N° 1704
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juin 1999.
PROPOSITION DE LOI
tendant à créer des entreprises franches régionales
dans les
départements d'outre-mer.
(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Léon BERTRAND,
Député.

DOM.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'économie des départements d'outre-mer souffre de handicaps multiples, tels que l'éloignement, l'étroitesse du marché ou encore le coût de la main-d'_uvre. La mondialisation n'a fait que fragiliser ces économies encore trop basées sur des monoproductions agricoles.
Pour favoriser le développement économique de ces régions, une multiplicité d'aides aux entreprises a été mise en place. Aujourd'hui, on ne compte pas moins de vingt-neuf aides différentes gérées par de nombreux organismes, certaines nécessitant même plusieurs agréments. La complexité du dispositif est telle qu'elle rebute souvent les investisseurs extérieurs, ceux-ci, ayant déjà à gérer un risque économique, ne pouvant s'offrir le luxe de gérer un risque « administratif » supplémentaire.
Prenons l'exemple de la loi de défiscalisation du 11 juillet 1986, dite « loi Pons ». Il s'agit là d'une des aides les plus complexes qui ne soit jamais créées dans une zone subventionnée, même si l'efficacité de la mesure a été prouvée depuis lors. Le dispositif inclut un système d'agréments et comporte un risque de réintégration fiscale non négligeable.
Force est de constater qu'aujourd'hui aucun DOM n'est sorti véritablement du schéma traditionnel de l'économie dite de
« transfert » : une dépense budgétaire massive alimente un appareil productif tourné vers l'import-substitution et l'export de produits agricoles traditionnels ainsi que le tourisme. Aucune filière industrielle ou de services ne s'est réellement mise en place alors que des entreprises étaient parfois prêtes à des investissements massifs.
Par ailleurs, le législateur a multiplié les zonages jusqu'à introduire dans les esprits une confusion certaine : on trouve outre-mer des zones franches instaurées par la loi de programmation en faveur de l'outre-mer du 31 décembre 1986, des zones franches CEE, des zones franches urbaines (pacte de relance de la ville), des zones de revitalisation rurale, etc.
Ces zones franches ont produit un bilan mitigé, d'une part parce que l'outil financier et fiscal est inadapté à l'objectif d'industrialisation, et d'autre part parce que l'accueil d'une zone franche est coûteux en aménagement des terrains.
La zone franche dans sa conception actuelle ne peut apporter qu'une réponse très partielle aux attentes des investisseurs potentiels. Elle conduit à privilégier certaines parties du territoire au détriment des autres, puisque la zone franche est constituée avec une localisation fixe et donc discriminatoire avec toute une série d'inconvénients majeurs : éloignement des entreprises des centres de production ou de distribution, contraintes routières, voire aériennes ou fluviales pour la Guyane.
Dans un souci de simplification et de souplesse, la présente proposition de loi a pour objet de remplacer la notion de zone franche de type loi « programme de 1986 » par celle « d'entreprises franches régionales ».
La prise en compte de l'outre-mer en tant que « zone prioritaire Ultrapériphérique » permet la définition d'un modèle de développement adapté aux DOM et le projet « d'entreprises franches régionales » entre parfaitement dans ce cadre.
L'objectif est de rendre le dispositif d'aides existant plus lisible, de dynamiser les entreprises exportatrices, d'attirer les investisseurs ; cela grâce à une subvention à l'investissement octroyée rapidement et simplement, une exonération d'impôt sur les sociétés pour dix ans, un régime favorable au fonctionnement des entreprises, un minimum d'interlocuteurs, voire un « guichet unique » de l'accueil des entreprises.
L'outre-mer a besoin d'un vrai projet économique qui tienne compte de ses handicaps et qui soit non pas basé sur une croissance soutenue artificiellement par les transferts mais sur la mise en place de moyens propres à son développement durable. C'est là une question de dignité et d'honneur et une alternative à la crise actuelle et à l'immobilisme ambiant.

