N° 2148
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 février 2000.
PROPOSITION DE LOI
relative à la conduite automobile sous l'emprise de stupéfiants.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par MM. Bernard ACCOYER, Jean-Louis DEBRÉ et Patrick DELNATTE
et les membres du groupe du Rassemblement pour la République (1) et apparentés (2),
Députés.

(1) Ce groupe est composé de : MM. Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, Mme Michèle Alliot-Marie, MM. René André, André Angot, Philippe Auberger, Jean Auclair, Gautier Audinot, Mmes Martine Aurillac, Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Edouard Balladur, Jean Bardet, François Baroin, Jacques Baumel, Christian Bergelin, André Berthol, Léon Bertrand, Jean-Yves Besselat, Jean Besson, Franck Borotra, Bruno Bourg-Broc, Michel Bouvard, Victor Brial, Philippe Briand, Michel Buillard, Christian Cabal, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM. Jean-Charles Cavaillé, Richard Cazenave, Henry Chabert, Jean-Paul Charié, Jean Charroppin, Philippe Chaulet, Jean-Marc Chavanne, Olivier de Chazeaux, François Cornut-Gentille, Alain Cousin, Jean-Michel Couve, Charles Cova, Henri Cuq, Jean-Louis Debré, Lucien Degauchy, Arthur Dehaine, Jean-Pierre Delalande, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Yves Deniaud, Patrick Devedjian, Eric Doligé, Guy Drut, Jean-Michel Dubernard, Jean-Pierre Dupont, Nicolas Dupont-Aignan, Christian Estrosi, Jean-Claude Etienne, Jean Falala, Jean-Michel Ferrand, François Fillon, Roland Francisci, Pierre Frogier, Yves Fromion, Robert Galley, René Galy-Dejean, Henri de Gastines, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Jacques Godfrain, Louis Guédon, Jean-Claude Guibal, Lucien Guichon, Jean-Jacques Guillet, Gérard Hamel, Michel Hunault, Michel Inchauspé, Christian Jacob, Didier Julia, Alain Juppé, Jacques Lafleur, Robert Lamy, Pierre Lasbordes, Thierry Lazaro, Pierre Lellouche, Jean-Claude Lemoine, Arnaud Lepercq, Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Alain Marleix, Jean Marsaudon, Philippe Martin, Patrice Martin-Lalande, Jacques Masdeu-Arus, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Gilbert Meyer, Jean-Claude Mignon, Charles Miossec, Pierre Morange, Renaud Muselier, Jacques Myard, Jean-Marc Nudant, Patrick Ollier, Mme Françoise de Panafieu, MM. Robert Pandraud, Jacques Pélissard, Dominique Perben, Pierre Petit, Etienne Pinte, Serge Poignant, Bernard Pons, Robert Poujade, Didier Quentin, Jean-Bernard Raimond, Jean-Luc Reitzer, Nicolas Sarkozy, André Schneider, Bernard Schreiner, Philippe Séguin, Frantz Taittinger, Michel Terrot, Jean-Claude Thomas, Jean Tibéri, Georges Tron, Jean Ueberschlag, Léon Vachet, Jean Valleix, François Vannson, Roland Vuillaume, Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann.
(2) MM. Pierre Aubry, Xavier Deniau, François Guillaume, Jacques Kossowski, Franck Marlin, Anicet Turinay.
Sécurité routière.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le 22 juin 1991, Jacques Chirac déposait une proposition de loi n° 2165 qui réagissait face au phénomène de conduite automobile sous l'emprise de drogues illicites.
En l'an 2000, année où la sécurité routière s'est vue attribuer le label de « grande cause nationale », force est pourtant de constater que trop peu de progrès ont été enregistrés en ce domaine.
Conduire sous l'emprise de stupéfiants ne constitue pas, en France, un délit. En outre, lors d'un accident de la circulation, la recherche de stupéfiants n'est effectuée de manière systématique que dans les cas d'accidents mortels.
A l'occasion du vote de la loi n° 99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière, le gouvernement Jospin n'a pas souhaité aller plus loin et s'est contenté de cette situation lacunaire.
Pourtant, dès 1995, les auteurs du Livre blanc « Sécurité routière, drogues licites ou illicites et médicaments » recommandaient que les recherches soient pratiquées « en cas d'accident corporel et lors d'une infraction aux règles de circulation mettant en jeu la sécurité ».
Ainsi, la conduite sous l'emprise de drogue s'avère un phénomène dont l'ampleur et les ravages ne devraient plus demeurer sans réponse efficace de la part des pouvoirs publics.
L'ampleur du phénomène, quantifiée par plusieurs travaux, est terrifiante, sans doute parce qu'elle s'inscrit dans un contexte de hausse constante de la consommation de drogues en France. Il est à noter que cette consommation concerne de nouvelles substances comme l'ecstasy ou, et ce point est important, le cannabis hollandais à forte teneur en produits stupéfiants, nouvelles substances qui rendent d'ailleurs obsolète la distinction classique entre drogues dites « douces » et drogues « dures ».
En 1995, le Livre blanc avançait le chiffre de 15 % des accidents mortels impliquant environ 12 000 conducteurs sous l'emprise de produits illicites. Si la conduite sous l'emprise de la drogue concerne 15 % des accidents mortels (32 % pour l'alcool), le rôle de la drogue dépasse parfois celui de l'alcool dans certaines circonstances, en particulier les accidents de nuit et de week-end en milieu urbain.
Les gendarmes du Nord, région très touchée par les rave-parties, sont ainsi coutumiers, lors des contrôles routiers à la sortie des discothèques, de l'observation de signes d'ivresse manifeste (pupilles dilatées et conjonctives rouges) chez des jeunes négatifs à l'alcootest : situation qui traduit souvent les effets de très faibles taux d'alcoolémie avec une imprégnation de type cannabique ou autre.
Outre son ampleur, les dangers de la conduite sous l'emprise de stupéfiants sont parfaitement connus.
Dans un article publié par le Quotidien du médecin, le 20 septembre 1998, le Dr Annie Dumonceau décrivait les effets de certaines drogues sur la conduite automobile :
- le cannabis diminue la vigilance, perturbe la vision et l'ouïe, les réflexes sont décalés, inappropriés. Il présente aussi la particularité d'être stocké dans les tissus et libéré sous l'effet d'un stress soudain ; c'est pourquoi, même plusieurs jours après avoir fumé du cannabis, un sujet peut être incapable de faire face à une situation d'urgence sur la route ;
- les amphétamines (principalement l'ecstasy) induisent dans un premier temps une réaction stimulante, avec des réflexes exagérés et des phénomènes paranoïaques (risques de réactions agressives au volant). A hautes doses, l'ecstasy peut engendrer des hallucinations et une coupure avec le réel. Par ailleurs, lorsque l'effet s'estompe (environ sept heures après la prise), il y a un risque important de somnolence ;
- les opaciés entraînent, juste après une injection, une impossibilité de conduire. En phase dite de « descente », il y a risque de somnolence et diminution importante de la vigilance ;
- la cocaïne a un effet stimulant après la prise, suivi de sensations d'angoisse, de nervosité extrême, de tension musculaire... qui perturbent les réflexes.
On comprend donc que la Commission Henrion, pourtant divisée sur la quasi-totalité des sujets étudiés, ait été unanime sur la nécessité de contrôles routiers de dépistage assortis de sanction, pour réprimer l'ivresse cannabique au volant.
L'ensemble des acteurs de la sécurité routière, de la prévention routière, des associations impliquées dans la prévention des accidents de la route, des fondations d'aide aux victimes sont très favorables à la mise en _uvre d'une véritable politique de lutte contre les drogues au volant, comme l'a démontré le Dr Charles Mercier-Guyon, en septembre 1997, lors de la XIe Conférence mondiale « Alcool, Drogues et Sécurité routière », à Annecy.
La France est, en ce domaine, très en retard par rapport à de nombreux pays européens (Danemark, Suède, Pays-Bas, Finlande, Allemagne, Belgique, Espagne, Grande-Bretagne) où il existe des contrôles de la prise de drogue soit en cas d'accident, soit en cas de conduite dangereuse et de troubles manifestes du comportement.
Or, les procédés du dépistage sont aujourd'hui parfaitement au point. Dans sa résolution du 28 avril 1998, l'Académie de médecine estime que la recherche de substances illicites chez les automobilistes « est à la fois fiable et relativement peu coûteuse ». Il s'agit notamment de l'usage de bandelettes de dépistage colorimétriques ou prélèvements de sueur par frottement de la peau, tel que « Drug wipe ». En cas de contrôle positif, il suffit de confirmer le résultat par une prise de sang.
Grâce à la fiabilité technique de l'examen du sang, on possède aujourd'hui le moyen objectif de confirmer la prise de drogues. Cet examen différencie la prise de ces différents types de produits et les substances, opaciées ou autres, médicamenteuses. Ils d'une analyse dont les résultats sont sûrs et qui peut être réalisée sur l'ensemble du territoire.

