Accueil > Archives de la XIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (1999-2000)

Session ordinaire de 1999-2000 - 86ème jour de séance, 204ème séance

2ème SÉANCE DU MERCREDI 17 MAI 2000

PRÉSIDENCE de M. Philippe HOUILLON

vice-président

Sommaire

          COLLECTIF (suite) 2

          MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 22

          ARTICLE PREMIER 27

          APRÈS L'ARTICLE PREMIER 27

La séance est ouverte à vingt et une heures.

          Top Of Page

          COLLECTIF (suite)

M. Marc Laffineur - Ce collectif n'est évidemment pas l'_uvre du ministre des finances. On ne voit d'ailleurs pas comment il pourrait le défendre aujourd'hui, après avoir défendu les orientations budgétaires qu'il nous a présentées hier. Il a parlé de transparence, de maîtrise des dépenses : c'est tout le contraire qu'on trouve dans ce projet. Et pour bien montrer que ce n'est pas son collectif, il n'est pas là aujourd'hui, et il vous laisse, Madame la ministre, le soin de le défendre... Il est clair que c'est le collectif du Premier ministre, et qu'il ne veut en aucune façon le cautionner.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances - C'est du fantasme !

M. Marc Laffineur - Non, c'est une évidence.

Ce texte, que nous devons examiner si peu de temps après la loi de finances initiale, est l'effet de la cagnotte que le Gouvernement a dissimulé lors des débats de la fin de l'année dernière. On invoquera les difficultés de la prévision budgétaire, les contraintes de la préparation de la loi de finances : soit. Mais l'opposition, et certains instituts économiques avec elle, a suffisamment alerté le Gouvernement sur l'invraisemblance des prévisions retenues pour qu'on puisse s'interroger sur l'opportunité de la man_uvre, et sur le manque, sans doute volontaire, de sincérité budgétaire manifesté alors. On sait en effet que le CADES a reçu l'ordre de ne pas verser son dû fin décembre ; il en va de même pour la COFACE et la Caisse des dépôts.

Mais derechef, dans ce collectif, les sommes présentées sont en décalage avec la réalité. La cagnotte a elle aussi été sous-estimée : le surplus réel de recettes excède les 50 milliards nouveaux qui apparaissent dans votre projet. C'est ce chiffre qu'a annoncé M. Sautter quand, sous la pression de l'opinion et des parlementaires de l'opposition, il a dû révéler le montant de la cagnotte. Nous avions contesté avec force cette estimation. Or selon les chiffres rendus publics par la Cour des comptes concernant les résultats de 1999, ce surplus apparaît effectivement supérieur à vos prévisions, et vous devrez reconnaître votre erreur quand viendra l'heure des comptes pour ce budget 2000. Mais en attendant l'examen de ce collectif est faussé : du fait des man_uvres du Gouvernement, il y a aujourd'hui une nouvelle cagnotte que vous dissimulez aux Français et à la représentation nationale pour ne pas avoir à débattre de son utilisation. C'est si vrai que déjà vous avez annoncé une réduction du déficit... Sans doute le Premier ministre a-t-il voulu éviter les tentations et les réflexes dépensiers de sa majorité composite, écartelée entre les prises de positions du ministre des finances et celles, nettement moins modernes, de vos alliés communistes ou de l'aile gauche de son propre parti. Mais le résultat est que nous examinons un texte déjà incomplet et dépassé.

Outre ce défaut originel, le collectif appelle d'autres critiques. Il a été présenté comme un collectif de baisses d'impôts. Le Premier ministre a indiqué qu'il regrouperait des baisses d'impôts et des mesures nouvelles, sans que la cagnotte soit utilisée pour réduire le déficit. Il faut certes se réjouir que la croissance -due largement à la faiblesse de l'euro- permette des mesures fiscales positives, mais le choix des impôts sur lesquels elles portent est révélateur d'intentions cachées.

Je pense ainsi à la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation. Après avoir modifié le mode de calcul de la taxe professionnelle, voilà que vous utilisez à nouveau les impôts locaux pour prendre des mesures fiscales, et cela sans aucune concertation avec les responsables des collectivités locales. C'est d'autant moins acceptable que vous faites supporter par ces collectivités une partie du poids de la réforme dont vous vous attribuez le seul mérite. Si, en effet, vous compensez la première année la perte de recettes supportée par la collectivité, dès la deuxième année vous prévoyez une indexation sur la DGF, qui progresse beaucoup moins vite que la taxe professionnelle et la taxe d'habitation. Les collectivités seront ainsi pénalisées.

Cette attitude inacceptable témoigne d'un mouvement sensible de recentralisation dont témoignaient déjà les lois d'aménagement du territoire adoptées l'an dernier. Vous auriez pourtant pu, avant de toucher à la part régionale, commencer par agir sur la part de la taxe d'habitation qui revient à l'Etat. Cette part a été justifiée il y a dix ans par M. Bérégovoy pour financer une réforme des valeurs locatives, laquelle n'a jamais vu le jour.

Si l'on examine globalement ce collectif, il est inexact de dire qu'il va conduire à des baisses d'impôts. Madame la ministre, vous avez jugé impropre le terme de « cagnotte », puisqu'il ne s'agit pas d'excédents budgétaires mais seulement de surplus de recettes. Non moins impropre est le terme de « baisse d'impôts » appliqué à votre collectif. Il prévoit en effet 10 milliards de recettes fiscales supplémentaires : les Français paieront donc bien 10 milliards de plus.

Pour justifier vos dépenses nouvelles, vous vous abritez derrière la tempête et la marée noire. Chacun ici s'est associé aux difficultés et à la douleur des victimes. Mais votre réflexe face à une nouvelle dépense, est toujours de chercher des recettes nouvelles, au lieu de recourir à des redéploiements. Dieu sait pourtant qu'il en est de possibles -la Cour des comptes a montré qu'en 1999 la progression des dépenses avait été bien supérieure au taux d'inflation. On pourrait donc certainement trouver des économies a faire pour financer de nouvelles dépenses.

Vous comprendrez que les Français soient dubitatifs, et nous aussi. Tout cela donne l'impression d'un tour de passe-passe, et le sentiment que la solidarité gouvernementale est mise à mal, puisque dès ce premier collectif le ministre des finances se désolidarise.

Ce collectif est incomplet, car amputé d'une partie de la cagnotte. Vous-même avez en effet reconnu que le déficit serait différent de celui qu'annonce le collectif : c'est donc bien qu'il y a une cagnotte. Cela n'étonnera pas ceux qui, comme nous, avaient affirmé dès la discussion budgétaire que vous sous-estimiez les rentrées fiscales. Pour toutes ces raisons le groupe DL ne votera pas ce projet.

M. Philippe Auberger - Très bien.

M. Augustin Bonrepaux - Produit de la réussite de la politique du Gouvernement, ce collectif est exceptionnel, d'abord parce que les recettes que procure la croissance retrouvée l'ont rendu nécessaire. Il l'est ensuite par son montant, qui dépasse les prévisions les plus optimistes et il l'est enfin par les baisses d'impôts qu'il réalise : 40 milliards sur un total de 51,4 milliards, qui s'ajoutent aux 40 milliards votés en loi de finances.

Le niveau des recettes témoigne de la vigueur de la croissance et souligne la réussite de la politique qui est menée depuis trois ans. La croissance française est en effet supérieure à celle de nos principaux partenaires. De même, la réduction du déficit se poursuit et il devrait s'établir à environ 200 milliards à la fin de cette année. La baisse du chômage se confirme et le taux de chômage devrait être ramené au-dessous de 10 % de la population active d'ici la fin de l'année.

S'agissant de la baisse du taux normal de TVA de 20,6 % à 19,6 %, je m'étonne que certains puissent encore la contester, notamment parmi ceux-là mêmes qui avaient soutenu l'augmentation de cette taxe. En matière de réduction d'impôts, les divisions de l'opposition sont d'ailleurs manifestes. M. d'Aubert et le RPR aspirent à une baisse plus significative de l'impôt sur le revenu. Il reste que la baisse de la TVA est attendue par l'ensemble de nos concitoyens car il s'agit, chacun en convient, d'un impôt injuste qui pénalise l'activité.

Les autres baisses réalisées répondent à des préoccupations largement exprimées sur tous les bancs de notre Assemblée et je note que l'opposition tente d'attraper le train en marche. Lorsque nous avons proposé l'année dernière de transférer les cotisations patronales sur la valeur ajoutée, nous n'avons pas été suivis. Or, chacun s'accorde sur le fait qu'il faut alléger les charges pesant sur les revenus du travail, qui dissuadent certains chômeurs de reprendre une activité car leur impôt progresse plus vite que leur revenu. Les baisses d'impôt sur le revenu proposées vont dans le bon sens mais le problème ne peut être résolu exclusivement par ce biais. Il convient d'étudier d'autres pistes et l'allégement de la CSG par des abattements à la base doit être envisagé avec une attention toute particulière : compréhensible par tous, elle aurait une incidence directe sur le revenu des salariés.

S'agissant des dépenses, nous nous réjouissons des moyens supplémentaires donnés à l'hôpital. Les Français sont très attachés à leur système de soins et il n'y a pas de meilleur moyen de pratiquer la solidarité que d'offrir à tous nos concitoyens des soins de qualité. Que serait devenu l'hôpital public si les orientations fixées par M. Juppé avaient été suivies, qui limitaient à 1 % l'augmentation annuelle des dépenses hospitalières, alors que les 2,4 % décidés pour cette année ne suffisent pas à corriger les inégalités subsistant entre les régions ? Et je pourrais tenir le même raisonnement pour l'éducation nationale.

A nos yeux, l'une des premières responsabilités d'un Gouvernement est de faire fonctionner les services publics dans les meilleures conditions possibles, en y consacrant tous les moyens nécessaires. C'est le meilleur moyen de faire reculer les inégalités sociales et territoriales.

Pour ce qui concerne les crédits affectés aux collectivités locales, ils sont insuffisants, au regard notamment des progrès de l'intercommunalité -250 millions à ce titre- alors que près de 500 étaient nécessaires. Il est impératif en effet de pérenniser toutes les avances faites cette année, en consolidant les 500 millions de la DSU, les 200 millions du recensement, les 150 de la dotation de solidarité rurale et les 500 millions accordés à la coopération intercommunale. Les 1,350 milliard que cela représente doivent être inscrits dans la loi de finances pour 2001.

Le groupe socialiste apportera tout son soutien à ce collectif, qui traduit la réussite de l'action gouvernementale ainsi que la priorité renouvelée en faveur de l'emploi et du maintien de services publics de qualité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Philippe Auberger - Madame la ministre, vous n'avez pas de chance car la présentation de ce collectif au lendemain du débat d'orientation budgétaire commandait que les deux textes soient parfaitement compatibles. Or, comme l'a rappelé M. Laffineur, les divergences entre les orientations présentées hier par M. Fabius et votre collectif sont éclatantes.

Alors que vous parliez d'un collectif historique, le ministre de l'économie nous a collectivement invités à ne pas verser dans l'autosatisfaction. Or, n'avez-vous pas succombé à cette tentation en présentant un texte que rien ne justifiait...

M. Jean-Louis Idiart - Si, le succès de notre politique !

M. Philippe Auberger - ...sinon vos propres erreurs d'évaluation des recettes prévisionnelles, contre lesquelles nous vous mettions en garde dès le mois d'octobre dernier ? Mais vous vous êtes entêtée et, victime de votre aveuglement, vous avez bâti votre budget sur des prévisions erronées. Depuis lors, la Cour des comptes a dénoncé plusieurs de vos man_uvres tendant à minorer les résultats de l'exercice 1999 et à majorer ceux de l'année 2000. Or, ce ne sont pas 50 milliards de recettes supplémentaires qu'il faut attendre mais plus de 65 milliards. La rectification que vous proposez est insuffisante et nous sommes encore loin de la transparence que M. Fabius appelait hier soir de ses v_ux à cette tribune.

Le projet ne prévoit en effet aucune mesure d'amélioration sensible de la situation du déficit, si l'on excepte une baisse de 50 millions, à comparer à son montant de 215 milliards, supérieur de plus de 10 milliards au déficit de 1999. Il existe du reste un formidable décalage entre votre collectif et les prévisions d'évolution du déficit qu'a présentées hier le ministre de l'économie. Celui-ci ne s'est-il pourtant pas engagé à permettre au Parlement de suivre l'exécution de la loi de finances quinzaine par quinzaine ? Si son objectif est d'assurer la sincérité et la transparence du budget, il doit nous transmettre une lettre rectificative pour que ce collectif tienne enfin debout.

Votre texte prévoit douze milliards de dépenses supplémentaires, qui sont présentées comme exceptionnelles et devant être engagées dans les meilleurs délais. Mais, en-dehors des 3,5 milliards d'aide aux victimes des tempêtes et de la marée noire, de quoi s'agit-il réellement ? Un milliard d'aide à la reconstitution des monuments historiques classés ou inscrits à l'inventaire : soit, mais au regard des délais d'instruction de ces dossiers, qui peut affirmer que les dépenses seront engagées avant la fin de l'année ? Autre mesure exceptionnelle, le soutien au spectacle vivant. Il s'agit de répondre aux besoins urgents de M. Savary, nommé récemment à la tête de l'une de nos institutions, mais y a-t-il vraiment urgence en la matière ? Et je ne m'attarde pas sur les mesures favorables aux initiatives en matière d'économie solidaire ou aux délégués de proximité du médiateur de la République...

Bref, sous couvert de dépenses urgentes, on a mis un peu n'importe quoi !

