N° 2297

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 mars 2000.
RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE (1)
SUR LA TRANSPARENCE ET LA SECURITE SANITAIRE
DE LA FILIÈRE ALIMENTAIRE EN FRANCE

Président
MFélix LEYZOUR,
Rapporteur
MDaniel CHEVALLIER,
Députés.
--
AUDITIONS
TOME II
Volume 2
(1) La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

Agro-alimentaire.

Cette Commission est composée de : MM. Félix LEYZOUR, Président, M. André ANGOT, Mme Monique DENISE, Vice-présidents MM. Pierre CARASSUS et Jean-François MATTEI, Secrétaires, M. Daniel CHEVALLIER, Rapporteur ; MM. André ASCHIERI, Jean BARDET, Alain CALMAT, Patrice CARVALHO, Mme Laurence DUMONT, MM. Renaud DUTREIL, Jean-Pierre FOUCHER, Claude GATIGNOL, Jean GAUBERT, Hervé GAYMARD, Germain GENGENWIN, Michel GRÉGOIRE, Mme Odette GRZEGRZULKA, MM. François GUILLAUME, Pierre LELLOUCHE, Patrick LEMASLE, Jean MICHEL, Gilbert MITTERRAND, Joseph PARRENIN, Jacques PÉLISSARD, Mmes Annette PEULVAST-BERGEAL, Michèle RIVASI, MM. François SAUVADET et Jean-Luc WARSMANN.

Les présentes annexes reprennent l'intégralité des procès-verbaux des auditions auxquelles la commission d'enquête
a procédé du 20 octobre 1999 au 3 février 2000

Ces procès-verbaux sont présentés dans l'ordre des différents cycles retenus par la commission d'enquête

Le sommaire détaillé des cycles figure en en-tête de chacun d'eux

Pages

TOME I :

Premier cycle : le bilan des travaux du Parlement sur la sécurité sanitaire des aliments au 20 octobre 1999 .................................................................. 5

Deuxième cycle : le témoignage des responsables institutionnels................................................. 111

Troisième cycle : l'expertise des scientifiques........... 409
TOME II :
Quatrième cycle : l'analyse des acteurs de la filière alimentaire..................................................... 5
TOME III :
Cinquième cycle : l'environnement international......
Sixième cycle : le témoignage du gouvernement français....................................................
QUATRIEME CYCLE
L'ANALYSE DES ACTEURS DE LA FILIERE ALIMENTAIRE
SOMMAIRE DU QUATRIEME CYCLE DES AUDITIONS

Pages

I. L'analyse des consommateurs
- le forum avec les associations de consommateurs (30 novembre 1999)1.............................................. 11
- le débat avec les associations de consommateurs (9 décembre 1999) à SAINT-BRIEUC.......................... 53
- l'analyse de l'Institut national de la consommation : audition de M. Marc DEBY (1er décembre 1999)............................. 63
II. L'analyse du monde agricole
- le forum avec les associations nationales des exploitants agricoles (8 décembre 1999)1.............................................................. 72
- le forum avec les fédérations nationales de producteurs (24 novembre 1999) 1.......................................................... 109
- l'expertise de M. le Professeur Pierre LE NEINDRE, Directeur à l'I.N.R.A., membre du comité scientifique européen de la protection animale (23 novembre 1999) ............................................................ 143
- le débat avec les associations d'exploitants agricoles du département des Côtes d'Armor (9 décembre 1999) à SAINT-BRIEUC1
..................................................................................... 152
- le débat avec les vétérinaires du département des Côtes d'Armor (9 décembre 1999) à SAINT-BRIEUC1.................................... 166
- l'analyse de l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture : audition de M. Guy VASSEUR, représentant M. HERVIEU, Président de l'Assemblée permanente (21 décembre 1999)............................ 179
III. L'analyse du monde industriel
1.- Les débats avec les représentants de l'alimentation animale, de l'abattage et de l'équarrissage :

- audition de M. Yves MONTECOT, Président du syndicat national des industriels de la nutrition animale (S.N.I.A.), de Mme Charlotte DUNOYER, Déléguée générale, de M. Daniel RABILLIER, Président de la fédération nationale des coopératives de production et d'alimentation animale (SYNCOPAC), et de M. Pierre MERLOT, Directeur (1er décembre 1999) ................................................................................... 188

- audition de M. Laurent SPANGHERO, Président de la Confédération française des entreprise bétail et viande (C.F.E.B.V.) et de M. François TOULIS, Président de la fédération nationale de la coopérative bétail et viande (F.N.C.B.V.), assistés de M. Pierre HALLIEZ (1er décembre 1999).......................................................... 204

- audition de M. Bruno POINT, Président du syndicat des industries françaises des coproduits animaux (S.I.F.C.O.) (1er décembre 1999) ................................................................................... 219

2.- Le forum avec les responsables des industries chimiques et phytosanitaires (7 décembre 1999)1...................................... 231

3.- Les forums avec les représentants des industries agroalimentaires :

- le forum avec les dirigeants des industries agroalimentaires (14 décembre 1999)1....................................................... 269

- le forum avec les représentants syndicaux des industries agroalimentaires (22 décembre 1999)1.................................. 315

IV. L'analyse du monde des services

1.- L'entretien avec les représentants du négoce de gros : audition de M. Arnaud de MORCOURT, Directeur général de la confédération française du commerce de gros et du commerce international (C.G.I.), de M. Hugues POUZIN, Directeur de la fédération française des syndicats de négociants en pommes de terre et légumes en gros et de M. Bernard STEINITZ, Secrétaire général de l'union du mareyage français (10 janvier 2000).......... 337

2.- Le forum avec les représentants de la distribution alimentaire1 : (15 décembre 1999) ............................ 360

3.- Les débats avec les représentants de la restauration :

- audition de M. Damien VERDIER, Président de la commission qualité du syndicat national de la restauration collective, et de MM. Bernard LEYMONIE et Jean-Claude GANDRILLE, Président et Vice-président du comité de coordination des collectivités (21 décembre 1999) .............................. 403

- audition de M. Philippe LABBE, Président du syndicat national de l'alimentation et de la restauration rapide (S.N.A.R.R.), Directeur général de Mc Donald's, et de M. GRAVIER, Directeur qualité de Mc Donald's (21 décembre 1999)............ 414

- audition de M. Pierre GAUTHIER et Alain FROUARD, Président et Délégué général du syndicat national des restaurateurs, limonadiers et hôteliers, de M. André DAGUIN, Président de l'union des métiers et industries de l'hôtellerie (U.M.I.H.) et de M. Dominique CREPET, Conseiller expert auprès de la Chambre syndicale de la haute cuisine française (22 décembre 1999) ................................................................... 423

