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Session ordinaire de 1999-2000 - 97ème jour de séance, 226ème séance

2ÈME SÉANCE DU MERCREDI 14 JUIN 2000

PRÉSIDENCE de M. Raymond FORNI

Sommaire

          QUINQUENNAT (suite) 2

          EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 2

          QUESTION PRÉALABLE 12

          ORDRE DU JOUR DU JEUDI 15 JUIN 2000 19

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

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        QUINQUENNAT (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la durée du mandat du Président de la République.

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EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Philippe de Villiers une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91 alinéa 4 du Règlement.

M. Philippe de Villiers - Après avoir entendu Jacques Chirac faire sa proposition de quinquennat, on se demande ce qu'a bien pu vouloir dire le Président de la République quand il a prétendu ne pas vouloir modifier la Constitution. En effet, il a déjà présidé à six modifications de la Constitution, soit autant en cinq ans que ses quatre prédécesseurs au cours des trente-quatre années précédentes, choisissant ainsi de nous faire vivre dans un état d'instabilité constitutionnelle tout à fait inédit depuis les débuts de la Ve République.

La Constitution de 1958, ses principes bafoués, il ne restait plus qu'à brûler notre texte constitutionnel au bûcher des vanités d'une fausse modernité.

Après avoir transféré notre souveraineté monétaire, avec le traité de Maastricht, puis notre souveraineté législative, avec celui d'Amsterdam, voilà qu'on s'attaque au souverain, garant de l'intégrité territoriale et du bon fonctionnement des pouvoirs publics. Après avoir démoli l'édifice, on piétine la clé de voûte. Cette logique inspire indéniablement ceux qui ne croient plus à la souveraineté nationale et qui ont cessé de croire à la France. La France, la nation sont devenus pour ceux-là des mots tabous, honteux, auxquels il est de meilleur ton de préférer ceux d'Europe, de fédéralisme et de mondialisation.

Les tenants de l'eurocratie veulent en finir avec les singularités françaises, qu'elles soient culturelles, scientifiques, sanitaires, économiques ou monétaires. Ils s'en prennent cette fois-ci à nos singularités institutionnelles.

La réforme qui nous est proposée bouleverse l'équilibre de nos institutions. D'abord, elle porte atteinte au principe cardinal de la fonction présidentielle, la durée. Ensuite, le Président de la République se trouverait ainsi ravalé au rang de Premier ministre. Enfin, si l'on veut vraiment éliminer le risque de cohabitation, il faudra supprimer l'une des armes qui permet au chef de l'Etat d'assurer sa fonction d'arbitre suprême, à savoir le droit de dissolution.

Nos institutions sont faites pour assurer l'autorité du bien commun, la res publica, par rapport aux intérêts particuliers et aux féodalités de toute nature, face aussi aux empires extérieures et à ces modernes empires cachés derrière le concept assez fumeux de mondialisation : les hégémonies modernes. En France, faire prévaloir l'autorité du bien commun ne fut jamais chose facile. Tout simplement parce que la France n'a pas d'unité naturelle, à la différence de la Grande-Bretagne, du continent nord-américain ou même de l'Allemagne. Elle ne peut trouver d'unité que politique, je dirais même par la politique, et plus précisément par le rassemblement de son peuple autour d'un Etat porteur d'un bien supérieur et seul capable de dépasser des divisions sans cesse renaissantes. Il faut donc que l'Etat soit représenté, ou plutôt incarné, par un arbitre incontestable, impartial et au-dessus de la mêlée.

Notre Constitution a principalement pour objet d'assurer la prééminence de l'autorité de l'Etat, expression d'une nation selon le principe de l'indivisibilité pour ce qui est des affaires intérieures, de souveraineté pour ce qui est des affaires extérieures. Et cette autorité est incarnée par le Président de la République.

Certains sur ces bancs devraient se souvenir de ce qu'écrivait un homme peu suspect de vouloir instaurer le pouvoir personnel, Léon Blum, dans un court ouvrage qu'il écrivit en captivité, en 1941, A l'échelle humaine. Il y constatait que si la France roula au désastre, en 1940, ce fut à cause d'institutions trop chétives, incapables d'assurer assez de stabilité et de continuité du pouvoir pour mener une politique à laquelle le peuple puisse clairement s'identifier. On a souvent dit, à mon avis à juste titre, que de Gaulle n'a fait que reprendre ce raisonnement à Bayeux.

Par-delà les clivages, il me semble que toute la tradition républicaine française conduit à placer à la tête de l'Etat un arbitre et à lui donner tous les attributs de la continuité et de l'impartialité. Cela, afin qu'il exerce au mieux cette fonction arbitrale sans laquelle l'Etat perd cette légitimité qui l'autorise à exercer la contrainte. C'est notre histoire qui nous le dicte -et la complexion même de la France. De Gaulle ne parlait-il pas de combattre « l'effervescence naturelle du peuple français » ?

A chacun son histoire. Je ne trouve donc pas que l'on éclaire le débat en se référant à des modèles étrangers, toujours les mêmes d'ailleurs : le parlementarisme britannique, d'un côté, le régime présidentiel américain de l'autre. Comme celui de la Ve République, ces modèles ne se comprennent que par l'histoire des peuples qui les ont adoptés. Ainsi, le modèle présidentiel est l'héritage d'une situation où les délégués des Etats confédérés, réunis dans un Congrès, devaient cohabiter avec le président de la Fédération des Etats-Unis. Le régime présidentiel convient à un système fédéral, qui a peu de rapport avec l'Etat-nation à la française. Quant au parlementarisme britannique, il ne se comprend que dans un cadre bien défini, celui d'une unité acquise par principe et même par nature, grâce à l'insularité et une couronne qui incarne la pérennité et l'unité du Royaume-Uni.

Si les Constituants de 1958 ont choisi la « monarchie républicaine » -je crois que l'expression est de Georges Vedel-, c'est précisément parce qu'ils ont écarté à la fois la formule fédérale à l'américaine, le parlementarisme à l'anglaise et l'anarchie de la IVe République.

C'est à cette essence de la Ve République, telle que l'a voulue le général de Gaulle, que s'en prend l'actuel Président de la République, hériter ô combien infidèle de la figure dont il prétend s'inspirer, en sapant les trois attributs fondamentaux de la fonction présidentielle -la durée, la suprématie, la fonction arbitrale.

Face aux risques encourus, les arguments avancés par les partisans du quinquennat, dont le Président de la République et le Premier ministre, semblent bien faibles. J'ai beau les écouter, relire leurs propos, je n'y trouve aucun argument juridique ou politique qui assoie le quinquennat. On n'entend qu'un mot, celui de modernité, récemment lancé par le président Giscard d'Estaing, dans sa nouvelle fonction de pyrotechnicien professionnel... (Rires sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Blazy - Il n'y a pas que le Puy-du-Fou, il y a aussi l'Auvergne !

M. Philippe de Villiers - Je vous remercie de cette publicité inattendue... Le quinquennat serait « moderne ». Quel bel argument ! Le mot a été inventé par Baudelaire, qui l'appliquait aux défilés de mode. Mais que serait une vraie modernité ? L'adaptation d'un ordre à la nécessité. A cet égard une vraie réforme institutionnelle ne doit rien à des arguments de circonstance, à des calculs personnels, à des querelles d'ambitions au sein d'une classe politique qui ne parvient plus à se renouveler, et qui ne trouve pour se rajeunir d'autre moyen que de bouleverser l'ordre institutionnel à l'abri duquel elle étale son insignifiance. Une réforme de la Constitution ne doit pas être l'occasion de règlements de compte, ou le miroir de projections biologiques personnelles.

M. Gérard Gouzes, rapporteur de la commission des lois - Qu'est-ce que c'est ?

M. Philippe de Villiers - Cela signifie : en telle année, j'aurai tel âge... Et il est vrai que beaucoup d'hommes politiques, notamment dans ma génération, se disent : ce serait mieux tous les cinq ans, car nous pourrions nous présenter plus souvent. Cela me paraît dérisoire et misérable.

Je le comprends bien : si une majorité d'entre nous -du moins officiellement, car dans les couloirs les avis sont différents ; et c'est pourquoi, ce soir et demain, chacun va marcher au canon, car si nous votions tous en conscience, le résultat ne serait pas acquis, et mon exception d'irrecevabilité serait sans doute votée- si une majorité d'entre nous, dis-je, en est arrivée à ce stade, confond l'intérêt suprême de la nation avec ses intérêts du moment, la stabilité de la nation, garantie par des institutions liées à son histoire et à sa culture, avec sa propre réélection : je comprends alors qu'une majorité de nos compatriotes se désintéresse de la vie politique et se détourne des urnes !