Autre singularité, relative celle-là aux prisons. Dans ce secteur, il est en effet urgent d'agir. Mais des crédits ont été inscrits à ce titre dans la loi de finances, puis d'autres dans le collectif de fin d'année. Nous en sommes donc au troisième budget concernant les prisons. La ministre de la justice, dans ces conditions, sera-t-elle en mesure de dépenser correctement ces fonds ? Certainement pas. Il y a là une anomalie. En voici une autre, qui a trait au fonds de réforme des cotisations sociales. Il manque 7 milliards pour l'équilibrer. Or le collectif ne contient rien à cet égard. Pourquoi avoir créé ce fonds ? Pour sortir ces financements sociaux de l'enveloppe « normée », comme vous dites, des dépenses de l'Etat pour 2000. Mais vous voilà prise à votre propre piège. Vous vous prévalez, avec ce collectif, d'un effort significatif d'allégement fiscal. De fait, les allégements atteignent 40 milliards, qui s'ajoutent aux 40 milliards figurant dans la loi de finances initiale. Mais ce total de 80 milliards conduit simplement à revenir au niveau de prélèvements obligatoires de la fin de 1998. Où est le miracle ?

L'allégement est constitué d'abord par la réduction du taux de TVA. Le ministre des finances m'a indiqué qu'il allait créer un observatoire destiné à mesurer les effets de cette mesure. Serait-il donc sceptique ? L'INSEE, qui vient de publier son estimation de l'évolution des prix pour avril, indique que la baisse du taux de TVA y compte pour 0,1 %.

M. Henri Emmanuelli, président de la commission des finances - L'INSEE n'a pas dit cela !

M. Philippe Auberger - J'attends donc avec impatience les mesures de votre observatoire.

Je regrette d'autre part que l'effort réalisé sur la taxe d'habitation ne soit pas accompagné de la réduction des frais d'assiette et de recouvrement, qui s'élèvent à 4,4 %. De plus, le comité des finances locales s'est mis depuis longtemps d'accord sur la façon de parvenir à la révision du foncier bâti. Là encore, je regrette que vous n'envisagiez rien, alors que la période qui suivra immédiatement les élections municipales offre une évidente opportunité.

L'impôt sur le revenu serait allégé de 11 milliards. Mais cette mesure fait suite à plus de 30 milliards d'alourdissements réalisés en 1998 et 1999. D'autre part, vous avez réduit le plafond du quotient familial à 11 000 F, alors que ce quotient, pour une demi part, est estimé à 19 000 F pour le calcul des abattements de la taxe d'habitation. Quand j'ai signalé l'incohérence de ces deux chiffres en commission, vous n'avez pas pu me fournir de réponse. Je l'attends toujours.

J'ai entendu les explications du ministre sur l'attribution des licences téléphoniques. Cependant l'ART a donné un avis, que le Gouvernement ne semble pas vouloir suivre. Dans ce cas, il devra procéder par la voie législative et inscrire les recettes correspondantes dès 2000, parce que le droit d'entrée sera payable dès cette année.

Au total, votre politique fiscale n'obéit à aucune vision stratégique ; il s'agit de mesures éparses, alors que le Premier ministre avait commandé au conseil d'analyse économique une étude sur la nouvelle architecture de la fiscalité française.

M. le Président - Je vous prie de conclure.

M. Philippe Auberger - Nous ne trouvons aucune trace de ce rapport dans votre collectif, qui répond à une gestion politicienne et électoraliste de la fiscalité. C'est pourquoi le groupe RPR votera contre (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Christian Cuvilliez - Ce collectif sort de l'ordinaire. En effet, la confirmation de l'existence de plus-values fiscales égales à 51,4 milliards a relancé le débat sur la répartition des fruits de la croissance.

Demandé par les parlementaires communistes, ce collectif devait faire écho aux revendications exprimées par les différents mouvements sociaux qui contestaient le gel de l'emploi public et réclamaient de nouveaux moyens pour l'école, la santé, la formation, la recherche.

Pour la première fois, un collectif ouvre des crédits nouveaux, ici à hauteur de 10 milliards, au titre de la solidarité envers les victimes des tempêtes et de la marée noire, et apporte de premières réponses aux besoins clairement identifiés.

Ainsi, des crédits supplémentaires sont affectés notamment au service hospitalier, pour 2 milliards, à la politique de la ville, au plan d'urgence pour les prisons, à l'application de l'accord conclu en début d'année avec les transporteurs routiers. Je suis consterné d'entendre l'opposition incriminer la dépense publique. Celle-ci, qui répond aux besoins exprimés par les gens, est aussi l'un des moteurs de la croissance interne. Pour nous, la dépense publique est un investissement offrant un retour qui n'est pas seulement politique. Si pour la première fois depuis 20 ans, l'éducation nationale bénéficie d'un collectif budgétaire, le milliard annoncé est très loin des attentes, et prend surtout la forme d'un saupoudrage. Aussi proposons-nous au Gouvernement de porter à 2 milliards les crédits destinés à l'enseignement, pour répondre aux besoins d'amélioration de l'offre d'éducation, aux exigences de réduction des inégalités face à l'enseignement et aux défis des innovations sociales et technologiques. Cependant, même si elle est insuffisante, l'inflexion est repérable ne serait-ce que parce que ce collectif ne présente pas comme une priorité absolue la réduction du déficit de l'Etat, malgré les pressions du MEDEF et de la Commission européenne.

L'objectif du plein emploi doit nous offrir l'occasion de développer la conception d'un « nouveau triangle d'or » dont la base serait le progrès raisonné de la dépense publique et sociale, le premier côté une plus grande efficacité et une plus grande justice sociale des prélèvements obligatoires, et le dernier côté la diminution des déficits publics résultant des effets positifs des deux premiers côtés.

Cela suppose, comme le rappelait Alain Bocquet hier, un changement dans l'ordre de priorité budgétaire.

Lors des journées parlementaires du parti socialiste à Strasbourg, Lionel Jospin soulignait que la deuxième étape de cette législature devait prendre la mesure des acquis de la majorité plurielle, mais aussi prendre « la conscience des attentes qui restent fortes ». Le Premier ministre a ensuite dégagé les principales priorités du Gouvernement : construire une croissance solidaire et partagée, bâtir de nouveaux outils de régulation, affirmer de nouvelles solidarités, poursuivre la modernisation de la société en ouvrant de nouveaux droits.

Il nous semble nécessaire, dès ce collectif, d'introduire des mesures de justice pour une croissance plus solidaire.

Les marges de man_uvre, nous le savons, sont limitées, mais il est possible d'améliorer, comme s'y était engagé Christian Sautter, le sort réservé aux contribuables les plus modestes en acceptant notre amendement tendant à exonérer du foncier bâti les « bénéficiaires » des minima sociaux ou celui tendant à prolonger de cinq ans l'exonération des taxes foncières dont bénéficient les organismes de logement social.

Dès l'automne, le Gouvernement avait annoncé sa volonté d'engager une réforme profonde de la fiscalité directe, ce qui avait conduit notre assemblée à demander un rapport complet sur les modalités de réforme de la taxe d'habitation.

Or, avant même que le rapport soit rendu, ce collectif tend à supprimer la part régionale de cette taxe, ce qui va bénéficier à l'ensemble des contribuables.

Elle aura un impact non négligeable : 600 F par ménage en moyenne, et jusqu'à 1 000 F pour les ménages modestes. Des interrogations subsistent cependant chez les élus locaux, quelle que soit leur sensibilité politique, sur le bien-fondé du remplacement de la part régionale par une dotation budgétaire et sur celui du maintien du prélèvement au titre de la révision des valeurs locatives. A travers ces questions se trouve posée celle d'une véritable réforme, globale, cohérente et respectueuse du principe de libre administration des collectivités locales. C'est dans cette perspective que nous proposerons d'inclure une fraction des actifs financiers des entreprises dans l'assiette de la taxe professionnelle.

La réforme du barème de l'impôt sur le revenu, d'un coût de 11 milliards, bénéficiera aux contribuables modestes, mais de façon toute relative, car les plus modestes ne sont pas imposables, et la baisse des deux premiers taux se répercutera aussi sur les tranches plus élevées.

M. Jean-Jacques Jégou - Quelle horreur !

M. Christian Cuvilliez - Nous proposons donc d'intégrer dans l'assiette de l'impôt sur le revenu les revenus financiers soumis au prélèvement libératoire, de relever les taux de l'ISF, d'instituer un prélèvement social additionnel sur les revenus financiers des entreprises et des institutions financières, et de rétablir l'impôt de bourse pour les non-résidents. Les nouvelles recettes ainsi collectées permettraient notamment de consolider le système de retraite par répartition et d'augmenter les minima sociaux -le SMIC étant lui-même augmenté afin de ne pas aggraver encore l'écart entre ceux-ci et les revenus du travail. Nous approuvons, par ailleurs, la réduction d'un point du taux normal de la TVA, même si son effet risque d'être dilué ; raison de plus, selon nous, pour opérer de nouvelles baisses ciblées. Enfin, nous sommes sensibles à l'adoption probable de notre amendement en faveur des victimes de l'amiante.

Ce collectif budgétaire marque un progrès sur la voie de la transparence et donne à la majorité de gauche plurielle l'occasion d'infléchir ses choix dans le sens d'une croissance dynamique, durable et solidaire (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe RCV).

M. Pierre Méhaignerie - Quel crédit accorder aux chiffres d'un gouvernement qui a choisi de ne pas tenir compte des estimations dont il disposait afin d'éviter tout débat sur l'affectation des fruits de la croissance et de cacher la forte hausse des prélèvements obligatoires ? Quel crédit accorder à son engagement de « transparence au service du débat démocratique » ? Nous verrons bien le sort qui sera réservé à notre amendement à l'article 15...

Les 51 milliards de recettes supplémentaires seront affectés, pour les quatre cinquièmes, à la baisse des impôts, et pour le reste à des dépenses nouvelles. Nous aurions préféré que le Gouvernement choisisse d'aller plus loin dans la réduction du déficit, ne serait-ce que pour respecter ses engagements européens : la Commission européenne ne vient-elle pas de rappeler à notre pays qu'il était, dans ce domaine, en queue du peloton ? Mais la contradiction ne fait que s'aiguiser entre ce que souhaite -probablement- le Gouvernement et les contraintes que lui imposent ses partenaires de la majorité.

Le déficit, en vérité, pourrait descendre bien au-dessous de 200 milliards, ce qui éviterait à la fois que les taux d'intérêt montent et que l'euro baisse. Un autre point nous inquiète, auquel la majorité n'est cependant pas sensible : je veux parler de l'absence de maîtrise des dépenses publiques, et en particulier des effectifs publics. Nous aimerions que le principe de « bonne gouvernance » s'applique à l'Etat comme aux collectivités locales et aux entreprises publiques.

M. Bernard Outin - Et privées !

M. Pierre Méhaignerie - Elles sont soumises à la concurrence, et disparaissent si elles sont mal gérées.

J'en viens aux amendements que nous défendrons. La diminution d'un point des deux premiers taux de l'impôt sur le revenu ne suffira pas à faire revenir les jeunes et les personnes sans qualification sur le marché du travail ; nous proposerons de l'accentuer. Quant à la baisse de la TVA et à celle de la taxe d'habitation, je ne conteste pas qu'elles auront des effets positifs, mais leurs effets pervers l'emporteront à mon avis. Tous les observateurs ont noté que la hausse de deux points de la TVA, qui était au demeurant indispensable pour entrer dans l'euro (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), n'a pas été répercutée sur les prix ; je crains que la baisse ne le soit pas davantage.

M. le Président de la commission - Ce n'est pas ce que dit l'INSEE !

M. Pierre Méhaignerie - Nous proposerons de revenir sur la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, que rejettent tous les présidents de conseils régionaux parce qu'elle les déresponsabilise et remet en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. Il n'est pas juste, qui plus est, de favoriser les personnes possédant plusieurs propriétés par rapport à celles qui n'ont qu'un seul logement, et les collectivités dépensières par rapport à celles qui pratiquent une politique fiscale modérée -le Gouvernement n'a d'ailleurs jamais répondu sur ce point.

Il y avait mieux à faire que de réduire la TVA et de supprimer la part régionale de la taxe d'habitation : c'était d'alléger les charges sociales. Le président de la commission des finances, les Verts et le groupe communiste s'accordent à dire que l'objectif prioritaire reste la lutte contre le chômage, et le Président de la République affirme de son côté que ce ne sont pas les minima sociaux qui sont trop élevés, mais le salaire direct qui est trop faible, en raison de tous les prélèvements qui le grèvent (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL). En revalorisant le travail, nous éliminerons les « trappes à pauvreté » et rassurerons les salariés, qui craignent que les 35 heures ne conduisent à la stagnation du pouvoir d'achat, en même temps que nous irions dans le sens de la convergence européenne.

Beaucoup de pays ont montré la voie en créant une allocation compensatrice de revenu. En France, elle pourrait bénéficier aux 7 millions de salariés dont les revenus sont compris entre 1 et 1,3 fois le SMIC.

Pour beaucoup de gens, le RMI représente la sécurité, les emplois précaires, l'insécurité. Un des principaux freins au retour à l'emploi reste le faible écart entre les revenus que procure le premier et ceux tirés d'un travail peu qualifié. Nous proposons donc d'abaisser de 6,1 points les cotisations sociales sur ces tranches de salaires. Pour un SMIC, cela ferait baisser de 28 % les cotisations sociales salariales, ce qui équivaudrait à une majoration annuelle de salaire de 5 000 à 6 500 francs.

