N° 3637
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2002.
PROPOSITION DE LOI
relative à une modification des statuts de la coopération.
(Renvoyée à la commission de la production et des échanges, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par M. François GUILLAUME,
Député.

Sociétés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,
Le texte qui vous est proposé a pour objet de réviser partiellement les textes régissant la coopération pour tenir compte des évolutions constatées dans ses pratiques et dans son statut.
Les coopératives, sociétés à vocation industrielle, commerciale ou de services, constituées par leurs adhérents pour assurer la défense de leurs intérêts économiques et sociaux, ont connu un grand succès en agriculture au cours du siècle dernier. Car les exploitants agricoles confrontés au pouvoir économique grandissant de leurs fournisseurs et de leurs clients avaient rapidement compris que la seule façon de s'en affranchir était d'organiser le regroupement de l'offre et de la demande de leurs entreprises petites et dispersées pour mieux négocier leurs achats et améliorer leurs prix de vente. Puis, souhaitant tirer profit de la valeur ajoutée aux produits alimentaires toujours plus élaborés, ils ont créé des coopératives de transformation, en concurrence avec le secteur privé. Dans toutes les filières de production (céréales, lait, viande, vin, fruits et légumes), elles ont rapidement atteint la moitié du potentiel agroalimentaire français. D'autres formes de coopératives : de production, d'assurances ou de crédit, ont rapidement prospéré rendant d'éminents services aux agriculteurs. Une décrue de l'impact coopératif s'amorce aujourd'hui. Estimant que le statut particulier de leurs entreprises était un frein à leur développement dans le contexte économique actuel, les dirigeants de la coopération amorcent maintenant une banalisation de leurs activités et de leurs statuts sous couvert de la loi sur les nouvelles régulations économiques. L'ouverture du capital à des tiers, à l'exemple de l'introduction récente en bourse du Crédit Agricole, constitue le premier signal d'une démutualisation généralisée, synonyme de privatisation que d'autres s'apprêtent à leur tour à engager. Un signal négatif pour les sociétaires, non seulement parce que cette banalisation engage une profonde modification des structures et de l'esprit de ces organismes mutualistes et coopératifs mais aussi parce qu'elle sacrifie leurs intérêts au profit de nouveaux investisseurs : particuliers, institutionnels, fonds de pensions anglo-saxons. Tel est le cas du Crédit agricole, transformé en véhicule coté sans que les sociétaires n'en aient été dûment avertis et sans qu'ils n'aient été admis à donner formellement leur accord à cette privatisation rampante. Ainsi s'est organisée la spoliation de ces sociétaires dont les parts sociales obligatoirement souscrites lors de l'octroi d'un prêt n'ont jamais été revalorisées, pas plus qu'elles n'ont bénéficié d'une participation aux résultats de leur banque au prorata de leurs activités avec elle, comme le prévoit les statuts de la coopération.
Cette absence de rémunération des sociétaires de la « banque verte », jusqu'ici ses propriétaires légaux et qui ont financé directement et indirectement sa formidable expansion, est injuste dès lors que les nouveaux actionnaires pourront, eux, bénéficier de dividendes et de plus-values sur cession. C'est pourquoi il est nécessaire de porter remède à ce détournement de l'esprit de la loi sur la coopération en prévoyant :
- d'une part, l'indemnisation des sociétaires pour le préjudice causé par la démutualisation comme cela a été fait par exemple en Grande Bretagne au aux Etats Unis, lorsque l'accord des membres d'une grande mutuelle américaine ont été individuellement sollicités pour autoriser le changement de statut du groupe et lorsqu'il leur a été ensuite offert de choisir entre une indemnisation ou la transformation en actions de leurs parts sociales,
- d'autre part, d'inscrire dans la loi l'obligation pour les coopératives de ristourner selon les modalités de leur choix les résultats de l'entreprise à leurs sociétaires, déduction faites des réserves légales.
Cette proposition respecte l'esprit de la loi 47-1775 portant statut de la coopération publiée le 11 septembre 1947 dont l'objet est précisé à l'article 1er. Quant aux dispositions nouvelles, elles se fondent sur les articles 14, 15, 16 et 17 dont le caractère jusque là facultatif devient obligatoire pour :
- servir un intérêt aux parts sociales ;
- revaloriser les parts sociales ;
-distribuer les excédents d'exploitation.
La proposition de loi vise à introduire l'obligation d'utiliser les excédents d'exploitation annuels disponibles en laissant aux assemblées générales la liberté de les répartir entre le service d'un intérêt aux parts sociales, la revalorisation de celles-ci et les ristournes sur activités.
L'avant-dernier alinéa de l'article unique limite en pourcentage l'utilisation de l'incorporation en capital, après un délai de 5 ans. Il faut en effet dans un premier temps permettre aux coopératives qui ne l'ont jamais fait de revaloriser leur capital social détenu par les adhérents mais ensuite il est indispensable de privilégier les ristournes sur activité, l'intérêt d'adhérer pour les coopérateurs n'étant pas à rechercher dans la capitalisation mais dans le développement de son activité avec les coopératives, développement qu'il faut encourager.
Le dernier alinéa ouvre la possibilité aux porteurs de parts sociales d'en obtenir, après revalorisation, la transformation en actions de plein droit afin d'éviter toute discrimination de pouvoir et de rémunération à leur détriment vis à vis des apporteurs de capitaux. Dans le cas d'école du Crédit Agricole, cette normalisation est souhaitable.
Ces dispositions nouvelles ont pour objet de protéger les intérêts des coopérateurs, membres de grands groupes coopératifs ou mutualistes, généralement peu informés des conséquences des choix statutaires qui leurs sont proposés et à qui l'on demande de prolonger « le contrat de confiance » auquel ils ont souscrit au moment de leur adhésion, sans leur en préciser le nouveau contenu et ses implications dans leurs relations économiques et financières avec l'établissement mutualiste ou coopératif ainsi transformé.
Il s'agit donc d'écarter tout risque de spoliation, risque auquel n'ont pas échappé les 5,5 millions de sociétaires du Crédit Agricole lors de l'introduction en bourse de la Caisse Nationale, et de retrouver le but originel inscrit dans l'article 1er de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération qui justifie toute démarche coopérative :
«Art. 1er. - Les coopératives sont des sociétés dont les objets essentiels sont :
1. De réduire, au bénéfice de leurs membres et par l'effort commun de ceux-ci, le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce prix de revient ;
2. D'améliorer la qualité marchande de produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs.
3. (3° créé, L. n° 92-643, 13 juillet 1992, art. 1er) Et plus généralement de contribuer à la satisfaction des besoins et à la promotion des activités économiques et sociales de leurs membres ainsi qu'à leur formation.
Les coopératives exercent leur action dans toutes les branches de l'activité humaine.»
Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé, Mesdames et Messieurs, d'adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI
Article unique