*
*  *

L'article 1er de la présente proposition de loi expose la nécessité de modifier radicalement la structure de production des départements d'outre-Mer.
Peu industrialisés - sauf pour la filière agro-alimentaire, mais sur des produits « vieillissants » car très concurrencés -, les DOM ne
peuvent trouver dans leurs seuls marchés intérieurs les débouchés pour des productions nouvelles.
Les services exportables, tourisme mis à part, étant difficilement délocalisables, seule l'industrie est susceptible de créer sur place la valeur ajoutée qui « manque » à l'économie.
C'est pourquoi l'article 1er se propose de déclarer d'intérêt national l'industrialisation des départements d'outre-mer, zones prioritaires ultrapériphériques.
L'article 2 se propose de supprimer la notion de zone franche, telle que définie par la loi de programmation n° 86-1383 du 31 décembre 1986.
Aucune zone franche viable n'ayant vu le jour depuis lors, on peut légitiment penser que cette solution n'est pas adéquate.
En effet, on observe que les exonérations de taxe professionnelle sont à la charge des collectivités locales, qui doivent, de surcroît, financer seules la viabilisation des terrains.
Ces deux raisons expliquent le peu de succès de la mesure.
L'article 3 est sans aucun doute la mesure-phare de cette proposition de loi, destiné à améliorer le compte d'exploitation des entreprises :
- exonération pour dix ans d'IS pour toutes les entreprises créées après le 1er juillet 1999 ;
- exonération pour dix ans de taxe professionnelle pour les entreprises industrielles exportant plus de 50 % de leur chiffre d'affaires et créées après le 1er juillet 1999.
Ces exonérations, qui sont des aides au fonctionnement, constituent à l'échelle mondiale la base de l'attractivité des zones dites « d'entreprise ».
Les pertes de recettes pour les collectivités territoriales seront cette fois intégralement compensées par l'Etat.
L'article 4 concerne les aides au fonctionnement ayant pour objet de rendre le coût du facteur travail moins onéreux.
Le I de cet article pérennise le dispositif dit « Perben » pour une période de cinq ans.
Ces exonérations de charges sociales ont fait leurs preuves, tant dans l'industrie que l'agriculture ou l'hôtellerie-restauration, comme le soulignait le rapport du FEDOM publié en 1998 : « Sur 11 000 créations nouvelles d'emploi, 4 000 résulteraient des dispositifs mis en place par la loi Perben »...
Le II reprend, sous une forme législative, la philosophie du décret dit « de primes à l'export », instauré en 1995 pour trois ans et non reconduit en 1998 (n° 95-504 du 2 mai 1995).
Ce décret réservait une prime à l'emploi de 24 000 F la première année (puis 20 000 F la deuxième et troisième année et 15 000 F ensuite) à certaines entreprises exportatrices.
Cet article se propose de réserver ces primes aux entreprises exportant plus de 50 % de leur chiffre d'affaires.
L'article 5 améliore l'efficacité de la loi de défiscalisation (« Pons ») telle qu'issue du dispositif voté en loi de finances pour 1998.
Sans modifier aucunement le mécanisme en lui-même, cet article fait passer de trois mois à un mois le délai imparti à l'administration des finances pour se prononcer sur l'agrément.
Ce délai de trois mois paraît en effet excessif, notamment aux investissements industriels étrangers, peu habitués aux délais (souvent cumulatifs !) imposés par les diverses administrations locales, étatiques ou européennes. De plus, l'acceptation de l'administration deviendra tacite à défaut de réponse.
L'article 6 se propose de simplifier le régime d'aide directe aux entreprises.
Jusqu'à présent, seule la région a le pouvoir d'octroyer des aides directes, le département pouvant quant à lui offrir à des loyers compétitifs des terrains viabilisés ou des garanties de prêts aux investisseurs.
L'Etat, par le biais de diverses sociétés financières, peut, quant à lui, octroyer des prêts à taux bonifiés.
Il est proposé dans cet article de mettre en place un régime d'aide directe octroyé par l'Etat, en complément et en coordination avec les aides régionales, de manière compatible avec la législation européenne (montant maximum finançable de 65 à 75 % du montant hors taxe de l'investissement).
Une programmation budgétaire quinquennale de 500 millions de francs pour les quatre DOM est à prévoir à cet effet.
L'article 7 rend compatibles les aides dispensées en cas de réduction du temps de travail (loi Aubry) et les exonérations de charges dites « Perben », ces dernières ayant pour objet d'abaisser le coût du travail au niveau des meilleures zones d'entreprises européennes.
L'article 8 crée un établissement public administratif sur le modèle du comité de pilotage et de l'industrie de la Réunion (CPI). Ce comité de pilotage de l'industrie de la Réunion est, d'un point de vue juridique, une association financée par les collectivités locales et la DATAR, mais aussi l'Union Européenne.
Construit à la manière des agences de promotion industrielles internationales (comme « Invest in France »), le Comité de pilotage de l'industrie des départements d'outre-mer aura pour mission de rechercher les investisseurs français et internationaux et de les aider dans leurs démarches - parfois difficiles ! - d'implantation.
L'article 9 se propose de donner au président du conseil régional un rôle majeur de coordination entre les investisseurs, aidés techniquement par le Comité de pilotage et de l'industrie, et les pouvoirs publics (Gouvernement français et Commission de Bruxelles) ou certains organismes financiers.
Cette coordination a pour but d'offrir aux investisseurs un « guichet unique de l'implantation », visant à le sécuriser et donc à accélérer le processus d'installation.
L'article 10, enfin, finance le projet « entreprise franche régionale » grâce à l'augmentation des droits sur le tabac, en France métropolitaine comme dans les DOM.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