Entre cette mesure et celles que vous proposiez, à savoir baisse de la TVA et allégements de la taxe d'habitation,...

M. Jean-Jacques Jegou - Y a pas photo !

M. Pierre Méhaignerie - ...on voit où est l'efficacité maximale. La nôtre contribuerait à ramener les inactifs vers le marché du travail.

D'ailleurs, dans son rapport sur les perspectives de la France, le commissaire général au Plan, Jean-Michel Charpin, dénonce l'existence des trappes à pauvreté et recommande lui aussi la création d'une allocation compensatrice de revenu.

Absence de réforme de l'Etat, dépenses publiques estimées à un niveau qui les rend plus créatrices de chômage que d'emploi, contradictions avec le rapport d'orientation... telles sont les raisons qui nous poussent à rejeter ce projet de collectif. Auxquelles s'ajoute notre volonté de centrer l'effort fiscal et financier sur les 7 à 8 millions de personnes qui n'ont pas le salaire correspondant à leurs efforts (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Yves Cochet - Comme les députés Verts approuvent globalement ce projet de collectif et partagent les remarques faites par le rapporteur général ainsi que par MM. Bonrepaux et Cuvilliez, je ne me livrerai pas à une analyse globale mais insisterai plutôt sur quelques points particuliers.

Ma première remarque concerne l'éducation nationale. Je ne puis qu'être satisfait des 357 millions destinés à l'enseignement professionnel, à la suite sans doute des mouvements revendicatifs que nous avons connus, au demeurant tout à fait légitimes. Mais je m'inquiète de ne pas voir de moyens supplémentaires, en termes notamment de créations de postes d'enseignants, dans les autres filières scolaires et qu'il n'y ait pas de plan d'urgence -comme celui d'il y a deux ans pour la Seine-Saint-Denis- pour les départements en situation de sous-effectifs. Je pense en particulier au Val d'Oise.

La deuxième concerne l'économie solidaire. Le nouveau secrétariat d'Etat qui lui est consacré se voit doté dans ce collectif de 40 millions pour financer un appel à projets...

M. Charles de Courson - C'est pas cher !

M. Yves Cochet - Je comprends bien qu'il ne soit pas possible de passer de zéro à un montant très élevé, mais il me semble qu'un effort deux fois supérieur eût été raisonnable. Car des projets d'économie solidaire, il en existe des centaines voire des milliers. J'en connais moi-même beaucoup. Dans ma circonscription, une entreprise d'insertion qui s'efforce, par la pratique de l'agriculture biologique, d'habituer au travail des jeunes en difficulté, a le projet de se doter d'une unité de transformation et de commercialisation. Cela coûterait 3,5 millions. Cette entreprise d'insertion aurait donc bien besoin d'un petit coup de pouce, comme beaucoup d'autres initiatives de ce genre, toutes créatrices d'emploi et de nature à renforcer la cohésion sociale.

Comme je ne pourrai malheureusement pas être là demain pour défendre nos amendements, je voudrais en dire un mot maintenant.

Une première série porte précisément sur l'épargne solidaire. Ils visent à favoriser la mobilisation des ressources -des personnes physiques comme des personnes morales- vers les organismes associatifs ou coopératifs qui ont pour objet l'insertion ou le développement durable et local. Ces organismes ou ces entreprises qui luttent contre l'exclusion ont en effet du mal à trouver auprès des intervenants financiers classiques les prêts ou les fonds propres dont ils ont besoin. Il est vrai que leur rentabilité peut sembler faible et leur public plus attractif. L'épargne solidaire justifie un traitement fiscal adapté, qu'il s'agisse des dons ou des prêts. J'espère donc que nos amendements seront adoptés. Le sujet justifierait d'ailleurs un projet ou une proposition de loi spécifiques. En France, l'épargne représente presqu'autant que le PIB mais on ne sait pas comment la diriger vers ce qui est socialement utile. Nos amendements le permettraient.

Une autre série concerne le PACS. Nous proposons d'une part de supprimer le délai avant lequel il n'est pas possible pour deux pacsés de bénéficier d'avantages fiscaux dans le cadre des donations ; d'autre part, d'aligner les taux des abattements dans le cadre des successions, sur le régime du mariage.

Pourquoi en effet imposer aux pacsés une sorte de mise à l'épreuve ? Je note que ce délai n'existe pas pour les fratries, qui bénéficient d'avantages fiscaux plus élevés que les couples pacsés alors qu'ils ne sont pas liés par le moindre contrat. Ainsi, deux frères ou s_urs, qui n'ont aucun devoir l'un vis-à-vis de l'autre, paient 35 % de droits pour la tranche inférieure à 150 000 francs d'une donation et 45 % au-dessus, et ce sans délai. Mais deux pacsés, liés par un devoir d'aide mutuelle et une solidarité à l'égard des dettes contractées auprès de tiers, paient 40 % pour la tranche inférieure à 100 000 francs d'une donation, 50 % au-dessus, et ce seulement après un délai de deux ans. Il convient de supprimer ce délai.

Dans le cadre d'une succession, les couples pacsés ne sont pas traités à la hauteur de ce qu'ils représentent symboliquement dans le nouvel ordre juridique. En effet, ils ne bénéficient pour les droits de mutation à titre gratuit que d'un abattement de 300 000 francs, comme les ascendants et les descendants, ou encore un héritier dans l'incapacité de travailler à cause d'une infirmité. Nous proposons de le porter au niveau de celui dont bénéficie le survivant d'un couple marié. En effet, la situation d'un couple pacsé est à peu près équivalente à celle d'un couple marié sans enfant, et justifie donc d'un même traitement fiscal.

Vous m'en voudriez certainement de ne pas évoquer, pour conclure, certaines considérations d'ordre écologique...

M. Jean-Pierre Brard - Ce serait en effet un manque, venant de vous !

M. Yves Cochet - Ne croyez pas que nous soyons un parti spécialisé : comme tous les autres groupes -et je crois que je viens d'en faire la démonstration-, nous avons vocation à intervenir dans tous les domaines de la vie publique.

Cela dit, il faut rendre grâce à ce Gouvernement et à sa majorité d'avoir mis en _uvre une idée qui nous est chère : celle qui consiste à moins taxer le travail et davantage les pollueurs, ce à prélèvements fiscaux constants. Ainsi s'est imposé progressivement, en France comme dans l'ensemble de la Communauté européenne, le principe pollueur-payeur : la TGAP en est une illustration...

M. Georges Tron - Certes non !

M. Yves Cochet - Mais si !

Ce que nous proposons en premier lieu -et la mesure a reçu un accueil favorable en commission-, c'est d'étendre ce principe pollueur-payeur, déjà appliqué à la valorisation des emballages ménagers, aux documents publicitaires et aux journaux gratuits qui encombrent nos boîtes aux lettres.

M. Michel Bouvard - Parfait !

M. Yves Cochet - J'espère que la disposition sera adoptée, d'autant que la taxe serait modeste : 1 F par kilo.

Une seconde série d'amendements concerne la maîtrise de l'énergie et ce que la Commission européenne a baptisé les « SER » dans un projet de directive adopté mercredi dernier. Dans son excellent rapport de 1998 sur la fiscalité écologique, Mme Bricq avait proposé d'appliquer le taux réduit de TVA au bois-énergie, aux réseaux de chaleur et à tous les matériels dispositifs et procédés permettant d'économiser l'énergie et de promouvoir les énergies renouvelables. Convaincus que la mesure contribuerait à créer un marché, en France et même à l'exportation, pour nos industriels et ingénieurs, nous l'avons reprise à notre compte.

Une troisième série d'amendements vise à majorer, à titre exceptionnel et pour trois ans, le taux de la taxe départementale en faveur des espaces naturels sensibles, afin de faciliter le nettoyage, l'entretien et la valorisation de nos forêts dévastées par les ouragans de décembre. Cette proposition devrait intéresser le président de la commission des finances ; elle m'a été inspirée par des collègues conseillers généraux, et je compte sur lui pour la soutenir le moment venu.

Enfin, une dernière série d'amendements, qui me tient à c_ur, vise à conforter aussi bien les actions économiques qu'environnementales des collectivités territoriales situées à proximité d'aéroports. Un journal du soir vient d'ailleurs de consacrer un excellent article au sujet, à l'initiative d'une association d'élus à la tête de laquelle se trouve notre collègue Blazy. Pour réduire les nuisances dont souffrent les riverains, je suggérerai de relever raisonnablement la taxe à laquelle est assujettie l'aviation civile, dont le montant n'est que de 1,5 F par passager, contre 14 F aux Pays-Bas.

J'espère que ces quelque 25 amendements recevront un accueil aussi bienveillant que celui que je présente en faveur des personnes qui renoncent au rendement d'un placement financier pour aider à se développer des banques solidaires. Mais, si tous n'étaient pas adoptés, qu'à cela ne tienne : je reviendrai à la charge lors de la discussion de la prochaine loi de finances ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste)

M. Gilbert Gantier - Cette discussion intervient à l'issue d'un feuilleton mouvementé. Croyez-en un ancien : il n'est pas si commun que nous discutions d'une loi de finances rectificative cinq mois seulement après la discussion de la loi de finances initiale ! Mais c'est aussi que le Gouvernement tenait à corriger l'image calamiteuse donnée par l'affaire de la cagnotte, qui a entamé sa crédibilité et mis au tapis un ministre !

De septembre à février, le Gouvernement s'est empêtré dans une sorte de « marmelade » budgétaire mais, dans le même temps, le Parlement -ou du moins la majorité- a été ridiculisé, passant pour une simple chambre d'enregistrement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cet après-midi, nous avons d'ailleurs eu une nouvelle démonstration de votre capacité à tout avaler : à la brillante exception d'irrecevabilité de François d'Aubert, Mme la secrétaire d'Etat a répondu longuement mais en semblant ignorer que cette motion vise à faire reconnaître qu'un projet comporte une ou plusieurs dispositions contraires à la Constitution. Or, notre collègue avait démontré qu'en opérant indûment et de façon quasi clandestine des prélèvements sur recettes, le Gouvernement avait allègrement violé l'ordonnance organique. Or, même si M. Fabius entend réviser celle-ci, elle n'en demeure pas moins pour nous, jusqu'à nouvel ordre, la Loi et les prophètes.

De son côté, Gilles Carrez, dans sa non moins brillante question préalable, avait rassemblé des indications troublantes quant à la sincérité du déficit que vous annoncez, et il avait suggéré que le Gouvernement se préparait là une nouvelle cagnotte, « politique » cette fois. Si telle est la vérité, il n'y avait pas lieu en effet de délibérer sur ce projet. Et si c'est faux, il fallait opposer un démenti vigoureux -ce que vous n'avez pas fait, vous contentant de demander le rejet de la motion et la majorité emboîtant le pas sans solliciter d'explications. Je connais des pays démocratiques où les alliés du Gouvernement sont plus curieux et moins serviles (Exclamations sur les bancs du groupe communiste).

Pour en revenir à la discussion en cours, je commencerai par regretter que le ministre ne l'honore pas de sa présence. Nous y gagnons certes en charme féminin, grâce à vous, Madame la secrétaire d'Etat, mais nous ne pourrons poursuivre avec M. Fabius la discussion engagée hier. Or orientations budgétaires et loi de finances rectificative ne sont guère dissociables : les déficits d'aujourd'hui sont les impôts de demain et ce sont les impôts d'hier qui ont permis de constituer la cagnotte d'aujourd'hui, en attendant celle de demain !

Hier, j'ai dit que la méthode Jospin avait, depuis 1997, abouti à 420 milliards de prélèvements supplémentaires. Dans sa réponse, comme toujours courtoise, M. Fabius s'est tout de même autorisé à se gausser, me demandant avec ironie si je parlais en nouveaux francs et assurant que j'avais provoqué des sourires même chez mes amis. Or parlant de M. d'Aubert et de moi, il a dit aussi : « Ces arguments ne sont dignes d'aucun de ces deux spécialistes, qui savent fort bien qu'il faut distinguer ce que les entreprises et les particuliers auraient eu à payer en plus si l'on avait changé les mécanismes fiscaux de ce qu'ils ont dû acquitter parce que la croissance a permis l'augmentation de leurs revenus. Cet effet richesse qui accompagne la croissance, on ne peut le reprocher au Gouvernement... » Je ne reproche certes pas la croissance au Gouvernement mais je ne puis laisser la critique sans réponse, d'autant que si j'ai pêché, c'est plutôt par défaut. En effet, si je me reporte aux documents du ministère et au rapport de M. Migaud, je constate que les prélèvements fiscaux et sociaux ont effectivement augmenté de 420 milliards entre 1997 et la loi de finances initiale pour 2000 -et de près de 200 milliards pendant la seule année 1999. Ces chiffres comprennent l'effet richesse -je ne suis pas très malin, mais pas stupide au point de l'oublier- c'est-à-dire, avec la croissance, les treize prélèvements sociaux que vous avez créés, par exemple pour taxer les activités polluantes ou pour financer les allégements de cotisations patronales liés aux 35 heures. Avec tout cela, malgré toute l'ironie dont est capable M. Fabius, nous arrivons bien, d'après les calculs de notre rapporteur général, à 420 milliards.

M. le Rapporteur général - Mais non.

M. Gilbert Gantier - Toutefois je confesse mon erreur : je me suis trompé par défaut... Aux 420 milliards dont le rappel choquait hier M. Fabius, il faut en effet ajouter les surplus, notamment les 51 milliards calculés par le rapporteur général. Les suppléments de recettes atteignent donc au total 470 milliards.