I.- L'analyse des consommateurs

Le Forum avec les Associations nationales de consommateurs
- Avec la participation de :
- M. Eric AVRIL, Secrétaire général de l'association force ouvrière consommateur ;
- M. Gérard BENOIST du SABLON, Vice-président de l'organisation générale des consommateurs ORGECO-C.G.C. ;
- M. Hubert BRIN, Président de l'Union nationale des associations familiales ;
- M. Christian HUARD, Secrétaire général de l'association de défense, d'éducation et d'information du consommateur de la F.E.N., A.D.E.I.C.-F.E.N. ;
- M. Daniel HUCHETTE, Secrétaire général de l'association Etudes et consommation ;
- M. Gérard MONTANT, Secrétaire général de l'association pour l'information et la défense du consommateur salarié INDECOSA-C.G.T. ;
- Mme Marie-Josée NICOLI, Présidente de l'union fédérale des consommateurs Que Choisir ? ;
- Mme Marie-Claude PETIT, Présidente de l'association des familles rurales accompagnée de M. Daniel PEPERS.
(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 30 novembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
M. Daniel Huchette, secrétaire général de l'association Etudes et Consommation ; Mme Marie-Josée Nicoli, présidente de l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir ? ; M. Christian Huard, secrétaire général de l'association de défense, d'éducation et d'information du consommateur de la F.E.N., l'A.D.E.I.C.-F.E.N. ; M. Hubert Brin, président de l'Union nationale des associations familiales ; M. Gérard Montant, secrétaire général de l'Association pour l'information et la défense des consommateurs salariés, l'INDECOSA-C.G.T. ; M. Gérard Benoist du Sablon, vice-président de l'organisation générale des consommateurs, ORGECO-C.G.C. ; Mme Marie-Claude Petit, présidente de l'association des familles rurale ; M. Eric Avril, secrétaire général de l'association Force Ouvrière Consommateurs, sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les intéressés prêtent serment.
M. le Président : Mesdames et messieurs les Présidents, Secrétaires généraux et Directeurs, la commission d'enquête sur la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France poursuit ses investigations et a l'honneur de vous saluer.
J'ai le plaisir d'ouvrir aujourd'hui ce forum consacré aux associations de consommateurs, dont je ne doute pas qu'il sera un plein succès, si chacun veut bien respecter les règles fixées par notre bureau.
Aussi, demanderai-je à chacun d'entre vous de prononcer un court exposé introductif, de façon à présenter les caractéristiques majeures de son association ainsi que la perception globale que celle-ci peut avoir des problèmes soumis à notre commission.
Conformément au tirage au sort, la parole est à M. Daniel Huchette.
M. Daniel HUCHETTE : Monsieur le président, je m'en tiendrai à quelques points essentiels.
En premier lieu, mon association préfère distinguer sécurité sanitaire et qualité des aliments.
Elle entend, en second lieu, mettre l'accent sur le process de production des aliments et sur la qualité de ce process. La plupart des problèmes alimentaires qui se posent à notre pays sont liés à l'organisation de la filière et à la mise sur le marché de ses produits. C'est dire que nos entreprises doivent posséder une très grande maîtrise de la qualité à tous les stades de la production et de la distribution.
C'est pourquoi, il nous paraît indispensable de développer, autant que possible, la traçabilité. Nous considérons, en effet, dès lors que cette traçabilité s'avère possible pour n'importe quel type de médicament, qu'il n'y a aucune raison pour qu'elle ne le soit pas dans le domaine de la production alimentaire, où la modernité de nos entreprises jointe aux possibilités offertes par les systèmes informatiques permettent précisément cette transparence et cette traçabilité.
En quatrième lieu, nous constatons que le principe de précaution semble être devenu, pour l'opinion publique, la panacée. Or, plutôt que de parler de " principe de précaution ", terme qu'il faudrait réserver à un certain nombre de points bien précis, nous préférons parler de " principe de prévention ", le principe de précaution ne devant être utilisé que pour les innovations provenant de la recherche scientifique, celles qui ont vocation à modifier ou à transformer les modes de production agricole ou les modes de transformation agroalimentaire.
Nous ne pensons pas, d'ailleurs, qu'il revienne au législateur de le définir mais aux différents comités d'éthique de l'utiliser ; ceux-ci doivent être saisis chaque fois que cela est nécessaire, dans la mesure où les innovations sont de toute nature et n'appellent pas toutes une même définition.
Si l'on examine les choses de plus près, le sigle " O.G.M. ", par exemple, englobe une grande diversité de situations dont certaines, de notre point de vue, ne sont pas acceptables. On peut améliorer la qualité du riz - y compris par des manipulations génétiques sans problème, alors que, pour certains maïs, les problèmes peuvent avoir de lourdes conséquences
Toutefois, répétons le, si l'on va vers une application trop exigeante de ce principe, cela peut nous empêcher d'avancer dans un certain nombre de domaines, ce qui nous conduit à penser qu'il conviendrait plutôt que d'évoquer un principe abstrait, de réfléchir concrètement à la façon de mieux maîtriser les risques.
En cinquième lieu, nous craignons que le souci de sécurité n'inspire la production d'aliments qui auront perdu leur goût ou qu'à force de manger des aliments sans saveur et sans flore biologique, nos organismes ne perdent leurs aptitudes à se défendre.
Enfin, je mettrai l'accent sur un dernier point : notre organisation de consommateurs étant issue d'une organisation syndicale, nous considérons que les salariés ont une part de responsabilité dans la façon dont notre alimentation est produite, transformée et mise sur le marché. Les salariés savent ce qui se passe dans les entreprises et auraient sans doute beaucoup de choses à dire sur les process de production. Aussi, sans vouloir renforcer le pouvoir réglementaire de l'Etat, nous devons tendre à une plus grande responsabilité des salariés, à une meilleure information et à une meilleure formation de ces derniers ainsi qu'à un renforcement de leurs droits collectifs dans les entreprises, pour qu'ils puissent s'opposer à des productions qui ne respecteraient pas la santé et la sécurité des populations.
Pour le reste, la façon dont les choses se passent en France nous convient assez bien et nous considérons notamment que le fait de s'être doté d'une agence de sécurité sanitaire des aliments permet de disposer au stade ultime d'un produit et, avant la mise sur le marché de ce dernier, des renseignements que les pouvoirs publics estiment nécessaires de détenir sous la forme d'un avis autorisé assurant l'innocuité des aliments qui lui sont soumis.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est à Mme Françoise Guillon.
Mme Françoise GUILLON : Monsieur le président, depuis sa création, en 1925, l'Union féminine civique et sociale, l'U.F.C.S. et les femmes qui y adhèrent se sont beaucoup préoccupées d'alimentation.
C'est dire que, face aux problèmes actuels, l'U.F.C.S. s'est énormément investie, notamment dans le domaine des certifications de qualité, sans pour autant négliger le problème du coût des produits alimentaires.
La succession des crises dans ce domaine a effectivement inquiété l'opinion publique et si, auparavant, nos permanences recevaient très peu de demandes d'information relatives aux problèmes alimentaires, nous en sommes actuellement submergés.
Les points qui reviennent le plus souvent concernent d'abord la transparence et la traçabilité des produits.
Le problème des animaux nés après l'interdiction des farines - les N.A.I.F. - est de ceux là. Presque chaque mois, de nouveaux troupeaux sont abattus, de nouveaux cas de maladies sont déclarés. La maladie de Creutzfeldt-Jakob fait très peur. Nous demandons en conséquence que les farines qui continuent à être données aux porcs ou aux volailles soient désormais interdites, à moins que le consommateur n'ait la certitude qu'elles sont exemptes de prions. Nous demandons également davantage de contrôles et des sanctions plus lourdes pour les fraudeurs qui introduisent dans ces farines toutes sortes de composantes.
Me réservant d'aborder le second point qui nous préoccupe - celui des O.G.M. - tout à l'heure, j'aborderai tout de suite celui des boues des stations d'épuration. De tout temps, il faut le reconnaître, on a employé des matières fécales pour la fertilisation des sols, mais la situation actuelle est spécifique, en ce que les difficultés proviennent de la présence de métaux lourds dans les déchets. Aussi plusieurs critères devraient être pris en compte, notamment par les communes, pour permettre d'élaborer les conventions de rejet qui font actuellement défaut. Il existe, certes, des normes déterminées par le C.S.H.F.P.F. pour les boues et pour les sols. Il existe des interdictions d'épandage sur les sols dont les teneurs en métaux lourds sont trop importants, mais il n'existe pas d'interdiction de culture sur les sols contenant ces métaux. Et, par ailleurs, il n'y a pas d'étude qui précise si les métaux lourds se transmettent aux produits récoltés. C'est sur ce point que nous aimerions attirer votre attention.
Cela étant dit, la législation française nous paraît globalement bien conçue, même si elle n'est pas toujours correctement appliquée. En outre, si notre droit prend en compte le principe de précaution, celui-ci a été spécialement défini pour les questions d'environnement et n'a nullement été conçu en songeant aux problèmes spécifiques de l'alimentation. Plusieurs pays qui acceptent de prendre certaines précautions, récusent le principe pris dans son sens le plus large. Il conviendrait donc que l'Assemblée nationale s'intéresse à ce problème et apporte d'utiles précisions en la matière.
Enfin, j'évoquerai d'un mot le problème de la nutrition, car le fait de voir de plus en plus de jeunes soit obèses, soit filiformes, constitue un sujet de préoccupation.
M. le Président :  Je vous remercie. La parole est à M. Perrot, Directeur scientifique à la confédération Consommation, Logement et Cadre de vie.
M. Vincent PERROT : Depuis quelques années, le choix des consommateurs français sur le marché des denrées alimentaires est de plus en plus grand, qu'il s'agisse de produits français, de produits de l'Union européenne ou des pays tiers, dans le cadre des accords de l'O.M.C.
La C.L.C.V. pense que c'est là un avantage pour le consommateur, dès lors que le choix de ce dernier est réel, c'est à dire que les produits inspirent la même confiance, d'où qu'ils viennent et qu'une information crédible et complète sur les denrées permet à ce consommateur de choisir en connaissance de cause, quelle que soit l'origine des produits.
Certes, les contrôles présentent en France une réelle crédibilité, mais diverses interrogations persistent en ce qui concerne les produits pouvant provenir de l'intérieur de l'Union et, plus encore, des pays tiers.
Il est important d'assurer la traçabilité des produits, de " construire " la sécurité alimentaire, tout au long de l'élaboration des denrées, en tenant compte des intrants agricoles, qu'il s'agisse des engrais, des pesticides, des insecticides, mais aussi de l'alimentation animale qui semble utilisée pour recycler un certain nombre de déchets, ce qui ne paraît ni très sain, ni très conforme à notre éthique.
Enfin, le consommateur doit pouvoir disposer de toute l'information nécessaire pour pouvoir choisir. Il doit pouvoir s'opposer à l'entrée de denrées sur le marché, au nom du principe de précaution si souvent mis en avant et qui, pour nous, devrait se traduire - pour toute nouvelle technologie ou tout nouveau produit - par l'affichage des avantages qu'il apporte comme des risques qu'il présente et par la possibilité de contrôler et de suivre cette nouvelle technologie, possibilité sans laquelle il n'y aura jamais de choix réel pour le consommateur. C'est ainsi que les consommateurs ont l'impression d'être " cernés " par les O.G.M., parce qu'ils ne savent pas exactement ce qu'ils achètent.
Le marché unique, cela signifie les mêmes règles dans toute l'Union européenne et des contrôles communs et fiables, quel que soit le pays de l'Union. Or on a vu cet automne, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et les comités scientifiques de l'Union européenne avoir, sur un même sujet, des opinions divergentes. On parle beaucoup d'une agence européenne de sécurité alimentaire, mais on sait aussi que chaque Etat membre prépare la sienne. Aussi nous interrogeons-nous sur le rôle de cette agence européenne. Comprendra-t-elle des comités scientifiques ? De quel pouvoir disposera-t-elle sur les organes nationaux de contrôle ? Cette perspective peut être envisagée, à notre avis, mais il faut voir comment se fera le lien entre les agences nationales et l'agence européenne.
Le problème du marché unique réside surtout dans la fiabilité des contrôles aux frontières. A cet égard, il est inadmissible que l'on ait pu trouver sur le marché européen des viandes américaines hormonées en proportion non négligeable, alors qu'on ne devrait, en principe, pas en trouver. Il est tout aussi inadmissible, alors que l'on interdit, dans toute l'Union européenne, des additifs antibiotiques dans l'alimentation animale, que ces antibiotiques soient autorisés aux Etats-Unis et que des viandes imprégnées d'antibiotiques se retrouvent sur les marchés de l'Union européenne. Ce n'est vraiment pas la peine d'imposer des contraintes à nos agriculteurs, si nous ne réussissons pas à faire subir les mêmes contraintes aux produits venant de l'étranger.
Pour les O.G.M., se pose le problème de leurs conséquences prévisibles à moyen et à long terme. Il faut une traçabilité, un étiquetage, une surveillance épidémiologique des populations. Il y a déjà un refus très fort, parmi les consommateurs, de certains organismes génétiquement modifiés, notamment de ceux qui sont résistants aux antibiotiques, des allergènes que l'on retrouverait dans des aliments et pour lesquels il n'y a pas d'allergies connues, comme il y a un refus des porcs et des saumons dopés génétiquement, à défaut de l'être par des hormones. Alors que nous avons refusé les hormones par piqûres, nous n'allons pas les accepter par le biais de manipulations génétiques et de productions endogènes !
Quant aux farines animales, la C.L.C.V. s'est prononcée contre leur utilisation dans l'alimentation sauf à en fixer a priori tous les ingrédients et les techniques de fabrication, et ce, afin d'éviter que les animaux ne deviennent les " recycleurs " de nos poubelles.
M. le Président :  Je vous remercie. La parole est à Mme Marie-Josée Nicoli.
Mme Marie-Josée NICOLI : Mon organisation vous ayant déjà remis des documents, je traiterai rapidement des problèmes que pose actuellement la sécurité alimentaire.
Si le sujet est si présent, c'est que, depuis quelques années, nous sommes entrés dans une ère nouvelle de l'alimentation. Celle-ci se caractérise par les nombreuses affaires qui ont tant choqué les consommateurs et que chacun connaît. Mais nous vivons surtout une époque de consommation de masse avec une agriculture qui a beaucoup évolué et qui est aujourd'hui une agriculture industrialisée. De plus, nous sommes le premier pays d'Europe pour les exportations agroalimentaires, l'un des tout premiers pays agricoles au monde. Tout ce qui est alimentaire, par nos coutumes et nos usages, est très lié à la vie quotidienne de notre population.
Contrairement à ce que certains peuvent penser, pour nous, la sécurité alimentaire n'a strictement rien à voir avec la qualité des produits et nous considérons qu'il est très dangereux de vouloir considérer que la sécurité alimentaire puisse être confondue avec la qualité des produits. La qualité, c'est autre chose, c'est de la valeur ajoutée. La sécurité alimentaire est un préalable que doit posséder tout produit mis sur le marché, qu'il soit standard ou de qualité. C'est un droit pour les consommateurs de quelque niveau social qu'ils soient et quels que soient les produits. La sécurité sanitaire c'est le B.A., BA de l'alimentation à tel point qu'il ne devrait même pas être question d'en parler. C'est un droit pour le consommateur de disposer de produits sains et c'est un devoir pour les professionnels de ne mettre sur le marché que de tels produits.
Parmi les produits qui nous posent problème, figurent d'abord les produits phytosanitaires. Nous sommes les champions en Europe pour l'utilisation de ces produits. Certains sont interdits depuis vingt ans et on continue pourtant à en trouver des traces. Ils sont certes interdits pour les agriculteurs, mais autorisés dans d'autres activités. Je pense en particulier au D.D.T. Or les produits phytosanitaires - appellation pudique des pesticides - présentant de nombreux inconvénients et polluent l'eau, les fruits et les légumes.
Des enquêtes menées par le ministère de l'Agriculture, par la D.G.C.C.R.F, ou encore de celles que nous menons en tant qu'organisation de consommateurs sous forme d'essais comparatifs, il ressort que les doses journalières de pesticides sont largement dépassées et que, du fait de cette accumulation au fil des années, des maladies peuvent se déclarer.
En dehors des consommateurs, il ne faut pas oublier qu'il y a aussi les agriculteurs qui constituent une population à haut risque, du fait de la manipulation des pesticides : 25 % de cancers et des maladies de cette catégorie socioprofessionnelle en résultent. Les produits phytosanitaires constituent un énorme problème. La France est, en Europe, je le répète, une mauvaise élève. Près de 900 produits circulent chez nous et nous en utilisons beaucoup plus que d'autres pays.
Il y a aussi tout ce qui concerne les hormones. Elles sont interdites en Europe, mais il n'empêche que l'U.F.C. doit se porter partie civile quinze fois par an dans le cadre de procédures concernant des fraudes et que chaque affaire concerne un nombre important de têtes de bétail, à tel point que cela a pu aller jusqu'à 3 000 bêtes appartenant à un même éleveur ! C'est un problème majeur dans le cadre de nos relations avec les Etats-Unis, qui frappent à notre porte en voulant absolument nous imposer leurs viandes hormonées.
J'y ajouterai les antibiotiques. La France, championne pour l'utilisation des antibiotiques en médication humaine, l'est aussi pour les antibiotiques utilisés préventivement chez les éleveurs de bovins, d'ovins, de poulets et de porcs. Même chez les agriculteurs qui font de l'élevage à l'ancienne - j'ai pu le constater - l'agneau sevré reçoit dans son alimentation des antibiotiques, pour lui permettre de mieux se développer et éviter ainsi tout problème de santé.
On vous a parlé des boues des stations d'épuration. Il est interdit au niveau communautaire de les mélanger à l'alimentation animale et aux farines. J'espère que la fraude constatée en France ne se reproduira pas, qui plus est, avec la complicité de certains fonctionnaires : on sait en effet que des autorisations avaient été données et nous espérons que les sanctions seront significatives.
En matière de sécurité sanitaire, il est, en effet, très important qu'il y ait des sanctions. Si vous savez que vous ne risquez rien, vous êtes tentés de faire n'importe quoi. Or dans l'alimentation animale, les professionnels utilisent n'importe quels produits. Quand on va dans les usines d'équarrissage, on voit fort bien que le travail y est très éprouvant, que l'on y manipule des matières qui ne sont guère " ragoûtantes ". Même les carcasses qui viennent directement des abattoirs et qui sont, en principe, propres à la consommation ne le sont pas non plus.
