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Session ordinaire de 1999-2000 - 91ème jour de séance, 212ème séance

1ère SÉANCE DU MARDI 30 MAI 2000

PRÉSIDENCE de Mme Christine LAZERGES

vice-présidente

Sommaire

          PATRIMOINE DES ARTISANS
          COOPÉRATION PROFESSIONNELLE ENTRE ÉPOUX
          (discussion générale commune) 2

          PATRIMOINE DES ARTISANS 27

          EXPLICATIONS DE VOTE 28

          COOPÉRATION PROFESSIONNELLE ENTRE ÉPOUX 29

          FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR 29

          A N N E X E ORDRE DU JOUR 30

La séance est ouverte à neuf heures.

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PATRIMOINE DES ARTISANS
COOPÉRATION PROFESSIONNELLE ENTRE ÉPOUX
(
discussion générale commune)

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Bernard Accoyer et plusieurs de ses collègues tendant à protéger le patrimoine des artisans et commerçants et de la proposition de loi de Mme Nicole Catala et plusieurs de ses collègues portant organisation juridique de la coopération professionnelle entre époux.

Mme la Présidente - La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois pour la proposition sur le patrimoine des artisans - Les commerçants, les artisans et les personnes qui exercent une profession libérale forment peut-être plus que d'autres, les forces vives de notre pays. Par le risque qu'ils prennent pour mener à bien leur activité, par l'engagement total qu'implique l'entreprise individuelle, ils jouent un rôle moteur dans notre économie. Le retour de la croissance, l'amélioration de la conjoncture économique sont pour une bonne part le fruit de leur travail. Loin de ne consacrer que 35 heures par semaine à leur activité, ils créent des emplois, inventent de nouveaux métiers, de nouveaux services et se rendent ainsi indispensables à la bonne marche de notre société.

Même si le risque est consubstantiel à l'entreprise individuelle, se lancer dans cette aventure c'est s'exposer à tout perdre en cas de difficultés professionnelles.

Il n'est plus acceptable qu'à la moindre défaillance de l'entrepreneur individuel, l'ensemble de ses revenus et de son patrimoine, y compris la part qui n'est pas affectée à son activité professionnelle, puisse être saisi. Bien que ce point de vue soit largement partagé, aucune modification législative n'est intervenue.

Depuis plusieurs années, notamment depuis le rapport rédigé par Jacques Barthelémy en 1993, au nom du Conseil économique et social, une réflexion s'est engagée sur ce thème.

La proposition de loi déposée par nos collègues Bernard Accoyer et Philippe Martin et par l'ensemble des membres du groupe du Rassemblement pour la République vise à empêcher que certains commerçants et artisans voient leurs biens personnels saisis, leur maison vendue pour combler des dettes liées à l'exercice de leur profession.

Notre groupe a décidé fort opportunément et en totale conformité avec la lettre comme avec l'esprit de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, que cette proposition serait débattue aujourd'hui, dans le cadre de l'ordre du jour réservé à l'initiative parlementaire. En effet, ce texte concis et pragmatique répond à un besoin urgent. Contrairement aux textes idéologiques que nous proposent les groupes de la majorité à l'occasion de leur « niche » (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR).

Cette proposition répond à un double objectif : appliquer aux revenus de l'entrepreneur individuel les dispositions du code du travail relatives à la saisie des rémunérations, porter de 50 000 à 800 000 F le capital pouvant constituer un bien de famille insaisissable.

Je m'étonne du peu d'intérêt que ces idées ont suscité au ministère de la justice, dont les représentants se sont contentés d'opposer des considérations théoriques à nos propositions pratiques, avouant même qu'aucune réflexion à ce propos n'avait été engagée par la Chancellerie.

En revanche, l'Union professionnelle artisanale, la Fédération nationale des syndicats de commerçants non sédentaires, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, la Chambre des métiers du Vaucluse ont approuvé cette initiative.

Permettre à l'entrepreneur individuel qui connaît des difficultés de bénéficier des dispositions protectrices applicables à la saisie des rémunérations des salariés relève de l'équité : respecter la dignité d'un chef d'entreprise comme celle d'un salarié impose de lui garantir un minimum.

Cette modification des règles applicables aux saisies a d'ailleurs été appelée de ses v_ux par notre collègue Raymonde Le Texier lors de l'audition par la Délégation aux droits des femmes, le 2 mai dernier, de la Secrétaire d'Etat aux petites et aux moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.

L'article premier de la proposition applique donc aux revenus de l'entrepreneur individuel les articles L. 145-1 à L. 145-13 du code du travail, aux termes desquels l'intégralité de ces rémunérations ne peut être saisie, la fraction saisissable dépendant du montant de la rémunération, de ses accessoires ainsi que, le cas échéant, de la valeur des avantages en nature, après déduction des cotisations obligatoires. Une fraction insaisissable est en outre fixée, égale au montant du revenu minimum d'insertion. Ne peuvent, par ailleurs, être saisies ni les indemnités traditionnellement insaisissables, ni les sommes allouées à titre de remboursement de frais exposés par le salarié, ni les allocations ou indemnités pour charge de famille.

La question de la préservation du patrimoine privé du chef d'entreprise en cas de difficultés de l'exploitation n'est pas traitée de manière pleinement satisfaisante par notre législation. La volonté de protéger l'entrepreneur individuel s'est notamment traduite par la loi du 11 juillet 1985 sur l'EURL, qui n'a pas rencontré un grand succès, et par la loi Madelin du 11 février 1994, relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle.

Lors de l'audition que j'ai évoquée, la Secrétaire d'Etat a exprimé, à plusieurs reprises, son souhait d'assurer la protection de la résidence familiale en cas d'échec de l'entreprise individuelle.

Tel est précisément l'objet de l'article 2 de la proposition de loi qui porte de 50 000 F à 800 000 F la valeur du bien de famille insaisissable.

Le bien de famille est un immeuble que son propriétaire soumet à un régime d'insaisissabilité afin d'en garantir la conservation dans l'intérêt de la famille. Chaque famille ne peut avoir qu'un seul bien de famille. La constitution peut être faite par le mari, la femme, le conjoint survivant, un aïeul ou toute personne capable de disposer. Le bien considéré, qui peut être un immeuble par nature ou par destination, doit être occupé et exploité par la famille, ce qui exclut l'habitation secondaire. La constitution ne peut concerner ni un bien indivis, ni un bien grevé de privilège ou d'hypothèques.

La valeur maximale du bien constitué est de 50 000 F lors de sa constitution. Ce faible montant explique que ce régime soit délaissé au profit de donations successives avec clause d'inaliénabilité et réserve d'usufruit en faveur du constituant.

Le principal intérêt du bien de famille est d'être insaisissable, qu'il s'agisse du fonds ou des fruits, ces derniers pouvant être saisis pour payer des dettes alimentaires, des impôts ou des condamnations pénales.

Porter de 50 000 F à 800 000 F la valeur du bien de famille insaisissable, comme le fait l'article 2 de la proposition, mettrait le logement familial à l'abri d'éventuelles vicissitudes professionnelles de l'entrepreneur individuel.

La présente proposition tend à appliquer aux revenus de l'entrepreneur individuel les dispositions du code du travail relatives à la saisie des rémunérations. En effet, contrairement aux salariés, les entrepreneurs individuels risquent de voir leurs revenus saisis en totalité. Cette situation est d'autant plus inéquitable que la saisie totale du solde créditeur d'un commerçant, d'un artisan, ou d'une personne exerçant une profession libérale risque de le mettre dans l'impossibilité de payer ses fournisseurs ou ses charges sociales, et de l'enfermer ainsi dans une spirale infernale.

Compte tenu de la difficulté de transposer au bénéfice des entrepreneurs individuels le régime applicable aux salariés, il vous est proposé une solution alternative.

Elle consiste à fixer un pourcentage insaisissable -35 %- du solde créditeur du compte de l'entrepreneur individuel, la somme restante ne pouvant être inférieure au RMI. Cette solution lui assurera un revenu décent et, surtout, lui permettra d'honorer ses échéances fiscales, sociales et professionnelles, donc de poursuivre son activité.

Quant à l'article 2 de la proposition, il remet en vigueur une loi de 1909 très peu appliquée, et dont le toilettage s'imposerait. La procédure de la niche parlementaire ne permet pas de mener à bien ce travail. J'ai donc déposé un amendement après l'article 2 qui répondrait à la question posée sans pour autant modifier la loi de 1909. L'opposition l'a adopté à l'unanimité.

Une autre question qui a été soulevée au cours des auditions auxquelles la commission a procédé concerne l'offre de crédit. La constitution d'un bien non saisissable de 800 000 F ne risque-t-elle pas de tarir cette offre ? Dans la mesure où cette constitution n'est qu'une faculté, les intéressés peuvent y renoncer afin de gager d'éventuels crédits. Toutefois, pour parer au risque réel de pénaliser les bénéficiaires du dispositif proposé, compte tenu de l'attitude souvent frileuse des organismes de crédit, nous suggérons d'isoler le patrimoine consacré à l'entreprise et de distinguer ainsi l'entreprise de celui qui la gère. Autrement dit, lors de l'enregistrement au registre du commerce, de l'agriculture ou des métiers, l'entrepreneur pourra constituer un capital affecté à l'exploitation de son entreprise. Ce patrimoine, qui devra atteindre 50 000 F limitera sa responsabilité en cas de défaillance. Je regrette que l'attitude des groupes de la majorité en commission n'ait pas permis d'examiner sérieusement cette proposition, tout comme elle va sans doute nous empêcher d'aborder l'examen des articles en séance publique. Cette obstruction de l'initiative parlementaire de l'opposition est particulièrement inopportune sur un sujet aussi important.

Bien que la majorité de la commission n'ait pas jugé utile de rendre de conclusions sur cette proposition de loi, je vous demande, à titre personnel, de bien vouloir en poursuivre la discussion (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Nicole Catala, rapporteuse de la commission des lois pour la proposition sur la coopération professionnelle entre époux - Le code civil organise les relations patrimoniales entre époux sur deux plans : il fixe des règles impératives concernant le logement familial et les charges du mariage ; il comporte des dispositions plus techniques relatives aux régimes matrimoniaux, offrant le choix aux époux entre un régime légal et plusieurs régimes conventionnels.

En revanche, il n'envisage pas l'exercice en commun, par les époux, d'une même activité professionnelle. Il est vrai qu'en 1804, le principe était celui de l'incapacité juridique de la femme mariée, qu'il a fallu attendre 1938 pour que disparaisse la puissance maritale et 1965 pour que la femme puisse exercer librement la profession de son choix et disposer des fruits de son travail.

Cette longue marche vers l'égalité a laissé de côté les situations dans lesquelles les conjoints participent à une même activité professionnelle, que celle-ci soit commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Cette coopération professionnelle n'est appréhendée par le droit des régimes matrimoniaux que du point de vue des produits qu'elle engendre. Le statut du conjoint coopérant n'est défini que si les époux ont conclu un contrat de société, de travail ou de mandat, ce qui reste exceptionnel. Le plus souvent, après de longues années de travail, le conjoint coopérant -le plus souvent la femme- qui n'a été ni salarié, ni associé se trouve complètement démuni si l'union est dissoute par le décès ou le divorce. L'espoir d'un partage de communauté est déçu si le mari a fait de mauvaises affaires ou a organisé son insolvabilité, et, en cas de séparation de biens, l'épouse délaissée ne dispose que d'une hypothétique action en enrichissement sans cause.

Certes, des textes particuliers ont amélioré la situation des conjoints de commerçants, d'artisans ou d'exploitants agricoles mais ils restent largement inappliqués, notamment parce qu'ils impliquent une démarche volontaire du conjoint coopérant. Ainsi, Mme Lebranchu constatait-elle devant la Délégation aux droits des femmes que moins de 10 % des femmes qui le pourraient choisissaient effectivement un statut, près de 250 000 étant dépourvues de tout statut juridique pour exercer cette coopération professionnelle entre époux qui n'est régie par aucun dispositif d'ensemble. C'est cette lacune que nous vous proposons de combler conformément, du reste, à la directive européenne du 11 décembre 1986 qui nous invite à le faire. Elle vise explicitement « les conjoints non salariés ni associés qui participent (...) à l'activité du travailleur indépendant » et son article 7 impose aux Etats membres de s'engager « à examiner dans quelles conditions la reconnaissance du travail fourni par les conjoints » qu'elle vise « peut être favorisée et à examiner toutes initiatives appropriées en vue de favoriser cette reconnaissance ». C'est ce que nous vous proposons de faire aujourd'hui.

Le texte qui vous est soumis s'inscrit dans la ligne de la proposition de loi relative au statut civil des coexploitants agricoles, que M. Jean Foyer avait déposée en 1978, pour introduire dans le code civil des règles complétant le régime matrimonial primaire pour les époux coexploitants. Ces règles devaient, quel que soit le régime matrimonial, s'appliquer de plein droit, sauf manifestation de volonté contraire. Elles prévoyaient un engagement solidaire pour les dettes contractées par l'un ou l'autre époux pour les besoins de l'exploitation, posaient en principe la représentation mutuelle d'un époux par l'autre pour les besoins de l'exploitation, et transposaient aux biens immeubles sur lesquels s'exerce une activité agricole les règles applicables au logement familial.

