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Session ordinaire de 1999-2000 - 82ème jour de séance, 194ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 9 MAI 2000

PRÉSIDENCE de M. Patrick OLLIER

vice-président

Sommaire

          DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LES ORIENTATIONS
          DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE
          DE L'UNION EUROPÉENNE (suite)...........................................2

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LES ORIENTATIONS DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DE L'UNION EUROPÉENNE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite du débat sur la déclaration du Gouvernement sur les orientations de la présidence française de l'Union européenne.

M. Maurice Ligot - La présidence française de l'Union européenne doit être l'occasion de faire avancer l'Europe -du moins, est-ce la conviction des députés UDF- dans la ligne des pères fondateurs, dont Robert Schuman fut l'un des plus grands. Faire avancer l'Europe dans sa capacité à décider -ce sont les réformes institutionnelles-, dans sa capacité à répondre aux aspirations des Européens et à occuper toute la place qui doit lui revenir dans le monde, dans sa capacité à s'ouvrir à tous les pays candidats.

La présidence française pourra-t-elle le faire ? Il n'est pas douteux qu'un certain nombre d'écueils se dressent devant elle. Ainsi, la réforme des institutions paraît nécessaire mais, si le traité de Maastricht en avait posé le principe, celui d'Amsterdam n'a abouti à rien dans ce domaine et les Etats membres ont été incapables de prendre des décisions. En ira-t-il autrement au cours des six prochains mois ? Rien ne le montre.

L'élargissement, qui est un enjeu capital pour l'Union est en même temps lourd de difficultés institutionnelles et économiques, en raison des différences de niveau de développement comme des différences juridiques et culturelles. En contrepartie, l'aspiration des populations des pays candidats est forte et le risque de déception est réel, que des retards inévitables ne pourraient qu'aggraver.

La situation monétaire de l'Europe nous pose un problème imprévu. Certes, le niveau actuel de l'euro favorise les exportations, l'activité et l'emploi ; mais il ne correspond pas à une volonté délibérée, en l'absence d'une véritable autorité politique européenne. Il faut, d'urgence, une voix politique et une seule, à l'euro.

Ces difficultés ne seraient peut-être pas perçues comme telles si le couple franco-allemand fonctionnait comme à d'autres époques. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Or, l'idée même d'Union européenne est construite sur la réconciliation franco-allemande puis sur le travail en commun.

La situation autrichienne soulève d'autres interrogations, sur la nature même de l'Union, fondée sur la démocratie et les libertés individuelles. Elle pose aussi à la prochaine présidence les problèmes de divergences entre pays membres et des menaces du gouvernement autrichien de bloquer les décisions en boycottant la présidence française.

Autre problème, celui des limites de l'Europe. Autant l'élargissement aux pays européens, au centre et à l'est du continent doit être considéré comme un processus de réunification, après une longue histoire de divisions ; autant la porte ouverte à la Turquie ne paraît fondée ni sur la géographie, ni sur la culture, ni sur l'histoire. Ce qui n'exclut pas, bien entendu, des possibilités d'accords.

Au vu de toutes ces difficultés, la présidence française ne devra pas afficher des ambitions excessives.

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - Très bien !

M. Maurice Ligot - L'Union européenne doit d'abord toucher les citoyens, dans leur vie, leur montrer qu'elle existe pour eux. Cela vaut notamment dans les domaines de la sécurité alimentaire, de la sécurité des transports maritimes, de la sécurité des tunnels, de la justice, des droits et libertés des Européens.

L'euro paraît très loin des citoyens dont il sera pourtant, dès 2002, la seule monnaie. Il faut donc mieux les informer. La France a aussi beaucoup à gagner à une harmonisation fiscale et sociale. Une Europe de l'innovation serait de nature à dynamiser la jeunesse.

L'Union européenne doit en deuxième lieu être sensible aux attentes des populations des pays candidats. Mais il faut leur faire comprendre que nos préoccupations en matière d'institutions ne sont pas un prétexte pour retarder l'élargissement, mais un gage du bon fonctionnement de l'Union élargie.

Il ne faut pas occulter les problèmes qu'entraînera l'intégration des agricultures polonaises, hongroises, roumaines en particulier, la concurrence redoutable pour nos produits déjà malmenés par la réforme de la PAC.

Le poids économique et démographique de l'Europe ne doit pas rester un atout inemployé. C'est un troisième objectif pour la présidence française. L'Union doit occuper toute sa place dans le monde et être un acteur de paix et de sécurité, donc jouer un rôle politique.

La présidence française doit s'employer à renforcer les capacités de défense de l'Europe.

Elle aura aussi à organiser le premier sommet euro-méditerranéen, à Marseille, le sommet Europe-Asie du Sud-Est, à Séoul, des rencontres avec le Japon, la Chine, la Russie, l'Ukraine. Elle devra se pencher sur la situation dans les Balkans, qui impose une plus grande cohérence de l'action de l'Union européenne. Elle aura aussi un rôle décisif à jouer dans le processus de mondialisation.

J'en viens à ce qui constitue sans doute la mission centrale de la présidence française, la réforme institutionnelle, capitale pour permettre à l'Union de jouer son rôle politique dans le monde, même si, reconnaissons-le, telle n'est pas la préoccupation première des citoyens et des pays candidats. Cette mission est essentielle car une Europe de plus en plus inefficace à quinze deviendrait ingouvernable à trente. Pour que l'Europe fonctionne il convient, pour le moins de revoir la composition de la Commission, le régime des votes au sein du Conseil des ministres et le régime du vote à la majorité. C'est ce que l'on appelle l'approfondissement.

Je propose donc que l'on dresse une liste des matières à décider à l'unanimité, que chaque pays membre ait un commissaire, en établissant toutefois une certaine hiérarchie selon les matières, enfin que l'on retienne au sein du Conseil le principe de la double majorité : majorité d'Etats et majorité démographique.

Ces modifications seront-elles suffisantes pour donner efficacité et légitimité aux institutions de l'Union ?

Ne conviendrait-il pas aussi d'approfondir la mise en _uvre de la subsidiarité, quelque peu délaissée, de donner aux parlements nationaux, expression de la souveraineté nationale, une place dans le processus de décision européenne, de donner une forme solennelle et compréhensible aux institutions européennes, sous la forme non d'un traité, mais d'une constitution ?

Telle n'est sans doute pas là, la mission d'aujourd'hui de la présidence française, mais ne serait-ce pas la meilleure réponse à ceux que l'Europe effraie ? Nous pouvons donc attendre beaucoup de la présidence française pour lever les incertitudes et redonner force à l'Union.

Son succès sera à la mesure de notre volonté de mettre au second plan les contradictions françaises. Il se mesurera à la place qui sera donnée aux attentes des citoyens. Il sera réel si la réforme institutionnelle aboutit et si l'on favorise des coopérations renforcées, qui sont le meilleur moyen de faire avancer l'Europe, ce que nous souhaitons tous (Applaudissements sur les bancs du groupe DL et du groupe UDF).

M. Jean-Claude Lefort - L'idée européenne est née il y a cinquante ans. Depuis lors, le monde a profondément changé. Il n'est plus dominé par l'affrontement Est-Ouest. L'enjeu aujourd'hui est lié à la bipolarisation entre pays riches et pauvres et au sein même des pays riches à l'aggravation des inégalités.

Le projet européen ne peut l'ignorer, pas plus qu'il ne peut être qu'une réplique à la volonté hégémonique des Etats-Unis. En effet, faire du libéralisme l'alpha et l'oméga de la construction européenne, nuit au progrès social et à la démocratie.

C'est parce que le dessein européen actuel n'est pas en concordance avec une vision moderne, humaine, du monde contemporain qu'il suscite indifférence, mécontentement, replis identitaires dangereux.

Rien de fatal à cela dès lors qu'une volonté politique forte donne à l'Europe, à l'intérieur comme à l'extérieur, une tonalité progressiste.

C'est dans ce cadre que la présidence française est attendue. Certes, six mois c'est peu. Mais c'est aussi beaucoup pour donner des impulsions que l'opinion publique, intéressée, soutiendra.

La présidence française doit tenter de parachever, d'ici le conseil de décembre à Nice, la réforme des institutions avant l'élargissement de l'Europe. Robert Hue a déjà indiqué notre souci à ce sujet ainsi que notre souhait d'associer les pays candidats. Il a dit également que nous ne sommes pas par principe opposés à la majorité qualifiée, mais défavorables à l'idée d'une extension par principe de cette règle à l'ensemble du « pilier 1 ».

Les forces politiques et économiques dominantes sont-elles acquises à une Europe de progrès social porteuse d'un message actif pour une autre mondialisation ? J'en doute. Dès lors, qu'en aurait-il été de la loi sur les 35 heures si la majorité qualifiée s'était appliquée pour empêcher notre liberté actuelle sur, je cite, « les contributions financières visant à la promotion de l'emploi » ?

Si cette majorité qualifiée s'était appliquée à la politique commerciale, du droit de la propriété intellectuelle et des services, la France aurait-elle pu prendre la même attitude à propos de l'AMI ou refuser à Seattle de déroger au principe de l'exception culturelle et d'inclure les biotechnologies dans les discussions ?

En revanche nous voyons du meilleur _il l'élaboration d'une charte des droits fondamentaux et sociaux qui détermine un socle minimal au niveau européen, chaque pays étant libre de faire mieux.

Une résolution du Parlement européen encourage l'introduction dans cette charte de clauses comme le droit de grève et le droit de se syndiquer, les principales conventions de l'OIT, la non-discrimination vis-à-vis des femmes et des étrangers. Encore faut-il veiller à ce que ces droits sociaux s'appliquent à tous et non seulement aux résidents communautaires.

De même conviendrait-il de fixer des objectifs sociaux enfin quantifiés pour la réduction du chômage, la formation, les salaires et la protection sociale.

En vérité, l'Europe sera sociale ou ne sera pas !

Je voudrais, enfin, faire trois autres propositions.

D'abord pour lutter contre le libéralisme et les mouvements spéculatifs de capitaux, notre délégation pour l'Union européenne a proposé, dans une résolution, que la présidence française propose l'instauration d'une taxe sur ces mouvements. On nous dit que cette taxe Tobin ne pouvait être appliquée rationnellement au niveau national. Ce sera différent au niveau européen.

Déjà plus de 130 parlementaires français se sont prononcés en ce sens et un appel mondial des parlementaires recueille déjà des centaines de signatures.

M. Jean-Marie Bockel - Très bien !

M. Jean-Claude Lefort - La France est donc attendue sur ce point qui va de pair avec la lutte contre les paradis fiscaux.

S'agissant du Sud, outre le sommet Euro-méditerranéen évoqué par Robert Hue, il me semble propice, après Seattle, que notre pays propose des initiatives fortes en vue d'une modification en profondeur de l'OMC. Sans cela la légitimité de cette organisation sera compromise durablement alors qu'il faut des règles autres que la loi du plus fort.

