N° 3411
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 novembre 2001.
PROPOSITION DE LOI
établissant le statut du réfractaire
des Alsaciens et Mosellans.

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par MM. Aloyse WARHOUVER et François LOOS,
Députés.

Anciens combattants et victimes de guerre.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Les Alsaciens et Mosellans qui se sont soustraits à l'incorporation forcée ou qui, ayant été enrôlés, ont déserté relèvent du statut de « Réfractaire », en raison de la loi n° 50-1027 du 22 août 1950 (JO du 24 août 1950, p. 9046, 9047) et de la loi n° 57-134 du 8 février 1957 (JO du 9 février 1957, p. 1604, 1605, rectificatif 28 mars 1957, p. 3225).
Ce statut est commun avec les réfractaires au STO. La médaille du réfractaire qui s'y rattache est nettement caractéristique du refus au STO.
Or, la situation en Alsace et Moselle, en pays annexés, a été foncièrement différente de celle des pays occupés ; le réfractaire au STO n'est pas identique au réfractaire, insoumis, ou déserteur à l'armée allemande, ni celle des familles ayant favorisé et aidé leurs fils insoumis ou déserteurs.
La Loi n° 54-751 du 19 juillet 1954 (JO du 20 juillet 1954, p. 6846) et son décret pour application n° 55-529 du 10 mai 1955 (JO du 13 mai 1955, p. 4790, 4791) ont étendu aux réfractaires, déserteurs de l'armée allemande et à leurs familles le bénéfice du statut de déporté ou d'interné de la Résistance, s'ils ont été incarcérés dans les camps de concentration ou les prisons reconnus par arrêté du ministre des anciens combattants et victimes de la guerre.
Nous rappelons l'exposé présenté par le rapporteur, M. René Peltre, de cette loi du 19 juillet 1954 :
« Mes chers collègues,
La proposition de loi déposée le 7 octobre 1952 par M. Mondon et ses collègues qui a pour objet l'attribution de la carte de déporté, interné et résistant en application de la loi du 6 août 1948 et du décret du 25 mars 1949 aux Alsaciens et Mosellans :
1° Réfractaires à l'incorporation dans l'armée allemande et déportés pour ce fait ;
2° Déserteurs de l'armée allemande et déportés pour ce fait ;
3° Familles ayant favorisé leurs fils insoumis et déserteurs et déportées pour ce fait.
Il ne faut pas oublier que de 1940 à 1945, l'autorité allemande a créé intentionnellement dans les départements de l'Est- Moselle, Haut-Rhin, Bas-Rhin - une situation de fait complètement différente de celle des autres départements français occupés.
Pour résoudre d'une façon juste et équitable le problème des déportations dans ces départements, il faut prendre pour base ces différences de situations voulues par l'Allemagne.
Si l'on tient compte de la situation très particulière créée à la suite de l'annexion il semble que l'acte de résistance ne puisse recevoir la même définition en Moselle et Alsace qu'à l'intérieur de la France occupée. Il est d'une autre nature, son caractère spécifique ne peut être dégagé qu'à la lumière de la situation existante dans les pays annexés. L'annexion commande des réactions patriotiques différentes de celles que nous avons connues contre l'occupant dans les autres départements français.
Très rapidement, l'annexion de la Moselle et de l'Alsace s'est faite par l'importation des lois allemandes, l'acquisition de facto de la nationalité allemande et l'implantation d'office de l'administration allemande.
D'un côté c'est la France occupée, où seule la Wehrmacht a toute puissance ; de l'autre côté, les trois départements bien séparés pour briser leurs forces, La Moselle avec la Sarre et l'Alsace avec le pays de Bade. Ces trois départements ne sont plus territoires ennemis ; ils sont territoires du Reich. Ses habitants ne sont plus des Français ; ils sont des citoyens à qui l'on a octroyé le titre d'Allemand. L'administration militaire est remplacée par l'administration civile. Plus de législation française, plus de code français, plus de jurisprudence française.
De telles conditions sociales et politiques empêchaient la constitution d'un réseau clandestin et rendaient impossible l'acte de résistance qui nécessitait au moins une complicité tacite. Les actes individuels de sabotage équivalaient généralement au suicide.
Il est permis d'affirmer que la désertion et l'insoumission constituent l'acte type de résistance à l'ennemi dans les pays annexés. Néanmoins, cet acte de résistance peut être rattaché aux termes généraux de la loi du 6 août 1948 et au décret d'application du 25 mars 1949.
L'article 2, § 4 h, du décret du 25 mars 1949 qualifie d'actes de résistance à l'ennemi, les « actions offensives ou défensives dirigées contre les forces militaires de l'ennemi... » et l'article 2, § 5, donne le même sens aux « actes accomplis par toute personne s'associant à la résistance, qui ont été, par leur importance ou leurs répercussions, de nature à porter atteinte au potentiel de guerre de l'ennemi et qui avaient cet objet pour mobile. »
