N° 1841
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 octobre 1999.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur le fonctionnement du service public pénitentiaire dans le Département de la Réunion.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par MM. André THIEN AH KOON, Dominique BUSSEREAU
et Didier QUENTIN,
Députés.

Outre-mer.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Chaque année, l'analyse des principaux indicateurs de l'état de santé du service public pénitentiaire, à savoir la vétusté des locaux, la surpopulation carcérale et le sous-effectif en personnel, atteste de l'insuffisance de la politique pénitentiaire conduite dans le Département de la Réunion.
Constitué de trois établissements pénitentiaires, le Centre Pénitentiaire du Port, la Maison d'Arrêt de Saint-Denis et la Maison d'Arrêt de Saint-Pierre, le service public pénitentiaire réunionnais comptait, en 1998, 329agents titulaires, dont 280 personnels de surveillance et 18 personnels socio-éducatifs, pour une population pénale de 1022 détenus.
L'analyse de ces données fait apparaître un secteur pénitentiaire à la limite de l'asphyxie, de telle sorte qu'il n'est pas exagéré de parler de secteur sinistré.
En ce qui concerne tout d'abord l'insalubrité et la vétusté des locaux, les bâtiments de Saint-Denis et de Saint-Pierre disposent d'une architecture datant de la Compagnie des Indes et de l'époque coloniale, qui offre par conséquent peu de possibilités de réaménagements et encore moins d'extensions.
L'absence de fonctionnalité des locaux entretient des conditions d'hébergement extrêmement difficiles pour les détenus, en particulier en terme de promiscuité, et partant contribue à l'augmentation de la délinquance puisque tous les spécialistes et les experts en criminologie s'accordent à penser que de mauvaises conditions de détention
nuisent à la réinsertion des délinquants et multiplient les risques de récidive. Dès lors, l'institution pénitentiaire génère elle-même une violence multiforme qu'elle se propose justement de combattre.
A titre d'exemple, la Maison d'Arrêt de Saint-Denis atteint un seuil critique de huit à dix personnes par cellule pour une capacité de quatre places, et quinze à vingt personnes par cellule pour une capacité de six à dix places. De même, dans le quartier d'arrêt destiné aux prévenus et aux peines inférieures à un an se trouvent des personnes condamnées à six ans de prison.
Ces conditions de détention déplorables se traduisent par l'absence de respect des conditions d'hygiène et de sécurité de telle sorte que les droits élémentaires et la dignité humaine et individuelle des détenus sont bafoués, au mépris des principes et valeurs essentiels qui fondent notre pays, à savoir l'équité et le respect des Droits de l'Homme.
C'est la raison pour laquelle, le Comité d'hygiène et de sécurité des services du Ministère de la Justice a conclu depuis 1995 à la nécessité de procéder à la fermeture définitive de cette Maison d'Arrêt, fermeture qui n'est toujours pas intervenue alors qu'elle aurait dû l'être sans délai.
Cette situation est aggravée par une surpopulation carcérale édifiante à la Réunion qui compte actuellement environ 1128 détenus pour une capacité d'accueil d'environ 610 places, soit un taux de surpopulation de près de 200 % pour un déficit de plus de 500 places. Ainsi, avec 1128 détenus pour 705072 habitants en 1999, soit un taux de détention de 159 détenus pour 100000 habitants, la Réunion détient le taux le plus élevé de France, dont la moyenne se situe aux alentours de 90 détenus pour 100000 personnes.
De plus, depuis 1994, l'augmentation des effectifs est constante avec une moyenne de 8 % par an, soit près de 80 détenus supplémentaires par an.
Si cette tendance se poursuit, la Réunion comptera 1500 détenus en 2003 sans que les capacités d'accueil des prisons n'aient véritablement évolué, de telle sorte que le nouvel établissement pénitentiaire annoncé depuis de nombreuses années ne suffira pas à enrayer et à résorber la surpopulation carcérale, de même que l'annonce récente de la création de 95 places supplémentaires pour désengorger la maison d'arrêt de Saint-Denis. De plus, ce nouvel établissement ne devrait être opérationnel, dans le meilleur des cas, qu'en 2005, voire 2006.
Cette assertion est d'autant plus vraie que rien ne laisse présager un fléchissement de cette inclinaison. Bien au contraire, l'augmentation de la délinquance est une réalité qui, si elle n'est pas spectaculaire, n'en demeure pas moins insidieuse. Ainsi, en 1998, 25855 crimes et délits ont été constatés dans le Département de la Réunion, soit le chiffre le plus élevé de la décennie après 1996.
L'année 1998 a également été marquée par une augmentation significative des personnes condamnées à des peines supérieures à un an, et notamment des peines de réclusion criminelle de dix à vingt ans et vingt à trente ans, ainsi que par une hausse préoccupante du nombre de mineurs incarcérés, qui explique l'annonce de l'ouverture d'un quartier réservé aux mineurs.
En conséquence, l'augmentation progressive de la délinquance, l'allongement de la durée des peines d'emprisonnement et l'évolution constante du taux d'occupation des prisons laissent également augurer une aggravation des conditions de détention des personnes écrouées.
L'accroissement exponentiel de la population carcérale, qui est supérieur à ceux des autres Départements français, se répercute bien évidemment sur la capacité d'accueil des trois établissements pénitentiaires de la Réunion.
Ainsi, le Centre Pénitentiaire du Port compte plus de 700 détenus pour une capacité légèrement supérieure à 400 places, la Maison d'Arrêt de Saint-Pierre totalise plus de 200 détenus pour une capacité de 88 places et la Maison d'Arrêt de Saint-Denis compte 220 détenus pour une capacité de 88 places.
