No 3231
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juillet 2001.
PROPOSITION DE LOI
visant à accroître les libertés des collectivités territoriales.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)

présentée
par M. Franck DHERSIN,
Député.

Collectivités territoriales.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les collectivités locales ne sont pas considérées comme de véritables contre-pouvoirs. L'article 72 de la Constitution de 1958 effectue une reconnaissance à minima. Ainsi, il mentionne que « les collectivités s'administrent librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi. Dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».
Ainsi, en vertu de cet article, rien n'interdit que les exécutifs des collectivités soient désignés par l'Etat. Le Conseil constitutionnel ne considère pas contraire à la Constitution le passage d'un exécutif élu à un exécutif nommé (décision n° 85-196 DC).
Le Conseil constitutionnel considère que le respect de l'article 72 passe par la possibilité des collectivités d'administrer et par la possibilité de choisir sous certaines conditions les fonctionnaires territoriaux. En revanche, la répartition des compétences n'est pas fixée par la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a mentionné, en revanche, que la libre administration des collectivités locales ne saurait empêcher le maintien d'un contrôle administratif. Ce contrôle est exercé par le préfet à travers le contrôle de légalité qui a remplacé le contrôle de tutelle.
Le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelle la disposition qui prévoyait que les actes des collectivités locales seraient exécutoires de plein droit (décision n° 82-137 DC). De ce fait, il a introduit l'obligation de transmission au représentant de l'Etat avant leur exécution des actes des collectivités locales. Il faudrait donc modifier la Constitution pour passer à un régime de contrôle juridictionnel.
L'esprit contrarié de la décentralisation
Les idées girondines n'ont jamais complètement disparu lors de ces deux cents dernières années. Elles ont été, maintes fois, reprises et développées tant par les libéraux, les républicains, les légitimistes ou par une partie de la gauche. Elles ont été aussi souvent caricaturées et détournées.
La centralisation est considérée comme une idée moderne et avant tout de gauche, la décentralisation a été bien souvent, de manière dévoyée, assimilée à une idée révolutionnaire ou conservatrice. Proudhon et Maurras ou Barrès se retrouvent, ainsi, à défendre le fait régional.
Il y a un véritable contre sens spécifiquement français sur les mots de décentralisation ou de régionalisation. Ainsi en 1934, le dictionnaire de l'Académie française définit le régionalisme : « tendance à favoriser tout en maintenant l'unité nationale, le développement particulier, autonome, des régions et à en conserver la physionomie des m_urs, les coutumes et les traditions historiques ».
Il y a confusion entre régionalisme et séparatisme et entre régionalisme et indépendantisme. Il y a une volonté manifeste de la part de certains de dénigrer la régionalisation. Parmi les partisans de la décentralisation, on trouve les grands défenseurs des idées libérales. Ainsi, Alexis de Tocqueville, reprenant en cela les idées de Montesquieu, fut un des premiers à montrer que le maintien de la liberté passe par la préservation des libertés communales.
Les idées girondines empreignent le Comité de Nancy en 1865 qui publie un opuscule de 70 pages intitulé un projet de décentralisation appelé « le programme de Nancy ». Ce projet mentionne que « ce qui est national à l'Etat, ce qui est régional à la région, ce qui est communal à la commune ». Il prévoit d'affranchir de la tutelle préfectorale les communes, de supprimer les arrondissements, de fortifier les communes et d'agrandir les départements. Cet opuscule avait été signé par des libéraux (Prévost Paradol), des orléanistes (Broglie, Guizot, Dufaure), des républicains (Carnot, Ferry, Simon, Faure). Ce projet, qui donna lieu a un véritable débat parmi les intellectuels, est resté sans lendemain.
Les événements de la Commune empêchèrent la mise en _uvre d'une véritable décentralisation. Le législateur généralisa simplement le principe de l'élection des organes délibérants des collectivités locales, mais en les soumettant à une tutelle forte de la part de l'Etat. Le texte originel de 1872 prévoyait la création de 24 régions; la peur du retour éventuel des idées de la Commune entraîna la disparition de toute cette partie du texte.
En France, on a longtemps privilégié la déconcentration sur la décentralisation. En outre, bien souvent, la décentralisation s'assimile à une délocalisation de fonctions de pure gestion, l'Etat conservant les pouvoirs de décision.
Les régions Clémentel de 1917, de nature avant tout administrative, visent à répondre aux problèmes de l'économie de guerre; 149 chambres de commerce sont ainsi intégrées dans 17 groupements régionaux.