La présente proposition procède de la même inspiration égalitaire et retient des solutions techniques similaires, mais au profit de tous les conjoints coopérants professionnellement. Elle consiste à introduire après l'article 225 du code civil cinq dispositions, d'application générale mais supplétives qui s'appliqueront à tous les conjoints qui n'auront pas choisi d'organiser autrement leur coopération professionnelle.

La première disposition introduit la présomption du mandat réciproque, qui garantit mieux la sécurité des tiers. Elle couvre les actes d'exploitation normale des biens affectés à l'activité professionnelles commune. Cette présomption prend fin dans les conditions prévues à l'article 225-2.

A l'article 225-3, nous introduisons une disposition destinée à protéger le logement familial. Cet article 225-3 tend en effet à garantir la stabilité de l'entreprise conjugale en posant qu'un époux ne peut disposer sans l'autre des « droits par lesquels est assurée la jouissance des immeubles exploités ensemble ou des autres biens nécessaires à l'exercice de l'activité commune ».

Toujours dans le souci de réaliser l'égalité entre les conjoints, l'article 225-4 leur confère « une vocation égalitaire aux bénéfices » ; en contrepartie, ils seront tenus solidairement responsables à l'égard des tiers des obligations contractées par l'un ou par l'autre au titre de leur activité professionnelle. Certains ont estimé que la disposition serait dangereuse pour les femmes mais, outre qu'il ne saurait y avoir d'égalité sans responsabilité, les épouses se trouvent de toute façon engagées par les actes professionnels accomplis par leur mari, soit que la banque ait demandé leur signature avant de consentir un emprunt, soit qu'elles soient apparues elles-mêmes aux tiers comme exerçant une activité artisanale ou commerciale. En cas de liquidation de l'entreprise, elles risquent alors de perdre leurs biens. Si l'on nous suit, elles auront au moins été associées aux bénéfices, à la fin de chaque exercice ou même au cours d'un exercice.

Enfin, l'article 225-5 comporte des dispositions particulières en faveur des professions libérales et de certaines professions artisanales dont l'exercice est subordonné à la possession d'un titre, d'un diplôme ou d'une qualification : dans ces hypothèses, on ne peut mettre sur un pied d'égalité des époux dont l'un n'est pas habilité à exercer la profession, mais on peut au moins reconnaître à ce dernier un droit de rémunération dès lors qu'il aura apporté à son conjoint une coopération allant au-delà du devoir d'assistance inscrit dans le code civil.

Je souhaite que ces dispositions soient adoptées, non par amour-propre d'auteur mais parce qu'il y va de l'intérêt de centaines de milliers de femmes. C'est un impératif de justice : on ne peut admettre aujourd'hui que le devoir d'assistance englobe l'exercice habituel d'une activité professionnelle sans que cela comporte de rémunération. On ne saurait non plus se contenter d'accorder à ces femmes l'équivalent de trois fois le SMIC annuel en cas de décès de leur mari, comme le prévoient les textes particuliers mentionnés tout à l'heure. Et comme la plupart d'entre elles ne font pas le choix d'un statut durant leur vie conjugale, nous ne saurions les laisser plus longtemps démunies. J'en appelle donc à votre esprit de justice pour vous demander d'adopter cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - Nous voici donc saisis par le groupe RPR de deux propositions de loi visant à renforcer les droits de ceux qui exploitent une entreprise individuelle. La première, présentée par MM. Accoyer et Mariani...

M. Christian Jacob - Et par M. Philippe Martin !

Mme la Garde des Sceaux - ...La première vise à mieux protéger le patrimoine des artisans et commerçants et, par voie de conséquence, de leur famille, souvent appelée à se porter caution. A cette fin, ses auteurs proposent de rendre partiellement insaisissables les revenus de l'activité et de revaloriser le montant des biens immobiliers susceptibles d'être constitués en « biens de famille », eux par nature insaisissables.

La seconde proposition, présentée par Mme Catala, concerne plus spécialement les conjoints qui exercent en commun et pour leur compte une activité professionnelle, soit en qualité de coexploitants, soit dans le cadre d'une collaboration apportée par l'un à l'autre. Estimant que le droit positif ne confère pas de statut protecteur global au conjoint qui apporte son concours à l'entreprise commune, les auteurs de ce texte suggèrent plusieurs mesures qui auraient vocation à s'appliquer à défaut de convention contraire : tout d'abord, ils instituent une présomption de mandat réciproque entre les époux, pour les besoins de l'exploitation normale de l'entreprise. Ils subordonnent ensuite l'accomplissement des actes les plus graves relatifs à celle-ci au double consentement des époux et prévoient une vocation égalitaire aux bénéfices en même temps qu'une solidarité à l'égard des dettes professionnelles.

L'idée n'est pas nouvelle : une partie de ces dispositions figure déjà dans la loi d'orientation agricole du 4 juillet 1980, ainsi que dans la loi du 10 juillet 1982, relative aux conjoints d'artisans et de commerçants.

Cependant, en inscrivant de nouvelles règles dans le code civil, afin de compléter le régime de base prévu pour l'ensemble des couples, les auteurs du texte entendent leur conférer une portée générale.

Attaché à la création et au développement des petites et moyennes entreprises, le Gouvernement ne peut être insensible à l'objectif ainsi recherché (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR). Les états généraux de la création d'entreprise, en avril dernier, ont été l'occasion, pour le Premier ministre de rappeler que tous ceux qui participent à ce processus doivent pouvoir le faire en toute sécurité juridique, dans un cadre accordant sa juste place à chacun : exploitant, collaborateur, prêteur, caution...

Le conjoint qui prête son concours quotidien à la réussite professionnelle de l'autre a incontestablement droit à une reconnaissance et il est exact que la défaillance de l'entreprise peut menacer gravement les conditions d'existence d'une famille.

Il est donc légitime que le Parlement se saisisse de cette question. Encore faut-il proposer des solutions adéquates et qui ne risquent pas d'aggraver les difficultés. Il convient en effet de concilier la protection du conjoint qui a contribué par son travail à la valeur du fonds, le maintien des conditions d'existence décentes pour la cellule familiale, les nécessités de financement des petites entreprises, et les conditions pratiques de leur activité.

M. le Rapporteur - C'est ce que nous faisons.

Mme la Garde des Sceaux - Je vais vous démontrer le contraire !

Pour cela, il faut que le droit de l'entreprise prenne mieux en compte la dimension familiale de certaines exploitations, ce qui ne peut se faire qu'au terme d'une réflexion approfondie. Je comprends donc que votre commission n'ait pas présenté de conclusions sur ces deux propositions et je crois qu'il n'est pas possible de passer aujourd'hui à la discussion des articles tant ils appellent de réserves (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR).

La proposition tendant à protéger le patrimoine des artisans et des commerçants tend d'abord à modifier la loi du 12 juillet 1909 sur les biens de famille, texte ancien dont les applications concrètes ont été dès l'origine peu nombreuses. Or ce texte, qui comporte en outre un certain nombre d'archaïsmes, ne peut constituer en l'espèce une base utile, à mon sens. La procédure qu'elle organise est lourde et inadaptée à notre temps. Ce n'est pas en valorisant le montant du bien de famille que l'on donnera un nouvel essor à ce mécanisme conçu pour freiner l'exode rural en fixant l'activité familiale autour d'un même fonds. En étendant ce dispositif à des fins qui lui sont étrangères, non seulement on n'atteindra pas les résultats recherchés, mais on risque de travailler contre ceux que l'on prétend protéger. Ainsi rendre insaisissable le bien constitué en bien de famille risque de priver de toute possibilité de le constituer en garantie pour un prêt. L'impossibilité de saisir les bénéfices pourrait conduire les fournisseurs de l'entreprise à ne plus vouloir traiter avec elle qu'au comptant. Enfin les formalités très contraignantes nécessaires à la constitution du bien de famille apparaissent mal adaptées au public visé.

Quant à l'extension aux revenus de l'entrepreneur individuel du dispositif régissant l'insaisissabilité d'une partie des salaires, elle est à la fois inadaptée et difficilement praticable tant il est malaisé d'identifier les revenus d'un travailleur indépendant à un moment donné, ne serait-ce qu'en raison de leur caractère saisonnier et de la diversité de leurs sources. Aucun contrôle sérieux ne serait en outre possible et ce dispositif pourrait surtout se révéler contre-productif dans les relations avec les banques. En effet, celles-ci seraient tentées de rendre indisponibles une part des fonds qu'elles détiennent ; la répartition entre part saisissable et part insaisissable ne pourra se faire que sur l'année.

Par conséquent, les réponses qui sont proposées sont totalement inadaptées à la vie des petites entreprises d'aujourd'hui.

J'en viens maintenant à la proposition de loi portant organisation juridique de la coopération professionnelle entre époux.

Certes, il serait bon que l'entraide conjugale, plus ou moins confondue pendant longtemps avec l'exécution des devoirs résultant du mariage, soit aujourd'hui pleinement reconnue ; mais elle ne peut pas relever d'un régime unitaire applicable à l'ensemble des catégories socioprofessionnelles. La proposition de loi est d'ailleurs imprécise quant aux situations visées : il s'agit tantôt des époux exerçant en commun et pour leur compte une activité commerciale ou artisanale, tantôt de conjoint coexploitant, tantôt de conjoint d'un professionnel libéral, qui donc n'en exerce pas la profession.

Il est paradoxal d'insérer dans le régime matrimonial primaire obligatoire un texte qui, d'une part, se décline suivant les situations particulières des époux et, d'autre part, n'est que supplétif, les époux pouvant y déroger. Les statuts particuliers conférés aux conjoints d'exploitants agricoles, commerçants ou artisans relèvent de textes spécifiques ; il est évidemment préférable d'en étendre le champ, dans le respect des particularités professionnelles.

Il convient en outre de rechercher un équilibre entre la protection du conjoint non professionnel, la situation du conjoint professionnel et les garanties des tiers.

La faculté d'opposition à la vente du bien exploité, qui existe déjà pour les fonds appartenant à la communauté en vertu de la loi du 10 juillet 1982, donne au conjoint une protection intéressante, mais dangereuse pour les tiers contractants. De plus, elle est difficile à mettre en _uvre pour des professions dont l'accès est encadré ; on peut s'interroger sur son opportunité lorsqu'il s'agit d'une étude notariale ou d'une clientèle d'avocat ou de médecin.

Les régimes spécifiques du code rural et de la loi du 10 juillet 1982 pour le commerce et l'artisanat n'ont consacré que la technique de la présomption de mandat entre époux pour la gestion courante de l'entreprise. Ce dispositif peut apparaître plus modeste, mais il est plus adapté, dans la mesure où il repose sur une démarche volontaire de déclaration au registre des métiers ou du commerce. En tout cas, il ne peut exister de présomption de mandat sans dispositif de publicité à l'égard des tiers.

Présumer un mandat de gestion est utile pour la femme qui tient la comptabilité, passe les commandes et règle les factures de l'entreprise, mais il est dangereux de passer de la simple collaboration à un exercice commercial de fait, potentiellement préjudiciable.

Mme la Rapporteuse - C'est déjà le cas !

Mme la Garde des Sceaux - La technique du mandat est inapplicable aux professions libérales dès lors que le conjoint ne remplit pas les conditions requises pour exercer lui-même l'activité. En ce domaine, à l'instar des dispositions récentes de la loi du 9 juillet 1999 d'orientation agricole, il faut réfléchir à un statut social du conjoint.

Mme la Rapporteuse - Proposez-nous quelque chose !

Mme la Garde des Sceaux - Mais pour la passation des actes juridiques, les textes actuels -que d'ailleurs les auteurs de la proposition de loi n'abrogent pas- apportent une réponse globalement adaptée.

Enfin, prévoir que les époux coexploitants ont une vocation aux bénéfices et une obligation solidaire vis-à-vis des tiers est dangereux car le conjoint est alors exposé aux aléas de l'activité professionnelle.

Ayant dit l'essentiel, je ne crois pas indispensable d'évoquer certaines interrogations plus formelles ou ponctuelles que soulèvent ces deux textes.

Je constate que votre commission des lois a fait la même analyse et a abouti à une conclusion identique.

M. le Rapporteur - Pas ce matin !

Mme la Garde des Sceaux - Ma collègue Marylise Lebranchu, qui va nous rejoindre dans un instant, et moi-même travaillons à la réalisation des objectifs qui sont poursuivis par ces deux propositions de loi, mais sur des bases différentes. Nous considérons en effet qu'il est beaucoup plus efficace de travailler sur les causes que sur les effets.

Mme la Rapporteuse - C'est ce que nous faisons !

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement s'est efforcé de simplifier l'accès au statut de société avec la création de la société anonyme simplifiée unipersonnelle. Le Premier ministre a en outre annoncé récemment qu'il serait possible de créer une SARL en libérant progressivement, sur cinq ans, le capital de 50 000 francs exigé.

