N° 3492
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 décembre 2001.
PROPOSITION DE LOI
relative à une relance de la politique française
d'
aide publique au développement.
(Renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée
par M. Jean-Michel DUBERNARD,
Député.

Politique extérieure.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs
Le texte qui vous est proposé a pour objet de relancer, en quantité et en qualité, l'aide publique au développement française et d'optimiser la participation des parlementaires, à sa définition comme à son exécution.
Les événements tragiques du 11 septembre 2001 et les conséquences qui en ont résulté ont eu au moins le mérite de nous ramener aux réalités.Celles d'une planète où la fracture ne cesse de s'agrandir, entre ceux qui sont toujours plus pauvres et ceux qui sont toujours plus riches.
Il est clair que le monde plus sûr auquel nous aspirons tous - à commencer par les habitants des pays pauvres, qui sont les premières victimes de toutes les violences individuelles et collectives - n'existera que s'il devient d'abord plus juste, moins inégal.
Un sondage, réalisé au printemps 2001 par l'institut BVA, révèle que huit Français sur dix veulent que la France respecte ses engagements en matière d'aide internationale au développement - voire les revoit à la hausse - et que plus d'un électeur sur deux accordera de l'importance à cette question pour les élections de 2002.
Ces engagements sont à la fois quantitatifs et qualitatifs, fixant à un minimum de 0,7 % de leur produit intérieur brut (PIB) le pourcentage que les pays riches doivent consacrer à l'aide publique au développement (APD) (vote de l'assemblée générale de l'ONU en ... 1970), mais organisant aussi, au fil des grandes conférences des années 90, la protection de l'environnement et des ressources naturelles, la défense des droits des femmes et des enfants et la satisfaction des besoins de base des populations.
L'objectif de 0,7 % vient d'être solennellement rappelé par la Banque mondiale et par le Conseil européen des ministres du Développement. Il est aussi au c_ur des travaux préparatoires de la grande conférence intergouvernementale sur le financement du développement, qui se réunira au Mexique en mars 2002.
Quant à savoir ce qu'il faudrait faire des moyens ainsi mobilisés - qui représenteraient moins de 200 milliards de dollars pour l'ensemble des pays développés -, les chefs d'Etat et de gouvernement de toute la planète, réunis en septembre 2000 à New York pour le Sommet du millénaire, ont dressé la liste des principaux objectifs à atteindre d'ici 2015 :
- réduire de moitié la proportion des humains qui vivent avec moins de 1 dollar par jour;
- scolariser tous les enfants dans l'enseignement primaire;
- réduire des deux tiers les taux de mortalité infantile et juvénile;
- réduire de trois-quarts la mortalité maternelle;
- mettre les services de la santé de la procréation à la disposition de tous ceux et de toutes celles qui en ont besoin;
- mais aussi autonomiser les femmes en éliminant, d'ici 2005, la disparité entre les sexes dans l'enseignement primaire et secondaire;
- mettre en _uvre, d'ici à 2005, des stratégies de développement durable propres à inverser les pertes de ressources environnementales d'ici à 2015.
Le catalogue paraît ambitieux, mais il est au contraire extraordinairement modeste dans son réalisme.Par exemple, si le premier objectif était atteint, il resterait encore, en 2015, plus de 700 millions d'humains dans le dénuement le plus extrême, puisqu'entre temps la population du monde aurait continué à augmenter et largement dépassé les 7 milliards. Mais d'un autre côté, toute augmentation des budgets de l'aide publique au développement (APD) pourrait, si elle est bien employée, être extraordinairement efficace, et pour la qualité de vie des populations des pays pauvres et pour leurs possibilités de développement économique.Ainsi, l'économiste américain Jeffrey Sachs, qui préside la commission «Macroéconomie et santé» de l'Organisation mondiale de la santé, explique qu'en affectant 0,1% de plus de leur produit intérieur brut (PIB) à la santé dans les pays pauvres, les pays développés dégageraient 25 milliards de dollars qui permettraient de faire face à tous les besoins de base de ces pays dans ce domaine, de la moustiquaire contre le paludisme au traitement du sida en passant par la vaccination des enfants.Or, l'on sait qu'il n'y a pas de croissance économique - et donc pas de recul de la pauvreté - possible pour des populations accablées par les maladies.
Quoi qu'il en soit, aussi modestes soient-ils, les objectifs que se sont assignés les pays riches lors du Sommet du millénaire paraissent d'autant plus hors de portée que pour l'instant leurs budgets de l'aide publique au développement (APD) sont en baisse constante - sauf, il y a deux ans, un effort passager du Japon contre la crise en Asie et de l'Europe pour les Balkans - et tournent autour de 0,22% de leur produit intérieur brut (PIB).Pas même le tiers de leur engagement d'il y a trente ans.Et la France ne fait, hélas, guère mieux.
Certes, notre pays est toujours, à 0,32 ou 0,33% de son produit intérieur brut (PIB), le meilleur élève de la classe du G8, mais la Grande-Bretagne nous talonne et pourrait bientôt nous doubler. Et de toutes façons, cette première place toute provisoire ne peut faire oublier qu'en pourcentage du PIB, l'APD de la France a carrément diminué de moitié depuis 1994.
