No 1705
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juin 1999.
PROPOSITION DE LOI
relative au serment républicain.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par MM. Jacques BARROT et Dominique PERBEN,
Députés.

Collectivités territoriales.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Moderniser la vie politique pour la rapprocher des citoyens est une ardente nécessité de notre temps. Dans le discours qu'il a prononcé à Rennes, devant le conseil régional de Bretagne, le 4 décembre 1998, le Président de la République, garant des institutions, a ouvert la voie à une transformation des responsabilités politiques, à partir de l'héritage républicain qui est le nôtre.
A l'heure où nos concitoyens attendent le parachèvement de la décentralisation, cette grande ambition concerne au premier chef les collectivités locales et territoriales. Celles-ci doivent prendre leur part de ce vaste chantier qui concerne tous les pouvoirs publics et leur lien avec la Nation tout entière. A l'heure où le pacte social est parfois menacé de se défaire, il revient au législateur de s'engager pour refonder le pacte républicain.
L'actualité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, à laquelle renvoie explicitement le Préambule de notre Constitution, est apparue de façon éclatante à l'occasion de la récente célébration du cinquantenaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, largement inspirée de son modèle fondateur.
Quarante ans après son avènement, la Constitution de la Ve République a fait les preuves de sa solidité et de sa capacité à affronter l'avenir. Des institutions stables et efficaces, appuyées sur la légitimité populaire, ont su, au fil des révisions successives, s'adapter aux défis de la modernisation de notre pays et de la construction européenne.
Les perspectives tracées par le Président de la République, qui a appelé, à Rennes, à refonder la morale publique, répondent à une attente très profonde de nos compatriotes. Ceux-ci savent qu'il n'est pas de morale publique sans devoirs reconnus et acceptés. Le premier d'entre eux est de respecter la Constitution et son Préambule, dans tous les principes qu'ils comportent. Aussi a-t-il proposé que tout élu souscrive solennellement cette obligation républicaine au moment de son entrée en fonction.
Il appartient aux premiers responsables des exécutifs des collectivités locales et territoriales de la République de montrer l'exemple du civisme et des devoirs de leur charge en prêtant un serment républicain, qui consacre l'importance de la décentralisation et leur attachement aux valeurs républicaines. Tel est l'objet de la présente proposition de loi.
Le serment est un symbole fort, qui remonte aux sources de l'histoire constitutionnelle de la France et de nombreux pays démocratiques.
Les Constituants de 1789 ont montré, au Jeu de paume, la force symbolique d'un tel serment. Aussi ont-ils tenu à inscrire dans la Constitution de 1791 un serment civique par lequel chaque citoyen jurait notamment de maintenir de tout son pouvoir la Constitution. Dès le 17 septembre 1787, la Constitution des Etats-Unis d'Amérique ne confiait-elle point sa longévité, qui se révélera sans équivalent, à ce serment d'esprit révolutionnaire ?
Les vicissitudes et les ruptures de notre histoire constitutionnelle n'empêchèrent pas Stendhal de remarquer en son temps - non sans une certaine nostalgie pour cet esprit civique déchu - que, « deux ou trois fois, l'Etat fut sauvé à cause du respect que le peuple romain avait pour le serment ». Néanmoins, le serment politique fut dévoyé, aux moments les plus tragiques de notre histoire, lorsqu'il se mua en serment de fidélité non à la Constitution mais à la personne du chef de l'Etat. Cette dérive atteint son paroxysme sous le régime de Vichy.
La Constitution de la Ve République, en son article 89, alinéa 5, tire les leçons de notre histoire en disposant que la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision.
De nombreuses démocraties ont inscrit un serment dans leurs constitution et dans leurs pratiques institutionnelles.
On l'a vu aux Etats-Unis, qui sont le premier exemple historique. Dans ce pays, les titulaires de nombreuses fonctions exécutives et judiciaires prêtent serment officiellement en début de mandat, dans un esprit de fidélité aux Pères fondateurs.
C'est aussi le cas, pour l'Union européenne, en République d'Irlande, en République de Grèce, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Belgique, au Portugal, en République fédérale d'Allemagne, au Danemark. De nombreux autres exemples pourraient être cités dans les pays du Conseil de l'Europe, ainsi la République tchèque.
Le serment subsiste dans notre pays, non plus en matière politique, sous diverses formes : en matière judiciaire - il est prévu par le code civil et le code pénal - et pour l'accès à certaines professions (serment d'Hippocrate, serment des avocats, serment des magistrats).