Toutefois, même si l'on constate une certaine progression de la création d'entreprises sous forme de sociétés, force est de constater qu'une grande partie des artisans et des commerçants reste fortement attachée, pour de multiples raisons, au statut d'entrepreneur indépendant. Pour certains, le statut d'EURL constituerait la bonne solution, sous réserve de simplification, mais force est de constater le faible succès rencontré par cette forme juridique ; pour d'autres, il convient de privilégier la constitution d'un patrimoine d'affectation.

La proposition de loi n'évoque que la situation des entrepreneurs individuels, alors que le problème de la protection du patrimoine concerne l'ensemble des dirigeants des PME. En effet, lorsque l'entreprise est une société de type SARL, EURL ou SA, la dissociation des patrimoines est contournée par les banques qui demandent la caution solidaire du dirigeant ainsi que l'engagement du conjoint.

M. Bernard Accoyer - C'est pour cela que nous présentons cette proposition de loi !

Mme la Garde des Sceaux - Le recours à la garantie publique permet de limiter la portée des garanties personnelles requises par les établissements financiers. En effet, lorsqu'une banque opte pour une couverture de son risque par un fonds de garantie géré par SOFARIS, elle doit renoncer à la garantie hypothécaire conventionnelle ou judiciaire sur la résidence principale du dirigeant. De même, elle doit renoncer à demander une caution portant sur plus de la moitié du montant du prêt. Marylise Lebranchu a demandé que soit examinée la possibilité d'étendre les dispositions visant à protéger la résidence principale des cautions.

Ces questions renvoient à l'accès au crédit des très petites entreprises ; le Gouvernement mène actuellement une réflexion sur ce sujet. Il souhaite que soit établi un bilan des avantages et inconvénients de chacun des statuts existants afin de faire des propositions pour améliorer, le cas échéant, le statut d'entrepreneur individuel. Enfin, les garanties accordées au conjoint en cas de vente du bien servant de base à l'exploitation pourront être examinées à l'occasion de la réforme du droit de la famille.

Bref, les problèmes sont réels, le Gouvernement souhaite les résoudre et il a commencé à le faire ; mais ces propositions de loi n'apportent pas les bonnes réponses. Certaines de leurs dispositions risqueraient même d'aggraver la situation des intéressés (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Accoyer - Notre Assemblée, sous la présidence de Philippe Séguin, a souhaité donner une place plus large à ses initiatives législatives. Ainsi a été mis en place le système dit des « niches parlementaires » qui sont l'occasion d'aborder des questions qui tiennent particulièrement à c_ur aux députés des différents groupes politiques. Tel est bien le cas aujourd'hui, puisqu'il s'agit de l'équité envers une partie de la Nation, les artisans et commerçants, leurs conjoints et leurs familles. La majorité, et le Gouvernement, si empressés à développer des droits nouveaux, seraient mal venus de refuser l'examen de ces textes qui concernent les premiers créateurs de richesse du pays. Nul doute que ces timides droits nouveaux sont beaucoup plus légitimes, et concernent beaucoup plus d'hommes et de femmes que ceux qu'ont apporté le PACS ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe du RPR ; protestations sur les bancs du groupe socialiste).

Un mécanisme de protection des individus contre les aléas de la conjoncture a opportunément été mis en place par la loi du 2 janvier 1973, qui organise l'insaisissabilité d'une partie des revenus des salariés. Grâce à ce mécanisme, les salariés ont l'assurance de pouvoir faire face à leurs besoins vitaux. Or, sans justification, les artisans et commerçants se trouvent exclus de ce dispositif. Nombreux sont ceux qui ont été victimes de retournements de conjoncture ou de la concurrence effrénée de la grande distribution et se sont retrouvés pris dans un piège effroyable.

Pour pouvoir maintenir leurs activités professionnelles, la plupart d'entre eux contractent un prêt. Or, les établissements de crédit exigent presque systématiquement la caution solidaire de leur épouse, voire celle de leurs enfants. De ce fait, à la moindre défaillance, tout le patrimoine familial devient saisissable, l'habitation principale elle-même étant mise en péril.

Cette pratique ne peut être interdite, sous peine de priver ces entreprises de toute offre de crédit. Une telle interdiction serait pourtant tentante car, en exigeant le cautionnement systématique du conjoint, les banquiers imposent en fait à leurs clients de prendre tous les risques avant de consentir à exercer leur métier.

A la différence des salariés qui, en toute hypothèse, conservent une somme minimum égale au montant du RMI, les entrepreneurs individuels peuvent perdre l'intégralité de leurs revenus et leur résidence s'ils sont incapables d'honorer une dette.

Cette situation est d'autant plus injuste que les sommes disponibles sur leur compte seront imputées en premier lieu au règlement des impositions et charges sociales.

La saisie automatique met les intéressés dans l'impossibilité de régler leurs fournisseurs et les fait s'engager dans une spirale infernale qui les conduit souvent à la faillite.

Conscient de la difficulté de transposer aux entrepreneurs individuels le régime applicable aux salariés, notre rapporteur, Thierry Mariani, a judicieusement proposé un dispositif dans lequel les revenus d'un entrepreneur individuel ne seraient saisissables que dans la limite de 65 % du solde créditeur de ses comptes bancaires.

Cette disposition, adoptée à l'unanimité par la commission des lois, témoigne d'une évolution de la majorité qui traduit un certain réalisme de sa part face à la situation des artisans et des commerçants et, enfin, la volonté politique d'agir.

M. Alain Vidalies - Que ne l'avez-vous fait lorsque vous étiez aux affaires ?

M. Bernard Accoyer - Comment le Parlement et le Gouvernement pourraient-ils refuser plus longtemps encore d'assurer une protection minimum à une catégorie sociale appelée à vivre de nouvelles mutations profondes de notre tissu commercial alors qu'un dispositif leur est proposé, dont l'application est aisée ?

Les parlementaires et le Gouvernement devraient pouvoir s'accorder sur cet objectif. Pourtant, les réponses qui nous ont été faites jusqu'à présent suscitent notre inquiétude.

Questionnée en octobre 1999 par notre collègue Philippe Martin, coauteur de cette proposition, Mme Lebranchu a fait valoir que la solution résidait dans la généralisation des procédures de cautionnement mutuel avec garantie de l'Etat, du type SOFARIS. Mais une telle extension ne permettrait en rien d'éviter la spoliation d'une famille d'artisans craignant de voir sa maison mise aux enchères !

Elle peut être utile dans certains cas, mais elle ne pourra bénéficier à tous les entrepreneurs qui en auront besoin, et elle n'est ni totale, ni gratuite. Il est d'ailleurs frappant de constater que les milieux financiers sont, à l'instar du Gouvernement, partisans de cette solution, insatisfaisante pour les intéressés.

Il était difficile pour le Gouvernement d'ignorer combien cette réponse est exaspérante pour tous ceux à qui l'on refuse, en fait, un minimum vital.

Lors de la dernière Journée de la femme, le 8 mars, plusieurs associations représentatives n'ont pas manqué de porter ce sujet au premier rang de leurs revendications, et, le 2 mai, la présidente de la délégation aux droits des femmes de notre Assemblée s'est déclarée contente de savoir que la question de la caution solidaire fait partie des problèmes mis en chantier par le Gouvernement. Mme Lebranchu avait en effet constaté que quelqu'un qui échoue dans le commerce, l'artisanat ou la petite entreprise perd sa source de revenus, mais qu'il peut également perdre sa résidence principale. Qu'attend donc le Gouvernement pour faire droit à la demande d'insaisissabilité qui est formulée ?

Le dépôt par le groupe RPR, en décembre 1999, d'un texte tendant à assurer une protection minimale du patrimoine des artisans a visiblement contribué à la récente prise de conscience du Gouvernement, qui s'en tient toutefois à des déclarations d'intention, après avoir laissé passer l'occasion d'inscrire cet engagement dans le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques.

Et les représentants de la chancellerie, auditionnés il y a quelques jours par notre rapporteur, ont avoué que leur ministère n'avait engagé aucune réflexion à ce sujet, ce qui jette un doute sur vos déclarations, Madame la ministre.

Lors de la réunion de la Délégation aux droits des femmes, il a été demandé aux artisans et aux commerçants d'attendre la deuxième lecture du projet sur les nouvelles régulations économiques. Mais l'on vient d'apprendre le report de son examen par le Sénat, au mieux à l'automne.

Plutôt que de jouer avec le calendrier au risque d'oublier de tenir ses engagements, le Gouvernement serait bien inspiré d'adopter la solution la plus simple et la plus efficace : améliorer, par le biais d'amendements, la présente proposition.

Quant à la définition d'un statut pour les conjoints d'artisans, proposé par notre collègue Nicole Catala et présenté par l'ensemble du groupe RPR, elle est tout aussi légitime et urgente.

Cela touche, en effet, aux droits des femmes qui, nous l'espérons, ne relèvent pas, pour la majorité, de la simple déclaration d'intention.

Notre collègue a constaté que la réglementation n'obligeant pas les conjoints d'artisans et de commerçants à choisir l'un des statuts institués par la loi du 10 juillet 1982, la grande majorité d'entre eux, bien que participant à l'activité professionnelle de leur époux, ne bénéficient pas de tous les droits auxquels ils pourraient légitimement prétendre : ni indemnités journalières en cas de maladie ou de maternité, ni allocation-chômage, par exemple. Quant à leur retraite, elle sera très basse.

De surcroît, si l'entreprise connaît des difficultés, le conjoint impliqué dans la gestion n'est pas à l'abri des créanciers de son époux, quel que soit le régime matrimonial.

Nous proposons donc d'organiser juridiquement la coopération professionnelle entre époux.

Comment le Gouvernement pourrait-il demeurer plus longtemps indifférent au sort de ces femmes qui, accablées de tâches diverses, assurent la continuité de l'entreprise et de la famille, sans pouvoir prendre la place qui leur revient dans la vie civique ?

Mais, quel que soit l'intérêt de nos propositions, et en dépit du fait que la proposition de Nicole Catala rendrait justice à quelque 230 000 femmes d'artisans et commerçants, la majorité a décidé de bloquer la discussion et donc de vider de son intérêt la procédure d'initiative parlementaire.

Cette manière de faire devient systématique, et M. Jean-Louis Debré, président de notre groupe, a formulé une très vive protestation auprès du Président de notre Assemblée. C'est devenu une règle, pour la majorité, de refuser nos propositions, qui comportent pourtant des progrès importants pour les droits fondamentaux. Cela conduit, aujourd'hui encore, à refuser la discussion de ce texte...

M. le Rapporteur - Hélas !

M. Bernard Accoyer - Tout en avouant son absence totale d'idées sur la question, et le vide sidéral de sa réflexion, le Gouvernement nie de façon choquante les droits du Parlement.

La volonté de la majorité est que la discussion se déroule de manière expéditive ; soit. Pour sa part, le groupe RPR poursuivra sans relâche son combat visant à défendre les droits de toutes les catégories sociales et tout particulièrement de celles qui se sentent oubliées, en dépit de leur apport irremplaçable à la nation (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Vidalies - L'emportement de mon collègue Accoyer est malvenu. Dois-je lui rappeler que le Parlement a adopté la loi sur la réforme de la prestation compensatoire, inspirée par l'opposition sénatoriale et, tout récemment encore, le texte relatif à l'adoption internationale de M. Mattei ? La majorité est toute disposée à adopter des textes provenant des bancs de l'opposition, pour peu qu'ils soient sérieux et non démagogiques. C'est si peu le cas aujourd'hui, que le rapporteur, lui-même membre du RPR, a dû réécrire entièrement des articles !

M. le Rapporteur - Les améliorer !

M. Alain Vidalies - Comment expliquez-vous n'avoir jamais songé à régler ces questions si importantes lorsque vous gouverniez ? Ou votre conversion si récente explique-t-elle vos difficultés de rédaction ?

Il s'agit en effet d'un problème récurrent dont les parlementaires sont régulièrement saisis et qui, jusqu'à présent, n'a reçu aucune réponse totalement satisfaisante, sous aucun gouvernement.

Mais le dispositif proposé aujourd'hui est dépourvu de toute crédibilité, qu'il s'agisse de l'alignement des procédures de saisie sur celles qui régissent les salaires ou de l'exhumation, pittoresque, de la loi de 1909 sur le bien de famille.

Je n'insiste pas, car le rapporteur lui-même a déposé deux amendements qui, en fait, réécrivent la proposition.

M. le Rapporteur - Qui l'améliorent !

M. Alain Vidalies - Vous conviendrez qu'il n'est pas très sérieux d'inscrire une proposition dans votre niche parlementaire alors que le rapporteur, membre du même groupe, est obligé de constater que le dispositif est dépourvu de tout fondement sérieux. Les propositions de M. Mariani, si elles méritent plus d'attention, n'en restent pas moins peu crédibles.

M. le Rapporteur - Elles ont été adoptées à l'unanimité par la commission !

M. Alain Vidalies - Lorsque vous proposez de limiter la responsabilité de l'entrepreneur à concurrence de son apport, fixé au minimum à 50 000 F, vous réinventez l'entreprise unique à responsabilité limitée, qui existe dans notre droit depuis quinze ans. Lorsque vous proposez de limiter la saisie à 65 % du solde créditeur des comptes bancaires, vous gelez ainsi 35 % du montant des comptes, même s'ils sont fortement approvisionnés. Vous pouvez facilement imaginer les abus et les incohérences auxquelles nous pourrions aboutir. Le créancier ne pourrait procéder à une saisie qu'après avoir appréhendé tous les comptes, condition préalable au calcul des 65 %. Il ne nous reste plus qu'à souhaiter bon courage au créancier, qui est parfois lui-même un entrepreneur individuel, et au juge compétent.

