N° 2283
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 mars 2000.
PROPOSITION DE LOI

tendant à permettre une pleine réparation du préjudice subi par les victimes des spoliations nazies ou du régime de " l'Etat français ".
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation et de l'administration, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée

par MM. Jean-Pierre BRARD, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Claude BILLARD, Bernard BIRSINGER, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jacques BRUNHES, Patrice CARVALHO, Alain CLARY, Christian CUVILLIEZ, René DUTIN, Daniel FEURTET, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GÉRIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Guy HERMIER, Robert HUE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM.André LAJOINIE, Jean-Claude LEFORT, Patrick LEROY, Félix LEYZOUR, François LIBERTI, Patrick MALAVIEILLE, Roger MEÏ, Ernest MOUTOUSSAMY, Bernard OUTIN, Daniel PAUL, Jean-Paul SANDRIER, Michel VAXÈS et Jean VILLA (1),

Députés.

(1) Constituant le groupe communiste et apparentés.
Anciens combattants et victimes de guerre.

EXPOSÉ DE MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'entreprise d'extermination, organisée méthodiquement par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, s'est accompagnée de l'appropriation frauduleuse des biens des personnes vouées à la mort.
Cette spoliation n'a pas été seulement le fait des autorités d'occupation, mais aussi celui d'institutions des pays occupés - par exemple des banques, des institutions financières, des musées - lesquelles n'ont pas entrepris une politique convenable de dédommagement ou de restitution des biens appartenant aux familles persécutées.
La France a été largement concernée par cette situation et force est de reconnaître que la situation appelle, soixante ans après les faits, des mesures de justice énergiques.
Le devoir de réparation est inséparable du devoir de mémoire. Il est amoral et scandaleux que des biens, soustraits par la violence sans raison légitime à leur propriétaire, puissent être conservés aujourd'hui encore au détriment des victimes ou de leurs descendants.
La position de la Caisse des dépôts et consignations sur cette question des biens soustraits par spoliation est exemplaire. Cette spoliation est considérée comme un élément pleinement intégré dans le dispositif global de persécution, de déportation et d'extermination, planifié par les nazis et leurs complices français, avec les conséquences que cela implique.
Le Président de la République, Jacques Chirac, a reconnu justement et pour la première fois le rôle de l'appareil d'Etat français et donc de la France dans la persécution et la spoliation des Juifs français ou de nationalité étrangère résidant en France.
A la spoliation des biens s'ajoute le préjudice moral considérable résultant des persécutions, de l'assassinat de membres de leurs familles. Là aussi, une juste réparation incombe à la France.
A l'initiative du Premier ministre, Alain Juppé, a été créé la commission, présidée par M. Matteoli, chargée de travailler sur les modalités de la spoliation et sur les réparations à apporter. Sous l'impulsion de l'actuel Premier ministre, Lionel Jospin, ce travail a été poursuivi et approfondi et se traduit, maintenant, par des mesures concrètes.
La commission, présidée par M. Drai, a actuellement pour mission de déterminer les réparations à apporter au cas par cas.
Pour ce faire, dans des conditions juridiques adaptées, il convient d'écarter la prescription acquisitive pour les biens concernés.
Disposition rétroactive, l'interdiction de la prescription des biens objets de spoliations durant la Seconde Guerre mondiale permettrait aux victimes concernées ou à leurs ayants droit d'exercer des actions en revendication susceptibles d'effacer les effets persistants des dépossessions qu'elles ont subies.
Cette mesure aurait, naturellement, pour contrepartie de placer dans une situation d'insécurité juridique les actuels possesseurs des biens spoliés et de les exposer à des restitutions ou indemnisations.
Compte tenu de l'extrême gravité du préjudice subi par les victimes des spoliations, du caractère encore récent des événements, une telle contrepartie pourrait difficilement être considérée comme démesurée.
Mais il est sans doute préférable de fixer un terme à ses effets dans le texte en stipulant que les dispositions de l'article unique ne s'appliqueront que jusqu'au 31 décembre 2005.
De même, il est proposé de suspendre l'application de la déchéance trentenaire jusqu'au 31 décembre 2005.
C'est pourquoi, sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d'adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Après l'article 2241 du code civil, il est inséré un article 2241 bis ainsi rédigé :
" Art. 2241 bis. - On ne peut prescrire les biens dont ont été dépossédées, entre le 10 juillet 1940 et le 8 mai 1945, les personnes physiques ou morales en application des lois raciales et du régime d'exception des autorités de " l'Etat français " ou sur décision directe de l'occupant.
" L'interdiction de prescrire, instituée à l'alinéa précédent, ne concerne pas les biens dont la spoliation a été effacée par leur restitution ou la réparation du préjudice subi.
" Les dispositions du présent article, qui ont un caractère rétroactif, sont applicables jusqu'au 31 décembre 2005 ".

Article 2

" S'agissant des sommes dont ont été dépossédées, entre le 10 juillet 1940 et le 8 mai 1945, les personnes mentionnées à l'alinéa 1er de l'article 1 de la présente loi, les dispositions de l'article 43 de la loi de finances du 16 avril 1895 ne trouvent pas application jusqu'au 31 décembre 2005 inclus. "

Article 3

Les charges résultant de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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