N° 2927
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 février 2001.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à la création d'une commission d'enquête relative aux désordres causés par les travaux de percement de la ligne Eole sur les immeubles riverains du tracé ainsi que sur les mesures propres à parvenir à une indemnisation équitable des copropriétés au regard des travaux à effectuer.

(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Yves COCHET, André ASCHIERI, Mme Marie-HélÈne AUBERT, MM. NoËl MAMÈRE et Jean-Michel MARCHAND,
Députés.

Voirie.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les travaux de creusement et de réalisation de la ligne Eole à Paris ont débuté en 1993 pour s'achever en l'an 2000.
La nouvelle ligne RER a été inaugurée à grand renfort de communication mettant en avant la prouesse technologique réalisée, le transport rapide des usagers, la valorisation des quartiers desservis.
La réalité est tout autre pour les riverains. Le percement de ce tunnel s'est traduit tout au long des travaux (c'est-à-dire durant sept ans) par de graves désordres dans les immeubles situés au-dessus et à proximité du tracé. Dans la plupart de ces immeubles, les désordres continuent à s'aggraver.
L'état du bâti situé au-dessus et à proximité du tracé Eole est, en effet, le suivant :
· effondrements ou menaces graves d'effondrement des immeubles (voûtes, murs, caves, planchers, sols, plafonds, cages d'escaliers);
· fissures de structures extérieures et intérieures aux appartements;
· mouvements de murs porteurs.
Ces sinistres ont été clairement imputés au percement d'Eole. Dans un premier temps, SNCF et entreprises concernées, regroupées autour de Bouygues, ont répondu par des mesures d'urgence et provisoires : pose d'étais et de tirants (extérieurs et intérieurs aux appartements) afin de "préserver" les immeubles menacés d'effondrement, total ou partiel.
Locataires et copropriétaires ont donc subi des troubles de jouissance des parties communes et de leurs appartements ainsi que la dégradation, sinon la dévalorisation, de leurs biens.
Face à cette situation, chaque immeuble a, dans un premier temps, réagi isolément. La SNCF a répondu, au moins au début, aux demandes de réparation par une proposition d'indemnisation "à l'amiable".
Il s'avère que ces règlements "à l'amiable" ne sont pas équitables. En effet, les dédommagements obtenus ne couvrent que partiellement le montant des travaux à exécuter. Cet écart atteint, en général, la moitié (en millions de francs) de l'indemnisation obtenue. Dans un cas, l'écart entre le dédommagement et les estimations conduites ensuite par la copropriété atteint le triple (en millions de francs).
Dans la quasi-totalité des cas, locataires et propriétaires résidents ont dû (ou devront) quitter leur appartement, pour une durée de travaux de réfection variant de un mois à un an, sans indemnisation spécifique. A charge également aux copropriétaires de reloger leurs locataires à leurs frais, comme l'exige la loi.
Bon nombre de copropriétés ne sont pas en mesure de faire face à l'écart entre le montant de l'indemnisation versée par la SNCF et le coût réel des travaux à mettre en _uvre. De ce fait, plusieurs immeubles, particulièrement touchés, pourraient faire aujourd'hui l'objet d'un arrêté de péril. Un immeuble étant déjà déclaré comme tel.
Si la SNCF n'a pas ménagé ses efforts pour valoriser la ligne Eole, l'insécurité des travaux entrepris n'a fait, quant à elle, l'objet d'aucune information auprès des riverains. La responsabilité et la nature même des dégâts a été niée par la SNCF pendant les trois premières années du chantier. Or, un rapport d'expertise datant de 1996 a révélé l'absence totale de mesures de précaution avant le creusement du tunnel et a mis en cause la méthode retenue, compte tenu de l'état du sous-sol.
Dès lors, un rapport de forces s'est engagé entre la SNCF et Bouygues, d'une part, et les copropriétés sinistrées, d'autre part. Peu de cas a été fait des droits des riverains (refus de ces entreprises de produire des constats formalisant les procédures à l'amiable; perte de temps entraînant le retrait des assurances individuelles mobilisées par les copropriétaires au motif que le délai de carence était dépassé; radiation des contrats individuels d'assurance...). Quant aux recours engagés par certaines copropriétés auprès du tribunal administratif, ils ont montré que les motifs d'indemnisation ne pouvaient concerner que les sujets explicitements admis par la SNCF. L'appréciation n'a donc pas été réellement contradictoire.