L'article 16 de la loi 47-1775 du 10 septembre 1947, portant statut de la coopération est ainsi rédigé :
« Art. 16. - Dans les limites et conditions prévues par la loi, après imputation sur les excédents d'exploitation des versements aux réserves légales, et après attributions éventuelles, sous forme de subvention, soit à d'autres coopératives ou union de coopératives, soit à des _uvres d'intérêt général ou professionnel, les sommes restées disponibles devront être obligatoirement affectées, sauf dispositions contraires votées par l'Assemblée Générale à la majorité des 2/3 :
- à servir un intérêt aux parts sociales dans la limite de taux fixée par la loi ;
- à relever la valeur des parts sociales ou à procéder à des distributions de parts gratuites ;
- à accorder aux sociétaires des ristournes sur activités au prorata des opérations traitées avec chacun d'eux ou du travail fourni par lui.
L'assemblée générale annuelle de la coopérative fixera les modalités de cette répartition en fonction de priorités laissées à son libre arbitre, sous réserve que l'incorporation au capital social des sommes prélevées sur les réserves qui serait retenue n'excède pas, dès la 5e année, la moitié des sommes disponibles.
Toute ouverture du capital d'une coopérative à des tiers doit être précédée d'une revalorisation des parts sociales au moins égale à l'érosion monétaire qu'elles ont supportée depuis leur souscription. Ces parts peuvent, après cet ajustement, être transformées en actions de plein droit, à la demande des intéressés.

3637 - Proposition de loi de M. François Guillame relative à une modification des statuts de la coopération.


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