N° 1712
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juin 1999.

PROPOSITION DE LOI

relative à la création de centres de rééducation pour les mineurs délinquants récidivistes et à la suppression des allocations familiales aux parents d'enfants délinquants ou ne respectant pas l'obligation d'assiduité scolaire.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée

par MM. Jacques MASDEU-ARUS, Jean-Claude ABRIOUX, Bernard ACCOYER, MM. René ANDRÉ, André ANGOT, Jean AUCLAIR, Pierre AUBRY, André BERTHOL, Léon BERTRAND, Rolan BLUM, Gilles CARREZ, Philippe CHAULET, Jean-Marc CHAVANNE, Henri CUQ, Arthur DEHAINE, Xavier DENIAU, Yves DENIAUD, Eric DOLIGÉ, Charles EHRMANN, Christian ESTROSI, Jean-Michel FERRAND, René GALY-DEJEAN, Henri de GASTINES, Jean GATIGNOL, Lucien GUICHON, Pierre HELLIER, Pierre LELLOUCHE, Arnaud LEPERCQ, Lionnel LUCA, Thierry MARIANI, Alain MARLEIX, Frank MARLIN, Jean MARSAUDON, Patrice MARTIN-LALANDE, Mme Jacqueline MATHIEU-OBADIA, MM. Michel MEYLAN, Pierre MORANGE, Renaud MUSELIER, Jacques MYARD, Yves NICOLIN, Pierre PETIT, Jean-Luc REITZER, André SCHNEIDER, Bernard SCHREINER, Michel TERROT, Anicet TURINAY et Léon VACHET,

Députés.

Prestations familiales.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs mois, le sentiment d'insécurité s'est largement amplifié parmi la population. Selon un récent sondage (1), 63 % des Français ont peur d'être agressés quand ils rentrent chez eux le soir.
(1) Sondage BVA réalisé pour Paris-Match du 14 au 16 janvier 1999.
Cet inquiétant phénomène a deux causes principales : d'une part, la délinquance des mineurs connaît une augmentation exponentielle et, d'autre part, les réponses proposées par le Gouvernement se révèlent insuffisantes, inadaptées et inefficaces.

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L'augmentation de la délinquance des mineurs

Les statistiques de l'ensemble des services de police et de gendarmerie, rendues publiques le vendredi 12 février 1999, confirment l'aggravation des crimes et délits dans notre pays.
Ceux-ci ont ainsi connu une croissance de 2,06 % en 1998 par rapport à l'année précédente et, actuellement, le taux de criminalité pour tout le territoire français s'établit à 60,96 pour mille habitants contre 59,72 en 1997.
La région Ile-de-France, qui concentre 26,31 % de l'ensemble des crimes et délits commis en métropole, est particulièrement touchée par ce phénomène et connaît une augmentation de ces méfaits de 2,65 % avec 937 984 faits constatés.
A l'exception des " infractions économiques et financières ", toutes les grandes catégories d'infractions sont en hausse, inversant une tendance à la baisse qui se manifestait depuis 1994 : la " délinquance de voie publique " est en progression de 1,31 %, les " vols " de 2,10 %, les " atteintes aux personnes " de 5,97 %, les " autres infractions ", dont celles relatives aux stupéfiants, de 3,67 %.
Mais l'élément le plus inquiétant est l'aggravation de la délinquance juvénile :
· le nombre des mineurs impliqués dans des " crimes et délits " en 1998 est en progression de 11,23 % par rapport à l'année précédente. Sur 788 922 personnes mises en cause, 171 787 étaient mineures au moment des faits, soit une part de 21,77 %. En 1997, cette part n'était que de 19,37 %, ce qui représente une augmentation proportionnelle de 12,39 % !
· en ce qui concerne les faits de délinquance dits de " voie publique ", la part des mineurs atteint 35,96 % en 1998 contre 33,50 % en 1997, soit une progression proportionnelle de 7,34 %.
Par ailleurs, il convient de souligner que l'âge des mineurs mis en cause ne cesse de diminuer et que les actes qu'ils commettent, le plus souvent en bande, ont un caractère de plus en plus violent.
Une telle situation, provoquée par le sentiment d'impunité de ces jeunes face à un manque de réaction des pouvoirs publics, a aujourd'hui atteint un seuil dramatique.
En faisant régner un climat d'insécurité intolérable dans de nombreux quartiers, ces jeunes qui n'éprouvent plus aucun respect pour les lois de la République adoptent un comportement dangereux qui menace profondément les bases de notre équilibre social et va à l'encontre de la " sûreté ", figurant, à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, parmi les " droits naturels et imprescriptibles de l'homme ".

