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Session ordinaire de 1999-2000 - 76ème jour de séance, 180ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 25 AVRIL 2000

PRÉSIDENCE de Mme Christine LAZERGES

vice-présidente

Sommaire

          NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES (suite) 2

La séance est ouverte à vingt et une heures quinze.

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NOUVELLES RÉGULATIONS ÉCONOMIQUES (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.

M. Christian Cuvilliez - Tout en visant à améliorer les règles de l'activité économique, ce projet de loi passe sous silence le lien entre le capital et le travail. Il se borne à mieux réglementer les relations contractuelles qui s'établissent dans la sphère de décisions des stratégies d'entreprises et il s'emploie à banaliser en droit les mouvements de capitaux.

Il établit des conditions plus strictes pour les modalités de fusion, pour lutter contre la concurrence déloyale ou le blanchiment de l'argent et tend à affirmer les droits des petits actionnaires.

Il propose donc un toilettage des dispositions existantes -ce qui fait hurler le patronat contre l'interventionnisme de l'Etat- mais il aboutit dans le même temps, en huilant les rouages du système, à le conforter.

Monsieur le ministre, à la question concernant la captation du Crédit Commercial de France par HSBC -qu'on l'appelle offre non publique d'achat amical ou offre non publique d'échange librement consentie- quelles réponses apporte le projet de loi, sinon que la COB, le CECEI et tous les organismes habilités seront consultés en vue d'apporter leur agrément à une opération manifestement incongrue, dans sa préparation comme dans son adoption par un quarteron d'olligarques soucieux seulement de la plus-value exorbitante qu'ils comptent réaliser par leur opération de recapitalisation-capitulation de l'entreprise ?

Quelle autorité politique aura fait prévaloir l'éventuelle incompatibilité de cette fusion avec la politique monétaire et financière de la France et celle de la banque centrale européenne ?

Quel effet la loi que nous discutons peut-elle produire sur le mouvement erratique de capitaux nomades détenus par des prédateurs apatrides qui s'entre-dévorent joyeusement en laissant sur le pavé par leurs combinaisons douteuses, qu'elles réussissent ou qu'elles échouent, des populations considérables et considérablement démunies ?

Qu'est-ce que notre loi aurait changé dans les mouvements de concentration entre Renault et Nissan, Samsung et Volvo, Total-Fina et Elf, la BNP et Paribas ou, avant-hier, dans l'intrusion de la Dresdner Bank dans le Crédit Lyonnais ?

M. Alain Madelin - Rien !

M. Christian Cuvilliez - L'ombre de l'AMI, ou de l'OMC continue de planer sur le paysage économique mondial et les « lobbyings » coûteux d'exercer leurs pressions occultes.

Si ce projet de loi, dont notre collègue rapporteur s'efforce de démontrer le caractère novateur tend à corriger certains dérèglements, il aboutit aussi à faciliter les opérations de la place boursière de Paris et à la rendre plus attrayante aux yeux des investisseurs.

De même, la plupart de ses dispositions maintiennent les salariés dans un rôle de spectateur.

Amélioré par le travail en commission ce texte comporte plusieurs dispositions que notre groupe soutiendra, mais il nous faut constater que la logique de financiarisation de l'économie n'y est pas fondamentalement contestée et qu'il égratigne à peine les nouvelles pratiques d'une économie où la mobilité des capitaux devient vertigineuse et où le sens du réel s'évapore.

Ce qui nous est proposé n'est pas un projet politique mais une simple adaptation à la logique spéculative, au détriment des activités sociales, écologiques et humaines qui sont l'expression de la vraie vie.

Depuis deux ans, la coordination pour un contrôle citoyen de l'organisation mondiale du commerce, s'impose comme un acteur du mouvement social. Comme à Seattle, plusieurs dizaines d'organisations du monde entier se sont retrouvées à Boston et à Washington pour que de nouvelles lois de régulation soient édictées, fondées sur un contrôle démocratique des ressources, le respect des écosystèmes, l'égalité, la coopération et le principe de précaution. Ne devons nous pas, à notre niveau et dans notre sphère de compétence, suivre cette voie ?

« Oui à une économie de marché, non à une société de marché » se plaisait à dire Lionel Jospin. Cette ambition n'est pas suffisamment affirmée dans ce texte.

Peut-on s'opposer efficacement à la fièvre ultra-libérale des cercles occultes, où le pouvoir économique s'exerce -soutenu et relayé par les droites politiques qui se recrutent dans les mêmes réseaux- en se bornant à encadrer le développement des marchés financiers ? Nous pensons que non ! Le fonctionnement actuel de l'économie de marché n'est pas le seul modèle possible. On ne peut donc se satisfaire d'en corriger les effets les plus négatifs.

Les parlementaires communistes n'acceptent pas que l'on puisse renoncer à inverser les logiques en cours.

De fait l'économie de marché n'a pas toujours obéi aux mêmes normes. Ainsi le modèle qui prévalait durant les Trente glorieuses était bien différent de la concurrence sauvage que l'on connaît aujourd'hui, dominé par l'économie virtuelle que l'on nous présente malgré ses avatars récents comme la condition de la modernité. Cette concurrence extrême est porteuse d'une logique de guerre économique, pour « tuer »l'adversaire et conquérir des parts de marché, avec tous les dégâts sociaux qui en découlent partout dans le monde.

Pour redonner du sens à l'action politique il faut agir sur les déterminants du système économique et exercer, lorsque cela est nécessaire, une véritable autorité.

Dans le débat sur le contenu des nouvelles régulations, ce sont bien les modalités d'une maîtrise des marchés financiers à l'échelle de la France, de l'Europe et du monde qui sont en jeu. Et certes il faut composer, s'adapter, trouver des compromis. Mais il faut aussi savoir résister et inventer. Et surtout ne pas faire preuve d'un zèle complice lorsque l'on se place à gauche -je pense ici, bien évidemment, à Tony Blair ou à Gerhard Schröeder.

Nous, communistes, estimons qu'il est possible et nécessaire d'engager des réformes structurelles en prenant appui sur toutes ces forces qui sont aujourd'hui en attente d'une alternative au libéralisme. Nos amendements vont en ce sens.

En même temps que nous proposons des dispositions pour sanctionner les spéculations abusives, contenir la croissance financière lorsqu'elle ne s'appuie pas sur celle de l'économie réelle, nous soutenons le développement de la nouvelle économie, dès lors que celle-ci s'articule autour de véritables coopérations de production des biens et services. Dans le domaine des nouvelles techniques d'information et de communication, ne peut-on pas faire en sorte que les coûts de la recherche soient partagés équitablement ?

Au niveau européen, plutôt que de tolérer le dumping fiscal à la mode de Grande Bretagne, il serait possible d'agir pour une harmonisation fiscale ou pour un prélèvement à la source sur les mouvements spéculatifs. C'est dès aujourd'hui qu'il faut favoriser les convergences de ce nouvel internationalisme que notre rapporteur appelle de ses v_ux.

Pour aller dans ce sens, il faut bien sûr être à l'écoute du mouvement social mais aussi faire des entreprises mêmes des lieux où s'affirment la démocratie, avec la participation des salariés aux prises de décisions. Or, à cet égard, le texte est très décevant, alors que les salariés sont systématiquement victimes des conséquences des OPA-OPE. Les assurances qui leur sont données par le texte en matière d'information doivent selon nous être renforcées par de nouveaux pouvoirs d'intervention sur les choix stratégiques de l'entreprise, notamment lorsqu'ils ont des conséquences sur l'emploi ou sur la modification du capital de l'entreprise. Le droit de veto de l'assemblée générale des salariés d'une entreprise à une OPE aurait-il moins de sens que celui des actionnaires ?

Amendé par la commission des finances, ce projet impose la transparence des rémunérations des dirigeants. Certains crient déjà au crime de lèse-majesté, menacent même de s'expatrier ! Par ailleurs, la transparence sur les stock-options a été renforcée par un amendement du groupe socialiste que nous soutenons -en attendant le débat sur l'épargne salariale et l'actionnariat salarié.

D'ores et déjà, je puis vous confirmer que nous jugeons anti-économique le système des stock-options. Ceux qui prônent la rémunération potentielle ou virtuelle comme un élément de la dynamique économique favorisent en fait l'économie de casino. Et on ne peut tolérer que ceux qui insultent les opinions publiques et les victimes de leur mauvaise gestion en préservant leur fortune personnelle, puissent indéfiniment et impunément sévir (« Très bien ! » sur les bancs du groupe communiste).

Le cumul des mandats politiques a fait l'objet d'une campagne homérique, avec le résultat que l'on sait. Mais on ne parle jamais du cumul des mandats économiques. Pourtant, comment peut-on être membre efficace du conseil d'administration de cinq ou six multinationales sauf à y faire légalement du trafic d'influence ?

Imagine-t-on qu'un maire soit en même temps secrétaire général de mairie, que le Premier ministre soit en même temps président de l'Assemblée nationale ? Non, mais on admet que le président d'une entreprise soit aussi directeur général... Nous défendrons donc des amendements visant à dissocier les pouvoirs au sein de l'entreprise.

Sans attendre le débat spécifique sur l'actionnariat salarié, il nous paraît nécessaire de prévoir une présence significative des salariés dans les conseils d'administration.

S'agissant du contrôle des fonds publics accordés aux entreprises au nom de l'emploi, nous attendons toujours de connaître les suites qui seront données à la loi dont le groupe communiste a pris l'initiative.

Le titre IV du projet vise à renforcer la lutte contre le blanchiment des capitaux.

La collusion des intérêts puissants qui sont en jeu dans l'explosion des marchés de la finance hors la loi prend appui sur la mondialisation libérale, les abandons de souveraineté et permet le recyclage de l'argent sale, le vol organisé du travail des hommes et des richesses communes. Pourtant, les gouvernements des grands pays industrialisés pourraient, s'ils le décidaient ensemble, en finir quasiment du jour au lendemain, avec ces paradis bancaires et fiscaux, aujourd'hui en pleine expansion.

L'examen de ce projet doit être l'occasion de prendre en compte le travail réalisé par la mission d'information sur les obstacles au contrôle et à la répression du blanchiment, de la délinquance financière en Europe. Nous avons le pouvoir et le devoir de durcir le texte en la matière. Dans son état actuel, il limite les sanctions aux groupes organisés pour des activités criminelles. Pourtant c'est bien le blanchiment lui-même qui est criminogène. Il doit donc être sanctionné, en lui même et non pas seulement en fonction de ceux qui le pratiquent.

Dans le domaine de la lutte contre le blanchiment comme dans d'autres, l'exemple français pourrait être suivi et faire bouger les choses en Europe.

En juillet, la France va prendre la présidence de l'Union européenne. Le moment est donc venu pour notre Gouvernement de se mobiliser en faveur d'une taxe de type Tobin sur les flux transnationaux de capitaux. Nous pouvons également faire avancer des mesures telles que l'affectation obligatoire d'un pourcentage, calculé sur le montant des investissements externalisés, dans le territoire d'origine ; la fixation d'un niveau de réserve, pour les banques, proportionnel aux placements financiers. Certes, il existe des organismes comme la COB ou le CECEI chargés de veiller à la bonne tenue de ces opérations. Mais n'est-il pas nécessaire que l'Etat s'implique davantage dans le fonctionnement de ces organismes, dont les membres prennent parfois part aux opérations qu'ils sont censés contrôler ?

On peut même considérer qu'exercer un contrôle démocratique sur les autorités qui surveillent les bourses et les marchés, celles qui veillent au respect des règles de la concurrence ou encore celles qui sont les relais ou les instruments de la politique monétaire et du crédit relève de la fonction parlementaire. J'en profite pour rappeler que nous sommes pour la mise en place, au niveau national et européen, d'un nouveau crédit à taux abaissé qui serait affecté à l'emploi et à la formation.

Cette relance sélective du crédit serait de nature à favoriser la construction d'un nouveau cadre de relation entre producteurs et distributeurs de façon à éviter que les PME subissent les diktats de grands groupes, forts de leur puissance financière. Au-delà de l'interdiction de certaines pratiques et de la recherche d'un cadre contractuel, il conviendrait d'agir de manière beaucoup plus décisive sur les déterminants économiques des dominations et des comportements contraires à l'intérêt général.

Nous serons très attentifs au sort réservé à nos amendements sur ce sujet. Cette préoccupation vaut aussi pour la production intellectuelle et artistique, les salles d'art et d'essai faisant ici figure de PME de la distribution face aux consortiums géants qui traitent la culture comme une marchandise et organisent les réseaux de multiplex comme des supermarchés. En proposant la mise en vente d'une carte annuelle qui offre un accès illimité à toutes les séances des salles du groupe pour 98 F par mois, l'UGC a lancé une véritable OPA sur les fauteuils de cinéma (Exclamations sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR). C'est un abus de position dominante.

Nous souhaitons que le projet confirme la possibilité que donne au Gouvernement l'ordonnance de 1986 d'agir sur les prix en cas de crise concernant tel ou tel type de produit agricole. Nous y reviendrons en défendant nos amendements en ce sens.

Permettez-nous enfin de nous interroger sur le sens de la restructuration annoncée à la Caisse des dépôts et consignations : la constitution d'une filiale regroupant l'ensemble des activités concurrentielles de la Caisse et qui aurait le statut de banque privée. Une réforme de cette importance -dénoncée par l'intersyndicale des salariés- nécessiterait l'organisation d'un débat à l'Assemblée car ce sont la structure et le rôle du pôle public financier qui sont ici en jeu.

