N° 3577
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 février 2002.
PROPOSITION DE LOI
tendant à créer une police spécialisée de la route
et
améliorer le contrôle des infrastructures routières.

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE
par M. Bernard PONS,
Député.

Sécurité routière.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Avec un bilan annuel provisoire pour 2001, de 7616 tués sur nos routes, la France continue d'occuper une place peu enviable par rapport à ses voisins européens.
La comparaison en nombre de tués par million d'habitants est en effet particulièrement éloquente (année 2000) : Royaume-Uni 60 ; Pays-Bas 69 ; Allemagne 95 ; Italie 110 ; France 143 ; Espagne 146.
Certes, la France a obtenu des résultats encourageants depuis trente ans puisque le nombre des tués a été divisé par plus de deux alors que dans la même période le trafic a presque doublé.
Mais on doit admettre que le nombre des victimes de la route ne parvient pas à baisser de façon significative et reste sur un palier se situant autour de 8000 morts et de 170000 blessés par an.
Chaque année, les victimes de la route, tués et blessés, dont plus d'un tiers restera lourdement handicapé, constituent une fraction de la population de notre pays comparable à celle d'un petit département.
Ce constat est inacceptable et un tel fléau social ne peut pas et ne doit absolument pas être rangé par facilité dans une sorte d'acceptation résignée fondée sur l'idée que ces victimes seraient la contrepartie obligatoire au progrès économique et au développement des échanges. L'expérience a montré qu'en matière de sécurité routière toute décision politique forte s'est toujours traduite par une baisse significative du nombre des victimes. Ce constat vaut pour l'obligation du port de la ceinture de sécurité, pour le port du casque par les motards, pour la limitation de vitesse en agglomération à 50 km/h, pour le permis à point et enfin pour la réduction du taux d'alcoolémie à 0,50 %.
Afin de franchir une nouvelle étape, c'est aujourd'hui un acte volontariste de même nature que comporte la présente proposition de loi.
L'insécurité routière n'est pas une fatalité et les accidents de la route ont des causes scientifiquement identifiées sur lesquelles il demeure encore possible d'agir avec efficacité. Pour ce faire, une action cohérente doit être fermement engagée et reposer sur un juste équilibre entre prévention et formation, d'une part, et contrôle et répression, d'autre part.
Cette politique doit être crédible et pouvoir recueillir l'assentiment de chacun de nos concitoyens ainsi assurés et convaincus de la mise en _uvre effective des mesures prises
La proposition de loi vise à répondre à ces considérations en proposant trois mesures fortes, qui sont :
1. Créer une police spécialisée de la route.
2. Mettre en place un véritable contrôle de sécurité des infrastructures routières.
3. Assurer le financement de la sécurité routière par la création d'un établissement public.