M. le Rapporteur général - Il y a dans tout cela des recettes non fiscales, ce qui ne semble pas vous gêner.

M. Gilbert Gantier - Je parle de recettes sociales et fiscales, et je m'appuie sur votre rapport. Quand donc M. Fabius me demande si je m'exprime en anciens ou en nouveaux francs, c'est d'une ironie excessive, au regard de votre éminent rapport et des documents du ministère des finances.

Je crois donc que nos collègues de l'opposition, et notamment Charles de Courson, ont raison de critiquer ce collectif, et notamment de penser que la question de la cagnotte pour 2000 reste encore sans solution. Pour toutes ces raisons je ne voterai pas le projet (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Michel Bouvard - M. Carrez, dans sa question préalable, et M. Auberger ont dit pourquoi nous ne partagions pas les orientations générales de ce collectif. J'insisterai pour ma part sur ses deux mesures-phares en matière de réduction d'impôts. Je n'entends certes pas critiquer le principe de la réduction, dont le débat d'orientation budgétaire nous a bien montré qu'il n'est pas encore culturellement admis par tous les députés de la majorité. Mais je m'interroge sur le choix des cibles et l'efficacité des mesures.

Votre première décision est de ramener de 20,6 à 19,6 % le taux normal de TVA, pour un coût de 18,6 milliards en 2000 et 31 milliards en année pleine. Mais cela représentera-t-il une économie équivalente pour le consommateur-contribuable ? La mesure apportera-t-elle un soutien efficace à la consommation et à l'emploi ? Je me le demande, non seulement parce que la baisse est limitée à 1 %, mais parce que sa répercussion sera plus difficile à vérifier que si son taux était plus important. Le Gouvernement a d'ailleurs reconnu devant la commission des finances que la restitution pour le contribuable ne serait sans doute que de trois quarts de point. En outre la mesure n'aura guère d'impact sur l'emploi. Dès lors, puisqu'on ne pouvait procéder à une baisse plus importante, pourquoi avoir marqué une rupture par rapport à la position retenue l'année dernière, qui consistait à privilégier des baisses ciblées ? Nous les avons soutenues, notamment dans la proposition de résolution à l'Union européenne. Pour un coût budgétaire égal, le Gouvernement aurait pu par exemple s'engager dans une baisse de la TVA sur la restauration. La baisse étant plus forte, sa répercussion pour le consommateur aurait été contrôlable. Elle aurait concerné plus de contribuables, et notamment de nombreux salariés. Elle aurait permis, selon la profession, de créer 14 000 emplois, tout en évitant l'évaporation de 8 milliards non répercutés en année pleine, comme on peut le prévoir pour notre mesure.

Une telle décision permettrait d'autre part de mettre fin aux distorsions de concurrence, au plan national, entre fast-food et restauration traditionnelle, et, au plan européen, entre la France et ses principaux concurrents touristiques. Vous n'avez pas retenu cette mesure, Madame la ministre. Je souhaite donc -comme il y a quinze jours lors des questions d'actualité, et en espérant une réponse plus précise- savoir comment vous comptez répondre à l'arrêt du Conseil d'Etat qui vous met en demeure de mettre fin, d'ici six mois, à la distorsion de concurrence avec la restauration d'entreprise ou administrative. C'est le très important écart de TVA entre cette dernière et la restauration traditionnelle, joint à l'immobilisme du Gouvernement -malgré les prises de position très claires de la commission des finances quasi unanime, de son rapporteur général, de son précédent président et du président de notre assemblée avant qu'il devienne ministre- qui ont conduit à ce recours devant le Conseil d'Etat. Cette décision risque de fragiliser la restauration d'entreprise, mais aussi la restauration scolaire et hospitalière, qui n'était pas visée par le recours, mais entre dans le champ des dispositions mises en cause. Nul ne comprendrait que le Gouvernement n'apporte pas une réponse précise sur la façon dont il entend régler cette question, et sur ses intentions quant à l'inscription de la restauration traditionnelle dans l'annexe de la directive européenne, déjà souhaitée par le Portugal. Nous avons déposé quelques amendements à ce sujet, pour mettre fin aux incohérences les plus flagrantes.

Notre deuxième mesure-phare est la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation. Je le dis d'autant plus librement que je ne suis pas un élu régional : c'est un mauvais choix. Tout d'abord, en réduisant un impôt local, le Gouvernement semble vouloir accréditer l'idée que la fiscalité locale porte la responsabilité d'une grande partie du niveau record de prélèvements obligatoires que nous connaissons. Or vous savez que c'est faux. Vous l'avez d'ailleurs implicitement reconnu dans le débat d'orientation budgétaire, en admettant que les comptes des collectivités territoriales étaient stables. Le rapport de M. Migaud le confirme : la part régionale de la taxe d'habitation est restée stable en 1999, après avoir diminué en 1997 et 1998. Cette part, en raison du régime actuel d'exonérations et de compensations, n'est d'ailleurs payée que par un Français sur deux. Elle représente en outre une faible part de l'imposition locale. Il aurait été plus logique soit de faire porter l'effort ailleurs, par exemple sur l'impôt sur le revenu -notamment pour les familles, frappées de plein fouet par la réforme du quotient familial-, soit de supprimer les frais de rôle de l'Etat sur les impôts locaux, dont le montant, dans la plupart des régions, dépasse celui de la part régionale de la taxe d'habitation. L'Etat aurait ainsi donné l'exemple en supprimant une de ses recettes plutôt qu'une recette des collectivités territoriales, ce qui accroît leur dépendance fiscale envers l'Etat.

En effet cette disposition ne respecte pas l'esprit de la décentralisation, lequel veut que les collectivités s'administrent librement -ce qui implique la liberté de voter l'impôt. Pour les régions, cette disposition vient en outre à un bien mauvais moment. On sait quels efforts elles doivent faire pour la mise à niveau des lycées, mais aussi l'amélioration de la formation professionnelle indispensable face au risque de chômage structurel. Et n'oublions pas les efforts demandés aux régions pour la deuxième phase de la réforme de la SNCF, engagée par M. Pons et Mme Idrac, c'est-à-dire la généralisation de l'expérience -réussie- de régionalisation des services voyageurs. La coïncidence entre les nouvelles charges et la suppression d'une recette, dont la compensation sera fatalement injuste, explique que le débat sur cet aspect de la loi SRU, relativement consensuel en première lecture dans cet hémicycle, se soit subitement durci hier au Sénat.

Sur la taxe d'habitation, je regrette qu'on aborde le problème par le petit bout de la lorgnette. C'est en effet une simple adaptation, certains diraient un bricolage, alors que la réforme générale des bases n'est toujours pas décidée, malgré les engagements de plusieurs de vos prédécesseurs depuis 1990. Les Français continuent d'ailleurs de payer, à hauteur de 0,4 % par an, le coût de cette réforme que vous avez initiée, mais ne souhaitez pas voir aboutir. Cela me conduira à défendre à nouveau des amendements tendant à supprimer le prélèvement pour frais de révision, et à modifier les bases de la taxe d'habitation dans le cas de certains biens. Je pense à ceux dont la situation s'est dégradée après l'apparition à proximité d'un grand axe de circulation, ou du fait d'un accroissement du trafic et de ses nuisances. Puisque la révision générale n'est pas engagée, il faut au moins modifier le dispositif pour ces biens.

Dans un souci d'objectivité, et pour finir sur une note positive, j'exprimerai une satisfaction devant l'enveloppe complémentaire accordée au budget du tourisme, pour prendre en compte les mesures liées au naufrage de l'Erika et les conséquences de la tempête pour l'hôtellerie de plein air et le tourisme vert. Je souhaite cependant savoir, s'agissant de l'Erika, quelle sera la contribution du FIPOL et de Total-Fina au financement du plan de communication. Prendra-t-elle la forme d'un remboursement à l'Etat des crédits engagés pour la saison, ou s'ajoutera-t-elle aux crédits inscrits dans ce collectif ? Il est certes préférable de procéder par redéploiement ; mais je ne suis pas choqué, personnellement, que des mesures exceptionnelles de ce type soient financées par un surplus de recettes.

Malgré ces points positifs, ne partageant pas vos options en matière de réduction d'impôts, et constatant le décalage entre les recettes réelles et les crédits inscrits ou collectif, qui ne prennent en compte aucune réduction du déficit, je me prononcerai à regret contre ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Bernard Outin - Je centrerai mon propos sur le milliard accordé à l'éducation nationale. Avec plus de 300 milliards pour 2000, le budget de l'enseignement scolaire apparaît bien comme le premier budget de la nation, confirmant que le Gouvernement considère l'éducation comme la priorité nationale. L'amélioration des performances de notre système éducatif ne dépend pas uniquement des moyens financiers qui lui sont accordés (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du RPR).

Une réflexion approfondie sur son organisation, ses objectifs et ses méthodes sera nécessaire pour aller vers plus d'égalité des chances. Pour autant les moyens doivent suivre.

Il est donc surprenant de constater la faiblesse de la somme affectée à l'éducation nationale par ce collectif. Un milliard ne correspond en effet qu'à environ 0,35 % du montant du budget 2000 et qu'à 2 % de la totalité des crédits inscrits dans le collectif. Ce milliard sera insuffisant pour répondre aux besoins éducatifs et pour poursuivre les réformes dans ce qu'elles ont de positif. La lutte contre l'échec et la violence scolaire passe par une amélioration de la carte scolaire, visant une baisse ciblée des effectifs, la stabilisation des équipes éducatives, le remplacement des personnels absents, la réintroduction du travail en petits groupes et la sauvegarde de l'école en milieu rural.

Les innovations pédagogiques ne pourront se généraliser sans la création d'emplois statutaires.

Les besoins en matière de personnel médico-socials sont également considérables car leur présence permet parfois d'éviter des drames et d'apporter des réponses aux demandes des élèves. Malheureusement cette présence est trop parcimonieusement distribuée sur le territoire.

La question de la précarité des emplois de l'éducation nationale exige une solution rapide.

Des moyens accrus sont nécessaires pour équiper l'école en informatique, répondre aux besoins en matériel et en personnel des lycées professionnels, renforcer la réalité de la gratuité scolaire.

Lors de la discussion du budget 2000, j'avais rappelé que le développement de l'accès de tous les collégiens aux nouvelles technologies ne pouvait continuer de s'appuyer sur les seuls conseils généraux. J'avais alors estimé l'allocation de moyens nouveaux très insuffisante et proposé leur multiplication par dix.

Par leur qualité, les contenus disciplinaires doivent favoriser l'égalité des chances. L'avenir du système éducatif exige la mobilisation urgente de moyens pluriannuels.

Les députés communistes auraient souhaité un collectif budgétaire plus ambitieux et à hauteur d'au-moins 2 milliards. L'éducation n'est pas une dépense mais un investissement et le retour de la croissance doit permettre de répondre aux nombreuses attentes de la population en ce domaine (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Yves Deniaud - Dans le contexte actuel, national et international, cette loi de finances rectificative semble quelque peu surréaliste et décalée, comme la politique qui l'inspire depuis trois ans. Elle est en décalage par rapport à la réalité européenne et mondiale et elle fait peu de cas du niveau de notre endettement. Comme vous tous, j'ai entendu le ministre de l'économie et des finances regretter, à la sortie d'un Conseil des ministres européens, la faiblesse de l'euro tout en l'imputant pour une large part au manque de rigueur de la gestion des finances publiques dans les Etats participants. Pour une fois, il parlait d'or car si l'on compare la situation respective des Etats-Unis et de l'Europe, il ressort que ce qui fait la différence et ce qui plombe l'euro, c'est que l'Europe a encore des comptes publics déficitaires alors que les Etats-Unis dégagent un excédent de 165 milliards de dollars. Or, qui est le principal responsable de cette situation sinon la France ?

Plutôt que de pleurer sans rien faire sur la faiblesse de l'euro, il faut réduire le déficit pour lui donner la fiabilité qu'il mérite sans casser la croissance par une hausse des taux d'intérêt.

Si votre propre objectif de limiter la hausse des dépenses publiques à 1 % par an en volume, hors inflation, avait été tenu depuis 1997, le déficit pour 2000 serait de l'ordre de 100 milliards et l'équilibre serait en vue à l'horizon 2002.

Au lieu de cela, le déficit 2000 risque d'être supérieur à celui constaté en 1999. Or, comme M. Fabius a indiqué hier que la hausse des taux d'intérêt entraînerait une hausse mécanique de l'annuité de 7 milliards, la réduction du déficit s'impose, en vue de relancer l'investissement privé comme le niveau de l'investissement public, dont le naufrage actuel n'est pas admissible. Le ministre de l'économie l'a d'ailleurs reconnu lui-même dans une réponse à M. Bouvard.

Les seules baisses d'impôt durables sont celles qui sont fondées sur un assainissement préalable des finances publiques. Et les effets de vos baisses d'impôt seraient vite balayés si la conjoncture se retournait, parce qu'elles ne sont pas gagées sur des marges de man_uvre conquises sur la dette. Ce montant de 559 milliards empruntés en 2000 entraînera un alourdissement de la charge de la dette dont les effets seront dévastateurs si la tendance s'inverse et si la croissance s'atténue.