J'évoquerai pour finir le cavalier gouvernemental concernant la boucle locale. Nous sommes résolument contre son adoption et même contre son examen dans le cadre de ce projet, car il risque de fragiliser France Télécom...

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie - Mais c'est une demande de France Télécom !

M. Christian Cuvilliez - Je dirais même que le maintien de cet amendement nourrirait nos interrogations générales sur un texte dont je viens de souligner les ambiguïtés.

En somme, nous ne nous interdisons pas de voter ce projet si nos amendements sont retenus. S'ils ne l'étaient pas, tout porte à croire que nous nous abstiendrions. Mais si, de surcroît, le texte contribuait à accélérer le démantèlement de France Télécom ou la filialisation des activités jugées rentables de la Caisse des dépôts, nous ne nous interdirions pas de voter contre.

Notre souhait est bien sûr de pouvoir l'approuver ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste ; exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR)

M. Jean-Jacques Jegou - Même si Mme Guigou a reconnu que la commission des finances avait eu peu de temps pour l'examiner, ce texte était annoncé depuis longtemps, et annoncé comme un « plat de résistance ». Il devait, nous promettait-on, faire progresser la régulation financière, assurer l'avenir de la place de Paris, réformer le droit de la concurrence et comporter un volet sur l'épargne salariale. Or nous n'avons qu'un texte de circonstance, comme vidé de son contenu. La première partie se résume presque à tirer les conséquences de la saga de l'été, c'est-à-dire de l'affaire BNP-Société Générale-Paribas et, accessoirement, de l'affaire Elf-Total.

La deuxième, un peu plus substantielle, fait cependant de même de l'affrontement entre producteurs et distributeurs : un rééquilibrage des relations s'imposait certes, mais il ne faudrait pas en rester à des mesures conjoncturelles ! Tout à l'heure, M. Fabius a brossé pour la commission des finances un vaste programme de réformes, à entamer d'ici à la fin de l'année : apparemment, ce projet n'en fait pas partie, comme l'a d'ailleurs relevé M. Madelin !

La troisième partie a le mérite d'exister mais, s'il convenait là aussi de rééquilibrer entre les pouvoirs au sein des sociétés, vous n'allez pas jusqu'au bout de cette logique, faute d'une vision d'ensemble. Enfin, vous avez ajouté en catastrophe quelques articles consacrés au blanchiment, pour calmer les ardeurs intempestives de quelques députés de la majorité...

Au total, au lieu d'un texte révolutionnaire, voici un texte fourre-tout, de portée mineure. La montagne aurait-elle accouché d'une souris ? Notre déception est d'autant plus grande que le volet « épargne salariale » a disparu... Cependant, pour la troisième fois, on nous a promis qu'il serait discuté au sein du Gouvernement en mai, soumis à la commission en juin et débattu ici en même temps que la loi de finances : que de travail en perspective si vous tenez parole ! Il est heureux à cet égard que vous promettiez aussi pour bientôt le retour de l'ordre dans la majorité plurielle -encore que nous venions de voir ce qu'il en était !

Toujours est-il que nous aurions le droit de nous méfier, car vous n'en êtes pas à la première annonce : en octobre dernier déjà, on nous avait gentiment demandé de patienter jusqu'en mars ! Tant que cela reste une question de mois... Cependant, on sait la cause de ce retard : la pluralité de la majorité, tant louée depuis 1997, l'empêche en réalité d'avancer tant elle tourne à la confusion.

Malgré les lacunes de ce projet, l'examen en commission a été relativement long et, quelquefois, laborieux, le rapporteur étant obligé de réécrire certains articles. La commission n'a pas l'habitude de telles imperfections, je tiens à le souligner pour les plumes de Bercy... qui n'en seraient pas responsables !

Compte tenu du caractère divers de ce texte, nous avons décidé, au groupe UDF, de le diviser en trois : mes collègues, Claude Gaillard et Hervé Morin traiteront des deuxième et troisième parties et je bornerai pour ma part mon propos à la première, relative à la régulation financière et au blanchiment.

Cette première partie, souffre, quel que soit le sujet traité, d'un oubli essentiel : celui de l'Europe. Vous ne voyez que notre territoire en ignorant ce dont dépend l'avenir de l'Union européenne : l'harmonisation du droit, et particulièrement du droit fiscal. Quelle sera la validité dans le temps de ce texte, dans ces conditions ? Je vous laisse apporter la réponse, Monsieur le secrétaire d'Etat, mais je crains fort que tout cela ne contribue pas au succès de la présidence française.

La régulation financière qui est proposée ici n'est pas vraiment contestable. Le texte précise les dispositifs existants, dans un souci de transparence et d'efficacité et, dans l'ensemble, le but est atteint. Ainsi, l'obligation de réaliser les transactions portant sur un titre ayant fait l'objet d'une offre publique sur un marché réglementé ou reconnu, est de nature à assurer l'égalité des actionnaires. De même, l'obligation faite à un dirigeant à l'origine d'un projet d'OPA d'exposer son projet industriel et social au comité d'entreprise de la société-cible est une bonne chose. Enfin, les dispositions concernant le CECEI, la COB et le Conseil des marchés financiers permettront certainement d'éviter que ne se répètent les errements de l'été dernier. Je me demande cependant si, pour plus de transparence et pour une meilleure protection des acteurs, nous ne pourrions pas organiser une procédure rapide de consultation du Conseil de la concurrence...

La commission des finances a par ailleurs adopté une disposition permettant l'application du système de « global netting » en France : c'était le minimum pour se mettre au diapason de nos voisins européens mais c'est assez peu et je doute donc de l'ambition dont le Gouvernement fait preuve sur ce chapitre.

S'agissant de la place financière de Paris, rien n'est réglé. Or il y va de l'avenir même de cette place. Depuis le passage à l'euro, le MATIF a été aspiré par Francfort, en raison du poids du mark, et de l'importance des liquidités sur ce marché ; l'Euribor en revanche, est parti à Londres, du fait d'une fiscalité particulièrement attractive, même s'agissant de transactions boursières. A terme, la place financière de Paris n'y survivra pas. Nous souffrons ici aussi d'une fiscalité trop lourde et qui, avec l'impôt de bourse -qui ne rapporte pourtant que deux milliards- nous désavantage par rapport à nos voisins en nous privant de nombreuses transactions.

Bien évidemment, j'ai proposé des amendements pour supprimer cet impôt ou au moins l'aménager. Je n'ai pas grand espoir, mais j'y insiste : il ne s'agit pas là d'un débat entre gauche et droite mais bien de la capacité de Paris à rester une capitale européenne, de notre capacité à garder notre richesse. Tout pas dans la direction que j'indique serait donc salvateur. A défaut, en dépit des efforts désespérés faits par le président de la Société des bourses françaises, il ne restera bientôt plus beaucoup de place pour Paris dans le monde boursier.

Il conviendrait également de régler tous les problèmes d'ordre conceptuel ou technique : sans forcément aller jusqu'à une uniformité des mécanismes, il semble qu'une harmonisation serait la bienvenue, mais nous n'en prenons pas le chemin. Or ce ne sont ni Londres, ni Francfort qui souffriront des différences actuelles, mais bien Paris.

Pour la lutte contre le blanchiment, vous ne tenez pas davantage compte du contexte européen. Pourtant, que sont les frontières pour les capitaux ? Le projet vise à renforcer le système de prévention mis en place par la loi de juillet 1990, en prévoyant par ailleurs un renforcement des sanctions mais cela s'imposait-il dans l'état actuel des droits de nos partenaires ?

Pour ma part, il me semble inutile de tenter de restreindre la capacité de blanchiment sur notre territoire si nos partenaires ne prennent pas des dispositions similaires : les « blanchisseurs » iront chez nos voisins et le problème ne sera que déplacé. Dans la mesure où nous tenons à construire l'Europe, nous ne pouvons pas nous permettre de telles dispositions. Le GAFI demande d'ailleurs que soient abolies les lois et réglementations qui ne participent pas de la lutte internationale contre le blanchiment. Nous prenons, me semble-t-il, le chemin exactement inverse !

Tout progrès dans ce domaine passe avant tout par un renforcement des disciplines que les Etats s'appliquent à eux-mêmes. Il ne s'agit donc pas de sanctionner les intermédiaires financiers comme ce projet y tend : les banques ne sont pas censées devenir des Eliot Ness !

Reconnaissez d'ailleurs que, jusqu'ici, les dispositifs existants ont plutôt bien fonctionné, comme en attestent le nombre des déclarations transmises par les intermédiaires financiers ou celui des transmissions d'affaires à la justice, à l'initiative de TRACFIN.

Ce n'est donc peut-être pas dans le sens d'un alourdissement des obligations déclaratives qu'il faut aller, mais dans celui d'un renforcement des moyens humains capables de traiter de telles affaires, et d'une meilleure coopération entre Etats. Il est inutile de renforcer notre législation, qui est déjà l'une des plus lourdes d'Europe : notre définition légale du blanchiment est une des plus larges, de même que la responsabilité pénale des banquiers. De même nous nous sommes dotés d'outils efficaces : fichier centralisé des comptes bancaires, imprimé fiscal unique, droit de communication de l'administration fiscale sur tous les documents comptables et de services détenus par les banques, inscription obligatoire du nom des propriétaires de toutes les valeurs mobilières. Les résultats dépendent moins du nombre de déclarations que de la capacité des autorités à traiter les affaires. On ne fera reculer le blanchiment que par une politique convergente mise en place simultanément par les différents Etats.

Pour conclure, j'espère que notre débat évitera les excès de la commission des lois. Elle s'est laissée aller à voter des amendements dont l'adoption nous isolerait totalement. Espérons qu'un certain fondamentalisme ne prévaudra pas ici. Sur le texte lui-même, il n'y a pas vraiment lieu de contester les ajustements qu'il propose : ils étaient nécessaires, pour éviter les dysfonctionnements observés il y a quelques mois, et assurer plus de transparence et de communication, mais, sauf si des progrès notoires devaient résulter de nos débats, ce texte se caractérise surtout par ce qu'on n'y trouve pas, et cet avis est partagé jusque dans la majorité. C'est une réforme avortée, qui n'est pas à la hauteur des enjeux. Tout particulièrement, elle oublie l'Europe. Ce n'est pas ainsi que nous ferons de la France un pays moderne.

Le groupe UDF ne peut se prononcer en l'état actuel du texte. On évoque la possibilité d'un durcissement au cours de son examen. Nous verrons qui, dans la majorité plurielle, gagnera cette nouvelle bataille, et ne nous prononcerons donc qu'à l'issue de cet examen Un dernier mot, Monsieur le ministre, en contrepoint aux propos de M. Cuvilliez : comme représentant de la commission des finances à la Caisse des dépôts, je souhaite qu'un amendement du Gouvernemen permette à CDC-Finance d'exister, faute de quoi nous pâtirions dès la fin de l'année de l'absence d'une grande banque d'investissement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Michel Suchod - Nous sommes face à un texte qui exige qu'on parle franchement. Mes amis du MDC se sont posés des questions très proches de celles qu'on se pose lorsqu'on envisage une question préalable : y a-t-il lieu de délibérer ? Et je crois que ce sentiment est partagé par quelques autres dans la majorité plurielle. Nous attendions un grand texte : c'est évidemment une déception. Qu'on se rappelle en effet d'où nous venons. Ce fut d'abord la bataille boursière et bancaire, le feuilleton de l'été dernier mariage à deux ?A trois ? On sait qu'il s'est conclu à deux, BNP et Paribas, la Société Générale restant à part. Puis ce fut le grand débat sur Michelin.

Le PDG de cette entreprise, après avoir fait état de bénéfices en hausse de 22 %, annonçait un plan dit social de 7 500 licenciements. En conséquence, interview du Premier ministre, et recherche d'un deuxième souffle, qui fut trouvé à Strasbourg, lors des journées parlementaires du groupe socialiste, avec l'annonce du présent texte...

On a dit, et j'en suis d'accord, que s'il s'était agi d'un simple « projet portant diverses dispositions d'ordre financier », nous en approuverions beaucoup d'éléments.

M. Jean-Paul Charié - Il suffit de changer le titre ! (Sourires)

M. Michel Suchod - S'agissant du droit des sociétés, nous approuvons la dissociation entre président et directeur général : le président doit présider un conseil d'administration qui est un conseil de contrôle. C'est la fin du bonapartisme d'entreprise. Cela permettrait peut-être d'éviter certains blocage comme ceux qu'a connus la Société générale l'été dernier. Nous approuvons la limitation du nombre des conseils d'administration dans lesquels peut siéger une personnalité, ainsi que les dispositions sur le blanchiment et contre les centres off-shore.

Nous nous réjouissons des mesures relatives aux actions de concentration, ainsi qu'aux pratiques commerciales, notamment aux abus dans les relations entre la grande distribution et ses fournisseurs.