Ainsi, l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dispose :
« Tout magistrat, lors de sa nomination à son premier poste, et avant d'entrer en fonction, prête serment en ces termes :
« "Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat."
« Il ne peut en aucun cas être relevé de ce serment. (...) L'ancien magistrat prête à nouveau serment lorsqu'il est réintégré. »
Il est donc proposé que les maires, premiers magistrats de leur commune et agents de l'Etat, chargés à ce titre d'appliquer et de faire appliquer les lois et règlements, ainsi que les présidents des conseils généraux et régionaux, investis de pouvoirs exécutifs importants dans le cadre de la décentralisation, prêtent serment, aussitôt après leur élection, devant l'assemblée qui les a élus, d'exercer leur mandat dans le respect de la Constitution, de son Préambule et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
Cette prestation de serment pourra avoir lieu lors de la séance solennelle qui suit le renouvellement de chacun des conseils élus.
Les élus conseillers municipaux, conseillers généraux et régionaux non investis de fonctions exécutives, détenant un pouvoir de délibération, n'auraient pas à prêter serment.
La formule du serment républicain fait explicitement référence au Préambule, clairement intégré au « bloc de constitutionnalité » depuis que la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 relative à la liberté d'association lui a conféré pleine valeur constitutionnelle.
Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République consacrent aussi une notion bien définie par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, intégrant notamment la liberté d'association, les droits de la défense, la liberté individuelle, la liberté de l'enseignement et la liberté de conscience.
En prêtant serment, les élus en charge de fonctions exécutives montrent leur attachement à défendre ces libertés fondamentales, qui font corps avec notre héritage républicain.
En revenant à la tradition républicaine des origines, en tenant compte de l'acquis de la jurisprudence constitutionnelle, qui a dégagé les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et en incluant les droits fondamentaux reconnus par le Préambule, la formule du serment républicain confère à notre dispositif constitutionnel une applicabilité et une visibilité nouvelle.
Par sa portée pleinement exemplaire et symbolique, le serment valorise la responsabilité politique des élus.
La portée du serment républicain est à la hauteur de sa valeur pédagogique.
On ne conçoit pas qu'une telle obligation solennelle ne soit pas assortie d'une sanction si elle n'est pas respectée. Dans ce cas, le juge de l'élection prononcera la démission d'office, selon les modalités déjà prévues dans le code électoral et le code général des collectivités territoriales pour sanctionner le défaut d'accomplissement d'obligations légales.
Cette démission n'empêchera pas l'intéressé de demeurer membre du conseil élu.
Le dispositif de la proposition de loi décline les modalités de prestation de serment, pour les élus concernés, dans l'ordre établi par le code général des collectivités territoriales.
L'article 1er introduit dans ledit code un article L. 2122-8-1 nouveau, qui dispose, dans un premier alinéa, que le maire prête serment au cours de la séance où il est procédé à son élection aussitôt après celle-ci et précise, dans un second alinéa, qu'il revient au juge de l'élection de déclarer la démission d'office si cette formalité n'est pas accomplie.
L'article 2 rend applicable l'article 1er aux maires d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille.
L'article 3 dispose que le président du conseil général prête le serment républicain aussitôt après son élection, lors de la réunion de droit qui suit chaque renouvellement triennal. L'article 4 est un article de coordination rédactionnelle.
Les articles 5 et 6 instaurent les mêmes dispositions pour le président du conseil régional.
Les articles 7 à 9 étendent aux présidents de l'Assemblée et du conseil exécutif de l'Assemblée de Corse l'obligation de prêter le serment républicain.
Cette proposition de loi est de nature à améliorer notre vie publique et les conditions d'exercice de la démocratie locale. Cette mesure plus que symbolique contribuera à la transparence et à la mise en valeur de la vie politique.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Il est inséré, après l'article L. 2122-8 du code général des collectivités territoriales, un article L. 2122-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2122-8-1. - Aussitôt après son élection, le maire prête serment devant le conseil municipal d'exercer son mandat dans le respect de la Constitution, de son Préambule et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
« Le défaut de prestation de serment entraîne la démission d'office, déclarée par le juge de l'élection. »

