No 3245
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juillet 2001.
PROPOSITION DE LOI
relative à la transparence du fonctionnement des pouvoirs publics
et portant
suppression des fonds spéciaux.
(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Jean-Louis DEBRÉ, Philippe DOUSTE-BLAZY
et Jean-François MATTEI,
Députés.

Finances publiques.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
C'est au début de la IVe République, par une loi du 27 avril 1946, qu'a été opéré le regroupement sur le budget du Premier ministre des fonds secrets jusqu'alors dispersés entre différents ministères. Depuis cette date, aucune réforme n'est venue modifier le régime des fonds spéciaux : s'ils sont votés par le Parlement, leur affectation relève discrétionnairement du Premier ministre sans aucun contrôle, ni de la Cour des comptes, ni du Parlement.
Depuis quelques années, le Gouvernement propose au Parlement de voter des fonds spéciaux en apparence stables à 393,8 millions de francs. Toutefois, le Sénat, dans son rapport pour la loi de finances 2001 a montré que les fonds secrets étaient largement sous-évalués car ils sont alimentés en cours d'année par un versement en provenance du crédit global pour « dépenses accidentelles ». Ce versement est opéré par décret non publié au Journal officiel. Il a permis par exemple, pour ne prendre que des années récentes, de porter le montant total des fonds spéciaux à 509 millions de francs, en 1997, 454 millions de francs en 1998 et 473 millions de francs en 1999. On constate ici l'opacité du système, les ruses budgétaires auxquelles un gouvernement peut avoir recours, et l'absence de contrôle réel du Parlement sur ces dépenses, ne serait-ce que sur l'enveloppe globale qui leur est attribuée.
L'utilisation des fonds spéciaux est en outre totalement dérogatoire aux règles de la comptabilité publique. Les crédits sont placés sous l'autorité exclusive du Premier ministre. Le principe de la séparation entre l'ordonnateur et le comptable ne leur est pas applicable. Ils donnent lieu à d'importants versements en espèces. Le versement des crédits aux différents ministères se fait sans l'intervention d'un comptable public.
Enfin, les fonds secrets échappent au contrôle juridictionnel de la Cour des comptes. La loi de 1946 a créé une procédure particulière d'apurement des dépenses dans laquelle la Cour des comptes n'intervient pas. Il s'agit d'un décret de «quitus» établi chaque année au 31 décembre pour chacun des ministres attributaires.
S'agissant de la part des fonds spéciaux alloués aux dépenses des services de renseignement, notamment celle de la DGSE (environ 50 %), un contrôle a été institué en 1947. Ce contrôle doit être modernisé afin de rendre l'utilisation de ces crédits plus démocratique et plus transparente tout en respectant les exigences de secret de la défense nationale.
En revanche, un Etat moderne ne peut plus permettre l'utilisation discrétionnaire par le Premier ministre de fonds secrets et le maniement en espèces de sommes importantes. Des règles de transparence et de contrôle doivent être posées, en tenant compte bien sûr, des exigences particulières liées à la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat.
Outre que cette circulation d'espèces ne respecte pas les règles applicables aux rémunérations publiques, le soupçon pèse en effet légitimement sur les dépenses que les fonds secrets permettent de financer. Ceux-ci ne devraient plus en aucun cas être employés à des financements politiques.
La loi de 1995 qui fixe les conditions de financement public des partis interdit tout supplément venant de l'Etat. Il semble cependant que dans les conditions actuelles d'utilisation des fonds spéciaux, ces pratiques peuvent se poursuivre, qu'il s'agisse de prendre en charge les dépenses matérielles du congrès d'un parti ou de subventionner des partis et des groupements politiques de la majorité.
Par ailleurs, l'Etat doit trouver les moyens de rémunérer dans des conditions de totale transparence et de droit commun les sujétions particulières auxquelles sont soumis les ministres, leurs collaborateurs directs et les personnels rattachés aux cabinets ministériels. Ces dépenses doivent être prises en charge par les chapitres budgétaires normaux.
C'est pourquoi, nous proposons de supprimer les fonds spéciaux à la seule exception des crédits pour dépenses extraordinaires nécessaires à la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat, qui par ailleurs seront mieux encadrés et mieux contrôlés.
Le Premier ministre sera responsable devant le Parlement de l'usage de ces fonds. Nous proposons que des représentants du Parlement soient associés à la Commission spéciale de vérification des dépenses relatives à la sécurité intérieure et extérieure de qui contrôlera le bon usage des fonds, remettra un rapport annuel au Premier ministre, et transmettra à la Cour des comptes un procès verbal approuvant l'emploi des crédits.
Nous proposons enfin que soit réaffirmée la stricte interdiction de faire usage de ces crédits pour des financements politiques, sous peine des sanctions pénales que prévoit la loi du 11 mars 1988 modifiée relative au financement de la vie politique.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi.
Mais il est urgent d'agir et de prendre des mesures immédiates pour contrôler dès aujourd'hui l'usage réel des fonds spéciaux.
En effet, pour la campagne électorale de 2002, la transparence financière doit être totale. Aucun candidat ne doit pouvoir être avantagé financièrement par des ressources occultes. La loi de 1995 prévoit un plafonnement des dépenses des candidats à 90 millions de francs pour le premier tour, et 30 de plus pour le second. Aucun candidat ne doit avoir à sa disposition des fonds lui permettant d'augmenter ces montants, ou de soutenir discrètement d'autres candidatures. Aucun candidat ne doit disposer de dizaines de millions de francs de plus que les autres, en liquide, en dehors de tout contrôle.
Aucune place ne doit être laissée au soupçon. Des garanties de totale transparence peuvent et doivent être données sans délai. Il appartient au Premier ministre de prendre immédiatement par décret des dispositions de contrôle très strictes. L'intérêt général et le bon fonctionnement de notre démocratie l'exigent.
C'est pourquoi, sans attendre l'adoption de notre proposition de loi, nous demandons le gel immédiat des fonds spéciaux accordés au Premier ministre au titre de la loi de finances pour 2001 pour la partie qui ne peut être justifiée, d'une part, par des opérations relevant de la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat et, d'autre part, à titre transitoire dans l'attente du vote de cette proposition de loi et de la loi de finances initiale pour 2002, par des dépenses de personnel ou par des dépenses de fonctionnement ordinaire dûment justifiées et versées par chèque ou par virement bancaires.
Pour les cinq mois restant à courir au titre de l'exercice 2001, le montant des crédits susceptibles d'être dépensés hors gel sera calculé au prorata des dépenses mensuelles habituellement consenties à ce double titre.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Les fonds spéciaux autres que ceux visés à l'article 2 sont supprimés.

