N° 2577
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 septembre 2000.
PROPOSITION DE LOI
visant à mieux garantir le droit
à l'
interruption volontaire de grossesse.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée

par MM. Georges SARRE, Jacques DESALLANGRE, Jean-Pierre MICHEL, Michel SUCHOD, Pierre CARASSUS et Gérard SAUMADE,

Députés.

Avortement.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La régulation des naissances est aujourd'hui un droit fondamental des femmes. Tel n'a pas été toujours le cas. En 1920, l'interruption volontaire de grossesse était un crime qui pouvait conduire à la cour d'assises. Assimilée à un sabotage contre l'Etat français, elle était passible de la peine de mort sous Vichy. Le 30 novembre 1974 était enfin votée la loi sur sa dépénalisation. Ce texte est l'un de ceux qui aura le plus contribué à l'évolution de la société française. De même que la gauche avait soutenu les lois sur la contraception pour que les enfants soient désirés et non pas, dans certains cas, seulement subis, elle milita en faveur de la dépénalisation de l'IVG pour mettre fin au fléau social de l'avortement clandestin, quand la détresse l'emporte sur l'espoir. Dans les années 1960, on comptait encore environ un décès par jour consécutif à un avortement.
L'histoire de la seconde partie du xxe siècle est l'histoire d'une lente progression vers l'égalité des sexes. Droit de vote, contraception, partage de l'autorité parentale, libéralisation de l'IVG, parité, jamais autant de victoires éclatantes n'auront été obtenues en un si court laps de temps. Rien n'est irréversible, cependant, et nous devons rester vigilants contre tout retour en arrière. Alors que les adversaires de l'IVG n'ont jamais désarmé, stimulés par la quasi-absence ou la pauvreté du discours des défenseurs des droits acquis, notre première tâche aujourd'hui est de ne pas céder un pouce de terrain à ceux qui aimeraient voir la liberté des femmes de disposer de leur corps mise en cause et de toujours mieux garantir le droit à l'IVG en veillant à ce que sa pratique puisse continuer à se dérouler dans un cadre strictement légal, dans la sérénité et le respect des consciences de chacun.

Délais légaux d'accession à l'IVG

Un quart de siècle plus tard, la loi Veil ne correspond plus aux réalités d'aujourd'hui.
Les délais légaux d'accession à l'IVG sont, en France, parmi les plus courts de ceux que l'on observe en Europe. Respectés de façon très stricte dans notre pays, ils conduisent, chaque année, quelque 5 000 patientes à se rendre à l'étranger, essentiellement en Angleterre, au Pays de Galles, aux Pays-Bas, à Barcelone, où la législation est plus souple, tandis qu'en France certains médecins procèdent dans l'illégalité à des avortements " hors délais ".
Ces déplacements à l'étranger aggravent la détresse des femmes, sans compter le coût souvent prohibitif et parfois la mauvaise qualité de la prestation médicale fournie. De surcroît, ce sont bien souvent les plus démunies, les plus fragiles et les plus jeunes qui sont concernées parce qu'elles tardent à consulter et/ou font les frais des retards induits par l'insuffisance des structures d'accueil qui persiste dans le secteur hospitalier public.
L'augmentation du délai légal de deux semaines ferait diminuer ce chiffre de 5 000 femmes de près de 80 % et alignerait notre pays sur le délai le plus courant chez nos voisins. Par ailleurs, il n'existe aucun obstacle, en terme de sécurité médicale, pour que les IVG puissent être réalisées jusqu'à douze semaines de grossesse.
Certaines inquiétudes éthiques ont été émises quant aux conséquences d'un tel allongement.D'aucuns craignent que les progrès techniques, en matière de diagnostic prénatal, puissent déboucher à terme sur la sélection et une forme d'eugénisme légal. Le fantasme de " l'enfant parfait " risque-t-il demain de conduire certaines femmes à demander une IVG pour une malformation mineure ou un sexe non désiré ? L'expérience de nos voisins, pas si novices en diagnostic prénatal, montre que l'accès à des délais plus tardifs à l'IVG n'a pas entraîné les catastrophes annoncées. Souvenons-nous, au demeurant, que la hausse du nombre d'IVG que brandissaient déjà les adversaires de la libéralisation du recours à l'avortement il y a vingt-cinq ans ne s'est jamais produite. Leur diminution, au vu des chiffres publiés par l'INED, est même un fait acquis.
L'IVG, loin d'être devenu un acte banal, reste une décision douloureuse. Pour la très grande majorité des femmes, il demeure et demeurera accidentel et unique. Gardons-nous dans ce débat de nier une fois encore aux femmes la capacité à gérer de manière responsable leur fécondité et prolongeons le délai d'accession à l'IVG de dix à douze semaines, délai retenu par la majorité de nos voisins (art. 1er).