Dans la composition des farines animales entrent tous les animaux morts ou malades - chiens, chats... Certes cela ne se fait plus, en France, ni en Angleterre, ni en Suisse, ni au Portugal, mais cela se pratique toujours chez les autres Etats membres... mais en France, des fraudeurs y ont subtilisé des boues !
Les farines animales faites en France devraient, en principe, être propres et nous ne sommes pas opposés à leur utilisation pour les porcs, la volaille et les poissons, à la condition que ces farines animales soient bien - comme le prévoit la réglementation de juillet 1996 - issues de carcasses d'animaux sains passés par un abattoir.
Nous reviendrons plus tard sur les O.G.M. dont nous avons déjà largement discuté dans cette enceinte avec la Conférence des citoyens. Nous avons chacun nos idées. Un marché de produits O.G.M. se constitue, sans que les décisions qui eussent été nécessaires aient été prises. Nous sommes toujours dans l'expectative et le consommateur ne sait pas très bien ce qu'il doit faire. Or la responsabilité des industriels est engagée. En effet, seuls 5 à 10 % de notre panier sont constitués de produits agricoles non transformés. Le reste est composé, reconstitué, industrialisé, sophistiqué, c'est-à-dire qu'il s'agit de tout, sauf de matières premières agricoles.
En fait, toutes les affaires que nous avons connues ces dernières années sont apparues dans le segment industriel de la filière agroalimentaire : là où les process ont été modifiés, là où l'on a rajouté, par exemple, de l'huile de vidange dans les matières grasses. A notre sens, la phase industrielle est celle qui est la plus fragile, du fait des grandes quantités qu'on y produit. Il faut que ce segment de l'agroalimentaire soit vraiment " responsabilisé " grâce au développement de l'autocontrôle, à la certification, à de véritables contrôles des services de l'Etat et non grâce à des contrôles qui se contentent de contrôler les autocontrôles.
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J'en terminerai, en parlant des risques sanitaires que font courir les intermédiaires et la distribution. S'il y a certifications et autocontrôles dans la partie industrielle, il faut aussi un suivi au-delà. La rupture de la chaîne du froid, dans la partie que constitue la distribution intermédiaire, est un problème essentiel. Il paraît anodin, alors qu'il peut être la source d'aliments contaminés et dès lors néfastes pour les consommateurs.
Il y a bien d'autres points qu'il conviendrait d'aborder, comme la traçabilité, l'étiquetage, les risques d'allergie : la preuve est faite que l'alimentation est la source principale des allergies dont le nombre de cas a été multiplié par six en l'espace de quinze ans ; ou bien encore le problème très concret de la date limite de consommation, la D.L.C., dont l'irrespect peut provoquer de réels problèmes de santé.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est à M. Christian Huard.
M. Christian HUARD : J'éviterai d'aborder les thèmes qui ont déjà été évoqués, pour m'attacher à vous apporter des éléments complémentaires.
Il convient de comprendre d'abord la raison de cette accumulation de crises, l'importance qu'elles prennent aujourd'hui chez les consommateurs, le relais médiatique qu'on leur accorde, alors qu'autrefois, elles se cantonnaient à quelques cercles qui étaient sensibilisés à ces problèmes.
Ici interviennent les processus de fabrication et leur caractère répétitif, monotone. Il suffit que des spécialistes disent qu'il serait bon de donner des protéines animales à des ruminants, pour que tout se mette en place pour y contribuer, ce avec le concours des techniciens des centres de recherches de l'I.N.R.A., des formateurs agricoles, des vendeurs de produits alimentaires. Puis, tout arrive chez l'agriculteur qui n'a pas d'autre choix que de se soumettre à cette uniformisation des processus de fabrication. Mais si un problème surgit en amont, c'est toute la filière qui en subit les conséquences.
Nous pourrions, en aval, prendre l'exemple d'une boisson bien connue dont le processus de fabrication est unique au monde. Pour peu qu'on le modifie en commettant une erreur, c'est l'humanité tout entière qui pourrait en subir les conséquences. La thèse selon laquelle nous sommes devant une alimentation de plus en plus saine, hygiénique, contrôlée, mais qui présente néanmoins des risques amplifiés repose sur ce phénomène d'uniformité.
Second élément, il ne faut pas jouer avec les mots. Nous avons des débats, non pas dogmatiques, mais théoriques avec les professionnels et avec les pouvoirs publics. Pour nous, la sécurité sanitaire est un droit et il n'est pas question d'inclure dans des certifications de qualité des éléments touchant à la sécurité. La sécurité est un droit pour tous, y compris et surtout, pour les plus défavorisés.
Certaines déviations relatives à la traçabilité nous en fournissent l'exemple aujourd'hui. Or si la sécurité devait être considérée comme un critère de qualité, incontestablement, la consommation risquerait de se dualiser, car les produits à la fois sûrs et de qualité iraient à ceux qui ont la capacité économique de les acquérir.
C'est ainsi que nous sommes très sensibles au problème de la restauration collective et notamment, de la restauration scolaire. Les contraintes économiques et les règles des marchés publics sont telles qu'il n'est pas toujours possible de faire ce que l'on souhaiterait faire. Aussi bien, la restauration collective doit-elle parfois se contenter des produits que ne veulent même pas vendre les chaînes de consommation de masse, ce qui n'est pas sans créer des incertitudes sur la sécurité elle-même. Or pour nous, la sécurité reste un droit fondamental. Il faut le dire et le redire, car il y a des débats en France, en Europe, au niveau mondial, afin de déterminer si la sécurité doit constituer un droit accordé en tout état de cause aux citoyens ou si elle ne doit résulter que d'un choix qui leur serait offert. Notre réponse est catégorique ; mais, s'il est facile de répondre dans l'absolu, il est plus difficile de travailler sur des cas concrets.
A la lecture des diverses crises que nous avons connues, je voudrais insister sur le problème des contrôles et des sanctions. On peut continuer de créer des règles juridiques nationales, européennes, voire mondiales au sein de l'O.M.C. Le problème, c'est leur application, leur contrôle et les sanctions qui leur sont liées.
S'agissant des sanctions, quelques éléments sont susceptibles de fixer les termes de notre débat. L'ensemble des crises alimentaires - dioxine, farines animales, Coca-Cola - ne se traduit, au contentieux, que par trois cents dossiers. Le recours à des boues d'épuration n'a donné lieu qu'à cinq procédures contentieuses. C'est si peu qu'on est en droit de se poser la question des suites qui sont effectivement données aux lois que vous adoptez.
Concernant les problèmes soulevés par l'équarrissage, les soupçons doivent se porter sur ceux qui dirigeaient ces stations qui sont pourtant des établissements soumis à des enquêtes publiques. Le rôle de l'Etat est d'apporter de la transparence dans les procédures dans les meilleurs délais. Une enquête interne à l'administration doit établir la réalité des faits. Il n'est pas normal que l'Etat, au travers de ses agents locaux, se croie au-dessus des lois et des directives européennes, alors que c'est à lui de donner l'exemple.
Je le dis devant vous avec une certaine solennité : nous attendons des enquêtes et des sanctions et non de simples réparations civiles. Les préjudices sont, certes, assez faibles pour l'instant. Mais il y a eu des manquements à leurs obligations, de la part tant de certains agents de l'Etat que de responsables d'entreprises.
Il faudra donner à ce débat sur une autre dimension : il faut savoir que l'harmonisation des contrôles est encore difficile en France et surtout en Europe. Si je prends l'exemple des Pays-Bas, les corps de contrôle y sont formés pour exercer un contrôle économique et pas du tout un contrôle sanitaire. Les corps de contrôle allemands s'emploient à " faire du chiffre ". Or contrôler ne consiste pas simplement à rentrer dans un magasin et à en ressortir aussi vite. Contrôler, c'est parfois envoyer des produits en laboratoire, même si les coûts de traitement sont élevés, pour en connaître le contenu exact.
La nature et le nombre des contrôles, la qualité des contrôleurs et des établissements en charge de ces contrôles sont aussi importants que le principe même du contrôle. Nous attendons le " Livre blanc " sur la sécurité alimentaire que le nouveau commissaire européen chargé de la consommation a promis pour le mois de décembre. Nous attendons de nouvelles propositions européennes, car le moment viendra où l'on arrêtera de considérer les contrôles comme des entraves à la concurrence.
S'il n'y a pas les mêmes contraintes, les mêmes contrôles et les mêmes sanctions dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, il faut savoir que nous serons de facto amenés à diminuer la qualité et le nombre de nos contrôleurs. Et pourtant, nous sommes déjà inquiets de voir leur faible nombre au regard de la qualité des produits vendus en France, de la rapidité du renouvellement de ces produits qui nécessiteraient au contraire de la part de l'Etat un regard renouvelé sur le nombre et sur la qualité de ses contrôleurs.
Quand on parle de traçabilité, il faut savoir que le découpage entre les divers types de contrôles et la différence des réglementations concernant ces contrôles vont poser de réels problèmes. Les contrôleurs, les inspecteurs, les vétérinaires, tous les agents de la répression des fraudes vont avoir à travailler beaucoup plus sur le terrain informatique et sur celui de l'organisation des marchés que sur un terrain purement scientifique. Leur objectif ne sera plus seulement de savoir si tel aliment contient telle ou telle toxine ou tel ou tel O.G.M., mais de suivre les produits à la trace.
Si des filières relativement propres sont mises en place par le biais de la traçabilité, il faudra s'assurer, à tous les stades, qu'il n'y aura pas de blanchiment de " produits sales ". Il ne faut pas que la traçabilité serve de couverture à des produits qui auront pour effet de détourner l'objet même de la traçabilité. Nous avons l'impression, qu'à force d'en parler, il est devenu inutile d'en débattre. Or il faudra veiller à ce que la traçabilité ne soit pas une couverture pour camoufler des pratiques illégales.
On nous signale que, si tant de bateaux arrivent aux Pays-Bas en évitant nos ports, c'est que les contrôles y sont plus qu'allégés. Et plus on renforcera les contrôles dans les ports français et européens, plus on incitera les flux de marchandises à transiter par des ports plus complaisants. Dans le domaine alimentaire, où il faut respecter la chaîne du froid, les contrôles sont très vite submergés et transiter par un port sans réel contrôle présente autant d'avantages économiques que de désagréments sanitaires.
Sur l'étiquetage, il faut que les choses soient claires. Si l'étiquetage est une façon de signaler que le produit mis en vente est dangereux, nous n'en voulons pas. Ce serait le cas de l'étiquetage du b_uf britannique, puisque cet étiquetage sous-entendrait qu'il est dangereux et que l'on nous conseille de ne pas en acheter, l'étiquetage n'étant plus conçu alors pour apporter davantage d'informations au consommateur, mais pour le protéger. L'étiquetage des O.G.M. relèverait d'ailleurs de la même logique. Comme on ne peut pas les interdire et que l'on souhaite laisser aux gens la possibilité de ne pas en acheter, on perçoit l'étiquetage comme étant la bonne solution. Selon cette logique, on pourrait voir demain une étiquette ainsi libellée : " Attention, ce produit contient de l'arsenic ". Certes l'arsenic peut tuer, mais le consommateur est prévenu. On comprend par cet exemple que l'étiquetage protecteur a des limites.
Je terminerai par le principe de précaution. Tant que nous ne sommes pas d'accord sur son champ d'application, sur ses modalités, sur son contenu, en amont comme en aval, il faut en avoir une approche très raisonnée. Certes, nous réclamons la mise en _uvre du principe de précaution, mais il est urgent d'en préciser les contours. Si n'était pas admise l'idée d'une certaine proportionnalité des décisions à prendre par rapport aux risques à courir, nous pourrions craindre un retour de l'obscurantisme. Tout progrès, tout produit nouveau, toute nouvelle technologie seraient a priori dangereux, sauf à avoir fait ses preuves pendant vingt ans. Ce serait un frein au progrès économique, social et sanitaire dans notre pays. Le principe de précaution doit faire l'objet d'une nouvelle réflexion que nous sommes prêts à conduire avec le législateur. Il est urgent que, dans notre pays, en Europe et dans le monde, on y réfléchisse.
M. le Président : M. Avril n'étant pas encore arrivé, la parole est à M. Hubert Brin.
M. Hubert BRIN : Dans une institution généraliste comme l'U.N.A.F., le président ne peut pas être omniscient. Je ne suis donc pas un spécialiste des questions de consommation, mais il y a des responsables à l'U.N.A.F. qui le sont, qui ont préparé une note sur le sujet que je vous remettrai quoiqu'en la relisant, je vois que tout ce qui y figure, sur la gestion des risques, la restauration collective, les chaînes alimentaires, l'O.M.C., les O.G.M., a déjà été abordé.
Je ne ferai donc qu'une brève intervention.
La question de la sécurité alimentaire demeurera toujours plus complexe qu'elle ne paraît a priori. Si l'on cherche à la traiter uniquement du point de vue sanitaire, il est clair que la transparence doit être totale, que les règles de sécurité doivent être particulièrement rigides et, qu'à chaque étape, le responsable doit pouvoir être désigné nommément. Mais, il me semble qu'il faut aussi se placer d'un point de vue sociétal, c'est à dire rechercher le sens des questions induites. Dans ce cadre, nous confortons notre tendance naturelle au fantasme de la société sans risque, au refus de la mort et donc, au rêve de l'immortalité.
Nous sommes devant une problématique difficile à tenir. D'une part, le principe de précaution impose de communiquer et la mise en exergue du risque, même non établi définitivement, peut générer la perte de confiance des consommateurs avec son cortège de conséquences économiques et sociales. D'autre part, il serait inacceptable qu'il puisse y avoir des risques pour le consommateur à cause du silence. Donc, l'information doit pouvoir permettre la liberté de choisir un produit de plus ou moins grande qualité ; en revanche, il ne peut pas y avoir de liberté de choix, s'agissant de la sécurité.
Puisque la morale impose que la sécurité d'un produit ne puisse être prise en défaut, il me semble tout à fait inadmissible que cette sécurité puisse devenir un objet de marketing, sous peine de voir s'instaurer une alimentation à deux vitesses. Le développement de pratiques du type de celles qu'on observe sur les produits " non-O.G.M. " préfigure une nouvelle dérive de ce point de vue.
Enfin, même si cela est toujours délicat à organiser, je considère, en tant que président de l'U.N.A.F., que le débat citoyen sur ce sujet comme sur bien d'autres doit se faire sous la forme de consultation des organisations, institutions et associations, plutôt que sous celle du " micro-trottoir "" ou du sondage. De ce point de vue, la rencontre de ce matin me paraît porteuse de débats constructifs.
M. le Président : Je vous remercie, M. Brun, de votre brièveté. Nous aurons place pour le débat tout à l'heure. La parole est à M. Gérard Montant.
M. Gérard MONTANT : Notre organisation vient de fêter son vingtième anniversaire il y a quelques jours. A cette occasion, nous avons organisé à Paris un colloque européen sur la sécurité alimentaire autour de cinq thèmes distincts. Le premier a abordé le problème sous l'angle de la production agricole en recherchant le type de production qui offrait le plus de sécurité. Le deuxième a traité celui de la transformation. Le troisième a porté sur la distribution. Un quatrième a concerné les O.G.M. Enfin, la synthèse a été effectuée à Paris la semaine dernière.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble de ce colloque, mais je vous en remettrai le compte rendu et le document préparatoire ainsi que les enseignements que nous en avons tirés.
Il faut noter que celui-ci a vu débattre entre eux des chercheurs du secteur public, I.N.R.A., C.N.R.S., certaines cellules de recherche de l'Institut Pasteur, mais aussi les chercheurs appartenant à des entreprises comme Biogerma ou Novartis. Nous avons regroupé un grand nombre d'organisations agricoles comme le MODEF et la Confédération paysanne, mais aussi des organismes comme le F.A.R.R.E. c'est à dire le forum pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l'environnement.
Nous avons réuni trente et une organisations européennes de consommateurs venant de douze pays différents, qui ont participé à nos réflexions pendant ces trois jours et nous ont apporté des matériaux importants.
Je n'entrerai pas dans le détail, me contentant de souligner certains des thèmes venus en débat :
1.- La communauté d'intérêts entre agriculteurs et consommateurs, entre producteurs et entreprises dans la recherche de la sécurité alimentaire. 2.- Une prise de conscience très forte au niveau européen de ce que la politique agricole commune ne répond plus aux demandes de la société, que son incitation à la productivité n'est pas forcément synonyme de qualité et de sécurité et que c'est même le contraire.
3.- Le problème des contrôles des process de fabrication et des produits, du niveau des moyens affectés aux contrôles ; les personnels en charge des contrôles en France, ceux de la D.G.C.C.R.F. comme ceux des services vétérinaires du ministère de l'Agriculture, tous nous disant ne pas avoir suffisamment de personnels pour effectuer les contrôles nécessaires.
4.- Le problème des labels et le sentiment général que le recours aux labels conduit à tirer en définitive les produits vers le bas - le label devenant la norme et non l'exception - et à tirer les prix vers le haut, cette double évolution n'étant pas sans incidence sur la sécurité.
5.- Le droit d'alerte des salariés qui, pour l'instant, n'ont aucun droit à dénoncer les processus de fabrication dangereux et qui, quand ils constatent qu'un produit est incorrect, n'ont pas la possibilité de l'exprimer, sinon en perdant leur emploi pour violation du secret de fabrication. Il y a là un droit nouveau à accorder aux salariés qu'un groupe de travail du Conseil national de l'alimentation a pris à son compte.
6.- La nécessité de ne pas globaliser les difficultés. Ce n'est pas parce que l'on rencontre des difficultés, qu'il faut considérer que la sécurité alimentaire est moins bien préservée aujourd'hui qu'elle ne l'était hier. Au contraire, il semble qu'elle soit mieux préservée, mais l'évolution des sciences et des techniques et la plus grande finesse des contrôles nous amènent à être de plus en plus exigeants vis-à-vis de cette qualité.