La vraie réforme moderne serait de redonner aux Français les moyens de leur souveraineté, et cette réforme est indépendante du quinquennat. La vraie question est : à quoi sert d'élire tous les cinq ans un Président de la République qui n'aurait plus de pouvoir ? La « modernité » n'est qu'un argument d'apprenti intellectuel en mal d'inspiration. Il en va de même de l'argument qui invoque l'accélération du temps que nous vivons. Il y a d'autant moins de lien entre la vitesse du TGV ou d'Internet et la durée d'un mandat que précisément notre nation a su s'insérer dans le grand courant mondial d'échanges parce qu'elle a la stabilité, et qu'elle a le temps. Le rôle et la fonction du Président de la République ne peuvent être de nature circonstancielle. Il incarne -parfois à son corps défendant- l'unité nationale, la durée, la stabilité. Il doit être au-dessus de la mêlée, prendre toujours le recul nécessaire à ses jugements pour le bien commun. Il ne doit pas entrer dans les querelles des partis. Il doit se tenir dans un juste retrait, et regarder la ligne d'horizon, que son poste élevé devrait lui permettre d'observer.

Il y a quelque sagesse dans cette longue durée, et dans la fonction présidentielle telle que notre Constitution l'a définie, à la lumière des réussites et des échecs du passé -car la tradition est un tamis et ne retient que ce qui réussit. C'est dans la même esprit -je vais vous faire bondir- que nos collègues sénateurs sont élus pour neuf ans, comme les juges du Conseil constitutionnel. Neuf ans, pour comprendre avec profondeur et sérénité l'esprit de nos institutions, c'est parfois nécessaire. On ne peut tout ramener, dans un pays, à une même unité de temps, et la mode du zapping ne s'impose pas aux institutions.

Inutile, dangereuse, cette réforme est d'abord inopportune. En effet, pendant qu'on parlera du quinquennat, on ne parlera pas du reste, c'est-à-dire de la présidence française de l'Union européenne. Le débat national qui va mobiliser la classe politique, les médias, et l'opinion publique -si toutefois elle s'y intéresse- rendra inaudible tout débat sur l'action de la France à la tête des Quinze, et plus particulièrement sur la mise en place de la monnaie unique, sur la charte européenne des droits fondamentaux, et sur la réforme des institutions de l'Union. Ainsi un débat peut-il en cacher un autre.

Cette réforme est motivée par des raisons sans lien avec l'intérêt général, et les Français le sentent. Contrairement à ce qu'a affirmé le Président de la République dans une émission télévisée qui fera date, comme celle qui précéda la dissolution, nous sommes engagés en pleine aventure institutionnelle. Après la dissolution de convenance, le quinquennat d'opportunité ! Et c'est une aventure institutionnelle délibérée, pour servir son intérêt personnel de réélection. On fait d'un problème institutionnel une affaire politicienne. Et si nous voyons les hommes politiques se soumettre en masse, c'est pour ne pas déplaire aux grands leaders qui distribuent portefeuilles et investitures : lamentable logique qui fut déjà celle de Maastricht.

La vraie question, aujourd'hui, pour les Français, n'est pas un mandat pour combien de temps, mais un mandat pour quoi faire. Un jour viendra où les Français demanderont à l'actuel Président de la République : qu'avez-vous fait de votre septennat ? Réponse : j'ai dissous ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste) J'ai dissous le creuset civique du service national ; j'ai dissous ma majorité ; j'ai dissous la souveraineté monétaire, la souveraineté législative, et enfin -celle-là manquait- la souveraineté institutionnelle...

Qu'on me permette de revenir, car elles nous ont tous marqués, sur les grandes interventions télévisées du Président de la République, toujours solennelles et préparées longtemps à l'avance. Son intervention sur le quinquennat rappelle étrangement celle qui annonçait la dissolution. L'une et l'autre se fondent sur le même type d'évidences paradoxales, de raisonnements si subtils qu'on perd les Français en route. En 1997, c'était : ma majorité est trop importante, je décide de dissoudre ; donnez-moi une majorité moins importante pour mieux gouverner. Aujourd'hui : sept ans, c'est trop long ; il faut passer à cinq ans, pour que je puisse faire dix ans... Hier : j'aurai plus de soutien si j'ai moins de députés. Aujourd'hui : avec un mandat plus court, je pourrai faire un mandat plus long (Rires sur les bancs du groupe socialiste). Il n'est pas impossible que l'histoire aventureuse du quinquennat ait le même épilogue que le coup de la dissolution, car ces évidences paradoxales sont peu accessibles à nos concitoyens...

Pour être plus sérieux : nous allons rompre un équilibre institutionnel bien établi et ramener la France dans les abîmes du régime des partis. Il ne faut pas en effet faire croire aux Français -comme trop l'ont fait sur Maastricht et Amsterdam- que cette réforme ne changera rien à l'équilibre de nos institutions. On peut juger cette réforme nécessaire ; on peut aussi dire, comme Mme la Garde des Sceaux, qu'à chaque jour suffit sa joie. C'est-à-dire que pour elle et pour M. le rapporteur, le quinquennat -je le dis à mes amis de l'opposition- est un premier pas vers autre chose. Dans ce cas soyons logiques, et honnêtes envers le peuple français : acceptons l'idée que ce n'est qu'un premier pas et que cela touchera à l'équilibre des institutions. Nous allons passer d'un équilibre à un autre, donc entrer dans un déséquilibre temporaire.

M. le Rapporteur - Qu'est-ce qu'un équilibre ?

M. Philippe de Villiers - C'est ce qui permet à un pays de vivre dans la paix civile pendant un certain temps. C'est le cas de la France depuis 1958, alors que la IVe République connaissait le désordre et l'impuissance (Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste).

M. Yves Durand - Elle a reconstruit la France après la guerre !

M. Philippe de Villiers - Je me doutais que vous étiez nostalgiques de la IVe République, je vous remercie de cette confirmation. Le quinquennat modifiera en profondeur la pratique démocratique en France, et pas dans le bon sens. On dit aux citoyens que le quinquennat est sans danger, mais nul ne leur en expose les tenants et aboutissants. Cette réforme bâtarde met fin à l'harmonie architecturale de notre Constitution sans proposer de nouveau modèle. Le quinquennat dit « sec » est un grain de sable dans notre mécanique institutionnelle, et une réforme hypocrite qui n'ose pas avouer son objet : l'instauration d'un régime présidentiel. C'est une réforme en poupée russe : aujourd'hui on ouvre une première boîte, celle du quinquennat sec ; ensuite ce sera le retrait du droit de dissolution, puis la suppression du Premier ministre.

Quelles seraient les conséquences concrètes et immédiates du quinquennat « sec » ? L'arme de la durée, tout d'abord, serait écornée, et le mandat présidentiel ramené à un mandat classique d'élu local ou parlementaire.

M. le Rapporteur - Il ne faut pas mépriser les élus locaux !

M. Philippe de Villiers - Tous ceux qui ont des responsabilités locales -et qu'il ne faut pas mépriser, en effet- savent que plus le mandat est court, plus la campagne est permanente. La première année est une année de rodage, peu propice aux grandes entreprises, et les deux dernières sont accaparées par les nécessités, grandes et petites, de la réélection. Le quinquennat se résumera donc à deux années de présidence effective, soit à peine un mi-temps -qui est d'ailleurs la réalité du mandat en cours de Jacques Chirac (Protestations sur les bancs du groupe du RPR).

M. le Rapporteur - Si nous avions osé dire une chose pareille, que n'aurions-nous pas entendu ?

M. Philippe de Villiers - Etes-vous bien sûr que ce que veulent les Français, ce soit faire du Président de la République un super-député dont la circonscription serait la France ?

Qu'il soit local ou national, tout pouvoir raccourci dans sa durée est, par là même, diminué dans sa nature.