Par ailleurs, les établissements pénitentiaires réunionnais sont frappés par un sous-effectif chronique, dans la mesure où le taux d'encadrement est nettement insuffisant pour assurer à la fois une surveillance permanente, nuit et jour, que ce soit aux miradors, portes d'entrées, parloirs, etc., ainsi que l'accomplissement quotidien des missions du personnel pénitentiaire, à savoir les fouilles, mouvements, appels, extractions, etc. A titre d'exemple, la Maison d'Arrêt de Saint-Pierre compte 39 gardiens pour environ 200 détenus.
Cette dégradation croissante des conditions de vie et de travail alimente chaque jour davantage l'exaspération et le désespoir du personnel pénitentiaire à la Réunion, en proie à d'incommensurables dysfonctionnements et difficultés dans l'accomplissement de sa mission de service public pourtant éminemment liée à l'exercice d'un pouvoir régalien de l'Etat.
Elle obère de manière significative une des principales missions des services pénitentiaires qui est celle de la réinsertion des détenus, malgré les heures de formation professionnelle, les actions de prévention, d'éducation à la santé et de lutte contre l'illettrisme qui leur sont consacrées. De même, tous les efforts consentis en la matière sont réduits à néant par la faiblesse du dispositif d'accompagnement.
Ce climat et ce contexte général malsain et délétère sont à l'origine, en particulier dans les établissements de Saint-Denis et de Saint-Pierre, qui sont les plus vétustes et les plus délabrés, de nombreuses manifestations et mouvements de protestation et de révolte de la part du personnel et des détenus, mais également d'agressions de gardiens par les détenus et de multiples évasions spectaculaires, voire rocambolesques, qui remettent en cause la crédibilité de l'ensemble du secteur pénitentiaire de la Réunion.
La décision du Ministère de la Justice d'engager un programme d'important travaux de rénovation de cinq grandes prisons nationales ainsi que la construction de six nouveaux établissements, dans le cadre du " Programme 4000 " visant à moderniser et à accroître le parc pénitentiaire, accentue un peu plus le désarroi du personnel pénitentiaire de la Réunion en excluant les établissements de ce Département.
Ainsi, la rénovation des locaux existants et le projet de construction d'un nouvel établissement de 600 places, dont le site d'implantation n'est toujours pas entériné, piétinent, et les études nécessaires, qui sont elles-mêmes soumises à des procédures particulièrement longues, sont systématiquement repoussées et reportées, de même que les travaux les plus élémentaires, malgré l'urgence de la situation. Cette politique attentiste, qui accentue l'impatience et le mécontentement du personnel pénitentiaire, est amplifiée par des budgets de fonctionnement déjà insuffisants.
L'univers carcéral à la Réunion est donc menacé à la fois d'implosion et d'explosion à court terme pour les raisons évoquées ci-dessus, et dont la principale est l'existence de conditions de vie inhumaines - indignes de la patrie des Droits de l'Homme -pour les personnes incarcérées, et de conditions de travail avilissantes pour le personnel pénitentiaire.
Dans ce contexte, les nombreuses insuffisances constatées dans l'ensemble du dispositif d'application des décisions de justice par le service pénitentiaire réunionnais mettent en péril la sécurité publique des biens et des personnes dans ce Département. Par voie de conséquence, elles appellent la mise en _uvre d'un processus de rattrapage et de remise à niveau.
C'est pourquoi il est proposé d'adopter la présente résolution qui tend à la création d'une commission d'enquête chargée de dresser un bilan sur les modalités de fonctionnement du service public pénitentiaire à la Réunion.
Elle aura pour mission d'évaluer les besoins et de proposer le cas échéant les mesures, notamment matérielles, en particulier en terme d'infrastructures, humaines et financières, en vue d'une amélioration pérenne du service public pénitentiaire dans ce Département, qui soit propice à une véritable réinsertion des personnes incarcérées.
Elle devra également s'interroger sur les modalités d'évolution et les perspectives du secteur pénitentiaire à la Réunion, en particulier en ce qui concerne la construction d'un nouvel établissement pénitentiaire, les travaux de sécurisation et d'agrandissement des enceintes existantes, la capacité d'accueil des cellules, les équipements sanitaires, les conditions d'hygiène, de confort et d'hébergement des détenus, la création d'un centre pour jeunes détenus et d'un deuxième quartier pour les femmes, le développement des contacts familiaux, les relations entre les parents détenus et leurs enfants ou inversement, la détention à domicile pour les infractions mineures, dont le contenu demande à être précisé, notamment comme instrument de gestion de la surpopulation carcérale et de préparation à la réinsertion, la gestion des effectifs en personnel pénitentiaire, la création de postes supplémentaires, l'ouverture du monde carcéral sur le monde extérieur et, d'une manière générale, la mise en place d'une nouvelle organisation destinée à compenser et à supprimer les nombreux handicaps existants.

Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution dont la teneur suit.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, une commission d'enquête de trente membres chargée de faire le point sur les graves problèmes de fonctionnement, fréquemment mis en évidence par des manifestations et des mouvements de protestation et de révolte, du service public pénitentiaire de la Réunion. Cette commission se prononcera sur les raisons ayant généré cette situation de crise et proposera les moyens de tout ordre, notamment matériels (nouvelle construction, rénovations, modernisation, voire restructurations), humains et financiers, susceptibles d'y mettre fin.
N°1841. - PROPOSITION DE RÉSOLUTION de M. André THIEN AH KOON tendant à la création d'une commission d'enquête sur le fonctionnement du service public pénitentiaire dans le département de la Réunion (renvoyée à la commission des lois)


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