Toujours dans une démarche purement administrative, en 1948, les pouvoirs publics nomment des inspecteurs généraux de l'administration en mission extraordinaire qui joueront le rôle de préfet régional. En 1952, il est décidé la création du Conseil national des économies régionales et de la production qui débouche le 28 novembre 1956 sur la création de 22 régions de programme. Le décret du 7 janvier 1959 définit 21 circonscriptions d'action régionale. Cette maturation administrative aboutit au décret du 14 mars 1964 qui instaure des préfets de région et des commissions de développement économique régional.
La première grande rupture intervient avec le discours de Lyon du 24 mars 1968 du général de Gaulle qui souligne que « l'effort multiséculaire de centralisation qui fut longtemps nécessaire à la Nation pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées ne s'impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de la puissance économique de demain ». Cette volonté décentralisatrice se brisa sur le non du référendum du mois d'avril 69.
La loi du 5 juillet 1972 tirant les enseignements de l'échec du référendum du 27 avril 1969 crée les régions, qui deviennent de véritables collectivités territoriales en 1982. Un siècle aura été nécessaire pour créer des régions. Il n'en demeure pas moins que cette catégorie de collectivité territoriale est entrée dans les institutions par la petite porte. Elles ne bénéficient pas de la reconnaissance constitutionnelle à la différence des communes et des départements.
Les lois de décentralisation de 1982, si elles constituent un progrès indéniable, ne « girondisent » pas nos institutions. Les lois de décentralisation sont intervenues au moment où l'Etat accumulait d'importants déficits et était de plus en plus incapable de financer les dépenses auxquelles il était confronté et au moment où un courant fort en faveur de la décentralisation se développait. Ainsi, en reprenant les travaux entamés sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, le ministre de l'Intérieur, Gaston Deferre, a à travers quelques mesures savamment dosées de libéralisation, transféré des dépenses sans pour autant en perdre la véritable maîtrise. L'Etat s'est désengagé de la construction et de l'entretien des collèges et lycées, de la gestion des transports ferroviaires régionaux tout en conservant le pouvoir. Les transferts financiers n'ont pas couvert les transferts de dépenses. Les compétences transférées n'ont pas été choisies au hasard ; il s'agissait de domaines où les dépenses à réaliser étaient très importantes.
Ainsi, l'Etat a transféré aux régions la compétence des lycées alors que le nombre d'élèves augmentait rapidement et que les travaux d'entretien n'avaient pas été réalisés. En matière de formation, les transferts de compétences ont eu une portée limitée compte tenu de la toute puissance de l'Association pour la formation par alternance (AFPA). Les contrats de plan ont permis, en outre, à l'Etat d'encadrer les collectivités locales et d'orienter leurs actions, voire de les contraindre à financer des opérations qui ne sont pas de leurs compétences (transports, universités).
La décentralisation à la française est une délégation de compétences sur laquelle on aurait mis un vernis de politique locale. L'Etat concède l'exercice d'une compétence après l'avoir fortement encadré. Il a un pouvoir d'évocation à travers le contrôle a posteriori et à travers le pouvoir d'étatiser du jour au lendemain un service offert par les collectivités locales comme l'a prouvé dernièrement le projet sur la couverture maladie universelle.
Selon les manuels de droit, la décentralisation se traduit par le transfert d'attributions de l'Etat à des institutions territoriales juridiquement distinctes de lui et bénéficiant, sous la surveillance de l'Etat, d'une certaine autonomie de gestion. Cette définition montre l'esprit qui anime les gouvernements en matière de décentralisation.
En France, la liberté des collectivités locales a pour limite le contrôle de l'autorité de tutelle. Il faut souligner que si la liberté des collectivités locales a été reconnue comme un principe à valeur constitutionnel, il n'en demeure pas moins que la Constitution ne fixe pas le cadre dans lequel les collectivités territoriales exercent leurs compétences. Ce sont des lois simples qui fixent les pouvoirs de ces collectivités.
En France, la décentralisation et l'émancipation des collectivités sont plus subies que désirées. Ainsi, le professeur Hauriou indiquait que « les raisons de la décentralisation ne sont point d'ordre administratif mais bien d'ordre constitutionnel. S'il ne s'agissait que du point de vue administratif, la centralisation assure au pays une administration plus habile, plus impartiale, plus intègre et plus économe que la décentralisation » (précis de droit administratif).
La décentralisation n'est perçue que de manière négative. Pour ses détracteurs, elle coûte cher ; elle est source de complications, comme si l'Etat ne l'était pas. Elle n'est acceptée qu'afin de permettre une respiration démocratique et pour transférer certaines charges.
Il est plus facile de faire semblant de décentraliser que de restructurer en profondeur. Sur ces vingt dernières années, il y a eu quelques essais de décentralisation et aucune réforme de structures véritable si l'on excepte la loi sur l'intercommunalité qui confirme la création d'un étage supplémentaire de collectivités.
