N° 2656
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 octobre 2000.
PROPOSITION DE LOI
portant modification du code de la sécurité sociale, concernant
l'
assujettissement des travailleurs frontaliers à la CRDS et à la CSG.
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée

par MM. Jean-Claude GUIBAL, René ANDRÉ, Pierre AUBRY, André BERTHOL, Claude BIRRAUX, Roland BLUM, Henry CHABERT, Jean-Marc CHAVANNE, Olivier de CHAZEAUX, Charles COVA, Patrick DELNATTE, Léonce DEPREZ, Christian ESTROSI, Jean-Claude ÉTIENNE, Louis GUÉDON, Gérard HAMEL, Francis HILLMEYER, Michel INCHAUSPÉ, Pierre LASBORDES, Lionel LUCA, Thierry MARIANI, Christian MARTIN, Mme Jacqueline MATHIEU-OBADIA, MM. Pierre MORANGE, Jean-Bernard RAIMOND, François VANNSON, Michel VOISIN et Pierre-André WILTZER,

Députés.

Frontaliers.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Un salarié qui travaille pour un employeur exerçant son activité dans un pays membre de l'Union européenne ou un travailleur indépendant exerçant son activité dans un pays membre, ou une personne qui perçoit des revenus de remplacement provenant d'un pays membre, est assujetti au régime de prestations sociales du pays dans lequel il travaille. En conséquence, il ne bénéficie d'aucune prestation de la part des organismes sociaux français. Cependant, la France, en assujettissant les travailleurs frontaliers à la CSG et à la CRDS, leur impose une double cotisation. En effet, et bien que la France ait soutenu qu'il s'agissait de deux prélèvements fiscaux, il est évident, au regard même de leur définition, qu'il s'agit bien de prélèvements sociaux destinés à alimenter le régime de sécurité sociale français.
La CRDS (Contribution pour le remboursement de la dette sociale) a été instituée par la République française en 1996. Elle frappe les revenus d'activité ou de remplacement des personnes physiques ayant leur domicile en France aux fins de l'établissement de l'impôt sur le revenu. Son produit est affecté à un établissement public (la Cades), placé sous la double tutelle du ministère de l'Économie et des Finances et du ministère de la sécurité sociale. Il est destiné à apurer des déficits du régime général de la sécurité sociale.
La CSG (Contribution sociale généralisée) a été instituée par la loi de finances pour 1990. Sont redevables de cette contribution, notamment sur leurs revenus d'activité ou de remplacement aux fins de l'établissement de l'impôt sur le revenu, toutes les personnes physiques ayant leur domicile en France. Son assiette a été élargie en 1996 de manière à l'aligner sur celle de la CRDS. Son produit, collecté par les organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général de sécurité sociale, est versé à la Caisse nationale des allocations familiales, au Fonds de solidarité vieillesse et aux régimes obligatoires d'assurance maladie.
La Commission européenne a demandé à la Cour européenne de constater qu'en appliquant ces deux contributions aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs salariés et indépendants qui résident en France et qui travaillent dans d'autres Etats membres de la Communauté, la République française méconnaît le traité CE et la réglementation communautaire relative à l'application des régimes de sécurité sociale.
Cette réglementation prévoit en effet l'unicité de prélèvements des cotisations sociales. Les revenus des travailleurs concernés ne doivent être grevés que par les prélèvements sociaux de l'Etat dans lequel ils exercent leur activité, dont seule la législation leur est applicable en matière de sécurité sociale.
La Cour a relevé que l'élément déterminant aux fins de l'application de la réglementation communautaire réside dans le lien existant entre les contributions en cause et les régimes de sécurité sociale. Ce lien lui apparaît suffisamment direct et pertinent, aussi bien pour la CSG que pour la CRDS, dans la mesure, notamment, où ces contributions visent spécifiquement et directement le financement du régime de sécurité sociale français.
La Cour a donc rendu deux arrêts C-34/98 et C-169/98 en date du 15 février 2000 qui concluent que les contributions en cause, même qualifiées d'impôts par la République française, ont bien la nature d'un prélèvement social. Elle a rappelé que le fait pour un travailleur d'être grevé pour un même revenu de charges sociales découlant de l'application de plusieurs législations nationales alors qu'il ne peut prétendre à la qualité d'assuré qu'au regard d'une seule de ces législations, expose ce travailleur à une double cotisation contraire à la réglementation communautaire.
La Cour a donc relevé que la législation française introduit une discrimination au détriment des travailleurs salariés et indépendants qui résident en France mais qui travaillent dans d'autres Etats membres. Il résulte de cette législation une inégalité de traitement constitutive d'une entrave à la libre circulation des travailleurs.
L'arrêt en constatation de manquement s'impose tout d'abord aux juridictions nationales en vertu de l'arrêt Waterkein du 14 décembre 1982 les obligeant à ne pas appliquer une règle rendue incompatible par la Cour de justice des Communautés européennes. De plus, en vertu des arrêts " Brasserie du pêcheur " et " Factortame " du 5 mars 1996, les juridictions ont l'obligation de reconnaître la responsabilité de l'Etat du fait de la violation du droit communautaire. Il en résulte que les particuliers lésés peuvent faire valoir leurs droits à réparation devant les juridictions nationales.
Cette jurisprudence émanant de la Cour de justice des Communautés européennes induit pour les frontaliers communautaires une exonération de ces deux contributions. Il serait souhaitable qu'il en soit de même pour les frontaliers résidant en France et relevant, en vertu de conventions bilatérales, de la législation de sécurité sociale d'un Etat non membre de l'Union européenne, comme par exemple Monaco et la Suisse.
Il revient à l'Etat français de tirer les conséquences de ces deux arrêts et d'éviter un contentieux inutile en introduisant ces dispositions dans le droit national.
Je vous demande donc de bien vouloir accepter la proposition de loi dont la teneur suit.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Après l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, insérer un article L. 136-1 bis ainsi rédigé :
" La contribution sociale généralisée ne peut être prélevée sur les revenus d'activité et de remplacement des personnes qui, tout en résidant fiscalement en France, ne relèvent pas d'un régime français de sécurité sociale. "

Article 2

Après l'article 15 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale est ajouté un IV ainsi rédigé :
" La contribution au remboursement de la dette sociale ne peut être prélevée sur les revenus d'activité et de remplacement des personnes qui, tout en résidant fiscalement en France, ne relèvent pas d'un régime français de sécurité sociale. "

Article 3

Les charges qui incomberaient à l'Etat et aux régimes sociaux sont compensées, à due concurrence, par une augmentation des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle à ces mêmes tarifs.
2656 - Proposition de loi de M. Jean-Claude Guibal portant modification du code de la sécurité sociale, concernant l'assujettissement des travailleurs frontaliers à la CRDS et à la CSG (commission des affaires culturelles).


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