M. Eric Besson, rapporteur de la commission des finances - Ce n'est pas mal, tout cela !

M. Michel Suchod - Ce n'est pas mal, mais voilà : on nous avait dit qu'il s'agissait de juguler la « société de marché ». Si bien sûr nous acceptons pleinement le marché, nous souhaitons l'encadrer et le réguler, sans quoi nous aurons la société de marché dans toute son horreur. Le Premier ministre a exprimé son intention de mettre en _uvre de nouvelles régulations, de corriger les effets du capitalisme triomphant. Si M. Fabius avait été présent, je m'apprêtais à lui dire que, sans aller jusqu'à se poser d'immenses questions philosophiques sur le plan et le marché comme lui-même l'avait si bien fait lors de ce congrès de 1979, on pouvait cependant se demander ce qu'est la régulation. Il y a différentes hypothèses. M. Madelin en a développé une cet après-midi : celle d'une régulation totalement libérale, sur laquelle on pouvait presque voir flotter la main invisible d'Adam Smith, ce qui ancre clairement M. Madelin dans la philosophie du XVIIIe siècle. Il y a aussi la vision plus modérée de notre rapporteur, pour qui « la notion de régulation exclut une trop forte réglementation ». Nous ne sommes pas d'accord sur ce point. Nous ne voulons pas d'une « régulation » comme on l'entend à l'OMC, où ce terme désigne la simple défense du libre-échange, et où la seule chose qu'on entende réguler, c'est l'action des Etats... De même la Commission européenne fait souvent passer l'extension de la concurrence avant toute autre considération.

Pour nous, en revanche, la régulation doit avant tout permettre de remettre en discussion une partie des règles qui prévalent depuis quinze ou vingt ans, et de mettre sur pied une véritable politique économique, qui tienne compte des considérations sociales, de l'emploi, du développement régional, de la politique industrielle, et de l'intérêt de chaque Etat de l'Union.

C'est pourquoi nous faisons des propositions que je regrouperai autour de quatre thèmes. Tout d'abord, partir du fait générateur du texte. Les Français n'apprendront pas sans étonnement que ce projet, censé répondre à l'affaire Michelin, n'y répond en fait aucunement. Nous avons donc déposé un amendement qui tend à créer un lien entre les éventuels plans sociaux et les bénéfices de l'entreprise. De tels plans devraient être interdits quand les bénéfices sont forts, dans des conditions que nous renvoyons à un décret.

Nous avons d'autre part déposé un amendement concernant le conseil de la concurrence. Celui-ci ne s'occupe strictement que de la concurrence. Ne faut-il pas envisager d'autres règles ? Peut-on ne pas s'interroger, au moment d'accepter une fusion, sur ses effets en matière d'emploi, d'aménagement du territoire, de politique industrielle ?

D'autre part, les OPE nous semblent trop faciles. Dans une OPA il faut payer : dans une OPE on paie avec du papier. Que penser de l'absorption de Netwest par la Royal Bank of Scotland, quatre fois plus petite ? Et Time Warner, qui avait mis quatre-vingts ans à achever sa concentration, a été avalée... par le vide, par un conglomérat « monté » en bourse comme de la barbe-à-papa ! Nous craignons que les fusions-absorptions européennes d'aujourd'hui ne conduisent un jour à des fusions avec les plus importantes entreprises américaines. Que dira la Société Générale si CGU et BSCH décident de s'en emparer ? Que dira le Crédit Lyonnais, à l'heure où la Kommerzbank prend des actions ? Nous pensons donc qu'il faut être beaucoup plus fermes sur les offres publiques. En cas d'OPE nous souhaitons qu'après le conseil d'administration, le comité d'entreprise soit entendu, non pas seulement informé, mais autorisé à voter pour savoir si l'OPE lui semble acceptable.

Enfin, sur l'autorité de régulation, il y a un anachronisme. En janvier 1984, nous avons adopté la loi Delors sur la banque. A cette époque le gouverneur de la Banque de France n'était pas une autorité indépendante. Il était donc normal qu'il régulât notre monnaie, et qu'il s'occupât des règles prudentielles et des règles de fusion-acquisition. Aujourd'hui il est une autorité indépendante. Il est normal -même si je n'y étais pas favorable- qu'il s'occupe de la monnaie, car il y a des traités. Mais il est anormal qu'il s'occupe toujours des règles prudentielles ! Nous avons donc déposé un amendement pour le remplacer dans ce rôle par le ministre de l'économie et des finances, qui joue le même rôle pour les assurances -et l'on sait combien banque et assurance sont aujourd'hui entremêlées.

En conclusion, je reprendrai un propos de notre rapporteur qui, sans citer Lamennais, l'évoque en disant qu'entre le faible et le fort c'est l'absence de réglementation qui crée le déséquilibre et la loi qui protège.

Nous partageons cette conception ; mais elle ne saurait nous permettre d'avoir une opinion différente sur ce texte, à moins qu'il soit profondément amendé (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe communiste).

M. François Goulard - Nous sommes navrés, Monsieur le ministre, de vous obliger à être présent ce soir alors que se déroule un très important séminaire du parti socialiste. Nous mesurons l'ampleur de votre sacrifice.

Défendant la question préalable, Alain Madelin a souligné le décalage impressionnant entre les ambitions affichées par le Premier ministre et le contenu de ce texte hétéroclite, que ne sous-tend aucune vision d'ensemble. Le ministre de l'économie l'a défendu sans enthousiasme excessif -c'est une litote-, l'estimant simplement « utile ». Pour mieux se dédouaner, il l'a inscrit dans une grande perspective qu'il lui reviendrait de tracer.

Mais, s'il n'est pas de Laurent Fabius, ce texte porte bien la marque de fabrique du Gouvernement de Lionel Jospin. Cosmétique, il maquille une modeste réforme de droit des sociétés en lui donnant le titre pompeux de régulation de l'entreprise -comme demain on nous parlera de modernisation sociale pour habiller un DMOS. Il use de la sémantique -hier tout était citoyen de la police à l'école, aujourd'hui tout sera régulation- pour marquer l'absence d'une politique.

Dans ce texte long, touffu, en partie improvisé, il n'est guère de mesures symboliques autour desquelles organiser la discussion. Cela donne assez de mal aux journalistes. Dès lors, nous ne pouvons que nous attaquer à chaque partie.

Rien de choquant d'abord dans l'adaptation raisonnable des règles du marché financier. Si c'est cela la régulation économique socialiste, il y a sur cette terre plus d'un gouvernement socialiste sans le savoir. L'article 4 se veut une avancée sociale considérable. Il prête plutôt à sourire. Un chef d'entreprise qui achète une autre société devra comparaître devant le comité d'entreprise de celle-ci. En droit positif le CE est déjà informé des opérations en capital et bien sûr tout acheteur potentiel rencontre les partenaires sociaux pour connaître le climat de l'entreprise. Enfin la sanction est inadaptée. Mieux eût valu retenir le délit d'entrave.

La partie relative au blanchiment d'argent, qui appelle des observations techniques, est un texte pénal qui n'a pas sa place ici. Il ne s'agit pas de réguler, mais de réprimer. C'est là une autre illustration des difficultés que vous avez eues à bâtir un texte. Comme les mauvais élèves, vous meublez par du hors sujet.

Sur la partie relative à la concurrence, plus substantielle, nous divergeons. Vous regrettez le pouvoir perdu du politique et voulez le rendre au ministre ; nous déplorons la permanence de son immixtion et voulons accroître l'autorité et l'indépendance du conseil de la concurrence.

Pour répondre à une crise conjoncturelle -celle des fruits et légumes de l'été dernier- et aux demandes de certains fournisseurs de la grande distribution, vous renforcez la réglementation sans réflexion très élaborée. Mais selon un principe constant, ces règles se retourneront contre ceux qu'elles sont censées protéger. Plus qu'elles ne rendront la grande distribution prudente à l'égard des PME, elles placeront les grandes entreprises de production en position de faire face à la distribution.

Comme toujours, l'économie ne se plie pas à la volonté du législateur. Pourquoi malgré tant de lois et de règlements sur les relations entre distribution et production, la situation n'est-elle pas meilleure ? Sans doute faut-il repenser totalement l'édifice construit au début des années 1970 et sans cesse alourdi depuis, plutôt que d'y ajouter un étage.

M. Jean-Paul Charié - On n'ajoute rien !

M. François Goulard - Par un faux parallèle entre droit économique et droit du travail, nous donnons à l'accord interprofessionnel presque valeur de convention collective pour protéger le faible.

Enfin votre sollicitude pour le fonctionnement interne des entreprises est assez amusante. Le rapporteur consacre ainsi de longs développements au nombre idéal de mandats sociaux et à la séparation des fonctions de directeur général et de président du conseil d'administration. Je gage que tout cela intéressera peu les entreprises.

Ni bon ni franchement mauvais, ce texte est finalement l'aveu que le Premier ministre ne se trompait pas quand, le 15 septembre, il disait que l'Etat ne pouvait rien face aux licenciements chez Michelin. Mais c'est aussi un mensonge car il contredit les promesses faites deux semaines plus tard à Strasbourg. On vous sent finalement bien peu à l'aise pour défendre ce socialisme honteux (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Dominique Baert - Si l'économie concurrentielle fonctionne sur la base de rapports d'échanges, la régulation devient nécessaire lorsque ceux-ci deviennent trop rapidement rapports de force. Elle se doit premièrement d'assurer un équilibre entre deux parties, qu'il s'agisse de l'employeur et du salarié, ou encore du fournisseur et du client ; ensuite d'affirmer le primat de l'intérêt général sur l'intérêt particulier.

La régulation évite que l'économie de marché n'ait pour contrepartie une société de marché !

Sans règles, l'économie se désocialise. L'enjeu aujourd'hui, c'est une re-socialisation de l'économie. En effet, le social ne saurait être asservi à une logique de gain.

De ce point de vue, ce texte est bon. Il renforce la régulation financière, la régulation de la concurrence et la régulation de l'entreprise.

En un mot, votre projet fixe un nouveau cadre. Qu'il s'agisse de l'information des salariés dans les OPA/OPE ; ou des pouvoirs des autorités de régulation financière ; qu'il s'agisse encore de la lutte contre le blanchiment d'argent avec l'extension des déclarations de soupçon, dont je regrette au demeurant, comme Eric Besson, qu'elle n'ait pas pu concerner plus de professions que celles énoncées à l'article 19.

Qu'il s'agisse enfin des pratiques commerciales, du contrôle des positions dominantes, de l'exercice par les actionnaires de leurs droits, ou du cumul des mandats des dirigeants.

Tout cela est de bon sens, tout cela va dans le bon sens.

Oui, face aux libéraux qui préfèrent voir venir, nous, nous préférons intervenir !

Le baron-président Seillière qualifie ce texte de « tapage politique qui fait _uvre de détails ». Il s'affiche, lui, comme « spécialiste du ratage polémique qui fait _uvre pour son sérail » !

M. Michel Hunault - Ce n'est pas glorieux.

M. Dominique Baert - A un MEDEF qui estime que l'Etat « organise l'appauvrissement de l'espace économique », osons répondre que nous, nous refusons « l'enrichissement organisé de l'espèce économique ».

Saluant l'important travail de notre rapporteur Eric Besson, j'insisterai pour que le Gouvernement puisse réserver le meilleur accueil aux amendements de la commission des finances.

Mais ce texte n'est qu'une première étape d'une régulation plus globale, à laquelle concourraient des chapitres sur l'épargne salariale, sur l'intervention économique des collectivités locales, sur la réforme du code des marchés publics, sur le service bancaire de base, ou encore sur la création d'entreprises, sur le capital-risque, ou sur la modernisation sociale.

Ces ambitions auraient pu trouver leur place dans ce texte : certaines se traduiront concrètement dans les prochaines semaines.

Pour autant, à titre personnel, ce projet de loi me laisse quatre motifs d'insatisfaction qui me paraissent appeler, à l'avenir, autant de compléments, à savoir une nouvelle doctrine de la régulation, une autocritique de la régulation, son extension internationale, enfin son extension sectorielle.

Premier point, il faudrait enfin penser à définir la conception française de la régulation.

Il y a une conception anglo-saxonne du régulateur, en général un homme seul. Il n'y a pas de vision française. Pourtant, il faut une logique et une cohérence dans l'exercice de la régulation, comme dans la physionomie des autorités qui l'exercent. Cela exige un travail gouvernemental, ou parlementaire approfondi pour éviter qu'à chaque texte on réponde au cas par cas. N'hésitons pas à poser cinq questions fondamentales.

Quoi réguler, c'est-à-dire quels secteurs ? Tous les secteurs, comme le préconise le Commissariat au Plan, conception que je ne partage pas, ou seulement l'énergie et les télécommunications ? Mais alors, quid de la Poste ? Et surtout, pourquoi pas l'eau ?

Qui régule ? Quelle doit être la conception de l'autorité, sa taille ?

Comment réguler ? Avec quels moyens humains et quelle évaluation ?

Pourquoi réguler ? Avec quelle sanction ?

Enfin, quelle doit être la relation de l'autorité de régulation avec l'Etat ? Car enfin, n'est-ce pas lui le détenteur du pouvoir réglementaire ? Cela mériterait d'être parfois mieux affirmé.

Second complément que j'appelle de mes v_ux, une autocritique de la régulation pratiquée en France.

L'exemple de l'Autorité de régulation des télécommunications est instructif. Après trois ans d'exercice, qui ne voit la nécessité d'une clarification ? Explicitement sur certains bancs de cette Assemblée, mezzovoce sur d'autres, nous sommes nombreux à déplorer la propension croissante de cette autorité à se vouloir seule édictrice de règles.

Pourtant rien dans la loi du 26 juillet 1996 ne permet de penser que c'est l'ART qui engage et qui décide de la politique de télécommunications de notre pays !