Si on ne veut pas raréfier l'offre de crédit, les solutions à mettre en _uvre ne sont pas si simples. La réflexion ne doit d'ailleurs pas s'arrêter aux entrepreneurs individuels, mais être élargie aux sociétés, notamment aux SARL dont les dirigeants et les membres de leur famille sont souvent contraints d'apporter leur caution personnelle.

Mieux vaudrait généraliser les systèmes de cautionnement mutuels qui, sur le modèle de la garantie SOFARIS, obligeraient les banques à renoncer à la garantie hypothécaire sur l'habitation principale. De manière générale, nous devons protéger l'habitation principale de l'entrepreneur individuel, et je suis heureux, Madame la garde des sceaux, que vous l'ayez rappelé.

Le Gouvernement s'est engagé à faire des propositions pendant l'examen en deuxième lecture de la loi sur les nouvelle régulations économiques. Nous serons très attentifs à la concrétisation de ces engagements. Les entrepreneurs individuels attendent de nous des mesures justes, juridiquement fondées et applicables.

La proposition de Mme Catala est très ambitieuse puisqu'il s'agit de modifier le régime primaire du mariage, c'est-à-dire les devoirs et les droits respectifs des époux qui, conformément aux dispositions de l'article 226 du code civil, sont applicables par le seul effet du mariage. Il s'agit de ces droits et devoirs que l'officier d'état civil rappelle aux futurs époux avant de procéder à leur union.

Ce texte serait donc de portée générale et s'appliquerait à toutes les professions, alors qu'il existe un régime spécifique pour les conjoints collaborateurs d'exploitants agricoles, de commerçants ou d'artisans.

Cette proposition vise à instituer une présomption de mandat pour les époux qui exercent en commun une activité professionnelle. Cette disposition, utile pour la vie quotidienne de l'entreprise, figure déjà dans les lois spécifiques aux agriculteurs, commerçants et artisans. Vous ne proposez donc que de l'étendre aux professions libérales.

Tirant les conséquences de cette présomption, vous voulez préciser dans le nouvel article 225-4 que les époux seraient solidairement tenus, à l'égard des tiers, des obligations nées des actes accomplis par le conjoint en qualité d'exploitant.

Cette proposition est donc en contradiction avec les objectifs de protection du patrimoine des artisans et commerçants, également défendus ce jour par le groupe RPR ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR) En effet, si nous adoptions ce texte, nous fragiliserions encore les entrepreneurs individuels, en renforçant la capacité d'action des créanciers !

M. Bernard Accoyer - Vous ne l'avez pas lu !

M. Alain Vidalies - Effrayés de leur propre hardiesse, les auteurs précisent que cette présomption de mandat peut être révoquée du consentement des époux, ou même par la notification d'un époux à l'autre. C'est sans doute le syndrome du PACS ! Un tel mécanisme n'a rien à faire dans le régime primaire du mariage. Les autres devoirs fondamentaux prévus par le code civil ne relèvent pas de la volonté de l'un ou de l'autre des époux, mais constituent des engagements inhérents à l'institution du mariage.

Vous souhaitez un partage égalitaire des revenus tirés de « l'exercice en commun d'une activité professionnelle », mais vous ne donnez aucune définition de cet « exercice en commun », alors que la réalité est souvent complexe.

Mme la Rapporteuse - Je suis pour la parité, à ce niveau, là aussi.

M. Alain Vidalies - S'il arrive que le conjoint participe à plein temps à l'activité professionnelle, il est plus fréquent qu'il lui consacre quelques heures par jour ou assure une tâche spécifique comme la tenue de la comptabilité (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Il serait à l'évidence impossible d'appliquer votre texte à ces situations.

Votre dispositif n'est d'ailleurs que subsidiaire, puisqu'il ne s'appliquerait que dans la mesure où les conjoints n'ont pas organisé autrement leur coopération professionnelle ou n'ont pas déclaré s'en tenir à l'application pure et simple de leur régime matrimonial.

Aucune précision n'est donnée sur le sens de l'adverbe « autrement », formule juridique étonnante dans un texte de droit civil, ni sur la nature de la déclaration des époux, ni sur l'information des tiers.

Dans l'exposé des motifs, vous évoquez la situation des femmes ayant participé à l'activité professionnelle et qui, au moment d'une séparation, se trouvent sans revenus ni situation professionnelle.

Se préoccuper d'elles est légitime. Néanmoins, dans le droit positif, les réponses ne sont pas inexistantes.

De jurisprudence constante, la collaboration à l'activité professionnelle de l'autre conjoint est un critère pris en compte par les tribunaux pour la fixation de la prestation compensatoire. C'est même pour ce seul motif qu'un époux contre qui le divorce est prononcé peut néanmoins bénéficier d'une indemnisation pour sa collaboration, au titre de l'indemnité spéciale de l'article 280-1 du code civil. Enfin, l'indemnisation du conjoint ayant participé à l'activité professionnelle est très régulièrement retenue sur le fondement de l'enrichissement sans cause.

Faut-il aller plus loin ? Certainement pas en modifiant le régime primaire du mariage, comme le propose aujourd'hui, pour la première fois, le groupe RPR.

Cependant, pour les professions libérales et les travailleurs indépendants qui ne sont ni agriculteurs, ni artisans ni commerçants, il y a un vide juridique dans notre législation.

Le groupe socialiste déposera donc, dans les prochains jours, une proposition de loi tendant à étendre le champ d'application de la loi de 1982 à l'ensemble des professions libérales (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Mais d'autres pistes doivent être explorées.

Pourquoi, par exemple, ne pas imaginer un mécanisme s'inspirant de celui du salaire différé pour répondre à la situation des conjoints qui, après la séparation, pourrait demander la juste rémunération de leur travail ? Cette solution n'est pas non plus très simple, car il faudrait préciser les conditions de cumul avec la prestation compensatoire.

Pourquoi s'interdire une réflexion sur les régimes matrimoniaux ? Le régime spécifique de la participation aux acquêts permet en effet de partager la création de la richesse.

En revanche, le groupe socialiste n'est pas favorable à une modification du régime primaire du mariage et c'est pourquoi il s'opposera à l'adoption de cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Nicolas Forissier - Ces deux textes montrent bien que l'opposition souhaite utiliser la procédure des niches parlementaires pour résoudre les problèmes très concrets. Même si les solutions proposées ne sont pas les vôtres, mon cher collègue, la rédaction de ces deux propositions a été mûrement réfléchie.

Qu'il s'agisse de la proposition de notre collègue Mattei sur l'adoption internationale ou des propositions relatives à l'épargne salariale, nous avons voulu répondre à de vraies questions, hors de toute préoccupation politicienne.

Nous nous efforçons aujourd'hui de combler un vide juridique, puisque le code civil ne prévoit pas le cas où les époux participent à la même activité professionnelle.

Un premier pas a été fait avec l'adoption de la loi du 10 juillet 1982, qui créait trois statuts, ceux de conjoint collaborateur, de conjoint salarié et de conjoint associé, les droits et obligations professionnels et sociaux des conjoints en découlant.

Mais, dans l'hypothèse où les époux n'auraient pas conclu une convention organisant explicitement leur coopération professionnelle, l'un d'eux risque de se retrouver sans protection sociale, sans retraite ni dédommagement.

De même, pour les artisans et les commerçants, la confusion du patrimoine personnel et du patrimoine de l'entreprise fait peser de gros risques sur le conjoint et la famille. Ce risque est d'ailleurs aggravé par certaines pratiques bancaires, qui consistent à exiger systématiquement la caution solidaire des épouses pour octroyer un prêt. La conséquence de cette exigence est que l'ensemble du patrimoine devient saisissable, ce qui met en péril la situation matérielle de toute une famille en cas de défaillance.

Ces lacunes juridiques, qui peuvent avoir des conséquences dramatiques, sont d'autant plus incompréhensibles que 65 % des conjoints de chefs d'entreprises commerciales ou artisanales participent à l'activité de l'entreprise familiale. Ils ne sont pas moins de 950 000 en France, mais seulement 6 % d'entre eux ont opté pour l'un des trois statuts de la loi du 10 juillet 1982. C'est donc peu de dire que l'activité du conjoint n'est pas encore suffisamment reconnue dans la conduite de l'affaire familiale. Elle continue de s'inscrire dans le cadre réducteur de l'entraide conjugale, qui exclut toute rémunération et toute couverture sociale personnelle.

C'est une situation d'autant plus injuste que la collaboration du conjoint représente toujours un atout : il s'agit d'une personne de confiance, aisément disponible pour exécuter des tâches diversifiées et acceptant des horaires souples. Les horaires des conjoints correspondent à un plein temps et 97 % d'entre eux travaillent plusieurs jours par semaine, voire tous les jours.

Par ailleurs, les conjoints travaillent rarement à l'extérieur : 15 % seulement des conjoints sans statut, 5 % des conjoints collaborateurs et 1 % des conjoints salariés.

La situation des conjoints d'artisans et de commerçants est donc injuste et précaire. Et presque rien n'a été fait jusqu'ici pour y porter remède.

Pourtant déjà, en 1993, le Conseil économique et social attirait notre attention sur ce problème avec le rapport Barthélémy qui préconisait que l'on permette à l'entrepreneur individuel d'affecter une part de son patrimoine nécessaire à l'exploitation de son entreprise. Cette recommandation figurait aussi dans le rapport de Jean Menu, en 1984, sur « la maîtrise de la croissance des entreprises nouvellement créées ».

Des centaines de milliers de personnes sont concernées ; il faut donc agir comme le proposent nos collègues avec ces deux textes, qui répondent aux préoccupations des artisans. En effet, si l'on présume un mandat entre les époux, le conjoint est directement associé à la bonne marche de l'entreprise, qu'il s'agisse des actes d'exploitation ou de jouissance. En outre, proposer que les époux aient une vocation égalitaire aux bénéfices et prévoir, en contrepartie, leur responsabilité solidaire, c'est tirer les conséquences de leur participation effective à l'entreprise familiale. Enfin, faire en sorte qu'une partie des rémunérations des entrepreneurs individuels soit insaisissable permet, de manière très simple, d'éviter que la situation matérielle de la famille soit mise en péril.

Le sujet devrait donc être particulièrement consensuel (« Absolument ! » sur plusieurs bancs du groupe du RPR). C'est pourquoi je ne comprends pas la mauvaise volonté dont la gauche a fait preuve en commission, faisant mine de ne pas vouloir brusquer les choses.

Une fois de plus, les artisans et les commerçants vont se sentir ignorés par ce gouvernement qui, en dehors de la baisse du taux de TVA sur les travaux, que je réclamais pour ma part depuis des années, n'a rien fait en leur faveur. Pourtant, si l'artisanat n'a pas l'attrait de la nouvelle économie, il occupe une place particulière en raison de son caractère transversal. Ses deux millions d'entreprises -35 % du total des entreprises françaises- emploient 2,5 millions de personnes et dégagent 370 milliards de valeur ajoutée. Il est donc légitime d'affirmer que l'artisanat est la première entreprise de France.

M. Bernard Accoyer - Tout à fait !

M. Nicolas Forissier - Hélas, malgré la bonne volonté de Mme Lebranchu, il n'y a pas en France de politique de l'artisanat : le budget du secrétariat d'Etat ne cesse de diminuer, la simplification administrative demeure l'Arlésienne, pire, on renforce l'insécurité juridique et fiscale, y compris à l'occasion de bonnes mesures, comme la baisse du taux de TVA, dont les modalités d'application sont d'une complexité extrême. Comment ne pas évoquer aussi les 35 heures, dont l'application sera désastreuse car elle ira à l'encontre des besoins et de la réalité de ces entreprises comme de leurs salariés ? Le Gouvernement a aussi délibérément laissé de côté l'importante question de la transmission. Il n'a pas mesuré l'importance d'une réflexion globale sur l'environnement juridique et fiscal des entreprises, sur l'apprentissage, sur la formation. Bref, rien de sérieux n'a été fait depuis la loi Raffarin de 1996, en dehors de la création du Fonds de promotion du commerce et de l'artisanat, qui n'est que la reprise d'une idée de M. Raffarin.

En repoussant, au seul motif qu'elles émanent de l'opposition, des propositions constructives, qui répondent au v_u de milliers de Françaises et de Français, vous allez, une fois de plus, manquer le rendez-vous avec l'artisanat.

Pour sa part, le groupe Démocratie libérale apportera tout son soutien à ces deux textes (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF).

M. Georges Sarre - Au nom de mes collègues du Mouvement des Citoyens, je tiens à apporter mon soutien aux objectifs poursuivis par la proposition de notre collègue Nicole Catala.

