N° 3285
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 septembre 2001.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à la création d'une commission d'enquête relative à l'accident intervenu le 21 septembre 2001 à l'usine AZF de Toulouse, sur la situation des usines classées à risque majeur et sur l'application sur le territoire nationale de la directive européenne Seveso.

(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. NoËl MAMÈRE, Mme Marie-HélÈne AUBERT, MM. André ASCHIERI et Jean-Michel MARCHAND,
Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
La catastrophe intervenue le vendredi 21 septembre 2001 à l'usine pétrochimique AZF de la société Grande Paroisse (division chimique Atofina du groupe TotalFinaElf), à Toulouse, constitue l'accident chimique le plus meurtrier de ces quinze dernières années sur le territoire national. Il a entraîné la mort d'au moins 29 personnes. 1170 blessés, dont 34 dans un état très grave, ont été hospitalisés. La ville de Toulouse et sa périphérie, jusqu'à trente kilomètres à la ronde, ont été touchées par la déflagration qui a fortement dégradé tout le quartier sud de la ville : 500 logements, dont 400 HLM, sont inhabitables, 69 écoles et 18 collèges endommagés. Deux grandes surfaces se sont écroulées sur leurs clients, deux lycées, un collège, un CFA et un hôpital ont été détruits. 2500 personnes n'ont plus de logements. Les dégâts affectant les biens et les personnes vont se chiffrer en centaines de millions de francs. La secousse provoquée par l'explosion est équivalente à un séisme de magnitude 3,2 sur l'échelle de Richter.
L'usine, vieille de quatre-vingts ans, fabriquait des engrais de type ammonitrates à partir d'acides nitriques. Elle abritait, selon le ministère de l'Environnement, jusqu'à 6300 tonnes d'ammoniac liquéfié, 100 tonnes de chlore liquéfié, 1500 tonnes de comburants, 6000 tonnes d'ammonium solide, 30000 tonnes d'engrais solides et 2500 tonnes de méthanol. Du fait de sa dangerosité cette usine dépendait de la réglementation des installations classées telle que définie par la directive européenne Seveso n° 82/501/CEE du 24 juin 1982 révisée n° 88/610/CEE. Les objectifs de cette directive s'inscrivent dans la maîtrise des dangers présentée par l'utilisation de certaines substances chimiques en fonction des quantités employées. Elle a été enrichie par la directive Seveso II n° 96/82/CEE demandant, notamment, une plus grande prise en considération des politiques du risque par l'entreprise. La nouvelle directive Seveso 2 a renforcé la notion de prévention des accidents technologiques majeurs en imposant, notamment à l'exploitant, la mise en _uvre d'un système de gestion et d'une organisation (ou système de gestion de la sécurité) proportionnés aux risques inhérents aux installations. Sa mise en application est l'une des priorités importantes de l'inspection des installations classées, mise en _uvre depuis 1976 sous l'autorité des préfets.
Préalablement à l'ouverture d'une installation de ce type, une étude extensive des dangers et des mesures de prévention susceptibles d'être prises doit être présentée. Un gel des implantations d'habitations autour du site peut être imposé. L'industriel doit présenter également des plans de secours précisant notamment les responsabilités respectives de l'industriel et de l'administration en cas d'accident. Une information préventive des populations est requise. L'étude des dangers doit notamment analyser les accidents possibles, modéliser leurs conséquences (dispersion, incendie, explosion) et recenser les moyens de secours privés disponibles. Les éléments indispensables aux services publics pour l'élaboration d'un plan d'intervention à l'extérieur doivent y figurer.
La directive Seveso a imposé aux Etats membres l'information des populations sur les risques qu'elles encouraient.
Plusieurs questions se posent à propos de la catastrophe de Toulouse :
Pourquoi, alors qu'en 1998 le site de Grande Paroisse avait connu une fuite d'ammoniac, rien n'a été fait par l'entreprise et par les pouvoirs publics pour appliquer la réglementation? Pourquoi la préfecture a-t-elle systématiquement ignoré les demandes des associations de riverains?
Pourquoi la direction de l'entreprise n'a-t-elle pas tenu compte de l'avertissement du comité hygiène et sécurité de l'établissement et des organisations syndicales qui lui avaient fait part des difficultés à assurer une sécurité maximale des personnels et des populations environnantes dues notamment à un sous-effectif et à une formation insuffisante de la main d'_uvre employée par des entreprises sous-traitantes?
Pourquoi les pouvoirs publics se sont-ils opposés aux exercices d'alerte pour la population prévus par la réglementation en vigueur?
Pourquoi, malgré les incidents de 1986 et de 1998, les pouvoirs publics ont-ils continué à développer l'urbanisation en distribuant des permis de construire et en permettant le développement d'infrastructures routières et en diligentant une enquête, il y a trois ans, visant à agrandir la zone industrielle?
Pourquoi, malgré la demande réitérée des associations de riverains, aucune étude de danger n'a-t-elle été réalisée pour savoir s'il était judicieux de maintenir une installation à risque majeur en dessous de la trajectoire des avions atterrissant à l'aéroport de Toulouse-Blagnac?
La directive Seveso a-t-elle été appliquée par l'entreprise et les pouvoirs publics dans l'ensemble de ses dispositions?
Pourquoi, malgré les mises en garde de la Commission européenne qui se sont traduites par une plainte contre la France devant la Cour de justice européenne en juin dernier, la France n'a-t-elle pas jugé utile de transposer intégralement dans son droit certaines dispositions de la directive Seveso de 1996?
Sur 1249 sites, 680 entreprises à haut risque sont actuellement classées Seveso. La représentation nationale doit s'interroger sur la conformité des installations à la réglementation en vigueur, leur mise aux normes le cas échéant, l'arrêt de toute installation dont la dangerosité serait avérée à l'issue de ces contrôles ainsi que sur le renforcement du dispositif de surveillance de ces installations classées et l'augmentation du nombre d'inspecteurs des installations classées, chargés de l'application réelle de la réglementation. Il s'agit d'étudier les principales concentrations d'installations Seveso et envisager des délocalisations d'usines ou une remise en cause des plans d'occupation des sols. La commission d'enquête devra également faire le point sur l'application des normes de sécurité environnementales (ISO, EMAS) dans les entreprises dépendant de la directive Seveso.
L'explosion de l'usine chimique AZF de Toulouse n'est pas un accident. Cet acte, qui relève de la délinquance écologique, aurait pu être évité si les élus, les pouvoirs publics et la direction du Groupe TotalFinaElf avaient écouté et répondu en temps utile aux demandes des associations de riverains, de consommateurs et aux demandes d'écologistes qui mettaient en cause depuis de nombreuses années ce qu'elles qualifiaient de «bombe chimique potentielle».
Il est donc maintenant nécessaire de faire un bilan de l'application de la directive Seveso. Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d'enquête parlementaire de trente membres relative à l'accident intervenu le vendredi 21 septembre 2001 à l'usine AZF de Toulouse. La commission fera notamment le point sur la situation des usines classées à risque majeur et sur l'application sur le territoire national de la directive européenne Seveso.


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