De même, considérant à l'inverse du Président Clinton, qu'il faut à la fois du commerce et de l'aide pour ces pays, nous soulevons les questions de la dette, du montant de l'aide publique au développement et de la simplification de l'affectation du Fonds européen de développement.

Les pays ACP et d'autres l'attendent. Ne pas leur affecter 10 milliards d'euros déjà inscrits au FED constitue un véritable déni de solidarité indigne de l'Europe.

Un message fort vers les peuples européens en réorientant vers le social, et donc vers l'efficacité économique, la politique de l'Union européenne ; un fort message vers le Sud à la fois en terme d'aide et de travail sur l'OMC, voilà qui marquerait positivement la présidence française de l'Union européenne. Et voilà qui redonnerait un sens à l'Europe qui, aujourd'hui, en manque tant (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Pierre Lequiller - Comme au temps de Monnet et Schuman, la France a de nouveau rendez-vous avec l'Europe, et l'Europe attend beaucoup de nous. Se contenter de consolider les choses serait une stagnation, sinon un recul. Il faut prendre un nouveau départ pour peser sur un monde dominé par une seule superpuissance. Nous ne sommes pas les vassaux des Etats-Unis. Notre grande ambition doit être l'indépendance européenne.

Depuis l'avènement de l'euro, les avancées ont été trop timides. La présidence française doit se donner deux objectifs pour l'Europe : à l'extérieur sa reconnaissance entière d'acteur sur la scène mondiale ; à l'intérieur la formation d'une communauté de citoyens. Saint-Exupéry disait : si tu veux aller quelque part, si tu ne dis pas où tu vas et comment tu y vas, comment voudrais-tu que nous y allions ensemble ?

Quelle Europe voulons-nous ?

Nous voulons une Europe forte et démocratique. Pour cela il faut réformer les institutions et les modalités de décision. Soyons lucides. On ne pourra revoir la pondération dans le cadre actuel, car les petits pays ne renonceront pas à leurs acquis. Proposons donc à nos partenaires une nouvelle règle plus équitable et adaptable à l'avenir, telle la double majorité qualifiée proposée par Valéry Giscard d'Estaing et Alain Madelin, par exemple aux trois cinquièmes des pays et des populations. En outre il faut fixer le nombre de commissaires en fonction des missions et non du nombre de pays membres.

L'Europe que nous voulons est aussi une Europe réunifiée. Nous avons exigé des candidats d'Europe centrale et orientale des réformes préalables à l'adhésion. Elles sont engagées ; on ne peut plus les faire attendre. Comme le disait le président de la délégation européenne hongroise, on ne peut les laisser faire une course dont ils ne connaissent pas le point d'arrivée. Leurs peuples sont impatients, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque ont adhéré à l'OTAN. Il faut une échéance claire pour le premier groupe, quitte à prévoir des modalités de transition.

Pour autant nous ne voulons pas d'une Europe sans contour. La position du Gouvernement en faveur d'une adhésion de la Turquie est contestable. Vous n'avez jamais consulté le Parlement sur une décision qui modifie la cohérence de l'Europe. Pour nous, elle s'arrête aux frontières de l'ex-URSS, même si l'on peut discuter du cas de l'Ukraine. La définition de l'Europe mérite en tout cas un grand débat.

Nous voulons aussi une Europe forte et capable d'aller de l'avant. La distinction de Valéry Giscard d'Estaing entre Europe-espace et Europe-puissance est plus que jamais d'actualité. Or l'Europe-puissance repose sur la coopération renforcée. En admettant le veto d'un Etat, Amsterdam a échoué. Il faut qu'un tiers des pays représentant un tiers des populations puisse créer une coopération renforcée.

L'Europe que nous voulons, c'est une Europe moderne et subsidiaire, non pas un super-Etat archaïque et tatillon, intervenant sur tout. Les idées de grand emprunt, d'harmonisation fiscale et sociale, d'impôt européen sont des idées dangereuses et qui ne recueilleront pas l'assentiment de nos partenaires. Vous isolez politiquement la France en voulant exporter les mauvaises recettes de votre socialisme déçu : on sait l'accueil réservé par Schr_der et Blair aux 35 heures, on sait aussi l'isolement de Lionel Jospin à Lisbonne. Il faudrait que le Premier ministre surmonte sa souffrance devant l'Europe libérale, celle qui prône la déréglementation et l'Etat social actif pour sortir les gens de l'enfermement dans l'assistance : cela lui éviterait l'humiliation de voir Tony Blair créer un axe avec Aznar et Schr_der et vanter la déréglementation électrique en rappelant que le 10 Downing Street était alimenté par une entreprise française ...

Il est grand temps de revenir à la définition originelle du principe de subsidiarité, d'associer les parlements nationaux à son application et d'offrir des voies de recours devant une cour de justice rénovée.

L'Europe que nous voulons, c'est une Europe qui pèse sur la scène internationale. La PESC reste embryonnaire et l'Europe trop dépendante des Etats-Unis. La France doit défendre l'autonomie de Monsieur PESC.

Il est également indispensable que l'Europe se dote des instruments militaires de son autonomie. Une réorientation des budgets de défense s'impose, ainsi que l'édification d'une industrie de défense européenne.

Enfin, nous voulons une Europe respectueuse des droits et libertés des citoyens. L'élaboration d'une charte européenne va dans ce sens. Pour autant, l'intégration de cette charte dans les traités n'est pas souhaitable.

La citoyenneté européenne devra être au c_ur des préoccupations de la présidence française. Comme l'a dit le Président de la République, une grande priorité devra être donnée à la mobilité des jeunes. Les programmes d'échanges sont trop peu nombreux. Par ailleurs, une stratégie commune de développement durable devra être définie pour garantir la sécurité sanitaire et environnementale et éviter le retour de catastrophes comme le naufrage de l'Erika ou la vache folle.

Nous ne voulons pas, Monsieur Barrau, d'une présidence française modeste. Nous voulons une présidence à la hauteur de l'enjeu et, après l'édification de l'Europe monétaire, celle de l'Europe politique pour la paix (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

Mme Chantal Robin-Rodrigo - De Biarritz à Nice, un voyage de six mois doit ramener le train de l'Europe sur les bons rails, ceux des bâtisseurs visionnaires que furent Schuman, Monnet, Spinelli et Faure.

La présidence française est une occasion unique de donner à l'Europe son vrai visage, celui de citoyenneté, celui d'une Europe qui appartient à ses habitants, avant d'être l'affaire des Etats, ou de l'administration européenne. La prochaine CIG devra faire oublier le rendez-vous manqué d'Amsterdam et redonner souffle et légitimité à l'idée européenne.

Le premier défi à relever est la réforme des institutions, préalable à l'élargissement aux pays candidats à l'adhésion. Mais de nombreux parlementaires sont déjà intervenus sur cette question.

Je vous parlerai simplement de l'Europe des femmes et des hommes, trop souvent affirmée et rarement consacrée dans les faits. La charte des droits fondamentaux, actuellement en préparation nous permet d'édifier une construction européenne sur d'autres bases que le seul grand marché.

Je souhaite que la présidence française inscrive la charte à l'ordre du jour de la CIG et qu'elle soit incorporée dans le traité sur l'Union européenne afin de lui conférer un caractère contraignant.

Les droits fondamentaux ayant une vocation universelle, les citoyens des pays tiers résidant légalement en Europe devraient en bénéficier aussi.

Quelques mots sur les droits sociaux et économiques. L'Europe est riche, la croissance soutenue. Mais sa prospérité doit-elle s'accompagner, voire se nourrir de nouvelles inégalités ? Comment accepter que notre jeunesse paie le prix fort du chômage ?

Un chômeur ou un Rmiste a peu de chances d'obtenir un emploi dans les secteurs en vogue de l'informatique, de la biotechnologie ou des télécommunications.

Il est donc important que le traité de l'Union reconnaisse le droit au travail pour tous et que la présidence française fasse de la lutte contre l'exclusion sa priorité. Les radicaux de gauche souhaitent que l'Union européenne mette en _uvre une politique commune d'insertion et d'aide aux exclus.

Le sommet d'Helsinki a consacré l'échec d'une harmonisation de la fiscalité européenne sur l'épargne et les entreprises. Le déséquilibre entre fiscalité du travail et du capital se creuse dangereusement.

Après le citoyen-consommateur nourri aux OGM, la mode est au citoyen-boursicoteur. En face, il y a ceux qui, comme moi, dénoncent cette idéologie du « toujours plus ».

Les gouvernements ont jugulé l'inflation des salaires et des prix, ils ont le devoir de juguler celle des actifs financiers par un prélèvement sur les mouvements des capitaux. Cette taxe sur la spéculation boursière rendra sa pleine mesure à une économie socialement responsable, celle qui correspond à un échange de biens, de marchandises ou de services réels.

Par ailleurs, s'il est impératif de redéfinir les missions de service public, je m'oppose à leur remise en cause. J'appelle donc à un rééquilibrage, dans le traité, entre les règles de concurrence et les services d'intérêt général.

Un gouvernement de gauche ne peut accepter que la concurrence soit élevée au rang de principe sacro-saint et le service public réduit à un régime d'exception.

La France doit s'opposer au démantèlement de nos services publics, inscrit en filigrane dans les conclusions de Lisbonne et profiter de la CIG pour affirmer une conception européenne du service public, reposant sur un projet concret d'aménagement du territoire afin d'endiguer les graves inégalités de développement.

Les fonds structurels ne compensent que peu les inégalités territoriales. Nous souhaitons donc que l'Union européenne arrête un vaste plan de rééquilibrage.

Voilà les orientations que souhaitent voir mises en _uvre les députés radicaux de gauche, faute de quoi la construction européenne apparaîtrait comme purement monétaire et financière. Je suis persuadée que, sous l'impulsion de la présidence française, des progrès seront réalisés dans l'édification de l'Europe sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV, du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Christian Jacob - Peu de sujets suscitent autant d'espoirs et autant de craintes. Si une majorité de nos concitoyens reste persuadée que notre avenir passe par la construction européenne, ils ont en même temps le sentiment de subir l'Europe plus que d'y participer.

Il faut donc avancer vers l'Europe plus pragmatique et plus proche des citoyens que le Président de la République a appelée de ses v_ux. Elle ne doit intervenir que quand elle peut être plus efficace que les Etats a-t-il dit.

Il a également rappelé que les collectivités publiques, à commencer par l'Etat, ne devaient pénaliser ni l'emploi ni l'initiative, mais encourager le travail plutôt que l'assistance et baisser les prélèvements obligatoires tout en garantissant la protection sociale. Or l'action que vous avez menée jusqu'à présent va en sens rigoureusement inverse. Peut-être l'élargissement du vote à la majorité qualifiée aurait-il pu nous épargner les 35 heures et la TGAP. Vous avez tiré prétexte d'une directive européenne pour taxer le droit à polluer : mais vous vous servez du produit de cette taxe pour combler le gouffre financier créé par les trente cinq heures. Il faut que les convictions européennes se traduisent en orientations concrètes de la politique gouvernementale car chaque fois que l'Europe est utilisée comme bouc émissaire, c'est le sentiment d'euroscepticisme partagé par nombre de nos concitoyens qui progresse.

