N° 3268
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 septembre 2001.
PROPOSITION DE LOI
visant à garantir l'égale dignité de toute vie humaine.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration général de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée
par MM. Georges SARRE et Jean-Pierre CHEVÈNEMENT,
Députés.

Droit civil.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 novembre 2000, dit « arrêt Perruche », a provoqué l'inquiétude, parfois l'indignation, tant des juristes, des médecins que de l'ensemble des Français. Pour la première fois, des juges ont reconnu à un plaignant le droit d'être indemnisé pour le seul fait d'être né handicapé. En effet, Nicolas Perruche, né lourdement handicapé à la suite d'une rubéole contractée par sa mère pendant sa grossesse, et qui n'avait pas été détectée par les médecins, demandait, par l'intermédiaire de ses parents, réparation non pas seulement pour le préjudice subi par la mère, mais pour celui subi par l'enfant. La Cour de cassation a estimé qu'il pouvait être indemnisé du fait de l'erreur médicale qui a empêché sa mère d'avorter. Cette décision très controversée a fait l'objet d'un avis du Comité consultatif national d'éthique, rendu le 29 mai 2001, qui a très clairement dénoncé les graves risques de rejet des handicapés que comportait l'arrêt de la Cour de cassation. La Cour a cependant confirmé que le droit positif actuel conduisait à réaffirmer cette position. Par un nouvel arrêt du 13 juillet 2001 concernant trois cas proches de celui de Nicolas Perruche, elle a précisé que l'enfant peut être indemnisé s'il prouve un lien de causalité entre le préjudice et les fautes commises par le médecin, qui auraient empêché sa mère de décider d'une IVG.
Il n'est pas question ici de contester l'autorité de la chose jugée, mais de constater la nécessité, pour la représentation nationale, de mener une réflexion sur une question lourde de conséquences éthiques.
A l'occasion de l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, avait été rejeté un amendement adopté par le Sénat sur ce sujet, au motif qu'il était «nécessaire de ne pas légiférer dans la précipitation sur une question aussi délicate». Mais il semble que la seconde décision de la Cour de cassation soit un appel au législateur pour qu'il prenne enfin ses responsabilités. Il est du devoir des représentants du peuple de prendre position sur une question aussi cruciale.
Conséquences de la reconnaissance d'un « droit à ne pas naître »
La décision de la Cour de cassation peut s'expliquer par un souci d'équité, pour pallier les carences de l'Etat en matière d'aide aux personnes handicapées. Les conséquences en sont multiples : remise en cause de l'égale dignité de toute vie humaine, atteinte au principe d'égalité entre les personnes, puisqu'on admet que la vie d'un handicapé vaut moins que celle de tout autre être humain. Enfin, abandon de la solidarité qui était à la base de notre organisation sociale, puisqu'on préfère indemniser une personne handicapée, dans l'idée que sa naissance est un préjudice, plutôt que de lui donner les moyens de vivre dignement.
Décider qu'il eût mieux valu pour un enfant qu'il ne naquît pas, c'est établir une hiérarchie entre les vies humaines, qui peut cautionner les pires dérives, et c'est revenir sur un des principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Cette idée ne remet pas en cause le droit de la mère à choisir d'avorter plutôt que de voir naître son enfant lourdement handicapé, mais elle considère que la naissance d'un être humain est un fait absolu sur lequel nul ne peut revenir pour en contester la légitimité.
En effet, les vies qui sont ainsi contestées sont toujours celles qui diffèrent d'une certaine norme sociale. Mais comment fixer un degré dans la différence, une limite au-delà de laquelle la vie ne vaut pas d'être vécue? Une telle quantification est non seulement impossible, mais également extrêmement dangereuse. Elle établit un critère du «droit de vivre», sous couvert d'un prétendu « droit à ne pas naître ».
De plus, la reconnaissance de ce «droit à ne pas naître» constitue pour les médecins et pour les parents une incitation a interrompre la grossesse au moindre doute, en faisant peser sur eux l'éventualité d'une action en justice menée par l'enfant à venir, au nom même de ce droit. Les parents qui choisiront d'accepter leur enfant tel qu'il est, malgré les difficultés tant matérielles que morales, prendront le risque d'être taxés d'irresponsabilité non seulement par le reste de la société, mais même par leur propre enfant.
La décision de la Cour de cassation signifie donc que la société choisit l'élimination de certains êtres avant même leur naissance, plutôt que la recherche de solutions d'accueil et de soins. L'avis du Comité consultatif national d'éthique a souligné ce point, en rappelant les carences graves dans le domaine de l'insertion scolaire et professionnelle des personnes handicapées. L'Etat doit prendre en charge ses citoyens les plus faibles, et leur garantir les moyens de vivre dignement.
Parce que les handicapés doivent être accueillis dans notre société, parce que toute vie humaine a droit à une égale dignité, je vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, d'adopter la proposition suivante.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

L'article 16 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du fait d'être né ».
3268. - Proposition de loi de M. Georges Sarre visant à garantir l'égale dignité de toute vie humaine (commission des lois) -droit civil-


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