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Inefficacité des réponses gouvernementales

La seconde constatation qui a motivé la rédaction de cette proposition de loi est que le Gouvernement se révèle incapable de lutter efficacement contre l'aggravation de la délinquance juvénile.
Les conclusions d'un rapport portant sur la prise en charge des mineurs délinquants (1) a ainsi stigmatisé l'inadaptation des réponses proposées par le Gouvernement ainsi que les carences, les lourdeurs, les incohérences et les insuffisances du système actuel basé sur l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. En effet, bien souvent, la seule réponse apportée par le système judiciaire est d'ordre éducative ou préventive et le droit pénal n'est pas appliqué.
(1) Rapport commandé par les ministres de la justice, de l'intérieur, de l'emploi et de la solidarité, réalisé par six membres des inspections générales de ces trois ministères et dont les conclusions ont été rendues publiques le samedi 17 janvier 1998.
Selon ses auteurs, les foyers classiques ne parviennent pas à restaurer le respect de l'autorité, les principes qui régissent la protection judiciaire de la jeunesse ne sont plus adaptés, les tribunaux ne parviennent pas à éviter le développement d'un sentiment d'impunité chez les mineurs et la prison, dont les effets criminogènes ne peuvent être ignorés, est loin d'être une solution idéale.
Face à des jeunes qui ont de moins de repères moraux, sociaux et civiques, ce rapport constate que les centres spécialement réservés aux mineurs, tels que les " unités à encadrement éducatif renforcé " (UEER), mises en place en 1996 par Jacques Toubon, sont les seules structures à obtenir certains résultats.
Le Gouvernement ne semble pas avoir conscience de cette situation et de l'ampleur du danger : en oscillant sans cesse entre fermeté et laxisme, en refusant de modifier l'ordonnance de 1945, en omettant de prendre les mesures qui s'imposent, en se contentant de prises de position médiatiques, parfois contradictoires, il participe au développement de cette violence urbaine.
En outre, il est à l'origine d'une loi qui limite fortement les prérogatives des maires dans la gestion des polices municipales et porte atteinte à ces policiers qui participent pourtant activement à la lutte contre l'insécurité en maintenant un lien de proximité irremplaçable avec la population. (Loi no 99-219 du 15 avril 1999 relative aux polices municipales.)

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Les dispositifs prévus dans cette proposition de loi