S'agissant de la réforme des institutions, dont il a été largement question, je fais partie de ceux qui souhaitent que le nombre de commissaires n'augmente pas à chaque élargissement et que la Commission s'en tienne à ses pouvoirs d'initiative et de contrôle. Elle n'a en effet pas vocation à devenir une instance de représentation des Etats. Or le risque de voir la Commission européenne sortir du cadre de ses prér ogatives est bien réel. Dois-je rappeler que M. Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères, avait dû taper du poing sur la table en 1993, lors des négociations bouclant le cycle du GATT, pour rappeler que les prérogatives du Conseil l'emportaient sur celles de la Commission ? Il est vrai que l'attitude de M. Glavany, laissant « tout filer » au conseil des ministres sur « Agenda 2000 », a contraint le Président de la République à tout reprendre...

M. Jean-Pierre Baeumler - Caricature !

M. Christian Jacob - ...et que le même ministre a expliqué que les exportations agricoles ne constituaient pas un point essentiel de la politique agricole commune...

M. Alain Barrau, président de la délégation pour l'Union européenne - Qui a défendu la PAC à Berlin ?

M. Christian Jacob - C'est le Président de la République ! Il convient donc de réaffirmer la prééminence du Conseil des ministres, dont le rôle dans la construction de l'Europe politique est essentiel.

S'agissant de la monnaie, la France est fière d'avoir été au rendez-vous de l'euro et il est juste de souligner à cet égard le rôle joué par les gouvernements de MM. Balladur et Juppé.

M. Jean-Pierre Baeumler - Vous êtes un homme du passé ! Regardez l'avenir !

M. Christian Jacob - En matière de sécurité, de défense ou de justice, s'il est naturel que les frontières des Etats membres s'estompent, il est nécessaire d'identifier avec plus de précision celles de l'Europe.

Nous plaidons également pour une meilleure association des parlements nationaux à la définition de la politique de l'Union. Leur rôle ne doit pas se limiter à traduire en droit national les orientations communautaires et je n'étais pas défavorable, à titre personnel, à la création d'une deuxième chambre européenne. Quoi qu'il en soit, il importe que les parlements nationaux soient étroitement associés à la définition et à la conduite des politiques communes.

M. Henri Cuq - Très bien !

M. Christian Jacob - S'agissant par exemple de la chasse, il faut être aussi déconnecté des réalités que Mme Voynet pour estimer que les dates d'ouverture de la chasse aux oiseaux migrateurs doivent être identiques du sud du Portugal au nord de l'Irlande !

J'en viens pour conclure aux négociations de l'Organisation mondiale du commerce, dont je rappelle qu'elles constituent un enjeu essentiel de la présidence française. L'Europe est l'une des régions du monde où les normes sont les plus fortes. Dans l'intérêt de nos entreprises, gardons-nous donc d'en créer de nouvelles.

Un cadre clair a été dessiné par le Président de la République : il appartient désormais au Gouvernement de prendre sa part de responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Jean-Marie Bockel - A l'approche de la présidence française, si les attentes sont nombreuses, et la force d'attraction qu'exerce l'Union sur les pays d'Europe centrale et orientale en témoigne, les risques de paralysie ne sont pas estompés et l'enthousiasme qui avait conduit à promettre à ces pays orphelins une intégration rapide est révolu.

Je préfère d'ailleurs parler d'« européanisation » plutôt que d'élargissement. Car ouvrir l'Union, c'est gagner en « européanité », sous réserve que les institutions soient préparées à l'accueil de nouveaux Etats. Dans ce contexte, les coopérations renforcés peuvent jouer un rôle et il conviendrait de les étendre à la politique étrangère et de sécurité commune. Elles ont néanmoins leurs limites et elles risquent en outre de brouiller le paysage institutionnel.

S'agissant de la constitution d'une avant-garde ou d'un « noyau dur », il convient de retrouver l'esprit qui animait les six : « aller par des réalisations concrètes et par des solidarités de fait vers une fédération européenne ». Tels sont les termes du traité de Rome qui nous incitent à une vision à long terme des enjeux de l'Europe.

Pourquoi ne pas mettre en place, comme le suggère le président Delors, des institutions allégées où seraient représentés de manière permanente les six membres fondateurs, qui composeraient le noyau dur et seraient dotés d'une large capacité d'action.

Paris et Berlin réfléchissent ensemble depuis plusieurs mois au concept d'une Europe élargie. Joschka Fischer s'est exprimé récemment sur cette coopération étroite entre les deux capitales, qui pourraient proposer dans quelques mois les premières réponses politiques à apporter à la dernière pierre de l'unité européenne, c'est-à-dire l'Europe politique.

A ceux qui craignent que le couple franco-allemand cesse de jouer un rôle moteur, je répondrai qu'il est indispensable qu'il retrouve rapidement toute son importance en étant l'initiateur de la réflexion sur le développement de l'Europe politique.

Les contacts noués avec nos collègues allemands pour nous préparer à cette période ont été fructueux et je suis donc confiant pour la suite de nos travaux.

Je demande enfin à M. Moscovici que le dossier du TGV Rhin-Rhône soit inscrit à l'ordre du jour du sommet franco-allemand du 9 juin prochain.

Les attentes que suscite la présidence française sont fortes et il est impossible d'en connaître par avance les résultats. Je ne puis donc qu'espérer qu'on parvienne à Nice à un traité satisfaisant (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe de Villiers - Chacun l'a dit : la présidence française intervient à un moment clé. Le malaise diffus qui pèse sur les esprits quant au devenir de l'Union européenne doit nous conduire à imaginer une nouvelle Europe.

Ce sont en effet les mêmes expressions qui reviennent dans les propos du Président de la République et du Premier ministre : « Europe des citoyens », « Europe de la proximité »... comme si les responsables politiques favorables à l'intégration communautaire prenaient enfin conscience du fait que les peuples ne les suivent plus et n'approuvent pas les décisions aberrantes prises à Bruxelles.

Plus on nous parle d'Europe de proximité et plus l'Europe s'éloigne. Plus on nous parle d'Europe des citoyens, plus on mesure à quel point ceux-ci acceptent mal d'être piétinés chaque jour. La chasse en est un exemple parmi d'autres.

On nous propose maintenant une charte des droits fondamentaux, « pour mieux garantir les droits des citoyens », comme l'a dit le Premier ministre. Autrement dit, la représentation nationale accepte sans sourciller une idée qui sous-entend que notre Constitution n'est plus capable de protéger les droits des citoyens ! En fait, cette charte n'a d'autre but que d'offrir à chaque citoyen la possibilité d'un recours systématique auprès des instances juridictionnelles européennes.

Examinons les dernières décisions prises par cette Europe à la dérive. A Helsinki, cette Europe-là est morte et c'est d'Eurasie qu'il faudra parler avec l'arrivée de la Turquie. Mais personne n'est capable de nous dire qui a voulu faire entrer la Turquie dans l'Union. Je vois le ministre des affaires étrangères sourire...

M. François Loncle, président de la commission des affaires étrangères - C'est un droit fondamental... (Sourires)

M. Philippe de Villiers - Et qui sera bientôt protégé par la charte !

Pour en revenir à l'entrée de la Turquie dans l'Union, la plupart des gouvernements nous expliquent qu'ils n'y sont pour rien. Mme Fontaine elle-même, présidente du Parlement européen, dit regretter cette décision, tout comme M. Valéry Giscard d'Estaing et M. Madelin. Il n'empêche que la Turquie entrera dans l'Europe dont la configuration et le sens en seront changés.

Prenons l'exemple des organismes génétiquement modifiés -OGM. Une majorité, sur ces bancs, redoute les imprudences qui pourraient être commises en ce domaine sous l'effet des lobbies. Pourtant la question avance et l'Europe prend position pour les OGM au mépris du principe de précaution !

La vache folle devrait pourtant nous faire réfléchir. Voici la France contrainte de violer la loi européenne relative à la liberté de circulation pour protéger la santé de ses citoyens ! Et elle va être condamnée par la justice à une astreinte quotidienne qui sera payée par les contribuables français !

On nous annonce maintenant une norme pour le chocolat : vous mangerez tous le même chocolat sans cacao. A quand les yaourts sans lait et le pain sans farine ? C'est soviétiforme !

S'agissant de la marée noire, n'est-il pas extravagant que nous ayons tous accepté par avance l'idée qu'il faut attendre la présidence française pour imaginer une réglementation maritime ? Depuis cinq mois, la commission de Bruxelles n'a rien fait et ce n'est pas demain la veille qu'elle agira, quand les nouveaux adhérents -Malte, Chypre- viendront renforcer la position de la Grèce ou de l'Allemagne hostiles à une politique contre les pavillons de complaisance.

Nous sommes à la dérive parce que personne, de Mitterrand à Chirac, n'a voulu voir qu'on avait changé d'époque. Dès lors que les pays d'Europe de l'Est se sont libérés du joug soviétique, la manière de construire l'Europe ne peut plus être la même.

M. Jean-Claude Daniel - C'est vous qui avez voulu être député européen !

M. Philippe de Villiers - Depuis la chute du mur de Berlin, la méthode pour procéder à l'élargissement ne peut plus être la même. Comme le ministre des affaires étrangères l'a dit lui-même dans une interview récente à Ouest France, « il faut imaginer une Europe flexible et respectueuse des souverainetés nationales ». M. Védrine est sur le chemin du doute, bientôt sur celui de l'inquiétude et il ne tardera pas à souscrire à l'analyse de ceux qui disent : si vous vous éloignez des peuples, des démocrates, des nations, les peuples, les démocraties et les nations ne vous suivront pas.

A vingt, trente ou trente-cinq, on ne pourra pas construire l'Europe sans concilier les deux principes : flexibilité et souveraineté nationale, ce que vous appelez géométrie variable et coopération différenciée. Ainsi, certains pays -mais pas tous- peuvent décider d'agir ensemble en matière de réglementation maritime ou de désarmement des centrales nucléaires de l'Est, par exemple. L'intégration forcée vers un Etat fédéral ne pourra pas fonctionner. Ce n'est que grâce à la géométrie variable que l'Europe pourra se réaliser avec souplesse et d'un seul tenant.

Examinons le problème de l'euro. En regardant M. Barrau, je ne peux m'empêcher de penser...

M. le Président de la Délégation - ...que le Conseil de l'euro marche bien ! (Sourires)

M. Philippe de Villiers - ...que ceux qui préconisaient un euro fort nous vantent aujourd'hui les mérites d'un euro faible.

