N° 3013
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 avril 2001.
PROPOSITION DE LOI

tendant à la suppression du régime de l'offense à chef d'Etat étranger issu de l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par Mme Marie-HélÈne AUBERT, MM. NoËl MAMÈRE, André ASCHIERI, Yves COCHET et Jean-Michel MARCHAND,
Députés.

Presse et livres.

EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'offense au chef de l'Etat constituait dans notre ancien droit le crime de lèse-majesté. La loi sur la presse du 17 mai 1819 punissait ainsi, dans son article 9, les offenses publiques envers la personne du roi. Aujourd'hui, c'est l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 qui traduit cet héritage dans notre droit positif. Le législateur a entendu, dans l'article 36 de la même loi, associer les chefs d'Etat étrangers à cette protection juridique. L'article 36 étant rédigé comme suit : " L'offense commise publiquement envers les chefs d'Etat étrangers, les chefs de gouvernements étrangers et les ministres des affaires étrangères d'un gouvernement étranger sera punie d'une amende de 300000 F. "
Cette protection particulière serait nécessaire dans une société démocratique pour préserver notamment l'ordre public et les droits ou la réputation des étrangers concernés. Le délit d'offense répondrait aussi au souci du législateur de faciliter les relations internationales de la France en accordant à des hauts responsables politiques étrangers une protection spécifique.
Or, ce régime de l'offense à chef d'Etat étranger n'est pas acceptable en l'état actuel du monde. Une série de singularités juridiques viennent en effet réduire considérablement les capacités de défense de l'auteur de l'offense à dignitaire étranger. Les auteurs de propos qualifiés d'offense peuvent ainsi être puni plus sévèrement que les auteurs de diffamations. En France et en matière de diffamations, qui correspond à l'atteinte portée à l'honneur et à la dignité d'autrui, il est toujours, s'agissant de la vie publique, possible au prévenu d'opposer l'exceptio veritatis, c'est-à-dire de rapporter la preuve de la vérité des faits allégués, ce qui l'exonère de toute peine. D'autre part, et en matière d'offense à chef d'Etat étranger, aucune réciprocité n'est nécessaire de telle manière que, même sans qu'il y ait réciprocité entre la France et le pays considéré, la poursuite est obligatoire à la demande du dignitaire étranger.
On peut enfin s'interroger sur la compatibilité de l'article 36 de la loi de 1881 avec l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relative à la liberté d'expression. Où est cette liberté si l'on est pas recevable à prouver que ce qu'on a dit est vrai ?
Le même article paraît également contraire à la Convention de sauvegarde prise en son article 6 qui exige un procès équitable.
Surtout, les chefs d'Etat étrangers ne doivent pas être protégés dans tous les cas. C'est évident à une époque où la France vient de ratifier le traité instaurant le Tribunal pénal international. Auraient-ils dû être poursuivis et condamnés automatiquement en France, ceux qui, à juste titre, ont tracé des portraits fidèles d'Hitler, Polpot, Pinochet, Milosevic et d'autres, alors que ceux-ci étaient en fonction?
Le droit commun de la diffamation et de l'injure protège convenablement chacun, y compris les dignitaires, qu'ils soient français ou étrangers. Il est donc proposé de supprimer l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est abrogé.
N°3013-Proposition de loi de Mme Marie-Hélène Aubert tendant à la suppression du régime de l'offense à chef d'Etat étranger issu de l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.(commission des lois)


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