Ce risque, nous ne voulons pas que la France le prenne et c'est pour cela que nous ne pouvons accepter votre projet de loi de finances rectificative : sans réduction du déficit, les baisses d'impôt que vous annoncez ne sont qu'illusoires et momentanées (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Rodet - Plutôt que d'enfourcher les rossinantes de la macro-économie, je souhaite m'attarder sur les missions d'urgence prises en faveur des victimes des intempéries du mois de décembre dernier. L'effort de l'Etat est appréciable et il témoigne de la solidarité du Gouvernement à l'égard des collectivités concernées, conformément aux engagements du Premier ministre. Les tornades de la fin de l'année ont touché 69 départements et les réponses que les pouvoirs publics entendent apporter aux victimes intéressent plus nos concitoyens que les ratios budgétaires qu'agitent comme des sémaphores certains de nos collègues. Allez parler de déficit public aux habitants de la Haute-Vienne qui sont restés trois semaines sans électricité ! Après l'indemnisation de l'Etat et la mise en jeu des assurances, les communes restent confrontées à deux phénomènes : en règle générale, l'estimation des charges supplémentaires liées aux dommages a été insuffisante et, d'autre part, il est fort probable que l'on découvre à l'automne de nouveaux dégâts, lorsqu'auront été achevées les opérations de débardage du bois. En outre, dans les petites communes les plus touchées, les dépenses de personnel ont dû être réévaluées pour faire face à ces charges nouvelles et imprévues. Certes, nous nous félicitons des réponses apportées, mais il est indispensable d'anticiper sur la préparation de la loi de finances pour 2001, en essayant de suggérer certaines pistes pour compléter les aides destinées aux communes et aux départements. Nous pourrions ainsi, pour les zones les plus meurtries qu'il ne sera pas bien difficile d'identifier, abonder en 2001 la DGF des communes et la DGE des départements. Ces deux mesures, dont le coût total pourrait ne pas dépasser un milliard, seraient très bienvenues. Votre administration et la direction générale des collectivités locales pourraient engager le travail d'inventaire et d'évaluation. Déjà, l'effort consenti au travers de ce collectif est appréciable, et nous nous en félicitons (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Michel Inchauspé - Ce collectif revêt un caractère historique. Il est exceptionnel par l'ampleur des dépenses inscrites, à un niveau que je n'ai jamais vu ici en trente ans, et par la quasi inexistence des économies budgétisées. Il y a là un peu de notre faute à tous. Le rôle des parlementaires n'est-il pas de chercher les moyens de faire des économies ? J'ai l'impression que parmi les soixante membres de la commission des finances, seul le rapporteur général travaille, et il le fait, lui, jour et nuit. Mais que font les autres ?

Il est vrai que nous ne sommes pas aidés par le Gouvernement. M. Fabius nous a promis la transparence. L'an dernier, il a pris comme président de l'Assemblée l'initiative de faire examiner quatre budgets en commission en présence du ministre. Il ne faudrait pas que cette procédure soit destinée uniquement à éviter une discussion générale fastidieuse et inutile comme celle d'aujourd'hui. Renouons plutôt avec nos anciennes méthodes. Autrefois, nous passions une demi journée en commission à examiner chaque budget, chapitre par chapitre. Aujourd'hui, nous y consacrons une heure tout au plus. Ce n'est pas sérieux. D'autant que nous n'associons pas l'administration à nos efforts. Ouvrez le Bottin administratif, chaque année plus volumineux. On y trouve toute une liste de chefs de service, dont j'ai téléphoné à certains. Il faudrait demander à chacun qui fait quoi, et nous trouverions là des trappes à économies.

Voici un document. C'est le fascicule du budget des transports. Pour expliquer 20 milliards de dépenses, vous ne trouverez que deux lignes. Au début, je lis cette phrase extraordinaire : « Le budget voté ne retrace pas l'ensemble des paragraphes de la nomenclature d'exécution ». Monsieur le président de la commission, qu'est-ce que cela signifie ?

M. le Président de la commission - Je suis catastrophé !

M. Michel Inchauspé - Le ministre des finances nous a annoncé douze mesures pour mieux travailler, en nous garantissant une complète transparence des compte. Puisse-t-il ne pas s'agir d'une promesse en l'air ! Je fais une suggestion. Les rapporteurs de la majorité travaillent bien, mais il peut leur être difficile de mettre en cause certains crédits. Pourquoi ne pas leur adjoindre des rapporteurs de l'opposition ? La commission des finances devrait disposer d'un administrateur par budget. Actuellement, ils sont chargés chacun de quatre ou cinq (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF). Ces postes d'administrateurs seraient rentabilisés dans l'année.

M. Fabius nous a proposé des contrats de gestion. Ne pourrait-on pas faire le point deux ou trois fois par an ?

Autrefois il existait un contrôleur financier dans chaque ministère, qui était un personnage de la plus grande importance. Quand nous ministres voulions utiliser des crédits de fonctionnement pour créer des postes de vacataires, nous avions le plus grand mal. Actuellement, je crois qu'il en va tout autrement.

Ce matin, en article 88, nous avons passé plus d'une dizaine d'amendements gouvernementaux tendant à régulariser l'inscription de centaines de millions de crédits sans explication et donc sans contrôle. Ce n'est pas sérieux.

La discussion budgétaire étant l'acte majeur de la session parlementaire, mes propositions ne sont pas audacieuses. Pour le moment, nous ne pouvons pas voter ce collectif car nous n'y voyons pas clair.

Je vous remercie de prendre en considération mes suggestions qui, je l'espère aboutiront cette année, ou l'année prochaine... (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Jean-Pierre Brard - Nous vivons parfois ici des moments insolites. Nous savions que M. Inchauspé était un vieux sage de la commission des finances. Qu'il fût aussi délégué syndical, voilà ce que nous ignorions, et qui prouve son éclectisme.

Tout à l'heure, M. Gantier s'est gaussé de l'existence d'un collectif. Nous, au contraire, nous le réclamions. Sans doute M. Gantier a-t-il oublié que l'an dernier nos collègues de droite fustigeaient des prévisions qu'ils déclaraient trop optimistes, espérant que le trou d'air devienne dépression. Mais les Cassandre de droite ont vu leurs prophéties démenties...

M. Michel Bouvard - Cassandre avait raison !

M. Jean-Pierre Brard - C'est vrai, tandis que nos collègues de droite, comme d'habitude, ont eu tort. Pourquoi les résultats ont-ils été meilleurs, alors que selon vous tout est dû à la conjoncture internationale ? Les choix opérés depuis 1997 tendent à favoriser l'emploi, et les résultats déjà obtenus dans ce domaine sont un camouflet infligé aux ultra-libéraux et aussi aux sociaux libéraux du type Blair ou Schröder, ce dernier infligeant actuellement une purge sévère à ses concitoyens. Quand nos collègues comme M. Gantier parlent de 400 milliards de prélèvements supplémentaires, ils commettent un abus de langage. Il s'agit en vérité de recettes supplémentaires provenant de l'amélioration de l'activité. Je regrette que le Gouvernement ne soit pas plus dynamique dans la défense de l'impôt. L'impôt est légitime. Les apôtres de la baisse des impôts font des comparaisons avec l'étranger. Qu'ils aillent jusqu'au bout. Comment payerions-nous notre système d'éducation, notre système de santé, le logement social, si l'impôt ne venait pas, dans une mesure encore trop faible, corriger les inégalités ? Le problème de l'impôt n'est pas qu'il soit globalement trop lourd, c'est qu'il doit être plus juste. A droite nous avons entendu des propos étranges. M. d'Aubert ne dit-il pas que nous décourageons les Français les plus entreprenants et les plus dynamiques ? Il parlait ainsi des moins patriotes et des moins citoyens. Il ne faisait évidemment allusion ni aux ingénieurs de Kourou ni aux ouvriers d'Aérospatiale, mais de ceux qui partent la mallette à la main ou le coffre-fort sous le bras de l'autre côté de la Manche...

M. Jean-Louis Idiart - Les héritiers de Coblence !

M. Jean-Pierre Brard - Tout à fait ! Ceux-là s'appellent Afflelou, Arnaud et consorts.

S'agissant de la baisse des impôts, dont on peut douter qu'elle soit vraiment prioritaire, on peut notamment se demander si des baisses ciblées de TVA n'auraient pas été préférables à une baisse générale d'un point qui ne sera pas forcément répercutée, étudier les façons de rendre la CSG plus progressive et plus légère aux revenus modestes, souhaiter qu'il soit donné suite, sinon maintenant, du moins dans le prochain budget, à l'engagement, pris par MM. Sautter et Strauss-Kahn, de réduire le foncier bâti, qui pèse également sur tous, c'est-à-dire inégalement, et s'inquiéter de l'intention prêtée au ministre des finances -à tort, sans doute, car nous serions nombreux, dans la majorité, à nous y opposer avec détermination (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)- de diminuer les taux supérieurs de l'impôt sur le revenu.

Défendre l'impôt et le rendre plus juste, plus redistributif : c'est dans cet esprit que nous participerons à la discussion (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Yves Durand - J'exprime, à mon tour, ma satisfaction devant ce collectif qui témoigne à la fois de la bonne santé de notre économie et de la bonne politique de notre gouvernement, et je me félicite tout particulièrement du milliard supplémentaire consacré à notre système éducatif. D'aucuns regretteront que ce ne soit pas davantage ; faut-il leur rappeler que le budget de l'éducation est redevenu, depuis 1997, le premier budget de la nation ? Je vois dans ce milliard, pour ma part, la confirmation que l'éducation nationale est bien, comme l'affirme la lettre de cadrage pour 2001, une priorité du Gouvernement.

Cette rallonge permet de répondre positivement au v_u, émis par les rapporteurs du budget de l'éducation, Jacques Guyard et moi-même, que soit renforcée la présence des personnels non-enseignants -médicaux, médico-sociaux ou ATOS- dans les établissements : ils seront 2800 de plus dès la rentrée prochaine, qui sera donc, ainsi, meilleure encore que les précédentes. Elle marque, surtout, la volonté de poursuivre les réformes courageuses et nécessaires engagées depuis trois ans : même s'il est vrai que les moyens, en cette matière comme en d'autres, ne font pas tout, les 50 millions consacrés à la formation des enseignants dans les lycées favoriseront la mise en place de la réforme desdits lycées -et je n'aurai garde d'oublier l'effort consenti en faveur de l'enseignement des langues à l'école primaire, ainsi que des nouvelles technologies.

Un meilleur fonctionnement des établissements, de meilleures conditions d'enseignement, de nouveaux progrès de la gratuité : autant de motifs de nous réjouir, et notre satisfaction sera plus sereine encore si nous recevons l'assurance que le budget 2001 comportera bien les moyens appropriés à la poursuite des réformes et que les besoins seront étudiés dans un cadre pluriannuel, comme le prévoit la loi de 1989 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Alain Barrau - J'ai quelque peine à comprendre ceux qui contestent le bien-fondé de ce collectif après avoir, l'an dernier, blâmé le Gouvernement de n'en avoir point déposé pour arrêter l'affectation des excédents de recettes. Ils devraient se réjouir, au contraire, qu'il ait accédé au souhait des groupes de la gauche plurielle !

La baisse de la taxe d'habitation va profiter à l'ensemble de nos concitoyens, et avant tout aux plus modestes d'entre eux.

M. Michel Bouvard - A condition qu'ils y soient assujettis !

M. Alain Barrau - Quant à la TVA, force est de reconnaître que nous aurons réussi à annuler, en quelques années, la pénalité que les gouvernements de droite avaient imposé à notre économie (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Ce collectif, et c'est là le point sur lequel je veux insister, remet en cause un tabou, qui voulait que toute gestion publique soit considérée comme mauvaise, dès lors qu'elle recourait à la création d'emplois publics : non que j'aie jamais pensé que celle-ci fût la seule voie possible, mais je ne crois pas pour autant qu'il faille obéir aveuglément à l'idéologie libérale. Ainsi, je me félicite que deux milliards soient affectés à l'hôpital public : celui dont nous avions obtenu de Michel Rocard la création à Béziers donne à ce point satisfaction que médecins libéraux et cliniques privées se « réassurent », en quelque sorte, auprès de lui. Je souhaite également que soit développée la préscolarisation à deux ans, ce qui suppose que les moyens en personnel suivent -et que l'on renonce, par conséquent, à la théorie déraisonnable du redéploiement, dont l'application se heurte à la mobilisation de la population et des élus.

M. Yann Galut - Très bien !

M. Alain Barrau - Ne faites donc pas comme si, Messieurs, les redéploiements pouvaient satisfaire tous les besoins existants ! Ce n'est assurément pas le cas dans le Languedoc où ces besoins ont d'ailleurs été reconnus par le rectorat. Je souhaite que le projet de loi de finances pour 2001 prenne en considération ces besoins qui apparaissent aussi bien à l'hôpital que dans l'éducation nationale, sans parler de la justice et de la sécurité.

En conclusion, j'approuve ce collectif qui a le mérite d'exister, qui procède aux baisses d'impôts annoncées et qui ouvre la voie à la création d'emplois publics là où cela se justifie. J'espère que nous continuerons dans cette voie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. René Dosière - Ce collectif propose une baisse significative de la taxe d'habitation : 11 milliards, soit 17 % de moins pour les contribuables locaux. Elle résulte d'une part de la refonte intelligente -du « meilleur Bercy », dirais-je -du système actuel des dégrèvements, que j'évoquerai à l'occasion de l'examen de l'article 6 ; d'autre part, de la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation.