7.- L'idée que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments devrait servir d'exemple aux autres pays d'Europe et au niveau européen, que cette agence ne devrait pas uniquement répondre aux demandes de l'autorité administrative ou politique, mais qu'elle puisse s'autosaisir. Par exemple, on vient de connaître de nouveaux cas de " vaches folles " en France et pourtant, il semble que des progrès aient été réalisés dans l'alimentation animale. On ne devrait plus compter de nouveaux cas et, pourtant, il y en a encore. D'où la question : le troupeau français est-il ou non porteur des germes de la maladie ? Il y a véritablement une recherche à faire et M. Martin Hirsch qui participait à notre colloque, comme personnalité invitée, a reconnu la nécessité pour l'A.F.S.S.A. de travailler elle-même sur cette question.
8.- L'insatisfaction des consommateurs européens vis-à-vis des structures de concertation à l'échelle européenne qui ne sont pas à la hauteur des exigences.
Nous avons été amenés à avoir un débat particulier sur les O.G.M. qui a débouché sur les conclusions suivantes.
Premier point, les craintes sont partagées par les consommateurs au niveau européen sur les O.G.M., alors qu'on ne peut plus dire aujourd'hui que les consommateurs et leurs organisations ne seraient pas informés et que les réactions observées seraient de nature épidermique.
Nous nous sommes interrogés, en effet, pour savoir si c'était un comportement irrationnel ou phobique de la part des consommateurs, né des crises de la " vache folle " ou du sang contaminé. La réponse a été négative et nous a, au contraire, amenés à considérer qu'elle était étayée sur le principe de précaution, que ce principe conduisait à poser le problème de la non-commercialisation et de la non-mise en culture des semences O.G.M.
A ce stade, il nous semble qu'il ne faudrait pas que le principe de précaution soit " à géométrie variable ". Nous considérons qu'il y a des risques pour la santé et l'environnement avec les O.G.M., tout simplement parce qu'il y a un désaccord entre les chercheurs et qu'il convient de poursuivre la réflexion. On applique, en effet, le principe de précaution à l'encontre du b_uf aux hormones américain, alors que les risques ne sont ni plus ni moins démontrés dans un cas que dans l'autre. Il ne faudrait pas que l'on soit ainsi amené à considérer que le principe de précaution appliqué au b_uf aux hormones n'est simplement qu'un élément de protection des producteurs de b_uf de l'Union européenne. Utiliser le principe de précaution dans un cas et pas dans l'autre, pourrait donner le sentiment d'une démarche variable selon les intérêts.
Il nous a semblé également qu'il y avait, dans la période actuelle, une perversion de la notion de traçabilité et d'étiquetage, qui pouvait de façon déguisée dégager la responsabilité des politiques. Le politique doit prendre une décision, celle de savoir si l'on doit commercialiser ou non un produit, si ce produit a des conséquences sur la sécurité alimentaire. Le fait de dire que l'on va le tracer, l'étiqueter et que le consommateur décidera est un transfert de responsabilité du politique vers le consommateur. Ce transfert n'est pas correct et ne doit pas être mis en _uvre.
Il y a eu aussi une interrogation très forte sur l'attitude multinationale à être à l'égard des O.G.M. et sur le retour sur investissement qu'elles en attendent. Nous nous sommes interrogés sur les conséquences que cela pourrait avoir dans l'avenir quant au brevetage du vivant et sur une série de questions de même nature.
Bien entendu, notre colloque a aussi avancé toute une série de propositions vis-à-vis de l'O.M.C. et l'une des propositions que je vous soumets est que les négociations consacrent cette idée, que le principe de précaution doit toujours prévaloir sur la liberté du commerce.
M. le Président : La parole est à M. Gérard Benoist du Sablon.
M. Gérard BENOIST du SABLON : Je donnerai d'abord quelques précisions sur l'organisation générale de notre association de consommateurs. Elle existe depuis 1959. Trois types d'adhérents la composent : des adhérents indépendants, des adhérents de la C.F.E.-C.G.C. et des adhérents de la C.F.T.C. Nous avons soixante-dix unions départementales et locales. Nos trois axes sont la prévention, le règlement des litiges et tous les problèmes de qualité de vie et de post-consommation.
Il est difficile, quand on doit prendre la parole parmi les derniers, d'aborder les mêmes sujets que ses prédécesseurs. J'aimerais donc prendre un angle complètement différent, même si je suis en accord avec ce que viennent de dire Gérard Montant et mes autres collègues.
Le sujet agroalimentaire est un sujet passionnel, puisqu'il touche notre intimité physique. Si l'on veut être objectif dans l'analyse de ces problèmes, il faut s'interroger en amont sur certains points que je souhaiterais aborder brièvement.
Tout d'abord, nous sommes dans un contexte qui pèse lourd dans notre réalité agroalimentaire nationale, qui n'a plus, en fait, qu'une dimension locale. Deuxièmement, notre perception des réalités souffre de distorsions : distorsion entre des publics divers, distorsion entre nos institutions et celles de l'Europe, distorsion entre nous-mêmes et le reste du monde sur la notion de gestion du risque et le principe de précaution. Troisièmement, nous avons la certitude de bénéficier de garanties nationales supérieures à celle des autres pays, alors que la réalité est beaucoup plus sombre et que notre système de contrôle manque de transparence.
Je voudrais développer ces trois points.
Nous avons tout d'abord des préoccupations locales, alors que notre action s'inscrit désormais dans un contexte beaucoup plus global. C'est ce que les Japonais appellent la blocalisation. Or cette réalité ne peut pas être ignorée, tant le rapport entre l'Europe et l'univers fait que l'Europe, à l'heure actuelle, se situe dans une logique de recherche de type O.E.C. Qu'est-ce que l'O.E.C ? C'est tout simplement la nécessaire Organisation Européenne du Commerce, face à l'Organisation Mondiale du Commerce. Autrement dit, nous n'avons pas de voix politique commune, nous n'avons pas de système législatif unifié en Europe et l'Europe ne dispose que de la sanction, pour imposer la libre circulation des marchandises au sein de la zone euro. Et cela nous pose un certain nombre de problèmes.
La crise franco-britannique l'a révélé de façon très nette. Pourquoi ? Parce que cet affrontement institutionnel a démontré que nous avons perdu un peu la maîtrise de notre politique sanitaire. Nous sommes obligés de constater que les dispositifs mis en place à l'échelon national ne représentent plus la seule voie et qu'une instance supérieure peut, dans un cadre européen, nous imposer un certain nombre de contraintes.
Deuxièmement, en ce qui concerne la distorsion de perception des divers publics, je crois que les Français perçoivent la notion du principe de précaution et de gestion du risque à partir de ce que nous avons nous-mêmes, les uns et les autres, développé, qu'il s'agisse de la presse, de nos institutions ou des relais consuméristes.
Or je pense qu'il y a une grande différence. Nous sommes pour une gestion du risque qui consiste à ne pas vouloir mettre sur le marché toute marchandise qui, précisément, présenterait un risque, ce qui fait, qu'en ce qui concerne le principe de précaution, nous sommes si maximalistes que nous souhaitons que ce principe exclue toute marchandise susceptible de présenter un risque. Or on sait très bien que le principe de précaution est entendu différemment au niveau européen et au niveau mondial.
Le " risque zéro " n'existe pas et, finalement, nous sommes bien contraints à gérer un risque, ce que nous n'avons pas su communiquer à nos concitoyens que nous entretenons dans l'idée que ce " risque zéro " existe. Il faudra donc s'interroger dorénavant sur la façon dont nous devrons communiquer auprès du grand public.
Quoique nous soyons en face d'un risque négligeable, ce principe devient pour nous une exigence essentielle dans nos rapports à l'intérieur de l'Europe, d'où les incompréhensions quand on discute à propos de la circulation des marchandises. Sur cette question, il est évident que les Français demandent une protection maximale et que, sur ce point, il va falloir clarifier les choses.
Dernier point : au niveau des garanties que la France prétend offrir, nous nous considérons toujours comme un modèle de vertu vis-à-vis de l'Europe. Or je tiens à vous dire qu'à l'heure actuelle, nous sommes terriblement critiquables. Nous " " ne faisons pas le ménage chez nous ", ne serait-ce que pour les farines animales qui constituent un problème que nous n'avons pas résolu. Je sais que des dispositions ont récemment été prises pour incinérer des stocks sauvages de farines, mais il y a une vingtaine de sites à travers la France qu'on ne sait pas comment gérer.
Nous devons éliminer les farines à haut risque qui polluent nos sols, alors que nous savons fort bien, que l'équipement des incinérateurs en France ne permet pas d'absorber l'ensemble de ces produits dans les fours, notamment ceux des cimentiers. Nous en avons au moins jusqu'à 2020 pour arriver à résoudre ce problème, sans compter les dégâts collatéraux que cet impératif est susceptible de causer.
A l'heure actuelle, comme on donne des subventions aux cimentiers pour incinérer les farines animales, les pneumatiques usagés ne peuvent plus être incinérés dans les fours. Que viennent faire, me direz-vous les pneumatiques usagés dans cette affaire qui concerne l'agroalimentaire ? C'est que les stocks de pneus à éliminer ne trouvent plus preneurs, puisque les farines animales prennent le pas.
Notre société est confrontée à des réalités complexes. Nous ne pouvons plus les regarder de façon analytique ; je demande que le regard soit global et que l'on examine, chaque fois que l'on fait quelque chose à un endroit, les conséquences qui peuvent en résulter ailleurs.
S'agissant de la protection des Français, il ne sert à rien de leur dire comment se nourrir et comment avoir de meilleures habitudes de nutrition, si nous ne pouvons pas leur fournir une alimentation saine, sans parler même de qualité et en s'en tenant simplement à des considérations de santé.
Sur le système des contrôles, je ne parlerai pas du nombre de contrôles, car je mets en cause le système de contrôle lui-même. Je crois qu'entre réglementations et certifications, en passant par les cahiers des charges multiples des uns et des autres, nous n'avons pas encore trouvé comment assumer un état de veille, une sorte de vigilance, une sorte d'auto-responsabilité sur des problèmes aussi essentiels que la nourriture.
M. le Président : La parole est à Mme Marie-Claude Petit.
Mme Marie-Claude PETIT : Nous sommes une association dont les objectifs ont un caractère général et nous sommes agréés en tant qu'association de consommateurs depuis 1975.
J'interviendrai de façon générale, sachant que nous avons des positions très précises sur le principe de précaution, l'exigence de traçabilité, le système de distribution et l'évolution du régime de restauration. J'espère pouvoir donner les positions de Familles rurales sur ces principes au cours du débat.
Nous sommes implantés dans quatre-vingt trois départements qui regroupent 3 300 associations locales dans quatre-vingt huit fédérations départementales et dix-huit fédérations régionales ; nous cherchons à représenter et à défendre les familles en milieu rural. Aussi, notre association s'est-elle tout naturellement intéressée aux dossiers de l'agriculture et de l'alimentation.
Familles rurales est particulièrement attachée à la préservation de la qualité et de la sécurité des produits ou des aliments destinés directement ou indirectement à l'alimentation humaine. Nous considérons que le principe de précaution doit être un principe fédérateur des acteurs de la filière alimentaire et être codifié au sein du droit de la consommation qui est le droit protecteur du consommateur, que les diversités des produits et des modes de production sont à rechercher, dans la mesure où ils permettent de répondre aux attentes et aux besoins des consommateurs, qu'il convient de poursuivre notre soutien à l'amélioration continue de la qualité des aliments et surtout à une production moins quantitative que qualitative.
Familles rurales souhaite, en effet, que l'on fabrique des produits sous signe officiel de qualité et considère qu'il convient donc de concentrer les aides à l'agriculture sur ces productions dans le cadre d'une adaptation des exploitations agricoles et de la mise en place généralisée de la traçabilité.
Dans ce contexte, Familles rurales considère que l'indication précise de l'origine - région, pays, terroir - correspond réellement à une attente des consommateurs, à une nécessité économique et culturelle pour le développement des échanges nationaux, européens et internationaux.
Nous souhaitons défendre un milieu rural équilibré, avec une agriculture, des agriculteurs qui assument d'abord leur mission de producteurs, ensuite celle du respect de l'environnement et enfin d'entretien de l'espace, tout cela dans le souci de préserver l'avenir au profit des générations futures, mais aussi grâce au maintien des commerces, des écoles, des transports, des services publics qui existent en milieu rural et qui ne doivent pas être abandonnés dans le cadre de la politique de l'aménagement du territoire.
Nous souhaitons que politique de la consommation et politique d'aménagement du territoire soient liées pour le bien de l'ensemble des Français et non pas de certaines régions. N'oublions pas que certaines régions productrices de produits de qualité sont laissées à l'abandon, la préférence étant donnée à d'autres qui produisent énormément, quitte à ce que ces régions se préoccupent ensuite de promouvoir des recherches sur la qualité et la traçabilité. Nous souhaitons que le milieu rural permette aux familles de s'épanouir et, au cours du débat, je donnerai nos positions sur les autres points.
M. le Président : Je vais donner maintenant la parole à M. Avril qui n'était pas présent au début de notre réunion et qui n'a pu user de son tour de parole au moment qui lui avait été désigné suite au tirage au sort.
M. le Président : La parole est à M. Avril.
M. Eric AVRIL : Au préalable, je dirai que nous avons basculé très rapidement d'un monde classique avec des frontières bien établies au plan juridique entre les aliments, les produits, les biens et les services, vers un monde où le fait générateur primaire est que, de plus en plus, l'Etat s'estompe et s'efface au profit du couple productivité/libre-échange.
Dans ce contexte rapide de mutation, les associations de consommateurs, à leur corps défendant et avec les faibles moyens qui les caractérisent, se voient créditées d'un indice de confiance de 78 % par les citoyens, alors que les services de l'Etat n'apparaissent même plus en queue de peloton, alors qu'ils étaient encore crédités de 17 % il y a peu.
Quant à la nourriture, j'ai entendu un collègue préciser qu'il y a quelque chose d'irrationnel dans l'approche culturelle, philosophique et juridique du consommateur par rapport à celle-ci. A ce propos, je vous invite à reprendre les écrits de J.F. Kennedy qui a reconnu les droits des consommateurs en 1960. Or autant, sur les produits industriels, le consensus était réel, autant l'alimentation apparaissait déjà comme un sujet conflictuel car irrationnel, difficilement mesurable par les juristes d'outre Atlantique.
Nous sommes en position défensive en Europe et nous avons reculé, faute d'avoir su poser clairement nos conditions dans les négociations avec nos compétiteurs américains. Dès 1984, le problème de l'agriculture et de l'insécurisation des échanges était posé. Les grands accords d'approvisionnement de soja ont été rompus à l'initiative des Américains qui ont même fait pression sur les Brésiliens pour ne plus approvisionner la vieille Europe.
C'est à partir de cette date que l'on a eu le " sale marché " qui a donné naissance aussi aux accords de Blair House qui nous ont dénié le droit de mettre en culture les produits substitutifs au soja. Ce même soja est à l'origine d'un grand commerce et cela explique que les compétiteurs, face à l'exigence de coûts marginaux les plus bas possible, aient dû se replier sur la protéine animale.
Notre association est favorable aux farines animales et nous expliquerons pourquoi. Cela étant dit, nous n'acceptons pas ce déséquilibre structurel sur le long terme au détriment de l'Union européenne. Nous souhaitons que les farines animales soient clairement mises en avant avec des produits issus de carcasses destinées au marché humain, donc saines et qui aient subi le traitement allemand. La Commission de Bruxelles doit impérativement prendre un règlement, directement applicable dans chaque pays.
En ce qui concerne l'O.M.C., je donnerai trois exemples significatifs qui montreront que la France ne s'est en rien dessaisie au profit de l'Union européenne notamment en matière de règlement des différends, ce qui fait qu'elle ne peut défendre elle-même ni les intérêts de ses producteurs, ni ceux de ses consommateurs.
La première condamnation, qui a été caractéristique, a été celle dite du " petit marché " - selon le terme des jurisconsultes de Genève -, de la coquille Saint-Jacques qui a permis aux Canadiens et aux Péruviens de pouvoir importer chez nous leurs produits, qui valent cinq fois moins cher en raison de la différence du coût de la main d'_uvre. Or sur ce marché, on a demandé aux producteurs de faire des efforts, de s'engager sur la voie de la labellisation, de faire face à des contraintes supplémentaires. Les consommateurs n'ont pas eu accès à l'information et ont dû subir une tromperie légale, puisque l'O.M.C. l'emportant sur les accords nationaux et européens, la France a dû réviser le texte qui protégeait ses producteurs et ses consommateurs.
Les O.G.M. sont révélateurs d'un déséquilibre très grave existant au sein de l'O.M.C. Pourquoi ? Parce que c'est tout le problème de la domination du vivant. On retombe exactement sur l'arme alimentaire de 1984. De quel droit quelques multinationales vont-elles, grâce à un accord de protection des droits intellectuels, s'arroger la propriété du vivant ? Et même s'arroger le droit que des graines ne puissent être reproduites ? On va donc encore accroître l'écart entre les pays développés et les pays en développement. La chance et la survie de l'Europe résident dans les accords de Lomé et il faut absolument s'appuyer sur les pays en développement pour contrer les prétentions américaines. En agriculture, les chiffres sont très simples : les Américains produisent de manière tellement " productiviste " que l'Europe fait figure de jardinier et que nous sommes en confrontation perpétuelle sur des marchés extérieurs.
Il est vrai que le principe de précaution est séduisant, mais il n'est pas né de la volonté des consommateurs. C'est un principe écologique qui a été conceptualisé dans les années soixante et qui est issu des travaux de l'école d'écologie de Californie. Mais, à travers le principe, on voit bien la dualité du concept, qui recouvre des réalités très différentes, selon qu'on est aux Etats-Unis ou en Europe. Mais souvent, derrière des associations qui parlent au nom de l'intérêt des consommateurs comme elles l'ont fait sur les O.G.M., on s'aperçoit que ce sont des compagnies financières, des lobbies qui interviennent. Leurs représentations sont assurées par des avocats d'affaires à Bruxelles ; elles ont des oreilles très attentives et bénéficient des bureaux largement ouverts de certains fonctionnaires bruxellois.
Force ouvrière considère que le principe de précaution devrait entraîner la mise en place d'outils juridiques solides répondant à des objectifs proportionnés et mesurables.
