N° 1898
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 novembre 1999.
PROPOSITION DE LOI
relative à la création des bons de croissance, pour le développement de l'actionnariat salarié et le soutien des entreprises innovantes.
(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée

par MM. François GOULARD, François d'AUBERT, Mmes Nicole AMELINE, Sylvia BASSOT, MM. Jacques BLANC, Roland BLUM, Pierre CARDO, Antoine CARRÉ, Pascal CLÉMENT, Georges COLOMBIER, Francis DELATTRE, Franck DHERSIN, Laurent DOMINATI, Dominique DORD, Bernard DEFLESSELLES, Charles EHRMANN, Nicolas FORISSIER, Gilbert GANTIER, Claude GATIGNOL, Claude GOASGUEN, Pierre HELLIER, Michel HERBILLON, Philippe HOUILLON, Denis JACQUAT, Aimé KERGUERIS, Marc LAFFINEUR, Jean-Claude LENOIR, Pierre LEQUILLER, Alain MADELIN, Jean-François MATTEI, Michel MEYLAN, Alain MOYNE-BRESSAND, Yves NICOLIN, Paul PATRIARCHE, Bernard PERRUT, Jean PRORIOL, Jean RIGAUD, Jean ROATTA, José ROSSI, Joël SARLOT, Guy TEISSIER, Philippe VASSEUR et Gérard VOISIN,

Députés.

Entreprises.

EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'ancien ministre de l'Economie et des Finances, Dominique Strauss-Kahn, évoquait le retour d'une croissance forte et durable et parlait de transposer en France le modèle de croissance américain, ininterrompu depuis neuf ans. Mais aucune véritable réforme de structure n'a vu le jour pour corroborer cet enthousiasme.
La " nouvelle économie ", pour reprendre la terminologie de l'ancien ministre de l'Economie et des Finances, permettant de mettre en place une période de croissance durable, à partir des nouvelles technologies de l'information et des biotechnologies, est handicapée en France par des entraves fiscales et réglementaires placées sur la route de l'entrepreneur innovant.
Un obstacle majeur à la mise en route de nouvelles entreprises de croissance est l'absence de pensée cohérente du capitalisme d'entreprise. Le retard français dans le recours aux stock-options dans l'entreprise est à cet égard symptomatique. Mais il est vrai qu'une fiscalité particulièrement pénalisante en décourage trop souvent l'emploi.
Ecartelé entre une vision passéiste de la participation et une approche beaucoup trop ciblée des entreprises innovantes, le capitalisme d'entreprise ne connaît pas à l'heure actuelle de dispositif incitatif cohérent et efficace. La réglementation actuelle constitue une véritable mosaïque multipliant les dispositifs éclatés, ce qui montre encore que le capitalisme salarié n'a pas encore été complètement appréhendé comme vecteur de l'innovation.
Aujourd'hui coexistent plusieurs mécanismes d'actionnariat des salariés mais dont les objectifs ne sont pas identiques et qui laissent beaucoup de salariés à l'écart des dispositifs d'incitation.
D'un côté, l'actionnariat des salariés dépend de la politique interne de l'entreprise ; de l'autre, les stock-options restent un avantage octroyé à un petit nombre. Quant aux bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, ils ne concernent que les entreprises de croissance de moins de quinze ans.
Ces carences pénalisent à la fois les salariés, les entreprises et l'intégration du capital humain dans le processus d'innovation.
La majorité socialiste a toujours été opposée à alléger la fiscalité des stock-options et à permettre d'en généraliser l'emploi dans l'entreprise. Réduits à un complément de rémunération très lucratif pour cadres dirigeants, ces avantages réservés aux salariés ne sont pas perçus comme soutien indispensable de l'innovation. Pourtant, deux Français sur trois se déclarent aujourd'hui intéressés par la détention de stock-options.
Deuxième obstacle : toujours idéologique, la vision dépassée de l'entreprise qui serait le théâtre permanent du conflit social. Tensions profits/salaires, opposition actionnaires/salariés, cette vision interdit toute rénovation d'un capitalisme d'entreprise et interdit au salarié la voie de l'actionnariat.
Troisième obstacle : l'inefficacité des dispositifs existants car trop restrictifs et trop ciblés. Le mécanisme des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, né avec la loi de finances pour 1998, est limité aux entreprises de moins de quinze ans et n'est pas encore définitif, un peu comme si les entreprises de croissance étaient regardées d'un _il suspicieux. On peut également déplorer la vision restrictive de l'entreprise de croissance, uniquement définie par une cotation au nouveau marché, et qui a prévalu à l'élaboration de ces stock- options de croissance.
Or, l'outil des stock-options, loin de se voir cantonné à un complément de rémunération pour les dirigeants, doit être diffusé à l'ensemble des salariés. L'association des salariés à la réussite des entreprises est une des clés de fonctionnement de la nouvelle entreprise. En effet, les stock-options sont l'instrument privilégié de l'innovation. Ils permettent la constitution d'un capital humain de valeur. D'un côté, les entreprises cotées fidélisent un capital humain de valeur, tandis que, de l'autre, les PME innovantes se positionnent sur le marché du recrutement.
C'est pourquoi il convient de mettre au point un dispositif qui permette de regrouper et donc de simplifier les mécanismes d'actionnariat salarié existants. Les nouveaux " bons de croissance " permettraient ainsi de fusionner le mécanisme de stock-options existant avec celui des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprises (article 1er).
La suppression du seuil de moins de quinze ans pour les entreprises éligibles à ces bons de croissance s'impose d'elle-même (article 2).
Afin de généraliser l'emploi de ces bons de croissance dans toutes les entreprises pour tous les salariés, il est également prévu que toute nouvelle ouverture du capital d'une société cotée réserve 10 % des actions nouvellement émises aux salariés dans des conditions préférentielles (article 3). Le succès rencontré par ce type d'ouverture du capital au personnel, lors des opérations de privatisation, a déjà ouvert la voie.
Afin d'assurer la transparence sur l'attribution des bons de croissance et sur la rémunération des dirigeants, il est créé un comité de rémunération (article 4) au sein de la société cotée qui rend un avis sur la rémunération des dirigeants. Cette mesure s'inscrit dans le parfait respect des droits de l'actionnaire.
De plus, la fiscalité des nouveaux bons de croissance doit être corrigée à la baisse afin de ne pas annuler l'avantage encouru par une taxation trop pesante.
L'article 6 met fin à la controverse sur la plue-value d'acquisition, qui désigne la différence entre le prix d'exercice de l'option et le prix d'achat des actions. Cette différence n'est plus considérée comme un salaire différé, et donc taxable comme tel. L'article 6 propose également la suppression de la taxation à l'impôt sur le revenu concernant la décote ou "rabais excédentaire" que la société peut accorder en plus lors de l'attribution des options.
Le dispositif prévu envisage de supprimer la taxation de la plue-value d'acquisition, actuellement soumise au taux de 40 % (article 7). Les bons de croissance ne seront plus taxés au moment de la levée de l'option mais seulement lors de la cession des actions (article 8).
Les plues-values de cession seront calculées par rapport au prix de souscription.
L'article 9 est un article de coordination au sein du code général des impôts.
Un délai d'indisponibilité ramené de cinq à trois ans (article 10) vise à réduire la période pendant laquelle les plues-values des bons de croissance sont soumises à l'impôt sur le revenu et notamment à son taux marginal de 54 %.
A contrario, si le délai est respecté, le taux d'imposition est celui des plues-values de droit commun, c'est à dire 16 %, auquel s'ajoutent 10 % de prélèvements sociaux.
Une baisse de la taxation forfaitaire ramenée de 40 à 26 % constitue donc une réforme nécessaire afin de rendre les nouveaux bons de croissance nécessairement attractifs. En contrepartie, un dispositif de transparence est mis en place afin de rendre l'attribution de ces bons moins opaque et plus respectueuse des droits de l'actionnaire.
Telles sont les raisons, Mesdames, Messieurs, pour lesquelles il vous est demandé d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Les stock-options et les bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise sont désormais dénommés bons de croissance. Leurs dispositifs fusionnent dans les conditions décrites dans la présente proposition de loi. Ils permettent aux salariés d'obtenir une part des actions de leur société dans des conditions avantageuses. Ils représentent l'effort consenti par les salariés à la réalisation des bénéfices, ainsi que la prise de risque des dirigeants dans la gestion de leur société.
Ils constituent ainsi un soutien indispensable au lancement de PME innovantes et à la pérennité des nouvelles entreprises de croissance.
Le régime des bons de croissance s'applique aux sociétés cotées et non cotées.
Les bons de croissance sont soumis à une taxation forfaitaire décrite à l'article 160 du code général des impôts, sauf exception mentionnée à l'article 10 de la présente proposition de loi.