Si, demain, par exemple, le dégroupage de la boucle locale est à mettre en _uvre, c'est à l'Etat de le décider et de le promouvoir -l'Etat, c'est-à-dire le Gouvernement et le Parlement !

Oui à une réglementation qui édicte les cahiers des charges et les fait appliquer, non à une régulation qui veut édicter la stratégie et la politique du secteur !

Troisième complément fondamental, une extension internationale, par la régulation de ce qu'on appelle les « hedge funds », ou fonds spéculatifs. On se souvient du LTCM et du rôle de ces fonds spéculatifs dans la crise asiatique. Or de telles opérations se développent rapidement au niveau international, alors même qu'elles sont de nature à compromettre la stabilité financière mondiale, faute de réglementation « prudentielle » propre. Ajoutons qu'elles se réalisent dans des conditions de transparence limitée.

Un groupe de travail au sein du Forum de stabilité financière qui s'est tenu à Singapour le 26 mars dernier a formulé des propositions pour encadrer ces pratiques.

J'espère, Monsieur le ministre, que la France les appuiera et inscrira les mesures nécessaires dans l'arsenal législatif et réglementaire national.

Enfin, quatrième complément, une extension au secteur de l'eau et des services urbains est indispensable.

Même les Etats anglo-saxons, réputés libéraux, l'ont compris ! Ainsi, dans l'Etat de Californie, la California Public Utilities Commission, organisme régulateur, a l'eau dans ses attributions, au même titre que le gaz et l'électricité, alors qu'aucune commission équivalente n'existe en France. Comment comprendre qu'en Angleterre, l'Office de l'eau, l'OFWAT, décrète une baisse de 12 % du prix de l'eau en 2000, alors qu'en France ce prix ne cesse de connaître des hausses vertigineuses ?

Il est vrai que dans notre pays, ce secteur fonctionne largement comme un duopole organisé. Au sens économique du terme, il y a « rente ». Or, qu'elle soit publique ou privée, une rente se constitue aux frais des consommateurs. Pour que le secteur de l'eau connaisse une concurrence réelle et régulée, il est indispensable de créer une autorité de régulation spécifique dotée de pouvoirs de sanction.

C'est une question d'équité comme d'efficacité économique !

La régulation, c'est aussi cela. L'intensification du commerce mondial et des relations européennes a stimulé la concurrence, et s'agissant de secteurs publics, la logique du modèle est maintenant la séparation des fonctions d'opérateur et de régulateur.

La manière, dont nous concevons et suivrons cette régulation n'est pas neutre. Réguler, ce n'est pas interdire, c'est encadrer, c'est clarifier !

C'est ce que nous ferons en adoptant ce texte, dans l'attente, Monsieur le ministre, d'une nouvelle étape de régulation (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Auberger - « L'Etat doit se doter de nouveaux instruments de régulation adaptés à la réalité du capitalisme d'aujourd'hui » déclarait le Premier ministre aux journées parlementaires du parti socialiste à Strasbourg, en septembre 1999. Le propos était donc ambitieux, il s'agissait de « construire un nouveau modèle de capitalisme » -rien que cela !

La nécessité de revoir les modes de régulation s'était fait sentir à la suite de plusieurs affaires. L'affaire BNP-Société Générale a été particulièrement longue et elle s'est dénouée grâce aux salariés actionnaires de la Société Générale, qui ont évité la fusion avec la BNP.

Dans l'affaire Michelin, le rôle des fonds de pension anglo-saxons a été décisif. Mme la Garde des Sceaux rappelait cet après-midi qu'ils détenaient 40 à 45 % du capital des grandes entreprises françaises cotées en Bourse. Or leur première préoccupation est le rendement du titre, si bien que Michelin a annoncé des suppressions d'emploi alors même que l'entreprise était fortement bénéficiaire, ce qui a montré qu'il était urgent d'intervenir. Enfin, l'affaire Carrefour-Promodès a montré la forte concentration en cours dans la distribution. Comme elle s'accompagne de pratiques très discutables à l'égard des fournisseurs, elle représente une menace permanente pour les producteurs français.

Le projet de loi répond-il à ces problèmes et aux ambitions énoncées ? Certes, il traite de cinq domaines différents, mais l'ensemble est disparate, en dépit des efforts du rapporteur pour lui donner une certaine unité. Ses 74 articles, auxquels s'ajoutent ceux proposés par la commission des finances, n'apportent aucune réelle innovation : on se contente de retoucher ce qui existe, de modifier par-ci par-là -on est très loin des « nouvelles régulations » annoncées.

Les promesses les plus solennelles ne sont pas respectées, notamment en ce qui concerne l'épargne salariale. Elle a joué un rôle déterminant dans l'affaire Société Générale, elle aurait pu jouer le même rôle dans l'affaire Michelin. Il est donc urgent de favoriser le développement de l'actionnariat populaire.

Dès mai 1999, l'opposition avait déposé une proposition de loi sur ce sujet à l'initiative de M. Balladur, proposition inspirée par le succès des privatisations. Le Gouvernement et sa majorité ont refusé d'en discuter, en faisant valoir qu'un projet de loi en ce sens serait préparé.

Ensuite le Premier ministre a chargé MM. de Foucauld et Balligand d'un rapport sur le sujet. Il a été rendu en janvier, mais ses propositions n'ont pas été discutées.

Puis le ministre des finances de l'époque, M. Sautter, a été chargé de rédiger un projet. M. Sautter a disparu et son projet avec lui.

On nous dit maintenant qu'un texte pourrait être déposé à l'automne -quand on sait combien la session d'automne est chargée, on peut s'interroger sur l'aboutissement de ce projet. Or il y a urgence incontestable : va-t-on attendre la multiplication des prises de contrôle, amicales ou hostiles, pour adopter un texte ?

Troisième point, vous nous proposez de réaménager le droit financier et boursier. En réalité, il s'agit pour l'essentiel de dispositions de détail qui ne relèvent d'ailleurs pas du domaine de la loi, lorsqu'il s'agit par exemple d'avertir le Gouverneur de la Banque de France d'une opération envisagée ou de prévoir l'audition de telle ou telle personnalité devant les commissions des finances.

S'il est un point positif dans ce projet, c'est le fait que la distinction entre les OPA dites « amicales » et celles qui sont présumées « hostiles » n'a pas été retenue alors que certains le proposaient. En effet, il n'y a pas de frontière nette entre les deux car, pour réussir, une OPA hostile doit devenir amicale : l'opération de Total sur Elf l'a amplement démontré.

En revanche, une disposition me semble hautement contestable en ce qu'elle introduit une confusion entre le droit boursier et le droit du travail : il s'agit du refus de décompter les droits de vote si l'attaquant -lors d'une OPA ou d'une OPE- n'accepte pas de se rendre devant le comité d'entreprise. Au demeurant, l'attaquant a tout intérêt à aller devant le comité d'entreprise pour que son opération réussisse et à lui indiquer ses projets en matière d'évolution des effectifs. Le Président de la BNP, lorsqu'il a attaqué Paribas et la Société Générale ne s'y est d'ailleurs pas trompé. Mais le fait de le lier à un droit de vote pose problème dans la mesure où c'est une atteinte au droit de propriété. Du reste, M. Peyrelevade, qui était l'un des promoteurs de la distinction entre les OPA amicales et hostiles, pense que l'effet pratique de cette mesure sera quasiment nul.

Dans cette partie relative aux aspects boursiers et financiers, les vrais enjeux ne sont pas abordés. Je pense notamment à la multiplication des organismes de régulation. Certes, il faut de la régulation mais la coexistence du conseil des marchés financiers, de la commission des opérations de bourse, du CECEI, de la commission bancaire et de la commission de contrôle des assurances n'est pas conforme à la réalité économique actuelle où les conglomérats financiers traitent simultanément des activités de marché, de banque et d'assurance. L'exemple anglais de 1997, avec la constitution de la « Financial service authority » témoignait d'ailleurs de la nécessité de regrouper ces organismes.

S'agissant du contrôle des concentrations, les dossiers les plus importants sont traités à Bruxelles. Or, ce texte n'en tient pas compte. Les affaires Carrefour-Promodes, Elf-Total, Pechiney-Alcan-Algroup ont bien été tranchées à Bruxelles ! Il faudrait d'autre part revoir de font en comble les procédures devant le conseil de la concurrence. Le ministre peut en effet décider ou non de le saisir à propos d'une fusion et son avis reste facultatif. Or, le vice-président du conseil de la concurrence a lui-même déclaré : « le caractère discrétionnaire des conditions dans lesquelles ce conseil est saisi, l'absence de transparence avec laquelle l'administration négocie des engagements avec les entreprises, le caractère tacite de certaines décisions ministérielles constituent autant de pratiques douteuses du point de vue de la crédibilité et de la transparence du processus ». Ils aurait donc été indispensable de revoir l'ensemble des procédures et de créer les conditions d'une instruction beaucoup plus rapide des affaires. Plus généralement, il convient de réformer le fonctionnement de l'ensemble des autorités de régulation, dont je ne conteste pas l'utilité, qu'il s'agisse du champ de leur intervention, de leur pouvoir et des sanctions qu'elles édictent.

Pour ce qui concerne les relations entre les producteurs et les distributeurs, la loi Galland de 1996 a déjà apporté de nombreuses améliorations. Il ne me semble donc pas qu'il y ait lieu d'alourdir encore l'encadrement administratif pour régler les problèmes en suspens. Au demeurant, ce projet de loi ne va-t-il pas constituer pour la grande distribution une incitation à aller s'approvisionner davantage encore hors de France ?

J'en viens à la lutte contre le blanchiment de l'argent. L'opposition avait voté la loi du 12 juillet 1990 présentée à cette tribune par Pierre Bérégovoy. Elle n'a donc en ce domaine aucune leçon à recevoir et la France n'y est d'ailleurs pas en retard, ni dans l'application stricte des règles prévues, ni dans sa concertation internationale. Je ne vois donc pas l'utilité d'aller plus loin, sauf, peut-être, pour relancer le dialogue entre les diverses composantes de la majorité plurielle.

Avant de modifier la réglementation, il serait d'ailleurs intéressant de savoir comment une filiale d'une banque française à Jersey a pu manipuler de l'argent du FMI sans que la commission bancaire s'en soucie.

Ce texte recherche davantage les effets d'affichage qu'une véritable évolution de notre réglementation dans le domaine économique. Le Gouvernement cherche à s'exonérer des incertitudes et des hésitations du passé. Il adopte un activisme de façade sans traiter les questions de fond. Enfin et surtout, le rôle des salariés dans les organes dirigeants des entreprises n'est pas éclairci et il ne le sera pas dans les mois qui viennent.

Le groupe RPR ne pourra donc voter un tel texte (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Claude Billard - L'introduction dans ce texte d'un article permettant le dégroupage de la boucle locale en paire de cuivre suscite de sérieuses réserves de la part du groupe communiste.

Devant la nécessité de permettre un développement rapide de l'accès haut débit à Internet, le Gouvernement opte en faveur de l'ouverture à la concurrence des réseaux locaux. Il s'agit de contraindre l'opérateur public, qui a récemment développé la technologie ADSL, à louer son réseau local aux opérateurs privés pour leur permettre de faire des offres de services haut débit aux abonnés.

Pourquoi cette précipitation à introduire la concurrence sur le marché de la transmission locale de données alors que d'autres technologies la rendent possible ? En effet, comme l'avait relevé la mission parlementaire d'information sur l'application de la loi de réglementation des télécommunications de juillet 1996, les objectifs d'ouverture à la concurrence qu'elle avait fixés sont respectés et celle-ci se développe à un rythme comparable à celui des autres pays. En outre, aucune directive communautaire n'oblige à élargir la concurrence à ce secteur. Il n'y a donc pas urgence à l'accélérer, sauf à être sensible à l'esprit libéral qui anime l'autorité de régulation et à céder aux pressions d'opérateurs privés, qui ont bien compris l'intérêt qu'ils pourraient avoir à disposer à bon marché d'un réseau national.

Pour développer les services à haut débit, la technique du dégroupage de la paire de cuivre n'est pas la panacée. Le réseau cuivre actuel, même « dopé » avec les technologies ADSL, du fait des demandes de débits démultipliées par trois chaque année sera en effet très vite saturé. Par ailleurs, cette technique ne permet pas d'assurer les missions de service public telles que la couverture du territoire car sa portée est trop limitée.

Le type de dégroupage qui est proposé peut d'ailleurs aller à l'encontre de l'objectif affiché en ce qu'il constitue un frein à l'investissement et à l'innovation et qu'il obéit à une logique d'écrémage des marchés les plus rentables par les opérateurs privés. Les nouveaux opérateurs seront en effet dissuadés d'investir dans la construction de nouvelles boucles locales s'ils ont accès à des réseaux livrés « clés en mains ». De son côté, pourquoi l'opérateur détenteur de la boucle locale ferait-il l'effort de moderniser son réseau pour le livrer ensuite à des concurrents ?

S'il s'agissait simplement de faire droit à la concurrence, pourquoi ne pas utiliser les technologies existantes ? Les offres concernant ces nouveaux services peuvent s'appuyer sur une large palette : les réseaux câblés, la boucle locale radio dès la fin de cette année, les réseaux mobiles de troisième génération à la norme UMTS en 2002, les boucles locales en fibre optique.