Prenons l'exemple des phtalates qui entrent dans la composition des jouets en P.V.C. comme des anneaux de dentition. Nous savons, depuis le départ, que Greenpeace Europe, largement entretenu et financé par la Commission et par certains groupes d'outre-Atlantique, a voulu interdire les phtalates, au motif qu'ils sont à l'origine de cancers des appareils génitaux des enfants. Cela fait peur à tout le monde, quoique la France ait été le seul pays à prendre des mesures d'interdiction. Nous sommes en contentieux avec le ministère de l'Economie, car ce texte qui bannit les anneaux de dentition et des jouets en P.V.C. est juridiquement fondé sur un texte du code de la consommation qui, lui, est très clair : il autorise le Gouvernement, sous le contrôle du Conseil d'Etat, à retirer pour une période déterminée un produit, sous réserve qu'il apporte la preuve d'un danger grave et immédiat. Or cet arrêté pris le 5 juillet 1999 par la D.G.C.C.R.F. et qui s'appuie sur le code de la consommation ...
M. le Président : Sur quels articles ?
M. Eric AVRIL : Sur les articles 220 et suivants de la loi de 1983 qui prévoient qu'un produit qui pose un problème doit ou peut être retiré à tout stade de l'importation ou de la distribution par l'autorité gouvernementale.
Cette affaire est à l'examen du Conseil d'Etat et nous saisissons la Cour de justice, car de notre point de vue, le principe de précaution sert des lobbies, fait peur à l'opinion qu'il rend passive. L'opinion veut une haute protection qui est illusoire. Nous demandons en conséquence au Parlement de définir précisément le principe de précaution, pas seulement - comme cela a été fait en 1995 avec la loi Barnier et confirmé par la jurisprudence du Conseil d'Etat dans le cadre du dossier du sang contaminé - en fonction d'une approche assez vague mais sur la base d'une approche beaucoup plus rigoureuse au plan juridique.
De manière générale, nous disposons au niveau européen de cinq droits qui ont été reconnus le 13 avril 1975, mais dont nous nous apercevons aujourd'hui qu'ils sont virtuels.
Nous avons notamment un droit à la représentation : en fait, à la Commission de Bruxelles, nous n'avons pas droit à une véritable représentation. C'est regrettable ; il faut améliorer les choses.
Nous avons droit à l'accès à l'information ; en fait, le nouveau pouvoir est là. Or il est scandaleux que le réseau d'alerte, servi par les Etats membres, ne soit réservé qu'à la Commission. Quand des produits s'avèrent dangereux pour la santé des consommateurs, nous ne pouvons pas accomplir notre devoir d'alerte auprès des citoyens car on nous fait valoir des règles qui n'ont jamais donné lieu à des débats, ni devant les Parlements nationaux, ni devant le Parlement européen. Ce sont des règles établies par des technocrates qui ne protègent que leurs intérêts. Je finirai par cette demande expresse de transparence. Nous souhaitons clairement - comme cela a été le cas depuis le 1er  mars 1994 avec l'application du nouveau Code pénal où la responsabilité pénale des fonctionnaires est mise en jeu - qu'il y ait un traitement équivalent à l'égard des fonctionnaires de Bruxelles sur des dossiers où l'atteinte à l'intégrité physique des consommateurs est prouvée. Il est inacceptable que ceux qui savaient, n'aient rien fait, sinon de communiquer à la presse de façon restrictive, voire " désinformante ".
Pour que les citoyens aient confiance dans les institutions, il faudra donc que, sur des affaires très précises et graves, on mette en jeu non seulement la responsabilité politique des Commissaires, mais encore de leurs collaborateurs. Vous savez à qui je fais allusion : le représentant de la DG VI responsable du dossier de la " vache folle " mérite que sa responsabilité soit engagée, de même que la responsabilité politique du Commissaire en charge du département. On ne peut pas parler de transparence quand on laisse autant de zones grises en cas de crises graves.
M. le Président : Nous en avons ainsi terminé avec ce tour d'horizon. Je propose que nous abordions les quatre thèmes que nous avions prévus : les consommateurs et le principe de précaution ; les consommateurs et l'exigence de traçabilité ; les consommateurs face à l'évolution du système de distribution ; les consommateurs face à l'évolution du régime de restauration, en les abordant au travers des questions des Commissaires. Je demande au rapporteur de commencer. Vous interviendrez tous comme vous le souhaitez, cette règle étant la même pour mes collègues parlementaires. La parole est donc à M. Chevallier, rapporteur.
M. le Rapporteur : Mesdames et messieurs, je vous remercie pour vos interventions concises, mais denses. J'aurai plusieurs questions à vous soumettre dans le cadre du débat qui s'instaure maintenant.
Vous avez rappelé que, très récemment, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments s'est mise en place. J'aimerais vous entendre préciser comment vous en percevez le fonctionnement et l'incidence qu'elle peut avoir dans la vie quotidienne des Français.
En ce qui concerne la sécurité et de la qualité de l'alimentation, j'ai bien compris la différence que vous souhaitez introduire entre sécurité et qualité et la possibilité, dans ces conditions, d'établir en quelque sorte des doubles filières, notamment en ce qui concerne les O.G.M. La tentation est forte actuellement, étant donné que nous sommes déjà envahis, à notre corps défendant - et ceci est sans doute critiquable et discutable - par les O.G.M., de mettre en place une filière sans O.G.M. qui reviendrait plus cher.
De manière parallèle, vous avez abordé le dossier des labels. Le consommateur semble, en effet, avoir le sentiment qu'un produit de qualité s'apparente à un produit labellisé dont le coût est supérieur et que les produits qui échapperaient du cycle des O.G.M. devraient être de ceux-là, quitte à introduire une discrimination entre les consommateurs. J'aimerais que vous nous fassiez part de vos remarques à ce sujet.
En ce qui concerne les contrôles, plusieurs d'entre vous se sont plaints de leur insuffisance et de la nécessité de les renforcer, de développer les autocontrôles de même que le rôle des salariés au sein des entreprises. J'aimerais connaître vos propositions précises, que ce soit sur les contrôles ou sur le droit d'alerte des salariés.
Quant au principe de précaution, tous y ont fait allusion. Des réflexions sont entamées au niveau gouvernemental. Le Premier ministre y est revenu hier. En tant que représentants des consommateurs, pourriez-vous nous indiquer quelle définition vous donnez de ce principe ? En effet, dans tous les forums, à l'occasion de toutes les auditions, nous entendons parler de ce principe.
Vous n'avez pas, par contre, parlé de la filière de l'agriculture biologique. Je ne sais pas si cela est intentionnel, ou si vous souhaitez aborder maintenant ce thème qui est connexe à celui des labels ou d'une filière de produits exempts d'O.G.M.
Enfin, les témoins nous parlent peu de la restauration collective. On parle beaucoup de la consommation du citoyen in abstracto, mais la restauration collective est laissée un peu de côté. J'aimerais que vous fassiez part de votre sentiment.
M. Pierre LELLOUCHE : Cette réunion fort intéressante m'a permis de dresser une liste de problèmes nouveaux et forts importants.
Le rapporteur vient de faire allusion à deux d'entre eux : d'abord la définition du principe de précaution - tout le monde en parle, mais on ne sait pas trop ce que cela veut dire -, ensuite les insuffisances des sanctions, de la veille et des contrôles.
Quatre autres problèmes m'ont semblé se dégager également des diverses interventions. J'aimerais, M. le président, que l'on puisse y revenir dans la forme que vous voudrez et dans la classification que vous aurez choisie.
Le premier porte sur les écarts, en termes de niveau et de qualité, que l'on peut constater entre les contrôles auxquels procède chaque pays avec les conséquences que l'on imagine : détournements, trafics, mise en cause de la responsabilité des fonctionnaires européens.
Le second concerne nos propres insuffisances. Tout le monde vous serait reconnaissant de donner des exemples précis. Si la responsabilité de nos services publics est en cause, j'aimerais avoir des informations.
Le troisième concerne la notion de traçabilité, dont on parle beaucoup, notamment à cause de l'affaire de la " vache folle ". J'ai toujours été un peu sceptique, mais vous avez été plusieurs à laisser entendre que la traçabilité pouvait être un moyen de se défausser sur le consommateur, en lui laissant le soin de choisir. Cette lecture, quelque peu étonnante de ce que devait être la liberté de choix n'est en tout cas pas la mienne.
Le quatrième concerne cette société alimentaire à " deux vitesses ", distinguant ceux qui auraient les moyens de s'acheter les produits " bio " ou qualifiés comme tel, et ceux qui, notamment contraints de se tourner vers la restauration collective, devraient se contenter d'une nourriture de second choix, y compris en matière de sécurité sanitaire.
Tous ces points me semblent d'une extrême importance et, si vous avez travaillé sur ces différents sujets en ce qui concerne notamment les concepts juridiques, vous pourriez nous aider à élaborer les meilleurs textes possibles. Je suis convaincu que ces sujets intéressent tous les Français. Tout le monde peut se retrouver sur des solutions simples et de bon sens.
M. le Président : La parole est à Mme Monique Denise.
Mme Monique DENISE : Nous sommes en train de faire un état des lieux sur la filière alimentaire en France. Après avoir rencontré la semaine dernière les fédérations de producteurs, nous sommes aujourd'hui au c_ur du problème, puisque nous travaillons d'abord pour les consommateurs que nous sommes nous-mêmes.
Je suis d'accord avec Mme Petit qui nous dit qu'il faut produire dans une optique davantage qualitative que quantitative, mais je rejoins aussi l'inquiétude de M. Lellouche sur l'émergence d'une nourriture " à deux vitesses ", car quelle sera l'incidence de l'option qualitative sur le prix des produits ? Quand on sait qu'un kilo d'aliment pour un porc coûte un franc, mais que la rentabilité de l'élevage joue sur quelques centimes supplémentaires ! Allons-nous nous orienter vers deux types de produits dont les uns seront labellisés et les autres pas ? Mais, comme on nous l'a dit ce matin, le label tire le produit vers le bas ! Et il est consécutif à cette alimentation à deux vitesses! Quelles solutions vos associations privilégient-elles ?
M. Gérard MONTANT : Il y a tellement de questions qu'on ne peut pas toutes les traiter.
M. le Président : En effet. C'est pourquoi, je vous invite à faire des réponses concises, en sachant que vous avez la possibilité de nous laisser toute la documentation écrite qui exprime le point de vue de vos associations.
M. Gérard MONTANT : Sur le problème posé à l'instant par Mme Denise et sur la filière biologique, je veux préciser la chose suivante : quand on parle du coût d'un produit, il faut savoir de quoi l'on parle. Nous avons le sentiment que le consommateur n'est pas que consommateur ; il est à la fois citoyen, salarié et consommateur. Or lorsqu'il paie son kilo de porc 22 francs, à quelle hauteur a-t-il contribué - au moyen de ses impôts - pour accroître cette apparente productivité qui n'est due qu'aux aides de Bruxelles ? Combien va-t-il payer pour traiter les eaux qui ont été polluées du fait de l'agriculture intensive hors sol ? Quand on aborde ces problèmes de coût, car il faut parler du coût direct, du coût indirect et du coût total supportés par le consommateur, car le consommateur paie une facture d'eau qui augmente de plus en plus en raison de l'assainissement, il paie des impôts dans lesquels il y a une part de plus en plus importante pour les aides à l'agriculture... On peut continuer ainsi à l'infini.
C'est vrai que les produits biologiques sont plus chers, mais je ne suis pas convaincu que l'agriculteur en dégage un revenu plus élevé. Il y a un phénomène de mode que la grande distribution sait très bien utiliser. Or l'agriculteur biologique n'est nullement aidé par la Commission européenne. La P.A.C. aide la production, alors qu'il faudrait aider la personne. Aussi me paraît-il nécessaire de redimensionner les aides, de revoir leur forme, afin que les agriculteurs qui s'engagent dans un processus qui préserve à la fois l'environnement et la santé soient aidés, alors qu'aujourd'hui, ceux qui travaillent dans le cadre d'une agriculture industrielle et d'élevage intensive sont seuls pris en compte.
Nous n'avons pas abordé le choix de l'agriculture biologique en particulier ; mais, au cours des colloques dont je vous ai parlé en préambule, nous avons dit qu'il fallait faciliter tout ce qui prend en compte l'environnement et la santé publique. Il y a l'agriculture biologique, mais il n'y a pas qu'elle. Nous avons entendu un exposé sur l'agriculture raisonnée, qui ne rejette pas les engrais, les pesticides, mais qui les utilise à bon escient. Ce n'est pas le fait de ne pas en avoir parlé qui pourrait laisser penser que nous nous désintéressons du sujet.
Sur la mise en place d'une filière sans O.G.M., notre colloque nous a permis de le dire à nouveau, comme le disent toutes les organisations européennes : nous sommes contre la mise en place d'une certification sans O.G.M., car cela risque de conduire à ce que l'on fasse payer aux produits sans O.G.M. la présence de produits avec O.G.M. La certification a obligatoirement un coût, du fait de ses cahiers des charges.
Sur la traçabilité, nous considérons qu'il s'agit d'une mesure pseudo-démocratique qui risque d'être dangereuse à terme. Il y a une déformation, une dénaturation de la traçabilité. S'il s'agit d'une traçabilité, pour connaître l'origine du produit, le nom du fabricant, ses stades de production, pour remonter la chaîne en cas de difficulté, dont acte ! Si c'est pour " tracer " le b_uf aux hormones ou le b_uf britannique, cela n'enlève en rien la dangerosité du produit. Cela fait porter, au contraire, au consommateur une responsabilité que le pouvoir politique n'a pas voulu prendre. Il ne faudrait pas que le pouvoir politique fasse jouer à l'A.F.S.S.A. un autre rôle que le sien. C'est à l'expert de donner un conseil, mais, en dernier ressort, c'est le responsable politique qui doit prendre la décision. J'entends que le Gouvernement doit au préalable s'adresser aux experts, pour savoir ce qu'ils pensent, mais le choix revient en définitive au pouvoir politique. Si le pouvoir politique ne prend pas cette décision et passe par l'intermédiaire d'un étiquetage, il commet une faute qui se retournera contre lui, car il apparaîtra comme celui qui cache au consommateur certaines informations. Tout cela est très lié et nous avons vraiment besoin d'y réfléchir.
Sur le principe de précaution, on a aussi besoin de réfléchir, quoique le concept me semble plus simple : quand il y a doute, il doit y avoir recours à ce principe.
M. Gérard BENOIST du SABLON : Je dirai au rapporteur que, au-delà de l'agriculture biologique, il a oublié un terme qui fait florès dans l'univers agroalimentaire, je veux parler de l'agriculture raisonnée. J'aimerais qu'on en parle, car il vient brouiller quelque peu le jeu.
Pourquoi n'avez vous pas parlé non plus d'agriculture biologique, alors que les associations de consommateurs sont assez inquiètes de l'effet de mode qui conduit à se porter sur ce produit ? De fait, nous constatons une augmentation de 30 % de ce marché qui provoque une inquiétude nouvelle : le " bio " va-t-il rester réellement " bio " ? Le territoire national ne peut vraisemblablement pas fournir les quantités qui correspondent à son succès et nous nous trouvons ainsi devant des importations qui ne sont pas obligatoirement soumises aux mêmes règles que celles qui s'imposent sur notre territoire. Un éventuel scandale concernant le biologique nous angoisse, car cela créerait de nouvelles psychoses dans le public dont nous n'avons pas besoin.
Le concept de l'agriculture raisonnée est, quant à lui, un concept marketing qui pour l'instant est vide de sens. Cela n'empêche pas que l'on trouve chez Carrefour de la farine dite " agriculture raisonnée ", qui coûte deux fois plus cher qu'une farine de premier prix. La grande distribution a fort bien compris comment utiliser l'ensemble de ces problématiques contradictoires pour construire une image positive à l'intention du consommateur.
La grande distribution nous accompagne dans notre résistance face aux O.G.M., mais, en annonçant qu'elle veut assumer la traçabilité, elle ne vise qu'à produire un effet d'image vis-à-vis de ses clients, mais sans avoir aucune possibilité d'agir. Autrement dit, elle fait des promesses qui ne correspondent pas aux moyens dont elle dispose. Avant d'aboutir à cette fameuse traçabilité, il se passera du temps à moins qu'on ne se contente de jouer de l'effet d'annonce.
Cela dit, il importe d'insister sur un certain nombre de constats négatifs. Tout d'abord un consommateur se préoccupe toujours des premiers prix et, qu'on le veuille ou non, il faudra quand même lui fournir au premier prix une nourriture qui soit d'une certaine qualité.
Ce qui m'ennuie dans le mot " qualité ", c'est qu'il justifie la montée des prix. Or toute la population ne pourra pas se payer la " qualité ", d'où l'évocation de cette société " à deux vitesses " dont chacun sait que la mise en place va s'accélérer sous différents aspects. On l'aura sur le plan agroalimentaire, on l'aura sur le plan de la communication - car tout le monde n'accédera pas aux nouvelles technologies de la communication - ainsi que dans d'autres domaines. Cette " société duale ", qui existe déjà, risque de s'amplifier encore.
En ce qui concerne la restauration collective, nous aimerions un affichage plus clair de ce que nous mangeons. J'ai eu l'occasion de discuter avec un certain nombre de grandes enseignes. Elles reconnaissent qu'elles sont prises par les exigences de la vie quotidienne et qu'elles aimeraient un schéma plus clair pour assurer aux collectivités locales ce que la réglementation demande. Quant aux O.G.M., ils n'ont pas plus de traçabilité que dans la grande distribution.
La fameuse étude sur la filière non-O.G.M., à laquelle mon organisation participe avec d'autres organisations de consommateurs, est menée par trente cinq partenaires. L'Europe dit qu'il faut des collaborations avec le monde économique et nous avons trouvé intéressant de participer à cette étude, mais notre position est d'emblée très claire : il n'y a pas de filière non-O.G.M. ; il y a la filière conventionnelle qui existe aujourd'hui et la filière O.G.M. qui devrait payer et non l'inverse. Je me suis toujours insurgé contre le titre de cette étude : " Faisabilité et capacité du consommateur à payer la filière non-O.G.M. ". Je ne l'accepte pas, même si je veux bien participer à l'étude pour regarder ce qui se dit et ce qui se fait. Il existe, en effet, des études comportementales fort intéressantes sur le consommateur.
M. le Président : La parole est à Mme Nicoli.
Mme Marie-Josée NICOLI : Notre association est d'abord pragmatique. Nous pensons, qu'en matière de sécurité sanitaire, il est important de prendre des mesures concrètes et de ne pas mettre derrière les mots des choses qui n'existent pas.
On dit, par exemple, qu'on ne doit utiliser le terme de " filière non-O.G.M. " mais celui de la filière traditionnelle. Le consommateur croit que ce qu'il mange tous les jours est sans O.G.M. et relève de la filière traditionnelle. Etant, nous, mieux informés, nous devons lui dire les choses telles qu'elles sont : il n'est pas exact que les aliments que nous mangeons aujourd'hui ne sont pas sans O.G.M. Il y a un certain nombre de contrevérités qu'il ne faut pas colporter, si on entend être responsable.