La suppression de cette fiscalité additionnelle régionale, particulièrement archaïque, est une bonne chose, d'autant qu'elle constitue un pas vers la spécialisation fiscale. Mais la compensation de cette suppression n'est pas satisfaisante. Plutôt qu'une compensation de l'Etat qui pèse sur les dépenses de Budget, j'aurais voulu le transfert d'une recette fiscale de l'Etat vers les régions. Mais je dois dire qu'en étatisant ainsi l'impôt local, vous vous situez dans le droit fil de nos prédécesseurs. Toujours est-il qu'en 2000, le budget national supportera 130 milliards d'impôts locaux -à comparer à un produit fiscal qui dépassera 500 milliards. C'est trop et je souhaite donc vivement, comme Pierre Mauroy, que l'on restaure un système fiscal local (Exclamations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

D'abord par fidélité aux lois de décentralisation, naguère combattues par la droite qui a mis du temps à admettre l'autonomie de la fiscalité locale. Ensuite, parce que les collectivités locales constituent l'investisseur public le plus important, en particulier les régions dans le cadre des contrats de plan, et que pour le rester, elles doivent maîtriser le niveau de leurs ressources, ce qui n'est pas le cas avec des dotations budgétaires. En troisième lieu, parce que les collectivités locales, bien gérées, ont permis à la France de satisfaire les critères de convergence posés pour l'entrée dans l'euro : contrairement à l'Etat, leur endettement reste en effet limité et stable dans le temps et elles dégagent une capacité de financement. En quatrième lieu, parce que le financement par le contribuable national des budgets locaux accentue les inégalités entre collectivités et annule les péréquations des dotations d'Etat.

Enfin, pour lutter contre l'exclusion civique que constitue la dissociation entre le contribuable et l'électeur. Contribuer de manière directe et visible au budget de sa commune constitue à l'évidence un geste d'intégration.

Toutes ces raisons, Madame la secrétaire d'Etat, font que je continuerai à plaider ici et ailleurs pour que la taxe d'habitation soit transformée en une « contribution locale généralisée », spécialisée au niveau communal (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La discussion générale est close.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget - De très nombreuses questions ont été abordées au cours de cette discussion générale, dont certaines renvoient au débat d'orientation budgétaire d'hier. Ce qui m'amène à dire que non, il n'y a pas de contradiction entre les orientations budgétaires du Gouvernement pour 2001, sa politique budgétaire pour 2000 et ce qu'il a fait depuis 1997.

MM. Laffineur et Auberger nous reprochent un manque de transparence. Le thème n'est pas nouveau, mais je crois qu'au fond, ils nous reprochent de dire ce que nous faisons et de faire ce que nous avions dit que nous ferions. Pour nous aider à l'avenir à vérifier que tel est bien le cas, nous présenterons dans le prochain budget une charte de budgétisation, qui expliquera de manière extrêmement pédagogique comment nous comptons les dépenses au moment où nous les prévoyons dans les projets de lois de finances et comment nous les comptons au moment de leur exécution. Cela nous permettra, Messieurs, de sortir du registre du fantasme.

M. Michel Bouvard - La cagnotte, ce n'était pas du fantasme.

Mme la Secrétaire d'Etat - M. Bonrepaux a judicieusement rappelé les contradictions de l'opposition en matière de baisse d'impôt, en particulier pour la TVA où elle présente aussi bien des amendements à la hausse et à la baisse. Nous sommes quant à nous favorables à plus de croissance et moins d'impôt, tandis que l'autre côté de l'hémicycle crée plus d'impôt quand il y a moins de croissance.

M. Bonrepaux a également rappelé que la baisse de la taxe d'habitation faisait suite à une demande des parlementaires eux-mêmes, à l'automne dernier. Il nous a invités à ne pas cantonner notre réflexion à la baisse de l'impôt sur le revenu. De fait, nous étudions l'ensemble des prélèvements directs pesant sur les ménages. Mais l'heure n'est pas encore venue de trancher.

Il a aussi rappelé les engagements qui ont été pris envers les collectivités locales. Il en est un que je ne saurais oublier : c'est celui du contrat de croissance et de solidarité qui verra en 2001, dernière année d'application, les concours de l'Etat aux collectivités locales progresser en fonction d'une part de croissance qui sera portée à 33 %.

M. Auberger a jugé ce collectif exceptionnel. Comme l'a dit le rapporteur général tout à l'heure, l'exceptionnel tient à l'ampleur des baisses d'impôt qui y sont proposées -40 milliards !- et au fait qu'elles profitent à tous, en particulier à ceux qui ont les revenus les plus modestes. En 1996, il y avait bien eu 10 milliards de baisse d'impôt mais il s'était agi alors de supprimer l'impôt sur les grandes fortunes.

M. Auberger pense que nous sous-estimons les recettes et les évalue plutôt à 65 ou 70 milliards. Je ne souhaite qu'une chose : qu'il ait raison ! Car cela nous permettrait de réduire le déficit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Cuvilliez a eu raison de souligner que tous les ménages ne paient pas l'impôt sur le revenu mais que la plupart sont concernés par la taxe d'habitation. Le Gouvernement a pris des mesures pour les bénéficiaires des minima sociaux, sa priorité étant de favoriser le retour à l'emploi en éliminant les trappes à pauvreté. La baisse de la taxe d'habitation et le reformatage des dégrèvements vont dans ce sens, de même que la réduction des deux premières tranches de l'impôt sur le revenu.

En diminuant la taxe d'habitation, l'impôt sur le revenu et la TVA, on accroît le revenu disponible des ménages.

M. Méhaignerie se demande quel crédit accorder à nos chiffres. Mais les faits sont là : nous avons réévalué les recettes, nous discutons en ce moment même d'un collectif et la dépense publique rapportée au PIB est passée de 55,6 % en 1996 -record historique- à 53,8 % en 1999. Pour 2000, nous comptons bien la ramener à 52,6 %, soit trois points de moins qu'en 1996.

En ce qui concerne le caractère juste ou injuste des dégrèvements et exonérations de taxe d'habitation, qui bénéficieraient selon vous aux départements les plus riches, j'avoue que votre propos me laisse un peu perplexe. En effet, pour obtenir un produit élevé, il faut agir sur les bases -mais, en la matière, tout tient à l'habitat et à la richesse économique de la collectivité concernée- ou sur les taux. Or les collectivités les plus pauvres, qui ont souvent de lourdes obligations sociales, répugnent à augmenter ces derniers.

Vous avez cité le cas des Alpes-Maritimes où ces dégrèvements représentent 11 % de la taxe d'habitation, soit 288 millions. Mais, dans le Nord, ce sont 15 % et 418 millions. Quel est le plus riche des deux départements ?

MM. Pierre Méhaignerie et Jean-Jacques Jegou - Mais il s'agissait des chiffres par habitant !

Mme la Secrétaire d'Etat - M. Cochet a bien voulu donner une approbation d'ensemble à ce projet...

M. Philippe Auberger - Il est tellement d'accord qu'il est parti !

Mme la Secrétaire d'Etat - Il avait annoncé qu'il avait certaines obligations, aussi lui répondrai-je quand même. Comme il a marqué l'intérêt qu'il porte à l'économie solidaire, je lui rappellerai que le Gouvernement l'a déjà entendu en créant un secrétariat d'Etat et en portant les crédits de ce secteur de 13 à 53 millions. Le chiffre est peut-être modeste mais ce n'en est pas moins un quadruplement. Il faut maintenant laisser à M. Hascoët le temps de lancer des chantiers.

Il n'est pas commun qu'un collectif intervienne si tôt dans l'année, a dit M. Gantier. De fait, il faut remonter assez loin dans le temps pour trouver un gouvernement obligé de revoir à la hausse ses prévisions de croissance, dans des proportions aussi importantes. Sortis du « trou d'air », nous avons pu réévaluer ces prévisions, aussi bien pour 1999 que pour 2000, et c'est ce qui nous permet de débattre aujourd'hui de l'affectation des recettes supplémentaires.

M. Bouvard a eu des propos peu agréables à notre endroit, qualifiant la réforme de la taxe d'habitation de bricolage. Je ne puis laisser passer le terme car le Gouvernement a répondu là à une demande unanime du Parlement (Protestations sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

Comme M. Auberger, il a émis des doutes quant aux répercussions de la baisse d'un point de TVA. Or celles-ci ont été réelles dans de nombreux secteurs, notamment dans la distribution. Selon la direction générale de la concurrence, cette baisse a été répercutée pour 57 % dans les hypermarchés et pour 65 % dans les magasins populaires. L'INSEE prévoit que, sur l'ensemble de l'année, le taux devrait avoisiner 75 %. Cela explique qu'entre mars et avril, le glissement annuel de l'indice des prix soit tombé de1,5 à 1,3 %.

Je note avec satisfaction que MM. Bouvard et Auberger ne sont pas opposés, en revanche, à l'idée de financer par des recettes les dépenses exceptionnelles provoquées par les intempéries et par la marée noire. Cette approbation tranche heureusement avec le reste d'un discours bien huilé sur ce que devrait être notre stratégie en matière de finances publiques.

M. Michel Bouvard - Quid de la restauration ?

Mme la Secrétaire d'Etat - Monsieur Outin, vous avez raison : l'éducation doit être une priorité car elle représente un investissement. C'est pourquoi, sur les cinq milliards de crédits ouverts hors dépenses liées aux intempéries, un milliard, soit 20 %, ira à ce secteur. Et je vous confirme, à vous ainsi qu'à M. Rodet, que cette priorité sera maintenue dans le projet de loi de finances pour 2001.

En bonne logique, a dit M. Deniaud, les baisses d'impôts devraient se conjuguer à une réduction du déficit. Je n'en disconviens pas...

M. Charles de Courson - Mais vous n'en faites rien !

Mme la Secrétaire d'Etat - ...Mais je constate qu'on a oublié ce sage conseil il y a quelques années, lorsqu'on a annoncé une réduction de 75 milliards de l'impôt sur le revenu alors que la France n'était pas encore qualifiée pour l'euro. L'atterrissage fut ensuite difficile... Nous, nous ne décidons pas des réductions non financées et nous les mettons en _uvre une fois que nous avons réduit les déficits -de 90 milliards depuis 1997 ! Et si les impôts diminuent autant en 2000, c'est qu'en 1999, pour ce qui est des déficits, nous avons pu procéder à une réduction correspondant à celle de deux années.

M. Rodet a souhaité que la prochaine loi de finances soit l'occasion d'abonder la DGF et la DGE, compte tenu des intempéries. Lors du CIADT de février dernier, le Gouvernement a déjà annoncé un avenant aux contrats de plan concernant les régions les plus durement touchées. Ces avenants seront valides jusqu'en 2003 et le projet de loi de finances pour 2001 devra en tenir compte.

M. Inchauspé a fait des observations judicieuses mais je me garderai bien de m'immiscer dans la discussion qui l'a opposé au rapporteur général : le Parlement est souverain, s'agissant de la détermination et de l'allocation de ses ressources.

M. Brard a justement rappelé que l'impôt est légitime et qu'en matière de prélèvements obligatoires, on ne pouvait comparer que ce qui était comparable. J'appuierai sa démonstration par l'exemple de l'Allemagne, où les dépenses de retraite complémentaire ne sont pas comptées dans les prélèvements obligatoires. Ce qui compte par conséquent, c'est la tendance. Or, en France, celle-ci est à la réduction de ces prélèvements, comme des impôts, en faveur surtout des plus démunis. L'impôt doit en effet être aussi juste que possible.

C'est dans cet esprit que nous avons proposé une réforme de la taxe d'habitation. Quant à la réforme du foncier bâti, plusieurs pistes sont à l'étude : allégements ciblés en faveur des personnes en situation de fragilité, mécanismes pour faciliter les organismes de logement social de soutenir des opérations de réhabilitation dans les zones défavorisées...

M. Durand a souhaité que le prochain projet de loi de finances accorde à l'éducation nationale des moyens de poursuivre sa réforme et a appelé de ses v_ux un effort pluriannuel. Telles sont bien les intentions du Premier ministre et, de ce point de vue, ce collectif n'est pas un collectif de rattrapage : il participe d'une action à moyen terme. M. Barrau a constaté que cette loi de finances rectificative visait à conforter les services publics. Il a également déploré que le secteur hospitalier privé se décharge trop souvent sur le secteur public, dernier recours pour ceux qui ont besoin de soins. Je le répète, pour nous, le secteur public contribue à la compétitivité globale de notre pays et à sa cohésion sociale et c'est pourquoi nous entendons le moderniser, au prix d'une dépense publique maîtrisée. Nous ne saurions en effet considérer que cette dépense serait mauvaise ni accepter que ces services soient affaiblis (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Top Of Page

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe UDF une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du Règlement (Murmures sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Jegou - J'ai conscience de déclencher quelque irritation sur certains bancs. Mais après le propos de Mme la ministre, selon lequel nous sommes maîtres en ces lieux et il nous appartient de faire le budget, cette motion de renvoi en commission n'en aura que plus de force, et nous permettra de traiter plus au fond de ce collectif.

Celui-ci est étonnant, et traduit un net changement de tactique du Gouvernement. Plutôt que d'avouer, honteux et sous la contrainte, des recettes supplémentaires, vous intervenez en amont, en rectifiant dès le mois de mai un budget voté quatre mois plus tôt. C'est un peu mieux. L'an dernier l'affaire de la « cagnotte » vous aura coûté cher, auprès des Français comme de votre majorité, qui ne manque pas, dans sa diversité, de vous suggérer des solutions fort variées.