Si le sujet du dégroupage est technique, il constitue aussi un enjeu politique : la mise en place de la société de l'information et l'accès de tous à l'information. Un tel enjeu de société mérite un vrai débat plutôt qu'un amendement à un projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.

Pour cet ensemble de raisons, nous estimons donc que la problématique du dégroupage relève non pas du projet de loi actuel mais de la loi sur la société de l'information et dont le ministre de l'économie et des finances a assuré qu'elle figurait parmi les prochains textes sur lesquels l'Assemblée aurait à se prononcer (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste).

M. Claude Gaillard - Il y a environ un an, une journée d'immersion en entreprise avait été organisée pour les députés. J'avais alors demandé à ceux qui m'accueillaient et avec qui je parlais de la loi Galland et des problèmes de négociation avec les hypermarchés : « Mais au fond, que puis-je faire pour vous ? » Et ils m'avaient répondu : « Rien ! Surtout, ne faites rien, car en légiférant, vous réglez sans doute quelques uns de nos problèmes mais vous en créez aussi de nouveaux, encore plus difficiles à régler ». En lisant ce projet loi, j'avais à l'esprit les propos de ce chef d'entreprise. On ne peut certes qu'en approuver les objectifs -moraliser les pratiques commerciales, contrôler les concentrations, favoriser une concurrence saine et loyale, assurer la transparence, comment ne pas être pour ?- mais hélas, l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Aussi, depuis la loi Royer -dont il n'est pas sûr qu'elle ait vraiment freiné l'implantation d'hypermarchés, les lois les mieux intentionnées ont produit des effets pervers... que les suivantes ont tenté de corriger. Nous aurons donc peut-être bientôt à corriger ceux du présent projet. En somme, nous alimentons nous-mêmes la machine.

Je prendrai simplement deux exemples d'effets pervers possibles de ce texte. Prenons le cas d'une PME traitant avec des grandes surfaces. S'il y a cinq centrales d'achat, elle ne travaillera sûrement pas avec les cinq mais plutôt avec certaines d'entre elles. Par nature, une centrale d'achat se trouve donc dans une position dominante par rapport à une PME. Pour ne pas tomber sous le coup des dispositions prévues à ce sujet, ne risque-t-elle pas de demander au patron de la PME d'aller acheter ses produits à Barcelone ou à Turin, à charge pour ce dernier de créer un dépôt là-bas ? Le chef d'entreprise risque donc d'être confronté à des contraintes supplémentaires.

Dans le même esprit, certains ne risquent-ils pas d'imaginer, pour contourner la loi, de reconduire systématiquement tous les 1er du mois une lettre de déférencement, à l'instar de ces syndicats qui déposent tous les lundis un préavis de grève ? Ou ils trouveront une astuce du même ordre.

Prenons garde aussi au poids des multinationales dans les relations avec les distributeurs en nous souvenant que 3 à 3,5 % des fournisseurs représentent 64 % du chiffre d'affaires des centrales d'achat. Le dominant n'est donc pas toujours le même.

A l'évidence, ce texte est marqué par ce qui s'est passé l'été dernier et je crains que cela ne l'oriente trop dans un seul sens.

Il n'en est pas moins vrai que certains hypermarchés -ou plus généralement certains gros acheteurs- ont des comportements de voyous. Faut-il légiférer pour rétablir un certain civisme commercial? Peut-être mais alourdir les contraintes ne remplit pas un carnet de commandes.

Je proposerai cependant un amendement tendant à ce que le déréférencement soit motivé. Je crois aussi qu'il faut renforcer les pouvoirs du conseil de la concurrence, combattre les prix abusivement bas dans le domaine des carburants, promouvoir la notion de qualité dans le cadre d'une agriculture raisonnée... Il y a des choses à faire, assurément, mais en sachant que chaque fois des parades seront trouvées. C'est bien pourquoi le problème des délais de paiement n'est toujours pas réglé.

Je regrette que ce texte plein de bonne volonté ne comporte rien pour aider les producteurs agricoles à s'adapter à l'évolution du paysage commercial, à se réorganiser, à s'autoréguler. D'une manière plus générale, je regrette que nous n'ayons pas travaillé davantage sur l'idée d'une centrale d'offre qui aurait permis aux agriculteurs et aux petites entreprises de s'associer et de s'appuyer sur les nouvelles technologies pour être dans un rapport de forces plus favorable face aux distributeurs, qui eux se regroupent dans des plates-formes dites de « business to business »

Je regrette aussi que le projet n'anticipe pas assez sur l'explosion probable du commerce électronique, qui va se développer encore plus vite que nous le pensons. Je me demande même si, en nous attaquant aux dysfonctionnements déjà maintes fois évoqués, nous n'avons pas encore une guerre de retard. En anticipant davantage, nous ferions vraiment _uvre utile et cela vaudrait mieux que ce projet « bonne conscience » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean Rigal - Ce projet a pris corps dès l'automne 1999, à la suite des incidents liés aux rapprochements opérés dans le secteur bancaire, de la crise des fruits et légumes et surtout de l'affaire Michelin, qui a profondément indigné la grande majorité des Français.

Son objet est de faire respecter et d'améliorer les règles du jeu financier et commercial au sein de l'entreprise, de concrétiser les engagements pris en janvier par le Premier ministre lors des assises de la distribution et de renforcer les moyens juridiques de la régulation, notamment en permettant aux autorités de contrôle des secteurs financier, boursier et commercial de jouer pleinement leur rôle d'arbitres. Il s'inscrit aussi dans la ligne des déclarations gouvernementales contre le blanchiment des capitaux et la prolifération des centres off-shore et des paradis fiscaux.

S'agissant de la régulation des marchés financiers, les radicaux de gauche approuvent les dispositions visant à rendre plus transparentes les OPA et OPE. Ils se félicitent de la novation juridique et politique qui consiste à renforcer l'information et l'influence des salariés et des actionnaires salariés en ces moments qui peuvent être cruciaux pour les entreprises, et donc pour leur avenir.

Globalement, nous jugeons bien-fondé ce dispositif de régulation du marché national mais quelle en sera l'efficacité dans un contexte international marqué par la globalisation financière, par l'hétérogénéité des réglementations boursières et par l'incapacité de la Banque centrale européenne comme de la Banque mondiale à faire respecter les règles du jeu ? C'est pourquoi il nous paraît indispensable que la présidence française de l'Union ne néglige rien pour faire avancer le dossier de l'harmonisation des réglementations. Le projet d'alliance de huit bourses européennes rend cette question encore plus cruciale et sans une action coordonnée de l'Europe, notre loi, équilibrée et novatrice, risque de n'être qu'un coup d'épée dans l'eau.

Le titre IV, qui vise à renforcer le dispositif national de lutte contre le blanchiment des capitaux, appelle une analyse similaire. Le gouvernement de la gauche plurielle doit poursuivre, lors du second semestre 2000, son action contre les paradis fiscaux en se ralliant au plus grand nombre de partenaires européens possible. Certes, des pays du continent peuvent se trouver sur la sellette, mais ce risque est minime face aux menaces que l'argent sale fait peser sur la stabilité du système financier et sur l'Etat de droit. Le temps presse, quatre ans après l'appel lancé à Genève par six magistrats européens en faveur d'une véritable coopération judiciaire transnationale. Lorsque l'Europe fait la « sourde oreille », le crime organisé tisse sa toile !

J'en viens au second chapitre, consacré à la régulation de la concurrence et à la moralisation des pratiques commerciales. La grande distribution française se porte bien, trop bien même : n'est-elle pas la championne d'Europe de la concentration ? Dès lors, les radicaux se félicitent que le Gouvernement ait agi avec célérité pour mettre un terme au diktat de certaines centrales d'achat. La création d'une commission des pratiques commerciales et des relations entre fournisseurs et distributeurs répond à la promesse faite par le Premier ministre lors des « assises de la distribution ». Cependant, je regrette qu'aucun parlementaire n'y siège et j'ai quelques doutes sur la capacité qu'aura cette commission à réagir comme il convient aux cas, de plus en plus nombreux, de pratiques commerciales déloyales au niveau local ou régional. J'ai donc déposé un sous-amendement à l'article 28 pour mettre en place des commissions régionales de médiation des pratiques abusives.

Je regrette que les délais de paiement négociés contractuellement conduisent de plus en plus fréquemment à des retards de paiement. Ceux-ci provoquent une faillite de PME sur quatre et il convient par conséquent de réagir. Je me félicite donc que la commission de la production ait adopté un amendement de M. Le Déaut pour accélérer le règlement des fournisseurs par leurs débiteurs. L'octroi au créancier d'un titre de paiement garanti par un établissement de crédit est une mesure nécessaire, mais peut-être insuffisante pour rééquilibrer les relations commerciales entre PME et « gros » distributeurs. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement complémentaire, qui fixe le délai à 45 jours pour les paiements convenus par contrat et à 30 jours en l'absence de disposition contractuelle écrite.

Nous approuvons par ailleurs les deux nouveaux articles du code de la consommation visant à valoriser les signes officiels d'identification, mais aussi les mentions valorisantes, comme les expressions « fermier », « élevé en plein air » ou « en liberté ». Attachés aux produits du terroir, nous avons déposé en faveur du secteur de la volaille un amendement supplémentaire, qui renforce les liens entre le terroir, la production et la transformation.

S'agissant de la régulation au sein de l'entreprise, il est bien de limiter le cumul des mandats des dirigeants au sein des organes de direction ou de refuser une opération d'achat si un projet industriel et social n'est pas diffusé auprès du comité d'entreprise et des associations de salariés-actionnaires. Mais favoriser l'émergence d'une véritable participation des salariés au capital et aux décisions serait encore mieux. C'est pourquoi les radicaux de gauche attendent avec impatience l'élaboration d'un projet de loi consacré à l'épargne salariale, reprenant les principales propositions des rapports Sapin et Balligand-Foucauld. Bien sûr, des précautions sont à prendre et il est hors de question par exemple que la généralisation de l'actionnariat salarié se fasse au détriment de l'emploi ou se substitue à l'augmentation des salaires.

Le Gouvernement, une fois de plus, a su prendre ses responsabilités en élaborant ce projet qui peut servir de base de réflexion et d'action commune avec nos partenaires européens. En effet, les multiples propositions visant à inscrire dans notre législation nationale certains grands principes de bonne gouvernance et à assurer une concurrence saine et loyale sont de celles que peuvent partager tous les citoyens de l'Union et, si technique soit-il, ce texte laisse entrevoir un véritable projet de société : le projet d'une société déterminée à lutter contre l'uniformisation des produits, des goûts et des cultures, et à faire du citoyen un acteur à part entière.

Finalement, et même si certains ici pensent le contraire, l'Etat a de beaux jours devant lui. L'Etat régulateur d'aujourd'hui est appelé à devenir un Etat modérateur, dans les domaines où il faut à la fois maintenir le secteur public et s'ouvrir sur l'extérieur et où il devra nécessairement encourager les trois pôles, public, privé et économie sociale, à agir ensemble (« Très bien » et applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

M. Jean Proriol - Mon intervention portera sur les titres I et II de la deuxième partie, consacrés à la moralisation des pratiques commerciales et à la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles.

La commission de la production, qui en a été saisie pour avis, a dû en réécrire les deux articles clés : le 27, relatif à l'amorce des prix dans le secteur des fruits et légumes, et le 28, relatif à la commission d'examen des pratiques commerciales. M. Charié a même dû rédiger un article additionnel pour définir la coopération commerciale ! Que le Gouvernement n'a-t-il suivi les conclusions de la mission d'information sur l'évolution de la distribution, adoptées à l'unanimité ? Le virage politique à l'égard de la grande distribution était-il donc si difficile à négocier ?

Mais, de fait, il existe un véritable malaise dans les relations commerciales. La crise de l'été dernier l'a révélé. Cependant, si tout est parti de l'agriculture, les petites entreprises et les fournisseurs sont aussi touchés par le déséquilibre des forces. Les codes de bonne conduite ne sont pas respectés et les rapports tendent à se durcir, avec des clauses « noires », manifestement abusives, avec l'imposition d'une loi du silence, avec les dérives de la coopération commerciale et avec le développement des marges arrière. L'enjeu de la réforme est donc de bien placer le curseur entre production et distribution, selon l'expression du rapporteur.

Or je ne suis pas convaincu que vous ayez pris le meilleur chemin . Contrairement à ce que proposait la mission d'information, vous avez opté pour une réforme par sédimentation, c'est-à-dire par ajouts successifs d'infractions spécifiques, au risque d'oublier la règle générale et de priver le juge de son pouvoir d'appréciation. Vous avez en outre renforcé la spécificité du droit français par rapport au droit communautaire, qui sanctionne de manière générale les ententes et les abus de position dominants dès lors qu'ils sont susceptibles d'entraver le libre jeu de la concurrence. La France seule aura-t-elle les moyens de lutter contre le mouvement mondial de concentration, mais aussi contre les risques de délocalisation des achats hors de France ? Le slogan « vos emplettes sont nos emplois » mérite toujours d'être entendu. A trop encadrer la négociation commerciale on risque de nuire aux lois du marché.