Depuis cinq ans qu'il existe, le groupe d'études «Populations» à l'Assemblée nationale s'est toujours attaché à obtenir un meilleur usage de l'aide au développement accordée par la France aux pays du Sud; une aide toujours plus orientée vers le développement social, celui qui est réalisé par et pour les populations, en privilégiant la satisfaction de ces besoins de base que sont, notamment pour les femmes et les petites filles, la santé et l'éducation. Mais aujourd'hui, au point où en est arrivée l'APD de la France, cet objectif qualitatif risque tout simplement de ne plus disposer des moyens de sa mise en _uvre. Nous sommes donc tout à fait dans cette ligne en demandant que la France respecte ses engagements internationaux en programmant, par exemple sur cinq ans - un mandat de député et de président de la République -, de remonter à au moins 0,7 % de son PIB son taux d'APD.
Ce premier objectif serait d'autant plus facile à atteindre et à financer que la France accélérerait, pour ce qui la concerne, l'annulation de la dette des pays les plus pauvres.Il ne servirait en effet à rien - et en tout cas pas à la lutte contre la pauvreté - que les crédits de l'APD n'aillent pas en priorité vers ceux qui en ont le plus besoin.Or, aujourd'hui, les pays les moins avancés bénéficient d'à peine plus du cinquième de notre APD (contre près d'un tiers il y a dix ans), alors même que les pays d'Afrique subsaharienne auxquels nous sommes tant attachés en constituent les gros bataillons, avec le record mondial de 50% de leurs populations survivant avec moins de 1 dollar par jour.
Mais il ne suffit pas que plus d'APD soit affectée avec les pays les moins avancés (PMA). Encore faut-il que dans ces pays elle aille suffisamment aux besoins de base des populations. Il existe là aussi un engagement international depuis le Sommet de Copenhague sur le développement social (1995). C'est l'engagement réciproque dit 20/20, pour 20 % de l'APD consacrés à l'éducation, à la santé et à l'eau, et 20 % des budgets des pays pauvres affectés de même. Or, apparemment, la France n'a rempli cet engagement qu'à moitié : pourquoi, là aussi, ne pas programmer un rattrapage en cinq ans?
Enfin, il est évident que l'insuffisance financière de l'APD ne fait que refléter la portion congrue réservée à la Coopération en particulier et aux Affaires étrangères en général. Visiblement, et quelle que soit la majorité, l'action extérieure de la France n'est pas considérée, en termes budgétaires, comme elle le devrait. La réforme de l'ordonnance de 1959 devrait permettre de corriger cette situation, notamment grâce à une présentation par missions et programmes - regroupant l'ensemble des moyens d'une politique - qui permettra un vrai débat, et à une consultation obligatoire du Parlement sur les éventuelles « régulations ».
Encore faut-il que l'APD fasse l'objet d'une telle mission et de tels programmes, et que la réforme de l'ordonnance de 1959, dont la mise en _uvre effective n'interviendra pas avant 2006, n'arrive pas trop tard, car au rythme actuel, que restera-t-il dans cinq ans? C'est pourquoi cette nouvelle présentation doit être appliquée à l'APD par anticipation dès le projet de loi de finances pour 2003, comme ce fut le cas dans le projet de loi de finances pour 2002 pour la gestion de la dette et de la trésorerie de l'Etat.
Si l'APD est nécessaire au décollage des pays les plus pauvres - que les capitaux privés n'assureront jamais -, elle ne sera jamais suffisante. Car à quoi servirait-il de les aider à se retrouver dans une meilleure position si leurs productions continuaient, de fait, à ne pouvoir accéder aux marchés mondiaux? Mais, en manifestant clairement sa volonté d'inverser le cours d'une histoire qui en passe d'enterrer la notion même d'APD, la France donnerait déjà au monde, à ses partenaires riches comme aux populations des pays pauvres, un signal fort. Comme celui qu'au niveau européen elle a donné avec l'initiative « Tout sauf les armes ». Après tout, la nouvelle devise du ministère des Affaires étrangères n'est-elle pas « Influence et solidarité »?
Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

En application de ses engagements internationaux, la France programme sur cinq ans l'augmentation de son effort d'aide publique au développement pour atteindre au moins le ratio de 0,7 % du produit intérieur brut défini en 1970 par la communauté internationale.

Article 2

Les crédits dégagés au titre de l'article 1er sont affectés en priorité aux pays les moins avancés et aux besoins de base de leurs populations, selon l'engagement pris par la communauté internationale en 1995.

Article 3

Pour faciliter le décollage économique des pays pauvres, l'annulation de la dette bilatérale des pays du Sud à l'égard de la France devra être effective et total dans le même délai de cinq ans. Le refinancement par dons des échéances annulées viendra s'ajouter à l'actuel effort d'aide publique au développement et devra être affecté, par les pays bénéficiaires, en priorité aux besoins de base de leurs populations.

Article 4

Les crédits de l'aide publique au développement sont, par anticipation, regroupés au sein d'une mission et présentés sous forme de programmes au sens de l'article 7 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances dès le projet de loi de finances 2003.

Article 5

Les dépenses seront compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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N°3492-Proposition de loi de M Dubernard relative à une relance de la politique française d'aide publique au développement (commission des finances).


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