Un décret du 19 août 1942 avait introduit le service obligatoire en Moselle ; le 25 août 1942, les classes 1940 à 1944 étaient appelées à servir dans la Wehrmacht ; le 10 mai 1943, le service était rendu obligatoire dans la Luftwaffe pour les jeunes gens de moins de 18 ans. L'insoumission ou la désertion sont punies de la mort ou de la réclusion. L'article 5 du code pénal exceptionnel en temps de guerre qualifie « d'atteinte à la force défensive » l'acte de celui qui invite ou provoque le refus d'obéissance aux obligations militaires dans l'armée allemande, du déserteur ou de l'insoumis. La loi allemande elle-même considère donc que la désertion ou l'insoumission portent atteinte à la force défensive du pays.
De fait, il s'agit autant d'une atteinte matérielle portée à l'armée en la privant d'une unité combattante, que d'atteinte morale portée en sapant les règles d'obéissance et de discipline militaire nationale.
Le déserteur et l'insoumis savaient suffisamment l'importance de leur refus dont les conséquences s'appliquaient à leur propre personne et à celles de leur famille et ils ne s'engageaient sur cette voie qu'avec la volonté farouche de s'opposer à l'Allemagne, de lutter contre elle.
Devant ces faits, il est donc juste et équitable de qualifier d'acte de résistance et refus de servir, l'insoumission ou la désertion de l'armée allemande.
Les familles ayant favorisé les réfractaires et les déserteurs peuvent-elles bénéficier de la qualité de résistant ?
Nos institutions, notre conception de la responsabilité individuelle, semblent, en effet, s'opposer à une telle définition de l'acte de résistance. Il est donc nécessaire, pour aboutir à cette qualification, de saisir le contenu de l'acte à travers la situation spéciale due à l'introduction du système national-socialiste dans les territoires annexés et de faire appel, notamment, à cette conception germanique de la responsabilité collective et familiale.
La situation des familles de déserteurs et de réfractaires n'est pas comparable à celle des otages de l'intérieur. L'otage est la victime d'une force qui se manifeste à l'état brut et à l'extérieur de tout principe. Au contraire, les parents de l'insoumis ou du réfractaire, du déserteur en Allemagne, partagent l'acte de ce dernier. Les familles avaient le devoir de faire respecter à leurs fils l'obéissance vis-à-vis de l'Etat et de l'armée ; elles avaient l'obligation de les dénoncer s'ils manquaient à leur devoir de jeune Allemand. Cette responsabilité familiale était fixée par des textes. »
Par l'article 5 du code pénal exceptionnel en temps de guerre, déjà cité, visant l'atteinte à la force défensive, qui punit de mort ou de réclusion celui qui entreprend de pousser un militaire à la désobéissance, à la résistance... ou à la désertion.
Par la fameuse loi dite « Sippengesetz », qui prescrit aux pères de famille de dénoncer leurs fils insoumis ou déserteurs.
Ces textes ont été largement appliqués en Moselle et en Alsace, des familles ont été déportées pour avoir hébergé ou caché leur fils pour les soustraire aux recherches de l'autorité militaire allemande, ou simplement pour ne pas les avoir dénoncés.
Il est certain que les déserteurs, les réfractaires et leurs familles partageaient, en refusant de servir, la même volonté de résistance à l'Allemagne. La responsabilité familiale inscrite dans la loi devenait un fait social et la reconnaissance de l'acte de résistance dans le cadre de l'article 2 § 5, du décret du 25 mars 1949 aux déserteurs ou réfractaires semble pouvoir être légalement et en équité étendue à leurs familles dans les hypothèses prévues par les textes. »
En résumé il est prouvé qu'en se soustrayant au service dans la Wehrmacht et à l'attribution de la nationalité allemande, en s'opposant ainsi à l'annexion de l'Alsace et de la Moselle, ces jeunes ont été traités et poursuivis par les Allemands comme criminels, passibles de la peine de mort et ont mis gravement en danger leurs familles, menacées des pires sanctions comme la fusillade d'un membre, la déportation des autres et la confiscation de leurs biens.
Ils ont en outre le mérite d'avoir :
1° donné le mauvais exemple aux Allemands eux-mêmes ;
2° sapé le moral des armées, comme le reconnut en 1946 le maréchal Keitel au Tribunal de Nuremberg ;
3° diminué le potentiel de la Wehrmacht, alors que leur incorporation devait le combler ;
4° mobilisé de considérables forces militaires et policières allemandes pour exécuter les perquisitions et les rafles particulièrement à partir de fin 1943 ;
