N° 3225
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 juillet 2001.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée d'étudier la situation des Français vivant à l'étranger et de proposer des mesures d'amélioration et des solutions aux difficultés qu'ils rencontrent.

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Thierry MARIANI
et les membres du groupe RPR (1) et apparentés (2),
Députés.

(1) Ce groupe est composé de : MM. Jean-Claude Abrioux, Bernard Accoyer, Mme Michèle Alliot-Marie, MM. René André, André Angot, Philippe Auberger, Pierre Aubry, Jean Auclair, Gautier Audinot, Mmes Martine Aurillac, Roselyne Bachelot-Narquin, MM. Édouard Balladur, Jean Bardet, François Baroin, Jacques Baumel, Christian Bergelin, André Berthol, Léon Bertrand, Jean-Yves Besselat, Jean Besson, Franck Borotra, Bruno Bourg-Broc, Michel Bouvard, Victor Brial, Philippe Briand, Bernard Brochand, Michel Buillard, Christian Cabal, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM. Jean-Charles Cavaillé, Richard Cazenave, Henry Chabert, Jean-Paul Charié, Jean Charroppin, Philippe Chaulet, Jean-Marc Chavanne, Olivier de Chazeaux, François Cornut-Gentille, Alain Cousin, Jean-Michel Couve, Charles Cova, Henri Cuq, Jean-Louis Debré, Lucien Degauchy, Arthur Dehaine, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Yves Deniaud, Patrick Devedjian, Guy Drut, Jean-Michel Dubernard, Jean-Pierre Dupont, Nicolas Dupont-Aignan, Christian Estrosi, Jean Falala, Jean-Michel Ferrand, François Fillon, Roland Francisci, Pierre Frogier, Yves Fromion, Robert Galley, René Galy-Dejean, Henri de Gastines, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jean-Marie Geveaux, Jean-Pierre Giran, Michel Giraud, Jacques Godfrain, Louis Guédon, Jean-Claude Guibal, Lucien Guichon, Gérard Hamel, Michel Hunault, Michel Inchauspé, Christian Jacob, Didier Julia, Alain Juppé, Jacques Lafleur, Robert Lamy, Pierre Lasbordes, Thierry Lazaro, Pierre Lellouche, Jean-Claude Lemoine, Arnaud Lepercq, Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Alain Marleix, Jean Marsaudon, Philippe Martin, Patrice Martin-Lalande, Jacques Masdeu-Arus, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Gilbert Meyer, Jean-Claude Mignon, Charles Miossec, Pierre Morange, Renaud Muselier, Jacques Myard, Jean-Marc Nudant, Patrick Ollier, Mme Françoise de Panafieu, MM. Robert Pandraud, Jacques Pélissard, Dominique Perben, Pierre Petit, Étienne Pinte, Serge Poignant, Bernard Pons, Robert Poujade, Didier Quentin, Jean-Bernard Raimond, Jean-Luc Reitzer, Nicolas Sarkozy, André Schneider, Bernard Schreiner, Philippe Séguin, Frantz Taittinger, Michel Terrot, Jean-Claude Thomas, Jean Tiberi, Georges Tron, Jean Ueberschlag, Léon Vachet, Jean Valleix, François Vannson, Roland Vuillaume, Jean-Luc Warsmann, Mme Marie-Jo Zimmermann.
(2) MM. Xavier Deniau, François Guillaume, Jacques Kossowski, Lionnel Luca, Franck Marlin, Anicet Turinay.

...