Certaines procédures d'expertise ont pu être réouvertes à la demande des riverains du fait des aggravations intervenues depuis la remise des premiers rapports. Il a été prévu que les experts prennent en compte les études et évaluations présentées par l'architecte et l'avocat désignés de la copropriété. En 2001, on constate que la plupart des copropriétés ont changé de syndic, d'architecte et d'avocat (non sans mal et avec des frais accrus). Après avoir rencontré des difficultés supplémentaires pour choisir leurs conseils, ces copropriétés ont constaté qu'études et évaluations leur échappaient ou que le conseil extérieur qu'elles produisaient pour clarifier les préconisations du syndic était rejeté par l'architecte nommé par le syndic, voire menacé d'être traduit devant l'ordre des architectes.
Quelques conseils syndicaux, par contre, ont pu être mandatés pour conduire les procédures. Appuyés par des conseils extérieurs, non contestables par le syndic du fait de cette procédure spéciale, ceux-ci ont pu mettre en évidence les carences multiples des procédures antérieures, ainsi que l'oubli de travaux annexes, mais obligatoires, non pris en compte dans les précédents rapports d'expertise.
Cette démarche a été exceptionnelle. En effet, dans la plupart des cas, les conseils syndicaux se sont trouvés démunis face à l'ampleur de la tâche ou faute de savoir à quels conseils extérieurs recourir. Certaines copropriétés ont même été (sont) mises en cause par la SNCF qui les tient pour responsables des retards dans le traitement des dégâts.
Enfin, les copropriétés ont été traitées par la SNCF et Bouygues au cas par cas, sans information des propriétaires sur l'évolution de la zone dans son ensemble ou sur les immeubles victimes des mêmes désordres dans l'arrondissement ou dans les autres arrondissements.
Absence d'information, de concertation, de prévention, de précaution. Durée des procédures. Indemnisations inéquitables. Immeubles menacés de destruction ou dont la remise en état est d'un coût tel que les copropriétaires ne peuvent envisager d'autre solution que la vente de leur bien dégradé à un prix dérisoire. Au moment où le prix du mètre carré flambe à Paris, où les surfaces vacantes font défaut, les riverains concernés par les travaux d'Eole demandent une remise à plat de leurs dossiers, un accès à l'ensemble des dossiers (rapports d'expertise, recours, contre-expertises, conclusions, montant et postes des indemnisations) concernant les autres immeubles sinistrés ainsi qu'une réévaluation équitable, pour tous les immeubles, des indemnisations.
Une remise à plat de ce dossier nous semble devoir être effectuée au plus vite afin d'éviter une dégradation irréversible du bâti et le départ des copropriétaires, suite à une vente ou à une cession forcées de leurs biens.
Cette remise à plat devra examiner les procédures d'indemnisation mises en place par la SNCF et par Bouygues, les différents rapports d'expertise immeuble/immeuble, l'écart entre ce qui a été accordé et le coût réel des travaux, les difficultés des copropriétaires à faire valoir leurs droits, l'opacité de l'information et des procédures.
Cet examen attentif nécessitera l'audition des copropriétaires (et locataires) d'immeubles sinistrés par Eole, des syndics et architectes de copropriété en place durant les travaux d'Eole et/ou nouvellement nommés, ainsi que des conseils syndicaux et des élus des différents arrondissements eux-mêmes restés sans réponse à certaines demandes d'information qu'ils ont pu formuler auprès de la SNCF (entre autres points : résultats des études géologiques, injection de béton en continu au motif de confortement des égouts, etc.).
Ce dossier sera examiné au triple regard du droit, du principe de prévention et de précaution. L'application de ce triple principe requiert une enquête fiable et transparente. Elle nécessite donc l'intervention d'une commission d'enquête parlementaire garantissant l'impartialité de la démarche et la diffusion publique de son rapport et de ses conclusions.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, il est créé une commission d'enquête de vingt-cinq membres relative à l'impact des travaux d'Eole sur les immeubles riverains ainsi que sur les mesures propres à parvenir à une indemnisation équitable, au plan collectif et au plan individuel, des copropriétés au regard des travaux à effectuer.


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