No 1883
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 octobre 1999.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée de déterminer les circonstances qui ont permis à Maurice Papon de ne pas être mis sous contrôle judiciaire et de se soustraire à l'obligation de se constituer prisonnier.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

présentée,

par MM. Georges SARRE, Pierre CARASSUS, Jacques DESALLANGRE, Robert HONDE, Guy LENGAGNE, Mme Gilberte MARIN-MOSKOVITZ, MM. Gérard SAUMADE, Michel SUCHOD et Aloyse WARHOUVER,

Députés.

Justice.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Maurice Papon, qui fut pendant l'occupation nazie secrétaire général de la préfecture de la Gironde, a été condamné le 2 avril 1998 à une peine de dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité, en raison du rôle qu'il a joué, dans l'exercice de ses fonctions, dans la déportation d'environ 1560 juifs de la région de Bordeaux. Il a été condamné après seize ans de procédure, au terme du plus long procès d'assises qui ait eu lieu en France. Cette condamnation n'a été possible que grâce à l'obstination des parties civiles, qui ont surmonté les multiples man_uvres dilatoires mises en place par la défense, depuis la première plainte déposée le 8 décembre 1981, pour que le procès n'ait pas lieu, puis pour qu'il débouche sur un acquittement.
Alors qu'il devait se constituer prisonnier la veille de l'examen de son pourvoi en cassation, comme le prévoit le code de procédure pénale, soit au plus tard le 20 octobre à minuit, il ne s'est pas présenté et a pris la fuite. Tant la lettre explicative envoyée par le condamné au quotidien Sud-Ouest que certaines déclarations à la presse de ses avocats, quelques jours avant la date-butoir, confirment que cette fuite était préméditée de longue date. Il est à signaler particulièrement une déclaration de son défenseur Me Varaut, publiée par la presse le 15 octobre et dans laquelle l'avocat du condamné déclarait : " Il sera là le moment venu, quand nous le jugerons bon ", alors que la date à laquelle il devait se constituer prisonnier est déterminée par la loi.
Cette situation est particulièrement choquante puisque Maurice Papon est à ce jour, avec Paul Touvier, l'un des deux seuls condamnés français pour complicité de crimes contre l'humanité et que, plus de cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est sans aucun doute la dernière personne à pouvoir être jugée pour sa participation active au génocide organisé des juifs en France, le prochain procès du criminel de guerre Alois Brunner devant se dérouler en l'absence du prévenu. Son procès et sa condamnation, qui allaient dans le sens de la justice et du devoir de mémoire, ont une vertu pédagogique et historique exemplaire : il faut, pour qu'elle soit complète, que toute la lumière soit faite sur les circonstances de la fuite du condamné.
Il importe donc de savoir pourquoi M. Papon a pu se soustraire à la justice sans la moindre difficulté.
Il faut revenir à l'historique des faits pour déterminer comment le condamné a pu être laissé en liberté.
Maurice Papon s'était constitué prisonnier la veille de son procès, qui a débuté le 8 octobre 1997, devant les assises de la Gironde, conformément au code de procédure pénale. Dès le début des audiences, son défenseur, Me Jean-Marc Varaut, demande la mise en liberté du prévenu. Après avoir passé trois nuits à la maison d'arrêt de Gradignan (Gironde), celui-ci est effectivement remis en liberté, le 10 octobre 1997, en raison d'un état de santé qui a été estimé fragile par les trois magistrats professionnels de la cour d'assises de la Gironde, et ce, sur la foi de certificats médicaux. Par la suite, un autre motif médical entraînera, le 23 octobre, la suspension du procès. Depuis la décision de la cour de le remettre en liberté, Maurice Papon a toujours été libre de tous ses faits et gestes, sans aucun contrôle judiciaire; il a toujours disposé de son passeport. Toutes les tentatives des avocats des parties civiles pour revenir sur la décision de mise en liberté ont été vaines. Par un courrier adressé le 2 septembre 1999 au garde des sceaux, Me Serge Klarsfeld demandait notamment la mise sous contrôle judiciaire du condamné, sans suite; le 15 septembre, il adressait la même demande au président de la cour d'assises de la Gironde, qui se déclarait incompétent le 20 septembre et transmettait au parquet général de Bordeaux. Lors de l'audience devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Bordeaux le 11 octobre, deux points différents ont été examinés : d'une part, la demande d'expertise médicale visant à dispenser le condamné de se constituer prisonnier, déposée par ses défenseurs et refusée le 13 octobre, ce qui revenait à confirmer la nécessité qu'il se constitue prisonnier la veille de l'examen de son pourvoi; d'autre part, la demande de contrôle judiciaire renouvelée par Me Arno Klarsfeld, qui n'a pas été reprise par le parquet et n'a donc pas été accordée.
Il faut, à ce sujet, préciser que si en droit les parties civiles
semblent ne pas être habilitées à déposer une demande de mise sous contrôle judiciaire, le parquet général peut, lui, le faire, de sorte que la décision finale est entièrement de sa responsabilité.
Au bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir délibérer et adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

Conformément aux articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, une commission d'enquête parlementaire de trente membres est constituée.
Elle est chargée d'enquêter sur les circonstances qui ont permis à Maurice Papon, condamné le 2 avril 1998 à une peine de dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité, de ne pas être mis sous contrôle judiciaire et de se soustraire à l'obligation qu'il avait de se constituer prisonnier à la veille de l'examen de son pourvoi en cassation.

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N° 1883.- Proposition de résolution de M. Georges Sarre tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée de déterminer les circonstances qui ont permis à Maurice Papon de ne pas être mis sous contrôle judiciaire et de se soustraire à l'obligation de se constituer prisonnier (renvoyée à la commission des lois).


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