N°2492
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2000.

PROPOSITION DE LOI

visant à modifier les règles comptables applicables aux subventions versées aux entreprises par l'Etat ou les collectivités locales.

(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

présentée

par MM. Gilbert MEYER, Jean-Claude ABRIOUX, René ANDRÉ, Pierre AUBRY, Jean AUCLAIR, Jean-Louis BERNARD, André BERTHOL, Léon BERTRAND, Jean BESSON, Jacques BLANC, Émile BLESSIG, Jean BRIANE, Richard CAZENAVE, Henry CHABERT, Jean-Marc CHAVANNE, Alain COUSIN, Jean-Michel COUVE, Henri CUQ, Patrick DELNATTE, Patrick DEVEDJIAN, Dominique DORD, Marc DUMOULIN, Charles EHRMANN, Jean-Claude ÉTIENNE, Jean-Michel FERRAND, Yves FROMION, Claude GAILLARD, Henri de GASTINES, Germain GENGENWIN, Michel GIRAUD, Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, Christian JACOB, Aimé KERGUÉRIS, Pierre LELLOUCHE, Jean-Claude LEMOINE, Jacques LE NAY, Maurice LIGOT, Alain MARLEIX, Christian MARTIN, Patrice MARTIN-LALANDE, Michel MEYLAN, Charles MIOSSEC, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Jean-Marc NUDANT, Jacques PÉLISSARD, Didier QUENTIN, Jean-Bernard RAIMOND, Jean-Luc REITZER, Marc REYMANN, André SCHNEIDER, Bernard SCHREINER, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Léon VACHET et Michel VOISIN,

Députés.