I. - Créer une police spécialisée de la route

Pour l'opinion, l'action des pouvoirs publics dans la lutte contre l'insécurité routière est perçue comme un durcissement continu des mesures classiques de sécurité routière dont elle ne comprend, trop souvent, ni le fondement, ni la portée et dont elle sait bien que les conditions de mise en _uvre et d'application sont largement aléatoires. Cette situation alimente par conséquent pour la plus grande partie des usagers un rejet social de ces règles et réduit considérablement leur efficacité.
Afin d'être respectées, les règles du code de la route doivent répondre à trois critères simples :
- être parfaitement lisibles pour que les usagers en perçoivent les mécanismes, en acceptent les fondements et en comprennent la justification. Un système mal compris génère inévitablement la suspicion, suscite des mises en doute quant à ses finalités et entraîne, en fin de compte, des comportements humains visant à contourner la réglementation ;
- faire l'objet de contrôles permanents dans le temps et dans l'espace. Il est notoire qu'aujourd'hui les contrôles sont insuffisants, peu crédibles et donc contestés. En effet, les missions de sécurité routière sont marginalisées dans le cadre d'emploi des forces de sécurité dont les unités à vocation généraliste doivent répondre à de multiples sollicitations tout à fait légitimes, mais qui renvoient la lutte contre l'insécurité routière, le plus souvent, au rang des actions non prioritaires.
Il faut donc impérativement redonner à tous les conducteurs de véhicules la certitude d'une permanence des contrôles sur l'ensemble des réseaux autoroutiers et routiers par des contrôles effectués directement par les forces de police ainsi que par des contrôles automatisés dont le principe a été fixé par la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, mais qui n'a toujours pas fait l'objet des textes réglementaires qui permettraient sa mise en _uvre pratique.
Dans cette optique, la création d'une police spécialisée de la route, où seraient affectés en permanence des policiers et des gendarmes, constitue la réponse adaptée. L'Etat, pour marquer l'importance particulière de la mission de sécurité routière, doit, à cette fin, organiser l'affectation obligatoire, en cours de carrière et pour une durée définie de l'ensemble de ces agents au sein de cette unité.
- être appliquées de façon équitable. Il est clair que ce critère est sévèrement mis en cause pour deux raisons majeures : l'absence probable de contrôle déjà évoquée et l'inégalité du traitement des citoyens du fait des procédures le plus souvent retardées, voire occultées, et des procès verbaux qui, dans environ, 60 % des cas, ne sont pas concrétisés par une sanction.
Si tout usager de la route est en droit d'attendre que les règles de circulation et de sécurité soient respectées par tous et que les infractions soient traitées effectivement et équitablement, il faut aussi qu'ils en comprennent et acceptent le fondement et la justification.

II. - Mettre en place un véritable contrôle des infrastructures routières

Partout dans les entreprises, les lieux publics, les modes de transports aériens, ferroviaires, maritimes et fluviaux, sont effectués des contrôles systématiques de sécurité, à l'exception des routes qui pourtant accueillent chaque jour des millions d'usagers.
Ce contrôle existe dans plusieurs pays européens.
Il n'est pas compréhensible que sur les trois éléments à l'origine des accidents de la route, à savoir les véhicules, les usagers et les infrastructures, seuls les deux premiers font l'objet d'un contrôle alors que l'on sait que l'infrastructure rentre parmi les causes d'un accident mortel dans près de 40 % d'entre eux. A cet égard, il convient de mettre en évidence la situation très vulnérable des deux-roues pour lesquels il s'agit de rechercher des réponses adaptées à leur situation.