5° De par leur nombre élevé, ils ont été les sauveurs des six classes de Mosellans, nés entre 1908 à 1913, que le gauleiter Burckel n'osa pas appeler en Moselle, et qu'il ne laissa enrôler aucun Mosellan dans les Waffen-SS, ni aucun officier mosellan comme le fit le gauleiter WAGNER, par ailleurs encore plus expéditif en Alsace.
Si la loi n° 54-751 du 19 juillet 1954 a étendu aux insoumis ou déserteurs de l'armée allemande et à leurs familles le bénéfice du statut de déporté et d'interné de la Résistance, s'ils ont été incarcérés dans des camps de concentration ou les prisons reconnus par arrêté du ministre des Anciens combattants et victimes de la guerre, toutes les contraintes et les attendus présentés par M. le député Peltre s'appliquent aussi aux insoumis et réfractaires à l'incorporation dans l'armée allemande, dont certains ont été malencontreusement internés en civils par les autorités américaines pendant des périodes plus ou moins longues et dans des conditions de détention très difficiles et précaires.
Pour ces derniers, malgré leur promesse de les libérer au bout de quelques jours, afin de pouvoir servir leur patrie, pour laquelle ils s'étaient sacrifiés en désertant, les autorités américaines les arrêtèrent et les incarcérèrent dans un camp de prisonniers de guerre allemands. De nombreux d'entre eux étaient déserteurs depuis plus de douze mois.
Des documents se trouvant aux Services historiques de l'armée de terre à Vincennes, ainsi qu'aux archives américaines, (National Archives at College Park, 8601 Adelphi Road), prouvent que ce long internement dont ont été victimes ces déserteurs, réfractaires et insoumis alsaciens mosellans est dû à la grande réticence des autorités américaines qui, malgré les nombreuses interventions du général de Gaulle et du général Juin de l'état-major général de la Défense nationale, les ont gardés en vrais otages.
Ces documents prouvent que la raison majeure du long internement des prisonniers alliés était dû au fait que les autorités américaines craignaient d'enfreindre la Convention de Genève et de faire subir de ce fait des représailles à leurs propres soldats prisonniers en Allemagne.
Elles prouvent aussi pourquoi certains internés n'ont été libérés qu'après le 8 mai 1945, comme ceux du camp de Thorée les Pins, près de La Flèche.
Les Américains n'ont pas tenu compte que quelques uns avaient leur carte de légitimation des FFI, que de nombreux avaient signé un engagement dans l'armée française avant leur départ et ils ont refusé leur engagement volontaire dans l'armée française pendant leur internement.
Le camp de prisonniers américain de Thorée-les-Pins était un camp particulièrement dur et à régime sévère tant au point de vue physique que psychologique quant à l'internement abusif et long de réfractaires ou insoumis, véritables résistants, qui, s'étant présentés de leur plein gré pour régulariser leur situation, ont été arrêtés en civils et ont été remis sous la coupe des nazis allemands, en tant que déserteurs de leur armée et maltraités matériellement et psychologiquement par ces Allemands.
Après réception d'un rapport de ces derniers internés, la décision n° 343 du 12 juin 1945 du ministre des prisonniers, déportés et réfugiés, Henri Frenay, du premier Gouvernement provisoire de la République Française présidée par Charles de Gaulle accorda de ce fait aux internés au camp de prisonniers américain de Thorée les droits des internés politiques. (Document communiqué en juin 1945 à chaque interné par le président Paul Sorne de l'Amicale des Fléchards).
Ces internés ont été malheureusement oubliés dans la loi n° 54-751 du 19 juillet 1954.
Pour résoudre d'une façon juste et équitable le problème des réfractaires alsaciens et mosellans et de tous ces internés par les autorités américaines qui ont accompli les mêmes actes qualifiés de résistance à l'ennemi que ceux qui ont été déportés ou internés en Allemagne et définis à l'article 2. § 4 h du décret n° 49-427 du 25 mars 1949 : « les actions offensives et défensives contre les forces militaires de l'ennemi, et contre les autorités et les organismes militaires et policiers placés sous son contrôle et les individus collaborant avec lui. » et conformément à l'article 2, § 5 qui donne le même sens aux «actes accomplis par toute personne s'associant à la résistance, qui ont été, par leur importance ou leursrépercussions, de nature à porter atteinte au potentiel de guerre de l'ennemi et qui avaient cet objet pour mobile», il y a lieu de leur accorder les mêmes droits.
Nous vous invitons donc à adopter la présente loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