Il est vrai qu'en 1999 le décalage entre les prévisions et les recettes réelles a été tel, et sa gestion si mauvaise, qu'il vous a fallu céder à votre majorité et redistribuer le surplus de recettes. Sur la richesse supplémentaire créée en 1999, 71 % ont été prélevés par l'Etat ! Mais on ne peut croire que vous ne vous y attendiez pas. L'opposition vous demandait depuis septembre de dire la vérité. Vous avez volontairement occulté la réalité. Aujourd'hui vous êtes au pied du mur, car les échéances électorales approchent, et vous vous sentez obligés de répartir ce qu'il y a quelques mois vous avez subtilisé aux Français (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Mais à nouveau vous faites tout pour éviter le débat sur l'efficacité de cette répartition. L'objet de cette motion est de faire que ce débat ait lieu, contrairement aux habitudes prises depuis juin 1997.

Cette décision modificative pompeusement appelée collectif pourrait se comparer à celles que prennent en cours d'année les collectivités pour ajuster recettes et dépenses. Mais les collectivités ne peuvent vivre à crédit, alors que l'Etat conserve un déficit important et fait de nouvelles dépenses, en l'occurrence peu pertinentes. Examinons-les. Les dépenses civiles augmentent comme jamais, et le dérapage sur les rémunérations et pensions, qui était de 19 milliards il y a deux ans, dépasse aujourd'hui 30 milliards.

Si l'on rapproche ce collectif du débat d'hier, votre discours peut paraître cohérent : il n'en est rien. Ainsi vous proposez pour l'an prochain d'augmenter les dépenses d'environ 1,3 % -en noyant cela dans l'engagement européen pluriannuel, remettant comme toujours à plus tard les économies qui seraient possibles aujourd'hui. C'est ce que vous nommez pudiquement une augmentation maîtrisée des dépenses. Vu l'inflation et la croissance, cette maîtrise ne vous coûtera guère d'efforts... Elle ne vous empêche pas d'augmenter les dépenses de plus de 10 milliards.

Ces dépenses nouvelles semblent peu justifiées, sauf celles qui concernent la tempête, qu'on ne peut qu'approuver. J'aimerais cependant être sûr que les collectivités locales ne seront pas roulées comme d'habitude. Dans ma commune, très touchée, une lettre reçue il y a quarante-huit heures nous alloue royalement, pour les biens non assurables, la somme de 1 408,50 F ! J'espère que c'est un simple acompte, car cette somme ridicule représente à peine 1 % des dépenses. Le plus souvent, il s'agit de dépenses de fonctionnement, non éligibles au FCTVA : nous proposerons un amendement modifiant cette règle pour les dépenses exceptionnelles de collectivité.

Les autres dépenses du collectif, dites « mesures d'urgence », n'en ont que le nom : tout aurait pu être réglé dès la loi de finances initiale. Il est vrai qu'entre temps « Jospin 2 » est arrivé : il fallait appâter les nouveaux arrivants avec quelques sucreries. Certaines coûtent cher : le ticket d'entrée de Jack Lang s'élève à 593 millions. Et sur le gigantesque budget de l'éducation nationale, qui avoisine 400 milliards, vous n'avez même pas su redéployer 593 millions ! Tout cela pour un système scolaire inadapté au marché du travail, des enfants -notamment en banlieue- dont l'intégration sociale ne se fait plus, et un niveau qui baisse constamment... Cela montre que vous n'avez nulle intention de maîtriser les dépenses. Heureusement d'autres tickets d'entrée sont moins coûteux : celui de votre deuxième ministre Vert, M. Hascoët, se limite à 40 millions.

Vous rallongez dans le collectif des dépenses connues pourtant depuis longtemps. Ce n'est pas le mois dernier qu'on a créé la FINUL, le TPI, ni découvert la vache folle : ces éléments justifient pourtant 361 millions de dépenses nouvelles, sans qu'on sache trop ce qu'elles financeront. Au total, ce sont 4 milliards de dépenses nouvelles, qui auraient dû être trouvés au sein de chaque enveloppe ministérielle. C'est ainsi qu'on en use chez nos voisins : Grande-Bretagne, Pays-Bas, Italie... Quant un ministre demande une rallonge, il est prié de trouver l'argent au sein de son enveloppe. Cette méthode a le grand avantage de responsabiliser les ministres. Mais en France un ministre important est celui qui augmente son budget, surtout en cours d'année... A quoi s'ajoutent les demandes d'une majorité toujours divisée, contraignant MM. Fabius et Jospin à marier sans cesse la carpe et le lapin.

On le voit, entre le débat d'orientation d'hier et le présent projet, il y a loin de vos intentions affichées à votre politique réelle. Rien que pour cela un retour en commission s'impose, car vous ne dites la vérité ni au peuple ni à ses représentants. Il n'y a pas vraiment de débat. Le président de la commission des finances ne cachant pas qu'il est rarement d'accord avec ce que vous faites, on évite la discussion pour ne pas jeter de l'huile sur le feu. Et à quoi bon débattre puisque tout est bouclé ? Réveillez-vous, mes chers collègues : il m'est arrivé de le constater, quand les députés veulent bien exercer leur pouvoir, ils ont gain de cause.

Aux 3,683 milliards s'ajoute l'annulation de dépenses en capital au profit de nouvelles dépenses de fonctionnement. C'est marcher sur la tête : on vous reprochait déjà l'an dernier l'insuffisance de l'investissement, et vous le réduisez encore. Avec ce qui se déverse de vos cornes d'abondance, les deux mamelles de la France devraient être la baisse du déficit et celle des impôts. Or vous faites l'inverse : vous diminuez les investissements et augmentez les dépenses de fonctionnement. Vous avez tout faux. Bravo !

Sur 50 milliards de surplus fiscal, vous en gardez donc 10 pour des dépenses nouvelles. Quid du déficit ? Rien ! Il demeure au niveau très élevé voté en loi de finances initiale. Et personne ne nous a expliqué comment vous avez pu augmenter le déficit de 1999 pour essayer de le réduire en 2000 en conservant des réserves fiscales et non fiscales. Le vrai problème est que vous n'avez aucune intention de réduire le déficit. Cela ne fait pas partie de votre politique. Vous avez pourtant dû prendre sur ce point des engagements très fermes vis-à-vis de nos partenaires européens. Que se passera-t-il quand il n'y aura plus de surplus de recettes ? Il faudra bien financer les dépenses courantes. Le déficit remontera en flèche, car vous ne pourrez pas toujours augmenter les impôts. Mais gageons que vous ne serez plus là pour faire le sale travail...

M. Jean-Louis Idiart - Tant qu'on a Chirac, on est tranquille...

M. Jean-Jacques Jegou - Ce n'est pas ainsi qu'on construit l'Europe, et nos voisins se lasseront de nous voir ainsi traîner les pieds.

Il reste donc 40 milliards de recettes supplémentaires à distribuer, puisque vous ne voulez pas les activer. Je rappelle que ces sommes résultent des impôts payés par les Français, et notamment les PME, celles qui créent le plus d'emplois. Ces recettes résultent de la croissance, mais aussi de vos nombreuses augmentations d'impôts depuis deux ans. Les Français sont conscients de ce marché de dupes.

Vous nous proposez de baisser d'un point les deux premières tranches du barème de l'impôt sur le revenu. Coût : onze milliards. Si votre intention est louable, puisque c'est d'inciter les personnes peu qualifiées à travailler, la mesure proposée ne tient pas. Le niveau de redistribution est tel que le RMI, aujourd'hui, pour certains, est préférable au SMIC. Pour un couple qui bénéficie de l'APL, et des différentes exonérations d'impôt, mieux vaut rester à la maison : le bonus est de 300 francs. Ce n'est que pour les célibataires que cela vaut encore la peine de travailler, car la différence entre un SMIC et un RMI, compte tenu des impôts, leur permet de bénéficier de 1 400 francs en plus, mais après une journée de travail, souvent pénible. Vous proposez certes des idées, et c'est nouveau ; mais nous en attendons toujours les mesures d'application concrètes. Nous aussi, nous y travaillons depuis longtemps, mais nos propositions me semblent plus efficaces et plus valorisantes pour le salarié ; j'y reviendrai.

Quant à l'impôt sur le revenu, il me semble que vous vous réveillez d'un long sommeil. En effet, qu'avait-on fait en 1997 ? Une baisse très importante de cet impôt, baisse qui concernait tous les contribuables. J'entends bien que vous n'avez pas l'intention de faire baisser les dernières tranches du barème. Cependant notre réforme avait l'avantage de faire passer la première tranche de 10,5 à 7, et non à 9,5 comme vous le faites.

Petite réforme, donc. De même, pour la deuxième tranche, nous la faisions passer à 20 %, et vous nous proposez de la porter à 23 %. Au rythme où vous réformez, on ne peut pas croire que vous arriverez à créer un impact réel pour les salariés d'ici la fin de la législature.

En arrivant aux affaires vous avez supprimé cette réforme et augmenté d'autres impôts, en particulier pour les familles, que vous qualifiez d'aisées, avec la diminution du quotient familial. Heureusement, l'heure des comptes a sonné, et vous vous apercevez aujourd'hui que vous avez trop tiré sur la ficelle du contribuable.

Cette réforme est inutile en terme d'incitation au retour à l'emploi car le salaire perçu par le salarié est toujours le même. Il vaudrait mieux commencer par donner un peu plus de salaire direct.

Deuxième mesure proposée, la baisse d'un point du taux normal de TVA. Je sais déjà ce que vous allez me dire : nous n'avions qu'à ne pas l'augmenter de deux points en 1995. J'en suis d'accord et c'était ma position à l'époque. Cependant, l'état des finances publiques réclamait une mesure d'urgence, vu la situation catastrophique que vous aviez laissée.

Aujourd'hui, le surplus de recettes fiscales permet d'être généreux. Cependant, cette baisse d'un point était la dernière des choses à faire. En effet, qui a remarqué que la TVA avait baissé ? Personne. Si, en achetant une paire de chaussures à 300  francs, vous gagnez péniblement 3 francs. Quel changement !

Et quel est le coût de cette mesure ? 18 milliards pour cette année, 31 milliards en année pleine. Je suis sûr que vous êtes nombreux, surtout sur les bancs de la gauche, à imaginer tout ce qui aurait pu être fait avec ces 31 milliards. Bien sûr, il y a les communistes qui rêvent à de nouvelles dépenses, et ceux, plus réalistes, qui imaginent des baisses d'impôts fulgurantes. Eh oui, c'est fort dommage, mais notre Premier ministre a décidé que l'objectif était de revenir au taux de prélèvements obligatoires de 1995.

Disons-le, cette mesure n'a eu aucun impact et elle ne profite qu'aux entreprises, qui ont augmenté leurs prix d'autant.

Dernier argument contre cette mesure : la consommation. Elle est à un très bon niveau en ce moment, vous nous le dites assez souvent. De ce point de vue, cette mesure est inutile, les Français achètent et n'ont pas besoin d'être motivés. Vos annonces ne tendent pas à soutenir l'offre et se concentrent sur la demande qui n'en a nul besoin. Ce sont les mesures favorables à l'investissement productif qu'il fallait privilégier.

M. Augustin Bonrepaux - Vous nous endormez !

M. Jean-Jacques Jegou - La troisième mesure que vous proposez est la plus critiquable, non d'un point de vue économique, mais dans ses conséquences vis-à-vis des élus. Je veux parler de la baisse de la taxe d'habitation, qui consiste à supprimer la part régionale et à aménager les dégrèvements.

Concernant l'aménagement des différents dégrèvements en un dégrèvement unique visant à plafonner la taxe en fonction du revenu fiscal de référence, cela ne change pas grand chose et n'est donc pas fondamentalement critiquable. Ce qui l'est plus, c'est la suppression de la part régionale. Vous revenez sur les grandes réformes de décentralisation des années 1980 en mettant à mal le principe de libre administration des collectivités.

L'UDF ne peut que refuser une telle mesure. Vous déresponsabilisez les élus régionaux en les privant de cet impôt et il ne restera bientôt plus que le produit de la carte grise.

Pire encore, quelques présidents, à l'affût des nouvelles mesures gouvernementales, ont profité de l'annonce préalable faite par le Premier ministre, pour augmenter leur taux de taxe d'habitation, sachant que l'Etat paierait. Or, une fois encore, le contribuable national se substitue au contribuable local. Car qui dit compensation par l'Etat, dit paiement de l'impôt par tous les Français.

Enfin, le Gouvernement, issu d'une majorité hétéroclite, propose de faire bénéficier de cette mesure à tous, quel que soit le nombre de taxe d'habitation payé. J'ai trois résidences : la principale dans ma commune, un petit studio dans le quartier pour les jours d'embouteillage, et une résidence secondaire en Bretagne. Croyez-vous que j'avais besoin de profiter de cette mesure ? Plus on a de résidences, plus la mesure est profitable !

En réalité, ces 11 milliards sont gaspillés, et la mesure ôte aux collectivités un peu plus de leur pouvoir. Depuis trois ans, nous devrions faire le compte de ce que vous supprimez au niveau local pour le compenser au niveau national ; nous nous apercevrions sûrement que vous n'avez qu'une ambition : diminuer les pouvoirs locaux au profit de ceux de l'Etat.

Enfin, la compensation faite aux collectivités est injuste, puisqu'elle est arrêtée à l'année N, et ne bougera plus.

Au total, donc, voilà plus de 40 milliards qui disparaissent sous nos yeux sans que personne n'en bénéficie vraiment. Tout cela est passé comme une lettre à la poste en commission des finances, qui n'a pas mis plus de trois heures pour examiner 200 amendements. Il n'y a aucun dialogue entre l'Exécutif et le Parlement et l'opposition est bafouée. Vous avez les bonnes idées, nous avons les mauvaises ; votre discours s'arrête là.