L'industrialisation des départements d'outre-mer, zones prioritaires ultrapériphériques, est déclarée objectif d'intérêt national.

Article 2

Les articles 5 à 8 de la loi de programme n° 86-1383 du 31 décembre 1986 relative au développement des départements d'outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte sont abrogés.

Article 3

L'article 208 quater du code général des impôts est ainsi rédigé :
« I. - En vue de favoriser le développement économique et social des départements d'outre-mer, zones prioritaires ultrapériphériques, peuvent être affranchis de l'impôt sur les sociétés pendant une durée de dix ans à compter de la mise en marche effective de leur installation :
« a) Les bénéfices réalisés par les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés constituées postérieurement au 1er juillet 1999 à la condition que l'objet de ces sociétés ait reçu l'agrément du ministère du budget.
« L'octroi de l'agrément est tacite à défaut de réponse dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande d'agrément.
« b) Sous la même condition, les bénéfices réalisés par des sociétés au titre d'une activité nouvelle entreprise postérieurement au 1er juillet 1999.
Les dispositions du présent paragraphe ne s'appliquent aux plus-values provenant de la cession de tout ou partie du portefeuille ou de l'actif immobilisé;
« c) Sous peine de perdre le bénéfice de l'exonération accordée en vertu du 1, les sociétés visées audit paragraphe sont tenues de satisfaire aux obligations de déclaration et de production de renseignements et documents prévues dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés et de mentionner dans la déclaration annuelle de résultats les éléments relatifs à l'activité agréée lorsque celle-ci constitue une partie seulement de l'activité exercée.»
II. - Les dispositions du I sont applicables, pour une durée de cinq ans, aux bénéfices retirés par des entreprises industrielles métropolitaines des opérations de franchisage réalisées à compter du 1er juillet 1999 avec des entreprises nouvelles à caractère industriel exploitées dans les départements d'outre-mer.
III. - Dans les départements d'outre-mer, les entreprises industrielles passibles de l'impôt sur les sociétés et constituées postérieurement au 1er juillet 1999 sont exonérées pour dix ans de taxe professionnelle perçue en application de l'article 1447 du code général des impôts.
Si dans un délai d'un an à compter de la mise en marche effective de son installation, l'entreprise n'exporte pas au moins 50 % de son chiffre d'affaires hors taxe se rapportant à son objet industriel hors du département, le droit à l'exonération est suspendu jusqu'à ce que cet objectif soit atteint.
Sous la même condition, les sociétés anciennes passibles de l'impôt sur les sociétés entreprenant une activité nouvelle postérieurement au 1er juillet 1999 sont exonérées de taxe professionnelle.
Dans les conditions prévues par la loi de finances, l'Etat compense chaque année à due concurrence les pertes de recettes pour les collectivités territoriales et leurs groupements à fiscalité propre, ainsi que les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle.