La République française, reconnaissante à ceux qui acceptèrent tous les risques pour lutter contre le potentiel de guerre de l'ennemi, considérant les souffrances et le préjudice que cette attitude courageuse et patriotique leur a occasionnés, à eux et à leurs familles, proclame et détermine le droit à réparation des réfractaires et de ceux qui les ont aidés.

Article 2

Sont considérées comme réfractaires les personnes qui, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle annexés de fait, comprennent :
1° les évadés insoumis qui sont ceux qui ayant :
a) soit abandonné leur foyer, alors que, faisant partie des classes mobilisables par les autorités allemandes dans les formations militaires ou paramilitaires allemandes, couraient le risque d'y être incorporées, et se sont soustraits préventivement à leur incorporation.
b) soit abandonné leur foyer pour ne pas répondre à un ordre de mobilisation dans ces formations, ou n'ont pas obtempéré à l'ordre d'appel.
2° les évadés réfractaires sont ceux qui, après avoir été incorporés dans les formations militaires ou paramilitaires, se sont évadés de la formation dans laquelle ils ont été incorporésde force ou ont déserté de la formation au cours d'une permission.

Article 3

L'article 3 de la loi n° 50-1027 du 22 août 1950 établissant le statut du réfractaire, est annulé.

Article 4

L'opposition au péril de sa vie et de celle de sa famille à l'annexion de l'Alsace et de la Moselle, en en se pliant pas aux décrets sur l'incorporation, comportant pour le réfractaire des risques très graves comme la condamnation à mort, la déportation de sa famille dans un camp de concentration, est assimilée à un acte de résistance défini par les articles 2, § 4 h et 2, § 5 du décret n° 49-427 du 25 mars 1949 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi n° 48-1251, du 6 août 1948 établissant le statut définitif des déportés et internés de la Résistance.

Article 5

La période durant laquelle le réfractaire a dû vivre en insoumission aux ordres de l'autorité ennemie et celle où il a été interné en camp de prisonnier allié sont considérées comme service militaire actif.

Article 6

Les réfractaire et leurs ayants cause bénéficient des pensions d'invalidité et de décès prévues pour les membres de la Résistance.

Article 7

Le réfractaire défini par la présente loi a droit à la carte et la retraite de combattant du Code des pensions militaires d'invalidité et victimes de guerre. Ce droit est subordonné à la condition que la période allant depuis la date de la désertion, ou depuis la date de l'insoumission jusqu'à la libération du département de leur lieu de refuge ou de leur libération du camp de prisonnier allié, en cas d'internement, soit supérieure à trois mois.

Article 8

Le bénéfice de la loi n° 54-751 du 19 juillet 1954 faisant bénéficier des dispositions de la loi n° 48-1251 du 6 août 1948 établissant le statut définitif des déportés et internés de la Résistance, les Alsaciens et Lorrains réfractaires à l'incorporation dans les formations militaires ou paramilitaires allemandes ou déserteurs de ces formations ainsi que leur famille, en particulier le statut d'interné résistant, sont accordés au Alsaciens et Mosellans, insoumis, réfractaires ou déserteurs des formations militaires ou paramilitaires allemandes, qui ont été incarcérés et internés par les autorités américaines dans des camps de prisonniers de guerre pendant plus de trois mois.

Article 9

Il est créé une carte et un insigne qui sont attribués à toute personne répondant aux conditions fixées par le présent statut soit :
a) D'évadé insoumis à l'incorporation de force dans l'armée allemande ou formation paramilitaire.
b) D'évadé réfractaire à l'incorporation de force dans l'armée allemande ou formation paramilitaire.
La carte sera délivrée à la demande de chaque détenteur de la carte de réfractaire délivrée en application de la loi n° 50-1027 du 22 août 1950 précitée et en application de la présente loi.

Article 10

Un nouvel insigne commun aux deux catégories de réfractaires, dont seuls les rubans différeront, est créé.

Article 11

La perte de recettes pour l'Etat est compensée, à due concurrence, par l'augmentation des droits indirects sur le tabac visés aux articles 575 et 575 A du Code générale des impôts.

Article 12

Un décret, pris sur proposition du ministre des Finances, du ministre de la Défense, du secrétaire d'Etat à la défense chargé des Anciens combattants et victimes de la guerre, fixera les modalités d'application de la présente loi, dans un délai de deux mois à compter de sa promulgation.

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N°3411-Proposition de loi de M.Warhouver établissant le statut du réfractaire des Alsaciens et Mosellans.(commission des affaires culturelles)


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