M. le Rapporteur - Et accru dans sa responsabilité !

M. Philippe de Villiers - La réduction de la durée du mandat du Président de la République ne peut aboutir, disait le général de Gaulle, qu'à la désacralisation du pouvoir suprême, car il y a un risque de banalisation de son élection, ramenée au rythme électoral de l'Assemblée nationale, et un risque, plus grave encore, d'abaissement symbolique de son autorité. C'est justement ce que veulent bien des hommes de parti, qui ne rêvent que de décapiter l'Etat pour le remplacer par l'Europe des régions. Ils savent ce qu'ils font, de même qu'ils savent que toutes les grandes entreprises ont besoin de temps, qu'il n'est de vrai pouvoir que dans la durée, car la politique est participation à l'Histoire, et celle-ci obéit à un rythme qui n'est pas celui de la politique politicienne à la petite semaine...

M. André Berthol - Vive le roi !

M. Philippe de Villiers - En privant de son faîte la pyramide de l'Etat, la réduction du mandat du Président de la République fera de celui-ci un second Premier ministre, et gommera la distinction entre les deux fonctions, dont l'une est aujourd'hui conçue comme stable et l'autre comme éphémère. Plus sûrement que vers le régime présidentiel, c'est vers le régime parlementaire, vers le régime des partis, vers l'Etat partisan, rejeté par les Français en 1958, que nous mènerait une telle évolution.

Le général de Gaulle avait, le 31 janvier 1964, soulevé directement cette question, pour conclure qu'il ne fallait pas que le chef de l'Etat fût élu en même temps que les députés, car cela altérerait le caractère de sa fonction. Quant au Premier ministre, fonction que la logique du quinquennat devrait conduire à supprimer, il faut observer que sa longévité, au cours des vingt premières années de la Ve République, a dépassé les quatre ans en moyenne, et que l'actuel titulaire du poste peut prétendre l'occuper cinq ans.

En rendant obsolète le droit de dissolution, le quinquennat fait perdre au chef de l'Etat la fonction d'arbitrage qui lui est liée. Mais Jacques Chirac, lorsqu'il a utilisé ce droit il y a trois ans, sans autre raison que les intérêts de son camp, a montré qu'une telle logique lui était inaccessible, que son incompréhension de la Ve République était totale. Il est allé jusqu'au bout de son ignorance et de son mépris de ce qui constitue la philosophie propre du gaullisme.

Prétendre que le risque de cohabitation disparaîtrait grâce à l'instauration du quinquennat n'est que tricherie. Il revient au peuple, et à lui seul, de décider si les deux majorités, parlementaire et présidentielle, continueront ou non de coïncider, et rien, absolument rien ne permet d'affirmer qu'il sortira des urnes une majorité parlementaire favorable ou hostile au Président de la République. Seule certitude, la France sera plongée dans une campagne électorale permanente.

Les Français attendent d'autres réformes, d'autres consultations référendaires. Je ne crois pas que la réponse à apporter à leur désaffection pour la politique soit le quinquennat, ou quelque autre réforme institutionnelle. Les choses vont-elles mieux depuis que l'on change les institutions et les modes de scrutin ? Non : l'abstentionnisme empire à chaque élection, car il n'est pas lié à la nature des institutions, mais à la déception causée à nos concitoyens par leurs gouvernants. Il faut renouer le pacte avec les Français, et ce n'est pas en bradant nos institutions, notre souveraineté -ou ce qu'il en reste- que nous y parviendrons. Non, le quinquennat n'est pas une priorité pour les Français : si 80 % d'entre eux semblent le préférer au septennat, ils ne sont que 36 % à se dire décidés à se rendre aux urnes en cas de référendum, et 4 % à juger la question primordiale.

M. le Rapporteur - Croiriez-vous donc aux sondages ?

M. Philippe de Villiers - Oui, surtout quand ils sont mauvais ! (Exclamations sur divers bancs)

Un clivage inquiétant se dessine entre les Français et leurs hommes politiques. Pour eux, les priorités de l'heure sont la sécurité et l'emploi, et ils voient la classe politique tout entière se jeter dans la bataille du quinquennat. Ils se disent que leurs représentants s'occupent avant tout de ce qui les amuse -ou de ce qui amuse les médias- et, surtout, de ce qu'ils ont le pouvoir de changer, mais pas des problèmes concrets.

Autre réflexion que m'inspirent les sondages : le pourcentage élevé d'opinions favorables au quinquennat n'est-il pas faussé par le jugement que portent nos concitoyens sur l'actuel Président de la République ainsi que sur celui qui pourrait lui succéder ? En d'autres termes : ce pourcentage serait-il aussi élevé si le Président de la République avait mené une bonne politique depuis son élection ?

Pour beaucoup de Français, mieux vaut finalement un quinquennat pour rien qu'un septennat pour rien et peut-être seraient-ils encore plus favorables à un « biennat »... Ils attendent du politique qu'il réalise le vivre ensemble que l'on cherche chaque jour à effacer davantage de notre conscience collective au profit du communautarisme. La mondialisation et son corollaire, le village planétaire, ne sont qu'encouragement à l'exacerbation des individualismes et au triomphe des communautarismes, par nature contraires aux principes fondateurs de notre pays.

Ce n'est ni en retirant aux Français leur dernier grand repère institutionnel ni en calquant les rythmes de la vie politique sur ceux de la vie médiatique ni en leur donnant l'exemple d'un homme politique plus soucieux de son image et des modes que des responsabilités qui lui ont été confiées, qu'on les réconciliera avec la politique. Ils souhaiteraient que le Président de la République les consulte sur les grands choix engageant l'avenir de notre société : sécurité, immigration, famille, maintien de la monnaie nationale... M. Chirac n'a d'ailleurs qu'à tenir parole puisqu'il avait promis un référendum sur l'école et sur l'Europe ! Nos compatriotes souhaitent s'exprimer sur ce qui les préoccupe directement, et non sur des questions institutionnelles sans aucun caractère prioritaire qu'ils perçoivent comme des astuces internes à un microcosme politique tournant sur lui-même. Or, ces grandes réformes, tant attendues, exigent une stabilité que seule permet la durée. Le septennat est indéniablement le temps institutionnel le plus propice pour mener à bien les grandes réformes nécessaires dans notre pays. C'est aussi le temps institutionnel qui permet au Président de la République d'exercer avec hauteur et avec toute l'autorité nécessaire son rôle d'arbitrage, essentiel dans la conduite des affaires internationales comme en cas de crise intérieure. La force symbolique de cette fonction arbitrale qui place le Chef de l'Etat au-dessus des partis pâtirait naturellement d'un raccourcissement de la durée du mandat présidentiel, comme l'a d'ailleurs fait valoir le comité consultatif pour la révision de la Constitution dans le rapport courageux qu'il a remis au Président de la République. La réalité même de nos institutions en serait affectée selon ce comité.

C'est une erreur de prétendre que le Chef de l'Etat ne peut voir son action sanctionnée durant sept ans. Les tenants du quinquennat considèrent que le Chef de l'Etat cumule autorité et irresponsabilité. Or, le Président de la République peut toujours recourir au référendum en cours de mandat et les élections législatives, organisées tous les cinq ans, sont l'occasion pour lui de confirmer ou d'infirmer ses orientations politiques.

En mutilant nos institutions, l'actuel Président de la République n'est que trop fidèle à sa logique de sabordage de ce qui fit la Ve République, c'est-à-dire l'affirmation de la souveraineté nationale. Par le suivisme diplomatique qui caractérise sa carrière -je pense à la réintégration de l'OTAN dont l'affaire du Kosovo fut la triste mise en scène- et par le suivisme européen que traduisit son invraisemblable ralliement, contre son électorat, à la logique de Maastricht puis d'Amsterdam, Jacques Chirac a jeté aux orties le souci de l'indépendance nationale.

Après avoir, aux termes du funeste traité d'Amsterdam, abandonné la diplomatie, la monnaie, la politique de l'immigration, la souveraineté juridique et constitutionnelle, il ne lui restait plus qu'à démolir les institutions : c'est ce qu'il a fait. Après avoir pillé le bel édifice de feu la Ve République, il restait au bricoleur en chef à jeter les clés au ruisseau ! (Murmures sur les bancs du groupe socialiste)

Comme il arrive parfois d'être happé par le vide, on ne peut qu'être fasciné par une si parfaite continuité dans la faiblesse, la logique d'abandon et la lâcheté. Oui, voilà le bilan de Jacques Chirac.

C'est pourquoi je demande solennellement une dernière fois aux gaullistes qui siègent dans cette Assemblée, s'il en reste, aux esprits sensés ici présents, s'il en reste, de dire non au quinquennat avant que les Français ne s'en chargent eux-mêmes et de rejeter dès à présent ce projet de loi constitutionnel.