III. - Assurer le financement de la sécurité routière par la création d'un établissement public

Quelles que soient les actions préconisées pour renouveler et dynamiser une politique nationale de lutte contre l'insécurité routière, leur présentation et a fortiori leur mise en _uvre exigent, pour qu'elles soient crédibles, de les accompagner des moyens nécessaires pour montrer clairement la volonté et la cohérence de l'Etat sur le sujet.
Nos concitoyens savent que le système routier apporte des moyens conséquents au Trésor public : 335 milliards de francs environ ont été reversés au titre des taxes et 3,5 milliards de francs au titre des amendes dont 2 milliards de francs dévolus aux collectivités locales pour la seule année 2000.
Ils savent aussi que les accidents de la route constituent une charge coûteuse pour la collectivité. Aujourd'hui, ce coût est évalué approximativement a deux cent milliards de francs, alors que l'Etat ne consacre de façon visible que moins d'un milliard à la lutte contre l'insécurité routière et à l'exploitation de la route.
Aussi pour être crédible, l'engagement de l'Etat doit-il comporter une contrepartie financière à la hauteur des enjeux et qui soit lisible et transparente.
La solution préconisée consiste à créer un établissement public de l'Etat placé sous la tutelle conjointe du ministre de l'Intérieur, du ministre de la Défense et du ministre chargé des Transports. Cette agence prendrait à sa charge l'équipement des forces de l'ordre et leur formation et serait alimentée en partie par la fraction du produit des amendes actuellement non reversée aux collectivités locales, soit 1,5 milliards de francs par an environ.
L'argument permanent, dès lors, mentionnant que les amendes servent avant tout à alimenter les caisses de l'Etat tomberait et les décisions visant à réhabiliter les contrôles et renforcer la formation s'en trouveraient naturellement justifiées et considérablement renforcées.
Ainsi, les mesures de la présente proposition de loi visent à réformer en profondeur le système actuel de la sécurité routière en mettant en place les moyens nécessaires à un contrôle permanent. La création d'un établissement public à caractère administratif alimenté par le produit des amendes routières réhabilite la portée pédagogique de la sanction pécuniaire tout en garantissant des moyens nécessaires à la politique de la sécurité routière.
Cette proposition de loi a volontairement écarté le traitement, par ailleurs, essentiel de la question de la drogue au volant. En effet, ce sujet a fait l'objet de propositions de loi spécifiques.
Article 1er : Le risque d'être contrôlé est aujourd'hui très faible, ce qui entraîne une incrédulité quasi générale au regard des règles de comportement édictées par le code de la route et un sentiment d'injustice lorsqu'un conducteur se voit verbalisé. Les moyens humains et matériels consacrés à la sécurité routière sont dramatiquement insuffisants.
Plusieurs pays fermement engagés dans la lutte contre l'insécurité routière ont trouvé une réponse en se dotant d'une police spécialisée de la route. Ainsi, la présence visible de forces de sécurité sur le bord des routes représente une réelle dissuasion favorisant une conduite apaisée et respectueuse des règles du code de la route.
Article 2 : Des efforts considérables ont été accomplis en ce qui concerne la qualité des réseaux routiers. Cependant, de nombreuses insuffisances ou inadaptations aux trafics supportés par certaines routes subsistent et un pays moderne doit se donner les moyens de les corriger. La proposition de loi instaure le principe d'un contrôle technique des infrastructures routières dont les critères seront fixés par la voie réglementaire.
Article 3 : Faute de moyens suffisants consacrés à la sécurité routière, l'Etat a perdu sa crédibilité auprès de nos citoyens qui doutent de sa réelle volonté de lutter contre l'insécurité routière et contestent le plus souvent des mesures qu'ils jugent injustes puisque appliquées de façon insuffisante et aléatoire.
Dès lors qu'il se contente d'orientations sans assurer sa juste part du financement des actions préconisées, l'Etat a aussi perdu son statut de partenaire crédible aussi bien auprès des formateurs que de l'ensemble des collectivités locales, associations, organisations professionnelles et des assureurs dont l'action est indispensable pour l'émergence d'une action continue et efficace de prévention.

PROPOSITION DE LOI
Article 1er

Il est créé une police spécialisée de la route constituée d'agents de la gendarmerie nationale et de la police nationale regroupés dans des unités départementales de la police de la route, placées sous l'autorité des préfets et compétentes sur l'ensemble du territoire départemental.

Article 2

Il est créé un contrôle de sécurité des autoroutes, routes et ouvrages d'art obligatoire pour tous les maîtres d'ouvrages qui réalisent ou exploitent ces infrastructures.

Article 3

Il est créé un établissement public de l'Etat à caractère administratif dénommé « Agence nationale de la police spécialisée de la route », placé sous la tutelle conjointe du ministre de l'Intérieur , du ministre de la Défense et du ministre chargé des Transports.
Il a pour mission de mettre en _uvre les moyens nécessaires à l'action et aux missions de la police spécialisée de la route.
Le conseil d'administration de l'Agence nationale de la police spécialisée de la route comprend des représentants de l'Etat, des personnalités qualifiées et des représentants élus des personnels.
Les services de l'établissement sont dirigés par un directeur nommé par décret.
Les ressources de l'établissement sont constituées par le produit des amendes afférentes aux contraventions au code de la route donnant lieu à retrait de points sur le permis de conduire, par les recettes diverses ou accidentelles et par des subventions de l'Etat.
Les dépenses de l'établissement correspondent à l'équipement et aux moyens de fonctionnement de la police spécialisée de la route.
Les dépenses et les charges qui pourraient résulter pour l'Etat de ces dispositions sont compensées, à due concurrence, par le relèvement des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Article 4

Les conditions d'application de la présente loi sont fixées par décret en conseil d'Etat.
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N°3577-Proposition de loi de M.Pons tendant à créer une police spécialisée de la route et améliorer le contrôle des infrastructures routières.(commission des lois)


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