Interruption volontaire de grossesse
des mineures célibataires et consentement parental

Les rapports des professeurs Michèle Uzan (novembre 1998) et Israël Nisand (mars 1999) ont évoqué la nécessité d'une majorité sanitaire inférieure à la majorité légale en matière d'interruption volontaire de grossesse.
Si la mineure a le droit de poursuivre sa grossesse contre l'avis de ses parents, le droit de reconnaître un enfant, de signer un acte d'abandon, de rechercher une paternité, de se faire délivrer des contraceptifs sans autorisation parentale, légalement elle n'a pas le droit d'interrompre sa grossesse sans ou contre cet avis. L'article L. 162-7 du code de la santé publique énonce en effet que " si la femme est mineure, célibataire, le consentement de l'une des personnes qui exerce l'autorité ou, le cas échéant, du représentant légal est requis ".
En cas de grossesse non désirée, dans la plupart des cas on peut espérer la compréhension des parents. La grande majorité d'entre eux, dans la situation de choc créée par la révélation de la grossesse, sont compréhensifs au grand étonnement des mineures. Il demeure certaines situations où le principe de l'accord parental n'est pas viable, notamment lorsqu'il y a conflit entre la volonté de la mineure et la volonté des parents ou lorsque la mineure refuse d'informer ses parents de sa grossesse tant elle craint la violence de leur réaction.
Le seul recours judiciaire légalement autorisé susceptible de surmonter le refus ou l'absence d'accord parental consiste à obtenir une autorisation du juge pour enfant. En pratique, les délais très courts en matière d'IVG ne permettent guère la saisine du juge, puis l'obtention de la décision, dans le respect des délais.
Le Conseil national du Sida (CNS), dans son récent rapport sur " l'accès confidentiel des mineurs adolescents aux soins " (avril 2000), a recommandé que " par une mesure d'exception législative au principe de l'autorité parentale, la confidentialité dans l'accès aux soins soit reconnue aux mineurs " lorsque ces derniers considèrent que la révélation de pratiques relevant de leur intimité " jetterait le discrédit et l'opprobre, et pourrait avoir pour conséquence un dommage pour leur santé psychique ou leur intégrité corporelle ".
Lorsque la mineure se trouve dans une situation d'extrême détresse, il serait donc souhaitable que l'autorisation des parents puisse être remplacée par celle d'un parent proche adulte ou d'un représentant d'une association de soutien et de protection des mineurs.

Accès des femmes étrangères
à l'interruption volontaire de grossesse.

II convient enfin d'améliorer l'accès administratif à l'IVG aux étrangères. La loi, en stipulant que les femmes étrangères devaient être résidentes depuis au moins trois mois, avait pour objectif d'éviter un tourisme " IVG ", la France ayant une législation d'avant-garde à une époque où l'IVG était encore pénalisée dans nombre de pays européens. Ce risque d'afflux massif de patientes étrangères n'est plus d'actualité du fait de la libéralisation des législations de nos voisins. II convient donc de supprimer ces conditions de résidence et de ne retenir de l'article L. 162-11 du code de la santé publique que les dispositions concernant les mineures étrangères.
Je vous propose d'adopter, Mesdames et Messieurs les députés, la proposition suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Dans les articles L. 162-1 et 162-5 du code de la santé publique, les mots : " dix semaines " sont remplacés par les mots : " douze semaines ".

Article 2

L'article L. 162-7 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
" Lorsqu'il y a vacance de l'autorité parentale, conflit entre la volonté de la mineure et la volonté des parents ou lorsque la mineure refuse d'informer ses parents de sa grossesse par crainte de la violence de leur réaction, et si la mineure célibataire se trouve dans une situation de détresse extrême, un parent proche adulte ou un représentant d'une association de soutien et de protection des mineurs peut suppléer au consentement parental et rendre possible le recours à l'interruption volontaire de grossesse. "

Article 3

L'article L. 162-11 du code de la santé publique est ainsi rédigé : " Les femmes célibataires étrangères âgées de moins de dix-huit ans doivent se soumettre aux conditions prévues à l'article L. 162-7. "
2577 - Proposition de loi de M. Georges Sarre visant à mieux garantir le droit à l'interruption volontaire de grossesse (commission des affaires culturelles)


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