Le vrai problème institutionnel en France, aujourd'hui, est que la Constitution est peu à peu vidée de son contenu par la conception prévalante d'une Europe fédérale se construisant contre les nations et une mondialisation subie, que l'on ne cherche pas à maîtriser.

La souveraineté française ressemble de plus en plus à un décor de façade. A quoi servirait-il d'élire un Président de la République pour cinq ans plutôt que sept, si la France doit être, demain, prisonnière d'un « noyau dur » fédéral où l'Allemagne serait prépondérante ? Ou si les autorités françaises se reconnaissent impuissantes à influer en quoi que ce soit sur les conséquences en France du marché mondial ? Le quinquennat risque de détourner l'attention de ce vrai problème.

Le référendum éventuel sur le quinquennat esquiverait le référendum sur le futur traité de Nice, lequel se traduira par un abandon supplémentaire de la liberté des Français à une Europe supranationale. Demain, le Président de la République et le Gouvernement nous diront sans doute : « Pourquoi un référendum sur le traité de Nice ? Vous venez d'en avoir un sur le quinquennat, qui est bien plus important ».

Mais nous n'avons pas besoin d'un référendum sur le quinquennat parce que nous n'avons pas besoin du quinquennat. En revanche, nous en aurons besoin d'un sur le traité de Nice, comme il en aurait fallu un sur le traité d'Amsterdam.

S'il existe en politique, une logique implacable de la stabilité, il en existe également une de l'instabilité et du désordre.

Tous les juristes et tous les philosophes du droit savent bien que, selon la formule de Bernanos : « Ce n'est pas nous qui tenons la règle, mais la règle qui nous tient », ce ne sont pas les hommes qui font les institutions, mais les institutions qui font les hommes.

Les institutions de la Ve République ont pour objectif simple mais fondamental, d'assurer l'intérêt supérieur de la nation sur les féodalités internes -locales, partisanes ou de l'argent- mais aussi l'indépendance de la nation vis-à-vis des puissance extérieures.

La Ve République fut conçue pour permettre à la France de sortir du suivisme atlantique dans lequel l'a maintenu, douze ans durant, de 1946 à 1958, une succession de gouvernements, d'autant moins soucieux d'affirmer une politique française qui brillât de quelque éclat dans le monde, qu'ils étaient condamnés à suivre la puissance d'alors, Washington. Les hommes n'étaient ni pires ni meilleurs. Simplement la logique des institutions de l'époque les portait à la soumission.

La Ve République -et sa clé de voûte, le Président de la République- est incompréhensible sans la volonté d'indépendance nationale que ses pères fondateurs cherchèrent à restaurer.

L'enjeu de cette réforme est simple : le retour à la IVe ou à un système des partis qui se joue de la France et se moque des Français.

Les Français souhaitent adresser le message suivant aux hommes politiques : attaquez-vous enfin à nos problèmes. Ne touchez pas à ce qui marche encore. Réformez plutôt ce qui ne marche pas. Ce qui nous intéresse, nous et nos enfants, ce n'est pas la longueur de vos mandats mais bien la survie de la France.

La question n'est plus de savoir si les hommes politiques sont renouvelables, mais bien si la France millénaire l'est encore. Survivra-t-elle en tant que communauté humaine, en tant que nation, en tant que modèle de l'Etat-nation, c'est-à-dire en tant que projet et _uvre de paix nécessaire à l'ordre du monde ?

Si la France est une exception dans l'histoire, s'il doit y avoir encore une exception française, si vous croyez à cette exception, votez cette motion d'irrecevabilité. L'abaissement de la France et le désordre institutionnel sont inacceptables et donc irrecevables.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice - M. de Villiers fait décidément preuve d'une grande constance. Il vient de nous montrer en un peu moins d'une heure ce dont il était capable dans la détestation, nous expliquant que le quinquennat ne ferait que démolir, brader, abaisser et aboutirait à un cataclysme fait d'abandon, d'hypocrisie et de lâcheté. Derrière cette réforme se profilerait les monstres froids de la mondialisation et de l'Europe, en bref les pièces du musée des horreurs auxquelles nous avions eu droit lors du débat sur le traité de Maastricht. En revanche, pas une seule fois, je n'ai entendu M. de Villiers prononcer les mots de République et de suffrage universel. En réalité, M. de Villiers ne nous a donné aucune raison de ne pas débattre du quinquennat.

Quant aux invectives personnelles qu'il a proférées, en particulier à l'égard du Président de la République, elles sont tout à fait déplacées et j'espère que l'on aura à c_ur de ce côté de l'hémicycle, d'y répondre comme il se doit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Patrick Devedjian - M. de Villiers a donc choisi de nous donner une leçon de gaullisme. Mais il ne suffit pas de jouer à cache-cache avec M. Pasqua pour se dire gaulliste ! En fait d'arguments, nous avons entendu une suite d'idées contradictoires, auxquelles se mêlaient des quolibets à l'égard du Président de la République que M. Mamère n'aurait pas désavoués (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Je comprends que cela soit de nature à susciter de la sympathie sur les bancs de la gauche... (Plusieurs députés socialistes : « Pas du tout ! »).

Passe encore d'avancer qu'il serait anticonstitutionnel de modifier la Constitution ; après tout, ce n'est là qu'un exemple patent de cristallisation du conservatisme. Mais entendre M. de Villiers demander un référendum prête vraiment à sourire ! A-t-il jamais voté « oui » à un référendum ? Serait-ce que les référendums ne devraient être organisés que pour permettre de voter « non » ?

Quant à l'instabilité constitutionnelle supposée... Dois-je vraiment rappeler qu'en 1969 le général de Gaulle avait prévu de modifier 19 articles de la Constitution ? Pour les gaullistes on peut modifier la Constitution ! Dans le cas qui nous occupe, ils hésiteront d'autant moins que c'est le Président Pompidou qui, en 1973 a pris l'initiative du quinquennat et qu'à l'époque la gauche, a voté contre, François Mitterrand en tête. Le comble serait donc que les gaullistes se fassent déposséder d'une initiative qui est leur au moment où, peut-être, elle a des chances de se réaliser.

M. de Villiers a de la Ve République une conception qui n'est pas la nôtre, car il en fait un succédané de la monarchie.

M. le Rapporteur - C'est vrai !

M. Patrick Devedjian - Le général de Gaulle disait lui-même que la République est toujours la même. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle a hérité du septennat qui date, faut-il le rappeler, d'un compromis atteint en 1873 entre républicains, qui voulaient un mandat présidentiel de 5 ans, et monarchistes, qui le souhaitaient de 10, dans l'espoir que, dans l'intervalle, le comte de Chambord, qui n'acceptait pas le drapeau tricolore, serait mort, et que la restauration pourrait alors se faire avec une personnalité plus accommodante. On le voit, les Républicains étaient plus favorables au quinquennat ! Aussi, quand on se veut traditionaliste, comme M. de Villiers, la moindre des choses serait de choisir ses repères dans l'Histoire !

Et puis, comment soutenir que le septennat serait plus démocratique que le quinquennat ! Il faut avoir un goût immodéré du paradoxe pour avancer que retremper plus souvent sa légitimité dans le suffrage universel serait moins démocratique !

M. le Rapporteur - C'est bien vrai !

M. Patrick Devedjian - Les trois derniers septennats -ceux de François Mitterrand, et celui qui est en cours- ont, tous, été obérés par une cohabitation. Est-ce un hasard ? Sûrement pas ! Cette dérive traduit un signal du peuple français, et s'explique plus particulièrement si l'on observe ce qui s'est passé avec François Mitterrand. En 1988, les Français l'élisent pour 7 ans. En 1989, le monde change complètement, et le Président nouvellement réélu ne comprend visiblement rien à sa nouvelle organisation (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Il ne comprend pas la réunification de l'Allemagne, et se fait le petit télégraphiste du coup d'Etat de Moscou ! (Mêmes mouvements)

Le mandat présidentiel doit être plus souvent relégitimé, car le monde change beaucoup plus vite qu'au temps de M. de Villiers !