Quant au quantitatif et au qualitatif, pourquoi les opposer ? On ne va pas revenir 200 ans en arrière. Nous vivons dans une société de consommation ; il faut l'accepter, mais la voir autrement. Quand on parle de quantité, il faut parler d'une agriculture de masse, mais différente de celle que l'on a eue pendant ces trente dernières années. On continuera à manger comme on le fait. On ne va pas, chacun individuellement, décider de ne plus manger ou de manger des quantités microscopiques, pour pouvoir ne faire que de la qualité. Il faut faire de la qualité, mais aussi de la quantité. On est obligé d'en faire, car la population sur terre ne fera qu'augmenter. Il faut être pragmatique sur de telles questions. Je n'oppose pas les deux notions. Il faut que, sur le marché, on puisse trouver des produits de toutes sortes, du standard y compris du produit O.G.M., en allant jusqu'aux labels.
Par ailleurs, vous dites que l'on n'a pas évoqué l'agriculture biologique. Quand on parle des labels, on en parle puisqu'elle est comprise dans les labels.
Il ne faudrait pas ensuite attribuer à la traçabilité, comme à l'étiquetage d'ailleurs, une nature qu'elle n'a pas. Ne nous torturons pas l'esprit en mettant dans la traçabilité autre chose que ce qui doit y être, c'est-à-dire la possibilité de suivre le produit depuis son origine jusque dans l'assiette, en mettant en _uvre tous les moyens qu'il faut pour obtenir les renseignements qu'il nous faut et non pas philosopher sur la notion de traçabilité.
L'étiquetage et la traçabilité ne sont pas des réponses à des questions de santé, ce sont des outils pour remonter rapidement une filière en cas de problèmes et pour permettre au consommateur d'avoir accès à des banques de données qui lui permettent d'avoir des informations. Mais la traçabilité et l'étiquetage sont des outils aussi bien pour les professionnels que pour le consommateur. Pour nous, qu'y a-t-il derrière cette traçabilité ? C'est, par exemple, l'identification des bovins. On ne cherche pas à cautionner ou à faire cautionner quoi que ce soit par le consommateur, mais à permettre aux pouvoirs publics de remonter la filière rapidement par des moyens tels que des documents comptables ou des analyses, en cas de problèmes et quel que soit l'échelon de la filière.
S'agissant de l'étiquetage, cet outil doit apporter au consommateur plus d'informations, le libre choix, la possibilité de se tourner contre le professionnel s'il a subi un préjudice alimentaire, une allergie par exemple. Avec l'étiquetage, il doit pouvoir retrouver le producteur ou l'ingrédient qui lui a causé un dommage.
Tous ces points-là sont très importants, mais il ne faut pas les utiliser n'importe comment. Aux Etats-Unis par exemple, si vous prenez du sucre synthétique à base de saccharose, l'étiquetage mentionne que ce produit a été testé en laboratoire et qu'il a provoqué des cancers sur les souris. En France, nous préférons faire retirer ces produits du marché, plutôt que de les y laisser avec des inscriptions visibles par tout consommateur.
En ce qui concerne les sanctions susceptibles de suivre les contrôles, on a parlé des insuffisances françaises. Quand l'U.F.C. considère qu'il y a fraude, qu'il y a manquement par une administration, par les pouvoirs publics, nous entamons une procédure en déposant plainte avec constitution de partie civile. C'est ainsi que, dans l'affaire des boues, nous avons déposé quatre plaintes contre les quatre sociétés qui ont mélangé les boues aux farines. Il serait souhaitable qu'un plus grand nombre de partenaires sociaux le fassent. Or nous sommes souvent seuls.
Nous considérons de même, qu'il y a responsabilité du Royaume-Uni dans l'affaire de l'E.S.B. car, pendant des années, ce pays n'a pas fait ce qu'il fallait. Nous avons donc déposé plainte auprès de la Commission pour intenter une procédure contre le Royaume-Uni. Cela nous coûte beaucoup d'argent. Ce n'est pas une attitude paranoïaque, mais nous pensons que le terrain judiciaire est le plus adapté pour obtenir des sanctions. C'est ce que nous faisons depuis vingt ans, en ce qui concerne les hormones : nous sommes systématiquement parties civiles. Au fil des années, les magistrats ont fini par nous prendre au sérieux et nous obtenons maintenant des sanctions significatives comprenant des peines de prison et d'amendes qui ne se limitent plus au franc symbolique, comme il y a vingt ans. Il y a des moyens à mettre en _uvre et nous les utilisons autant que nous le pouvons.
Je terminerai sur l'alimentation " à deux vitesses ". La vie est ainsi faite que vous aurez toujours des produits bon marché et des produits très chers. Nous demandons que l'on ne néglige pas le produit standard au profit des produits très chers, pour que le consommateur puisse s'acheter une gamme de produits présentant une sécurité sanitaire irréprochable : c'est la base. Après, que le produit ait une valeur ajoutée différente, chacun choisit. Mis à part une frange de la population qui n'a pas les moyens de s'acheter, ne fût-ce que le minimum vital, les consommateurs ont des positions qui ne sont plus monolithiques. On achète ce que l'on veut, au moment où l'on en a besoin. Je donne toujours l'exemple du poulet labellisé qui permet de déguster un poulet rôti dont les qualités gustatives sont incomparables et du poulet standard qui se consommera plutôt dans une préparation en sauce, sachant que c'est l'art du cuisinier qui apportera sa saveur au plat. Il faut donc que tous ces produits soient sur le marché. L'essentiel est qu'il y ait une sécurité sanitaire totale, quels que soient les produits. C'est à ce stade que l'on doit prendre en considération les autocontrôles, les contrôles, les sanctions, autrement dit les outils qui assurent une alimentation saine à tout le monde. Il ne faut pas oublier que l'alimentation est le moyen de développer les enfants, de se maintenir en bonne santé. Cela ne doit pas provoquer du stress, mais du plaisir. Or quand nous en discutons, le plaisir n'y est pas, du moins pour le moment. Nous parlons de points concrets, ardus qui ne laissent pas place au plaisir, mais c'est grâce à notre travail, que le consommateur pourra prendre du plaisir à acheter des produits.
M. le Président : Je vous remercie. Le débat est très intéressant. Sans être contradictoires, les approches sont nuancées et toutes aptes à nous éclairer. La parole est à M. Huard.
M. Christian HUARD : Je partage les opinions manifestées par Gérard Montant sur les prix et sur la traçabilité, mais je voudrais apporter quelques éléments complémentaires en réponse à vos questions.
J'ai dit qu'il fallait réfléchir au principe de précaution ; si les choses étaient claires aujourd'hui en ce qui concerne sa définition, nous vous aurions remis un document définitif. Mais les choses sont plus complexes qu'il n'y paraît. Au-delà du problème de la proportionnalité des décisions prises en fonction de l'importance du risque - décisions qui ne pourront pas être confiées à une agence indépendante - on peut recueillir un avis, on peut enquêter à nouveau, l'Etat en a le pouvoir, les décideurs peuvent le demander, mais la décision finale doit appartenir aux politiques. Il ne peut être question dans ce domaine de se décharger par le biais de spécialistes ou de comités d'éthique.
M. le Rapporteur : C'est ainsi que fonctionne l'A.F.S.S.A. Elle n'a pas à mettre en _uvre le principe de précaution. Elle répond simplement : " les connaissances scientifiques du moment permettent de... ".
M. Pierre LELLOUCHE : Il n'empêche que certaines déclarations publiques sont inquiétantes de ce point de vue. C'est une décision majeure d'estimer raisonnable ou pas d'importer de la viande britannique avant 2001, surtout si l'on prend en considération les témoignages déjà recueillis dans le cadre de cette commission et compte tenu du délai d'incubation. J'entends dire que l'on va demander à l'A.F.S.S.A. Pour ma part, j'ai dit publiquement - je n'engage que moi - qu'à partir des témoignages des experts français, on ne devrait pas prendre la décision d'importer. Cela relève de la responsabilité de l'autorité politique. Je suis d'accord avec ce que j'ai entendu ce matin sur le partage des tâches entre ceux qui donnent des avis et ceux qui prennent les décisions.
M. le Président : Nous sommes, en effet, d'accord, puisque l'A.F.S.S.A. a été créée pour cela. Ensuite, dans la pratique et dans la façon de procéder, il y aura toujours débat. L'A.F.S.S.A. est composée d'experts dont les points de vue peuvent être différents, mais c'est le pouvoir politique qui doit prendre la décision finale. Le pouvoir politique prendra-t-il la bonne décision ? Celle qui conviendra à tout le monde ? C'est un autre débat. En tout cas, les choses sont claires de ce point de vue ou doivent l'être.
M. Christian HUARD : Sur les agences de sécurité, je reprends la critique que nous avions faite du dispositif initié par le Parlement. Trois agences de sécurité vont être créées : une sur les produits de santé, une sur la sécurité alimentaire et une troisième sur l'environnement. Nous sommes confrontés aujourd'hui au problème très concret d'une huile alimentaire qui explose au moment où on la chauffe. Nous en sommes à dix brûlés graves. Nous ne pouvons pas saisir l'agence des produits de santé, car son activité n'a rien à voir avec le sujet. De même pour l'environnement. On voit bien que le dispositif mis en place a des lacunes. Il n'est pas si simple de dire ce qui relève de l'alimentaire, de la santé ou de l'environnement. Comme nous l'avions soutenu à l'époque, il aurait fallu prendre le problème à l'envers. Sur l'ensemble des produits, des services et des accidents rencontrés, comment pouvait-on mettre en place une série d'agences " en pyramide " permettant de couvrir la totalité des cas ? Aujourd'hui, la commission de sécurité des consommateurs - qui a été mise à l'écart de ce qui concerne les produits alimentaires - s'entend dire que l'huile n'est pas de son ressort ! Voilà un cas concret qui démontre que la notion d'agence n'est pas si simple que cela.
Je voudrais insister sur le principe de précaution au-delà de la proportionnalité que j'évoquais tout à l'heure. Comment prendre une décision proportionnelle au risque ? Encore faut-il connaître ce risque ! La notion de risque ne peut s'apprécier que si les scientifiques possèdent déjà des éléments. On pourrait prendre l'exemple du téléphone portable. Si l'on a des inquiétudes, que fait-on ? Comment proportionnaliser une décision politique en fonction d'un risque qu'on ne sait mesurer ? C'est une vraie question. Que peut-on faire sinon pour les pouvoirs publics d'enclencher le plus vite possible des recherches complémentaires qui permettent d'aller, au-delà des interrogations de scientifiques, vers des recherches plus fondamentales ?
M. Pierre LELLOUCHE : J'ai posé une question écrite au gouvernement il y a un an. J'attends encore une réponse à cette question et plus encore, le début des études.
M. Christian HUARD : Ce n'est pas l'A.F.S.S.A. qui est compétente, ce n'est pas l'agence des produits de santé qui est compétente : nous sommes à nouveau face à un trou. In fine, quand on est d'accord sur le principe de précaution qui consiste à prendre des décisions proportionnelles aux risques - risques connus, moins connus ou nécessitant des études complémentaires - la question est de savoir qui décide. La décision incombe certes aux pouvoirs publics, mais il ne faut pas dire non plus que les chefs d'entreprise sont exonérés de toute responsabilité. Ils pourraient dire alors qu'ils connaissaient les risques, mais qu'ils n'avaient pas à en faire état, puisque c'était aux pouvoirs publics de les mesurer. Le principe de précaution peut sécréter son propre venin sous forme de déresponsabilisation. C'est le cas du consommateur vis-à-vis du tabac. On sait parfaitement que le tabac est dangereux et on pourrait donc attaquer les pouvoirs publics pour ne pas avoir retiré le tabac de la vente. Dès lors que le tabac n'est pas retiré de la vente, ceux qui le vendent se trouvent déresponsabilisés, car la décision de retrait n'a pas été prise par les seules autorités légitimes qui pouvaient le faire, c'est à dire celles qui ont été démocratiquement élues.
Sur l'écart des niveaux de qualité, il y a un problème de fond. Nous attendons le " Livre blanc " de l'Union européenne sur la sécurité alimentaire et les contrôles. Preuves en main, nous pouvons, sans attendre, affirmer qu'incontestablement, il y a une grande variété de compétences, de qualité pour ce qui concerne l'organisation des contrôles dans chaque Etat.
En France, si le contrôle est encore confié à trois corps d'Etat - la douane, les services vétérinaires et la D.G.C.C.R.F - le législateur y est bien pour quelque chose ; et je me souviens, non sans douleur, du projet de loi Vasseur dans lequel on ne savait plus très bien qui était compétent. Certes, les changements n'étaient pas fondamentaux et mais ils ajoutaient du désordre au désordre. Notre problème, en effet, c'est celui de la coordination. Dans d'autres pays, au contraire, c'est celui de la dilution : la répression des fraudes dépend de la municipalité, le contrôle vétérinaire à l'abattage de l'abattoir lui-même et c'est un vétérinaire privé qui est compétent pour contrôler. Il n'y a pas de corps national, ni même de cohérences interrégionales. Même quand on vous dit que la viande vient d'Allemagne, il n'est pas sûr - selon le Land d'où elle provient - qu'elle ait subi des contrôles de qualité équivalents. Il convient en effet que l'autorité politique s'appuie sur des outils scientifiques performants. Or nous sommes les seuls à utiliser des techniques, comme celle de la résonance magnétique nucléaire. D'autres pays en sont encore à l'âge de la pierre et je tairai le nom d'un pays de l'Europe du sud, hors de la zone euro, qui en est encore à former ses contrôleurs ! Ils ne sont pratiquement pas, ou insuffisamment, opérationnels sur le terrain pour assurer que les produits livrés à la consommation ne présentent pas de problème. En fait, ils ne sont pas stables en termes de qualité et de contrôle.
Ce problème doit trouver sa solution, mais ce n'est pas tellement au Parlement français à agir, sauf à s'appuyer sur le Parlement européen, pour veiller à faire disparaître les distorsions de concurrence que génèrent les systèmes de contrôle. Sinon, une délocalisation se produira vers les pays moins-disants de l'Union européenne et subventionnés par la P.A.C.
Les risques pris sont insensés. En termes de transformations de produits, j'ai évoqué tout à l'heure le blanchiment par des réseaux beaucoup plus perméables à la commercialisation. Nous sommes profondément favorables à la traçabilité et au retrait de produits. Mais dans notre pays, comme dans l'ensemble de l'Union européenne, les procédés sont artisanaux sinon même moyenâgeux, pour retirer de la vente un produit comme Coca Cola. Sur l'instant, on ne sait comment réagir, et en fin de crise, les taux de retrait des produits incriminés s'avèrent très faibles. En ce qui concerne la traçabilité, on a beaucoup parlé de retour vers l'amont, mais il y a aussi une action sur l'aval à mettre en place. La distribution utilise des techniques informatiques qui devraient favoriser une action rapide. Dès qu'un risque a été découvert, on devrait pouvoir intervenir sur la chaîne des ventes.
Concernant la traçabilité, il ne faut pas qu'il y ait de confusion. Quand on émet l'exigence de traçabilité au sujet de la viande bovine britannique, - arrêtons de faire semblant ! -, c'est bien pour faire en sorte que l'on n'en achète pas ! C'est pourquoi les Anglais résistent. Dans ce cas, la traçabilité est porteuse d'une information relayée par l'étiquetage qui sanctionnera un risque sanitaire. Mais nous allons plus loin : nous sommes favorables à la traçabilité, si elle sert au retrait de produits, pas si elle se limite à en donner l'origine. On connaît bien cette demande, que guide un souci éthique, de faire figurer la mention " fabriqué dans tel pays " sur les étiquettes afin d'attirer l'attention sur les conditions sociales qui ont entouré l'élaboration du produit. La notion de traçabilité n'est pas à rejeter pour remplir ce type de missions auxquelles nous sommes globalement favorables ; mais elle doit surtout être un moyen qui, en terme de sécurité sanitaire, doit permettre d'agir et de décider vite. Je pense, pour terminer, que nos nuances ne traduisent pas de si grandes divergences ; il s'agit de bémols que nous apportons à des notions que nous partageons.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est à M. Vincent Perrot.
M. Vincent PERROT :  Nous avons noté avec intérêt que les avis donnés par l'A.F.S.S.A. étaient réellement transparents. Le fait que l'on puisse avoir des avis scientifiques en direct est intéressant.
Pour reparler de la " vache folle ", si le comité scientifique considère que la viande anglaise est dangereuse, je me demande pourquoi, en application du principe de précaution, on ne prend pas des précautions encore plus fortes vis-à-vis de pays comme l'Allemagne, qui a considéré qu'elle n'a jamais eu de " vaches folles ", alors qu'elle a importé des farines animales.
Observant que 95 % des " vaches folles " en France sont des vaches laitières, pourquoi ne pas supprimer les animaux d'un certain âge du troupeau laitier qui, potentiellement, peuvent être atteints d'E.S.B. ?
Autre point concernant l'avis de l'A.F.S.S.A. : il est dit qu'il doit y avoir une troisième cause de l'E.S.B., autre que l'alimentation et la transmission mère-enfant. Pourquoi cette troisième cause serait-elle réservée au Royaume-Uni et pas aux autres pays de l'Union, y compris la France ?
Se pose à l'agence le problème des comités scientifiques et éventuellement de la présence des consommateurs en tant qu'observateurs. Le mouvement consommateur n'est pas du tout d'accord sur ce point. Ma voisine dira qu'il ne faut pas de consommateurs dans les comités scientifiques. La C.L.C.V. considère qu'il faut des observateurs de la société civile qui ne seraient pas là pour voter ou pour cautionner, mais pour observer ce qui se passe et questionner. Il s'agit de donner un avis sans aucune idée de voter. C'est complètement inutile. Cela m'arrive dans certains comités. Je suis systématiquement en minorité ; je suis obligé de faire acter par des votes le fait que je ne suis pas d'accord.
Tout le monde a évoqué la filière sans O.G.M.. C'est la quantité qui en fera le prix. Si la majorité des denrées que nous consommons normalement redeviennent sans O.G.M., le prix ne sera pas le même que si c'est une petite filière. Deuxièmement, la chose la plus importante dépendra de la surveillance et de la traçabilité des O.G.M. qui seront imposés. Si l'on met plus de pression financière sur la filière O.G.M., on provoque ainsi une balance entre les deux.
Sur le principe de précaution, vous aurez notre opinion dans le texte que je vous ai remis. Nous pensons que, dès lors qu'il existe pléthore de technologies, de produits sur le marché, dans l'Union européenne au moins et dans le monde occidental, on ne peut pas laisser introduire une nouvelle technologie ou un nouveau produit avec des bénéfices immédiats - on voit qui va prendre ces bénéfices - en laissant purement et simplement les risques à la société sur du moyen et du long terme. Il n'est pas possible de continuer ainsi.