M. le Président de la Délégation - Pas nous !

M. Philippe de Villiers - Au moment de Maastricht, l'UDF proclamait que l'euro serait la monnaie la plus forte du monde. Pourquoi l'euro est-il durablement faible ? Ce n'est pas seulement pour des raisons conjoncturelles ou de différentiel de taux d'intérêt avec les Etats-Unis, mais pour une raison beaucoup plus fondamentale : il s'agit d'une monnaie artificielle, virtuelle, qui n'est pas adossée à un peuple, à une nation, à un Etat. Vous ne pouvez pas avoir une monnaie commune à des pays dont la démographie, la culture et les réflexes diffèrent. La monnaie unique a échoué parce que vous avez voulu la faire sans les politiques. On peut concevoir une monnaie unique qui servirait d'unité de compte, mais il faut garder la monnaie nationale. Obtenez au moins un moratoire. Comment accepter la disparition du franc, symbole de la liberté française, alors que l'euro est en déroute ? Par-delà nos clivages et nos sensibilités, une grave question se pose : celle de la paix civile et de l'équilibre de tout un continent.

Si vous ignorez les peuples, les nations et les démocraties, vous courez à l'échec et il vous rattrapera avec l'histoire.

M. Robert Galley - Très bien !

M. Félix Leyzour - Je parlerai des points sur lesquels la présidence française devra mettre l'accent dans le domaine de l'agriculture et de la filière alimentaire, qui, comme l'a rappelé le Premier ministre, sont une priorité.

L'agriculture est l'un des piliers de la construction européenne avec la politique agricole commune. Elle est confrontée à des difficultés aux niveaux national, européen et mondial.

La loi d'orientation agricole française a privilégié une agriculture préservant la diversité de nos productions, créatrice d'emplois, respectueuse de l'environnement, concourant à l'aménagement du territoire et capable de servir de point d'appui à une filière alimentaire pour laquelle la sécurité alimentaire sera un impératif.

Or, le risque existe que cette loi d'orientation soit contrecarrée par la récente réforme de la PAC et par la logique destructrice du libéralisme.

Il faut donc agir notamment pour garantir des prix de base pour un volume donné de production, pour l'application d'une préférence communautaire rénovée facilitant des coopérations mutuellement avantageuses.

Il faut aussi démocratiser et transformer l'OMC afin que cette organisation ne soit plus au service des puissants et des intérêts nord-américains, mais devienne une instance favorisant la coopération et la progrès social.

Personne n'imagine que la présidence française fera tomber tous les obstacles mais, dans le domaine de l'agriculture où des intérêts divergents s'affrontent, on attend d'elle qu'elle lance le débat, qu'elle instaure de nouvelles relations plus favorables aux peuples.

Quand on sait que l'ultralibéralisme est largement responsable des dysfonctionnements qui menacent la sécurité sanitaire des aliments, on a une raison supplémentaire d'agir dans le sens que je viens de dire et de concentrer l'effort sur l'amélioration de cette sécurité alimentaire : ce combat servira aussi bien les producteurs que les consommateurs. L'un des premiers objectifs consisterait à harmoniser des normes actuellement diverses, en s'efforçant d'éviter tout ce qui peut tirer notre propre dispositif vers le bas et le système européen vers le haut. Dans ce domaine en effet, la France a pris de l'avance, avec la création de l'AFFSA, agence indépendante qui s'attache à évaluer les risques en appliquant le principe de précaution. Quant à l'Europe, qui vient de publier un livre blanc, elle envisage de créer une autorité européenne sur ce modèle : les choses avancent donc. Il reste à concrétiser ces progrès, en veillant à la meilleure articulation possible entre échelon européen et échelon national pour ce qui est de la gestion des risques. Nous serons alors en meilleure position pour faire respecter ces normes au niveau mondial.

Les députés communistes et apparentés seront attentifs à toutes ces questions, soutenant toutes les avancées susceptibles de donner du sens à l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe RCV)

Mme Nicole Ameline - Pendant des siècles, rois, empereurs et dictateurs ont cherché à unifier l'Europe par la force mais, en cette journée anniversaire, nous devons nous souvenir que l'idée européenne s'est fondée sur une logique de paix et de droit. Il faut rendre ce processus irréversible. La constitution d'un espace de paix, de liberté et de démocratie, la réalisation d'une Union plus forte et plus unie est en effet dans l'intérêt des Européens comme du monde entier. Dès lors, la première préoccupation doit être d'affirmer cet intérêt commun en menant à bien l'élargissement et l'approfondissement des institutions, en renforçant le rôle de l'Europe dans le monde et en confortant le sentiment d'appartenance à l'Europe.

La réunification du continent est une étape décisive. Cependant, les perspectives restent bien floues, qu'il s'agisse des limites du processus ou de son calendrier. Si personne ne sous-estime la difficulté de cet agrandissement, il n'en reste pas moins urgent de clarifier ces points, ne serait-ce que pour ces pays qui, ayant atteint les rives de la liberté, se souviennent qu'au XVIIIe siècle, on parlait français à Prague ou à Budapest. Des progrès tangibles ne pourront être acquis sans un souffle rénovateur, sans une refondation s'appuyant autant sur la volonté des Etats que sur l'adhésion des peuples. En effet, si nous n'avons pas dépassé le vieux débat entre intégration supranationale et préservation des intérêts nationaux, c'est probablement parce que beaucoup de nos concitoyens comprennent mal le fonctionnement des institutions européennes et la répartition des compétences entre niveaux national et européen. D'où la nécessité de réussir la réforme engagée, étant entendu que cette question suppose qu'on réponde dans le même temps à une autre : quelle Europe voulons-nous ? Nous ne pouvons nous contenter du « reliquat » d'Amsterdam : à quinze comme à vingt ou à trente, lorsque les négociations s'ouvriront avec l'Ukraine ou avec la Moldavie, l'Europe aura forcément changé de dimension, mais aussi de nature. N'ayons pas peur d'envisager cette Europe nouvelle, à l'organisation et au fonctionnement renforcés au prix d'un effort de clarification des compétences et laissant place à l'initiative des pays qui seront désireux d'aller plus vite et plus loin dans certains domaines.

Ce nouvel équilibre ira de pair avec un accroissement du rôle du Parlement européen et des parlements nationaux, mais doit aussi s'accompagner d'une adhésion plus grande des peuples. Le pragmatisme doit en effet se conjuguer avec l'enthousiasme quand on parle d'Europe : cela passe par la constitution d'un espace de liberté, de justice et de sécurité -ce troisième pilier jusqu'ici trop faible mais si important pour les Européens- ainsi que par la création d'un espace du savoir et d'un effort pour une Europe de la sécurité, de la qualité, de la prévention des risques et de la pollution.

Il faut aussi renforcer la place de l'Europe dans le monde : cela suppose de consolider l'euro et de mettre en _uvre une politique étrangère et de sécurité commune.

Enfin, si beaucoup de nos concitoyens sont acquis à l'idée européenne, il souhaitent mieux en percevoir les traductions pratiques. La présidence française peut contribuer à l'affirmation de cette conscience européenne par un texte refondateur affirmant que l'Europe est avant tout une communauté de valeurs et de destin. Le retour aux notions du passé serait une erreur historique : il faut retrouver le souffle des pères fondateurs. En mai 1950, Konrad Adenauer, voyant qu'il était désormais possible de réconcilier la France et l'Allemagne autour d'un projet commun, ne pria-t-il pas un de ses collaborateurs de faire savoir à Jean Monnet qu'il avait remercié Dieu de cette chance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR)

Mme Marie-Hélène Aubert - Il y a quelque chose de frustrant à traiter d'un sujet si important à cette heure tardive, devant un hémicycle quasi désert. De surcroît, les choses apparaissent déjà « pliées », comme on dit. Je n'en présenterai pas moins, très « modestement » puisque cela semble être le mot d'ordre, les idées des Verts sur les priorités que doit défendre la présidence française, au service d'une Europe de la paix et du développement durable.

S'agissant des institutions communautaires, nos propositions sont connues : il faut réformer dans le sens d'une démocratie, d'un fédéralisme et d'une efficacité accrue, en étendant le champ de la majorité qualifiée, en dynamisant les Etats pionniers, en renforçant le rôle du Parlement européen et des parlements nationaux et -pourquoi pas- en dotant l'Europe d'une véritable constitution. Mais nous ne voulons pas que cette réforme devienne l'alpha et l'oméga : il faut aussi une charte des droits, comprenant des droits sociaux et environnementaux, faisant partie du traité et ayant force contraignante -une simple déclaration de principe ne changerait pas grand-chose, en effet.

Nous attendons aussi de la présidence française que, dans une Europe majoritairement de gauche, elle serve deux priorités. La première est de préparer un développement durable, conformément aux décisions de la Conférence de Rio. Or aujourd'hui, on a beaucoup de peine à distinguer ce qui différencierait, à cet égard, l'Europe des Etats-Unis. Pourtant, pour ne pas parler de la sécurité du transport maritime ou de la sécurité alimentaire, il importe de lutter contre l'effet de serre et de se préoccuper des changements climatiques. L'Europe, à Kyoto, s'est engagée à réduire ses émissions de 8 % d'ici à 2010 mais on ne peut laisser cela au bon vouloir des Etats membres.

Autre enjeu : les OGM. La directive 90 220 sera prochainement examinée : ce sera l'occasion pour nous d'affirmer une position volontariste. De même en ce qui concerne la diffusion des produits chimiques et du brevetage du vivant -sur ce point, nous devons sortir à tout prix de l'ambiguïté.

Nous devons aussi promouvoir une politique étrangère et de sécurité commune qui favorise réellement la paix. Celle-ci ne peut être considérée pour acquise sur notre continent et nous devons mieux prévenir les conflits sans nous contenter d'un Monsieur PESC, et mener en amont une politique de défense qui serve la politique étrangère, et non le commerce des armements ou les lobbies militaro-industriels.

Enfin, il nous faut une politique de coopération servant le développement durable, avec les pays ACP, l'Afrique et le bassin méditerranéen.

Jusqu'ici, nous avons connu trop de petits pas et de double langage : il faut maintenant lutter efficacement contre les inégalités et pour un modèle de développement humain en évitant d'être trop modestes : nos concitoyens attendent un souffle et une ambition qui ont trop fait défaut jusqu'à présent (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV et du groupe socialiste).

Mme Nicole Catala - La onzième présidence française de l'Union devra s'atteler à des tâches nombreuses et difficiles, d'autant que l'impuissance des Etats membres à réformer les institutions, la chute de l'euro, le choc annoncé de l'élargissement sont porteurs d'incertitudes. La France affrontera d'autant mieux ces difficultés que le couple franco-allemand aura été resserré car il n'est plus, hélas, le moteur de l'Europe. Les discussions dans le cadre du groupe chargé de rédiger une charte communautaire des droits fondamentaux et dans le cadre de la conférence intergouvernementale seront, de ce point de vue, un test important.