Un premier pas avait été franchi, en 1982, lorsque André Delelis avait fait voter une loi modifiant le code du commerce afin de mieux protéger les intérêts des conjoints auxquels était reconnue la faculté d'être soit collaborateur, soit salarié, soit associé d'une entreprise artisanale. Mais seuls étaient concernés les époux qui avaient organisé juridiquement leur coopération.

Or il est temps que les conjoints qui participent pleinement, sans statut juridique déterminé, à l'expansion des entreprises, bénéficient d'une protection et que soient ainsi évitées des situations dramatiques pour de nombreuses épouses d'entrepreneurs individuels, une fois la situation du ménage modifiée.

On peut déplorer que cette proposition n'ait pas de portée générale puisqu'elle laisse la faculté aux époux d'ordonner explicitement leurs rapports professionnels. Aussi conviendrait-il, si ce texte était adopté, que l'information soit la plus complète et la plus large possible, afin que les conjoints puissent choisir en sachant que quelque chose a changé dans notre droit.

Le principe qui guide la proposition de nos collègues Accoyer, Martin et Debré est également louable : il s'agit de préserver les conjoints de chefs d'entreprises artisanales ou commerciales des établissements de crédit et de leur exigence exorbitant d'une caution solidaire du conjoint, qui peut mettre en difficulté non seulement le chef d'entreprise, mais aussi l'ensemble de sa famille.

Laisser aux entrepreneurs individuels, comme aux salariés, une quotité disponible est une bonne idée ; augmenter la valeur du bien de famille insaisissable aussi, car notre législation presque centenaire, qui correspondait à la dominante agricole d'alors, est désormais dépassée.

Il eût fallu néanmoins aller plus loin et ne pas écarter l'idée d'interdire aux banques d'exiger une caution solidaire du conjoint, du moins dans le cas où les époux ne se sont pas donné mandat réciproque au sens de la proposition Catala. Prétendre que cela raréfierait le crédit aux PME est un raisonnement ulra-libéral, qui repose sur le postulat que les banques jouent pleinement leur rôle quand l'environnement réglementaire est aussi souple que possible. Or, en France, la réalité est autre. Les banques prêtent peu aux PME, sauf à celles qui occupent des créneaux spéculatifs où les profits sont supposés plus importants et plus rapides : l'immobilier hier, la net-économie aujourd'hui. Dans l'optique actuelle des marchés financiers, la prise de risque doit être minimale, et l'économie virtuelle est toujours préférée au développement productif et à l'emploi.

C'est pourquoi il fallait avoir le courage d'interdire la pratique abusive du cautionnement solidaire, qui est un frein à la création d'entreprise et une preuve du malthusianisme des établissements de crédit.

MM. Jean-Paul Charié et Yves Bur - Très bien !

M. Georges Sarre - Je note toutefois une erreur technique, puisque le code du travail, auquel se rattache l'article premier de la proposition Accoyer, ne s'applique pas aux entrepreneurs individuels pour eux-mêmes et pour leur conjoint.

Je souhaite vraiment que le Gouvernement se saisisse de ce dossier et, puisqu'il semble que ces deux propositions seront repoussées, qu'il engage une très large concertation avec les organisations professionnelles du secteur afin qu'un texte nous soit soumis au cours de la prochaine session.

M. Yves Bur - Le présent débat concerne très directement la vie professionnelle et privée de centaines de milliers d'artisans et de commerçants, qui sont les premiers employeurs de notre pays. Ce secteur économique recèle un important gisement d'emplois et les pouvoirs publics doivent prendre conscience que ces professionnels méritent davantage de considération. Plutôt que de leur imposer la réduction du temps de travail dans les mêmes conditions qu'aux grandes entreprises, nous devons être plus attentifs aux besoins qu'expriment leurs organisations professionnelles.

Résoudre le problème récurrent du patrimoine des artisans et des commerçants, et de la coopération entre époux, redonnerait confiance à ces professionnels indépendants et leur permettrait de développer leurs activités. Je remercie donc Bernard Accoyer et Nicole Catala d'avoir ouvert le débat grâce à leurs propositions de loi, ce qui nous permettra peut-être d'avancer enfin, malgré les réticences de la majorité.

Pour les entreprises artisanales ou commerciales, les difficultés liées aux conditions d'accès au crédit sont anciennes. Ainsi, M. Jean Menu les mentionnait dès 1981 dans son rapport sur « la maîtrise de la croissance des entreprises nouvellement créées ». En 1993, des propositions conformes aux attentes de l'UPA permettant notamment à l'entrepreneur individuel d'affecter une partie de son patrimoine à l'exploitation de son entreprise, étaient formulées dans le rapport Barthélémy au Conseil économique et social.

Malheureusement, malgré ces propositions très argumentées, et les nombreuses interpellations des parlementaires, les gouvernements successifs n'ont pas redéfini l'organisation juridique de l'entreprise individuelle et les difficultés qu'ont ces entrepreneurs d'obtenir des crédits subsistent. Ceux d'entre nous qui ont créé leur propre entreprise y ont été personnellement confrontés. Qu'il s'agisse de créer une entreprise ou de la développer, les établissements bancaires sont toujours aussi frileux pour accompagner des entrepreneurs dynamiques, exigeant de leur part des garanties absolues. La pratique du cautionnement solidaire du conjoint est devenue la règle. De la sorte, la première défaillance de l'emprunteur, risque de mettre en péril l'équilibre financier de la famille, puisque le patrimoine familial devient alors saisissable dans sa totalité. Cette situation concerne aussi les petites sociétés, telles que les SARL ou les SCP. Faute de céder aux exigences des banques, le crédit demandé pourra être refusé.

Dès lors, comment s'étonner du manque d'initiatives dans notre pays ou du sentiment d'abandon qu'éprouvent commerçants et artisans désireux d'entreprendre ?

La semaine dernière encore, j'ai eu connaissance d'un refus de prêt de 400 000 F nécessaire pour une association dans une société civile professionnelle économiquement saine et ne présentant aucun risque prévisible. Ce refus était motivé par le simple fait que la future associée, vivant en concubinage, ne pouvait présenter des garanties suffisantes en dehors de la caution solidaire !

Cette pratique du cautionnement solidaire par le conjoint réduit à néant la protection qu'apportent les régimes matrimoniaux de séparation de biens. Ainsi, en cas de mariage sous le régime de la communauté, à la dissolution des liens du mariage, le conjoint bénéficie de la moitié de la valeur de l'entreprise, mais le cautionnement solidaire lui fait supporter, en cas de difficultés de l'entreprise de son ancien conjoint, l'intégralité des dettes pour le bien garanti. Cette injustice ne peut plus durer.

Il est temps de mettre fin à ces pratiques qui peuvent conduire des familles au désespoir et qui freinent le dynamisme des entreprises, déjà entravé par les lourdeurs administratives.

La proposition de loi de Bernard Accoyer comporte deux dispositions destinées à mieux protéger le patrimoine des artisans et commerçants. La première consiste à étendre aux revenus de l'entrepreneur individuel le principe d'insaisissabilité partielle des salaires inscrit dans le code du travail. Elle est complétée par un relèvement à 800 000 F de la valeur du bien de famille insaisissable, dont le régime a été fixé par la loi du 12 juillet 1909.

Même si ces propositions doivent être affinées, elles ont le mérite d'ouvrir le débat. Mais il faut aller plus loin et reprendre les conclusions du rapport Barthélémy pour redéfinir le cadre juridique de l'entreprise individuelle. En effet, la confusion des biens affectés à l'activité professionnelle et du patrimoine personnel, résultant de l'absence de personnalité morale de l'entreprise individuelle, n'est plus acceptable. En effet, en cas de défaillance, tout le patrimoine est concerné par la procédure de liquidation !

Si nous considérons toujours que l'entreprise individuelle est indispensable, car elle favorise la répartition des emplois sur tout le territoire, il est temps de passer aux actes. Comme le souhaitent les organisations professionnelles, il appartient au Gouvernement d'appliquer les propositions du rapport Barthélémy qui autorisent l'entrepreneur à isoler une part de son patrimoine nécessaire à l'exploitation de son entreprise. Cette séparation limiterait la responsabilité de l'artisan ou du commerçant à concurrence de son apport et préserverait son patrimoine privé.

Le problème des relations des travailleurs indépendants avec leur banque ne serait pas pour autant résolu. Il ne saurait être question d'interdire aux établissements de crédit le recours à la caution solidaire du conjoint, car cela risquerait de restreindre ou de renchérir l'accès au crédit.

Cependant, en étendant aux artisans et aux commerçants les garanties accordées aux salariés et aux fonctionnaires dont une partie de la rémunération est insaisissable, nous instaurerions un nouvel équilibre dans la relation entrepreneur individuel-banque, jusqu'à présent toujours déséquilibrée au profit de la banque qui se comporte trop souvent comme un prêteur sur gage plutôt que comme un entrepreneur partenaire.

Ce nouvel équilibre pourrait être complété par un recours plus systématique au cautionnement mutuel, qui éviterait aux emprunteurs d'exposer leur patrimoine privé pour créer une entreprise. Nous attendons, Madame la ministre, que les réflexions annoncées lors des assises de la création d'entreprise aboutissent rapidement. La caution accordée par des organismes tels que les SOCAMAS ou la SOFARIS doit pouvoir se substituer, pour les petites entreprises de type familial, à la garantie hypothécaire ou à la caution solidaire du conjoint.

Il se crée beaucoup moins d'entreprises en France que dans d'autres pays. Cette situation ne changera que si les créateurs d'entreprise ont l'assurance qu'il ne leur sera pas demandé de sacrifier, outre leur peine et leur temps, leur patrimoine et celui de leur famille. Plutôt que d'attendre un éventuel grand débat qui remettra tout à plat, saisissons l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui d'apporter au cadre juridique de l'entreprise artisanale et commerciale les améliorations rendues nécessaires par les exigences de l'environnement économique. En protégeant mieux nos artisans, nos commerçants et aussi leurs familles, contre les aléas inhérents à la vie des entreprises, nous leur donnons un signe fort qui profitera à l'activité économique et à l'emploi. C'est la raison pour laquelle le groupe UDF votera cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

M. Daniel Paul - Nos collègues RPR soulèvent deux problèmes majeurs qui méritent d'être pris très au sérieux.

M. Bernard Accoyer - Jusque là, nous sommes d'accord !

M. Daniel Paul - Ca ne va pas durer !

Il est en effet légitime de mieux protéger le patrimoine des artisans et commerçants et d'offrir aux femmes exerçant une activité dans l'entreprise familiale un véritable statut professionnel et social.

En revanche, nous sommes très réservés sur les solutions proposées.

M. Yves Bur - Ça se gâte !

M. Daniel Paul - La question du statut du conjoint des professions libérales mériterait d'être traitée à part. Le fait que la plupart des conjoints de travailleurs indépendants ne choisissent aucun des statuts existants est préoccupant. Doit-on pour autant considérer que ces statuts seraient mauvais ou définitivement inadaptés ?

La faible proportion de commerçants ou d'artisans qui choisissent, par exemple, le régime juridique de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée tient-elle aux limites de ce statut quant à la prise en considération du conjoint, ou n'est-elle pas plutôt liée à un manque d'information et de formation ? Ne faut-il pas améliorer l'accompagnement juridique du chef d'entreprise ?

Toutes ces questions justifient un approfondissement du débat en concertation avec les professions, afin que des mesures efficaces soient prises dans les meilleurs délais.

La situation de ces chefs d'entreprise et de ces milliers de femmes brusquement plongés dans la détresse ne peut laisser la collectivité indifférente. La Secrétaire d'Etat au commerce et à l'artisanat a ouvert des pistes de réflexion et d'action. Il est temps maintenant de traiter ce dossier.

Le secteur du commerce et de l'artisanat contribue, de manière irremplaçable, à la satisfaction des besoins de la population et à l'aménagement du territoire. Avec ses 800 000 entreprises, il représente un important gisement d'emplois.

Il reste beaucoup à faire pour que la création d'une entreprise par un salarié ou par un chômeur ne s'apparente plus à un parcours d'obstacles vécu dans la solitude.

Contrairement aux partisans de l'ultra libéralisme, nous n'opposons pas l'indispensable liberté d'initiative aux garanties individuelles et collectives que les artisans et les commerçants peuvent légitimement revendiquer.

M. Bernard Accoyer - Alors votez notre proposition de loi !

M. Daniel Paul - C'est dire la nécessité de mutualiser les risques, qui sont la contrepartie de la liberté d'initiative. Il est indispensable de définir un cadre favorable à la création et au développement de la petite entreprise, et de garantir à ceux qui s'engagent dans une aventure dont la collectivité reconnaît la légitimité, qu'ils pourront continuer à apporter leur contribution à la société y compris en cas d'échec de leur projet.

Si les salariés sont les premiers soumis aux aléas économiques et méritent à ce titre une protection particulière, c'est dans tous les secteurs de la société qu'il faut en finir avec la régulation par le chômage de l'activité économique. La sécurité de l'emploi et de la formation doit être garantie à tous pour nous débarrasser enfin de cette précarité qui est source de tant de gâchis et de souffrances humaines, et le droit à l'assurance maladie et à la retraite, conquis de haute lutte, a assez contribué au développement économique de notre pays pour qu'on mesure tout l'intérêt qu'il y aurait à étendre la sécurité sociale à ce premier aléa de la vie que constitue le chômage.