Article 2

La première phrase du quatrième alinéa de l'article L. 2511-25 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigée :
« Sous réserve des dispositions des alinéas précédents, sont applicables au maire d'arrondissement et à ses adjoints les dispositions des articles L. 2122-4 à L. 2122-7, des premier et deuxième alinéas de l'article L. 2122-8, de l'article L. 2122-8-1, des premier et troisième alinéas de l'article L. 2122-10, des articles L. 2122-12, L. 2122-15, L. 2122-16, du second alinéa de l'article L. 2122-18 et de l'article L. 2123-31. »

Article 3

Il est inséré, après l'article L. 3122-1 du code général des collectivités territoriales, un article L. 3122-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3122-1-1. - Aussitôt après son élection et sous la présidence du doyen d'âge, le président prête serment devant le conseil général d'exercer son mandat dans le respect de la Constitution, de son Préambule et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
« Le défaut de prestation de serment entraîne la démission d'office, déclarée par le juge de l'élection. »

Article 4

Le premier alinéa de l'article L. 3122-5 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Aussitôt après la prestation de serment du président et sous sa présidence, le conseil général fixe le nombre des vice-présidents et des autres membres de la commission permanente. »

Article 5

Il est inséré, après l'article L. 4133-1 du code général des collectivités territoriales, un article L. 4133-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4133-1-1. - Aussitôt après son élection et sous la présidence du doyen d'âge, le président prête serment devant le conseil régional d'exercer son mandat dans le respect de la Constitution, de son Préambule et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
« Le défaut de prestation de serment entraîne la démission d'office, déclarée par le juge de l'élection. »

Article 6

Le premier alinéa de l'article L. 4133-5 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Aussitôt après la prestation de serment du président et sous sa présidence, le conseil régional fixe le nombre des vice-présidents et des autres membres de la commission permanente. »

Article 7

Il est inséré, après l'article L. 4422-8 du code général des collectivités territoriales, un article L. 4422-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4422-8-1. - Aussitôt après son élection et sous la présidence du doyen d'âge, le président prête serment devant l'Assemblée d'exercer son mandat dans le respect de la Constitution, de son Préambule et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
« Le défaut de prestation de serment entraîne la démission d'office, déclarée par le juge de l'élection. »

Article 8

Le premier alinéa de l'article L. 4422-9 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Aussitôt après la prestation de serment du président et sous sa présidence, l'Assemblée procède à l'élection des membres de la commission permanente sous la même condition de quorum que celle prévue à l'article L. 4422-8. »

Article 9

Il est inséré, après l'article L. 4422-14 du code général des collectivités territoriales, un article L. 4422-14-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4422-14-1. - Aussitôt après son élection, le président du conseil exécutif prête serment devant l'Assemblée d'exercer son mandat dans le respect de la Constitution, de son Préambule et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
« Le défaut de prestation de serment entraîne la démission d'office, déclarée par le juge de l'élection.»
N°1705. - PROPOSITION DE LOI de MM. Jacques BARROT et Dominique PERBEN relative au serment républicain (renvoyée à la commission des lois).


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