C'est pourquoi, sans aucune hésitation, et parce que nous sommes à l'origine de ce projet nous, les vrais gaullistes, nous voterons contre l'exception d'irrecevabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR)

M. Jean-Pierre Soisson - Nous sommes contre la proposition de M. de Villiers, et nous voterons la réforme.

M. Alain Néri - Quels « nous » ?

M. Jean-Pierre Soisson - Il est exact que jamais, lors des travaux préparatoires à la nouvelle Constitution, la question de la durée du mandat présidentiel n'a été évoqué, M. Raymond Janot pourrait vous le confirmer.

Je suis l'un des rares députés présents ici ce soir qui ont voté la réforme de 1973. Relisez le compte rendu des débats de l'époque, et vous constaterez que rien n'a été ajouté aujourd'hui à ce qui a été dit alors. Dans ces conditions, la solution la plus simple consiste à reprendre en l'état ce qui a été fait en 1973 et, comme M. Baudis l'a suggéré dans un éditorial récent dans Le Figaro, d'aller directement au référendum, sans recommencer un débat parlementaire qui n'apportera rien de plus.

Un député socialiste - Forfaiture !

M. Jean-Pierre Soisson - Mais qu'on ne s'en cache pas. Cette réforme n'est pas anodine et, à terme, elle changera profondément nos institutions...

M. le Rapporteur - Nous le voulons !

M. Jean-Pierre Soisson - ...et fera que nous irons vers un régime présidentiel...

M. le Rapporteur - Nous ne le voulons pas !

M. Jean-Pierre Soisson - ...qui s'accompagnera d'un développement de la décentralisation et du renforcement des pouvoirs des régions.

C'est pourquoi le groupe DL ne votera pas l'exception d'irrecevabilité.

M. Renaud Donnedieu de Vabres - Je suis un peu étonné de la tonalité du débat car, pour moi, une réforme constitutionnelle visant à instituer le quinquennat n'a rien qui puisse brûler les doigts ou les lèvres. Je suis donc surpris de la retenue et du souverain détachement de Mme la Garde des Sceaux mais aussi de la violence à peine dissimulée derrière le talent de M. de Villiers.

Pourtant, la réalité politique et les nécessités institutionnelles s'imposent à nous et nous devons faire le constat lucide de la perception qu'ont nos concitoyens de la politique, des pouvoirs politiques et du rôle de l'Etat. Ce constat fait, la redéfinition du contrat qui lie élus et citoyens s'imposera. L'UDF, en tout cas, ne peut se satisfaire de la montée de l'abstention, du refus, du scepticisme et du mépris qui jalonnent désormais tout parcours politique. Combattre des idées, c'est déjà faire _uvre de démocratie et le pire est d'être confronté à des Français désabusés, qui pensent que la politique ne sert à rien et que les élus sont impuissants. Nous ne pouvons nous satisfaire de ce climat, et nous devons donc concentrer nos énergies pour expliquer à ceux qui ne le croient pas qu'une réforme profonde est nécessaire et urgente. Pour l'heure, certains s'interrogent sur le point de savoir si la proposition qui va leur être faite traduit de sombres règlements de compte ou s'il s'agit d'un projet pour l'avenir.

Je tiens, moi, que c'est un projet d'avenir, et je considère qu'il faut rendre à César ce qui lui appartient et dire que si la réforme prend corps, c'est grâce à un accord politique passé entre le Président de la République et le Premier ministre. Dire, aussi, que le projet engagé par le Président Pompidou n'a pas été mené à bien quand M. Giscard d'Estaing était Président de la République et que, pendant 14 ans, la majorité actuelle, qui aurait pu le faire, ne l'a pas fait.

Les rôles étant clairement définis, concentrons-nous sur la pédagogie et expliquons à nos concitoyens la nécessité du quinquennat. Définissons-en la portée immédiate et lançons la réflexion sur les évolutions qui compléteront l'étape que nous franchissons.

Le quinquennat est une idée populaire mais n'apparaît pas comme une réforme nécessaire. La priorité aujourd'hui, pour les Français, c'est le chômage, l'insécurité, la violence, la fiscalité, le financement de la santé et de la retraite, le rayonnement de notre culture, la formation des jeunes, l'unité nationale et l'intégration de chacun. Mais pour faire avancer ces grands chantiers, il faut un système institutionnel adéquat.

L'efficacité de l'action politique est remise en cause par l'abstention grandissante de nos concitoyens. Il nous appartient de redéfinir qui est en charge de quoi au niveau européen, au niveau national et au niveau local. De ce point de vue, le quinquennat n'est qu'une étape.

Par ailleurs, le quinquennat produira un progrès de la démocratie directe : il aboutira au choix par les électeurs d'un homme, d'une équipe, d'un projet. Quant au Parlement, à législation constante -je le dis devant le Président de l'Assemblée nationale, qui a présidé avec efficacité une commission d'enquête- il a, si ses membres en ont la volonté, la possibilité de contrôler efficacement le Gouvernement et l'administration.

Bref, au groupe UDF, à quelques exceptions près, nous n'avons pas le quinquennat honteux, frileux, réactif, alambiqué, incompréhensible et silencieux ! Mes chers amis, lançons une grande campagne d'explication. Cher Philippe de Villiers, à votre « non » ardent correspondra notre « oui » résolu. C'est la raison pour laquelle le groupe UDF refuse de s'associer à cette motion d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe du RPR).

M. Jacques Floch - Philippe de Villiers nous a fait un long plaidoyer sur ce que devrait être le septennat, feignant d'ignorer son origine. Notre collègue Devedjian est un brillant avocat et un éminent parlementaire, mais un piètre historien... Le comte de Chambord n'ayant pas d'enfant, on attendait qu'il meure pour que la place de prétendant au trône de France revienne au comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe. En 1873, les Républicains ne se sont pas associés aux monarchistes, mais ceux-ci avaient pris langue avec le secrétaire particulier du comte de Chambord, qui avait laissé entendre que celui-ci aurait disparu cinq ou six ans plus tard et que les monarchistes pourraient reprendre leur marche en avant.

En 1958, Michel Debré avait proposé le septennat au général de Gaulle pour lui assurer un pouvoir arbitral. Mais nous sommes maintenant au XXIe siècle ! Il faut, pour l'ensemble des institutions de la République, des mandats qui permettent de réellement contrôler les élus, à commencer par le principal d'entre eux.

Le quinquennat est un début. En 2002, lorsque nous aurons gagné, une fois de plus, les élections législatives et que l'un des nôtres sera à l'Elysée, nous réformerons la Constitution.

M. Patrick Devedjian - Vous avez déjà dit cela en 1981 !

M. Jacques Floch - Autant que vous le sachiez tout de suite : pour nous, socialistes, le quinquennat est une porte ouverte sur une révision plus complète des institutions de la Ve République (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste).

Monsieur de Villiers, il ne faut pas être nostalgique et rêver à un régime bonapartiste -ce qui m'étonne de votre part. Nous devons construire l'Etat démocratique et républicain qui seul permet de mener une politique au service de tous les citoyens.

Philippe de Villiers est un MMS : avant, il venait le mardi, le mercredi et le samedi ; puis on l'a vu en mars, en mai et en septembre, maintenant c'est notre meilleur souvenir ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jacques Brunhes - « Le principe de toute souveraineté réside dans la nation ». Déclaration des droits de l'homme de 1789.

Ce principe conduit à un système de représentation des citoyens qui composent la nation : les titulaires de la souveraineté sont le Chef de l'Etat et le Parlement. Or, Monsieur de Villiers, vous n'avez parlé ni de la République ni du suffrage universel, comme l'a souligné Mme la Garde des Sceaux, ni du Parlement.

Depuis le début de la Cinquième République, le problème de l'équilibre entre le Chef de l'Etat et le Parlement est posé. M. Duverger considérait que « l'abaissement du Parlement » était l'une des principales caractéristiques de notre Constitution ; certains se sont battus pour que celui qui se considérait comme le guide de la France voie maintenues en face de lui les prérogatives traditionnelles des Assemblées. Or nous constatons tous une dérive des institutions, dérive monarchique qu'évoquait M. Chirac en 1995 dans sa campagne électorale ; la commission Vedel a souligné l'excès de pouvoir du Président et l'insuffisance des pouvoirs du Parlement.

Le problème que nous avons à résoudre est donc celui-ci : comment équilibrer les pouvoirs du Président par des pouvoirs accrus du Parlement, aujourd'hui déshonoré, humilié.

