N° 2895
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 janvier 2001.
PROPOSITION DE LOI

relative à l'abaissement de la majorité pénale, à la responsabilisation des parents, et à la création de centres régionaux de rééducation pour mineurs délinquants.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée

par MM. Christian ESTROSI, Pierre AUBRY, Léon BERTRAND, Richard CAZENAVE, Jean-Marc CHAVANNE, Charles COVA, Henri de GASTINES, Xavier DENIAU, Jean-Pierre DUPONT, Jean-Michel FERRAND, Roland FRANCISCI, Jean-Claude GUIBAL, Gérard HAMEL, Didier JULIA, Jacques KOSSOWSKI, Lionnel LUCA, Thierry MARIANI, Alain MARLEIX, Franck MARLIN, Jean MARSAUDON, Philippe MARTIN, Patrice MARTIN-LALANDE, Jacques MASDEU-ARUS, Gilbert MEYER, Jacques MYARD, Jean-Marc NUDANT, Bernard SCHREINER, Jean-Claude THOMAS, Léon VACHET et François VANNSON,

Députés.

Droit pénal.

EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors que dans certains pays, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, la délinquance juvénile a tendance à diminuer, les statistiques françaises ne cessent de démontrer le manque d'efficacité des mesures actuelles de lutte contre la délinquance juvénile.
En effet, la délinquance des mineurs représente près de 25 % de la délinquance totale (contre 13 % en 1974) et 36 % de celle commise sur la voie publique ; statistiques auxquelles il faut ajouter toutes les petites incivilités constatées sur la main courante des commissariats et qui ne donnent pas lieu à des poursuites judiciaires.
Selon le rapport de monsieur Cardo, fait au nom de la commission des lois sur une proposition de loi relative à l'enfance en danger et aux mineurs délinquants, en 1999, le nombre de mineurs mis en cause a connu une progression de 11,23 % entre 1997 et 1998 ; alors même que le nombre total de personnes mises en cause connaît une légère diminution.
La délinquance juvénile, pour inquiétante qu'elle soit, n'est pas le fruit d'une fatalité, pas plus que d'un phénomène unique. Une majorité pénale trop élevée, une déresponsabilisation des parents, le chômage, sont autant de facteurs qui concourent à la recrudescence de la délinquance des plus jeunes.
Aussi, cette proposition de loi vise d'une part à abaisser l'âge de la responsabilité pénale, et d'autre part à responsabiliser les parents, qui sont au c_ur de l'éducation. Ces mesures n'ont pour autre objectif que de protéger les enfants contre certaines dérives qui les menacent et qui par là même menacent tout l'équilibre social.

I. - La majorité pénale et l'irresponsabilité pénale

En Europe, l'âge de la majorité pénale varie selon les pays : l'Allemagne, l'Angleterre, le Pays de Galles, la France, la Belgique, l'Italie et les Pays-Bas l'ont fixée à 18 ans.
En Espagne, l'âge de la majorité pénale est fixé à 16 ans.
En revanche, l'âge de la responsabilité pénale, c'est-à-dire l'âge à partir duquel les mineurs sont considérés comme suffisamment âgés pour pouvoir commettre une infraction et donc pour être soumis à un droit pénal spécifique varie : 7 ans en Suisse, 10 ans en Angleterre et au Pays de Galles, 12 ans aux Pays-Bas, 14 ans en Allemagne et en Italie, 16 ans en Belgique et en Espagne, et 13 ans en France.
En Belgique et en Allemagne, face au développement des infractions graves commises par des mineurs, certains envisagent l'abaissement de la responsabilité pénale à 12 ans. L'Espagne étudie un projet visant à le réduire de seize à treize ans.
C'est en partant d'un constat simple, qui veut que le délinquant soit de plus en plus jeune que les articles 1er et 2 permettent d'abaisser à la fois l'âge de la majorité pénale - afin de la mettre en conformité avec la non-obligation de scolarisation après seize ans, ou avec l'âge légal du travail (article 1er) - et l'âge de la responsabilité pénale (article 2).

