N° 2278
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 mars 2000.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

tendant à introduire dans la Constitution un droit
à l'expérimentation
pour les collectivités locales.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

présentée
par M. Pierre MÉHAIGNERIE
et les membres du groupe UDF-Alliance (1) et apparentés (2),
Députés.

(1) Ce groupe est composé de : MM. Jean-Pierre Abelin, Pierre Albertini, Pierre-Christophe Baguet, Jacques Barrot, Dominique Baudis, Jean-Louis Bernard, Claude Birraux, Émile Blessig, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Bernard Bosson, Loïc Bouvard, Jean Briane, Yves Bur, Hervé de Charette, Jean-François Chossy, René Couanau, Charles de Courson, Yves Coussain, Marc-Philippe Daubresse, Jean-Claude Decagny, Léonce Deprez, Renaud Donnedieu de Vabres, Philippe Douste-Blazy, Renaud Dutreil, Jean-Pierre Foucher, Claude Gaillard, Germain Gengenwin, Valéry Giscard d'Estaing, Gérard Grignon, Hubert Grimault, Pierre Hériaud, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Bernadette Isaac-Sibille, MM. Henry Jean-Baptiste, Jean-Jacques Jegou, Christian Kert, Édouard Landrain, Jacques Le Nay, Jean-Antoine Léonetti, François Léotard, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Ligot, François Loos, Christian Martin, Pierre Méhaignerie, Pierre Menjucq, Pierre Micaux, Mme Louise Moreau, MM. Hervé Morin, Jean-Marie Morisset, Arthur Paecht, Dominique Paillé, Henri Plagnol, Jean-Luc Préel, Marc Reymann, Gilles de Robien, François Rochebloine, Rudy Salles, André Santini, François Sauvadet, Michel Voisin, Jean-Jacques Weber et Pierre-André Wiltzer.
(2) MM. Raymond Barre, Jean-Louis Borloo, Mme Christine Boutin, MM. Dominique Caillaud et Alain Ferry.
Lois.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Chaque citoyen peut constater que la réforme de l'Etat piétine, quand elle ne recule pas, sous l'effet des blocages propres à nos systèmes de décision obsolètes et tellement centralisés. Plus de quinze ans après la loi de 1982, l'édifice rationnel mais incomplet de la décentralisation montre ses limites. Le pouvoir central - le gouvernement et le législateur - multiplie les législations uniformes et si vite dépassées, tout en accumulant les mesures de recentralisation rampante. La France se retrouve ainsi, à l'orée du nouveau millénaire, dans un paradoxe : consolidant d'un côté, par une inflation de textes prétendant tout régenter les "mammouths" du pays, condamnée, d'un autre côté, à reconnaître sous la pression, et souvent sous la menace, telle ou telle situation particulière au sein de véritable "niches" constitutionnelles.
Cette situation perdure, s'aggrave, au moment où nos partenaires européens se sont engagés résolument dans la voie inverse, celle de la confiance déléguée et de la compétitivité des territoires, celle de la réduction des dépenses de l'Etat. La Grande-Bretagne redonne aux institutions écossaises et galloises leurs lettres de noblesse. L'Allemagne achève de réussir sa réunification grâce à un système fédéral qui a démontré sa cohésion comme sa capacité d'adaptation. Et la résurrection espagnole démontre que le dynamisme national va de pair avec une forte autonomie régionale.
Il est temps pour la France d'engager une révolution intellectuelle au regard de ses institutions et de ses habitudes normatives. Si elle persiste dans la prétention " du tout Etat " et dans le confort illusoire du non-choix, nul doute que les blocages institutionnels nourris d'avantages acquis finiront par provoquer une crise majeure, attisée, en dehors de tout cadre constitutionnel, par des groupes de pression minoritaires qui auront pris racine dans le terreau de l'immobilisme.
Plutôt que de passer de révisions constitutionnelles ad hoc en réformes législatives sans cesse réformées car ne tenant pas compte des expériences de terrain, nous proposons d'inventer un nouveau droit à l'expérimentation qui permettrait tant à l'Etat qu'aux collectivités locales de tester l'efficacité de mesures avant de les généraliser par la voie législative, de les modifier ou de ne pas y donner suite.
Pour l'Etat, le fait de confier l'expérimentation d'une réforme à certaines collectivités locales lui éviterait de proposer des projets de loi inadaptés, trop longs, et dont l'évaluation ne se fait que par le constat, au bout parfois de quelques mois seulement, et qui doivent être dès lors corrigés ou supprimés. Les exemples récents des lois sur les 35 heures ou de la loi sur l'exclusion sont là pour confirmer que les expériences locales ont été méconnues par l'Etat. Et sur ce plan, tous les gouvernements des vingt dernières années qui ont privilégié les symboles au détriment des réalités ont connu des déconvenues. Cette proposition n'a donc aucunement pour effet de démunir l'Etat mais au contraire doit lui redonner de nouvelles marges pour se réformer et mieux conduire les évolutions nécessaires dans la vie quotidienne des Français.
Pour les collectivités locales, le droit à l'expérimentation permettrait aux plus dynamiques d'entre elles de s'engager dans des politiques ambitieuses, dont les résultats seraient clairement évalués. La décentralisation retrouverait ainsi sa raison d'être en dépassant le modèle du " jardin à la française ", voulu par le législateur de 1982. Les politique relatives à l'emploi, au logement, à la sécurité, à l'environnement, à la solidarité, notamment, pourraient bénéficier ainsi d'une prise sur le réel, d'une cohérence dans les bassins de vie pour le bénéfice concret des habitants.
L'insertion d'un tel principe dans la Constitution nous paraît nécessaire afin de bâtir un dispositif cohérent et compatible avec les principes généraux du droit qui sont au c_ur de notre République. Il s'agit, d'une part, de compléter l'article 72 afin d'y introduire un droit à l'expérimentation pour les collectivités locales, d'autre part, de préciser les modalités d'exercice de ce droit dans une loi organique, ce qui implique, à dessein, une consultation obligatoire du Conseil constitutionnel.
L'objet de cette proposition n'est nullement, en effet, de " contourner " par le biais d'une révision constitutionnelle la jurisprudence de la haute juridiction. Celle-ci ne s'est pas montrée hostile au principe d'expérimentations. Simplement, elle s'est attachée, comme l'a montré notamment sa décision 93-322 DC du 28 juillet 1993, à rappeler les limites dans la nature et dans le temps qu'impose à cette notion la constitution actuelle. Le fait que le constituant donne au législateur la possibilité de préciser les conditions dans lesquelles le droit constitutionnel à l'expérimentation doit être exercé par les collectivités locales devrait permettre au juge constitutionnel de développer une jurisprudence conciliant cette nouvelle logique d'autonomie locale et l'essentiel du bloc de constitutionnalité, tant au regard du préambule que de l'article 34.
C'est en renonçant aux débats théoriques ou idéologiques que notre pays pourra sortir de l'immobilisme dans lequel l'enserrent un système administratif envahissant et des principes d'uniformité de plus en plus hypocrites. Il faut introduire de la souplesse et de l'innovation dans nos processus de pensée comme dans nos pratiques politiques.
La présente proposition de révision constitutionnelle vise à engager cette nouvelle étape de notre vie publique avec la participation et l'adhésion des citoyens.
Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Article unique

A la suite du deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution, il est inséré le nouvel alinéa suivant :
" Les collectivités locales disposent du droit à l'expérimentation dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. "


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