Entreprises.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Bien que les lois de décentralisation aient élargi les compétences des collectivités locales en matière économique, l'Etat reste, en France, responsable de "la conduite de la politique économique, sociale et culturelle".
L'encadrement communautaire précise le cadre réglementaire, et l'Etat français a inscrit les aides locales aux entreprises dans un contexte de réglementation très contraignant et très complexe, qui peut les rendre inefficaces.
Pour le gouvernement français, l'objectif des aides aux entreprises est de stimuler l'activité économique en favorisant l'investissement et l'emploi. Pour la Commission européenne, le versement de ces subventions constitue généralement une pratique anticoncurrentielle. Néanmoins, dans un monde où la concurrence des entreprises s'est transposée au plan des états et des régions, les autorités trouvent, à travers l'octroi de ces subsides, un des moyens directs pour inciter les entreprises à se créer, à s'implanter et à se développer dans leur ressort administratif.
Les régions, auxquelles les lois de décentralisation ont confié entre autres comme mission le développement économique, consacrent près de 5% de leurs budgets aux interventions économiques en faveur des PME - au sens communautaire du terme (moins de 250 salariés).
Ces aides peuvent être classées en six catégories :
· aides à la création d'emplois et d'entreprises;
· aides au renforcement des fonds propres;
· aides à l'exportation;
· aides aux investissements immatériels;
· aides à la modernisation de l'appareil productif;
· aides aux très petites entreprises.
On peut s'interroger sur l'utilité des aides et subventions publiques versées aux entreprises et de leur effet sur le développement de celles-ci, surtout si l'on se rend compte que cet argent public va essentiellement vers des entreprises "saines" qui dégagent des bénéfices et, de facto, sont soumises à l'impôt sur les sociétés.
Parce qu'elles existent, il faut que leur effet soit optimal. C'est pourquoi il convient qu'une aide ou une subvention ne soit pas considérée comme un simple produit financier de l'entreprise, mais soit assortie d'un traitement comptable particulier.
Le plan comptable général classe les subventions en trois catégories :
1. Les subventions d'exploitation :
"Subventions dont bénéficie l'entreprise pour lui permettre de compenser l'insuffisance de certains produits d'exploitation ou de faire face à certaines charges d'exploitation et à inscrire intégralement dans le compte de résultat de l'année d'obtention."
2. Les subventions d'équilibre :
"Subventions dont bénéficie l'entreprise pour compenser, en tout ou en partie, la perte globale qu'elle aurait constatée si cette subvention ne lui avait pas été accordée."
3. Les subventions d'investissement :
"Subventions dont bénéficie l'entreprise en vue d'acquérir ou de créer des valeurs immobilisées (subvention d'équipement) ou de financer des activités à long terme (autres subventions d'investissement), amortissables sur plusieurs années."
D'un point de vue comptable, ces aides et subventions s'analysent comme des produits d'exploitation ou des réductions de charges et sont enregistrées dans la comptabilité dès leur versement effectif à l'entreprise. Elles sont ainsi portées au crédit d'un compte de produit, par exemple le compte 74, s'il s'agit d'aides versées à l'entreprise (telles les primes d'apprentissage pour les handicapés, les primes d'embauche sous contrat de retour à l'emploi, les primes d'aménagement du territoire), ou le compte 791 s'il s'agit de remboursements forfaitaires (tels les conventions FNE, les contrats de retour à l'emploi, les adaptations de salariés aux évolutions de l'emploi, les contrats pour la mixité des emplois, les aides à l'embauche des handicapés), ou encore au crédit d'un compte de charges, par exemple le compte 645, s'agissant d'exonération de charges (telle l'exonération des charges patronales dans le cadre d'une négociation de la réduction du temps de travail).
Les subventions d'investissement quant à elles peuvent être enregistrées soit directement comme un produit exceptionnel au crédit du compte 777, soit portées au passif du bilan dans les ressources, au crédit du compte 131 "subventions d'équipement" ou du compte 138 "autres subventions d'investissement".
Cette deuxième méthode de comptabilisation contraint l'entreprise à porter en produit, sur plusieurs exercices consécutifs et jusqu'à son épuisement, une part de cette subvention. Le montant à virer annuellement dépend de l'objet que cette subvention a permis de financer et du plan d'amortissement mis en place.
Les subventions ne sont donc pas sans conséquence sur le résultat de l'entreprise. Leur effet est d'augmenter soit immédiatement, soit dans le temps, le résultat de l'entreprise. De ce fait, les subventions reçues sont intégrées dans le résultat distribuable et peuvent, le cas échéant, participer à la distribution de dividendes, ne restant ainsi pas à la disposition de l'entreprise.
Les subventions reçues constituent aussi un élément du bénéfice imposable, soit immédiatement, si les subventions sont d'exploitation, d'équilibre ou d'investissement et si elles ne sont pas destinées à contribuer au financement d'une immobilisation, soit dans la durée, par les transferts successifs de la subvention au résultat. Dans tous les cas, la subvention est imposable dans l'immédiat ou à terme.
La conséquence est évidente : le montant réel de la subvention est diminué du montant de l'impôt que l'entreprise doit payer. D'ailleurs, ce mécanisme est bien intégré par les gestionnaires qui, dans l'approche financière du bilan, prennent en considération les subventions pour leur montant net d'impôt.
On s'aperçoit à quel point cette disposition fiscale est pernicieuse, notamment en ce qui concerne les subventions octroyées par les collectivités territoriales. En effet, l'application de la réglementation fiscale revient à transférer, à travers le montant de l'impôt sur les bénéfices, de l'argent du budget de ces collectivités vers le budget de l'Etat.
L'application des dispositions comptables et fiscales aux subventions a donc deux effets :
1. Le transfert d'une part non négligeable des subventions accordées par les collectivités territoriales vers le budget de l'Etat, cette part étant égale aux taux d'imposition du bénéfice.
2. L'intégration de la subvention nette d'impôt dans le bénéfice imposable.
Il convient donc de proposer une solution qui empêche ces deux dérives. Dans tous les cas, la solution retenue doit permettre d'empêcher l'imposition des subventions et leur distribution éventuelle sous forme de dividendes. Elle doit surtout viser à renforcer les fonds propres des entreprises, car la faiblesse de ceux-ci est très souvent à l'origine de difficultés.
Il conviendrait par conséquent d'enregistrer les aides et subventions reçues par l'entreprise directement dans ses fonds propres. Plutôt que les sous-comptes du compte 13 (comptes 131 et 138), il conviendrait de les porter dans une réserve spéciale, identique à celle qui existe déjà : compte 10643 "réserves consécutives à l'octroi d'une subvention".
Cette subvention ainsi comptabilisée ne serait pas virée au résultat et, de ce fait, ne serait ni soumise à l'impôt sur les sociétés, ni distribuable. L'affection directe des subventions et aides aux fonds propres éviterait aussi leur imposition. De plus, les institutions octroyant les aides pourraient prétendre au remboursement de tout ou partie des sommes versées en cas de non-respect des engagements par les entreprises, et ceci sans limite de durée. L'inscription de la subvention dans les fonds propres permettrait en outre de faire apparaître au bilan l'ensemble des fonds publics qui, au cours du temps, ont été versés à l'entreprise.

CONCLUSION

Une voie de modification des dispositions législatives actuelles consisterait à affecter directement les subventions à un fonds de réserve spécial au sein de l'entreprise. Ceci permettrait de satisfaire trois objectifs :
1. Eviter l'imposition des subventions publiques reçues;
2. Eviter les transferts des budgets des collectivités locales vers l'Etat;
3. Eviter que les aides reçues ne servent, en totalité ou pour partie, au versement de dividendes;
4. Isoler clairement l'ensemble des aides versées à l'entreprise dans un poste identifié au bilan, et ceci depuis sa création.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi qu'il vous est demandé d'adopter.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

I.- Les aides et subventions reçues par les entreprises sont portées dans une réserve spéciale permettant leur enregistrement direct dans les fonds propres de l'entreprise. Ces aides et subventions ainsi comptabilisées ne sont pas virées au résultat de l'entreprise et, de ce fait, ne sont pas soumises à l'impôt sur les bénéfices et ne sont pas distribuables en dividendes.
II.- Les modalités d'application du I sont précisées par un décret en Conseil d'Etat.

Article 2

Les pertes de recettes résultant pour l'Etat de l'application de l'article 1er sont compensées par le relèvement, à due concurrence, des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
2492 - Proposition de loi de M. Gilbert Meyer visant à modifier les règles comptables applicables aux subventions versées aux entreprises par l'Etat ou les collectivités locales (commission des finances).


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