Les deux discussions sont souvent liées à l'idée d'une Constitution européenne. C'est, selon moi, une fausse piste.

M. Jacques Myard - Un abus de langage !

Mme Nicole Catala - En effet, selon la Cour de Justice, les traités seraient déjà une sorte de « charte constitutionnelle ». On peut, bien sûr, souhaiter une refonte des traités, mais elle ne se justifierait que si elle établissait une claire répartition des compétences entre les Etats et l'Union. Mais qui oserait se lancer dans une entreprise utile mais malaisée ? En outre, seul un Etat souverain peut disposer d'une constitution, or l'Europe est loin d'être prête à devenir un Etat.

Si elle séduit de nombreux esprits, cette charte européenne serait inutile, car les citoyens européens disposent déjà de nombreux instruments qui protègent leurs libertés, tant au sein des ordres juridiques nationaux qu'au niveau européen, avec la Convention européenne des droits de l'homme et la possibilité de saisir la Cour de Justice. Une telle charte serait aussi dangereuse car source de conflits de juridiction, avec deux sources juridiques supranationales concurrentes et deux juridictions, la Cour de Strasbourg et celle de Luxembourg. Il est donc vain d'espérer qu'un tel projet rende l'Europe plus lisible et plus proche de citoyens davantage soucieux de sécurité alimentaire et de sécurité maritime par exemple.

La réforme des institutions, dont je doute qu'elle aboutisse sous la présidence française, devra se faire sur des bases réalistes. De nombreux points méritent débat, depuis le nombre des commissaires jusqu'à l'extension du vote à la majorité qualifiée, que je ne suis vraiment pas sûre qu'il faille généraliser. L'arrangement de Luxembourg devrait continuer à être respecté.

Je salue le réalisme qui a inspiré certaines des observations de notre délégation, qui envisage la fixation de taux minima pour la TVA, la fiscalité de l'épargne et l'impôt sur les sociétés plutôt qu'une harmonisation fiscale générale. De même l'idée de normes sociales minimales me semble raisonnable.

Il faudrait toutefois aller beaucoup plus loin pour parvenir à une réforme des institutions qui préserve l'avenir de l'Europe tout en permettant à notre pays de défendre ses intérêts essentiels (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

M. Gérard Charasse - Dans quelques jours, la France exercera pour six mois, la présidence de l'Union européenne et, présidera ainsi aux destinées de 375 millions d'habitants.

Au niveau national, cet événement en a déjà entraîné un autre : pour la première fois, le Parlement s'est risqué à proposer au Gouvernement des initiatives à prendre sous cette présidence. Que notre collègue Alain Barrau soit remercié pour ce travail qui marque le début d'une ère nouvelle dans le rôle que la représentation nationale entend jouer dans la conduite des affaires européennes.

La délégation a regroupé habilement des éléments divers en quatre chapitres : la réforme des institutions, l'Europe sociale et de la croissance, les réponses aux attentes des citoyens et la contribution à la construction d'un monde multipolaire.

Je m'en tiendrai à ce dernier point. La France doit faire faire un grand pas à l'Union dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune. La délégation a ouvert des pistes nombreuses en ce sens. J'ajouterai que la France qui depuis Suez a su mener une politique extérieure préservant son indépendance est la mieux placée pour relancer la PESC. Certes, les enjeux ont changé. Mais nous pourrons continuer à engager le monde sur le chemin de l'équilibre. La France est dans cet esprit. Partageons le.

Il nous faudra bien sûr parler de fiscalité, de politique économique, d'harmonisation sociale. Mais pourquoi, dans les pas de Monnet et Schuman, ne pas travailler à ce projet à long terme, la paix ? L'Europe ne doit plus être amnésique, nous dit Jean-Michel Gaillard. Elle s'est construite pour que « cela ne se reproduise plus ». Qui d'autre aujourd'hui que l'Union peut étendre la zone de paix ? Comment le faire si ce n'est en renforçant la PESC.

Enfin n'opposons pas approfondissement et élargissement. A terme, l'un n'ira plus sans l'autre. A trois heures d'avion, des hommes cherchent simplement à survivre. Comment leur refuser l'entrée de notre logis commun...

M. Jacques Myard - Très bien !

M. Gérard Charasse - ...où ils savent trouver sécurité et dignité ?

Je connais votre attachement à l'Union. Son avenir se bâtira dans la confiance, laquelle doit être perceptible dans le reste du monde. Ainsi, à s'en tenir au pacte de stabilité, l'euro devrait être fort. Il n'en est rien. Voyons là un avertissement : l'Union n'a de sens que politique. Donnons-le lui (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jacques Myard - L'Europe de papa est bien morte, l'Europe a changé depuis la conférence de Messine. Pourtant, la machine communautaire, imperturbable, ignore ces changements.

L'UE subit une dérive centralisatrice. Arrêt après arrêt, directive après directive, l'imperium des règles comunautaires brise les droits nationaux, et une simple directive peut être supérieure à une Constitution nationale.

Elle subit une autre dérive, la boulimie de compétences. Il s'agit de tout réglementer, tout régimenter. Il y a aujourd'hui 80 000 pages d'acquis communautaires. L'histoire est pleine d'exemples de ces empires hypertrophiés qui s'écroulent sous leur propre poids. Elle n'échappera pas à cette loi.

Pourtant, c'est cette Europe qui doit réussir l'élargissement, faute de quoi nous reconstruirions un mur à l'endroit même où il s'est effondré. Ce ne serait pas acceptable.

Face à cette réalité que le politique ne contrôle plus, votre programme est une fuite en avant. Excusez-moi, mais vous chargez la mule. Le Premier ministre a rappelé tous les dossiers qu'il souhaitait pousser : droit social renforcé, emploi, sécurité maritime, protection de l'eau, sécurité alimentaire, droit d'asile, programmes d'équipement scientifique -on n'en avait pas besoin, disait M. Allègre- et dernière lubie, cette charte de droits fondamentaux, issue d'une querelle de boutique entre la Cour de Luxembourg et la Cour européenne des droits de l'homme. Mais pourquoi écrire de nouveau ces droits fondamentaux et universels ?

C'est abscons, sauf si on veut faire admettre au Conseil constitutionnel et au Bundesverfassungsgericht qu'ils sont désormais coiffés par une cour suprême : on ne doit plus voir qu'une tête dans le rang !

Le super Etat que vous créez, tel une supernova, finira par exploser. On est dans la tragédie grecque. D'abord l'Acte unique, puis Maastricht -acte II- et l'acte III d'Amsterdam. Le destin des héros est joué d'avance. Mais prenez le temps d'écouter le ch_ur qui annonce la crise.

Il faut refonder l'Europe, vite. Vous parlez d'union de nations ? Faites-la. Mais que le Conseil des ministres ait seul la primauté, que rentrent dans le rang tous ces lobbies que veulent ligoter les souverainetés nationales. Oui à une Europe à trente, mais qui s'en tienne à l'essentiel : la sécurité collective que recherchaient les pères fondateurs, quelques règles sur la concurrence, sur l'environnement, le respect des droits de l'homme. Que tout le reste soit soumis au sacro-saint principe de la subsidiarité auquel vous dérogez aujourd'hui. L'Europe doit s'élargir et maigrir, sinon elle mourra d'apoplexie. Face à la mondialisation, l'heure n'est pas à la création d'une Europe carcan, mais à la diversité et à la souplesse (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Mme Odile Saugues - J'insisterai pour ma part sur les initiatives que la France pourrait prendre pour construire l'Europe des transports.

Il est urgent de dépasser le stade de la réflexion et des déclarations d'intention. Le drame du tunnel du Mont-Blanc, la catastrophe de l'Erika, mais aussi la grande mobilisation des cheminots de toute l'Union en novembre 1998 prouvent que l'Europe des transports ne saurait reposer sur la déréglementation, la privatisation, le libéralisme sauvage.

La présidence française devra promouvoir l'indispensable régulation de ce secteur vital pour nos économies, pour l'aménagement de nos territoires, pour notre environnement.

Le 3 février dernier, le Premier ministre a annoncé que la France fera de la sécurité maritime l'une des priorités de sa présidence. Il vient de confirmer avec force cette volonté politique.

Comment ne pas partager cet engagement tant nous paraissons démunis devant les pratiques de certains armateurs et les pavillons de complaisance ?

Nous comptons sur cette présidence française pour faire accepter à nos partenaires la création d'une autorisation préalable pour l'entrée de tout navire transportant des matières dangereuses dans un port européen et l'amélioration des conditions de travail des équipages. Ainsi, la France incitera-t-elle les Etats membres à ratifier rapidement les trois conventions adoptées dans le cadre de l'Organisation internationale du travail pour tendre vers une véritable harmonisation sociale des transports maritimes.

De même, le Gouvernement a proposé à nos partenaires de ne plus accepter dans nos ports des navires à simple coque transportant des produits dangereux ou polluants. Un échéancier contraignant devrait permettre d'éliminer dès 2005 les plus gros navires.

Il faudra renforcer le contrôle des sociétés de classification chargées de décider si les navires sont aptes à naviguer et définir les moyens de lutter efficacement contre les dégazages en mer.

Les propositions de la France ont été favorablement accueillies lors du dernier conseil des ministres européens des transports le 28 mars dernier. Ce signe est encourageant.

Le contrôle est tout aussi nécessaire pour le transport routier de marchandises, dont la libéralisation depuis le 1er juillet 1998 est porteuse d'effets pervers... Il suffit d'observer dans quelles conditions certains transporteurs comme Willy Betz tirent l'Europe sociale vers le bas !

Le Premier ministre vient de nous faire part de sa détermination à harmoniser les temps de travail dans le transport routier. C'est une nécessité urgente.

En effet, la directive du Conseil du 23 novembre 1993 concernant l'aménagement du temps de travail couvre la plupart des secteurs, mais non les transports. Cette situation doit changer. La présidence française devra s'attacher à ce que la durée du travail des salariés des transports fasse l'objet, dans chaque Etat de l'Union européenne, d'une réglementation cohérente.

Je crois que les esprits sont prêts à mettre en _uvre de telles réformes. Mais cette harmonisation de la réglementation devra aller de pair avec une harmonisation des contrôles et des sanctions.

Le jour où la France prendra la présidence de l'Union entrera en vigueur une décision des ministres européens des transports rendant obligatoire l'installation d'un appareil de contrôle électronique sur tous les véhicules neufs. Au-delà de cette disposition concrète, il conviendra de formuler des propositions pour rendre la formation professionnelle obligatoire dans le transport routier en Europe.

Nous avons déjà discuté du transport ferroviaire lors d'un débat sur les propositions de directives communautaires. Si nous avons dit notre opposition quasi-unanime à une approche idéologique, qui tentait de démanteler la notion de service public, nous sommes tous convaincus que l'Europe ferroviaire est une priorité. Il faudra profiter de la présidence française pour plaider en faveur d'un emprunt européen afin de financer un ambitieux programme d'infrastructures et pour proposer une stratégie commune de limitation des émissions de gaz à effet de serre, ce qui passe nécessairement par la priorité donnée au transport ferroviaire.