Français de l'étranger.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Aujourd'hui, on estime que près de deux millions de Français sont établis à l'étranger où leur présence est un atout essentiel pour notre pays : ils constituent, en effet, un relais indispensable à notre rayonnement culturel mais, au-delà de cet aspect, jouent un rôle important dans le développement de nos relations économiques et commerciales (il convient de rappeler que 30% de notre industrie travaille directement ou indirectement pour l'exportation). Ils représentent ainsi un véritable réseau _uvrant à l'influence de la France dans le monde.
Les chiffres les plus récents dont nous disposons afin de connaître leur répartition par région et par pays datent de 1999 et intègrent les immatriculés mais aussi une estimation des Français qui ne sont pas déclarés auprès de leur ambassade ou de leur consulat.
Présents dans le monde entier, leur localisation s'explique par des raisons variées qui puisent dans notre histoire ancienne (le passé colonial de la France) et récente (la construction européenne a directement contribué à l'installation de Français dans les pays voisins puis dans les PECO - Pays d'Europe centrale et orientale) ou renvoient à des choix plus personnels comme le souhait de vivre une «aventure humaine» au-delà de nos frontières ou de poursuivre une carrière professionnelle à l'étranger : ils sont 94399 en Afrique du Nord, 128508 en Afrique francophone, 16033 en Afrique non francophone, 89469 en Amérique centrale Sud, 374626 en Amérique du Nord, 101588 en Asie-Océanie, 25617 en Europe de l'Est, 955024 en Europe occidentale dont 794352 au sein de l'Union européenne, 96749 au Proche et Moyen-Orient. Le «total monde» avoisine 1015026 d'immatriculés, 866987 de non-immatriculés (estimation), soit 1881013.
L'impossibilité de chiffrer, de manière précise, le nombre exact de nos compatriotes disséminés à travers le monde est le premier exemple de la méconnaissance de ces Français et illustre la nécessité de multiplier les efforts afin de pallier cette situation.
Certes, les Français établis hors de France ne sont pas «oubliés» par la métropole.
Le Conseil supérieur des Français de l'étranger (CSFE), assemblée représentative composée de trente et une personnalités qualifiées et de cent cinquante membres élus au suffrage universel par les Français de l'étranger, aide nos compatriotes éloignés géographiquement à faire entendre leur voix auprès des pouvoirs publics.
Conformément à l'article 24 de la Constitution, la représentation des Français établis hors de France est une particularité du Sénat, les députés étant écartés de cette mission malgré le fait qu'ils soient, au-delà de leurs circonscription, les élus de la Nation dans sa globalité.
C'est ainsi que les douze sénateurs représentant les Français de l'étranger, élus par le collège électoral constitué des cent cinquante membres élus au suffrage universel par les communautés françaises à l'étranger, assurent une mission similaire : quotidiennement, ils contribuent, par leurs efforts, à une meilleure représentation de nos compatriotes et défendent avec conviction leurs intérêts à la Chambre haute.
Par ailleurs, notre réseau diplomatique, consulaire, scolaire et culturel est indéniablement l'un des plus denses et des mieux organisés du monde, et plusieurs structures spécifiques, comme la Caisse des Français de l'étranger, l'Association pour l'enseignement des Français à l'étranger (AEFE) ou encore l'Association pour la formation professionnelle française à l'étranger (AFPFE), facilitent le traitement de leurs dossiers.
Pourtant, à écouter ces Français, on se rend compte que leur situation est parfois très difficile et très aléatoire.
Les discours du gouvernement en faveur de l'expatriation ne sont pas suivis d'effets et traduisent une mauvaise évaluation de la situation réelle des expatriés.
Dans la préface, signée de la main du ministre des Affaires étrangères, du «Livret du Français à l'étranger» (guide d'information établi par le Quai d'Orsay), nous pouvons lire les phrases suivantes : «Nos compatriotes, à juste titre, osent toujours plus tourner leurs regards vers l'étranger, s'expatrier, seul ou en famille, et exporter vers des marchés plus lointains. Cette tendance est porteuse d'espoir car notre rang, notre avenir, se jouent davantage qu'hier hors de nos frontières, y compris au-delà de l'Union européenne [...]. Le gouvernement mène une politique constante visant à soutenir nos compatriotes à l'étranger.»
De tels discours ne tiennent pas face à une analyse des actions réellement entreprises par le gouvernement. Ils sont en totale contradiction avec la politique budgétaire fort modeste menée par le gouvernement dans ce domaine.
Alors que le budget des Affaires étrangères intègre les crédits de la coopération (et se trouve donc en lien direct avec les questions liées aux Français de l'étranger, notamment l'enseignement ou le réseau consulaire), la dotation de ce ministère a connu en l'an 2000 une augmentation minimale de 0,64% par rapport à 1999 (soit 20,945 milliards de francs).
Le budget pour 2001 est tout aussi décevant et, malgré une progression affichée de 5,3%, est, en réalité, en diminution et ne permet pas de résoudre les problèmes, comme la situation de sous-effectifs rencontrée dans les postes diplomatiques.
Le projet de loi de finances pour 2002 confirme malheureusement le manque d'ambition du gouvernement dans ce domaine : les moyens du ministère des Affaires étrangères affichent une «progression constante» limitée à 1,4% et les sommes consacrées spécifiquement aux Français de l'étranger sont toujours insuffisantes.
Ainsi, 23 millions d'euros seulement sont censés résoudre les problèmes rencontrés par les Français expatriés en matière d'aide sociale, d'emploi ou de formation professionnelle.
Il est temps que les discours démagogiques du gouvernement soient remplacés par des actions concrètes visant à améliorer réellement la prise en charge des problèmes rencontrés par les Français de l'étranger, dans des domaines aussi essentiels que la protection des personnes et des biens, la scolarité de leurs enfants, l'accès à la couverture sociale, l'emploi, le retour en métropole ou encore la retraite.