Si donc nous sommes favorables à de nouveaux droits pour les artisans et commerçants, la transposition des articles du code du travail relatifs à la saisie des rémunérations ne nous semble ni pertinente, ni même possible en pratique. Nous aussi, nous condamnons l'attitude des banques qui subordonnent tout octroi de prêt à un cautionnement solidaire, mais revisiter une vieille loi de 1909 marquée de l'empreinte d'une époque où les femmes étaient encore juridiquement incapables, ne nous semble vraiment pas la meilleure formule.

M. Jean-Paul Charié - Pourquoi ?

M. Daniel Paul - Rendre insaisissable le bien de famille jusqu'à 800 000 F ne risque-t-il pas d'ailleurs de limiter l'accès au crédit autant que le ferait une interdiction pure et simple du cautionnement solidaire ?

M. le Rapporteur - Mais que proposez-vous ?

M. Daniel Paul - C'est la relation entre le secteur bancaire et l'ensemble des PME qu'il faut changer. La part croissante prise par les marchés financiers dans le financement de l'économie a eu pour contrepartie un recul du crédit bancaire, une sélectivité accrue des prêts et des exigences de retour sur investissement incompatibles avec le développement de l'emploi. Des outils de financement spécifiques ou de mutualisation du risque lié au crédit ont certes été mis en place, mais de manière vraiment par trop subsidiaire. Aussi proposons-nous de mobiliser le pôle financier public, non pour remédier aux lacunes du secteur bancaire, mais pour encourager les coopérations en vue de financements alternatifs. L'action au demeurant positive de la Banque de développement des PME mériterait ainsi d'être fortement développée. Cette relance sélective du crédit, à des taux d'autant plus bas qu'il s'agirait de financer des projets en faveur de l'emploi et de la formation, pourrait être amorcée par une réorientation d'une partie des aides publiques à l'emploi et trouverait son plein développement dans un refinancement par la politique monétaire.

Si l'interdiction de saisir le domicile principal doit donc rapidement devenir effective, il faut améliorer la mutualisation du risque en y associant largement les professions concernées.

Nous sommes aussi peu convaincus par le nouveau statut de la coopération professionnelle que par la première proposition. Il est en effet paradoxal d'affirmer le principe d'un statut juridique... qui ne s'appliquerait que par défaut, dans les seuls cas où les partenaires n'auraient rien dit du contenu qu'ils souhaitaient donner à leur coopération professionnelle.

De surcroît, outre que ces dispositions entraîneraient de nouvelles difficultés juridiques, elles apparaissent très en retrait par rapport aux formes d'organisation juridique instituées par la loi de 1982.

En rappelant son v_u de voir le Gouvernement prendre des initiatives auxquelles la représentation nationale serait pleinement associée, notre groupe émettra pour toutes ces raisons un vote négatif (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste).

M. Germain Gengenwin - Quel dommage !

M. Philippe Martin - Ces deux propositions répondent incontestablement à l'attente des artisans et commerçants de notre pays, qui apportent à l'emploi et à la revitalisation des zones rurales une contribution essentielle. Elles aideront tous les entrepreneurs individuels, confrontés à des difficultés administratives et financières sans nombre et qui ont besoin d'emprunter pour poursuivre leur activité.

Le monde artisanal est très attaché à son organisation de type familial et les formules de la SARL ou de l'ERL y sont rarement utilisées. De ce fait, les banques n'accordent jamais un prêt à ces professionnels sans recourir au cautionnement solidaire, qu'elles mettent en _uvre à la première défaillance, quitte à mettre en péril l'équilibre financier de toute une famille, voire à faire saisir le patrimoine de celle-ci. De telles pratiques engendrent un désarroi bien compréhensible.

De surcroît, elles se soldent par un détournement de la protection apportée par les régimes matrimoniaux de la séparation de biens. Et, en cas de mariage sous le régime de la communauté, si le conjoint reçoit la moitié de l'entreprise en cas de dissolution de l'union, le cautionnement solidaire lui fait supporter la totalité des dettes en cas de défaillance de l'entreprise. Ce mécanisme apparaît donc tout à fait discriminatoire à l'égard des entreprises familiales, soumises par ailleurs à de multiples contraintes dont la dernière et non la moindre résulte du passage obligatoire aux 35 heures.

Je vous ai interrogée sur le sujet le 20 octobre, Madame la secrétaire d'Etat : vous m'avez répondu qu'une concertation était en cours, qu'une solution serait rapidement trouvée. Mais qu'attendez-vous encore ? Nous sommes à la fin de mai et il vous faut une initiative de l'opposition pour que vous vous préoccupiez enfin de ce problème de cautionnement -dans une mesure d'ailleurs très relative puisque vous refusez l'examen de nos propositions. Quel cas faites-vous donc de l'initiative parlementaire ?

M. Vidalies a annoncé en commission que le Gouvernement déposerait un amendement au projet sur les nouvelles régulations économiques, pour empêcher la saisie du patrimoine des artisans et commerçants. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le Gouvernement, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, parle beaucoup mais n'agit pas : ce texte déjà examiné par nous en première lecture, ne pourra l'être par le Sénat avant l'automne, au mieux.

M. Jean-Paul Charié - Scandaleux !

M. Philippe Martin - En réalité, vous refusez de résoudre les problèmes concrets rencontrés par les artisans et commerçants.

Pour notre part, nous ne saurions plus accepter qu'à la moindre défaillance de ces entrepreneurs, l'ensemble de leur revenu et de leur patrimoine devienne saisissable. Selon des statistiques récentes, ces défaillances sont à l'origine du quart des cessations d'activité dans ces secteurs et elles ont entraîné en moyenne la suppression de trois emplois. On ne peut certes interdire aux banques de recourir au cautionnement solidaire -cela ne ferait que raréfier encore le crédit-, mais nous proposons, à l'instar de ce qui est fait pour les salariés, d'instituer une sorte de minimum vital au bénéfice de l'entrepreneur.individuel, et nous suggérons des solutions pour préserver le patrimoine privé en cas de difficultés. Ces deux mesures relèvent de l'équité, pour le chef d'entreprise comme pour le salarié.

L'article premier a été conçu pour que l'entrepreneur privé ne soit plus pris dans la spirale de la faillite, comme c'est trop souvent le cas lorsque la totalité de son solde créditeur est saisi. Amendée par le rapporteur, cette disposition garantirait à l'intéressé un revenu décent et lui permettrait de poursuivre son activité en faisant face à ses échéances.

La question de la préservation du patrimoine privé, traitée à l'article 2, n'avait jusqu'ici fait l'objet que d'un traitement partiel, à travers la loi de juillet 1985 sur l'ERL et la loi Madelin de février 1994. La mesure que nous proposons vise à préserver le logement familial en cas de difficulté d'exploitation. Renforcée par une proposition du rapporteur, elle permettra de faire une séparation entre patrimoine professionnel et patrimoine personnel, rendant ainsi les commerçants et artisans moins vulnérables.

Les entrepreneurs individuels sont les premiers entrepreneurs du pays et contribuent considérablement au dynamisme de l'économie locale. Il nous appartient de renforcer ce rôle en votant ces deux propositions (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Hélène Mignon - Ces deux propositions de loi touchent à certaines difficultés rencontrées par les artisans, les commerçants et les personnes exerçant une profession libérale, ainsi que par leurs conjoints.

Ces dernières années, certaines dispositions particulières ont été prises pour préciser la situation des conjoints.

Ainsi, pour les exploitants agricoles, le code rural prévoit que lorsque les époux exploitent ensemble et pour leur compte un même fonds, ils sont présumés s'être donné réciproquement mandat d'accomplir les actes d'administration concernant les besoins de l'exploitation. Lorsque l'un des époux apporte simplement sa collaboration à l'autre, l'exploitant est présumé lui avoir donné mandat.

Pour les artisans et commerçants, la loi de juillet 1982 permet aux conjoints de choisir entre les statuts de salarié, de collaborateur et d'associé. Mais ces dispositions sont méconnues, et 30 à 40 % des femmes d'artisans demeurent en dehors de ces trois statuts. C'est malheureusement souvent après le décès du mari ou un divorce que la nécessité d'un statut apparaît, la femme devant prouver qu'elle a travaillé dans l'entreprise.

Les professionnels rejettent parfois l'idée d'un statut qui, selon eux, entraînerait une charge financière trop lourde. Surtout, les conjointes d'artisans et de commerçants -qui en général ne décident pas seules- mettent en évidence le manque d'information. Elles souhaiteraient que lors de la création d'une entreprise, on leur donne connaissance des statuts possibles. Ensuite, une information régulière pourrait être apportée ; en effet beaucoup de femmes, à l'occasion de la naissance d'un enfant, abandonnent leur activité propre pour rejoindre l'entreprise familiale, espérant pouvoir ainsi concilier vie professionnelle et vie familiale.

Les conjointes de professionnels libéraux, dont le statut social a longtemps été conféré par le mariage -on était femme de médecin, femme de notaire- ont été écartées des mesures prises successivement ces dernières années. Pourtant elles rencontrent les mêmes problèmes que les autres, en particulier en cas de séparation ou de divorce. Par ailleurs, leur travail doit être reconnu, comme le souhaite une association de conjointes de médecins que j'ai rencontrée récemment ; en effet, en assurant souvent la gestion du cabinet, en accueillant la clientèle, en répondant au téléphone, elles exercent une véritable activité professionnelle ; l'une de leurs principales préoccupations est de bénéficier d'une retraite décente. Elles demandent également à pouvoir suivre des formations, en bénéficiant des mêmes financements que les conjoints d'artisans et de commerçants.

La proposition de loi de M. Accoyer veut limiter les effets néfastes de la mise en _uvre par les établissements de crédit des cautions solidaires des épouses en revalorisant le plafond fixé par la loi du 12 juillet 1909 sur la constitution d'un bien de famille insaisissable. Au moment de son adoption, cette loi visait à empêcher le démembrement des biens de famille ; elle ne constitue pas un support adapté aux préoccupations formulées par les conjointes de professions indépendantes.

Il ne me paraît d'ailleurs pas opportun de prendre appui sur une loi rédigée à une époque où la femme mariée était juridiquement incapable. Enfin, la constitution d'un fonds de commerce ou d'un fonds artisanal en bien de famille insaisissable restreint le droit de gage général des créanciers sur le patrimoine ; la disposition proposée risquerait donc de raréfier l'offre de crédit.

La proposition de loi de Mme Catala ne répond pas davantage aux préoccupations formulées par les conjointes.

En effet, en établissant une solidarité entre époux à l'égard des dettes nées des actes accomplis par le conjoint en qualité d'exploitant, elle supprime le statut protecteur dont bénéficie l'épouse.

Mme la Rapporteuse - Cette solidarité existe déjà en fait !

Mme Hélène Mignon - En outre, l'objectif poursuivi est inverse de celui qui est recherché par la proposition de loi de M. Accoyer, qui stigmatise les demandes systématiques de cautions solidaires par les établissements de crédit.

Mme la Rapporteuse - Les deux textes sont complémentaires !

Mme Hélène Mignon - Bref, il faut protéger le patrimoine des artisans et des commerçants, mais en veillant à ne pas restreindre l'offre de crédit ; développer l'information sur les statuts du conjoint de travailleur indépendant ; inciter tous les conjoints à choisir un statut ; doter les conjointes de professions libérales d'un statut similaire à celui des autres professions. Toutes ces mesures sont à l'étude au secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises.

Sur le problème de la caution solidaire, Madame la ministre, vous nous avez fait connaître, lors d'une audition devant la Délégation aux droits des femmes les pistes que vous souhaitiez explorer. Vous nous avez dit devoir rencontrer l'association française des banques à ce sujet.

A l'écoute des professionnels, le Gouvernement poursuit sa réflexion afin de prendre les initiatives nécessaires pour conforter le désir d'entreprendre et de travailler en famille, mais dans des conditions qui ne mettent en péril ni la vie familiale ni la vie sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Germain Gengenwin - Je veux d'abord exprimer ma satisfaction de voir enfin examiner aujourd'hui un texte prévoyant un nouveau statut du conjoint collaborateur, car j'ai parfois le sentiment de vérifier la justesse de la déclaration d'un ancien collègue : « Ce qui est promis reste promis » (Sourires). La proposition de loi de notre collègue, Nicole Catala, répond en effet au problème de beaucoup d'épouses qui, n'ayant opté pour aucun des trois statuts existants, n'ont pas de protection sociale spécifique. Moins de 10 % des conjoints de travailleurs indépendants disposent actuellement d'un statut légal. Je salue au passage la mobilisation de l'association des femmes d'artisans d'Alsace qui m'a sensibilisé très tôt à ce problème. Je m'étonne du silence des pouvoirs publics sur cette question, évoquée très régulièrement ici même depuis 1980 et par moi-même à l'occasion de chaque examen de votre budget depuis 1997.