Cette mise en _uvre du protocole de Kyoto guidera, le Premier ministre vient de le confirmer, l'action de la France lors de la présidence de l'Union européenne. La France a joué un rôle éminent dans les négociations internationales sur la lutte contre l'effet de serre. Elle aura donc une responsabilité majeure dans la traduction concrète de cet impératif, notamment au sommet de La Haye, en novembre prochain, et lors de sa conférence préparatoire, en juillet, à Lyon.

Comme le déclarait le Premier ministre le 19 janvier dernier, lors de la commission interministérielle sur l'effet de serre, nous devons, dans ce domaine, appliquer le principe de précaution, étant donné le risque d'interactions entre réchauffement et modifications climatiques.

Je terminerai en rappelant que nous devons concilier les exigences de la concurrence et la préservation de nos acquis sociaux. L'exercice n'est pas toujours simple, mais la définition d'un prix abusivement bas, dans le transport routier de marchandises, a constitué une réponse pertinente qu'il faut maintenant généraliser. Le Gouvernement a retenu ce principe pour la loi fluviale et nous examinerons dans quelques jours un projet de loi d'adaptation au droit communautaire qui aborde ce point précis. Mais il faudrait aller au-delà et assainir des secteurs particulièrement exposés à la concurrence et à ses dérives, notamment le transport aérien.

Mais si nous devons contribuer à la réorientation de la construction européenne, gardons-nous de sous-estimer ses apports.

Bien des Etats européens peuvent nous donner des leçons sur la sécurité routière ou sur le développement du transport combiné... Et les observations formulées sur les dérives du financement de la politique autoroutière française sont pertinentes.

Pour conclure, il faut une Europe des transports qui concilie la liberté des déplacements, la sécurité de tous, l'équité de la concurrence et l'affirmation des acquis sociaux. Par sa culture du service public, par son attachement à l'aménagement du territoire, la France a un message original à délivrer.

La présidence française de l'Union européenne est assurément une chance pour proposer, convaincre et construire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Mme Nicole Feidt - L'Europe a réussi sur le plan économique, elle est en train de réussir sur le plan monétaire. Elle progresse sur le plan politique et sur le plan militaire. Mais l'Europe est encore loin des préoccupations de ses habitants, comme l'ont montré les dernières élections européennes. Or s'il est un domaine qui intéresse chacun au quotidien, c'est celui de la justice et des affaires « intérieures ».

Les traités de Maastricht et d'Amsterdam ont assigné à l'Union européenne un nouvel objectif, la création d'un « espace de liberté, de sécurité et de justice ».

Il s'agit, pour permettre la libre circulation des personnes, de mettre en place une véritable politique européenne en matière d'asile et d'immigration. Il s'agit ensuite de lutter contre toutes les formes de criminalités au sein de l'Union européenne. Il s'agit enfin d'améliorer la vie quotidienne des citoyens par une justice plus accessible, et une meilleure coopération judiciaire.

Les domaines de la libre circulation des personnes, des visas, de l'asile, de l'immigration et de la coopération judiciaire civile ont été communautarisés, tandis que la coopération policière et judiciaire en matière pénale continue de relever des gouvernements.

La coopération instituée par la convention de Schengen a été intégrée dans le cadre institutionnel de l'Union européenne et toutes les instances de travail de Schengen ont disparu, au profit des instances compétentes du Conseil. L'acquis de Schengen est donc devenu un acquis de l'Union dans son ensemble. Le Conseil européen réuni à Tampere les 14 et 15 octobre 1999 et consacré à la justice et aux affaires intérieures a défini les axes de l'action de l'Union européenne dans ce domaine pour les cinq années à venir.

Premier axe, définir une politique européenne de l'immigration, impliquant un partenariat avec les pays d'origine et le « traitement équitable » des ressortissants des pays tiers résidant légalement dans l'Union.

Deuxième axe, établir, dans le respect de la convention de Genève une procédure d'asile commune et un statut uniforme pour les personnes en bénéficiant. Le Conseil européen souhaite également que la protection temporaire des personnes déplacées fasse l'objet d'une plus grande solidarité entre les Etats membres et qu'une réserve financière soit créée en cas d'afflux massif de réfugiés.

Troisième axe, créer un véritable espace judiciaire européen, fondé sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice et sur la création, d'ici fin 2001, d'une unité composée de magistrats européens ayant pour mission de faciliter les poursuites judiciaires. Les Quinze doivent travailler à des définitions, des incriminations et des sanctions communes en matière de criminalité financière, de trafic de drogue, de traite des êtres humains et de criminalité contre l'environnement.

Quatrième axe, renforcer la coopération policière par le développement d'Europol et la création d'équipes communes d'enquêtes.

Cinquième axe, définir une véritable stratégie européenne de lutte contre le blanchiment de l'argent sale. Il s'agit d'accroître la transparence des transactions financières, d'améliorer l'accès des autorités judiciaires aux activités bancaires et de conclure des accords avec les centres offshore et les pays tiers pour renforcer l'entraide judiciaire.

L'affaire Rezala montre bien la nécessité d'un espace judiciaire européen, comme l'a rappelé Elisabeth Guigou cet après-midi. Ce doit être l'un des chantiers prioritaires durant la présidence française de l'Union européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Pierre Brana - Je voudrais aborder un sujet complexe, la lutte contre la fraude aux intérêts financiers des communautés européennes.

Les entretiens que j'ai eus sur ce sujet en tant que rapporteur de la délégation à Paris et à Bruxelles ont fait apparaître de grandes divergences d'opinion sur les solutions juridiques et politiques à mettre en _uvre.

Certes, tout le monde est d'accord pour éviter que ne se reproduisent les errements fâcheux qui ont coûté la vie à la commission Santer. La création de l'Office européen de lutte anti-fraude est présentée comme le symbole de cette volonté. Mais cette « fraude interne » n'est pas la plus importante. Celle qui me préoccupe le plus, aujourd'hui, c'est la fraude aux aides de la politique agricole commune, aux fonds structurels, à l'aide humanitaire.

Or, de nombreuses questions restent à résoudre.

Certains considèrent que les différences de définition des infractions compromettent l'efficacité de la répression en permettant aux fraudeurs de choisir en fonction du degré de précision du droit le pays où ils placent le centre de leurs entreprises. On met aussi en cause la diversité des voies de recours et l'opposition entre procédure accusatoire à l'anglo-saxonne et instruction à la française, d'où la nécessité de définir des éléments communs aux différents Etats membres pour qualifier les infractions constitutives de fraudes communautaires. La constitution d'un parquet européen est également envisagée. Mais, compte tenu des réflexes nationaux, un consensus sur ces questions pourra-t-il se dégager ?

D'autres responsables européens considèrent que rien ne distingue les comportements frauduleux au préjudice des communautés européennes de ceux qui procèdent d'entreprises mafieuses dont le rayon d'action est plus large. Il serait donc vain d'entreprendre une action allant dans le sens de plus d'intégration, avant d'avoir mis en _uvre les instruments de coopération tels qu'Europol et Eurojust. Lorsque nous avons reçu la semaine dernière une délégation du Parlement hongrois, j'ai d'ailleurs noté que nos invités plaçaient d'eux-mêmes la discussion sur le renforcement de la lutte contre la fraude sur le terrain de la grande criminalité.

Mais ne court-on pas alors le risque de méconnaître la spécificité de la fraude communautaire liée à la part d'intégration juridique qui caractérise dès aujourd'hui la construction européenne ?

La constitution de l'espace judiciaire européen, défini au conseil de Tampere en octobre dernier mérite encore de grands efforts. Eurojust verra-t-elle le jour d'ici la fin 2001 ? L'imbroglio juridique et les blocages mis en évidence par l'affaire Rezala montrent le chemin à parcourir. Les disparités entre les systèmes nationaux nuisent aussi bien à l'efficacité de la lutte contre la criminalité transnationale qu'à celle contre les criminels qui échappent à la justice en se protégeant derrière certaines frontières.

Pourriez-vous, Messieurs les ministres, préciser quelles impulsions le Gouvernement entend donner dans ce domaine. S'agissant de la lutte contre la fraude, je suis convaincu que, sans préjudice du choix des moyens juridiques, la France doit, comme elle l'a fait en 1995, prendre des initiatives significatives (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Martine Lignières-Cassou - Les inégalités entre les hommes et les femmes sont au c_ur des difficultés dont souffrent plusieurs millions d'européennes. Reconnaître et lutter contre ces disparités contribue à rapprocher les citoyens de l'institution européenne.

Certes, la France n'est sans doute pas le pays le plus ouvert aux femmes et nos débats récents sur la parité et sur l'égalité professionnelle ont montré nos retards. Nous ne pouvons ignorer qu'un certain nombre d'avancées législatives ont d'ailleurs été réalisées sous la pression du droit européen. Je fais cependant confiance à notre gouvernement pour soutenir nos initiatives en faveur de l'égalité. Dès 1957, le traité de Rome pose le principe « à travail égal, salaire égal » et le conseil européen de Lisbonne de mars dernier a réaffirmé la volonté des Quinze de lutter contre le chômage. L'objectif d'un taux d'activité global de 70 % y a été arrêté, la participation des femmes sur le marché du travail devant atteindre 60 % en 2010 contre 51 % aujourd'hui.

Outre la croissance, un certain nombre de politiques devraient permettre d'atteindre ce but. Je pense notamment à l'initiative EQUAL qui tend à lutter contre toutes les formes de discriminations au travail. A ce sujet, un rapport récent du Parlement européen demande à la Commission que les programmes d'initiative communautaire établissent une distinction nette entre les actions visant à combattre les discriminations sexuelles et celles qui ont trait aux autres formes de discrimination.

Auparavant, la question des femmes relevait du volet spécifique « NON » et en rattachant les actions relatives aux droits des femmes à l'initiative EQUAL, l'Union prend le risque d'en altérer la portée. Certes, la question de l'égalité est transverse et nous approuvons à ce titre le projet du cinquième programme d'action « égalité des chances », qui a pour ambition d'intégrer la dimension « égalité » à toutes les politiques communautaires et se décline en cinq objectifs stratégiques : égalité dans la vie économique, dans la vie civile, dans la vie sociale, dans les processus de décision et lutte contre les stéréotypes. Je souhaite que ce texte soit finalisé rapidement et que les financements nécessaires à l'évaluation de cette approche intégrée soient dégagés sans délai. Du reste, Mme Nicole Péry a proposé trois thèmes qui recouvrent les préoccupations de ce programme d'action : femmes et décisions, articulation entre vie professionnelle et vie familiale, élaboration des outils méthodologiques permettant d'évaluer les politiques transversales.