Or, Monsieur de Villiers, vous proposez d'aggraver la présidentialisation. A ceux qui parlent de rééquilibre des pouvoirs, vous répondez, en utilisant les mêmes termes que M. Pasqua (Rires), qu'il vaudrait mieux renforcer les pouvoirs du Président de la République. C'est la République impériale... Et c'est, ajouterai-je, que vous le vouliez ou non, la République des courtisans et des spectateurs.

M. Bernard Roman, président de la commission des lois - Excellent !

M. Jacques Brunhes - Enfin, Monsieur de Villiers, vous n'avez pas le monopole de la défense de la nation. Vous décrétez que le débat est entre ceux qui croient en la nation et ceux qui n'y croient plus ; est-ce votre cousinage avec l'extrême-droite qui vous autorise à de telles affirmations ? Nous n'avons pas cessé ici de croire en la nation, de mesurer ses vertus, ses défauts, sa diversité qui est aussi sa richesse (Interruptions sur les bancs du groupe du RPR).

Je suis ici au banc de Gabriel Péri, fusillé par les Allemands ! (Exclamations sur les bancs du groupe du RPR) Et je pourrais en citer d'autres, dont une plaque sur ces bancs honore la mémoire...

M. Jean-Louis Debré - Vous n'avez pas le monopole de la Résistance !

M. Jacques Brunhes - En tout cas, je ne vous autorise pas, Monsieur de Villiers, à vous poser en défenseur de la France ! Vous êtes plutôt le fossoyeur de la République. N'insultez donc pas les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste)

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jean-Louis Debré - Combien de voix pour, Monsieur le Président ?

M. le Président - Une.

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QUESTION PRÉALABLE

M. le Président - J'ai reçu de M. Lionnel Luca une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Lionnel Luca - Ce projet de loi constitutionnelle a déjà, en 1973, été adopté en des termes identiques par les deux assemblées, mais n'a jamais été soumis au Congrès par son initiateur, le Président Pompidou car il lui aurait manqué 21 voix pour atteindre la majorité des trois cinquièmes.

Selon le Président Pompidou, la réforme projetée -ramener à cinq ans le mandat présidentiel, pour l'avenir- ne remettait en cause ni « l'esprit des institutions » ni « l'équilibre des pouvoirs publics ». De même, selon le Président Chirac, « le changement proposé ne remet pas en cause l'équilibre des institutions ». Le Président de la République a fortement insisté sur ce point lors de son intervention télévisée du 5 juin 2000. Selon lui, s'il est aujourd'hui possible de réduire la durée du mandat présidentiel sans remettre en cause nos institutions, c'est parce que le Premier ministre et lui-même, autrement dit la majorité et l'opposition, sont d'accord pour s'en tenir à cette seule modification, à l'exclusion de toute autre disposition.

Notons que cette révision présumée sans risque et qui ne touche pas, dit-on, à l'essence de la Constitution sera selon toutes probabilités approuvée par référendum, alors qu'il n'y a pas si longtemps, une révision qui affectait les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale -je parle du traité d'Amsterdam- n'a pas été soumise au vote du peuple.

Mais n'y a-t-il pas lieu tout d'abord de se demander si la seule modification proposée n'est pas en elle-même de nature à altérer le régime de la Ve République ? Jacques Chirac a par avance répondu que non en déclarant que si le texte devait être amendé, il arrêterait tout, parce qu'il ne veut pas « d'initiatives qui soient susceptibles de changer nos institutions ». Pourtant, l'adoption du quinquennat aura forcément pour effet de modifier en profondeur la nature même du régime.

D'ailleurs, la seule question sur laquelle le comité Vedel n'a pu parvenir à un consensus est celle de la durée du mandat présidentiel. Par un premier vote, le comité s'est en effet prononcé par dix voix pour le septennat et par six voix pour le quinquennat.

Rappelons que ce comité consultatif pour la révision de la Constitution, composé de seize des meilleurs experts français, avait été chargé par le Président Mitterrand de formuler des propositions tendant « à adapter nos institutions » sans « remettre en cause » leur architecture générale et leur esprit. Dans ce cadre, qui est exactement celui dans lequel le Président Chirac entend inscrire son projet, le comité Vedel proposa de modifier 44 articles de la Constitution. Le plus remarquable, compte tenu de la diversité des membres composant le comité, est que toutes les propositions ont fait l'objet d'un consensus. Or, la seule question que le comité Vedel n'a pas tranché faute de consensus, celle de la durée du mandat, est d'emblée considérée comme réglée par l'auteur du projet de loi constitutionnelle qui va être soumis à notre examen. Pour celui-ci, il va de soi qu'en l'absence de toute autre modification du texte, la réforme projetée ne changera ni la nature de la Constitution, ni l'équilibre de nos institutions. Mieux encore, elle comblera un déficit démocratique et améliorera l'équilibre institutionnel. Le consensus existant dans la classe politique et dans l'opinion publique suffit, paraît-il, à montrer que la question ne se pose pas. Or, elle se pose bel et bien et il incombe aux partisans du quinquennat d'établir pourquoi il faut réduire la durée du mandat présidentiel.

Il ressort nettement des arguments avancés par ces derniers que ce qui importe, c'est moins la valeur absolue de la durée du mandat présidentiel que sa valeur relative par rapport à celle du mandat des députés, le but étant d'éviter la cohabitation.

Pour ses partisans, le quinquennat présente de nombreux avantages. Il permet d'éliminer la cohabitation. Il pallie le déficit démocratique lié au fait que, si le général de Gaulle avait maintenu à sept ans la durée du mandat présidentiel, il avait accompagné ce choix du recours systématique, en cours de mandat, au référendum, dont l'issue affectait directement le mandat, pratique tombée en désuétude.

Le quinquennat aurait en outre le mérite d'inscrire dans la Constitution ce qui existe déjà dans les faits, à savoir que le Président est un Président capitaine, chef de majorité, que l'on doit élire pour la même durée que la majorité qu'il conduit. Il institutionnalise aussi une autre réalité : le fait que depuis 1981 aucun Président de la République n'a pu accomplir un septennat « réel » ; ce que le Doyen Vedel résumait par la formule « sept ans égalent cinq plus deux ». Il renforce la logique gouvernementale, en faisant coïncider la durée du mandat présidentiel avec celle de la majorité gouvernementale, issue de la majorité parlementaire. Il favorise l'accomplissement de plusieurs mandats successifs, puisque, à l'exception de François Mitterrand, aucun Président n'a réussi à accomplir deux mandats.

Le quinquennat pourrait en outre prévenir l'érosion du pouvoir et l'affaiblissement de l'autorité présidentielle résultant de la longueur excessive du mandat. Il renforcerait l'autorité du Président de la République par rapport à l'Assemblée nationale qui se prévaut, parce qu'élue à intervalles plus fréquents, d'être l'interprète la plus fidèle et la plus à jour de la volonté populaire, ce qui met le Président dans une sorte d'infériorité morale vis-à-vis du Parlement, comme l'observait Georges Pompidou. Le quinquennat pourrait contraindre le Président de la République à « occuper le terrain » en s'engageant pleinement du point de vue politique et à mettre pleinement en jeu sa propre responsabilité en fin de mandat. Il compléterait la « révolution de 1962 » qui met fin à la fiction du Président à la fois « arbitre au-dessus des partis » et capitaine d'une majorité, pour consacrer ce qu'il est dans les faits : capitaine, ou capitaine d'abord et arbitre accessoirement. Il viendrait enfin clarifier les rôles respectifs du Président et du Gouvernement dans la détermination de la politique de la nation.

Tels sont les avantages supposés du quinquennat. Avant de rappeler les inconvénients qu'on lui oppose, je souhaite rappeler deux points de sémantique qui recouvrent des questions de fonds.

Tout d'abord il n'est pas exact que l'institution du septennat conduirait à l'instauration d'un « régime présidentiel ». En effet, comme le rappelle le rapport Vedel, un régime présidentiel n'est pas celui où le parti du Président de la République dispose de majorité au Parlement. Mais il faut bien voir la portée de cette erreur. Le régime présidentiel, tel que l'entendent les constitutionnalistes, est caractérisé par une séparation rigide des pouvoirs, ce qui signifie en particulier qu'il n'y a pas de place pour des mécanismes de dissolution d'une chambre ou de mise en jeu de la responsabilité politique d'un organe exécutif. En conséquence, l'exécutif est monocéphale, puisqu'il n'est pas nécessaire d'en détacher un organe responsable devant le Parlement. Aux Etats-Unis, la Constitution confie ainsi au Président, la totalité du pouvoir exécutif. Paradoxalement, ce modèle exerce une attraction considérable sur tous les continents, alors qu'il est quasiment inimitable. Les transpositions qu'on en a faites en Asie, Afrique et surtout en Amérique latine ne font qu'illustrer la dénaturation du modèle ; les réalisations sud-américaines notamment sont des « régimes présidentiels » très particuliers. En outre, les tentatives en vue de définir le régime institué en 1958 ont toutes échoué qu'on ait parlé de régime parlementaire rationalisé, de régime parlementaire présidentialisé, de régime semi-parlementaire, de régime semi-présidentiel, etc., au point que le comité Vedel le définit comme un modèle « hors normes » voire « hors série ».

