N° 1352 (rectifié)
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 janvier 1999.
PROPOSITION DE LOI
tendant à créer deux départements en Guyane.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée

par MM. Léon BERTRAND, René ANDRÉ, Jean AUCLAIR, André BERTHOL, Jean BESSON, Michel BOUVARD, Victor BRIAL, Philippe CHAULET, Charles COVA, Pierre FROGIER, Michel INSCHAUSPÉ, Henry JEAN-BAPTISTE, Jacques KOSSOWSKI, Jacques LAFLEUR, Arnaud LEPERCQ, Lionnel LUCA, Thierry MARIANI, Jean MARSAUDON, Patrice MARTIN-LALANDE, Charles MIOSSEC, Patrick OLLIER, Pierre PETIT et André THIEN AH KOON,

Députés.

DOM.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi a pour objet d'ériger deux départements en Guyane.
La création d'un second département s'impose compte tenu de la superficie du territoire, du contexte géopolitique, du déséquilibre observé tant au niveau administratif qu'économique, et de l'évolution démographique.
En effet, la Guyane a une superficie de 91 000 km2 qui équivaut à environ 1/6 de la surface de la France et à quelque trois fois la surface de la Belgique.
Elle est enchâssée dans le nord-est de l'Amérique latine, et a une position continentale, contrairement aux trois autres départements d'outre-mer, insulaires. Ces paramètres situent la Guyane dans un contexte géopolitique spécifique, matérialisé par plus de 1 000 km de frontières politiques avec le Brésil et le Surinam.
En Guyane, l'idée de séparation en deux régions distinctes et spécifiques n'est pas nouvelle. Elle n'est même que la reprise d'un état qui a existé en Guyane entre les années 1930 et 1946.
En effet, pour permettre le développement économique du littoral guyanais, où vivait la population la plus nombreuse, le Gouvernement français d'alors avait, par décret du 9 juin 1930, pris la décision de créer deux zones bien distinctes :
- la colonie de la Guyane, sur le littoral ;
- le territoire de l'Inini comprenant tout l'arrière-pays.
En 1946, lors de la départementalisation des colonies, la priorité était de procéder au rattrapage social plutôt qu'au développement économique. La population totale de la Guyane - environ 40 000 personnes - vivant en grande majorité dans et autour de Cayenne, il a paru plus simple de créer un seul et même département dont Cayenne devenait de fait le centre administratif, centre de décision et centre presque exclusif des activités commerciales.
Or, en une cinquantaine d'années, la population a plus que quadruplé sur l'ensemble du territoire en progressant fortement sur la partie occidentale, sans que la centralisation administrative sur Cayenne, normale en 1946, ne soit reconsidérée.
Du fait de l'organisation de 1946, Cayenne a drainé régulièrement des populations de Guyane provoquant un développement anarchique des bidonvilles et de ses corollaires : délinquance, clochardisation. L'Administration a donc été amenée à privilégier cette commune en lui attribuant la plus grande part des fonds prévus pour l'ensemble des communes de Guyane aux fins de lutter contre le chômage, créer des logements décents, renforcer les infrastructures économiques, scolaires, universitaires... accentuant immanquablement le déséquilibre de développement entre la capitale et le reste du département.
Depuis environ deux décennies, grâce au développement et à l'amélioration des voies de communication, du réseau sanitaire et social, l'exode des habitants vers la grande ville a commencé par décroître puis, par compensation, la population s'est accrue dans les communes pour connaître enfin une explosion démographique sans précédent en Guyane, renforcée par l'arrivée massive de population étrangère.
Mais l'organisation administrative du centre de décision est restée strictement la même, obligeant toute la population de la Guyane à toujours devoir se rendre à Cayenne pour les formalités administratives. Il en est de même pour l'affectation des fonds destinés au développement de l'ensemble de la Guyane, sa répartition n'a guère évolué, Cayenne étant affectée du nouveau fléau : l'immigration.
Il est donc temps de reconsidérer la situation en fonction du paysage démographique actuel et des nécessités de développement des communes.
Séparer la Guyane en deux départements relève de plusieurs préoccupations, dont les principales sont :
- reconnaître la réalité économique et démographique de deux régions bien distinctes ; pour les raisons exposées, l'île de Cayenne draine la majorité des fonds prévus pour le développement de l'ensemble des communes de la Guyane ; au détriment des autres communes, notamment celles de l'ouest, qui, pourtant, en plus de cinquante ans, ont vu leur population croître de manière considérable. D'autant que la partie occidentale du territoire détient d'énormes potentiels économiques grâce à l'or, à la forêt, à l'agriculture et au tourisme ;
- renforcer l'efficacité de l'administration en créant un centre de décision plus proche des réalités du terrain ; la Guyane est le seul département français dont la sous-préfecture se trouve à presque 300 km d'un chef-lieu ne pouvant être atteint par les administrés que par une route difficile ou par voie aérienne. D'où, pour les administrés, une immense perte de temps et d'argent. La création de la région, dans les années 70, n'a fait que renforcer la position centralisatrice administrative et décisionnelle de Cayenne ;
- mettre fin à l'absurdité d'une région monodépartementale et permettre ainsi l'application rationnelle de la loi portant création des régions. Tous les DOM sont des régions monodépartementales, situation qui se justifie, en partie, par l'insularité et la surface réduite de leur territoire. Ces arguments ne concernent pas la Guyane. La superficie de son territoire, correspondant à la surface moyenne de cinq départements métropolitains, la démographie galopante enregistrée dans les communes, l'importance stratégique de celles qui sont frontalières, sont des éléments qui n'ont pas été considérés dans la réorganisation régionale.
La mise en place de deux collectivités sur le même territoire est non seulement source de problèmes de compétences, mais aussi responsable de nombreux dysfonctionnements.
La scission de la Guyane en deux départements distincts la fera relever automatiquement du droit commun régional. Elle aura pour conséquence :
- l'éclatement des centres de décisions ;
- le contrôle administratif plus rationnel et efficace ;
- la clarification des compétences entre le département et la région ;
- la meilleure répartition des finances publiques ;
- le développement des activités tertiaires dans les zones défavorisées ;
- l'amélioration de la qualité de vie de l'ensemble des habitants par une administration rapprochée.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Il est créé sur le territoire de la Guyane deux départements qui prennent respectivement les noms de département de la Guyane de l'Est et département de la Guyane de l'Ouest.
Le département de la Guyane de l'Est comprend les communes de Cayenne, Remire-Montjoly, Montsinery-Tonnegrande, Tonate-Macouria, Matoury, Roura, Régina-Kaw, Ouanary, Saint-Georges, Camopi, Saint-Elie, Kourou, Sinamary, Iracoubo.
Le département de la Guyane de l'Ouest comprend les communes de Saint-Laurent-du-Maroni, Apatou, Grand-Santi, Papaïchton, Maripasoula, Saül, Awala-Yalimapo, Mana.
Le département de la Guyane est supprimé.