La présidence française coïncide également avec la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Pour notre collègue François Loncle, qui a présenté devant notre Assemblée un rapport d'information sur cette charte, la démarche s'inscrit dans une dynamique de reconnaissance des droits fondamentaux. Qu'il s'agisse de l'Acte unique européen, du traité de Maastricht ou du traité d'Amsterdam, chaque étape récente de la construction européenne a été marquée par une référence toujours plus explicite aux droits fondamentaux, au titre desquels je souhaite que la France retienne les droits des femmes, le droit au respect du corps ou encore le droit à un traitement égal dans le travail. J'appelle à cet égard la France à une grande vigilance pour ce qui concerne la notion de consentement en matière de prostitution. Je ne voudrais pas en effet que l'Union établisse une distinction entre prostitution consentie et prostitution forcée. L'exploitation des femmes n'est jamais un acte consenti et la prostitution est toujours une souffrance du corps et de l'âme. La France doit refuser de s'engager dans une démarche de reconnaissance implicite de la prostitution.

Tout en appelant le Gouvernement à une grande vigilance, j'exprime à nouveau ma confiance dans la présidence française. Dans notre histoire récente, l'Europe a souvent été un moteur pour l'égalité des sexes et je ne doute pas que le pays des droits de l'homme sache montrer la voie pour une Europe des droits des femmes, toujours plus proche des citoyennes et des citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Yann Galut - Depuis quelques années, la question de la taxation des flux financiers est devenue une préoccupation de premier plan. Après Seattle, une nouvelle opinion publique mondiale émerge pour réclamer une mondialisation sous contrôle citoyen, bien différente de celle de George Soros ou de Total-Fina.

Au cours des dernières années, le poids grandissant et la volatilité des marchés financiers ont amené les économistes, des ONG -comme ATTAC- et des parlementaires à formuler des propositions pour freiner les ardeurs de la spéculation. La thèse de James Tobin, tendant à taxer les mouvements de capitaux, a rencontré dans ce contexte un écho particulier car sa démarche est marquée par la volonté de reconquérir les espaces que la puissance financière a confisqués à la démocratie.

Si cette taxe n'épuise pas le débat sur la régulation économique, son introduction pourrait constituer une première étape dans la construction d'une économie mondiale où la croissance serait mise au service de l'homme.

Pour notre Assemblée, ce débat n'est pas nouveau et j'avais pour ma part interrogé le Gouvernement sur cette question. A l'automne dernier M. Sautter m'avait alors répondu que l'idée était intéressante mais que l'Union européenne était le bon cadre pour traiter d'une question qui ne pouvait trouver de réponse strictement nationale.

Il est donc indispensable de porter le débat à l'échelle européenne. Dans cette perspective, la délégation pour l'Union européenne de notre Assemblée, soutenue par 130 collègues, a adopté un amendement présenté par notre collègue Jean-Claude Lefort, visant à ce que la présidence française « examine et propose l'institution d'une taxe spécifique sur les opérations de change des monnaies afin de lutter contre les mouvements de capitaux spéculatifs ».

Un amendement de la commission des finances a également été adopté lors de la discussion budgétaire afin que le Gouvernement présente des propositions à ce sujet avant le 15 juin prochain. A ce propos, je n'ai entendu parlé d'aucune audition d'économistes ou d'associations défendant l'instauration de la taxe Tobin pour la rédaction de ce rapport. Pouvez-vous, Messieurs les ministres, nous informer de son état d'avancement ?

Le Parlement européen a trouvé en son sein plus de 220 députés pour approuver une résolution demandant à la commission une étude de faisabilité de la taxe Tobin et il n'a manqué que six voix pour qu'elle soit adoptée.

Au-delà de l'Union, au Brésil, un front de 100 parlementaires s'est constitué et le président Cardoso a plaidé pour la taxe Tobin lors du « sommet des réformateurs » à Florence en novembre 1999. C'est, après Lionel Jospin en 1995, le deuxième responsable politique de premier plan à prendre position sur le sujet. Aux Etats-Unis, une résolution a été déposée au Congrès, le 11 avril dernier, à l'initiative du représentant Peter De Fazio et du sénateur Paul Wellstone.

Parallèlement, un appel mondial de parlementaires a été lancé avec la participation de députés européens et nationaux. Il a recueilli près de 300 signatures en trois semaines.

La présidence française doit s'appuyer sur le fort écho que cette proposition suscite dans les opinions publiques et dans les parlements nationaux -en Belgique, en Italie et même en Grande-Bretagne...- pour la faire progresser en Europe. Nos amis finlandais ont officiellement pris position en faveur de cette taxe.

Certains refusent une telle proposition, au motif que l'impossibilité supposée d'asseoir la perception de la taxe sur toutes les places financières provoquerait un déplacement instantané des marchés vers des pays plus compréhensifs.

Cet argument, abusivement présenté comme technique alors qu'il est politique, a ses propres limites notamment parce que l'Union représente à elle seule une « masse critique », puisqu'elle assure l'immense majorité des transactions de change sur les monnaies, soit environ 50 % des opérations. Mieux, environ 80 % des transactions se font sur les places situées dans les pays du G7 ou de l'Union européenne.

La taxe Tobin est une proposition concrète, pour commencer à lutter contre la domination de la spéculation sur les marchés financiers. Le moment n'est plus à exprimer sa sympathie pour cette idée, mais à prendre des initiatives pour son application.

L'écho d'une telle décision porterait loin au-delà des frontières de l'Union. La France et le gouvernement français joueraient dans ce débat un rôle déterminant comme ils ont su le faire dans le passé sur d'autres sujets importants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

Mme Odette Trupin - Le Premier ministre a évoqué la nécessité d'une politique française ambitieuse en Europe. Dans cet esprit, je souhaiterais, Messieurs les ministres, vous alerter sur la position de la langue française et du multilinguisme en tant qu'outils de travail et de communication au sein de l'Union. Le principe de l'égalité des langues officielles, posé par le règlement du Conseil du 15 avril 1958, a été constamment réaffirmé au fil des adhésions. Le traité d'Amsterdam comporte, en outre, une disposition permettant à tout citoyen de l'Union d'écrire aux institutions dans la langue de son choix et d'obtenir une réponse dans cette même langue.

Au début de la construction européenne, la langue française bénéficiait d'une position privilégiée, presque à égalité avec l'anglais comme langue de rédaction dans les services de la Commission. Elle est également l'une des trois langues de travail de la Commission et la langue de délibération dans le système juridictionnel communautaire. Mais sa place semble être remise en cause. Son emploi au sein des institutions européennes décline, notamment à la suite des dernières adhésions. La langue anglaise domine les secteurs de la technologie, de la science, et même de la culture et de la politique. Le prochain élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale -PECO- suscite pourtant dans plusieurs de ces pays un souci réel de formation au français, mais l'attrait de l'anglais y reste fort. Actuellement, la dégradation de la position de la langue française peut être constatée quotidiennement au service des traductions des textes législatifs européens. Elle est particulièrement sensible dans les relations extérieures de la communauté européenne.

Cette situation, très préjudiciable à l'image du français et de la France, pourrait léser, à moyen terme, les intérêts nationaux, et handicaper la représentation de la France au sein de l'Europe et même du monde. Les conséquences regrettables de cet état de fait risquent d'être non seulement politiques, mais aussi économiques. Toutefois, cette régression ne doit pas être considérée comme une fatalité. Elle nécessite cependant une réaction d'autant plus rapide que le prochain élargissement risque d'aggraver encore le phénomène. Certes, des efforts ont déjà été accomplis, mais ils restent limités et cette vigilance est vouée à l'échec en l'absence d'une politique volontariste de promotion de la langue française, et plus généralement d'un plurilinguisme, au sein de l'Union européenne.

Pendant la présidence française de l'Union européenne, nous devons être particulièrement vigilants sur cette question et faire susciter une prise de conscience de toute la communauté européenne. C'est par une action collective en faveur de l'usage du français dans les institutions européennes, et plus généralement en faveur du respect de la diversité linguistique et culturelle en Europe, que nous parerons au risque d'uniformisation et d'appauvrissement de la pensée que créerait la prépondérance d'une seule langue.

Bref, il faut envisager des mesures propres à garantir le respect du statut juridique des langues européennes et la promotion du plurilinguisme. Nous devons obtenir de continuer à travailler dans notre langue au sein des institutions européennes, car c'est grâce à la place qu'elle occupera en Europe que la langue française conservera sa force d'attraction dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères - Je félicite ceux qui sont encore présents pour assister à la conclusion de ce débat. Il a tenu ses promesses. L'intervention du Premier ministre et celles des orateurs qui lui ont succédé à la tribune ont placé cette discussion à un très haut niveau. Le sérieux et la connaissance du sujet de ceux qui se sont exprimés font honneur à la représentation nationale et au débat politique français. Ils témoignent de l'idée très haute que nous avons de la présidence que nous exercerons pendant six mois.

De toutes les interventions, ressortait l'idée que l'Europe, de l'origine jusqu'à maintenant, fut, en grande partie, le résultat d'une pensée française, -même si Robert Schuman n'aurait sans doute pas pu faire ce qu'il a fait s'il n'avait été un peu Français, un peu Allemand, un peu Luxembourgeois- d'une vision française de l'avenir. Nous sommes tous animés par cette idée, habités par cette expérience et ce souvenir et voudrions tous intensément être à la hauteur de cette situation. Ce point de convergence m'a paru l'emporter sur les nuances qui se sont exprimées. C'est dans cet esprit que les autorités françaises abordent la présidence de l'Union.

Bien entendu, M. Moscovici et moi-même serons presque nuit et jour à la tâche pendant le semestre que durera cette présidence, mais nous n'avons pu nous empêcher de ressentir une certaine inquiétude en vous entendant énumérer la liste de ce que vous en attendez. Il faudrait, en quelques mois, corriger tous les défauts des mécanismes européens institutionnels, satisfaire toutes les attentes dans tous les domaines, régler tous les problèmes que connaissent les différents secteurs d'activité, sans toutefois empiéter sur le rôle des uns et des autres.

Mais nous allons évidemment devoir fixer des priorités et concentrer notre effort sur certains points. Bien entendu, nous déploierons une énergie maximale. Aucune de vos suggestions ne sera oubliée ou négligée mais j'insiste sur l'ampleur de la tâche qui nous est confiée. N'oubliez pas non plus, lorsque le moment sera venu d'apprécier les résultats, qu'une présidence doit travailler avec quatorze autres pays et, compte tenu de son rôle, ne peut pas se contenter de défendre ses intérêts nationaux sur certains dossiers. Nous ne laisserons cependant tomber ni une responsabilité, ni l'autre.

Mes observations porteront sur l'élargissement de l'Union et sur la réforme institutionnelle.