La décentralisation s'est faite sans refonte de la carte territoriale et surtout sans réforme de la structure étatique. Il en a résulté doublons, polysynodie décisionnelle, déresponsabilisation et complexité.
Les lois de décentralisation ont abouti à la création des régions sans pour autant leur confier un rôle de collectivité pilote.
Les lois de décentralisation ont supprimé la tutelle de l'Etat sur les collectivités locales. Mais proscrire une expression par une loi ne signifie pas supprimer ce que représente ce mot. Il y a la tutelle explicite avec l'envoi préalable des actes des collectivités locales au préfet. Il y a les tutelles implicites avec la multiplication des dotations permettant à l'Etat d'orienter les actions des collectivités locales et avec les contrats de plan.
Le maintien des services de l'Etat, en particulier en ce qui concerne l'équipement, a montré très rapidement les limites des transferts de compétences réalisés en 1982/1983. La décentralisation a simplement entraîné un transfert du payeur, l'Etat a cédé la place aux collectivités locales. Les compensations financières se sont rapidement révélées insuffisantes. les transferts implicites de charges sans transfert de compétences et surtout sans transfert de ressources.
L'Etat, toujours dans un souci budgétaire, a obligé les collectivités locales à participer à de nombreuses opérations ne relevant pas de leurs compétences. Il en a été ainsi en matière de construction d'établissements d'enseignement supérieur avec le programme Universités 2000.
Le réseau de collectivités locales et d'élus est en France doublé par un réseau administratif tout aussi dense. Il y a en permanence un face-à-face responsables administratifs, élus. Ainsi, la structure administrative étatique est une véritable pyramide qui se caractérise à la fois par une centralisation autour des préfets et par la multiplication des hiérarchies, chaque ministère souhaitant être présent sur le terrain. Un ministère, pour jouer un rôle en France, se doit d'avoir ses antennes, voire ses services, au niveau local. L'Etat est ainsi présent au niveau régional avec un préfet de région, les directions régionales des différents ministères, au niveau départemental avec le préfet de département et les services départementaux des différents ministères, au niveau des arrondissements avec les sous-préfets. Pour compliquer un peu plus le jeu, il faut ajouter les préfets de police.
Les préfets, malgré des années de combat, n'ont jamais obtenu la coordination de l'ensemble des services de l'Etat. La défense, les services de Bercy, les services dépendant du ministère de la Justice échappent à la coordination préfectorale. Par ailleurs, les directions locales de l'équipement sont de véritables baronnies malgré la décentralisation.
Les lois de décentralisation, en transférant un certain nombre de compétences aux collectivités locales, auraient dû aboutir à un allégement de la structure administrative de l'Etat au niveau local ; tel n'a pas été le cas. Il y a eu, au contraire, un alourdissement avec la création de services au sein des collectivités qui doublent ceux de l'Etat.
L'Etat a refusé de tirer les conséquences de la décentralisation en réorganisant ses services et en diminuant ses effectifs. Il en est de même avec la montée en puissance de l'administration européenne. Compte tenu de la communautarisation de la politique agricole, il aurait été logique que les effectifs du ministère de l'Agriculture diminuent ; or, tel n'a pas été le cas durant des années.
Aménager le territoire, c'est aménager de Paris la France. C'est la victoire de l'administration d'Etat sur les collectivités locales qui ont besoin qu'on leur octroie quelques aides ou quelques déconcentrations de services administratifs sans intérêt. C'est de l'aménagement nationalisé qui, au-delà du discours, ne génère aucune dynamique économique ou culturelle. Les résultats des délocalisations lancées par Edith Cresson il y a huit ans sont nuls, voire négatifs.
La France est le pays le plus centralisé d'Europe ; même le Royaume-Uni s'est engagé dans un processus d'autonomie des régions comme l'Ecosse ou le Pays de Galle. L'Espagne, l'Italie ont institué des régimes d'autonomie importants pour certaines régions. L'Espagne a admis le principe de l'expérimentation en matière de compétences.
Les Etats fortement décentralisés sont en règle général mieux gérés que les Etats centralisés et les prélèvements y sont plus faibles : Etats-Unis, Allemagne....
L'urgence d'un nouvel élan
Près de vingt ans après les dernières lois de décentralisation, un nouvel élan est indispensable pour rééquilibrer les pouvoirs. Il ne saurait y avoir de modernisation de la vie publique sans renforcer les compétences des collectivités locales et, en premier lieu, la région.
L'absence de véritables contre-pouvoirs locaux favorise la remontée au sommet de tous les problèmes et empêche la mise en _uvre rapide de solutions adaptées. L'application du principe de subsidiarité est en France avant tout théorique.