Article 2

Sauf disposition contraire de la présente loi, les immeubles faisant partie du domaine public ou du domaine privé du département de la Guyane, les meubles corporels de ce département ainsi que tous les droits et obligations se rattachant à ces immeubles ou à ces meubles sont transférés, de plein droit, au département sur le territoire duquel ils sont situés.
Les nouveaux départements peuvent, par accord amiable, modifier la répartition résultant de l'alinéa premier du présent article.

Article 3

Lorsque les biens mentionnés à l'article 2 ci-dessus sont situés hors du territoire de la Guyane, ces biens ainsi que les droits et obligations qui s'y rattachent sont transférés par accord amiable entre les nouvelles collectivités, à l'une d'entre elles ou à une institution départementale.
Il en est de même pour les biens mobiliers et incorporels, y compris les droits réels immobiliers quand l'attribution de ces biens n'est pas déterminée par les articles 2, 4 ou 5. Si aucun accord n'est intervenu dans un délai d'un an à compter de la mise en vigueur des dispositions de l'article 1er de la présente loi, il peut être procédé, par décret en Conseil d'Etat, au transfert de ces biens, droits et obligations soit aux nouvelles collectivités, soit à la région.
Les mêmes dispositions s'appliquent aux biens du département de la Guyane, quel que soit le lieu où ils sont situés, qui présentent un intérêt interdépartemental eu égard à la nouvelle organisation de la Guyane et dont la liste est établie par décret en Conseil d'Etat pris avant la mise en vigueur des dispositions de l'article 1er de la présente loi. Ce décret précisera éventuellement les conditions dans lesquelles les nouveaux départements sont appelés à contribuer aux charges résultant de l'exploitation de ces biens.