*
* *

C'est pourquoi la présente proposition crée, dans son article 1er, à l'instar de ce qui existe en matière d'alcoolémie au volant, un délit puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 F d'amende, ces peines étant portées au double si le conducteur est à l'origine d'un homicide ou de blessures involontaires.
L'article 2 rend le dépistage de drogue systématique en cas d'accident corporel, et plus seulement en cas d'accident mortel comme le prévoit la législation actuelle.
L'article 3 prévoit que les conditions d'application de la présente loi seront fixées par décret en Conseil d'Etat.
L'article 4 a trait à la recevabilité financière.

*
* *

Il vous est donc demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Après l'article L. 3 du code de la route, il est inséré un article L. 3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3-1. - Toute personne qui aura conduit après avoir fait usage, de manière illicite, de substances ou plantes classées comme stupéfiants sera punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 F d'amende.
« Lorsqu'il y aura lieu à l'application des articles 221-6 et 222-19 du code pénal à l'encontre de l'auteur de l'infraction définie à l'alinéa précédent, les peines prévues par ces articles seront portées au double. »

Article 2

Dans le deuxième alinéa de l'article 9 de la loi n° 99-505 du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, le mot : « mortel » est remplacé par les mots : « ayant causé des dommages corporels ».

Article 3

Les conditions d'application de la présente loi sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

Article 4

Les charges qui pourraient résulter pour l'Etat de cette disposition sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


© Assemblée nationale