N° 2350
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 avril 2000.
PROPOSITION DE LOI
relative au débat public des grands projets d'utilité publique.
(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Alain MOYNE-BRESSAND,
Député.

Urbanisme.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'enquête publique, procédure d'information et de consultation du public sur un projet de la puissance publique, a été modifiée à de multiples reprises au cours des dernières années.
Diligentée à l'origine afin de permettre à l'administration d'affirmer l'intérêt général supérieur d'un de ses projets face à des intérêts privés et de justifier ainsi l'expropriation d'un bien déterminé (soit une atteinte au droit "inaliénable et sacré" de la propriété), l'enquête publique a notablement étendu, au cours des cinquante dernières années, son champ d'application : elle est aujourd'hui nécessaire avant toute création d'une installation nucléaire (décret du 11 décembre 1963) ou d'une installation classée (loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement), avant toute réalisation d'un grand projet d'infrastructure de transport (loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982) et avant toute décision relative à un document d'urbanisme - plan d'occupation des sols, plan d'aménagements de zone... - ou relative à une réalisation d'aménagements, d'ouvrages ou de travaux de grande ampleur susceptibles d'affecter l'environnement (loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement).
D'un dialogue expropriant-exproprié, on est ainsi progressivement passé à une reconnaissance de la revendication, de plus en plus nettement exprimée ces dernières années, d'une nécessaire participation des citoyens à la politique de leur environnement. La loi précitée du 12 juillet 1983 constitue sur ce point une étape importante car elle consacre l'enquête publique comme l'instrument d'une véritable information des citoyens (l'article 2 de la loi définit l'enquête publique comme une procédure préalable à certaines décisions qui permet : d'informer le public; de recueillir ses appréciations, suggestions ou contre-propositions; de donner à l'autorité compétente tous les éléments nécessaires à son information).
De nombreuses autres procédures de consultation des citoyens ont par la suite été organisées (loi du 13 juillet 1991 sur la ville, loi du 3 janvier 1993 sur l'eau, loi du 31 décembre 1996 sur l'air) qui ont renforcé ce principe de démocratisation des décisions de la puissance publique; l'apport le plus important, en ce domaine, résulte de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement dont l'article 2 crée une Commission nationale du débat public que peuvent saisir, sur les grandes opérations d'aménagement, les ministres intéressés, vingt députés ou vingt sénateurs, les conseils régionaux ou des associations de protection de l'environnement.
Si tous ces textes ont permis une prise en compte de l'avis des citoyens sur la plupart des grands projets présentés par la puissance publique, différentes critiques ont néanmoins été émises sur ces diverses réglementations :
· Dans son rapport sur l'enquête publique (décembre 1993), Mme Huguette Bouchardeau indique que, lorsqu'il est consulté sur un grand projet, le public concerné a trop souvent le sentiment que l'enquête publique intervient trop tard parce que les principales options du projet lui apparaissent déjà arrêtées dans leurs grandes lignes (sans que lui soient présentées les autres options qui étaient possibles, ni que lui soient expliquées les raisons pour lesquelles la solution qui lui est présentée a été préférée aux autres options) et parce qu'il lui semble que, quel que soit l'avis qu'il est appelé à donner, l'opportunité du projet présenté ne peut pas être remise en cause.
· Dans son rapport sur " La politique autoroutière française " (juin 1999), la Cour des comptes relève que les études qui devraient éclairer la décision de réalisation de l'infrastructure "manquent fréquemment de rigueur et de transparence" dans la mesure où elles sont souvent confiées à ceux-là même qui ont intérêt à ce que le projet se réalise; sociétés d'autoroutes, bureaux d'études liés au BTP.
· Dans son rapport sur " L'utilité publique aujourd'hui " (décembre 1999), le Conseil d'Etat, reprenant à son compte les critiques précitées, note que le système d'information et de consultation du public est imparfait parce que l'enquête publique intervient trop tardivement sur un projet dont l'élaboration reste inconnue (études préliminaires, consultations des responsables des collectivités locales...); il préconise dès lors :
1. que les grands projets d'équipements ou d'aménagements fassent l'objet d'une phase initiale de consultation qui porterait sur le principe même du projet (faire ou ne pas faire), le choix des grandes options (études préliminaires, fuseaux retenus), la définition et le contenu technique du projet ;
2. que les débats, consultations et enquêtes soient placés sous l'égide d'une instance consultative impartiale qui exercerait une indispensable fonction de médiation ;
3. que la phase de consultation soit conclue par une décision explicite du maître de l'ouvrage de continuer ou non la réalisation du projet ;
4. qu'en cas de poursuite du projet, le maître d'ouvrage précise ses engagements (moyens, financements...).
L'intérêt général commandant de répondre aux exigences des publics concernés par les grands projets d'aménagements ou les grands travaux, les recommandations du Conseil d'Etat paraissent dès lors devoir être consacrées sous une forme législative; pourraient de la sorte être organisées des consultations aux divers stades du processus de décision, en veillant à ce que ces dernières n'interviennent qu'une fois les enjeux correctement identifiés, les informations disponibles rendues publiques et les divers avis exprimés pris en considération.
Cette proposition de procédure de débat public préalable à l'enquête publique permettrait sans doute de désamorcer la violence des conflits suscités par certains projets (tels le tracé du TGV Méditer ranée ou le creusement du tunnel du Somport). Dans la plupart de ces cas, l'enquête publique n'a pas permis de mettre fin au conflit, lequel subsiste parfois avec d'autant plus de force que le sentiment d'impuissance des citoyens à obtenir des changements dans le projet peut être exacerbé par l'intransigeance de l'administration (elle-même certaine d'avoir présenté, au terme des travaux préliminaires, la seule option valable pour tous); une partie du public - notamment les associations de protection de l'environnement - s'efforcera dès lors d'obtenir des sursis à l'exécution de la décision administrative, puis son annulation par le juge administratif. Ces conflits, ces retards constituant une regrettable perte de temps, d'énergie et d'argent; il convient de tenter d'y mettre fin.
Il doit par ailleurs être souligné que cette proposition de procédure de débat public préalable à l'enquête publique répond aux exigences communautaires relatives à la concertation et à la participation des citoyens dans le processus de décision publique pour la réalisation d'aménagements ou d'équipements (directives 85-337 du 27 juin 1987 et 97-11 du 3 mars 1997); elle rejoint également les objectifs de la Convention sur l'accès à l'information et à la participation du public au processus décisionnel et à l'accès à la justice en matière d'environnement (Convention d'Aarhas, signée le 25 juin 1998 par trente-cinq pays, dont les quinze Etats membres de l'Union européenne).
C'est pour ces raisons qu'il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