L'objectif de cette proposition de loi est de mettre fin au sentiment d'impunité des mineurs délinquants récidivistes par l'adoption de deux mesures capables, me semble-t-il, de rétablir l'ordre et la sécurité dans nos villes.
Il s'agit :
· de la mise en place de " centres de rééducation " destinés à accueillir les mineurs délinquants récidivistes coupables d'un crime, d'un délit ou d'une contravention de la cinquième classe (par exemple : blessures, coups ou autre violence ou voie de fait, commis volontairement, dont il n'est pas résulté une maladie ou une incapacité totale de travail personnel excédant huit jours) ;
· de la suppression systématique des allocations familiales aux parents d'enfants qui se sont rendus coupables d'un crime, d'un délit ou d'une infraction de la cinquième classe, qui sont incarcérés ou placés dans un centre de détention pour mineurs ou qui ont manqué à l'obligation d'assiduité scolaire, sans raison valable, à trois reprises pendant l'année scolaire.
Ces mesures s'inspirent d'un principe qui a fait ses preuves aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, celui de la " tolérance zéro " envers les auteurs d'actes de délinquance, notamment ceux qui récidivent.
Elles exigent, bien évidemment, une réforme en profondeur de l'ordonnance de 1945, qui protège à l'excès les mineurs délinquants et n'est plus adaptée à la situation actuelle.
1.Les " centres de rééducation "
Cette proposition de loi prévoit la mise en place de " centres de rééducation " destinés à éloigner les jeunes délinquants récidivistes de la rue et à les " resocialiser " dans un milieu fermé.
Elle répond à une attente des Français qui, dans le sondage précédemment cité, sont favorables à 52 % au placement des mineurs délinquants récidivistes dans des centres de retenue.
A qui s'adressent ces centres ?
Afin de lutter plus efficacement contre la " contagion de la délinquance ", il convient, dans le cadre des comparutions immédiates, d'accélérer les prises de décision judiciaires et d'envoyer rapidement les mineurs délinquants récidivistes dans ces unités spéciales de rééducation.
Ainsi, un jeune qui se rend à nouveau coupable d'un crime, d'un délit ou d'une contravention de la cinquième classe, pourra être contraint de se rendre dans l'un de ces établissements. Cela évitera qu'il continue à s'enfoncer dans l'engrenage de la délinquance et adopte un comportement encore plus violent.
Les jeunes délinquants pourront également être envoyés dans ces centres pendant l'attente du jugement.
Comment ces centres sont-ils organisés ?
Ces " centres de rééducation " se présentent comme des endroits clos et surveillés où les délinquants sont protégés des influences extérieures et échappent ainsi aux tentations criminogènes de l'univers carcéral classique.
Sous la responsabilité d'éducateurs spécialement formés, ils suivent un programme destiné à leur réapprendre le respect des règles de la vie en société, en somme les bases du contrat social.
Ils peuvent également bénéficier d'une formation à vocation professionnelle destinée à faciliter leur réinsertion sociale après leur libération. Il est tout à fait envisageable de proposer à des chômeurs de longue durée, motivés, d'assurer le suivi de ces formations. Leur expérience professionnelle passée, leur savoir-faire permettrait de redonner à ces délinquants le goût d'apprendre et d'être utiles à la société.
Les activités sportives, dont les bienfaits ne sont plus à démontrer, et des cours d'instruction civique renforcée seront également à l'honneur.
Le fait qu'il s'agisse de grandes structures pouvant accueillir un nombre élevé de délinquants présente de nombreux avantages : les coûts de fonctionnement sont moins élevés que dans les petits établissements (de type DER, dispositifs d'éducation renforcée) et le préapprentissage des règles de la vie en collectivité s'en trouve facilité.
Il est essentiel que le passage dans ces centres ne soit pas vécu comme un emprisonnement mais plutôt comme une période d'apprentissage de nos règles et de nos valeurs.
Comment ces centres sont-ils financés ?
Un fonds spécialement créé pour recueillir le montant des prestations familiales perçues par les parents de mineurs condamnés à un placement dans un centre de ce type, incarcérés ou ne respectant pas leur obligation d'assiduité scolaire, pourra accorder des aides financières à ces centres.
Par ailleurs, ces centres peuvent être mis en place, à peu de frais, en utilisant les casernes libérées à la suite de la réorganisation des armées.
2. La suppression des allocations familiales
L'une des causes majeures de l'aggravation de la délinquance des mineurs est la démission des parents.
Il faut donc traiter le problème à la source et trouver les moyens de responsabiliser les parents, qui ont le devoir d'éduquer leurs enfants dans le respect des lois de la République.
L'un des moyens les plus efficaces est donc, sans aucun doute, la suppression temporaire des allocations familiales aux parents d'enfants délinquants.
Il faut noter que 52 % des Français sont favorables à un tel dispositif (sondage BVA-Paris-Match, janvier 1999).
Les instruments législatifs existent bien mais ils sont insuffisants, ont besoin d'être réaffirmés et modifiés. En outre, faute de volonté politique, ils ne sont malheureusement pas souvent appliqués.
L'article 552-1 du code de la sécurité sociale, précisé par l'article 552-4 du même code, dispose ainsi que " les manquements à l'obligation d'assiduité scolaire (...) entraînent (...) la suspension ou la suppression des prestations familiales aux personnes responsables de l'enfant " et le décret n° 66-104 du 18 février 1966 rend effectif le contrôle de la fréquentation scolaire en obligeant les chefs d'établissements à signaler à l'inspection académique toutes les absences non justifiées, d'au moins quatre demi-journées, constatées au cours d'un mois.
Cette proposition de loi prévoit de rendre ces dispositions légales plus sévères et de généraliser leur mise en _uvre.
Par ailleurs, elle met fin à une situation inacceptable : dans la législation actuelle, l'incarcération d'un mineur n'étant pas suspensive de sa scolarité, il n'y a ni suspension ni suppression des allocations familiales !
Cette proposition de loi prévoit donc que les allocations familiales sont supprimées de manière systématique dans les conditions suivantes :
- aux parents dont les enfants se rendent coupables d'un crime, d'un délit ou d'une contravention de la cinquième classe ;
- aux parents dont les enfants sont incarcérés ou placés dans un centre de détention surveillé pour mineurs ;
- aux parents dont les enfants n'ont pas respecté, pendant l'année scolaire, à trois reprises consécutives et sans motif valable, l'obligation d'assiduité scolaire.
Les allocations familiales supprimées concernent, bien sûr, la part représentée par l'enfant délinquant dans le calcul des attributions d'allocations familiales.
Elles sont supprimées de manière temporaire, soit pendant la durée du placement ou de l'incarcération du mineur délinquant, soit pendant une année scolaire en cas de manquement à l'obligation d'assiduité scolaire.
Le montant de ces allocations familiales est versé à un fonds destiné à aider l'insertion des jeunes en difficulté et à accorder des aides financières aux " centres de rééducation ".
Il est plus que temps de mettre fin à ces actes de délinquance qui mettent en péril notre sécurité et notre équilibre social.
Telle est la motivation de cette proposition de loi qui prévoit des mesures suffisamment coercitives pour dissuader les délinquants de poursuivre leurs exactions.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Après l'article 8-3 de l'ordonnance n° 45-175 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, il est inséré un article 8-4 ainsi rédigé :
" Art.8-4.-Tout mineur délinquant précédemment condamné pour un crime, un délit ou une contravention de la cinquième classe fera l'objet, en cas de nouvelle infraction ou d'une nouvelle condamnation, de l'une des procédures prévues aux articles 8-1 et 8-2 et sera placé par le juge dans un "centre de rééducation", soit pendant l'attente de son jugement, soit en application de sa condamnation. "