Article 2

I. - Au I de l'article 163 bis G du code général des impôts, après les mots " l'article 200 A ", supprimer la fin du paragraphe.
II. - Au II de l'article 163 bis G du code général des impôts, après le mot : " peuvent ", supprimer les mots jusqu'aux mots " attribuer aux membres ".
III. - Supprimer les 2 et 3 du II de l'article 163 bis G du code général des impôts.

Article 3

Il est inséré, après l'article 208-19 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, un article 208-20 ainsi rédigé :
" Art. 208-20. - A l'occasion de toute augmentation de capital par émission d'actions d'une société cotée, 10 % des actions nouvelles peuvent être offertes aux salariés à un prix inférieur minimum de 20 % au prix d'émission.
" Les actions offertes sont réparties entre tous les salariés selon les modalités fixées par l'assemblée générale extraordinaire. La valeur des actions proposées ne peut excéder 100 000 F par salarié. Elles doivent être achetées dans le délai de six mois à compter de la décision de l'assemblée générale autorisant l'augmentation de capital.
" Pour l'application du présent article, l'assemblée générale peut décider que les salariés concernés sont également ceux des filiales détenues directement ou indirectement à plus de 50 %.
" Dans les conditions et suivant les modalités prévues aux alinéas précédents, le même avantage peut être proposé aux salariés des sociétés non cotées sur décision de l'assemblée générale extraordinaire.
" Les gains nets retirés de la cession d'actions distribués dans les conditions prévues au présent article subissent le régime d'imposition mentionné à l'article 160 du code général des impôts. "

Article 4

Il est inséré, après l'article 208-20 (nouveau) de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, un article 208-21 ainsi rédigé :
" Art. 208-21. - Il est créé, dans toute sociéré cotée, un comité de rémunération des dirigeants afin d'assurer et de garantir la transparence des systèmes de rémunérations, pour les actionnaires.
" Le comité visé au premier alinéa est présent aux réunions du conseil d'administration lorsque celui-ci statue sur la rémunération des dirigeants. Il livre un avis le cas échéant.
" Les salaires, primes de rendement et bons de croissance attribués aux dirigeants sont personnalisés et consignés dans un document écrit. L'avis du comité et le document retraçant l'ensemble des rémunérations des dirigeants sont transmis à tous les actionnaires lors d'une assemblée générale ordinaire annuelle prévue à cet effet.
" L'information porte également sur les bons attribués aux dix salariés de la société n'exerçant pas de fonctions de dirigeant et ayant bénéficié des attributions les plus importantes.
" L'assemblée générale extraordinaire fixe les conditions de nomination, le statut des membres du comité de rémunération et les conditions dans lesquelles l'assemblée générale ordinaire est informée.

Article 5

Au premier alinéa de l'article 208-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 précitée, après les mots : " de la société ", supprimer les mots : " ou de certains d'entre eux ".

Article 6

L'article 80 bis C du code général des impôts est supprimé.

Article 7

Le 6 de l'article 200 A du code général des impôts est supprimé.

Article 8

L'article 163 bis C du code général des impôts est supprimé.

Article 9

Le deuxième alinéa du 4 bis de l'article 94 A du code général des impôts est supprimé.

Article 10

L'article 92 B bis du code général des impôts est rédigé comme suit :
" Art. 92 B bis. - Le gain net correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option et le prix de souscription ou d'achat de cette option est imposé dans les conditions prévues à l'article 92 B si la levée de l'option intervient avant l'achèvement d'une période de trois années à compter de la date d'attribution de l'option, et si la cession des titres est postérieure à cette période.
" Si la condition prévue au premier alinéa n'est pas remplie, le gain réalisé est imposé à l'impôt sur le revenu suivant les règles applicables aux traitements et salaires. Le fait générateur de l'imposition prend pour point de départ l'année de la cession des actions. "

Article 11

La perte de recettes pour l'Etat est compensée à due concurrence par le relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


© Assemblée nationale