Je ne reviens pas sur les onze milliards dévolus à la baisse d'un point ou deux des deux premières tranches de l'impôt sur le revenu. Pour insuffisante qu'elle soit, cette mesure a le mérite d'exister. Restent 42 milliards qui passent en mesures fiscales inopérantes. Une meilleure affectation de ces moyens aurait consisté à les consacrer à des mesures d'incitation au retour au travail car bien que notre pays compte 2,5 millions de chômeurs, certaines professions souffrent d'un manque de main-d'_uvre pénalisant, en particulier pour ce qui concerne le personnel le moins qualifié. La première raison de ce phénomène est l'excessive dévalorisation dont ont pâti les formations qualifiantes au profit des études supérieures. La deuxième tient au fait que la différence entre les revenus sociaux de remplacement et le SMIC est beaucoup trop faible. Cela revient, dans certains cas, à encourager l'inactivité car peut-on raisonnablement critiquer ceux qui préfèrent rester chez eux plutôt que d'aller travailler pour perdre de l'argent ? Qui ne serait pas tenté d'en faire autant ?

Mais l'assistanat à outrance peut décourager la solidarité. Il est fort dommage que nous n'ayons pas abordé ce problème plus au fond car notre assemblée aurait tout à gagner à s'en saisir.

Avec 42 milliards, nous aurions pu baisser les cotisations salariales de six points, soit une baisse de 20 % des charges pesant sur les salaires compris entre 1 et 1,3 SMIC. Pour près de sept millions de salariés, cela aurait représenté près d'un mois de salaire supplémentaire par an : 420 F par mois pour un SMIC, 545 F par mois pour 1,3 SMIC, cela recommence à valoir le coup de travailler !

Il faudrait pouvoir aller jusqu'à 1,5 ou 1,6 fois le SMIC, mais les finances de l'Etat ne le permettent pas. Face aux 3 F récupérés sur une paire de chaussures et aux 100 F annuels gagnés sur la taxe d'habitation, notre proposition mériterait un débat approfondi. Une étude de la CDC montre que vos mesures influeront de 0,3 % sur le revenu brut disponible. « Tout ça pour ça », aurait dit un réalisateur bien connu ! Vous estimez peut-être que d'autres surplus de recettes fiscales vous permettront de baisser d'autres impôts. Mais voilà encore une année de perdue pour les Français !

Raymond Barre qualifiait récemment d'idéologues les membres les plus nombreux de la majorité plurielle. Il a raison, comme d'habitude. Entre vos grands discours généreux et vos actes, il n'y a plus un gouffre mais une faille idéologique béante.

M. Philippe Auberger - Un abîme !

M. Jean-Jacques Jegou - Certains d'entre vous partagent l'idée de baisser les charges sociales salariales, comme cette idée vient de l'opposition, elle ne mérite même pas d'être débattue. Or, à l'heure où la majorité est en panne d'idées, il vaudrait la peine d'écouter celles des autres.

Surtout, vous êtes victimes du caractère composite de votre majorité, dont les divergences vous paralysent. Vos différentes idéologies auraient besoin d'un grand nettoyage de printemps !

En dépit de tout cela, le débat, bloqué par vous depuis 1997, doit avoir lieu. Je vous demande d'adopter cette motion de renvoi en commission, pour qu'enfin la vie quotidienne des Français soit prise au sérieux par la représentation nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. le Rapporteur général - Je n'aperçois pas l'intérêt d'un retour du texte devant la commission, qui s'est réunie à trois reprises et a examiné 175 amendements. Toutes les questions qu'a évoquées M. Jegou, nous les avons traitées. Il le sait bien car il est l'un des commissaires les plus assidus. J'invite donc l'Assemblée à rejeter la motion de renvoi.

Mme la Secrétaire d'Etat - Je n'ai rien à ajouter (Protestations sur les bancs du groupe UDF).

M. Gilles Carrez - L'intervention très argumentée de notre collègue a été pour partie critique, mais avant tout animée par des propositions constructives, relatives en particulier au retour à l'emploi et à la réforme de l'Etat, dans le seul souci d'améliorer la vie de nos concitoyens. Prenons le temps d'explorer les pistes très riches ainsi ouvertes, et adoptons la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Charles de Courson - Le groupe UDF s'étonne que la ministre ne réponde pas à l'orateur de l'opposition. Nous avons proposé deux mesures courageuses et cohérentes. La première consiste à baisser les charges sociales salariales, jusqu'à les supprimer sur les bas salaires. La ministre estime-t-elle que nous pouvons conserver un système où une famille gagne moins quand elle travaille au SMIC que quand elle touche le RMI ? Aucune personne sensée ne peut l'accepter.

En conséquence, nous proposons non pas d'augmenter le SMIC, mais de jouer sur le salaire direct. Sur ce point, nous aimerions entendre la ministre.

Nous proposons en second lieu de récompenser ceux qui travaillent, qui créent et qui innovent, en diminuant toutes les tranches du barème de l'impôt sur le revenu.

M. Jean-Louis Idiart - Démago !

M. Charles de Courson - Cela est tout à fait possible.

De la baisse de l'impôt sur le revenu et de la TVA, nos concitoyens ne verront rien. En effet les 11 milliards annoncés représentent 3,3 % du montant de l'IR. Or le taux de l'impôt avait déjà augmenté de 7 % à fin mars. Nos compatriotes ne constateront en fait qu'une moindre hausse.

18 milliards de baisse de TVA sont annoncés pour 2000, mais 70 % au maximum de cette baisse, vous l'avez dit, seront répercutés sur les prix à la consommation. La TVA diminuera donc en fait de 1,5 %, alors qu'elle avait elle aussi augmenté à fin mars de 5,3 %. Ainsi, malgré votre dispositif, la TVA va continuer à croître.

Enfin la proposition la plus perverse du Gouvernement concerne la taxe d'habitation. M. Dosière a eu l'honnêteté d'aller jusqu'au bout de la logique de suppression de la part régionale, en demandant une recette de substitution pour les régions.

Le groupe UDF votera contre les illusions imaginées par le Gouvernement.

La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. le Président - J'appelle, dans les conditions prévues à l'article 91, alinéa 9, du Règlement, les articles du projet dans le texte du Gouvernement.

Top Of Page

ARTICLE PREMIER

M. Charles de Courson - Les amendements 106, 107 et 108 sont défendus. Par l'amendement 3, le groupe UDF souhaite encourager les créateurs économiques, récompenser ceux qui travaillent et sont assujettis à l'IR, et encourager le retour à l'emploi.

Nous proposons donc de diminuer l'ensemble du barème car, lorsque s'y ajoutent la CSG et la CRDS, nos taux marginaux d'imposition sont parmi les plus élevés d'Europe. Le gouvernement précédent avait entamé une réduction que vous avez malheureusement interrompue. Dans nombre de pays voisins, les tranches marginales ne dépassent pas 35 % à 40 %, alors que nous dépassons parfois 64 %. Cette position n'est plus tenable.

M. Philippe Auberger - Le Gouvernement propose d'alléger l'IR de 11 milliards, dont le produit, je le rappelle, a augmenté de plus de 30 milliards ces deux dernières années.

Notre amendement 32 tend donc à réduire d'un tiers le surplus fiscal ainsi prélevé. Comme il me paraît inique de s'attaquer seulement aux deux premières tranches du barème, je propose que l'allégement s'applique de façon équivalente à chaque tranche, afin de maintenir la progressivité actuelle.

M. le Rapporteur général - Avis défavorable. Le produit de l'IR est moins élevé en France que dans beaucoup d'autres pays. Il ne faut pas raisonner uniquement en taux marginaux. Comparaison n'est pas toujours raison.

Mme la Secrétaire d'Etat - Il faut comparer ce qui est comparable : dans certains pays, l'Allemagne par exemple, les taux sont plus bas mais l'assiette plus large. Je m'étonne, par ailleurs, que M. Méhaignerie soutienne l'amendement 3, car j'avais cru comprendre qu'il souhaitait faire porter l'effort sur les cotisations salariales.

Les amendements 106, 107, 108, 3 et 32, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'article premier, mis aux voix, est adopté.

Top Of Page

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. Philippe Auberger - Il n'est pas contesté que l'abaissement du plafond du quotient familial a pénalisé lourdement les familles à revenu moyen. On comprend mal, en outre, que le plafond ne soit pas le même pour l'impôt sur le revenu et pour la taxe d'habitation. Je propose donc, par l'amendement 33, de porter le premier au niveau du second, soit 19 070 F par demi-part.

M. Charles de Courson - Les amendements 109 corrigé et 110 corrigé de M. Gantier sont défendus.

M. Gilles Carrez - En défendant l'abaissement du plafond, votre prédécesseur, Madame la Ministre, avait assuré que seules quelques centaines de familles, très privilégiées, seraient touchées, et que le surplus de recettes ne serait que de 3 ou 4 milliards. Or, il apparaît aujourd'hui qu'il est compris entre 5 et 6 milliards, et que de très nombreuses familles ont vu leur impôt augmenter considérablement : c'est notamment le cas de milliers de jeunes ménages qui vivent en région parisienne, et dont les deux salaires sont déjà lourdement ponctionnés par le coût du logement et celui de la garde des enfants. L'amendement 79 remédie à cette injustice manifeste, au demeurant reconnue par plusieurs de nos collègues de gauche.

M. le Rapporteur général - Le rapport général sur le projet de loi de finances pour 1999 avait donné une juste évaluation du produit de l'abaissement du plafond, ainsi que du nombre des ménages concernés. Cela dit, la question du quotient familial pourra être examinée dans le cadre de la réforme d'ensemble des prélèvements directs, qui sera, comme vous le savez, le grand chantier de la loi de finances pour 2001. Il n'est donc pas opportun de nous attaquer à cet aspect à l'occasion du présent collectif.

Mme la Secrétaire d'Etat - L'abaissement du plafond du quotient familial était, je le rappelle, la contrepartie du rétablissement de l'universalité des allocations familiales. Le Gouvernement n'a nullement fait mystère de son produit - 4 milliards - non plus que du « profil » des ménages concernés : 36 400 F par mois, c'est nettement plus qu'un revenu « moyen » ! Ces ménages, au demeurant, bénéficieront des mesures du collectif. Enfin, les mesures fiscales et sociales prises par le Gouvernement depuis 1997 sont globalement favorables aux familles : le solde est de quelque 9 milliards (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Michel Bouvard - Vous aurez pu constater que nous avons restreint le nombre de nos amendements, afin de nous concentrer sur l'essentiel et sur l'urgent, et je puis témoigner, après M. Carrez, qu'il y a bien urgence : la forte augmentation d'impôt provoquée par la mesure que nous contestons a mis de nombreuses familles en difficulté, non seulement en Ile-de-France, mais aussi en province, où les loyers sont certes moins élevés, mais où les études supérieures sont plus coûteuses en raison des frais de déplacement et de logement. Quant au tour de passe-passe consistant à présenter comme un cadeau le rétablissement des allocations familiales tout en l'assortissant d'une hausse d'impôt, je le trouve inadmissible. Ce n'est pas ainsi que nous réglerons durablement le problème des retraites et que nous doterons notre pays de la politique familiale dont il a besoin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR et du groupe UDF)

Les amendements 33, 109 corrigé, 79 et 110 corrigé, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.

M. Philippe Auberger - L'INSEE a calculé que, pour qu'un chômeur ou un érémiste retrouvant un emploi ait 1 000 F de revenu mensuel disponible en plus, il fallait que son employeur verse 4 350 F de salaire et de charges. Mon amendement 34 tend à remédier partiellement à cette situation absurde, en étalant sur trois années l'intégration à l'assiette de l'impôt du revenu d'activité de toute personne trouvant un emploi après en avoir été privée pendant six mois au moins.

M. le Rapporteur général - Comment sortir de la « trappe à inactivité », qui est aussi une « trappe à pauvreté » ? C'est une vraie question, que le Premier ministre a d'ailleurs évoquée à plusieurs reprises, et que plusieurs dispositions de la loi contre les exclusions s'efforcent de régler en partie, mais sur laquelle la réflexion se poursuit.

Des travaux sont en cours sur ce sujet au sein du commissariat général au Plan ainsi qu'à l'Assemblée et au ministère de l'économie et des finances, sujet qui constituera l'une des priorités de la prochaine loi de finances. Ce sont donc des raisons de calendrier, et aussi le fait que les marges de man_uvre d'une loi de finances rectificative sont faibles, qui nous conduisent à recommander le rejet de cet amendement.

Mme la Secrétaire d'Etat - Un mot d'abord à M. Bouvard : j'accepte de discuter de tout et je comprends ce dont vous avez témoigné mais j'aimerais aussi que vous reconnaissiez les effets indéniablement positifs de ce collectif sur les familles.

L'amendement de M. Auberger rejoint la réflexion du Gouvernement sur les personnes qui se situent à la frontière de l'imposition et qui de ce fait pourraient ne pas être incitées à reprendre une activité. Cette réflexion ne se borne pas au champ fiscal mais inclut d'autres domaines tels que le logement puisque nous voulons refondre l'allocation logement. Le Gouvernement n'a donc pas d'opposition de principe à cet amendement mais juge le système proposé trop compliqué.

M. Gilles Carrez - En fait, la proposition de M. Auberger est simple et a priori pas très coûteuse, en tout cas à l'échelle des chiffres du collectif, dont elle compléterait utilement les mesures de dégrèvement et de baisse des premières tranches. Il serait donc sage de l'adopter dès maintenant.

L'amendement 34, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce matin, jeudi 18 mai, à 9 heures 15.

La séance est levée à 1 heure 5.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER


© Assemblée nationale