Pour des raisons sociales, sociologiques et économiques, la France ne pourra pas rester la dernière de l'Europe en refusant de donner des responsabilités aux collectivités locales. Les demandes des Basques, des Bretons ou des Corses qui s'appuient sur une forte culture historique ne peuvent que se généraliser. Plus les gouvernements attendront avant d'appliquer un projet girondin, plus les demandes de changement augmenteront.
L'objectif de la mise en _uvre d'un véritable projet girondin n'est pas remettre en cause l'unité nationale, c'est au contraire la renforcer. Ce n'est pas un projet réactionnaire ; c'est au contraire un projet moderne.
Une demande sociale de plus en plus forte en faveur de services de proximité
Le vieillissement de la population entraînera une demande croissante de services de proximité que les collectivités pourront et à moindre coût satisfaire. La volonté d'être mieux soigné, d'avoir au plus près les services sociaux, nécessitent une décentralisation plus poussée. On est entré dans une période de services personnalisés et humanisés. Le service de masse qu'offre encore trop souvent l'administration est rejeté.
Rapprocher les centres de décision dans un souci d'efficacité et au nom de la solidarité
Par leur rapidité de réaction, les collectivités locales peuvent plus facilement que l'Etat répondre aux nouveaux besoins sociaux. Un impératif, diminuer la pression fiscale avec des collectivités responsables et autonomes. La décentralisation permet de réaliser des économies. Compte tenu des transferts organisés depuis 1982, on peut constater qu'il y a eu une bonne maîtrise des dépenses locales.
Il faut signaler que les collectivités locales dégagent des capacités de financement, qu'elles réduisent leur endettement. De nombreuses régions et un certain nombre de départements ont réduit leurs taux d'impôts directs.
Rechercher l'efficience
Le rapport de la Cour des comptes sur la fonction publique de l'Etat en 1999 a prouvé que le système d'organisation actuelle était source de gaspillage et d'inégalités. Est-il admissible que l'Etat soit incapable d'établir un bilan et de connaître la répartition des fonctionnaires ?
L'Etat, premier employeur européen, même avec l'appui des moyens informatiques puissants, n'arrive pas à gérer son personnel. L'allégement des structures permettrait d'améliorer les services offerts et de réaliser d'importantes économies budgétaires.
La meilleure réponse au dernier rapport de la Cour des comptes passe par la décentralisation et par l'augmentation des moyens de contrôle.
Au temps de l'économie mondiale, il faut des structures souples et auprès des citoyens. Dans une économie qui repose sur le juste-à-temps et sur une production de biens et de services personnalisés, les pays centralisés sont pénalisés.
Les choix de localisation des activités économiques dépendent du niveau de formation des salariés, des conditions de vie et de l'efficacité des administrations. La lourdeur des administrations centrales et leur incapacité de mettre en _uvre rapidement des décisions constituent des entraves à l'implantation d'entreprises sur notre territoire. Il faut, de plus, rappeler que ce sont les Etats centralisés qui enregistrent les niveaux de prélèvements obligatoires les plus élevés.
Ce sont les petits Etats comme l'Irlande ou l'Espagne, dont le pouvoir central a accordé une large autonomie aux régions, qui enregistrent les plus forts taux de croissance.
Un impératif européen
La France ne peut pas, une fois de plus, rester une exception en conservant des collectivités à compétences étriquées et à structures complexes. Le choix d'implantation des entreprises dépend du niveau de formation, de la qualité de vie, du coût du travail mais de plus en plus de l'efficacité de l'administration.
Un certain nombre de compétences actuellement dévolues à l'Etat pourrait être exercé plus efficacement et économiquement par les régions. Ces transferts doivent être effectués par blocs afin d'éviter la création d'un mille-feuille déresponsabilisant et inefficace.
Il ne s'agit pas de déshabiller l'Etat, de l'affaiblir, il s'agit au contraire de le renforcer. Il ne s'agit pas de cantonner l'Etat dans ses fonctions régaliennes du xxie siècle, car cela n'aurait aucun sens. Les attentes des Français ont changé et les moyens d'intervention publique aussi. Le principe de base est le principe de subsidiarité. Tout ce qui peut être fait de la manière la plus efficiente à un niveau le plus proche du citoyen doit l'être.
Ces transferts des compétences pourraient être les suivants: transport, culture, environnement, sport, tourisme, logement, la politique de l'emploi.
Ces transferts ne feraient que traduire en actes la pétition de principe mentionnée à l'article L.4221-1 du code des collectivités locales qui mentionne « le conseil régional a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région ».
Les services de l'Etat concernant la mise en _uvre de ces compétences devraient être transférés aux collectivités territoriales pour éviter la création de doublons administratifs générateurs de surcoûts.
La compensation financière devrait prendre la forme d'un transfert d'un impôt simple comme la TIPP avec des mécanismes correcteurs pour éviter une trop forte inégalité entre les régions.
La politique touristique