Dans tous ces secteurs, les difficultés ne manquent pas et une partie des Français établis hors de France vivent réellement dans des conditions sociales précaires. L'opinion publique, trop influencée par une image véhiculée régulièrement par les médias (celle de Français réussissant brillamment une carrière professionnelle commencée récemment hors de nos frontières), ne réalise pas toujours que l'ingénieur de la Sillicon valley californienne n'est pas représentatif des nationaux expatriés. Il convient avant tout de s'intéresser à tous ceux qui, établis depuis longtemps dans un pays étranger, ne travaillent pas à la conquête de nouveaux marchés avec de grandes multinationales ou n'ouvrent pas un restaurant à la mode, mais vivent modestement, avec leur famille et, parfois, rencontrent de sérieuses difficultés dans leur vie quotidienne.
Les grands problèmes rencontrés par les Français de l'étranger portent sur de nombreux domaines.
Au premier rang de ces problèmes se trouve l'éducation, et plus particulièrement la dégradation de la situation dans les établissements d'enseignement français à l'étranger où l'on constate une forte augmentation des coûts d'éducation à la charge des parents.
Concernant les enseignants, on constate une précarisation croissante des fonctions et des postes qui se traduit par un recours toujours plus important aux enseignants résidents et aux recrutés locaux, au détriment des postes d'expatriés bénéficiant d'un statut plus protecteur.
Des grèves d'enseignants ont donc lieu dans de nombreux établissements français de l'étranger afin de dénoncer cette évolution qui risque d'être préjudiciable à la qualité des enseignements.
Les parents d'élèves, notamment ceux disposant de revenus moyens, doivent réaliser un important effort financier afin d'assurer la scolarisation de leurs enfants. Ils sont donc très préoccupés par l'accroissement de la participation financière, déjà anormalement élevée, qui leur est demandée. Dans certains établissements, les frais de scolarité ont, par exemple, doublé. Cette situation explique les graves problèmes qui se posent dans l'attribution des bourses dont les demandes ont beaucoup augmenté ces dernières années.
La couverture sociale est l'une des principales préoccupations des Français expatriés.
A ce jour, la Caisse des Français de l'étranger comporte 65000 adhérents, ce qui correspond approximativement au double de personnes effectivement couvertes (familles). Ces chiffres sont malheureusement très faibles en comparaison du nombre total d'expatriés.
Cela semble s'expliquer par le coût élevé des cotisations de cette Caisse dont les remboursements sont souvent jugés insuffisants. Dans certains pays comme les Etats-Unis, les expatriés sont contraints de disposer d'une double affiliation.
D'après les chiffres communiqués par le ministre des Affaires étrangères, dans un entretien à RFI du 19 avril 2000, «25000 environ de nos compatriotes, notamment ceux qui vivent en dehors de l'Europe, dans des pays qui n'offrent pas de couverture maladie satisfaisante et ne disposent pas, en plus, de revenus suffisants pour adhérer à celle Caisse, éprouvent de réelles difficultés à payer leur cotisation». Plusieurs milliers d'expatriés, en situation de précarité, sont ainsi écartés de cette Caisse. Il semble d'ailleurs que les chiffres réels soient bien supérieurs à ceux communiqués par le ministère.
Si une réforme de la Caisse des Français de l'étranger a été intégrée au projet de loi de modernisation sociale (voté en deuxième lecture à l'Assemblée nationale le 13 juin 2001 et au Sénat le 9 octobre 2001), rien ne prouve qu'elle permettra d'améliorer la couverture sociale de ces Français sans nuire à son équilibre.
Dans le domaine de la santé, de nombreux autres problèmes sont régulièrement évoqués par les expatriés.
L'insuffisance de l'allocation versée aux enfants handicapés de parents français vivant hors de France, les obstacles réglementaires à l'attribution de la couverture maladie universelle (CMU) aux expatriés nécessiteux ou les conditions très limitatives de remboursement, par les caisses primaires d'assurance maladie, des frais d'hospitalisation à l'étranger, en sont des illustrations.
La politique de l'emploi à destination des Français de l'étranger est insuffisante.
La situation des salariés français expatriés vis-à-vis de l'assurance chômage est peu enviable : s'ils peuvent se prémunir contre la perte d'emploi, ils doivent cependant revenir s'installer en France et s'inscrire comme demandeur d'emploi afin de bénéficier des indemnités de chômage. Ceci peut causer de réels problèmes aux expatriés qui ont souvent plus de facilités à retrouver un emploi dans le pays dans lequel ils résident. De plus, les conditions d'octroi des prestations chômage à l'égard des expatriés sont plus contraignantes que celles qui existent pour leurs compatriotes salariés en métropole.
L'aide à la réinsertion en cas de retour en métropole doit impérativement faire l'objet de nouveaux efforts : il est, en effet, difficile pour une personne expatriée de longue date et non protégée par un statut de fonctionnaire de retrouver ses repères et d'appréhender avec justesse le marché du travail. Il serait donc judicieux d'offrir à ce public un accueil et des conseils plus appropriés à sa situation, dans le cadre d'une recherche d'emploi.
Des problèmes se posent également dans le domaine de l'accès aux droits à la retraite.
Dans de nombreux pays situés dans des régions sensibles du globe, la sécurité des Français est une inquiétude permanente.
Régulièrement, nos compatriotes doivent faire face à des situations très insécures : ainsi, on constate un accroissement des agressions armées, tant contre les personnes que contre les biens, dans de nombreux pays, notamment en Afrique. Cela crée un climat d'insécurité (sur les personnes et les biens) et de défiance insupportable chez nos compatriotes expatriés.
Cette situation ravive, avec acuité, la nécessité de mettre en place, en liaison avec les représentations diplomatiques et les pays d'accueil, des plans concrets de lutte contre l'insécurité manifeste à laquelle sont trop souvent confrontés nos compatriotes à l'étranger.
Il est nécessaire de prendre en compte les graves difficultés de nos compatriotes qui, à la suite d'un événement grave (coup d'Etat, par exemple, ou décision politique arbitraire), perdent leurs biens. Il conviendrait ainsi de réfléchir à la mise en place d'un système d'indemnisation permettant de leur assurer un minimum de revenus afin qu'ils puissent faire face à une telle situation.
En outre, en cas de crise grave, il conviendrait de donner des moyens supplémentaires aux plans et procédures d'évacuation qui témoignent de la détermination efficace dont fait preuve l'Etat français afin de secourir ses compatriotes dont la sécurité est menacée.