L'article 2 de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement est ainsi rédigé :
" Art. 2. - I. - Il est créé une Commission nationale du débat public. Elle est composée à parts égales de :
" - parlementaires et d'élus locaux,
" - de membres du Conseil d'Etat et des juridictions des ordres administratif et judiciaire,
" - de représentants d'associations agréées de protection de l'environnement,
" - de représentants d'usagers et de personnalités qualifiées.
" Elle est présidée par un conseiller d'Etat.
" II. - La Commission nationale du débat public est saisie par les ministres intéressés de tout avant-projet d'aménagement et d'équipement de grande ampleur qui présente qui un fort enjeu socio-économique ou qui a un impact significatif sur l'environnement.
" Elle organise une consultation du public portant sur la nécessité du projet, les différentes options proposées pour sa réalisation, le contenu technique et les modalités d'exécution des travaux qu'il nécessite; elle conduit également tout débat qu'elle juge utile.
" A l'issue de la consultation, la Commission nationale du débat public dresse un bilan du débat et propose des recommandations au ministre qui l'a saisie.
" Quand le maître de l'ouvrage décide de lancer le projet d'aménagement ou d'équipement qui a fait l'objet de la consultation, il notifie à la Commission nationale les options qu'il retient, les recommandations qu'il entend suivre et les engagements qu'il peut prendre. En cas d'enquête publique ultérieure, ces informations ainsi que le bilan et les recommandations précités de la Commission nationale seront joints au dossier d'enquête présenté au public.
" III. - La Commission nationale du débat public peut être saisie pour organiser un débat public sur tout projet soumis à enquête publique, sur tout projet ayant un impact significatif sur l'environnement ou sur tout projet présentant un fort enjeu socio-économique :
" - par au moins vingt députés ou vingt sénateurs,
" - par les conseils régionaux ou les conseils départementaux territorialement concernés par le projet,
"- par les associations agréées de protection de l'environnement mentionnées à l'article L. 252-1 du code rural.
" A l'issue du débat public, la Commission nationale dresse un bilan du débat et en publie le compte rendu qui est, le cas échéant, mis à la disposition du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête.
" IV. - La Commission nationale du débat public, saisie d'un avant-projet ou d'un projet, peut consulter les ministres concernés.
" Elle peut constituer, pour chaque avant-projet ou chaque projet, une commission particulière, qui est présidée par un de ses membres, et qui organise le débat public.
" Les personnes intéressées, à titre personnel ou en raison de leurs fonctions, à l'avant-projet ou au projet qui fait l'objet du débat ne peuvent faire partie de la commission particulière prévue au premier alinéa du présent paragraphe. "

Article 2

Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application de la présente loi.


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