N° 3230
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 juillet 2001.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête sur l'impact de la consommation des drogues illicites sur la santé mentale et sur les conditions qui ont, jusqu'à présent, conduit à occulter ce problème de santé publique.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Bernard ACCOYER,
Député.

Drogue.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Parallèlement à la banalisation de la consommation de cannabis et autres drogues illicites chez les jeunes entre quinze et vingt-cinq ans, on constate actuellement la multiplication de phénomènes de décompensations psychiatriques dont s'alarment tout particulièrement les entourages des jeunes usagers de drogues.
« Des parents inquiets viennent nous voir, mais aussi des jeunes qui ont perdu la raison à la suite de l'usage de ces drogues. Cette décompensation psychiatrique est en fait le révélateur de troubles psychologiques », note Marc Valleur, médecin chef du centre médical Marmottan à Paris : (« Nouvelles drogues : opération vérité », Marianna Julienne et Cécile Olivier, Eurêka n° 56, juin 2000.)
La probabilité d'un lien entre drogue et santé mentale devient en effet une question pressante, comme le souligne notamment le rapport de la Commission européenne de février 2000 sur la santé des jeunes dans lequel il est révélé que le suicide «constitue l'une des trois principales causes de décès chez les 15-24 ans » et que le comportement suicidaire est fréquemment « associé à des troubles dépressifs et/ou à l'abus de certaines substances ». (« Suicide des jeunes : les Quinze à la recherche d'une stratégie commune », Le Quotidien du Médecin du 18 septembre 2000.)
Ainsi, chez un petit pourcentage d'individus vulnérables, le cannabis pourrait faciliter l'apparition de troubles psychotiques et peut-être, plus spécifiquement, la survenue de schizophrénie, cette terrible maladie mentale qui démarre en force à la fin de l'adolescence. Tel est le sentiment du docteur Marie-Odile Krebs, psychiatre et chercheur Inserm (hôpital Sainte-Anne à Paris), qui a indiqué, lors du 5e congrès sur les neurosciences à Toulouse, fin mai 2001 : «La grande fréquence de consommation de cannabis au moment de l'apparition des troubles et la capacité de ce produit à aggraver ou à provoquer des effets hallucinatoires chez les schizophrènes ou chez certains sujets sains suggère que le cannabis puisse jouer un rôle déclenchant de la maladie schizophrénique. »
D'ores et déjà, des travaux concordants suggèrent l'existence d'une relation entre consommation de drogues et troubles psychiques et psychiatriques, surtout chez les moins de vingt-cinq ans, en particulier une étude publiée par The Lancet du 24 octobre 1998 qui révèle que l'ecstasy peut altérer des cellules productrices d'une substance importante pour les transmissions des messages entre neurones, la sérotonine ou 5 HT (5 hydroxytryptamine).
Usant de la tomographie à émission de positons, l'équipe du Dr Georges A. Ricaurte du Département de neurologie de l'Institut Johns Hopkins de Baltimore a mis en évidence la présence d'anomalies cérébrales chez quatorze anciens gros usagers d'ecstasy, n'existant pas dans un groupe similaire n'en ayant jamais consommé. Les chercheurs ont procédé en injectant un traceur radioactif qui se fixe électivement sur une molécule transporteuse de la sérotonine, située dans les neurones.
Par ailleurs, il n'a pas été observé qu'une longue abstinence améliore significativement les résultats de ces examens. « Nos résultats suggèrent que les gens qui utilisent l'ecstasy comme drogue récréative s'exposent sans le vouloir au risque de développer des lésions neurologiques », écrivent les auteurs de cette étude.
Selon The Lancet, les concentrations anormales de sérotonine dans le cerveau sont liées à des psychopathies, aussi est-il possible que les dommages touchant les neurones à sérotonine, induits par l'ecstasy, affectent durablement l'humeur et la personnalité. Les auteurs ajoutent que les conséquences fonctionnelles ne sont « pas claires » mais « peuvent inclure la dépression, l'anxiété, des troubles de la mémoire et d'autres désordres neuropsychiatriques ».
Quant à l'Académie des sciences, dans un rapport intitulé « Les aspects moléculaires, cellulaires et physiologiques des effets du cannabis », elle confirme les effets délétères du cannabis sur le comportement et le cerveau (rapport n° 39 de l'Académie des sciences publié en avril 1997).
De telles découvertes devraient guider les pouvoirs publics vers une extrême prudence, voire une application du principe de précaution.
Or, les actions récentes de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) s'inscrivent au contraire dans le sens de la banalisation de l'usage (des drogues par un amalgame entre tabac, alcool et drogues illicites.
La justification scientifique sur laquelle paraît s'appuyer cette politique de banalisation réside dans le rapport rédigé en 1999 par le Pr Bernard Roques, pharmacologue, sur «la dangerosité des drogues», et préfacé par M. Bernard Kouchner. Ce document déjà ancien classe l'héroïne, l'alcool et la cocaïne sur un même plan, devant un deuxième groupe de substances jugées moins toxiques, composé des benzodiazépines, des hallucinogènes, du tabac et des psychostimulants. Quant au cannabis, le rapport Roques le range dans la catégorie de produits psychoactifs les moins nocifs.
Si la valeur de ce rapport est contestable dans la mesure où il n'a donné lieu à aucune évaluation contradictoire et où ses références bibliographiques les plus récentes datent de plus de dix ans, c'est surtout l'utilisation qui en est faite par la MILDT qui doit être évaluée.
Il s'avère aujourd'hui urgent de traiter cette question de manière scientifique et objective. Un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques aurait, certes, été plus adapté à ce travail.
Or, le bureau de l'Assemblée nationale, lors de sa réunion du 20 juin 2001, a décidé de saisir cet office d'une étude sur « l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs », retirant délibérément le mot « illicites » qui avait été initialement proposé après « drogues ». Cet intitulé prend ainsi d'emblée parti pour la confusion des genres entre « tabac, alcool et drogues illicites ». Ce choix rejoint justement l'attitude problématique et systématique de la MILDT, et c'est en ce sens qu'il revêt un caractère partial.
C'est pourquoi seule une commission parlementaire semble désormais à même d'enquêter sérieusement sur cette question cruciale pour la santé des jeunes.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, il est créé une commission d'enquête de trente membres sur l'impact de la consommation des drogues illicites sur la santé mentale et sur les conditions qui ont, jusqu'à présent, conduit à occulter ce problème de santé publique.


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