Article 2

Les dépenses extraordinaires nécessaires à la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat sont votées et contrôlées par le Parlement. Cette dotation peut être modifiée en cours d'année selon les règles de droit commun. Toute modification de la dotation en cours d'année fait l'objet d'un décret publié au Journal officiel.

Article 3

Les crédits prévus à l'article 2 sont inscrits au chapitre 37-91 du budget de l'Etat. Ils sont votés selon les règles de droit commun.

Article 4

Le Premier ministre est responsable de l'emploi de ces crédits. Les ministres compétents sont responsables devant le Premier ministre des sommes mises par ce dernier à leur disposition. Ces crédits ne peuvent être ordonnancés à l'avance que pour une période de trois mois maximum.

Article 5

Il est créé une commission spéciale de vérification des dépenses relatives à la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat qui remet chaque année au Premier ministre un rapport sur les conditions d'emploi de ces crédits et transmet à la Cour des comptes un procès verbal se prononçant sur la régularité de l'usage de ces fonds. Deux parlementaires désignés respectivement par le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat y siègent. Ils sont soumis au secret, dans l'exercice de cette mission, comme ses autres membres. Cette commission est présidée par le Premier président de la Cour des comptes et comprend également un conseiller d'Etat et un conseiller à la Cour de cassation. Elle peut entendre les représentants du Gouvernement.

Article 6

Toute dépense concourant au financement des campagnes électorales ainsi qu'au financement des partis politiques ou de leurs congrès ou à tout autre objet étranger à la finalité des crédits affectés aux dépenses de sécurité intérieure et extérieure de l'Etat par ces crédits est interdite.
Ceux qui auront versé ou accepté des versements en violation des dispositions de l'alinéa précédent seront punis d'une amende de 360 F à 15000 F et d'un emprisonnement d'un mois à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement.

Article 7

Aucune dépense de personnel ou de fonctionnement ne peut être prise en charge sur les crédits affectés aux dépenses de sécurité intérieure et extérieure de l'Etat en dehors de celles qu'implique la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat.

Article 8

L'article 42 de la loi du 27 avril 1946 portant ouvertures et annulations de crédits sur l'exercice 1946 et le décret n° 47-2234 du 19 novembre 1947 sont abrogés.

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N° 3245.- Proposition de loi de MM. Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et Jean-François Mattei, relative à la transparence du fonctionnement des pouvoirs publics
et portant suppression des fonds spéciaux.


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