Il n'y a pas lieu de maintenir un ministère du Tourisme. Les normes nationales sont fixées par Bruxelles. Dans ces conditions, il suffirait d'une agence de promotion du patrimoine culturel et touristique de la France. Les régions en relation avec les communes devraient recevoir les compétences détenues par l'Etat.
La politique culturelle
Si l'on excepte les grandes opérations culturelles d'envergure nationale, la grande majorité des manifestations et des actions réalisées par le ministère de la Culture pourrait l'être plus simplement par des services régionaux. Il y a bien souvent redondance entre les services de l'Etat et les services des collectivités locales. Une décentralisation des actions culturelles éviterait une centralisation sur Paris de la vie culturelle et permettrait une meilleure diffusion de la culture.
L'Etat devrait simplement appuyer des actions locales alors qu'actuellement les collectivités locales aident l'Etat à financer des actions culturelles nationales.
Les établissements dépendants actuellement du ministère de la Culture (musées, écoles, etc.) pourraient être transférés aux régions en fonction d'un calendrier défini après concertation avec les élus locaux. L'Etat pourrait conserver certains établissements à rayonnement national et international.
La politique de l'environnement
La protection de la nature, la lutte contre les pollutions, pour être efficaces, doivent s'effectuer au plus près. La collectivité territoriale est certainement la plus appropriée pour mener à bien la politique de l'environnement.
Actuellement le Gouvernement crée une véritable administration de l'environnement avec des échelons locaux tout en détournant l'écotaxe de son objet pour l'affecter au financement des 35 heures.
L'équipement et les transports
La région devrait devenir le pivot pour l'organisation des transports. A cette fin, les routes nationales pourraient être transférées aux régions. Les services de l'équipement seraient alors transférés aux régions. L'Etat ne conserverait que les services nécessaires pour assurer une coordination au niveau national et un service de prospective. Les communes, groupements et départements contractualiseraient pour les voies communales et pour les routes départementales avec les services des régions.
La politique du logement
Les lois de décentralisation du début des années 80 ont organisé le transfert des compétences relatives à l'urbanisme tout en laissant à l'Etat ses compétences en matière de logement. Les politiques nationales en faveur du logement mises en _uvre ces dernières années ont été vouées à l'échec si l'on excepte quelques mesures fiscales. De ce fait, il conviendrait, par cohérence, de regrouper les compétences liées aux politiques de l'urbanisme et du logement au niveau local.
La politique de l'emploi
Les régions ont reçu en 1982 une compétence économique qu'elles ne peuvent mettre en valeur du fait du maintien sous contrôle de l'Etat des instruments d'intervention. Ainsi, il ne peut y avoir de développement économique sans développement de l'emploi. Or, depuis vingt ans, on n'a pu que constater l'échec répété des politiques nationales de l'emploi et l'échec des politiques nationales d'insertion ou de lutte contre l'exclusion. La situation de l'emploi n'est pas uniforme ; le chômage varie entre les différentes régions du simple au double. Dans ces conditions, il ne serait pas illogique de régionaliser la politique de l'emploi en remplaçant les ANPE par des agences régionales de l'emploi et en simplifiant les structures de formation (AFPA).
Une autonomie fiscale accrue pour des prélèvements allégés
Les transferts de compétences et de service doivent s'accompagner de transferts de recettes fiscales. Il convient de transférer non pas des recettes de poche mais des recettes qui peuvent s'adapter à la montée en puissance des compétences. Ainsi, la région qui est appelé à recevoir un grand nombre de compétences pourrait recevoir une partie de la TIPP dont le produit est localisable. Un fonds de solidarité serait institué afin d'aider les collectivités les moins riches.
La taxe générale sur les activités polluantes actuellement au financement exclusif des 35 heures devrait retrouver sa vocation initiale : le financement des opérations de protection de l'environnement. A ce titre, elle devrait être affectée aux régions et être budgétairement clairement identifiée.
Clarification fiscale des responsabilités
Actuellement, les contribuables locaux identifient mal les responsables de la dépense locale. Une action de clarification apparaît nécessaire. En ce qui concerne les impôts locaux, il y a l'option de la spécialisation des impôts par catégorie de collectivités locales, qui est dangereuse compte tenu du caractère cyclique de certains impôts, ou le maintien du mille-feuille avec simplement une individualisation des feuilles d'impôt par catégorie de collectivités locales.
Il y aurait trois feuilles d'impôts qui seraient adressées aux contribuables : une pour les communes et groupements de communes, une pour les départements et une pour les régions. Ces feuilles regrouperaient les parts respectives des quatre impôts directs locaux.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande de bien vouloir adopter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
TITRE Ier
POUR UNE POLITIQUE RÉGIONALE DU LOGEMENT
Article 1er