En troisième lieu, le système mis en place s'apparente à une bureaucratisation des relations entre distributeurs et fournisseurs, avec la possibilité pour le ministère de l'économie de se substituer à ce dernier. En outre l'article 31 instaure des contraintes pour les marques commerciales, ce qui fait entrer dans le champ réglementaire la politique de marques des acteurs économiques : c'est de l'économie administrée. Par ailleurs, les PME s'inquiètent du caractère répressif des dispositions sur les relations fournisseur-distributeur, qui peuvent se retourner contre elles. La solution d'une autorité indépendante, proposée par M. Madelin, aurait été préférable. L'opposabilité des schémas de développement commercial est située après l'article 29 : elle serait plus à sa place avec les schémas de cohérence territoriale, dans la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain.

Je conclurai en me référant à la mission d'information sur l'évolution de la distribution. La mission ne souhaitait pas que l'ordonnancement législatif et réglementaire existant soit bouleversé, mais que la loi soit modifiée de manière mineure pour donner aux acteurs les outils nécessaires. Je ne retrouve pas cette justesse dans le projet. Les nouvelles contraintes qu'il introduit ne garantissent en rien l'application de celles qui existent déjà, et tout d'abord l'interdiction absolue de la vente à perte -pour le fournisseur comme pour le distributeur- et le respect de délais de paiement normaux (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jacky Darne - Mon intervention concernera la partie du projet relative au droit des sociétés commerciales. Depuis quelques années sont parus de nombreux rapports sur ce thème émanant de travaux parlementaires ou du monde de l'entreprise : je citerai seulement les noms de Doucet, Pébereau, Viénot, Badinter, Dailly... Cela témoigne de la nécessité ressentie de modifier ce droit, et nul de ces auteurs n'a considéré comme M. Madelin qu'il était inutile de légiférer à ce sujet. Cette nécessité résulte de la confrontation entre notre droit positif et l'évolution de l'économie mondiale, marquée par une forte augmentation du nombre et de la taille des entreprises de dimension mondiale. Des travaux voisins ont été conduits récemment aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, même si certains thèmes sont très anciens : c'est en 1932 que Berne et Means ont proposé que les fonctions de direction soient séparées de l'actionnariat...

Quelles justifications donne-t-on aujourd'hui, en France, d'une évolution de notre droit des sociétés ? On invoque d'abord le formalisme et la rigidité de nos textes, opposés à la souplesse nécessaire des affaires, appelant une approche contractuelle et des actions civiles. On juge ensuite que notre système de gouvernement des entreprises est archaïque et peu lisible. On évoque à ce sujet les participations croisées, et la sociologie du milieu des administrateurs. Ainsi ceux de l'Air Liquide exercent vingt mandats dans d'autres sociétés du CAC 40 ; les membres du directoire ou du conseil de surveillance d'AXA en exercent trente-cinq ...

S'y ajoute la très forte représentation des grands corps : les « X », les énarques exercent 45 % des mandats dans les principaux groupes, et 100 % dans certains. Cela résulte de notre histoire industrielle, de l'importance des entreprises nationalisées, mais jette un doute sur notre système de gouvernement des entreprises. Ces deux thèmes conduisent à un troisième : celui de l'opacité de la gestion, qui concerne aussi bien les actionnaires minoritaires que la publication des rémunérations, l'absence d'un droit commercial des groupes, ou encore le fonctionnement des comités spécialisés, qui videraient de leur pouvoir les conseils d'administration.

Mais ces analyses, qui justifient le présent projet, masquent une compétition plus importante. L'histoire des économies américaine et anglaise et de leur financement permet de comprendre le développement dans ces pays d'une approche essentiellement contractuelle des sociétés commerciales. En simplifiant, le gouvernement des entreprises peut être décrit comme l'exercice du pouvoir par des dirigeants délégués par les actionnaires. Comme les dirigeants pourraient ensuite poursuivre d'autres intérêts, il faut un pouvoir de contrôle : c'est le conseil d'administration. En face de ce modèle, l'Allemagne a une approche beaucoup plus institutionnelle de la société. Je reprendrai la formule de Philippe d'Iribarne, que cite Jean Peyrelevade dans son livre sur le gouvernement d'entreprise : « Dans les pays scandinaves, aux Pays-Bas et dans les pays de culture germanique, les diverses parties -entreprises, actionnaires, syndicats- élaborent des compromis dans un esprit de conciliation, ce qui favorise les formes collégiales de gouvernement ».

En France, ajoute-t-il, chacun défend son point de vue jusqu'au bout et le compromis passe aisément pour compromission. « Le patron autocrate, chef de bataille, s'inscrit bien dans cette tradition ». Ceci pointe un des enjeux de notre évolution. Notre loi de 1966 sur les sociétés s'appuyait en partie sur la législation allemande, par exemple en séparant directoire et conseil de surveillance.

Le présent projet comporte des avancées, mais je crains qu'il ne reflète aussi un renoncement. Faute d'avoir su construire en Europe un modèle social, qu'aurait symbolisé la société commerciale européenne, nous nous plaçons dans le modèle anglo-saxon, marqué par l'approche contractuelle et la suprématie du marché financier, que renforce la montée en puissance des fonds de pension. Sans doute ne pouvons-nous pas faire mieux : 40 % de nos entreprises sont détenus par des investisseurs étrangers, contre 5 % aux Etats-Unis, 8 % au Japon et 16 % en Grande-Bretagne. En outre notre marché financier a des caractéristiques différentes : notre épargne n'a pu être orientée au même degré vers l'industrie. Ces difficultés sont illustrées par une défaite récente de l'Europe qui a perdu la bataille des normes comptables. Alors que les normes européennes pourraient s'imposer, ce sont les normes américaines qui deviennent la référence mondiale. Quand on sait l'importance de l'information financière, il y a là plus qu'un symbole. Je ne suis pas sûr que le monde puisse échapper à cette forme unique de gestion des entreprises. Mais je souhaite que le Gouvernement et le Parlement puissent expertiser la capacité européenne de promouvoir un système différent.

Jean Peyrelevade écrivait il y a quelques mois : « Les idées du Financial Times régneront sans partage sur la presse économique mondiale et les gestionnaires de Wall Street sur la bourse de Paris ». Et de conclure : « Certains y voient les signes annonciateurs d'une prospérité établie. Je n'en suis pas si certain ». Moi non plus.

Dans ce contexte, le projet de loi est cependant utile, en donnant à nos grandes entreprises les moyens de leur crédibilité. La dissociation encouragée des fonctions d'administration et de contrôle, la limitation du nombre des mandats, le renforcement de la transparence sont des mesures nécessaires, quelles que soient par ailleurs les évolutions. Certaines mériteront d'être renforcées par des amendements. J'appellerai simplement l'attention sur quelques points. Le Gouvernement a choisi de ne pas réformer en une seule loi les sociétés commerciales mais d'en fractionner la réforme. Déjà en juillet ce fut l'élargissement du champ de la société anonyme simplifiée, mesure très positive. Mais il reste à réformer les SARL, à rénover la législation des valeurs mobilières, à assurer la neutralité fiscale et sociale du choix d'une forme de société. Il reste aussi à légiférer sur les groupes de sociétés. Il est paradoxal qu'ils soient aujourd'hui reconnus par le fisc, par le droit social, par le droit comptable, mais ignorés par le droit des sociétés. Il n'était pas raisonnable d'introduire par amendement cette législation dans le présent projet. Nous pourrions toutefois décider que les comptes consolidés devront être approuvés par l'assemblée générale de la société consolidante : ce serait un minimum.

Reste que ce texte apporte une évolution positive. Nous le voterons avec satisfaction (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Paul Charié - J'aborde ce débat avec humilité, déception, et néanmoins détermination. L'humilité propre à ceux qui ont travaillé depuis des années sur ce problème et qui en connaissent la gravité et la complexité. Un exemple de cette complexité : ceux qui se plaignent des pratiques scandaleuses dont ils sont victimes sont parfois les mêmes qui nous demandent de ne pas leur interdire ces pratiques... Certains en France se font un malin plaisir de confondre l'effectivité de la loi, qui organise la liberté, et la sur-réglementation, dont il faut se méfier. Il est de bon ton d'opposer liberté et réglementation ; mais pendant ce temps des entreprises crèvent sous le poids de leurs propres clients !

Si la moralité était en France, comme dans d'autres pays, une valeur culturelle généralement partagée, nous n'aurions pas à tant légiférer. Certes, rétablir cette loyauté en France ne réglera pas tous les problèmes de la mondialisation. Mais cela nous placera au moins dans la même situation que l'Allemagne, l'Angleterre, les pays du Nord, les Etats-Unis et le Japon.

En second lieu, je suis déçu par la stérilité de certains comportements politiques. Certes cette loi ne comporte pas les dispositions annoncées ni des mesures modernes concernant l'actionnariat salarié et la réforme de l'Etat. Certes au fond c'est un DMOE. Mais tous l'ont reconnu et M. Madelin l'a dit, le plus important ce sont les dispositions sur l'ordonnance de 1986 et les pratiques commerciales. Pourquoi, au lieu de critiquer et de déposer une question préalable, ne pas nous associer pour servir les entreprises, les travailleurs et les consommateurs ? (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste)

Je suis d'autant plus déçu que ce texte reprend mes propres positions que, à gauche comme à droite, vous avez tous soutenues.

Ce texte n'a pas pour ambition de changer l'ordonnance de 1986 ni la loi de 1996, votées à l'initiative du RPR et de l'UDF, mais d'appliquer la loi. Pourquoi dans les autres pays y a-t-il développement des PME ? Parce que la loi est scrupuleusement respectée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Après 19 ans de mandat, je ne comprends pas comment on peut déposer une question préalable sur un projet qui cherche à améliorer deux textes dont on est l'auteur. J'ai donc voté contre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mais je suis aussi déterminé à servir la grande cause du commerce, de l'artisanat et des PME, au service de la nation et d'une société de progrès. Seule l'économie de marché l'assure. Mais il n'y a libre concurrence qui si toutes les entreprises en profitent et que s'il existe un minimum de règles rigoureusement appliquées. L'économie de marché, ce n'est pas « la bourse ou la vie », le chantage à l'emploi, les pressions, y compris physiques, sur les fournisseurs, ni le reniement de sa parole et de ses engagements, ce n'est pas traiter ses fournisseurs comme des esclaves. N'est-il pas scandaleux que M. Leclerc qui se veut une référence, qui « pèse » 140 milliards de chiffre d'affaire dise « je ne détourne pas la loi, je m'assieds dessus » ? Comment dès lors donner des leçons de civisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Si la loi de 1996 était appliquée, les agriculteurs auraient des marges, les PME ne seraient pas obligées de payer pour être référencées par les grandes surfaces et ne seraient pas refacturées jusqu'à 45 % pour « coopération commerciale », il n'y aurait pas non plus de fournisseurs payant pour exclure leurs concurrents.

Les compétences de nos PME sont mondialement reconnues, comme l'est notre industrie agro-alimentaire et la spécificité de notre grande distribution qui a développé le « tout sous le même toit » et le libre-service. Il suffirait que la loi soit appliquée et qu'il y ait des règles du jeu -quel que soit le nom qu'on leur donne-, et les prix baisseraient, comme ils ont baissé en 1996 avec les dispositions que j'ai soutenues sur les seuils de vente à perte. Grâce aux PME, le commerce de centre-ville -20 % de notre commerce contre 70 % en Angleterre- se développerait et les consommateurs y gagneraient.

Le projet contribue largement à une meilleure application de la loi. J'ai relevé sept éléments à ce sujet. D'abord, le ministre pourra demander cessation et amende à la place des victimes. En effet, on ne porte pas plainte contre un client qui représente 20 % de son chiffre d'affaires. De plus, depuis la guerre on ne veut pas pratiquer ce qu'on appelle la délation, et on ne dénonce donc pas non plus la concurrence déloyale comme on le fait ailleurs. En second lieu les amendes deviennent dissuasives. Tout le monde veut bien payer 100 000 F d'amende pour faire dix millions de profit. Mais 10 % de chiffre d'affaires ?

D'autre part, comme je le demandais depuis longtemps le droit de la concurrence va être confié à des tribunaux spécialisés. Nous avons obtenu aussi qu'on relance l'action du conseil de la concurrence. Nous allons également développer le pouvoir d'enquête de la DGCCRF. Je la critique quand, contre la volonté du législateur, elle affirme que les conditions générales de vente sont négociables. Mais sur ce sujet il lui faut plus de moyens.

Le projet crée une commission des pratiques commerciales. Aux libéraux, qui ont peur d'aller trop loin, je dis qu'elle répond à notre souci commun car on ne peut pas tout mettre dans la loi. Mais il faudra que ses avis aient valeur normative. Enfin, pour répondre aux préoccupations de M. Madelin, le projet encourage les accords interprofessionnels et les accords de bonne conduite.

Sur d'autres points, je serai beaucoup plus critique. Vous en faites trop quand vous demandez la répétition de l'indu. Si le ministère peut demander les dommages et intérêts à la place de la victime, il y aura des effets pervers, comme ce sera le cas si l'on interdit la rétroactivité des demandes. En effet, si les tarifs doivent être les mêmes pour tous, à l'occasion de la diffusion d'une information -en cas de fusion par exemple- un client peut se rendre compte qu'il ne bénéficie pas de la même remise qu'un autre. Aux mêmes conditions d'achat, le fournisseur doit appliquer les mêmes avantages.