II. - Des restrictions de circulation
pour protéger les mineurs

Les maires, la police ou la gendarmerie appréhendent régulièrement de jeunes mineurs dans les rues à des heures avancées de la nuit. Une telle situation n'est pas tolérable, encore moins de nature à protéger l'enfant tant des agressions dont il pourrait être l'objet, que des délits qu'il pourrait lui-même commettre.
La loi se doit de protéger le mineur. Et c'est dans cet objectif que l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 avait mis en place un système très protecteur, à la fois du mineur mais également du mineur délinquant.
L'article 4 vise donc à limiter, dans un unique objectif de protection de l'enfant, la circulation des mineurs, en permettant aux forces de police ou de gendarmerie d'appréhender tout mineur qui se trouverait dans la rue, seul, entre vingt-deux heures et six heures du matin. Il vise également à l'instauration d'un registre des infractions à l'interdiction de circulation.

III. - La responsabilisation des parents

Etre parents doit s'imposer avant toute chose comme une responsabilité fondamentale. Celle d'offrir à ses enfants toutes les chances de réussir sa vie. C'est donner les armes, chaque jour, pour que l'enfant, une fois à l'âge adulte soit prêt à affronter la vie dans les meilleures conditions. Il ne s'agit pas là, bien entendu, d'une obligation de résultat mais bel et bien d'une obligation de moyen. Le code civil fait d'ailleurs allusion, à maintes reprises au " bon père de famille ". C'est encore en ce sens que le manquement à l'obligation de surveillance exonère dans un certain nombre d'hypothèses, l'auteur d'une infraction.
L'Espagne et l'Angleterre sont les seuls pays à mettre en cause les parents afin de lutter contre les comportements anti-sociaux de leurs enfants. L'article 5 a vocation à mettre en cause les parents dès lors que des faits commis par leurs enfants sont imputables à de l'imprudence, de la négligence ou à un manquement grave à leur obligation de surveillance.
L'article 6 enfin remplit une fonction pédagogique. Il s'agit de permettre au juge, avant tout déclenchement de la procédure pénale, d'obliger le jeune délinquant à réparer sa faute, par l'intermédiaire en particulier du travail d'intérêt général. Il s'agit d'un objectif de sensibilisation et de responsabilisation du jeune. En ce sens, par exemple, il pourra lui être demandé de rembourser les dégâts occasionnés par son geste. Cette obligation prendra la forme d'un contrat, signé entre le ou les titulaires de l'autorité parentale, le mineur et le juge. Le non-respect de ce contrat déclenchera ipso facto la procédure pénale applicable en matière de délinquant mineur.
Il offre en outre la possibilité soit de suspendre le versement des prestations familiales auxquelles l'enfant ouvre droit, ou bien d'engager des poursuites envers le ou les titulaires de l'autorité parentale selon les dispositions pénales applicables aux faits de complicité.

IV. - Les centres de rééducation

Le taux de récidive des personnes emprisonnées s'avère très important, puisque plus de 50 % des personnes ayant fait l'objet d'une peine d'emprisonnement récidivent. Or, les mineurs délinquants, qu'ils aient été condamnés ou qu'ils fassent l'objet de poursuites pénales, sont véritablement en danger de récidive compte tenu de l'influence négative du milieu carcéral. Il est indispensable de les sortir du carcan carcéral, dont on sait qu'il n'est pas adapté.
Aussi, il convient de les isoler des délinquants majeurs, notamment en termes de lieu géographique. Aussi, il semble opportun de créer, sur l'ensemble du territoire des maisons d'accueil pour mineurs délinquants, destinées à accueillir les jeunes, condamnés ou en cours d'instruction.
Au cours de ce placement, le mineur fera l'objet de cours d'instruction civique et d'un suivi social. Par ailleurs, il suivra obligatoirement la formation de son choix, formation destinée à favoriser sa réinsertion sociale et professionnelle.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Il est inséré après l'article 121-1 du code pénal, un article 121-1 bis ainsi rédigé :
Art. 121-1 bis. - La majorité pénale est fixée à 16 ans. "

Article 2

Il est inséré avant l'article 1er de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, un article 1er A ainsi rédigé :
Art. 1er A. - Sont considérés comme des mineurs au sens de la présente ordonnance, les mineurs âgés de moins de seize ans, conformément à l'article 121-1 bis du code pénal. "

Article 3

Dans l'article 122-8 du code pénal, les mots : " de plus de treize ans " sont remplacés par les mots : " de plus de dix ans ".