Certes, la loi du 4 juillet 1980 pour les conjoints d'agriculteurs et la loi du 10 juillet 1982 pour les conjoints de commerçants et d'artisans ont jeté les bases d'une première reconnaissance légale du travail professionnel exercé dans les familles ; mais ces textes ont souvent été ignorés des épouses, comme en témoigne le fait que 10 % d'entre elles seulement sont réellement protégées.

Le législateur avait fait le choix de dispositifs incitatifs, manifestement inefficaces, puisqu'à défaut d'une manifestation de volonté expresse et de convention explicite, c'est la charte matrimoniale qui s'applique.

Or, chacun le sait, les régimes matrimoniaux ne prennent pas en compte l'exercice d'une activité professionnelle commune par les époux.

Tout l'intérêt de la proposition est d'appréhender l'organisation de l'entreprise conjugale quels que soient le régime matrimonial et l'activité exercée, dans le cas où les époux n'ont pas explicitement ordonné leurs rapports professionnels ou déclaré s'en tenir à l'application de leur charte matrimoniale.

Il s'agit, par cette proposition, de donner dorénavant la possibilité aux conjoints d'opter pour un régime de coexploitants et de reconnaître, enfin, le rôle des épouses dans la vie de l'entreprise de leur mari, en consacrant de nouvelles relations de travail entre les époux.

Plus que jamais, la PME familiale contribue à la croissance économique et à l'emploi dans notre pays.

Ne pas associer les épouses-collaborateurs à cette croissance, à la création de laquelle elles participent largement, procède d'une conception injuste du travail qu'elles accomplissent, cantonnées qu'elles sont dans un rôle auxiliaire.

Elles sont pourtant l'armée des ombres.

Mme la Rapporteuse - Très belle expression !

M. Germain Gengenwin - ...fourmis infatigables, que notre société, en toute bonne conscience, qualifie de « sans profession », elles qui, communément, consacrent plus de dix heures par jour à la bonne marche de l'entreprise familiale.

La directive européenne du 11 décembre 1986 relative à l'égalité entre les hommes et les femmes et notre droit interne qui ne cesse de réaffirmer ce principe nous disent qu'il est plus que temps de mettre fin à la précarité de la situation de ces femmes.

En créant le statut de coexploitant, le législateur permettrait d'instituer une collaboration véritablement égalitaire.

A l'heure actuelle, c'est uniquement par la constitution d'une société que la coexploitation peut être régie juridiquement. Les époux doivent avoir la possibilité d'organiser juridiquement leur coexploitation sans avoir à créer une société.

De même, le contrat de travail est le passage obligé pour nombre d'épouses qui souhaitent bénéficier d'une couverture sociale. Elles sont donc placées de facto en situation de subordination, ce qui ne reflète pas la réalité de leur rôle dans l'entreprise familiale.

Il faut enfin donner aux épouses sans statut de véritables droits personnels, à la hauteur des devoirs qu'elles assument. Pour l'instant, elles ne bénéficient d'aucune couverture sociale propre. Elles ne sont que les ayants droit du chef d'entreprise. Elles ne perçoivent aucune indemnité journalière en cas d'arrêt pour maladie ou maternité et elles ne peuvent prétendre aux indemnités de chômage. Quant à celles qui sont conjoints-collaborateurs, leurs droits sont également réduits à la portion congrue.

Cette précarité s'aggrave encore lors de la rupture du lien matrimonial quand, après de longues années d'activité commune, l'épouse se trouve totalement démunie à un âge où le marché du travail ne lui est pas favorable.

La proposition instaure également un droit à rémunération, ce qui rend le conjoint autonome.

J'approuve le dispositif de qualité proposé par Mme Catala car il consacre enfin l'idée que le travail familial n'est pas forcément gratuit et qu'il doit être assorti des droits les plus élémentaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

Mme la Rapporteuse - Je vous remercie, Monsieur Gengenwin.

Mme Marie-Hélène Aubert - Je suis particulièrement sensible à la proposition de Mme Catala, en tant qu'écologiste, que femme et qu'élue d'une circonscription rurale. Sans insister plus que nécessaire sur le slogan « small is beautiful », je suis en effet convaincue que les micro-entreprises ont un avenir, et qu'il faut favoriser leur développement harmonieux. Je suis tout aussi sensible, personne ne s'en étonnera, à la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, même si le choix fait ici du cadre du mariage ne me semble pas le meilleur. Enfin, comme tous mes collègues parlementaires, j'ai à connaître, dans ma circonscription, de situations dramatiques affectant des femmes qui ont, toute leur vie, aidé leur mari et qui, pour des raisons diverses, se trouvent complètement démunies.

Il est inacceptable qu'une situation jugée inadmissible partout ailleurs soit tolérée dans la sphère privée. Cela traduit une conception patriarcale du mariage.

Par les lois de 1980, de 1982 et, plus récemment, la loi d'orientation agricole, on s'est efforcé d'améliorer quelque peu la situation, mais le problème d'ensemble n'a pas été résolu, car seules certaines catégories de conjoints collaborateurs sont visées et, surtout, parce que le dispositif mis au point n'est pas obligatoire, si bien que de nombreuses femmes s'en sont désintéressées. Il importe donc, en premier lieu, de définir un statut obligatoire pour tous les conjoints collaborateurs, dont on sait la situation précaire. C'est donc une bonne initiative que cette proposition, mais les réponses qu'elle apporte aux problèmes, réels, évoqués, sont-elles les bonnes ? Pour certaines, oui, sans aucun doute. Il en est ainsi du régime obligatoire de coexploitant, du mandat réciproque ou du droit à rémunération, même si son application n'ira pas sans soulever des difficultés d'ordre juridique. Le texte permet également un progrès pour les épouses conjointes de personnes exerçant une profession libérale.

Mais pourquoi insérer ces dispositions dans le droit du mariage ? Qu'en est-il des couples qui vivent en union libre ?

M. Bernard Accoyer - Discutons des articles !

Mme Marie-Hélène Aubert - Il reste encore à s'assurer que le nouveau texte sera mieux connu, et donc mieux appliqué que la loi de 1982. Quoi qu'il en soit, cette proposition, même si elle ne règle pas le problème d'ensemble, contribue utilement à la réflexion. Nous ne pouvons nous satisfaire plus longtemps d'une situation qui légitime, qu'on le veuille ou non, ce qui n'est rien d'autre qu'une forme de travail au noir.

Je regrette que la proposition soit soumise à un vote global, et nous nous abstiendrons donc, en dépit de certains progrès que permettrait ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe RCV ; Mme Catala applaudit).

M. Jean-Claude Daniel - L'exposé des motifs de la proposition relative à la protection du patrimoine des artisans et des commerçants rappelle que ces derniers ont très fréquemment recours à l'emprunt pour assurer le développement de leurs entreprises. J'ajouterai qu'il leur faut, le plus souvent, emprunter pour les créer ! Les banques exigeant la caution solidaire du conjoint, nous avons tous connaissance de la situation tragique de familles dont l'intégralité du patrimoine est mis en péril, résidence principale comprise.

Mme la Rapporteuse - C'est bien pourquoi il faut adopter notre proposition !

M. Jean-Claude Daniel - Il est vrai que des mesures doivent être prises d'urgence. Encore doivent-elles être à la hauteur des attentes. Le Gouvernement a déjà pris des engagements ; il faudra aller plus loin.

Même si vos objectifs sont aussi les nôtres, les mesures proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux et risquent d'avoir les effets inverses que ceux que vous escomptez.

Ainsi, la proposition tendant à protéger le patrimoine des artisans et commerçants a pour buts de rendre insaisissable une partie de leurs revenus, de préserver les biens familiaux et de limiter le recours à la caution solidaire. Qui ne souscrirait à ces objectifs ? Mais vous proposez d'appliquer à l'entrepreneur individuel le dispositif de l'article L. 145-1 du code du travail, qui porte sur la rémunération des salariés. Or les artisans et les commerçants, à la différence des salariés, perçoivent des règlements de manière aléatoire et une partie seulement de ces sommes constitue leur rémunération. Le calcul de la part saisissable est donc impossible et votre dispositif inapplicable.

Vous proposez en outre de revaloriser le plafond fixé par la loi du 12 juillet 1909, adoptée à l'époque pour assurer la sécurité du foyer familial, enrayer l'exode rural et, au plan successoral, empêcher le démembrement des biens de famille. Mais la conversion d'un fonds de commerce en bien de famille restreint l'action du créancier, ce qui risque de raréfier l'offre de crédit et par là d'empêcher le financement des entreprises individuelles.

S'agissant de la coopération professionnelle entre époux, de nombreuses situations sont déjà réglées par des législations particulières -ce qui pose d'ailleurs le problème de leur compatibilité avec le dispositif général proposé.

Le statut des époux exploitants agricoles est régi par le code rural, qui prévoit deux situations. Selon son article L. 321-1 premier alinéa, lorsque les deux époux exploitent ensemble et pour leur compte un même fonds agricole, ils sont présumés s'être donné réciproquement mandat d'accomplir les actes d'administration concernant les besoins de l'exploitation. Selon le deuxième alinéa du même article, lorsqu'un des époux apporte simplement sa collaboration à l'autre, l'exploitant est présumé avoir donné à son conjoint mandat de passer tous les actes d'administration concernant les biens de l'exploitation.

Le statut des conjoints d'artisans et commerçants est régi par la loi du 10 juillet 1982, qui propose aux conjoints le choix entre trois statuts professionnels : salarié, collaborateur ou associé. Cette loi confère au conjoint collaborateur un mandat légal. Sa collaboration ainsi que la révocation du mandat supposent une mention spéciale au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers.

Votre proposition tend à établir une solidarité entre époux à l'égard des dettes nées des actes accomplis par son conjoint en qualité d'exploitant. De ce fait, elle supprime le statut protecteur dont bénéficie l'épouse.

Elle remet aussi en cause la « présomption de non-commercialité » posée par l'article 4 du code du commerce, qui empêche le créancier d'obtenir l'extension, à l'encontre de l'épouse, de la procédure collective. En instituant une solidarité systématique entre époux, vous allez en outre contre l'objectif de M. Accoyer, qui souhaite par sa proposition limiter les conséquences de la caution solidaire.

Les banques, considérant comme particulièrement risqué le crédit aux très petites entreprises, réclament de telles cautions non seulement aux travailleurs indépendants, mais aussi aux dirigeants de sociétés. Elles contournent le statut de SARL en exigeant un engagement du conjoint.

Il faut donc prendre en compte la situation des petites entreprises dans leur ensemble, quel que soit le statut, tout en veillant à ne pas restreindre l'offre de crédit. Le recours à la garantie SOFARIS et le développement du cautionnement mutuel constituent des réponses intéressantes, mais pas suffisantes. Il faut que les chambres consulaires informent les conjoints des possibilités qui existent déjà dans notre droit.

Nous devons en outre doter d'un statut les conjoints des personnes exerçant une activité libérale.

Malgré les avancées qu'ils contiennent, le groupe socialiste votera contre ces deux textes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation - Je comprends que votre délégation parlementaire aux droits des femmes ait porté intérêt à ces questions, récurrentes depuis l'adoption des lois de 1982 et 1985.

Si la création du statut d'entreprise unique à responsabilité limitée avait suscité quelques espoirs, il s'est révélé difficile de convaincre les entrepreneurs indépendants de l'adopter. De même, peu de conjoints -ou plutôt de conjointes- ont choisi un des trois statuts de la loi de 1982.

On nous a accusé de faire systématiquement obstacle aux propositions de l'opposition. Vous oubliez que c'est sur une de vos initiatives parlementaires que nous avons bâti notre système de sécurité alimentaire (Murmures sur les bancs du groupe du RPR).

M. Bernard Accoyer - Vous avez appliqué le principe de précaution.

Mme la Secrétaire d'Etat - Il nous faut écouter les artisans et leurs associations. L'Union professionnelle artisanale n'est pas favorable à l'adoption d'un statut de coopération professionnelle entre époux, qui risquerait, selon elle, d'aboutir à une présomption d'activité professionnelle du conjoint au sein de chaque entreprise. Si l'intention est bonne, le moyen retenu est donc dangereux, d'autant que beaucoup de conjoints ont aussi une activité professionnelle en dehors de l'entreprise familiale.

L'UPA préférerait donc que nous encouragions les conjointes à choisir un des statuts existants. Mme Catala a déploré l'absence de droits propres au conjoint. C'est surtout sur ce problème que se battent les femmes, aussi, d'ailleurs, que sur celui du partage des points de retraite.

Il est inadmissible que les banques continuent de demander systématiquement des cautions solidaires et nous en avons débattu avec l'association française des banques. Étendre la garantie SOFARIS est une bonne idée, mais nous ne pouvons la rendre obligatoire, car elle relève de 0,6 point le coût du crédit.

Votre proposition, en cas de dépôt de bilan, ne protège que les artisans et commerçants propriétaires, non ceux qui sont locataires de leur logement (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Nous profiterons de l'examen en deuxième lecture du projet relatif aux nouvelles régulations économiques pour protéger le patrimoine des entrepreneurs individuels.

Si ni la gauche ni la droite n'ont trouvé de solution depuis 1985, c'est que chaque formule présente autant d'inconvénients que d'avantages (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe RCV).