D'autre part, comme le souligne le rapport Vedel, l'arbitrage du Chef de l'Etat inscrit à l'article 5 de la Constitution, peut être compris dans un sens faible, celui de la langue juridique quotidienne, ou dans un sens fort, inventé pour cet article 5.

En effet, dès le discours de Bayeux, le général de Gaulle évoque la nécessité d'un arbitre « au-dessus des contingences politiques ». Guy Mollet et Pierre Pflimlin, s'interrogeant en 1958 sur le statut du Président de la République dans le projet de Constitution jugent qu'il peut soit intervenir dans la vie politique, soit être un arbitre, mais pas les deux. Un accord des ministres d'Etat est obtenu sur le rôle d'arbitre du Président de la République. Mais, le 16 juin 1958, M. Raymond Janot, le plus proche collaborateur de Michel Debré et du général de Gaulle, indique à ce dernier que cet accord est largement illusoire. Dans la tradition des anciens présidents du Conseil, souligne-t-il, « un arbitre est un personnage qui ne prend jamais parti sur les grands problèmes ». Quelques jours plus tard, devant le Conseil d'Etat, le même Raymond Janot distingue clairement l'arbitrage selon la tradition et l'arbitrage selon Bayeux. Le 23 juin, Guy Mollet décèle une certaine contradiction entre la possibilité que le projet constitutionnel offre au Président de la République de dissoudre sans contreseing et son rôle d'arbitre. Pour sa part, M. Janot écartait la conception traditionnelle de l'arbitre et expliquait au Général l'importance des pouvoirs qu'il pourrait exercer sans contreseing. Plus tard, M. Janot précisait devant le Conseil d'Etat comment cet arbitre, entendu comme quelqu'un qui, dans certains cas précis, prend des décisions, interviendrait dans la vie politique. Il intervient d'abord dans le fonctionnement des institutions, comme l'autorité morale qu'il représente, ensuite par un certain nombre d'actes qui sont sa chose propre sans contreseing, et enfin, dans les cas particulièrement graves, grâce aux dispositions de l'article 16. Et de souligner que l'arbitrage ainsi entendu est un concept juridique nouveau, créé par la Constitution de 1958. Il définit une mission du Président. Avec le quinquennat, cette mission sera grignotée, voire remplacée, par celle du chef de Gouvernement ou de chef de majorité. Quant au Premier ministre, il risque d'être réduit au rôle de « chef de cabinet », et sa fonction s'effacera quasi fatalement.

En effet, en situation de quinquennat, le Président de la République ne saurait plus être arbitre au sens de la Constitution, que la majorité parlementaire ait ou non la même couleur politique que lui. Aux partisans du quinquennat, s'ils le peuvent, de démontrer le contraire ! Et l'abolition ou la dénaturation de cette notion d'arbitre entraîne nécessairement celle de la notion de Chef de l'Etat dans notre Constitution. Or le comité Vedel caractérise ainsi les données fondamentales de la Ve République : « le mode d'élection et le rôle du Chef de l'Etat, la fonction de Premier ministre, la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale, le bicaméralisme différencié, le contrôle de constitutionnalité des lois ». Puisque l'institution du quinquennat paraît avoir des effets immédiats et profonds sur le rôle du Chef de l'Etat et la fonction du Premier ministre, c'est-à-dire au moins deux des composants fondamentaux de la Ve République, force est de conclure que nous sommes entrés dans une autre République.

Mais la réforme est susceptible de toucher un troisième constituant fondamental de la VRépublique : la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale. Quel sens conserverait-elle en effet face à un Chef de l'Etat non seulement doté d'importants pouvoirs propres, comme la dissolution ou le pouvoir d'initier un référendum, mais également élu pour appliquer un programme ou s'appuyant sur une majorité qui défend le même programme ?

De surcroît, on ne pourra plus guère renverser le Gouvernement sans obliger le Chef de l'Etat à dissoudre. Le chef de Gouvernement deviendra un simple exécutant du programme présidentiel, un « chef de cabinet », et l'on n'évitera pas, à terme, un face à face Président-Parlement, caractéristique du régime présidentiel.

Dans ce face à face, le Premier ministre, tantôt fusible du Président, tantôt sa courroie de transmission, tantôt galet d'entraînement de la majorité présidentielle, deviendra un simple exécutant du programme présidentiel.

Cet affaiblissement du Premier ministre et ce renforcement du Président seront accentués, à l'approche de l'élection, par la seule perspective de la réélection. Un Président élu pour cinq ans seulement sera en effet poussé à s'emparer dès son arrivée de tous les leviers de commandes pour accélérer la réalisation de son programme, afin qu'on en perçoive les premiers résultats avant le terme de son mandat, mais aussi pour favoriser sa réélection, encore plus tentante dans un rythme électoral notablement raccourci. Le Premier ministre perdra par là le peu de latitude qui lui restait pour s'affirmer comme chef de Gouvernement et sera définitivement relégué dans un rôle de chef de cabinet. On voit ici les limites de l'argument selon lequel l'institution du quinquennat n'instaurerait pas un régime présidentiel puisque subsisterait un Gouvernement responsable devant le Parlement. Le quinquennat pousserait trop loin la logique « gouvernementale » de notre Constitution, la bouleverserait au-delà peut-être de ce que souhaitent les partisans même de la réforme.

Le doyen Vedel a écrit dans Le Monde que le quinquennat instaurerait un régime parlementaire véritable, et non un régime présidentiel. Même si c'est vrai, ce sera un régime parlementaire sans Chef de l'Etat, alors que ceux que nous connaissons ont un Chef de l'Etat, qui assure une fonction symbolique forte d'arbitrage. Cette fonction est définie par l'article 5 de la Constitution : il garantit l'indépendance nationale, la continuité de l'Etat et l'intégrité du territoire. Je ne prétends pas que le Président de la République soit principalement un arbitre ; mais un pays comme la France, où les oppositions sont parfois très vives, ne peut se passer d'un arbitre, qui puisse en certaines circonstances parler au nom de la nation. D'ailleurs, mis à part les Etats-Unis, et encore, quelle démocratie comparable à la nôtre s'en passe ? Certainement pas l'Allemagne ou le Royaume-Uni.

Faire du Chef de l'Etat un pur chef de gouvernement ou de majorité parlementaire est profondément contraire à notre tradition, où demeure la force symbolique du Chef de l'Etat, même si le peuple a besoin d'une certaine personnalisation de ce chef dans lequel il désire se reconnaître. En effet, une Constitution n'est pas seulement un texte juridique, mais aussi un texte psychologique. Encore faut-il que la fonction de Chef de l'Etat n'ait pas été abolie, ce qui serait le cas avec cette réforme.

Ainsi, trois des cinq éléments fondamentaux de la Ve République sont dénaturés ou abolis par l'institution du quinquennat : le rôle du Chef de l'Etat, la fonction du Premier ministre et la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée. C'est ce qu'a bien montré Mme Marie-Françoise Bechtel, rapporteur général du comité Vedel. Le décret du 2 décembre 1992 instituant ce comité avait certes astreint ses membres au secret de leurs délibérations. Mais en mai-juin 1993, deux mois après la remise du rapport, la fondation Jean Jaurès, qui est à la famille de pensée social-démocrate ce que la fondation Robert Schuman est à la famille démocrate-chrétienne et l'Institut Charles de Gaulle à la famille gaulliste, organisait plusieurs séminaires pour discuter les propositions du comité Vedel. Le premier était intitulé « Faut-il réduire la durée du mandat présidentiel ? » Mme Bechtel, membre du Conseil d'Etat, y participait. Elle s'opposa aux arguments avancés par un ancien membre du comité Vedel, par ailleurs professeur de sciences politiques et directeur de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, en faveur du quinquennat, et montra que pousser jusqu'au bout la logique de nos institutions risquait de nous conduire à un déséquilibre plutôt qu'à un meilleur équilibre -alors que le Président de la République soutient que le changement proposé ne remet pas en cause l'équilibre des institutions. Dans sa démonstration, Mme Bechtel établit qu'une telle réforme dénaturerait ou supprimerait les trois mêmes éléments fondamentaux de la Constitution de la Ve République, que j'ai mentionnés.