Article 4

I. - Le II de l'article 4 de la loi n° 94-638 du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte est ainsi rédigé :
« II. - les dispositions du I sont applicables jusqu'au 1er mars 2005.»
II.-Une prime à la création d'emplois destinée à réduire le coût du travail est attribuée aux entreprises des départements d'outre-mer exportant plus de 50 % de leur chiffre d'affaires hors du département.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'attribution et le montant de la prime.

Article 5

I. - Aux premier et deuxième alinéas du II de l'article 163 tervicies du code général des impôts, ainsi qu'au deuxième alinéa du I et du III de l'article 217 undecies du même code, les mots : « trois mois » sont remplacés par les mots : « un mois ».
II. - Le premier alinéa du II de l'article 163 tervicies et le deuxième alinéa du I de l'article 217 undecies du code général des impôts sont complétés par une phrase ainsi rédigée :
« L'octroi de l'agrément est tacite à défaut de réponse de l'administration dans ce délai. »

Article 6

Sont approuvés les objectifs et les moyens d'un programme de désenclavement économique sous forme de prime d'équipement pour la période 2000-2004.
L'exécution de ce programme entraîne pour le budget de l'Etat l'inscription de crédits supplémentaires par rapport à ceux figurant en loi de finances initiale pour l'année 2000.
Un décret fixe les secteurs éligibles et les montants maxima des primes d'équipement.

Article 7

Le quatrième alinéa du V de l'article 3 de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail est complété par les mots : « et les aides prévues aux articles 3 et 4 de la loi n° 94-638 du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte ».

Article 8

Il est créé un Comité de pilotage de l'industrie des départements d'outre-mer, établissement public administratif ayant pour objet :
1° De sélectionner des entreprises industrielles ayant manifesté un intérêt au démarrage d'une activité nouvelle dans un département d'outre-mer ;
2° De conseiller ces mêmes entreprises dans leurs démarches d'installation, en participant notamment au financement d'études de marché.
Il est coprésidé par un représentant du ministère chargé de l'outre-mer et un représentant du ministère chargé de l'aménagement du territoire.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'organisation dudit établissement et en précise les compétences.

Article 9

Il est créé une sous-section 8 « Désenclavement économique » à la section 3 du chapitre III du titre III du livre IV de la quatrième partie du code général des collectivités territoriales ainsi rédigée :

«Sous-section 8
« Désenclavement économique

« Les régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion exercent une mission d'intérêt national en matière de désenclavement économique.
« Elles élaborent avec les départements et le Comité de pilotage de l'industrie des départements d'outre-mer un schéma annuel de désenclavement économique.
« Ce schéma comprend obligatoirement :
« 1° Les crédits disponibles annuellement afin de mettre en place, au bénéfice des entreprises, des primes régionales à l'investissement plafonnées à 10 % du montant total de l'investissement et à 20 millions de francs, ainsi que des aides au fret plafonnées à 40 % des frais de transfert engagés pour les entreprises éligibles.
« 2° Un programme de viabilisation de terrains destinés à l'accueil des unités de production industrielles. »

Article 10

I. - Les pertes de recettes pour l'Etat consécutives aux dispositions de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par un accroissement des droits perçus en application des dispositions des articles 575 et 575 A du code général des impôts et l'article 268 du code des douanes.
III. - Les pertes de recettes pour les organismes de sécurité sociale consécutives aux dispositions de la présente proposition de loi sont compensées à due concurrence par une cotisation additionnelle aux droits perçus en application des dispositions des articles 575 et 575 A du code général des impôts et l'article 268 du code des douanes. »
N°1704. - PROPOSITION DE LOI de M. Léon BERTRAND tendant à créer des entreprises franches régionales dans les départements d'outre-mer (renvoyée à la commission de la production).


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