Je ne me prononcerai pas en faveur du vote de cette loi si nous ne nous mettons pas d'accord sur ce point et sur ce qui concerne les conditions générales de vente. A propos de la « coopération commerciale », nous avons demandé au Gouvernement un projet de circulaire rappelant que les conditions générales de vente du fournisseur ne sont pas négociables, que quand les clients deviennent des prestataires de services, ils doivent avoir des conditions générales de vente pour ces prestations et enfin que la notion de « services spécifiques » soit clarifiée. Le législateur n'a jamais visé par là les accords dits de coopération commerciale, concernant par exemple les têtes de gondoles.

Il faut que la discussion des amendements que j'ai déposés clarifie le texte sur ces trois points fondamentaux.

Je terminerai par un appel solennel : n'attendez pas la fin du débat parlementaire et les décrets d'application pour faire appliquer la législation existante. Vous devez ordonner par arrêté interministériel ou préfectoral la cessation d'opérations promotionnelles qui désorganisent le marché, comme celles que nous avons vues l'été dernier et les années précédentes concernant les tomates, les concombres, les fraises, les poires et les salades.

Madame la ministre, je mettrai toute mon énergie pour soutenir votre texte au sein du RPR, mais aussi pour faire enfin appliquer la loi, dans l'intérêt du pays (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe socialiste).

M. Yves Cochet - Le capitalisme français a toujours hésité entre deux modèles, celui du capitalisme rhénan et celui du capitalisme anglo-américain.

Pour les économistes, le premier se caractérise par le faible nombre de sociétés cotées, des actionnaires peu nombreux, un marché des capitaux peu liquide, une transparence faible des droits des actionnaires, un système complexe de participations croisées, un environnement défavorable aux rachats hostiles et un pouvoir bancaire fort, tandis que le second présente les caractéristiques inverses.

Votre projet révèle, au moins dans sa première et sa troisième partie, la volonté de faire évoluer le capitalisme français du modèle rhénan vers le modèle anglo-américain.

Contrairement à ce qu'ont soutenu certains collègues, c'est là une évolution considérable, dont la figure emblématique est l'actionnaire minoritaire, qui a pour objectif unique la valorisation de ses actions via les gestionnaires de fonds.

Nos sociétés contemporaines semblent abandonner l'individualisme citoyen, caractérisé par l'Etat-providence, l'interventionnisme keynesien et la politisation de la monnaie pour passer à l'individualisme patrimonial en développant la mondialisation financière, le gouvernement d'entreprise, les fonds institutionnels, l'indépendance des banques centrales et, bien sûr, les retraites par capitalisation.

Est-ce là un mouvement inéluctable ? Je ne l'espère pas et je ne le crois pas. Avec des collègues du comité ATTAC de l'Assemblée, nous proposons des amendements visant à introduire plus de démocratie dans la sphère économique et financière. Ils tendent à donner aux salariés la possibilité de suspendre, voire refuser une OPA ou une OPE, à introduire la représentation des usagers dans les instances des sociétés assurant une mission de service public, à permettre la représentation du Parlement au sein de la commission bancaire, à rétablir l'impôt de bourse sur les opérations effectuées par les actionnaires non-résidents, à étendre les poursuites et les sanctions à toute personne concernée par les mouvements de capitaux douteux, à étendre, enfin, les obligations de transparence aux activités de financement des exportations via la COFACE. Nous proposons également d'aligner les conditions de création et de fonctionnement des produits financiers solidaires sur celles des produits classiques et de créer un label garantissant le respect par le producteur des normes sociales et environnementales.

Les députés Verts défendront ces orientations en espérant que le projet sera suffisamment amendé pour pouvoir être voté (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe communiste et quelques bancs du groupe socialiste).

M. Hervé Morin - Est-ce que ce texte correspond aux ambitions annoncées dans le discours de Strasbourg du 23 septembre ? Permet-il de répondre à l'émotion provoquée dans le pays par la décision de Michelin de licencier 2 000 salariés ? On avait promis de sanctionner le travail précaire, de supprimer les aides publiques aux entreprises qui présentent des plans sociaux : il n'en est plus question.

Une fois de plus, le Parlement est appelé à légiférer sur un texte qui, sauf pour les dispositions concernant le droit de la concurrence, est un texte-alibi, un texte de tribune pour les futures campagnes électorales. Nous avons malheureusement l'habitude, en France, de prévoir une loi dès qu'un événement est médiatisé...

Deuxième question, le contenu du projet correspond-il à son titre ? Peut-on parler de « nouvelles régulations » ?

En réalité, il s'agit beaucoup plus de réglementer, de corriger certaines dispositions que de réguler.

Aborde-t-on les vraies questions que soulèvent la mondialisation et ses effets pervers ? Y a-t-il une nouvelle répartition du revenu primaire, comme l'avait souhaité Dominique Strauss-Kahn, dans une intervention restée célèbre, lors de l'examen de la loi de finances ? S'oriente-t-on vers un nouveau partage entre salaire et capital, comme l'avait annoncé le Premier ministre ? Rien de la sorte !

Est-il prévu de renforcer le droit de la concurrence en conférant à l'autorité de contrôle des pouvoirs et des moyens importants, comme aux Etats-Unis ? Là encore, aucune disposition de ce genre.

Y a-t-il une réflexion sur la régulation des nouveaux marchés liés au commerce électronique et à l'Internet. Il n'en est pas question dans ce projet. C'est un texte fourre-tout, comportant certaines dispositions fort complexes, comme l'article 61 sur la prévention des conflits d'intérêts, et qui relève plus du DDOEF que de la réforme globale annoncée. Il pose, une fois de plus, la question de la stabilité de la norme juridique. Les modifications incessantes de notre réglementation ont pour première conséquence une inégalité des Français devant la loi : aujourd'hui il faut pouvoir se payer des conseils et des avocats pour connaître le droit applicable -et éventuellement le détourner.

Pour l'UDF, la vraie régulation économique aurait consisté à présenter un projet comportant notamment un volet sur l'actionnariat salarié car c'est le meilleur moyen pour le salarié pour participer aux décisions de l'entreprise.

Nous aurions aussi voulu que le conseil de la concurrence soit enfin doté de moyens suffisants pour faire reculer tous les abus en matière de droit de la concurrence. Nous sommes en la matière très en retard par rapport à de nombreux pays anglo-saxons. S'agissant des grandes surfaces, la France connaît une situation de concentration tout à fait singulière parmi les pays occidentaux. Cependant, personne ne s'est opposé à la fusion Carrefour-Promodès qui renforce encore cette caractéristique. Il en va de même des grands cabinets d'avocats. Sait-on qu'en France, les cinq plus grands cabinets américains représentent 90 % du marché des sociétés côtées en bourse et que les Etats-Unis eux-mêmes refusent de tels abus de position dominante sur leur territoire ? En matière de concurrence, il est urgent de renforcer les pouvoirs des instances de régulation.

Le groupe UDF aurait également souhaité que la refonte de la loi de 1966 et de celle sur le droit des sociétés soit enfin engagée, comme il aurait souhaité qu'aboutisse enfin le statut de société de droit européen afin d'éviter la concurrence entre Etats-membres de l'Union européenne et que la fusion d'Aérospatiale et de Dasa n'aboutisse à la constitution d'une société de droit néerlandais !

La définition de la notion de groupe a également été oubliée dans ce texte alors qu'elle aurait permis d'harmoniser les approches entre le droit fiscal et le droit des sociétés.

Nous regrettons enfin que la dimension européenne et la perspective mondiale aient également été oubliées. Dans son discours de Strasbourg, le Premier ministre déclarait : « Il nous faut absolument nous pencher sur le renforcement des règles multilatérales commerciales face à la tentation de l'unilatéralisme ». Ce texte exprime pourtant une forte tentation unilatéraliste puisque l'ensemble des enjeux ne sont abordés que sous l'angle national.

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Hervé Morin - Le dernier sujet qui aurait du être traité a trait au droit syndical et au rôle des institutions représentatives du personnel.

Ce texte se présente donc comme un texte alibi, qui préfigure déjà la campagne présidentielle puisqu'il permettra à M. Jospin, le moment venu, de dire : « Nous avons régulé l'économie en prenant des dispositions pour lutter contre le capitalisme sauvage ». Mais l'écart est grand entre ce projet et le discours de Strasbourg du 27 mars dernier (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Jean-Claude Daniel - Je ne puis résister au plaisir de dire que le consensus qui s'était dégagé des travaux de la mission sur la grande distribution trouve dans les propos de M. Charié une confirmation. Notre convergence de vues raccourcira d'autant mon propos.

Entre l'économie administrée d'hier et l'impuissance publique chère aux ultra-libéraux, il y a place pour une économie régulée. Telle est la responsabilité de l'Etat moderne, qui ne lui confère pas pour autant le monopole de l'initiative.

Il serait singulier de penser -M. Madelin l'a fait mais il est homme de singularité- que « la régulation économique » pourrait s'instaurer de manière univoque et définitive. Les sociétés et les règles qui les organisent évoluent sans cesse et il n'y a plus place pour des systèmes qui ne situent pas l'homme au centre du rapport à l'économie.

Le commerce électronique en apporte une illustration en ce qu'il ne peut s'organiser qu'au travers de trois pôles : la production de biens, la présentation de cette production sur un catalogue virtuel grâce à l'Internet et la mise à la disposition du public des biens produits. Pour avoir valorisé à l'excès le deuxième en négligeant le fait qu'il ne faut pas montrer sans produire ou sans livrer dans un délai raisonnable, les premiers « e-commerces » américains ont connu à la fin de l'année dernière de sérieuses difficultés.

Si chacun s'accorde sur le fait que les grandes surfaces ont apporté beaucoup au consommateurs, elles ne peuvent prétendre à toutes les vertus. De graves dérives ont ainsi été constatées dans la relation de partenariat entre producteurs et distributeurs, aux dépens de l'emploi, de la qualité et de l'aménagement du territoire. Il ne s'agit pas aujourd'hui de diaboliser les uns et d'absoudre les autres. A l'évidence, si les textes qui se sont succédés de 1973 à 1996 étaient mieux appliqués, nous n'en serions pas là. La loi est claire : à mêmes conditions de vente doivent correspondre de mêmes conditions d'achat ; les conditions de vente du fournisseur sont transparentes et non négociables ; un contrat écrit est nécessaire lors de rémunérations de services spécifiques, qui doivent être réels, identifiables et ne pas créer de discriminations injustifiées ; les rémunérations et les avantages obtenus ou accordés doivent avoir une portée restreinte. Si la loi était mieux appliquée, les pratiques seraient plus loyales et la nécessité de réguler serait moindre. Certaines prises de positions ne sont pas acceptables, telles celles de ce grand distributeur, qui, ayant instauré un système de bons d'achat qui contourne l'interdiction de la vente à perte, n'hésite pas à dire : « La loi Galland, je m'assois dessus ! » Il revient à l'Etat de faire respecter la loi pour qu'elle s'impose à tous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Notre analyse ne peut aujourd'hui se limiter à la dualité production-distribution, dont l'objectif serait de faire bénéficier le citoyen du prix le plus bas. Le débat « économie de marché » contre « société de marché » s'inscrit en réalité dans le triptyque « production-distribution-consommation ». Le récent film de Moore « The big one » témoigne des dangers des délocalisations en montrant que la recherche du prix le plus bas pour le consommateur a un coût insupportable pour le citoyen. Les femmes et les hommes qui concourent à la production doivent bénéficier d'un partage équitable des richesses et des plus-values.

Le texte qui nous est proposé permet de progresser dans la voie de la moralisation des pratiques commerciales, de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et du contrôle des concentrations. Cependant, pour s'inscrire dans le droit fil du rapport Le Déaut-Charié et de la mission sur la grande distribution, la commission de la production a souhaité enrichir le texte par une série d'amendements, qu'il s'agisse de l'interdiction de prix abusivement bas en matière de vente au détail de carburants, de la subordination des annonces de prix dans le secteur des fruits et légumes frais hors des lieux de vente à l'existence d'un accord interprofessionnel, de l'obligation pour l'acheteur-distributeur de fournir une lettre de change lorsque le délai de paiement est supérieur à 45 jours, de la refonte de l'article 28 ou encore du renforcement des pouvoirs du Conseil de la concurrence. Peut-être aurait-on pu donner aussi un contenu aux schémas de développement commercial...

Ainsi enrichi, ce texte ne forme pas un nouveau droit de la concurrence mais apporte de nouvelles régulations qui, pour modestes qu'elles puissent paraître, étaient très attendues et modifieront les choses en profondeur. J'y souscris pleinement (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilbert Gantier - Le titre de ce projet est réellement impressionnant : « nouvelles régulations économiques ». Il ne faut pas confondre « règle » et « régulation ». En latin, régulare signifie « diriger ». Faut-il donc voir dans ce texte la réaffirmation de notre tradition dirigiste ? Quant à l'épithète « nouvelles », elle me rappelle la fameuse NEP soviétique -qui prétendit tout réorganiser (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) - ou encore le New deal de Roosevelt. Quand j'ai vu ce titre, j'ai imaginé une ambition du même genre, quelque chose d'énorme. Autant dire que j'ai été déçu ! Car ce texte a beau être long de 74 articles, il n'en est pas moins pauvre. Rien sur l'épargne salariale...

M. Jean-Pierre Balligand - Cela viendra.

M. Gilbert Gantier - Rien sur la fiscalité des stock-options, sujet qui a pourtant l'air d'occuper la majorité plurielle... Rien sur le gouvernement d'entreprise. Pour compenser l'indigence de sa pensée économique et pour masquer son immobilisme politique, le Gouvernement a produit un texte fleuve et procédurier qui touche à des sujets très divers.