Article 4

Il est inséré avant l'article 1er de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 précitée, un article 1er B ainsi rédigé :
Art. 1er B. - Il est interdit aux mineurs de moins de douze ans de circuler non accompagnés par un de leurs parents ou par une personne mandatée par eux, entre vingt-deux heures et six heures du matin.
" Le fait de contrevenir à cette disposition est de nature à engager la responsabilité des parents.
" Tout mineur placé dans cette situation devra être conduit au poste de police ou de gendarmerie le plus proche, pour être remis à ces parents.
" Il sera inscrit sur un registre des violations relatives à l'interdiction de circuler. Cette inscription sera supprimée du registre lorsque le mineur concerné aura atteint l'âge de la majorité pénale.
" En cas de récidive, le juge des enfants pourra prononcer la suspension, par dérogation à l'article 40 de l'ordonnance du 2 février 1945, des prestations familiales auxquelles l'enfant ouvre droit pour une période ne pouvant excéder douze mois.
" Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article. "

Article 5

I. - Il est inséré après l'article 227-17 du code pénal un article 227-17 bis ainsi rédigé :
Art. 227-17 bis. - Le fait pour un mineur de moins de seize ans de se rendre coupable d'un crime ou délit engage la responsabilité du ou des titulaires de l'autorité parentale au sens de l'article 372 du code civil.
" Est puni d'une peine d'emprisonnement de six mois et de 10 000 francs d'amende le fait pour une personne titulaire de l'autorité parentale, d'avoir laissé un mineur commettre une infraction pénale, par imprudence, négligence ou manquement grave à l'obligation de surveillance.
" Le juge pourra également prononcer la suspension des prestations familiales auxquelles l'enfant ouvre droit pour une période ne pouvant excéder six mois, par dérogation à l'article 40 de l'ordonnance du 2 février 1945.
" En cas de récidive, le juge prononcera la suspension des prestations familiales auxquelles l'enfant ouvre droit pour une période pouvant aller jusqu'à vingt-quatre mois et engagera la responsabilité pénale du ou des titulaires de l'autorité parentale selon les dispositions du présent code applicables en matière de complicité. "
II. - Rédiger ainsi le début de l'article 121-1 du code pénal : " Sous réserve de l'application des dispositions de l'article 227-17 bis nul n'est... (le reste sans changement) ".

Article 6

Après l'article 131-22 du code pénal, il est inséré un article 131-22 bis ainsi rédigé :
Art. 131-22 bis. - A l'issue de l'instruction le juge des enfants peut, par ordonnance, prononcer à l'encontre du mineur de moins de seize ans une obligation de faire ou ne pas faire, d'un délai ne pouvant excéder un mois, afin de réparer sa faute, avant tout déclenchement de la procédure pénale.
" Dans l'hypothèse où cette obligation est respectée, le juge des enfants rendra une ordonnance de non-lieu à l'encontre du mineur délinquant.
" Dans l'hypothèse où cette obligation n'est pas respectée, les poursuites pénales seront engagées envers le mineur délinquant, conformément à la procédure applicable en matière de mineur délinquant. Le juge pourra par ailleurs prononcer la suspension des allocations familiales auxquelles l'enfant ouvre droit, pour une durée pouvant s'étendre jusqu'à un an. Il pourra également engager des poursuites envers le ou les titulaires de l'autorité parentale dans les mêmes conditions que celles qui s'appliquent à la complicité. "

Article 7

I. - Après l'article 8-3 de l'ordonnance n° 45-175 du 2 février 1945 précitée, il est inséré un article 8-4 ainsi rédigé :
Art. 8-4. - Dans le ressort de chaque cour d'appel, il est créé un centre de rééducation destiné à accueillir les mineurs délinquants récidivistes faisant l'objet de l'une des procédures prévues aux articles 8-1 et 8-2, soit en application d'une condamnation, soit dans l'attente d'un jugement. "
II. - Les charges pour l'Etat sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des droits visés aux articles 575 à 575 A du code général des impôts.

Article 8

Après l'article 8-3 de l'ordonnance n° 45-175 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, il est inséré un article 8-5 ainsi rédigé :
Art. 8-5. - Les mineurs délinquants récidivistes placés au sein des centres de rééducation suivront un programme de sensibilisation à la vie en société, aux droits civiques et civils. Ils pourront également bénéficier d'une formation professionnelle destinée à favoriser leur insertion. "

Article 9

Un décret en Conseil d'Etat déterminera les conditions d'application des articles 7 et 8.
N°2895- Proposition de loi de M.C.Estrosi relative à l'abaissement de la majorité pénale, à la responsabilisation des parents, et à la création de centres régionaux de rééducation pour mineurs délinquants(commission des lois)


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