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Je veux apporter un courtois démenti à M. Accoyer, qui a affirmé qu'un dispositif avait été adopté à l'unanimité ce matin en commission des lois. La commission des lois s'est réunie deux fois pour examiner ces propositions, conformément à notre Règlement. La semaine dernière, à l'issue d'un large débat avec les rapporteurs, elle a décidé de ne pas déposer de conclusions et donc de ne pas passer à l'examen des articles et des amendements. La procédure législative et le Règlement exigeaient néanmoins qu'elle soit à nouveau convoquée ce matin, au titre de l'article 88, pour examiner les amendements. C'est ce qui a été fait ce matin, juste avant la séance, et bien que j'aie fait valoir aux trois députés présents -Mme Catala, M. Mariani et M. Hunault- qu'il serait incohérent d'adopter des amendements alors que les articles n'avaient été ni discutés, ni votés, je n'ai pas été entendu et les amendements ont été présentés.

M. Bernard Accoyer - C'est ce que j'ai dit ! Et ils ont été adoptés !

M. le Président de la commission - Conformément à l'article 88, la commission les a adoptés, mais sans les incorporer à ses propositions. On ne peut donc dire qu'elle a adopté le dispositif proposé par M. Mariani (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme la Rapporteuse - La majorité est dans une situation paradoxale, puisqu'elle s'apprête à repousser des propositions dont tous ses orateurs ont souligné combien, même si elles sont peut-être imparfaites, elles répondent à l'urgence de porter remède à une situation profondément injuste. On ne peut plus admettre aujourd'hui que des épouses qui ont travaillé pendant des décennies aux côtés de leurs conjoints, allant bien au-delà du devoir d'assistance du mariage, sans aucune rémunération, ne voient ni leur travail reconnu ni même leur patrimoine protégé. C'est à juste titre que Mme Aubert a parlé de « travail au noir ».

Et voilà que l'on nous dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les articles et de passer au vote.

On ne peut dire, par ailleurs, que ces propositions seraient antagonistes parce que l'une vise à protéger le patrimoine des artisans et des commerçants alors que l'autre exposerait davantage le conjoint aux risques de l'exploitation. En effet, le conjoint est d'ores et déjà exposé à ce risque puisqu'il peut se voir poursuivi sur son patrimoine personnel lorsqu'il a apposé sa signature sur l'acte d'emprunt ou lorsqu'il accomplit des actes de commerce. Seuls les 10 % de conjoints qui ont choisi le statut de conjoint collaborateur sont à l'abri.

Ces deux propositions répondent donc à la même logique et au même souci de justice (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. le Rapporteur - J'ai fait un rêve : lorsque j'ai entendu tous les orateurs commencer par dire que ces propositions répondaient à un problème réel et urgent, j'ai cru un instant que nous parviendrions à un consensus et à l'adoption rapide d'un texte qui mettrait fin à ce que les commerçants et les artisans ressentent comme une injustice, surtout quand ils voient que des dirigeants de grandes entreprises, parfois couverts par des ministres, qui ont perdu 120 ou 140 milliards, ne sont pas même sanctionnés (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Le artisans et les commerçants sont les grands oubliés de votre gouvernement, eux qui travaillent bien plus de 35 heures, pendant bien plus de 40 ans, eux qui créent des emplois, qui relancent l'économie.

Certes, ces textes comportaient quelques imperfections, mais nous les avons corrigées, encore ce matin grâce aux amendements qui ont été adoptés.

Je regrette vivement que vous vous apprêtiez à prendre une position hostile au monde des artisans et des commerçants qui, vraiment, ne font pas partie de vos priorités (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme la Secrétaire d'Etat - Si nous voulons travailler pour les artisans et pour les commerçants, il faut d'abord travailler avec eux et les écouter. Or, ils rappellent, à juste titre, que les statuts de conjoint collaborateur ou salarié sont peu choisis parce qu'ils sont complexes, et ils considèrent que la procédure de la constitution de bien de famille serait particulièrement lourde. Ils ont surtout besoin d'éviter le système du cautionnement. A vous entendre, j'ai parfois l'impression que vous souhaitez la nationalisation des banques... (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Ils ne sont pas convaincus que leur protection sera assurée avec ces textes car ils n'auront pas recours à un dispositif aussi complexe. Il convient donc de trouver des solutions souples et de travailler avec eux sur le dossier de la caution solidaire et sur le statut de l'EURL, car c'est là l'essentiel. Les artisans veulent aussi que toute cette réflexion s'inscrire dans la perspective d'évolution européenne.

La discussion générale est close.

Mme la Présidente - La commission des lois n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer successivement sur le passage à la discussion des articles du texte initial de chacune des deux propositions de loi.

Conformément aux dispositions du même article du Règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

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      PATRIMOINE DES ARTISANS

Mme la Présidente - Sur le passage à la discussion des articles, je suis saisie par le groupe RPR d'une demande de scrutin public.

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EXPLICATIONS DE VOTE

M. Bernard Accoyer - Il ne suffit pas, Madame la ministre, de dire que vous avez bien compris le drame que vivent les artisans et l'injustice que subissent leurs conjoints, que vous allez un jour vous préoccuper de sauvegarder leur habitation et de protéger leur patrimoine, il faut agir, comme nous vous en offrons la possibilité ce matin.

Mais vous vous y refusez, préférant détourner la procédure des niches parlementaires pour masquer le vide sidéral de vos propositions. Faire avancer le droit c'est, pour vous, offrir de nouveaux droits aux pacsés et temporiser au moment de soutenir les 230 000 femmes d'artisans.

Sur ces textes fondamentaux, passons maintenant à la discussion des articles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

M. Alain Vidalies - Je ferai une explication de vote unique sur ces deux propositions. Leur examen a donné lieu à une rhétorique selon laquelle il y aurait d'un côté la droite, qui s'auto-proclame défenseur des artisans, de l'autre, une majorité qui ne se préoccuperait pas de leurs intérêts (Approbation sur les bancs du groupe UDF, du groupe du RPR et du groupe DL).

C'est oublier que les organisations professionnelles telles que l'UPA et la CAPEP, dont personne ne conteste la représentativité, pensent le plus grand mal de ces deux propositions, dont elles ont été saisies. Elles nous mettent en garde contre les conséquences que ces dispositions pourraient avoir et que vous semblez avoir mal mesurées (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Pouvez-vous présenter comme un progrès pour les artisans et commerçants le fait de rendre obligatoire la solidarité pour tous ceux qui participent à l'exploitation ? Ce qui n'est actuellement qu'une possibilité, à laquelle on ne recourt qu'exceptionnellement, deviendrait la règle ! Ce faisant, ce sont surtout les créanciers et les banques que vous défendez !

Quant à la proposition de M. Accoyer, son impréparation était telle que le rapporteur a été contraint de nous proposer un texte complètement différent ! Et n'est-il pas pittoresque qu'on exhume ainsi la loi de 1909 ? (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR)

Plusieurs députés RPR - M. Vidalies joue la montre !

M. Alain Vidalies - Bref, il faudrait réfléchir à des propositions plus sérieuses. Mais l'opposition a voulu faire un coup politique, pour s'apercevoir ensuite que, sur ce problème très compliqué, elle était incapable de trouver des solutions satisfaisantes. Du reste, ce n'est pas pour rien qu'elle n'avait fait aucune proposition lorsqu'elle était aux responsabilités ! (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme la Présidente - Vous empêchez M. Vidalies de conclure (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Alain Vidalies - Quoi qu'il en soit, c'est une question qu'il faudra examiner à l'occasion des discussions sur les nouvelles régulations économiques et de propositions de loi que le groupe socialiste s'apprête à déposer, notamment sur l'extension de la loi de 1982 aux conjoints des professions libérales.

En attendant, il faut voter contre le passage à la discussion des articles (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Marc Ayrault - Compte tenu de la complexité du débat (Murmures sur divers bancs), je demande une suspension de séance de vingt minutes pour réunir mon groupe (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Mme la Présidente - La séance est donc suspendue, elle reprendra à 12 heures 40 (Mêmes mouvements).

La séance, suspendue à 12 heures 20, est reprise à 12 heures 40.

M. Patrick Ollier - Un rappel au Règlement, fondé sur l'article 65 relatif au vote par scrutin public, vise avant tout à défendre les droits de l'opposition (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

Les groupes RPR, Démocratie libérale et UDF pensaient que la niche parlementaire était conçue pour permettre l'étude de propositions de l'opposition, qui pourrait ainsi en obtenir la discussion démocratique, avec toute la sérénité indispensable. Passe encore que, sur 18 textes présentés dans ce cadre, 13 aient été écartés mais comment admettre l'attitude que vient d'adopter la majorité ? Minoritaire dans l'hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL) au moment où le vote a été appelé, elle a, fait exceptionnel en une telle occurrence, demandé par la voix du président du groupe socialiste une suspension de séance afin qu'on puisse aller chercher dans leurs bureaux les députés susceptibles de voter contre l'opposition ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Cette dernière ne peut que s'émouvoir d'une telle façon de procéder mais ce ne sont pas de tels artifices qui entameront notre détermination à défendre nos idées et nos droits ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

Mme la Présidente - Le Règlement a été parfaitement respecté ; la suspension était de droit (Protestations sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL). Nous allons maintenant passer au vote.

A la majorité de 172 voix contre 99, sur 271 votants et 271 suffrages exprimés, l'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

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COOPÉRATION PROFESSIONNELLE ENTRE ÉPOUX

Mme la Présidente - Je suis saisie par le groupe RPR d'une demande de scrutin public sur le passage à la discussion de l'article unique.

A la majorité de 171 voix contre 96 sur 267 votants et 267 suffrages exprimés, l'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion de l'article unique.

En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

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FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR

Mme la Présidente - L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 15 juin inclus a été fixé ce matin en Conférence des présidents. Il sera annexé au compte rendu de la présente séance.

La procédure d'examen simplifiée a été engagée pour la discussion du texte de la commission mixte paritaire ou la nouvelle lecture du projet sur le référé devant les juridictions administratives, inscrit à l'ordre du jour du mercredi 14 juin.

Prochaine séance cet après-midi à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 55.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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A N N E X E
ORDRE DU JOUR

L'ordre du jour des séances que l'Assemblée tiendra jusqu'au jeudi 15 juin 2000 inclus a été ainsi fixé ce matin en Conférence des présidents :

CET APRÈS-MIDI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ Deuxième lecture du projet relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux relations de cette société avec l'Etat et portant modification du code de l'aviation civile ;

ce texte faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports.

MERCREDI 31 MAI, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et, éventuellement, à 21 heures :

      _ Deuxième lecture de la proposition relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises ;

      _ Projet relatif à la sécurité du dépôt et de la collecte de fonds par les entreprises privées.

MARDI 6 JUIN, à 9 heures :

      _ Questions orales sans débat ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement :

      _ Projet autorisant la ratification de la convention relative à la coopération en matière d'adoption d'enfants entre la République française et la République socialiste du Vietnam ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière (ensemble une déclaration) ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole établi sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, relatif au champ d'application du blanchiment de revenus dans la convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes et à l'inclusion du numéro d'immatriculation du moyen de transport dans la convention ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières (ensemble une annexe) ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole, établi sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, concernant l'interprétation, à titre préjudiciel, par la Cour de justice des communautés européennes de la convention sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord relatif à l'application provisoire entre certains États membres de l'Union européenne de la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne sur l'emploi de l'informatique dans le domaine des douanes ;

      _ Projet, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de la convention du 15 juillet 1982 portant création de l'Organisation européenne de télécommunications par satellite (EUTELSAT), telle qu'elle résulte des amendements adoptés à Cardiff le 20 mai 1999 ;

chacun de ces neuf derniers textes faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée.

      _ Proposition de M. Jacques FLEURY et plusieurs de ses collègues relative à la prolongation du mandat et à la date de renouvellement des conseils d'administration des services d'incendie et de secours.

à 21 heures,

MERCREDI 7 JUIN, à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures,

ET JEUDI 8 JUIN, à 9 heures, à 15 heures et à 21 heures :

      _ Projet de loi d'orientation sur la forêt.

MARDI 13 JUIN, à 9 heures :

      _ Proposition de M. Gilbert LE BRIS et plusieurs de ses collègues modifiant la loi n° 83-583 du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les navires,

(séance mensuelle réservée à un ordre du jour fixé par l'Assemblée, en application de l'article 48 alinéa 3 de la Constitution) ;

à 15 heures, après les questions au Gouvernement, et à 21 heures :

      _ Nouvelle lecture du projet sur la chasse.

MERCREDI 14 JUIN, à 15 heures :

      _ Questions au Gouvernement ;

à 18 heures 15 :

      _ Texte de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture de la proposition sur la prestation compensatoire en matière de divorce ;

      _ Texte de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet sur le référé devant les juridictions administratives,

ce texte faisant l'objet d'une procédure d'examen simplifiée ;

à 21 heures :

      _ Texte de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

JEUDI 15 JUIN, à 15 heures et à 21 heures :

      _ Lecture définitive du projet modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives ;

      _ Suite du texte de la commission mixte paritaire ou de la nouvelle lecture du projet modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.


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