La région assure, à titre principal, la responsabilité de la conduite de la politique du logement.
L'Etat demeure compétent en ce qui concerne les actions relevant de la solidarité nationale. La liste de ces actions est fixée par décret en Conseil d'Etat.

Article 2

Le conseil régional établit un schéma triennal de l'habitat. Ce schéma est élaboré en coordination avec les conseils généraux et les communes de la région. Ce schéma doit avoir pour objectif le développement harmonieux du logement social et du logement privé. Ce schéma devra préciser les moyens qu'entend mettre en _uvre la région et les autres collectivités aux actions concernant la politique du logement.

Article 3

Dans un délai d'un an après la promulgation de la présente loi, la région est responsable de l'attribution des aides et allocations logement.

TITRE II
POUR UNE POLITIQUE RÉGIONALE
DE L'ENVIRONNEMENT

Article 4

La région assure, à titre principal, la mise en _uvre des actions de protection de l'environnement et de lutte contre la pollution.
L'Etat demeure compétent en ce qui concerne les actions qui relèvent de la solidarité nationale et qui ne peuvent pas être rattachées à une région déterminée. La liste de ces actions est fixée par décret en Conseil d'Etat.
Les communes et les départements peuvent signer des conventions avec la région pour la mise en _uvre d'actions de protection de l'environnement et de lutte contre la pollution.

Article 5

Les services déconcentrés de l'Etat en charge de la protection de l'environnement sont transférés à la région.
Les personnels de l'Etat transférés aux régions dans le cadre de la présente loi bénéficient d'un droit d'option vers la fonction publique territoriale.
Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application de ce transfert.

TITRE III
POUR UN DOMAINE PUBLIC ROUTIER RÉGIONAL
Article 6

Il est créé un domaine public routier régional.
Les voies du domaine public routier régional sont :
- les routes régionales ;
- les autoroutes régionales.

Article 7

La constitution du domaine routier régional est réalisée par :
- classement des voies autoroutières existantes ;
- transfert des routes nationales ;
- création de nouvelles voies routières.
Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités de transfert des routes nationales dans le domaine public routier régional.
Le classement des voies autoroutières est effectué par décret en Conseil d'Etat après avis des conseils régionaux concernés.

Article 8

Le président du conseil régional gère le domaine public routier régional dans les mêmes conditions que celles prévues par le code de la voirie routière pour le président du conseil général s'agissant de la voirie départementale.
A ce titre, il exerce les pouvoirs de police afférents à cette gestion.

Article 9

Les services déconcentrés du ministère de l'Equipement affectés à l'entretien, à l'exploitation des routes sont transférés aux conseils régionaux dans un délai d'un an après l'entrée en vigueur de la présente loi.
Les personnels de l'Etat transférés aux régions, dans le cadre de la présente loi, bénéficient d'un droit d'option vers la fonction publique territoriale.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application de ce transfert.