Au cours des dix dernières années, les Européens ont eu beaucoup de mal à s'accorder sur la manière de traiter les demandes d'adhésion après l'effondrement du communisme à l'Est. Certains ont eu une attitude généreuse, maximaliste, étant prêts à accueillir du jour au lendemain les pays demandeurs au sein de l'Union. De l'autre côté, il y avait ceux, plus raisonnables, qui estimaient qu'un élargissement aussi considérable ne pouvait être mené à bien sans une adaptation préalable des institutions. Ce débat avait déjà eu lieu dans le passé, d'ailleurs : avant l'adhésion de l'Espagne et du Portugal puis, en 1992, avant le passage de douze à quinze. La France, qui se situait dans le deuxième camp, était alors taxée d'égoïsme, accusée de ne pas vouloir partager le bénéfice de la PAC et des fonds structurels, alors qu'elle n'était en fait guidée que par l'idée de préserver l'Europe.

Si, au bout du compte, le conseil d'Helsinki a abouti en décembre à des décisions raisonnables, c'est que la France a réussi à convaincre ses partenaires qu'un élargissement mal maîtrisé n'aboutirait pour les Etats candidats qu'à une victoire à la Pyrrhus. Nous avons ainsi pu conclure un compromis, aux termes duquel les dossiers des Etats candidats seraient traités en fonction de leurs mérites propres, au cas par cas et non par groupes, l'Union se trouvant prête à les accueillir à partir de la fin de 2002 ou de 2003, selon leurs acquis. Tout cela est le fruit du travail effectué par la France et il est donc surprenant que, depuis Helsinki, on ne cesse de s'étonner dans notre pays à propos de l'élargissement -ce d'autant que, chez tous nos partenaires, ce même élargissement fait l'objet de tous les débats depuis dix ans que tous les conseils « affaires générales » et tous les conseils européens ont été l'occasion d'accuser la France d'égoïsme sous prétexte qu'elle prônait un élargissement maîtrisé.

Nous avons donc largement contribué à conjurer le risque d'impréparation mais il faut garder à l'esprit la position défendue par les quatorze autres membres, ainsi que par les Etats candidats.

Reste que l'élargissement bouleversera la donne : il est exclu de transposer le fonctionnement actuel de nos institutions à une Europe de 27 membres -de 28 si l'on ajoute la Turquie, de davantage encore si l'on ajoute la Suisse, la Norvège et l'Islande si ces pays venaient à se raviser... La question de la transformation des institutions est donc cruciale si l'on veut que l'Europe puisse continuer à fonctionner après l'élargissement.

Il se trouve que la conférence intergouvernementale commence maintenant : c'est le signe de l'échec d'Amsterdam, mais c'est aussi une bonne chose parce qu'à Amsterdam, seuls trois pays considéraient que la réforme était le préalable à l'élargissement. Maintenant tous admettent l'idée et nous essaierons de faire en sorte que l'Europe ne risque plus de se « gripper ». Il est salutaire que ce débat s'ouvre mais, pour la présidence française, le défi sera de l'organiser en sorte de parvenir aux meilleures solutions possibles, qu'il s'agisse de la repondération, de la majorité qualifiée ou de la Commission. Notre souci sera d'élaborer des dispositifs compatibles avec des progrès ultérieurs. Or nous n'y parviendrons pas en soumettant à la négociation, d'emblée, des mécanismes sur lesquels les Européens risqueraient de s'opposer. Ce serait le cas si nous avancions l'idée d'un noyau fixe. En revanche, si nous arrivons à un bon résultat dans l'affaire de la coopération renforcée en assouplissant les dispositions du traité d'Amsterdam, nous donnerions aux pays qui le souhaitent la possibilité de collaborer sur des thèmes de leur choix, sans gêner personne et de façon pragmatique. Après tout, n'est-ce pas ainsi qu'ont été lancés Eurêka, Ariane, Airbus, Schengen et l'euro ? Il y a même sur ce point une conception plus ambitieuse : celle défendue ici par certains orateurs, proches de l'esprit des pères fondateurs et qui préconisent un bond en avant institutionnel -ainsi ceux qui, comme Jacques Delors, veulent créer une fédération d'Etats nations. La coopération renforcée pourrait autoriser un tel saut et permettre de surmonter la contradiction apparemment insoluble entre le passage à la grande Europe et la nécessité de retrouver un moteur sans prendre le risque d'un désaccord frontal.

Jusqu'ici, la négociation sur cette coopération renforcée n'a pas eu lieu et une majorité de pays reste plutôt réticente parce qu'on a avancé l'idée de noyau dur. Pourtant, telle que je la conçois, cette coopération permettrait d'éviter l'affrontement sur la question de savoir qui sera dedans, qui dehors, qui en avant, qui en arrière...

Après ce rappel historique, sur la façon dont on a géré depuis dix ans le débat sur l'élargissement, puis la présentation de l'esprit dans lequel nous abordons la prochaine conférence intergouvernementale, je me bornerai à confirmer notre volonté de préserver l'avenir de l'Europe en travaillant à un futur aussi ambitieux et européen que possible, tout en réservant la possibilité d'options (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes - Comme Hubert Védrine, je ne puis que me réjouir de la haute tenue et de la profondeur de toutes les interventions, ainsi que du large accord qui s'est manifesté sur les orientations présentées par le Premier ministre. Je ne pourrai non plus répondre dans le détail à chacun, mais je m'attacherai à répondre aux principales questions que vous avez soulevées.

S'agissant des interrogations suscitées par l'élargissement, je partage bien évidemment les vues d'Hubert Védrine. L'Europe aura-t-elle la capacité de conserver, à trente, les ambitions de ses fondateurs ? Le Président Giscard d'Estaing a donné à cette question une réponse magistrale et l'intervention de M. Fuchs a également été remarquable. Je note aussi une large adhésion aux objectifs que s'assigne la France dans le cadre de la conférence intergouvernementale, en même temps qu'une large insistance, tant sur la nécessité d'un haut degré d'ambition que sur la difficulté de l'exercice. Chacun s'est en outre accordé pour juger que, si l'ordre du jour de la conférence a été « ciblé », ce n'est pas signe d'un manque d'ambition, mais souci d'éviter une dispersion qui serait synonyme d'échec.

Nous sommes entre deux débats : comment faire vivre l'Union élargie ? Quelles réformes réalistes élaborer ?

Même si de nombreux orateurs n'ont pas exclu pour l'avenir la constitution d'une avant-garde institutionnalisée, un large consensus s'est aussi dégagé sur la priorité à accorder aux coopérations renforcées, donc sur l'amélioration du mécanisme institué pour ce faire par le traité d'Amsterdam. Telle a été la position de Valéry Giscard d'Estaing, qui a ainsi précisé, de façon moins restrictive ce qu'il avait dit au Figaro avec Helmut Schmidt, mais aussi de François Loncle, d'Alain Barrau, de Marie-Hélène Aubert et même de Philippe de Villiers, qui ne m'a plus paru entièrement souverainiste. Encore un effort, et il défendra les coopérations renforcées...

En revanche, l'idée d'une Constitution européenne ne paraît pas mûre. Alain Juppé ne l'a pas défendue autant qu'on pouvait l'attendre, Alain Madelin a manqué de conviction, Nicole Catala s'y est opposé de façon argumentée. Chacun semble d'accord sur la nécessité d'une meilleure application du principe de subsidiarité.

Nombreux sont ceux qui ont marqué leur adhésion au beau projet d'une Charte européenne des droits fondamentaux, avec un large volet social. Seules exceptions : Mme Catala, M. de Villiers et M. Myard. De nombreuses interrogations ont aussi été exprimées quant à la valeur de l'euro aujourd'hui, ceux qui craignaient hier qu'il soit trop fort craignant désormais qu'il soit trop faible. Il importe en fait qu'il soit conforme aux fondamentaux de l'économie européenne, qui sont bons et qui s'améliorent, et que nous puissions créer les conditions de sa stabilité. Mais un consensus s'est surtout dégagé sur la nécessité de renforcer le gouvernement économique de la zone euro, en consolidant le Conseil de l'euro. C'est ce qu'ont dit Valéry Giscard d'Estaing et Maurice Ligot mais aussi, à sa façon, Georges Sarre. Ce sera une priorité de notre présidence.

Cela m'amène naturellement à la croissance et à l'emploi. Beaucoup ont rappelé les efforts -et les succès- du Gouvernement, depuis trois ans, pour réorienter en ce sens la construction européenne. Nous amplifierons ce mouvement, n'en déplaise à ceux qui, comme Alain Madelin, Christian Jacob ou Pierre Lequiller rêvent de notre ralliement au libéralisme de certains de nos partenaires. Bien au contraire, nous nous attacherons à faire adopter l'agenda social et à défendre les services publics européens contre les offensives ultra-libérales. Pour nous, la modernité économique ne peut être séparée de la cohésion sociale : c'est un des fondements de la construction européenne.

J'ai constaté, notamment chez Robert Hue, Gérard Fuchs, Alain Juppé, Alain Barrau, Nicole Ameline, Marie-Hélène Aubert, une large adhésion aux grands thèmes citoyens proposés par le Premier ministre et que le Président de la République a largement fait siens. J'y ajouterai la maîtrise de la mondialisation évoquée par Yann Galut. Ces objectifs importants pour nos concitoyens ne sauraient être méprisés.

Je ne cite que pour mémoire les autres préoccupations des différents orateurs : aide aux pays en développement, évolution du modèle agricole pour une meilleure prise en compte de la sécurité alimentaire. Le Gouvernement aura aussi à c_ur la place du français et la préservation du multilinguisme.

Ce débat marque un saut qualitatif, le début de la concertation permanente, confiante et constructive que le Gouvernement entend conduire avec l'Assemblée sur la conduite de la présidence française. Les propositions de votre délégation pour l'Union européennes seront fort utiles. Je salue notamment la suggestion d'Alain Barrau d'ouvrir à la presse, dont à l'opinion, les auditions des ministres.

Loin de vouloir contredire Valéry Giscard d'Estaing, je dirai que l'organisation de ce débat en ce jour anniversaire de la déclaration de Robert Schuman ne doit rien au hasard : elle traduit la volonté du Gouvernement de saisir pleinement l'occasion de la présidence française pour redonner un sens à la construction européenne, pour permettre, au sein de la Grande Europe de demain, aux pays désireux d'avancer plus vite, de rester à l'avant-garde de la construction européenne et de demeurer fidèles à l'ambition des pères fondateurs. Comme en 1950, une étroite collaboration entre la France et l'Allemagne sera nécessaire pour que l'Europe accomplisse de nouvelles avancées.

Le Président Barrau a souhaité une présidence « modeste et pragmatique », j'ajouterai concrète et ambitieuse. Avec ce débat, le Gouvernement sera mieux armé pour relever ce défi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

Le débat est clos.

Prochaine séance, cet après-midi, mercredi 10 mai, à 15 heures.

La séance est levée à 0 heure 40.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


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