N° 2206
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er mars 2000.
PROPOSITION DE LOI
tendant à clarifier les conditions de récupération
de
certaines prestations d'aide sociale.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. François ROCHEBLOINE,
Député.

Donations et successions.

EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi pose le principe de la récupération des prestations d'aide sociale sur le bénéficiaire, le donataire et le légataire.
L'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale précise ainsi que :
" Des recours sont exercés par le département, par l'Etat, si le bénéficiaire de l'aide sociale n'a pas de domicile de secours, ou par la commune lorsqu'elle bénéficie d'un régime spécial d'aide médicale :
" a) Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ;
" b) Contre le donataire lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande ;
" c) Contre le légataire. "
Pour atténuer la rigueur de ce principe, la perspective d'une récupération des prestations versées sur les proches étant de nature à dissuader nombre de postulants de formuler les demandes d'aides auxquelles leur situation leur permettrait de prétendre, le législateur a posé quelques limites concernant notamment les prestations d'aide sociale à domicile et d'aide médicale à domicile, la prestation spécifique dépendance et la prise en charge du forfait journalier. L'article 146 précité précise ainsi que, en ce qui concerne ces prestations, " un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans lesquelles sont exercés les recours, en prévoyant, le cas échéant, l'existence d'un seuil de dépenses supportées par l'aide sociale en deçà duquel il n'est pas procédé à leur recouvrement ".
En outre, le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de l'aide sociale à domicile, de la prestation spécifique dépendance ou de la prise en charge du forfait journalier ne s'exerce que sur la partie de l'actif net successoral, défini par les règles de droit commun, qui excède un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat (l'art. 4-1 du décret n° 61-495 du 15 mai 1961 modifié a fixé ce seuil à 300000 F).
Par ailleurs, le II de l'article 39 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées soustrait l'allocation compensatrice pour tierce personne à toute possibilité de récupération sur la succession du bénéficiaire décédé lorsque ses héritiers sont son conjoint, ses enfants ou la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé.
Ce dispositif équilibré, qui vise à concilier les intérêts des collectivités avec ceux des familles les plus cruellement touchées par le handicap d'un de leurs membres, a malheureusement des effets aléatoires. Nombreux sont en effet les parents de personnes âgées ou handicapées qui découvrent au moment du décès de l'allocataire qu'ils ne remplissent pas les conditions requises pour bénéficier des limitations ou exonérations prévues.
Cette situation résulte notamment de la méconnaissance par les intéressés de la situation juridique exacte dans laquelle ils se trouvent.
Ainsi, les enfants d'allocataires qui, informés de l'existence de règles limitant les recours en récupération sur la succession des sommes versées au titre de la prestation spécifique dépendance, ou excluant les recours en récupération de l'ACTP sur certains héritiers, ne sont généralement pas conscients du fait qu'ils s'excluent du champ d'application de ces dispositions lorsqu'ils viennent à accepter une donation. Ils se trouvent ainsi, au moment du décès de leur parent, à leur grande surprise, confrontés à une situation qui leur paraissait explicitement exclue par les textes auxquels ils croyaient, faute d'en connaître la portée exacte, pouvoir se référer.
On citera simplement, pour décrire la situation dans laquelle ces familles insuffisamment informées peuvent ainsi se placer, les termes d'une décision de la Commission centrale d'aide sociale du 16 juin 1991 :
" Considérant qu'en l'espèce il n'est pas contesté que Mme..., bénéficiaire de l'allocation compensatrice depuis le 1er décembre 1986, a effectué une donation au profit de ses deux enfants en date du 26 mars 1983; que c'est donc à bon droit que la commission d'aide sociale a décidé une récupération sur les donataires en date du 21 septembre 1988; que la circonstance que cette donation constitue un partage anticipé et que si elle n'avait pas été consentie, il n'y aurait pas eu de recours ultérieur sur la succession dans la mesure où les héritiers sont les enfants de la bénéficiaire de l'allocation compensatrice, ne saurait exercer aucune influence sur la légalité et le bien-fondé de cette récupération ; "
La jurisprudence considère en effet que les règles applicables en cas de donation sont totalement indépendantes de celles applicables aux successions.
Dès lors qu'une donation a été effectuée dans les périodes définies à l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale et que la somme s'inscrit tant dans les limites de la valeur de la donation que dans celles du montant des prestation versées :
" La circonstance que la récupération n'aurait pas pu avoir lieu si les mêmes sommes avaient été reçues par les donataires au titre d'un héritage est sans influence en l'espèce dès lors que la réglementation applicable en matière de succession est différente de celle applicable en matière de donation ; " (CCAS 9 février 1994.)
La rigueur des textes et de la jurisprudence contribue ainsi à aggraver le sentiment d'insécurité juridique qui explique en partie les déceptions suscitées par la mise en application du dispositif récent de la prestation spécifique dépendance, dont le nombre de bénéficiaires reste très inférieur à celui des personnes qui remplissent les conditions de ressources et de dépendance requises pour pouvoir y prétendre.
C'est pourquoi il vous est proposé d'aménager les dispositions de l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale et de l'article 39 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 relatif à l'allocation compensatrice pour tierce personne, de manière à fixer sur des bases plus claires et plus équitables les modalités de récupération des prestations.
Tel est l'objet de la proposition de loi suivante qu'il vous est demandé de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le sixième alinéa de l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale est ainsi rédigé :
" Le recouvrement sur le donataire ou sur la succession du bénéficiaire, de l'aide sociale à domicile, de la prestation spécifique dépendance ou de la prise en charge du forfait journalier s'exerce sur la partie de la donation ou de l'actif net successoral défini par les règles du droit commun qui excède un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat. "

Article 2

Le premier alinéa du II de l'article 39 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées est complété par une phrase ainsi rédigée :
" Il n'est exercé aucun recours en récupération de l'allocation compensatrice sur les donataires lorsqu'il s'agit du conjoint, des enfants ou de la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé. "

Article 3

Les pertes de recettes susceptibles de résulter des dispositions qui précèdent sont compensées par une taxe additionnelle aux droits prévues aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, perçue au profit des collectivités mentionnées au premier alinéa de l'article 146 du code de la famille et de l'aide sociale.


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