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Face à l'ampleur de ces difficultés, l'implication de l'Assemblée nationale au sein d'une commission d'enquête serait, à n'en pas douter, très positive et répondrait à une réelle attente des Français de l'étranger, regrettant souvent de ne pas être représentés au sein de cette instance.
Si les sénateurs accomplissent une tâche importante et une lourde mission de représentation des expatriés, il est regrettable qu'il n'ait jamais été donné à l'Assemblée nationale l'occasion de se pencher sur ces questions. La contribution des députés permettraient pourtant de compléter utilement celle des membres de la Haute Assemblée.
La mission de cette commission d'enquête serait double : d'une part, dresser un constat aussi exhaustif que possible de la situation des expatriés et de leurs problèmes, d'autre part, apporter, sous la forme de propositions, des solutions destinées à assurer aux expatriés une réelle égalité avec les Français résidant en métropole en matière d'accès aux droits et à l'aide sociale.
L'image et le rôle de la France dans le monde en dépendent.

FPROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

Il est créé, en application de l'article 140 du Règlement, une commission d'enquête parlementaire de trente membres chargée d'étudier la situation des Français vivant à l'étranger et de proposer des mesures d'amélioration et des solutions aux difficultés qu'ils rencontrent.
3225 - Proposition de résolution de M. Thierry : commission d'enquête chargée d'étudier la situation des Français vivant à l'étranger (commission des affaires étrangères)


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