Article 2

Après l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 février 1945 précitée, il est inséré un article 8-4 ainsi rédigé :
" Art.8-4.-Les "centres de rééducation" sont destinés à accueillir, dans un milieu fermé et surveillé, des mineurs délinquants récidivistes, auteurs de crimes, de délits ou de contraventions de la cinquième classe.
" Sous la responsabilité d'éducateurs, les mineurs délinquants suivent un programme destiné à leur apprendre le respect de nos lois et des règles de la vie en société.
" Ils suivent des cours d'éducation civique renforcée, ont la possibilité de bénéficier d'une formation professionnelle et pratiquent des activités sportives.
" Les "centres de rééducation" sont mis en place dans les casernes libérées à la suite de la réorganisation des armées. "

Article 3

Après l'article 40 de l'ordonnance du 2 février 1945 précitée, il est inséré un article 40-1 ainsi rédigé :
" Art.40-1.-Par dérogation à l'article 40, les allocations familiales sont systématiquement supprimées aux parents dans les conditions suivantes :
" - lorsque leur(s) enfant(s) se rend(ent) coupable d'un crime, d'un délit ou d'une contravention de la cinquième classe.
" - lorsque leur(s) enfant(s) est(sont) incarcéré(s) ou placé(s) dans un centre de détention pour mineurs.
" - lorsque leur(s) enfant(s) manque(nt) à l'obligation d'assiduité scolaire, sans raison valable, à trois reprises pendant l'année scolaire.
" Les allocations familiales supprimées concernent la part représentée par l'enfant délinquant dans le calcul des attributions d'allocations familiales.
" Les allocations familiales sont supprimées, soit pendant toute la durée de placement ou de l'incarcération du mineur auteur d'un crime, d'un délit ou d'une contravention de la cinquième classe, soit pendant toute une année scolaire en cas de manquement à l'obligation d'assiduité scolaire.
" Le montant de ces allocations familiales est attribué à un fonds destiné à aider l'insertion des jeunes en difficulté et à accorder des aides financières aux "centres de rééducation". "

Article 4

Les charges pour l'Etat sont compensées à due concurrence par le relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
N°1712. - PROPOSITION DE LOI de M. Jacques MASDEU-ARUS relative à la création de centres de rééducation pour les mineurs délinquants récidivistes et à la suppression des allocations familiales aux parents d'enfants délinquants ou ne respectant pas l'obligation d'assiduité scolaire (renvoyée à la commission des lois).


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