Le risque est grand, selon Mme Bechtel, que le quinquennat conduise, demain, à l'effacement du Premier ministre et, à terme, à un véritable régime présidentiel : il suffirait de remplacer la dissolution par le droit de veto et de supprimer la fonction de Premier ministre.

M. le Rapporteur - Hors sujet !

M. Lionnel Luca - Si déficit démocratique il y a, concluait Mme Bechtel, ce n'est pas du côté du contrôle de la fonction présidentielle, mais du côté de l'exercice de la fonction parlementaire.

On peut s'étonner que ce qui faisait question il y a sept ans, à l'époque du comité Vedel, ne fasse plus question aujourd'hui pour une majorité de la classe politique comme de la population. Que les uns affirment que le quinquennat ne fera que renforcer les avantages de la Ve République en remédiant à ses inconvénients, soit ; que d'autres en espèrent, au contraire, un changement de régime, c'est leur droit ; mais que l'on passe sous silence, plus ou moins consciemment, l'enjeu présidentialiste, voilà qui est plus préoccupant. Entre le péril, au demeurant exagéré, de la cohabitation, et le changement de régime, le choix est fait : le bébé non désiré est jeté, mais avec l'eau du bain !

En fait, l'enjeu est plus grave encore, car il oppose deux conceptions de la démocratie : d'un côté, un gouvernement représentant les différentes composantes de la majorité parlementaire, et chargé de conduire collégialement la politique de la nation sous la haute surveillance d'un président garant des intérêts supérieurs de celle-ci ; de l'autre, un président déterminant lui-même la politique nationale, l'adaptant aux circonstances et la faisant exécuter par son gouvernement. Au nom d'une modernité que l'inconscient collectif associe à la notion de progrès, on prétend se débarrasser de survivances qui paraissent démodées mais n'en ont pas moins leur utilité : c'est le cas du septennat, pièce maîtresse de la Ve République, à telle enseigne que sa disparition risque d'ébranler tout l'édifice.

Cette remise en cause de la Constitution ne nous paraît pas fondée, et encore moins l'urgence dans laquelle il y est procédé. Elle constitue une man_uvre politicienne, qui vise à prendre les Français en otages et ne fera que les éloigner un peu plus encore de la politique. Cette réforme de circonstance et de convenance, proposée -ô coïncidence- trois jours après le cinquième anniversaire de l'élection de l'actuel Chef de l'Etat par l'un de ses prédécesseurs qui fut lui-même cruellement désavoué, satisfera peut-être les deux têtes de l'exécutif et leurs partisans, mais elle transformera la cohabitation en compromission. Les arguments invoqués en sa faveur ne sont que prétextes fallacieux : les Français ont bien compris qu'il s'agissait moins de réduire le mandat présidentiel que d'assurer la victoire de l'actuel titulaire du poste ou celle de son rival officiel. Nul ne croit plus possible, en effet, de renouveler l'exploit du général de Gaulle ou de François Mitterrand, car qui est de taille, aujourd'hui, à incarner l'espoir des Français sur une durée aussi longue qu'un double septennat ?

Cédant aux effets de mode, aux réflexions superficielles, aux ambitions personnelles inassouvies et mal dissimulées, on détruit l'un des piliers de nos institutions, qui ont pourtant fait leurs preuves. Une fois de plus, ce sont ceux-là mêmes qui avaient vocation à en être les remparts qui en sont devenus les lignes Maginot. Le 31 janvier 1964, le général de Gaulle déclarait : « Parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérant le caractère et abrégeant la durée de sa fonction de Chef de l'Etat. »

Loin d'être anodine, la modification qui nous est proposée constitue le début d'un véritable changement de République. Le Rassemblement pour la France considère qu'elle n'a pas lieu d'être et vous demande de voter la question préalable.

M. Philippe de Villiers - Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann - Nous avons pu entendre, depuis quelques heures qu'a commencé ce débat, différentes approches. Une approche politicienne chez certains orateurs de la majorité, qui prétendent que le quinquennat est une idée de toujours du parti socialiste...

M. François Colcombet - C'est vrai !

M. Jean-Luc Warsmann - Si tel était le cas, il serait déjà réalité, soit que le groupe socialiste ait, en 1973, voté pour au lieu de voter contre, soit que François Mitterrand ait mis à profit ses quatorze années de présidence pour en relancer l'idée ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste)

D'autres, en revanche, considèrent que le quinquennat remet en cause l'équilibre de nos institutions. Ce faisant, ils oublient que le général de Gaulle lui-même considérait le septennat comme trop long, puisqu'il a jugé utile de recourir régulièrement au référendum, tout au long de ses deux mandats, afin d'aller à la rencontre des Français, et qu'il a même remis, à chaque occasion, ses fonctions en jeu. Ses successeurs n'ont pas fait de même, et sans doute nos concitoyens jugeraient-ils la pratique plébiscitaire si elle se trouvait remise en vigueur aujourd'hui. Les temps ont en effet changé, et le moment est venu, nous semble-t-il, d'engager le débat sur la question du quinquennat. Le RPR considère, pour sa part, que celui-ci permet des rendez-vous plus rapprochés avec le corps électoral, qu'il confirme le rôle de garant du Président de la République et qu'il rend plus probable la constitution d'une majorité parlementaire permettant à ce dernier de mettre en _uvre son projet. C'est pourquoi nous ne voterons pas la question préalable (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe du RPR).

M. le Président de la commission - Enfin quelqu'un pour défendre le Président de la République ! (Protestations sur les bancs du groupe du RPR)

M. Léonce Deprez - Je ne suis pas de ceux qui ont une vision sombre de l'avenir. Nous sommes à la fin d'un siècle qui a démontré l'efficacité des institutions de la Vème république, institutions que nous devons au général de Gaulle et qui ont permis à la France d'être ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire un pays respecté en Europe. J'observe, d'autre part, que les quatre présidents qui ont succédé au général de Gaulle se sont tous prononcés, tôt ou tard, en faveur du quinquennat. Comment pourrions-nous ne pas tenir compte de leur position commune ? Il n'est que normal, enfin, que notre République veuille, après quarante ans et à l'aube d'un nouveau siècle, se moderniser en adoptant un rythme plus approprié, identique pour l'élection du Chef de l'Etat et pour celle des représentants du peuple.

Il est dommage qu'en cas de cohabitation on assiste davantage à un duel à la tête de l'Etat, fût-il pacifique, qu'à un duo. Il faudrait non pas une cohabitation entre le chef de l'Etat et la représentation nationale mais une coopération. Favorisons cette évolution et donnons confiance aux Français en cette réforme.

Nous sommes nombreux à ne pas vouloir d'une VIe République non plus que d'un régime monarchique. Le quinquennat facilitera la démonarchisation de nos institutions, laquelle était une dérive par rapport à ce qu'avait voulu le général de Gaulle.

Ne cédons pas au pessimisme : soyons plutôt optimistes et faisons partager cet optimisme à nos concitoyens. C'est ainsi que nous leur redonnerons confiance en la politique et en la République.

M. Jacques Floch - Chers collègues socialistes, oubliez le discours gaullien de Jean-Luc Warsmann mais acceptez sa conclusion en votant contre cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La question préalable, mis aux voix, n'est pas adopté.

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, demain jeudi 15 juin, à 9 heures 30.

La séance est levée à 23 heures 50.

                      Le Directeur du service
                      des comptes rendus analytiques,

                      Jacques BOUFFIER

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ORDRE DU JOUR
DU JEUDI 15 JUIN 2000

A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 2462) relatif à la durée du mandat du Président de la République.

M. Gérard Gouzes, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. (Rapport n° 2463)

2. Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi (n° 2456) modifiant la loi
n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

M. Didier Mathus, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Rapport n° 2471)

A QUINZE HEURES : 2ème SEANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A VINGT ET UNE HEURES : 3ème SEANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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