il ne pouvait pas faire celui de la ministre. Mais franchement, cette question aurait mérité un débat approfondi. Vous l'avez refusé en commission. Ce n'est pas sérieux. C'est pourquoi il nous semble normal de revenir en commission, pour vous poser les questions que nous n'avons pu vous poser ici. Dans cet hémicycle en effet, vous répondez à qui vous voulez et quand vous voulez : en commission on peut aller beaucoup plus au fond des choses. Il n'est pas acceptable de travailler dans ces conditions. Et je remercie M. Baguet d'avoir rappelé qu'à aucun moment, en commission, le président de la commission n'avait dit ce qu'il nous a dit ce soir, et qui est une contrevérité.

Pour ces raisons nous voterons la motion (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, mercredi 22 mars, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 15.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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