Article 10

La région peut, dans les mêmes conditions prévues aux articles L. 122-4 et L. 153-1 du code de la voirie routière, recourir au régime de la concession en matière de construction et d'exploitation d'une autoroute et de ses installations annexes et de réalisation d'ouvrage d'art à comprendre dans la voirie régionale.

Article 11

Pour l'entretien et l'exploitation de leur domaine public routier respectif, les communes et les départements peuvent conclure avec la région une convention renouvelable tous les trois ans fixant :
- le volume des prestations à réaliser, les garanties d'exécution et les délais ;
- Les conditions dans lesquelles les régions peuvent prêter leur concours aux communes et aux départements.

TITRE IV
POUR UNE POLITIQUE RÉGIONALE DE LA CULTURE
Article 12

La région a, à titre principal, la responsabilité de la mise en _uvre de la politique de la culture.
Elle exerce cette compétence en coordination avec les actions menées par les communes et les départements.
L'Etat demeure compétent en ce qui concerne les actions à caractère national et qui ne peuvent pas être rattachées à une région déterminée. La liste de ces actions est fixée par décret en Conseil d'Etat.

Article 13

Les services de l'Etat en charge des actions culturelles sont transférés à la région.
Les personnels de l'Etat transférés aux régions dans le cadre de la présente loi bénéficient d'un droit d'option vers la fonction publique territoriale.
Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application de ce transfert.

Article 14

Le transfert des établissements dépendants du ministère de la Culture est réalisé par décret en Conseil d'Etat après avis du conseil régional concerné.

TITRE V
POUR UNE POLITIQUE RÉGIONALE DE L'EMPLOI
Article 15

Il est créé dans chaque région une agence régionale pour l'emploi qui assure les missions suivantes :
- inscrire les personnes à la recherche d'un emploi sur la liste des demandeurs d'emploi dans les conditions prévues à l'article L. 311-5 du code du travail ;
- aider les personnes à la recherche d'un emploi;
- effectuer leur placement ;
- veiller à leur formation ;
- verser les allocations auxquelles elles ont droit ;
- recueillir les offres d'emploi ;
- conseiller les employeurs dans la gestion de l'emploi.

Article 16

Chaque agence régionale pour l'emploi est un établissement public placé sous l'autorité du conseil régional. Elle est dotée de l'autonomie financière et de la personnalité civile.

Article 17

Chaque agence régionale est administrée par un conseil d'administration et dirigée par un directeur.
Le conseil d'administration comprend :
- le préfet de région ;
- le recteur de l'Académie ;
- le directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ;
- quatre membres désignés par le conseil régional, dont le président du conseil régional ;
- six membres représentant à parité les employeurs et les salariés.
Hormis les membres de droit, les membres du conseil d'administration sont nommés pour une durée de cinq ans.
Le conseil d'administration désigne son président en son sein.

Article 18

Le conseil d'administration de chaque agence régionale pour l'emploi détermine, dans le cadre de la politique de l'emploi du Gouvernement et dans le cadre des orientations déterminées par la région, les lignes générales de l'action à mener en tenant compte de l'évolution du marché du travail, des besoins des employeurs et des demandeurs d'emploi dans la région.
Il établit chaque année un rapport sur la situation de l'emploi dans la région et sur l'activité de l'agence régionale.
Il se réunit au moins quatre fois par an.

Article 19

Le directeur de chaque agence régionale pour l'emploi est nommé par le conseil d'administration, qui met fin à ses fonctions.
Le directeur est chargé d'appliquer la politique définie par le conseil d'administration.

Article 20

Les collectivités territoriales situées dans la région peuvent passer des conventions avec l'agence régionale pour l'emploi, notamment en vue d'effectuer toute opération de placement et d'insertion professionnelle et sociale en faveur de leurs administrés à la recherche d'un emploi.

Article 21

Chaque agence régionale établit une convention avec l'Agence pour la formation professionnelle des adultes, d'une durée de trois ans, précisant les objectifs à atteindre en matière d'insertion, de formation et de reclassement, au niveau régional.

Article 22

Il est créé un Centre national de gestion des agences régionales pour l'emploi qui assure au profit des agences régionales les missions suivantes :
a) La centralisation des statistiques recueillies par les agences régionales pour l'emploi ;
b) La perception des cotisations chômage employeurs et salariés ;
c) La répartition des ressources mentionnées à l'alinéa précédent ainsi que celles liées aux subventions versées chaque année par l'Etat.
Le Centre national de gestion des agences régionales pour l'emploi assure également un rôle de coordination de l'ensemble des actions prévues par chacune des agences régionales.