L'examen en commission a d'ailleurs montré le décalage entre le Gouvernement, qui s'est contenté de présenter un fatras de procédures et de dispositions très techniques et la majorité socialiste qui voyait là l'occasion de réaffirmer le primat de l'idéologie sur les réalités économiques.

Le rapporteur de la commission des finances n'a d'ailleurs pas témoigné d'un enthousiasme acharné pour assurer la promotion de ce petit DDOEF qui n'amènera pas le grand soir du socialisme et de l'étatisation

Reste que ce texte est profondément anti-libéral, raison pour laquelle je m'y oppose. Il pose en principe la supériorité de la régulation par l'Etat et par ses satellites sur l'autorégulation. Il fait passer des considérations d'opportunité d'ordre politique avant une régulation normalisée de la concurrence. Par ailleurs, il crée des structures et des observatoires inutiles.

Il est en fait bâclé. La réforme du droit des sociétés reste très incomplète et constitue un patchwork indigeste des rapports Viénot et Marini, qui ont fait sourire tous les professionnels du droit. Le volet « gouvernement d'entreprise » nous présente la société anonyme du « troisième type ». Sous prétexte de mettre fin au « PDG de droit divin », on va mettre en opposition les dirigeants avec le conseil d'administration et créer une structure bicéphale tout en espérant que la société continuera de parler d'une seule voix. Au total, ce projet ne rompt pas avec les archaïsmes socialistes et multiplie les équivoques en mélangeant règles prudentielles et interventions d'opportunité de l'Etat sur les marchés. C'est pourquoi je ne le voterai pas (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jean-Pierre Balligand - A chaque fois que l'instabilité financière bouleverse les certitudes acquises sur l'infaillibilité des marchés, on voit resurgir le débat entre ceux qui, depuis Adam Smith, croient en la fameuse « main invisible » et ceux, plutôt keynésiens, qui n'ont jamais reconnu au marché le pouvoir de trouver des équilibres coïncidant naturellement avec le bien commun.

L'actualité récente nous donne de nombreux exemples de dysfonctionnements. Que penser en effet de la valorisation d'une partie des sociétés de la nouvelle économie et de la bulle spéculative qui s'est formée autour du Nasdaq ? Quand le marché ne sait rien sur la valeur d'un secteur, la solution du laisser-faire conduit à l'instabilité, à la volatilité des prix, à des OPA inamicales, à des comportements moutonniers des investisseurs privés...

L'instabilité fait partie des mécanismes de marché. Keynes le disait déjà il y a plus de soixante ans et M. Greenspan, le gourou actuel de la régulation mondiale, ne fait rien d'autre que redire, non sans talent, les prophéties keynésiennes.

Qu'est-ce qui différencie la crise de « tulipe mania » qu'a connue la Hollande au XVIIe siècle de la « doc.com mania » d'aujourd'hui ? Au niveau des mécanismes de fabrication d'une bulle spéculative et de propagation des chocs financiers, pas grand chose ! Si l'instabilité, la spéculation et les comportements grégaires traversent toute l'histoire du capitalisme, la régulation économique n'est pas pour autant une science immuable. Les régulations économiques d'aujourd'hui ne sauraient être de même nature que celles d'hier.

La globalisation financière change la nature du débat qui oppose les partisans de l'interventionnisme à ceux du laisser-faire. En effet, continuer d'affirmer que c'est l'intérêt individuel qui explique les comportements collectifs serait une erreur fondamentale. Ce qui est aujourd'hui déterminant pour appréhender les mécanismes de marché, c'est l'existence des externalités, qui fait que la recherche par chacun de son intérêt ne mène pas forcément au bien-être collectif. Il faut donc des mécanismes correcteurs. C'est le fondement même de la régulation économique.

Si la donne est aujourd'hui différente et si nous assistons à une nouvelle distribution des rôles, c'est en premier lieu parce que les économies nationales sont beaucoup plus interdépendantes que naguère. Il est logique que les pays situés dans un espace régional intégré comme celui de la zone euro se soient placés sous l'autorité monétaire d'une seule banque centrale, indépendante des pouvoirs publics nationaux. Ensuite, la régulation de l'économie est devenue un exercice de plus en plus fin qui ne coïncide plus avec une approche dirigiste de la régulation. Enfin, la globalisation financière a considérablement accru le rôle des acteurs privés dans la régulation des économies. Les décisions de politique budgétaire ou monétaire sont aujourd'hui sanctionnées par ces acteurs privés qui se déplacent librement d'une place financière à l'autre.

Venons-en aux nouvelles régulations : je défendrai l'idée que ce projet contribuera au débat international. Contre la vision irréaliste des partisans de l'autorégulation et en allant plus loin que les organisations internationales, nous posons là, je crois, les jalons d'une doctrine renouvelée de la régulation de l'économie, doctrine à la fois plus offensive et plus globale.

La difficulté est que, pour maîtriser les excès du marché, il faut accepter une régulation plus complexe à mettre en _uvre, plus « stratégique ».

Quels sont les fondements de cette nouvelle régulation ? Le premier est que la marché ne peut l'assurer seul. Certains continuent certes de réclamer une économie de marché guidée par la seule flexibilité des prix, mais il est clair que l'exigence de sécurité prévaut aujourd'hui partout -c'est même le point commun entre la régulation du marché des biens, celle du marché du travail et celle du marché du capital.

Le deuxième fondement est la recherche d'un compromis entre les trois formes de régulation que sont la régulation privée, la régulation par les pouvoirs publics et la régulation par des autorités publiques indépendantes. Je pense sincèrement qu'il faut accepter l'idée d'un mouvement de fond tendant à l'émancipation des dernières, mouvement qui se justifie par la nécessité de contrecarrer les effets pernicieux des marchés : cet objectif suppose des règles stables d'intervention, et une crédibilité qui implique à son tour la transparence.

A ceux qui craignent qu'il n'en résulte un affaiblissement du pouvoir exécutif, le projet apporte de solides garanties. Si les règles de fonctionnement de ces autorités indépendantes sont là pour les mettre à l'abri des aléas du court terme, ces institutions n'en font pas moins partie des pouvoirs publics. Le texte fait donc avancer l'idée selon laquelle cette régulation indépendante présente des avantages sur une régulation plus étatique, dans la mesure où elle organise une plus grande transparence des décisions et réduit donc le risque d'arbitraire.

Le renforcement des pouvoirs consultatifs du Parlement à l'égard de ces autorités indépendantes nous donne par ailleurs de nouveaux instruments, dont nous devons nous saisir en suivant l'exemple du Congrès américain.

Il est par ailleurs indispensable que le gouvernement français mette à profit sa présidence de l'Union pour mettre à l'ordre du jour la question de la régulation en Europe. Ce texte lui offre une base de discussion à cet effet : si modeste que le jugent d'aucuns, ce peut être un levier important pour que le débat se noue autour de nos propositions. En matière de régulation des marchés, il faudra trouver rapidement un fondement juridique stable pour une sorte de COB européenne susceptible de superviser l'ensemble des transactions sur des places financières qui finiront inéluctablement par fusionner. Je suis également persuadé que nous ne pouvons, à terme, faire l'économie d'un regroupement des autorités de régulation financière...

Ce projet contribue à la réhabilitation de l'action publique comme instrument de correction des dysfonctionnements du marché. Nous pouvons infléchir le cours des choses si nous prenons pour guide et pour philosophie la régulation. Ce ne sera en rien le retour à l'interventionnisme. De plus, les nouvelles régulations sont aussi un facteur de compétitivité accrue pour nos entreprises et pour la place de Paris. Ce moment consolidera tout ce qu'a déjà fait le Gouvernement pour l'emploi, en asseyant son effort sur une croissance encore plus robuste ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gilles Carrez - Le titre de ce projet est particulièrement trompeur : on cherchera en vain du « nouveau » dans ce texte ! Disparate, il s'alimente des fonds de tiroir de Bercy pour ce qui est de la régulation des marchés financiers ou du blanchiment. S'agissant du droit de la concurrence, on ne voit pas bien ce qu'il apporte à la loi Galland. Quant à la régulation, elle n'est évoquée que par abus de langage : il n'y a ici que foisonnement de dispositions réglementaires de détail, sans conception d'ensemble.

Ce n'est d'ailleurs guère étonnant quand on connaît les avatars de ce projet. Dès ses origines, en septembre, en réaction au propos maladroit de M. Jospin soutenant qu'il ne fallait pas tout attendre de l'Etat, il a été conçu comme un dispositif de façade, destiné à servir de masque à l'impuissance. « Marché » y était remplacé par « capitalisme » et la moralisation, était accommodée à toutes les sauces, pourvu qu'elle ne s'applique pas à l'Etat !

Pourtant, la notion de régulation méritait mieux que cette approche réglementaire et pointilliste ! Je m'attacherai donc à esquisser quelques pistes pour un projet plus ambitieux. En premier lieu, quelle meilleure régulation pourrions-nous imaginer que celle qui permettrait de promouvoir la participation des salariés aux résultats et aux décisions de l'entreprise ? De surcroît, cela contribuerait à consolider le régime de retraite par répartition et à faire reculer l'influence des fonds de pension anglo-saxons dans notre économie... Mais vous avez préféré rejeter nos propositions de loi sur le sujet, vous contentant de promesses !

Une deuxième piste de réflexion concerne les autorités de régulation. Votre projet ne traite que du secteur financier, et encore de façon très limitée. Or la multiplicité des intervenants et l'enchevêtrement de leurs interventions nuisent à l'efficacité de leur action. En outre, aucun contrôle démocratique n'est exercé sur ces autorités dont l'activité échappe totalement au Parlement. Quel contraste avec les Etats-Unis ! Nous avons le marché, mais nous n'avons pas la régulation et nous ne l'aurons pas davantage avec ce texte.

D'autre part, bien d'autres secteurs appellent un renforcement de la régulation : transports, télécommunications, énergie, audiovisuel, sécurité sanitaire... Mieux aurait donc valu un texte-cadre, fixant des principes, que ce dispositif tatillon !

Dans la ligne ouverte par la mission d'évaluation et de contrôle créée par Laurent Fabius, il faut rapidement développer les moyens d'information et de contrôle du Parlement sur les autorités indépendantes de régulation, qui ne manqueront pas de se multiplier. Nous devons aussi organiser la surveillance de nos grands monopoles publics, dans un souci d'efficacité et de moindre coût pour l'usager. Mais ce volet également manque ! Et je ne parle pas de la réforme d'un Etat donneur de leçons !

A force de légiférer pour le seul hexagone, vous oubliez enfin la dimension internationale de la régulation. Au cours du dernier débat budgétaire, ceux qui ont relancé le débat sur la taxe Tobin avaient au moins le mérite de poser la question Il n'en reste aucune trace ici ! Pourtant la présidence de l'Union va vous offrir la possibilité d'ouvrir le débat dans un cadre plus approprié... Ce projet a cependant un grand mérite dans sa modestie : il s'inscrit durablement dans le marché, qu'il cherche à réguler, et non plus à juguler ! Ce ralliement de la gauche plurielle est le principal enseignement de ce texte sans ambition. Les OPA seront de plus en plus transparentes, les concentrations de plus en plus massives, les fournisseurs de plus en plus dépendants, les monopoles publics de moins en moins efficaces mais cette loi aura sanctifié ces évolutions ! L'imagination et l'ambition ne sont décidément pas au pouvoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe DL)

M. Gérard Fuchs - A propos de mondialisation, on évoque trop peu souvent celle du crime organisé, qui repose aujourd'hui sur trois piliers : le trafic de drogues, à partir du Triangle d'or, du Croissant d'or et, pour la cocaïne, des pays andins ; la prostitution internationale, dont les racines sont essentiellement dans l'Europe de l'Est et dans l'ex-URSS ; enfin, le grand banditisme. Le chiffre d'affaires de ce crime organisé se situerait selon les experts entre 500 et 1 000 milliards de dollars, les profits étant du tiers ou de la moitié de ce montant !

Or ces profits ne se matérialisent que grâce au blanchiment qui, lui-même, repose sur le secret bancaire ou professionnel, le secret des affaires ! Lever ce secret grâce à la déclaration de soupçon à Tracfin : tel était l'objet de la loi de 1990. Aujourd'hui se pose la question d'étendre la disposition à d'autres acteurs. Certains redoutent que la mesure n'ouvre dans certains cas un risque de délation. Un expert-comptable doit-il signaler ses doutes, un avocat répéter des confidences ? La question est réelle mais le risque majeur me semble en l'occurrence celui de non-assistance à personne en danger. Faire silence, c'est laisser racketter des paysans producteurs de drogue, c'est laisser mourir le dealer-consommateur de nos banlieues ou la prostituée de nos centres-villes.

On dit aussi que le moment n'est pas venu, qu'il faut attendre la transposition d'une directive européenne... Certes, je suis moi aussi convaincu que mieux vaut agir à l'échelle de l'Europe mais pourquoi ne pas mettre à profit le délai entre cette discussion et la transposition pour demander aux professions concernées de réfléchir et de présenter leurs suggestions ? A mal nouveau, réponses nouvelles. Dans la mesure où l'autorégulation ne suffit pas, c'est à la régulation publique de les donner. L'argent sale n'est pas seulement un scandale du point de vue social : je suis persuadé qu'à terme il menace notre démocratie elle-même (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu cet après-midi, mercredi 26 avril, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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