Nous pensons qu'il faut systématiquement analyser les bénéfices comparés aux risques d'une technologie par rapport à l'existant, à la surveillance, à un problème de santé publique, d'environnement, sociologique, d'aménagement du territoire, avant que les politiques puissent décider si telle ou telle technologie a droit de cité et sous quelle condition elle y aurait droit. Il faut faire peser sur les industriels qui veulent mettre une nouvelle technologie sur le marché une pression beaucoup plus forte en cas de développement de problèmes qui auraient été éventuellement mentionnés sous forme d'interrogation dès le départ, mais qui auraient été balayés pour absence de preuves par des industriels disant qu'ils prennent le bénéfice et qu'ils laissent les risques hypothétiques et leurs conséquences aux autres.
Je rappelle que l'agriculture biologique répond à des obligations de moyens et non de résultats. Combien de temps cette filière pourra-t-elle continuer sans autre obligation in fine ? Les tests réalisés sur la qualité sanitaire des produits biologiques montrent que, quelquefois, il y a autant de polluants que dans des produits normaux. Il y a aussi des toxines qui peuvent se développer dans les produits " bio ".
Nous préférerions l'agriculture raisonnée, mais avec une définition plus stricte et plus contraignante que l'agriculture biologique. L'agriculture raisonnée, suppose un choix dès le départ de la culture, et donc de l'espèce et de la variété, pour laquelle on aura besoin du moins d'intrants possible dans l'écosystème. Il ne faut pas planter une variété sensible à un insecte là où cet insecte existe, ne pas planter une variété nécessitant beaucoup d'eau dans un écosystème où il en manque, comme le maïs dans le sud-ouest et choisir le traitement le plus neutre pour l'environnement et pour l'homme quand plusieurs traitements existent. Alors, l'agriculture raisonnée peut être intéressante.
Il y a deux intérêts à pratiquer l'agriculture raisonnée : donner une meilleure sécurité sanitaire, moins de résidus à l'intérieur des aliments - cela rentre dans la sécurité sanitaire normale - et faire une publicité pour les riverains de l'exploitation agricole sur le management environnemental de l'exploitation ou du bassin. Au-delà de la production alimentaire, il y a la pollution des nappes phréatiques et des eaux du robinet qui devient de plus en plus inquiétante et pour sur laquelle les riverains ont besoin d'une assurance.
Nous pensons que, dans l'agriculture raisonnée, il y a ce volet management environnemental, contrats territoriaux d'exploitation, ISO 14 000, qui intéressent les riverains et peut-être pas les consommateurs. Si l'on suit les directives bruxelloises sur la qualité de l'eau et les problèmes de pollution des nappes phréatiques, toute l'agriculture française et européenne devrait être soumise aux principes de l'agriculture raisonnée. Il ne s'agit pas certainement pas d'en faire la publicité au niveau des produits.
Pour la restauration collective, il existe, notamment dans les cantines et dans les hôpitaux, un problème d'éducation à la diététique et à l'alimentation. Se pose surtout le problème de l'information et du choix des consommateurs. Tant que le produit est emballé, des informations sont portées à la connaissance du consommateur. Mais nous perdons tout renseignement sur ce que nous mangeons, dès que nous entrons dans un restaurant collectif, une cantine ou un restaurant privé. C'est une des inquiétudes que nous avons avec le b_uf britannique. Il va pouvoir rentrer avec traçabilité, identification, information. Personne ne nous a dit si nous aurions cette information dans les cantines ou les restaurants ; il est très probable que nous ne l'aurons pas.
Mes collègues ont évoqué les écarts existant entre les contrôles dans l'Union européenne. J'en ai parlé à propos de l'E.S.B. et de l'épidémiosurveillance qui semble différente d'un pays à l'autre, alors que nous avons tous importé des farines animales. Tout le monde parle de créer une agence européenne de sécurité sanitaire des aliments. Son rôle sera-t-il de vérifier tous les systèmes de contrôle existants ou faut-il simplement muscler l'office alimentaire et vétérinaire de Dublin ? C'est une autre question.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est à Mme Rivasi.
Mme Michèle RIVASI : Je voudrais vous poser une question sur l'étiquetage. On parle beaucoup d'O.G.M., mais j'aimerais avoir vos positions sur les seuils pour détecter les O.G.M., comme sur l'emploi des aliments irradiés. Comment faites-vous pour informer vos consommateurs, pour savoir si les aliments sont irradiés ou pas, sachant que l'on a mis sur le marché des aliments contenant des O.G.M. ou étant irradiés sans avoir les moyens de les mesurer ? C'est un problème à la fois industriel et politique.
Que dites-vous des contrôles ? Avez-vous les moyens de contrôler ? Contrôlez-vous en fonction des demandes de vos adhérents ? Comment vous situez-vous par rapport à cela ? Trouvez-vous, par ailleurs, normal que les associations de consommateurs ne puissent pas demander à leurs adhérents de boycotter des produits ?
M. le Président : La parole est à M. Aschiéri.
M. André ASCHIERI : J'apprécie aujourd'hui que l'on soit face aux représentants des consommateurs avec lesquels j'ai travaillé dans le cadre de la première partie de la loi sur l'A.F.S.S.A.
Le constat est clair que la situation doit être améliorée. Pour en revenir à l'A.F.S.S.A., je me suis battu pour que chaque fois que cela s'avérait possible, on puisse accueillir les consommateurs. Dans certains conseils d'administration, j'ai obtenu qu'ils y soient ; dans les conseils scientifiques, cela a été systématiquement et catégoriquement refusé et je le regrette. Même avec voix consultative, car il serait intéressant qu'ils puissent y siéger.
L'indépendance de l'A.F.S.S.A. ne me paraît pas mal assurée. L'A.F.S.S.A. est une agence d'évaluation, indépendante de deux secteurs particuliers, des producteurs qui n'ont pas intérêt à condamner des produits et des pouvoirs politiques.
Le second point à mettre en évidence est que, lorsque l'A.F.S.S.A. note une difficulté particulière sur un produit, elle doit rendre cette donnée publique. Si elle a une bonne évaluation indépendante et si la publication des résultats est automatique, informant le public, le ministre a toutes facilités pour décider. C'est ce qui se passe à l'I.P.E. aux Etats-Unis où s'il y a une bonne évaluation indépendante des pouvoirs politiques et économiques et s'il y a une bonne publicité, la décision du ministre peut être très facile. C'est à lui de prendre la décision et pas à l'agence.
En raison de l'épidémie de la " vache folle ", on a bien compris que l'Europe devait absolument avoir la même structure - M. Prodi l'a annoncé - ; on doit retrouver l'A.F.S.S.A. en Europe, sinon se poursuivront les errements actuels où l'on n'est pas d'accord sur ce que l'on vient de dire, en particulier sur la " vache folle ".
Enfin, vous avez mis en évidence un élément sur lequel nous travaillons avec Mme Rivasi et M. Lellouche dans un groupe de travail sur les questions de santé-environnement ; nous avons tous le sentiment qu'il manque encore quelque chose au-delà de la loi ayant créé l'A.F.S.S.A.
Enfin, pour répondre à votre question sur la troisième agence qui d'après vous, ne couvrira pas tout, la mission parlementaire que m'a confiée le Premier ministre fait bien apparaître un environnement au sens très large, c'est à dire tout ce qui va tourner autour de l'homme, y compris l'environnement domestique, y compris l'huile qui peut exploser ou produire des vapeurs nocives, y compris des détergents domestiques.
Tout l'environnement est concerné, les ondes électromagnétiques aussi bien que les rayonnements ionisants. Il faut absolument que l'on trouve une solution pour que tout puisse être lié. Sinon, il faudrait créer une quatrième agence, ce qui serait trop compliqué. Nous avons proposé, nous, une seule agence qui traite de toutes les questions. Cela aurait été une bonne solution, mais le Premier ministre l'a refusée.
Cela étant dit, avez-vous le sentiment que la mise en place de l'A.F.S.S.A. constitue déjà un progrès par rapport à notre objectif ? Pour une fois, nous avons été promoteurs en France. Avez-vous le sentiment que l'Europe devrait mettre en place le même système ? Enfin, faut-il une troisième agence, " santé et environnement " ?
M. le Président : Le débat est relancé. Je donnerai la parole à celle et à ceux qui ne l'ont pas encore eue.
Mme Marie-Claude PETIT : Je voudrais répondre à la question que l'on m'a posée sur " qualité et quantité ". En tant qu'association familiale rurale, nous avons beaucoup de familles à revenus modestes. Nous sommes très sensibles à leurs budgets. Quand nous préconisons une meilleure qualité plutôt qu'une grande quantité, c'est pour que chacun puisse bénéficier de la qualité. Mais nous voulons que cela se fasse dans un esprit d'orientation. Plus on entraînera l'ensemble des producteurs à produire qualitativement et plus en proportion, on les paiera. L'offre sera plus importante et automatiquement, le prix baissera. C'est une question de volonté que d'orienter la qualité de façon non vindicative par rapport à l'éthique ou à la morale, mais par rapport tout simplement à la production.
Le producteur ne cherche qu'une chose, produire de la qualité, mais il faut qu'il en ait au moins les moyens et que l'on puisse l'orienter. C'est une affaire agricole qui n'est pas de notre domaine à nous, consommateurs, mais, peut-être, pouvons-nous orienter les producteurs vers une meilleure production. Si on laisse le producteur avec des produits de mauvaise qualité dont les revenus ne récompensent pas le travail, on n'ira pas vers une meilleure qualité. Quand un producteur cherche à valoriser un produit labellisé, quelle est la différence de prix ? Un franc ou deux au kilo par rapport à la production de base.
La grande distribution elle-même est en train d'établir ses propres marques. Derrière cela, elle valorise le terroir en disant que c'est sa marque de qualité à elle. Croyez-vous qu'elle est meilleure, que son cahier des charges est vraiment bien organisé ? Qui va le contrôler ? Personne ! Alors que si on améliore la qualité d'ensemble, on n'aura pas la dérive de la grande distribution qui, par ses centrales d'achats, est financièrement beaucoup plus forte que le consommateur. Derrière cela, elle ne fait pas d'effort pour que le prix intermédiaire entre la production et le consommateur soit amélioré.
C'est à nous, associations de consommateurs, d'avertir tous les consommateurs sur ce différentiel, d'où l'étiquetage qui a été voulu mais qui n'est pas bien mis en place par rapport à ce que l'on pouvait en attendre. Le double étiquetage montre bien le différentiel énorme qui existe entre le prix à la production et le prix au consommateur.
Il ne faut pas valoriser la qualité pour les personnes qui ont de l'argent, il faut faire évoluer la production vers une meilleure qualité dans l'intérêt de l'identité culturelle de chacun. Tout le monde recherche les terroirs. On évoquait l'Allemagne avec deux Länders allemands différents qui produisent de la viande qui n'est pas contrôlée de la même façon. Si on veut une identité culturelle française de terroirs et de richesse de régions, on doit valoriser la qualité et faire en sorte qu'elle soit abordable pour tout le monde. C'est une politique à long terme et volontariste.
Je voudrais céder maintenant la parole à Daniel Pepers qui, en tant que chargé de mission, est techniquement beaucoup plus compétent que moi pour aborder d'autres problèmes.
M. le Président : Je vous remercie et je donne la parole à M. Pepers.
M. Daniel PEPERS : Sur l'étiquetage, à travers les O.G.M. a été posée la question très intéressante du seuil d'acceptabilité. Dès lors que l'on sait détecter les O.G.M. même présents en très petites proportions, on est en mesure de dire au consommateur qu'il y a ou qu'il n'y a pas d'O.G.M. Quand on en a la possibilité, il faut le dire au consommateur. Le titre de votre commission comporte bien le mot " transparence ".
Depuis 30 ans, on a évité les vagues ; on a craint l'opinion publique. Aujourd'hui, l'opinion publique, avec les diverses crises, s'est adaptée à cette idée que tout n'est pas parfait. Il faut donc à tout prix valoriser l'information du consommateur et avoir un étiquetage avec ou sans O.G.M.
Si l'on a une information avec O.G.M., les consommateurs se détermineront, mais je rejoins mes collègues qui disent que, dès lors que l'on autorise tel ou tel produit à la vente, cela signifie que les pouvoirs politiques ont pris une décision et que c'est à eux à l'assumer.
Quant à l'Agence française sur la sécurité sanitaire des aliments, elle est une avancée considérable pour notre pays. Nous souhaiterions que cela se passe de la même manière au plan européen. Enfin, des gens travaillent de manière coordonnée et non en concurrence. On a bien vu des programmes de recherche similaires dans diverses institutions. Tout le monde demandait des subventions pour pouvoir conduire ce même programme de recherches. En termes de coordination et d'efficacité, cela est exemplaire.
Il faut que l'agence s'affirme et qu'elle puisse s'autosaisir des problèmes. Sa mission est de faire de la prévention et non simplement de gérer des crises et de maîtriser des risques éventuels.
Nous sommes donc favorables à un développement de l'agence et de ses travaux.
J'interviens demain dans un colloque sur l'agriculture raisonnée où l'on me demande de présenter le point de vue des consommateurs. Pour être quelque peu caricatural, nous avons un certain nombre de pratiques agricoles et nous avons beaucoup d'agriculteurs qui travaillent bien et qui veulent mettre sur le marché des produits de qualité tout en respectant l'environnement. Avouez que pour le consommateur, c'est une tromperie quand on analyse le contenu du concept d'agriculture raisonnée.
L'agriculteur doit mettre les engrais selon les indications portées sur le sac, ne pas jeter le fonds de cuve dans le ruisseau d'à-côté et faire ramasser les sacs d'engrais par un circuit de recyclage ; il doit faire attention aux intempéries, à la pluviométrie et semer ses plantes et ses semences à l'époque la plus favorable. Je dis que c'est le B.A.ba du travail du producteur. On fait du marketing sur une nouvelle agriculture entre l'agriculture biologique et l'agriculture conventionnelle. Autrement dit, on explique aux consommateurs que les agriculteurs travaillent bien, mais cela ne change rien sur le produit. S'il n'y a pas un cahier des charges produit, on ne peut pas dire aux consommateurs que la méthode d'agriculture est meilleure.
Quand on parle d'agriculture biologique, il y a un cahier des charges, il y a un règlement européen. Il y a un plus sur le produit. Sur l'agriculture raisonnée, il n'y a pas ce plus sur le produit ; il y a peut-être un plus pour la protection de l'environnement, mais c'est la mission de l'agriculteur de respecter l'environnement !
M. le Président : Je vous remercie. Je donne la parole à M. Avril.
M. Eric AVRIL : En ce qui concerne l'agence, je vous laisserai la réponse de l'ambassadeur de Grande-Bretagne en France qui critique très objectivement l'analyse de l'A.F.S.S.A. qui fondait la position du gouvernement français.
M. le Président : Nous avons reçu ici M. l'Ambassadeur. Il nous a fait observer que, si les réponses étaient différentes aux plans français et européen, c'est que les questions posées n'étaient pas les mêmes.
M. Eric AVRIL : En tant que Breton, j'accepte à moitié. Je vois bien que l'argument soutenu par la Commission épouse parfaitement la cause de nos amis britanniques. Mon v_u est que l'angus d'Ecosse puisse être éligible.
M. le Président : De quelle Commission parlez-vous ?
M. Eric AVRIL : De la Commission de Bruxelles.
M. le Président : J'avais compris que vous parliez de notre commission d'enquête. Nous, nous enquêtons et nous ne portons pas de jugement. Pour l'instant en tout cas !
M. Eric AVRIL : Nous ne sommes pas une configuration de l'agence américaine. Nous n'avons pas les mêmes experts, pas les mêmes réseaux, pas les mêmes moyens. Je pense que cette agence devrait mieux définir le statut des experts en termes d'indépendance. Pourquoi ne pas envisager un congé représentation et un véritable statut pour mettre l'expert à l'abri des pressions ? Nous souhaitons que l'agence communique toutes les contributions sur le " Net " (Internet). Nous pensons que l'agora démocratique passera par le " Net ".
Sur les O.G.M., j'ai posé la question du paradoxe à la représentante de la direction générale de l'alimentation, lors d'une conférence publique au Vieux-Boucau organisée par la chambre d'agriculture de cette région. Pour les consommateurs, en achetant du " bio ", on est à l'opposé des biotechnologies, c'est à dire des O.G.M. Erreur stratégique !
Nous avons posé la question du texte et nous sommes aperçus que les gardiens du texte fédérateur au niveau de la commission nationale avaient oublié ou omis, ou peut-être avaient été perméables aux arguments des ultra-productivistes visant à limiter le texte. Donc, on peut juridiquement mettre sur le marché en bénéficiant du signe A.B., " biologique ", des graines issues de biotechnologies.
Par un heureux concours de circonstances, nous sommes entrés dans un comité de certification des produits à Toulouse. Sur les O.G.M., j'invite la commission à regarder de près les contributions des uns et des autres lors de l'avis au conseil national de la consommation de mars 1997. Selon Mme Lebranchu, il n'y a pas eu d'avis. Je m'inscris en faux. Il y a eu un avis : il était négatif. Les associations de consommateurs ne sont pas favorables. En ce qui concerne notre organisation, nous ne sommes pas opposés au progrès. Au contraire, il y a des marges énormes de progrès, ne serait-ce que pour empêcher les fraudes sur les espèces avec un traceur. Mais nous n'avions aucune garantie, sauf, comme l'a précisé la représentante du département de l'agriculture à l'ambassade des Etats-Unis à avoir foi dans le progrès et dans les industriels, donc, à confier notre avenir aux lois et aux propriétaires du marché.
Les agriculteurs de l'Arkansas ont dit aux représentants de Monsanto que même si le consommateur ne comprend rien, même s'il a tort, le fait qu'il ne veuille pas acheter lui donne raison et donc, qu'à partir de là, ils s'inclinaient. Il y a un grand débat sur les O.G.M. et on ne peut pas dire que le mot de transparence brille dans ces nouvelles technologies. J'en veux pour preuve les deux décrets pris très rapidement en 1995 qui nous mettent sous la police pénale économique. Vous ne pouvez pas communiquer à l'égard des tiers. Vous devez prêter serment au juge. Donc, vous êtes en faute vis-à-vis du serment que vous prêtez. Quid de la mise en danger d'autrui ? Ou quid du sachant technique qui s'aperçoit qu'il a une information qui peut porter atteinte à l'intérêt collectif et à l'intégrité physique des citoyens ? je crois qu'il faut déverrouiller certains textes. Ces deux textes de mai 1995 sur les O.G.M. doivent être " reformatés " et retravaillés.
En ce qui concerne la restauration en foyer - cantines scolaires, restaurants de prisons ou d'entreprises - c'est la loi des gestionnaires qui s'applique et l'on ne se préoccupe pas de déterminer la provenance des produits, mais seulement de normes budgétaires : il faut faire des repas pour 5 francs.
Le problème des allergies n'est pas évoqué. Le marché ne s'en occupe pas Le problème de l'équilibre nutritionnel touche nos enfants. Les grands groupes se mettent en certification de service. Nous subissons donc l'arrivée de produits masqués que l'on ne retrouve pas dans la grande distribution ou chez le boucher, mais dans ces circuits où tout aura été descellé. Ce sera non repérable, non traçable. Ce sera mis de manière normée dans notre assiette.