Article 23

Le Centre national de gestion des agences régionales pour l'emploi est un établissement public de l'Etat administré par un conseil d'administration et dirigé par un directeur général.
Le conseil d'administration comprend :
- le ministre chargé de l'Emploi ;
- le ministre chargé des Affaires sociales ;
- les présidents des agences régionales pour l'emploi ;
- six membres désignés respectivement par la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat ;
- dix représentants à parité des salariés et des employeurs.
Le conseil d'administration, qui se réunit au moins une fois par an, est présidé par le ministre chargé de l'Emploi.
Le Centre national de gestion établit un rapport annuel sur son activité et sur la situation de l'emploi en France.

Article 24

Le directeur général du Centre national de gestion est nommé par décret en Conseil des ministres. Il est chargé d'appliquer la politique définie par le conseil d'administration.

Article 25

Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, une loi déterminera les modalités d'intégration des personnels de l'ANPE et de l'UNEDIC dans le Centre national de gestion et les agences régionales pour l'emploi.

Article 26

Les articles L. 311-1, L. 311-2, L. 311-4, L. 311-7, L. 311-8, L. 311-9, L. 311-10, L. 311-11, L. 351-21 et L. 351-22 du code du travail sont abrogés à compter de la création des agences régionales pour l'emploi.

TITRE VI
DISPOSITIONS FINANCIÈRES
Article 27

Les transferts de compétences prévus par la présente loi s'accompagnent au profit des collectivités territoriales de transferts de ressources de la part de l'Etat.
Le comité des finances locales est consulté sur les projets de transferts de ressources.

Article 28

La taxe intérieure sur les produits pétroliers est transférée aux régions à compter de la réalisation des transferts de compétences prévus par la présente loi.
Le tarif de la TIPP est fixé chaque année par la loi de finances. Le conseil régional, après délibération, peut modifier le tarif de la taxe intérieure sur chacun des produits pétroliers dans la limite de 10 %.

Article 29

Un fonds d'équilibre régional est alimenté par un prélèvement sur les recettes de la TIPP perçues par les régions.
Ce prélèvement sur recettes fiscales est supporté par les régions dont le potentiel fiscal direct par habitant est supérieur au potentiel direct moyen par habitant de l'ensemble des régions.
Lorsque le potentiel fiscal est supérieur de 5 % au potentiel moyen, le prélèvement sur les recettes de TIPP est fixé à 3 % ;
Lorsque le potentiel fiscal par habitant d'une région est supérieur de 5 % et de moins de 10 % au potentiel fiscal moyen, le prélèvement est fixé à 5 %.
Lorsque le potentiel fiscal par habitant d'une région est supérieur de 20 % au potentiel moyen, le prélèvement est fixé à 7 %.
Les ressources du fonds sont réparties entre les régions dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur de 10 % du potentiel de l'ensemble des régions.
La répartition est effectuée par décret sur avis conforme du comité des finances locales.

Article 30

Après l'article 266 duodecies du code des douanes, il est inséré un article 266 terdecies ainsi rédigé :
« Art. 266 terdecies. - La taxe générale sur les activités polluantes prévue aux articles 266 sexies à 266 duodecies du code des douanes est perçue à compter du 1er janvier 2000 au profit des régions.
« La taxe générale sur les activités polluantes est établie dans chaque région où le redevable dispose d'installations visées par les articles précédents.
« Le montant de la taxe générale sur les activités polluantes est fixé chaque année par les conseils régionaux. A défaut de délibération, le montant de la taxe est celui prévu à l'article 266 nonies du code des douanes. »

Article 31

L'émission des rôles des impôts directs locaux s'effectue pour l'année civile suivant la promulgation de la présente loi par catégorie de collectivités locales. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application de cet article.

Article 32

Il est institué une commission de réforme des finances locales composée de membres de l'Assemblée nationale et du Sénat, de maires, de présidents de conseil général et de président de conseil régional et des ministres intéressés. Cette commission a pour objectif d'établir un projet de réforme visant à garantir l'autonomie fiscale des collectivités locales, à simplifier les impôts locaux et à améliorer la transparence fiscale.

Article 33

La perte de recettes et les charges pour l'Etat sont compensées, à due concurrence, par la création de taxes additionnelles aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
N°3231-Proposition de loi de M.Dhersin visant à accroître les libertés des collectivités territoriales.(commission des lois)


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