Article 4

Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions de répartition entre les nouveaux départements des disponibilités déposées au nom du département de la Guyane. Ce décret fixe également de quelle façon sera assurée la prise en charge du service de la dette du département de la Guyane. A titre transitoire et jusqu'à l'intervention des accords prévus à l'article 3 ou, le cas échéant, des décrets qui s'y substituent, les biens, droits et obligations du département de la Guyane régis par ledit article sont provisoirement attribués au département de la Guyane de l'Est.

Article 5

Les transferts de biens, droits et obligations prévus par la présente loi ne donnent lieu à aucune indemnité, droit, taxe ou honoraire.

Article 6

Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions de répartition entre les nouveaux départements de la dotation globale de fonctionnement et de la dotation globale d'équipement perçues par le département de la Guyane.
Les recettes fiscales revenant au département de la Guyane dont le taux n'est pas fixé par les conseils généraux sont réparties entre les nouveaux départements au prorata de leurs populations respectives.
Toutefois, la redevance des mines est versée au département dans le territoire duquel se trouvent les exploitations imposées. De plus, la taxe de publicité foncière prévue à l'article 1595 du code général des impôts est versée aux deux départements conformément aux dispositions de cet article.

Article 7

Le mandat des administrateurs des organismes chargés de la gestion d'un service public dans le département de la Guyane prendra fin à dater de l'installation des administrateurs des organismes chargés de la gestion du service dans la limite des nouveaux départements.

Article 8

I.- Les personnels de l'ancien département de la Guyane sont répartis entre les nouveaux départements et pris en charge par eux dans les conditions fixées au III du présent article.
Ces personnels conservent dans les nouveaux départements leurs droits acquis et l'ensemble des avantages dont ils bénéficient.
II.- Il ne peut être fait appel à des personnels extérieurs pour pourvoir les emplois des nouveaux départements qu'à défaut de candidats issus des personnels de l'ancien département possédant les qualifications requises.
III.- Un décret en Conseil d'Etat précisera les conditions d'application du présent article, notamment :
1° Les modalités de reclassement du personnel ainsi que les conditions dans lesquelles il sera tenu compte des voeux exprimés par les intéressés ;
2° Les règles relatives aux indemnités dues à raison des déplacements résultant de la nouvelle organisation de la Guyane ;
3° La répartition entre les nouveaux départements des charges découlant tant de l'affectation des personnels figurant au tableau d'effectifs que des personnels qui pourraient être momentanément en surnombre par rapport à ces tableaux. Cette répartition tiendra compte des possibilités financières de ces départements.

Article 9

Les conseillers généraux représentant, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, les cantons compris dans les limites des départements de la Guyane de l'Est et de la Guyane de l'Ouest forment de plein droit les conseils généraux de ces départements jusqu'à l'expiration de leur mandat.

Article 10

Sous réserve des dispositions de la présente loi, les départements de la Guyane de l'Est et de la Guyane de l'Ouest sont, pour l'application de tous les textes de nature législative applicables au département de la Guyane, substitués à ce département.

Article 11

Les charges et pertes de recettes supplémentaires occasionnées par l'entrée en vigueur de la présente loi pour les départements concernés sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.
L'augmentation des charges de l'Etat entraînées par cette majoration de la dotation globale de fonctionnement est compensée par une augmentation à due concurrence des droits de consommation sur les tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Article 12

Pour ce qui concerne le nouveau département, par application du régime juridique lié à la création de toute nouvelle collectivité, des mesures à caractère réglementaire seront prises en fonction du constat qui sera dressé tant du point de vue de la dette que du potentiel fiscal.
Il appartiendra aux responsables élus de la nouvelle collectivité de prendre les décisions adaptées sur la base des compétences qui leur sont dévolues par les lois successives de décentralisation, celles plus particulièrement rattachées au fonctionnement des conseils généraux.

Article 13

Des décrets en Conseil d'Etat déterminent, en tant que de besoin, les conditions d'application de la présente loi et fixent notamment les chefs-lieux des nouveaux départements ainsi que les dates d'entrées en vigueur des dispositions de ladite loi.


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