Plus que jamais, il faut que cette restauration hors foyer qui a un taux de progression énorme et qui est aux mains de quelques compagnies, se voie appliquer les mêmes règles que les autres opérateurs en termes d'identification.
Mon souhait le plus cher est que la France, capitale de la gastronomie - il n'y a que deux peuples au monde qui peuvent légitimer l'histoire et un respect, ce sont les Chinois et les Français, tant leur gastronomie est subtile. Ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est un représentant à l'O.M.C. - fasse mentionner clairement la provenance du produit, son mode de préparation, son conditionnement en frais ou en surgelé et les méthodes de maintien dans la " chaîne du froid ".
Or ni du côté de l'Etat, ni du côté des chambres professionnelles, il n'existe de volonté explicite. Quelques professionnels commencent toutefois à s'y mettre dans la restauration. Il nous faudra donner les informations contractuelles aux consommateurs, faute de quoi les grandes chaînes de Fast Bad Food (mauvaise restauration rapide) ne désempliront pas.
Concernant le principe de précaution, je vous remettrai nos contributions en vous disant que nous sommes demandeurs d'une grande codification. De nombreuses approches existent, en effet ; elles diffèrent ainsi, par exemple, en Europe et aux Etats-Unis.
Sur les contrôles, je donnerai des exemples concrets à M. Lellouche. Nous demandons clairement que le secret de l'instruction ne nous soit pas opposé, quand nous saisissons une autorité de contrôle. Je connais le code de procédure pénale, un peu moins le code rural, mais je dois dire que, dans certains dossiers, les intérêts de ceux qui soutiennent une production et de ceux qui sont chargés de faire les contrôles me paraissent quelque peu mal séparés et qu'il y a combinaison d'actions.
Il est assez incroyable de voir que, s'agissant des carcasses provenant de Flandres à l'abattoir de Mauléon, grand centre de trafic d'anabolisants, le docteur vétérinaire a libéré les carcasses, en disant que ce n'était pas grave car non destiné au marché français. Merci pour les consommateurs ! C'est tout à fait décevant. Ce n'est pas la première fois que l'on a ce genre d'affaires avec les services vétérinaires.
De même, nous sommes demandeurs auprès du parquet et du préfet du descellement du camion irlandais avec de la viande anglaise. On nous oppose un silence magistral. Je veux bien que l'on agisse judiciairement dans l'intérêt collectif des consommateurs, encore faut-il que l'on accède aux dossiers pour voir si l'on a intérêt à agir ou pas.
Dans certains dossiers agroalimentaires, le principe pénal de la responsabilité, à l'inverse du social, pèse sur le commettant, le donneur d'ordre ou le patron. De plus en plus, on essaie de faire supporter la charge de la responsabilité sur un directeur commercial, sur un directeur technique. Dans certaines affaires très précises, nous avons renoncé à agir, car nous ne requérons pas contre un directeur salarié. C'est le cas du lait mouillé. Il y a également le cas du poulet P.I.C. en Morbihan où nous avons désenrôlé notre affaire sachant que nous allions " mettre en cause " des directeurs salariés.
Je comprends bien la question du droit d'alerte des salariés. Il y a un risque majeur pour le salarié. On le voit dans des affaires comme celles de Coca-Cola ou Orangina. Il est tellement difficile de trouver un emploi et de le garder, que la raison veut que les salariés ne puissent pas communiquer directement. Peut-être pourraient-ils le faire à travers des organisations de salariés ou des associations de consommateurs ? Ou encore faudra-t-il définir un statut pour les protéger en tant que témoins.
Deux autres dossiers méritent à mon sens une attention particulière. La crise du porc : depuis que les Américains sont arrivés en Espagne avec l'aide de la Commission de Bruxelles, le cours du porc tombe inexorablement à 5 francs le kilo. Les Américains se permettent d'ailleurs de faire de la publicité en disant que le porc est un bon médicament et qu'il combat les problèmes cardio-vasculaires. De plus, ils bénéficient du sceau de l'association de cardiologie américaine.
J'aimerais que les autorités saisies de ce type de question répondent. Souvent, il n'y a pas d'enquête et les lettres ne sont que des courriers de politesse. De plus en plus, nous saisissons les parlementaires et, lors d'actions judiciaires, nous demandons à nos avocats de déférer, si le juge en est d'accord, les fonctionnaires en charge du dossier et les sachants techniques.
Je vous donnerai aussi le dossier d'Alméria sur les fruits et légumes dans lequel apparaissent des aides très importantes de la Commission de Bruxelles pour le développement de cette région. Il y a 150 décès chaque année dus à l'usage irraisonné de phytosanitaires. J'ai entendu de la bouche d'un professionnel, que ce n'est pas très grave puisque les victimes " sont issues de la population importée d'Afrique " !
J'ignore si les filières agricoles pourront toujours parler de qualité avec des pratiques aussi agressives, avec des aides de Bruxelles qui se traduisent par la délocalisation. Les gens de Marmande sont déjà là-bas ; les gens de Bretagne vont y aller. Le schéma du textile se reproduira dans le domaine agroalimentaire en filière intégrée. Une responsabilité énorme échoit à la Commission de Bruxelles qui a fait le choix de quelques groupes intégrés et qui n'entend pas du tout aider à une approche de diversité.
Nous avons signalé à la Commission de Bruxelles que nous payons trois fois : en tant que consommateurs, en tant que contribuables et en tant que consommateurs de produits annexes comme l'eau. Quand on nous dit que nous devons payer plus cher pour accéder à plus de qualité, le débat est déjà faussé.
Contrairement à ce qui a été dit, il n'y a pas une consommation " à deux vitesses ", mais " à trois vitesses ". Il y a déjà 7 millions d'exclus ; dans les non-exclus, il y a ceux qui ont le temps, les moyens intellectuels et l'argent pour se différencier et la grande masse de ceux qui sont contraints de faire des choix pour des raisons de temps, sauf peut-être le dimanche. Ce sont eux qui supportent le système ; ce sont eux qui contribuent par leur travail et leur contribution à faire tourner la démocratie.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est à M. Guillon.
M. François GUILLON : Notre association est satisfaite de la mise en place de l'A.F.S.S.A. Je ne dirai pas la même chose de son indépendance, car l'indépendance n'existe pas à mon sens. Néanmoins, l'essentiel est la transparence dont parle votre commission. Chacun se présente comme le porte-parole d'opinions qu'il discute et partage ici avec les autres. C'est ce point de vue qui me paraît très important.
Sur les O.G.M., j'ai été rapporteur sur ce sujet avec un membre de la F.N.S.E.A. au sein du conseil national de la consommation. L'avis n'a pas été négatif : il n'a pas été voté par les représentants des consommateurs, du moins par une partie de ceux-ci. En effet, à ce moment-là, les O.G.M. apparaissaient comme " le grand Satan ". On n'en voulait pas. Ce qu'il y a dans cet avis continue à me sembler tout à fait pertinent et utilisable. Je continue à penser que ce rapport vaut quelque chose.
Les distributeurs utilisent la mention " non-O.G.M. " et " sans O.G.M. ", en mélangeant les deux expressions. Cela rejoint votre idée de seuil. Au fond, on sait détecter les O.G.M., mais on ne sait pas parfaitement mesurer leur degré de présence. La Commission semble s'approcher du seuil de 1 %, ce qui n'est pas forcément le niveau que nous aurions souhaité. Ce sera difficile à obtenir et autorisera encore des ambiguïtés. Nous demandons que des recherches soient faites, pour que la possibilité de doser les O.G.M. dans les produits soit améliorée. Ce n'est pas encore très net, même si Danone prétend être capable de le faire. Je ne suis pas sûr que la D.G.C.C.R.F. le soit. Il y a un point à creuser avant de prendre des positions très fermes.
En ce qui concerne l'ionisation, elle concerne très peu de produits et coûte très cher. A part les cuisses de grenouille et les épices qui sont faiblement consommés, on voit assez peu de produits ionisés. C'est indiqué généralement sur les étiquettes pour les cuisses de grenouille, mais pas sur les épices. Il y a aussi d'autres produits plus anodins.
D'autre part, je suis très inquiet que les distributeurs utilisent le " non-O.G.M. " qui ne veut rien dire ; c'est sans O.G.M. ou cela contient des O.G.M. C'est là où notre association n'est pas aussi opposée que certains à la certification. Si les gens ne veulent pas du tout d'O.G.M., ils doivent pouvoir s'adresser à une certification de produits réellement sans O.G.M., les contrôles et la filière ayant été suivis.
On sait que dans l'agriculture biologique, 5 % des produits ne sont pas agrobiologiques. S'il n'y en avait pas du tout, ce serait très important.
La restauration collective peut être sensible à des moyens de pression tel que le cahier des charges des fournitures alimentaires. Dans les écoles, les restaurants et les cantines, le consommateur doit se manifester pour obtenir que ce cahier des charges précise les qualités ou les origines exigées.
L'agriculture raisonnée rencontre l'opposition de certains collègues, parce qu'elle ne recouvre pas grand-chose. L'agriculture traditionnelle devient une agriculture raisonnée. Pourquoi cela risque-t-il de bien fonctionner ? Parce que les produits phytosanitaires coûtent cher. Les agriculteurs ont tout intérêt à bien étudier la qualité de leurs sols, pour en utiliser le moins possible.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est à M. Montant.
M. Gérard MONTANT : Je ne sais pas si je fais de la politique, mais ce que je sais, c'est que je fais de la défense de consommateurs, aussi bien de ceux qui peuvent consommer que de ceux qui ne le peuvent pas. Le souci de prendre en compte la situation des 7 millions de personnes qui ont moins de 3 500 francs pour vivre par mois est tout à fait légitime de notre part. Ces personnes devraient, au moins autant que les autres, avoir droit à la qualité et à la sécurité. Peut-être même plus que les autres, parce qu'ils sont exclus de certains autres facteurs de soins, d'hygiène de vie, d'hygiène alimentaire. C'est un élément très important. Je ne peux pas m'insérer dans un système qui conduirait à une alimentation à plusieurs niveaux en fonction des ressources des personnes.
L'agriculture raisonnée est un sujet qui m'a fait réagir tout à l'heure. Il y a deux aspects. Je suis d'accord sur le problème marketing. La grande distribution crée la mode et l'utilise pour faire un " retour sur investissement ". On le sait. Cela étant, je constate que l'agriculture intensive produit des effets très négatifs sur la santé et l'environnement. Une réflexion est nécessaire pour amener des changements.
Pour ma part, je ne connais pas les solutions a priori, mais il y a possibilité de discuter, de rencontrer un certain nombre de personnes. Voyant certains opter pour la culture biologique, je me demande si nous ne devrions pas favoriser ce type d'agriculture soumise au respect de règles. Elle répond en effet à nos préoccupations sur l'environnement, sur la santé. Je ne peux pas faire autrement que de me demander si l'on n'a pas intérêt à favoriser ce type de culture.
La notion de productivité est également présente dans ma réflexion. Je veux ne pas toucher à l'environnement, ni nuire à la santé publique, mais je veux aussi produire suffisamment pour nourrir la planète. Or il n'a pas été fait la démonstration qu'une agriculture autre que l'agriculture intensive était capable de nourrir la planète. Ce serait nier toute l'évolution des sciences et des techniques.
Toute une série d'éléments scientifiques sont très mal utilisés. C'est en cela qu'il faut réfléchir sur l'agriculture raisonnée. Dans l'agriculture intensive, n'utilise-t-on pas trop facilement trop de produits ? Faut-il épandre par avion des produits comme des insecticides ? Le problème ne réside-t-il pas, par exemple, dans l'existence d'élevages " hors sol " qui doivent obligatoirement utiliser des antibiotiques dans l'alimentation à titre préventif, antibiotiques qui vont se retrouver ensuite dans l'animal et qui vont provoquer une série de maux ? Aurait-on besoin d'autant de précautions dans un élevage, si on réduisait sa capacité à 200 porcs au lieu de 1 000 porcs ? Le risque serait moins important en cas de maladie.
Il y a une série de réflexions à avoir sur le type d'agriculture à défendre. Il me semble que l'agriculture traditionnelle liée aux connaissances scientifiques par rapport aux produits, par rapport aux sols - on a très peu d'études sur les sols -, liée à la connaissance de l'environnement, de la météorologie, devrait permettre d'utiliser à bon escient les produits nécessaires pour cesser un certain nombre de pratiques et en faire avancer d'autres.
Dernier point : les contrôles pratiqués par les organisations de consommateurs n'atteignent pas un niveau suffisant. On a donc besoin de développer des contrôles publics. Les organisations des autres pays européens se battent pour avoir des contrôles publics semblables aux nôtres. Pour autant, ceux que l'on a ne donnent pas satisfaction.
Il me semblerait utile de recevoir les personnels de la D.G.C.C.R.F., des services vétérinaires. Il m'est rapporté qu'ils sont 25 sur Paris et Lille, 12 sur la Loire-Atlantique pour 40 000 entreprises à visiter. Ils peuvent peut-être pratiquer des sondages, mais on ne peut pas parler de contrôles. Les contrôles faits par les consommateurs pourraient avoir un rôle d'alerte et précéder un éventuel contrôle fait par les services adéquats. Trop souvent le rôle de ces personnels est apparenté à la répression des fraudes. Ils ont un rôle d'information vis-à-vis du producteur.
A cela pourrait s'ajouter le droit d'alerte donné aux salariés. Si ce droit était codifié dans le code du travail, on ne pourrait pas reprocher à quelqu'un - sous des conditions à déterminer - d'avoir informé que dans telle entreprise, tel ou tel type de produit était utilisé. On améliorerait, par cet effet d'accumulation, les contrôles qui, aujourd'hui, sont importants en France, mais qui sont insuffisants par rapport à la réalité.
Je n'ai pas dit que les consommateurs voulaient contrôler à l'excès ; ils ont appris que les choses ne sont pas aussi claires qu'elles le paraissent, mais ils sont exigeants en tant que citoyens.
Mme Michèle RIVASI : Si l'on supprimait la confidentialité au niveau des laboratoires vétérinaires, l'information vous intéresserait-elle ? C'est le problème de la confidentialité des laboratoires qui est posé.
M. Gérard MONTANT : Oui. Il y a aussi la confidentialité des services de contrôle. Quand nous signalons que, dans telle entreprise, il se passe telle chose, on nous dit qu'il n'y a rien, alors que nous avons une impression différente. Nous n'avons aucun pouvoir d'avoir le rapport et de le contester. Il faut que les rapports de contrôles soient publics.
M. Gérard BENOIST du SABLON : Vous savez que la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme incube entre 10 et 30 ans. Nous sommes inquiets pour l'avenir. Je fais une demande à la commission : c'est l'extension du recours à 20 ans pour mesurer les conséquences différées de la sécurité sanitaire en France. Il ne suffit pas de parler comme aujourd'hui mais il faudra payer l'addition à un moment donné dans le temps. Donc, je souhaite que l'on réfléchisse sur le recours. Actuellement, il est de 10 ans ; il serait raisonnable de le porter à 20 ans, car nous ne savons pas quels sont les effets de répercussion dans le temps.
Cela étant dit, je répondrai à l'une de vos demandes sur les risques que nous courons. Il y a un risque sur les sites où il y a les farines. Il va falloir s'en préoccuper. J'ai bien montré, dans mon premier propos, que nous avions un certain nombre d'inquiétudes. Les moyens d'incinération sont de 3 700 tonnes de farines par an. Il semble qu'il y en ait 104 000 tonnes. Si l'on regarde le rythme d'élimination à partir de nos moyens d'incinération, cela nous porte vers les années 2020.
C'est inquiétant. Votre commission devrait s'intéresser aux fameux sites qui polluent les sols, que ce soit dans l'Aisne, l'Allier, les Côtes-d'Armor. Vous connaissez l'ensemble de ces sites sans que j'en fasse moi-même la liste. C'est un exemple fort et il est indispensable d'apporter une solution rapide. Comment voulez-vous que nous discutions avec nos voisins européens de façon sereine, si nous nous faisons régulièrement renvoyer à nos propres pratiques qui sont critiquables.
Je termine sur le contrôle. La réglementation ne résoud rien. Je prendrai un exemple qui n'a rien à voir avec l'agroalimentaire : les D.R.I.R.E. n'ont pas assez de personnels. Les dossiers s'accumulent sur les bureaux et à l'heure actuelle, on est dans une situation très complexe.
M. le Président : Je vous remercie. Nous allons le 9 décembre dans le département des Côtes-d'Armor visiter le site de Plouisy que je connais très bien. Le problème n'est pas simple ; en réalité, les stocks de farines qui existent sont le résultat d'une avancée dans un certain nombre de domaines. C'est à partir du moment où l'on a décidé de ne plus introduire dans les farines animales les produits issus de cadavres d'animaux malsains que l'on a été obligé de stocker. Aujourd'hui, cela pose problème.
La contradiction est l'état normal des choses. La question est de savoir comment faire disparaître ces stocks. C'est à flux tendu que les farines sortant des usines d'équarrissage sont incinérées dans les cimenteries. Il reste à résorber ces stocks sans en provoquer d'autres. La grande question est : comment allons-nous accélérer ce processus ? En traitant par convention avec les cimenteries. La question a été posée de savoir si on pouvait les utiliser dans d'autres centrales. Nous avons posé la question à E.D.F. Nous n'avons pas pour l'instant de réponse. Théoriquement on le peut, mais il y a aussi des problèmes au plan environnemental. Là aussi, nous avons quelques contraintes et problèmes.
A ma connaissance - cela mérite d'être vérifié - c'est bien avant 2020 que les stocks doivent être normalement éliminés. Cela doit être en 2000-2001 dernier délai, mais nous le vérifierons.
En tout cas, nous allons sur le site de Plouisy ; nous rencontrerons également les associations qui se sont préoccupées de ces questions.
Mme Marie-Josée NICOLI : J'ai visité un tel site du côté d'Auch. Cela se présente sous la forme d'une petite colline de farine qui est à l'air libre. Le problème est que ce n'est même plus de la responsabilité de l'équarrisseur. Cela ne lui appartient plus. C'est de la responsabilité de l'administration. C'est une gestion qui relève des pouvoirs publics.
Pour revenir sur l'A.F.S.S.A., nous l'avons saisie. Elle a donné un avis sur l'E.S.B. ; elle va en redonner un autre, mais nous l'avons saisie pour avoir le dossier. On parle beaucoup de transparence, mais nous, qui avons déposé une plainte au niveau communautaire contre le Royaume-Uni, nous avons besoin de ce document. Pour l'instant, à part les communiqués qui ont été faits, nous n'avons pas le vrai document portant sur les décisions de l'A.F.S.S.A. Pour l'instant, ce document n'est pas public.
Nous sommes très contents de l'existence de l'A.F.S.S.A. ; nous n'étions pas du tout favorables à l'existence d'une seule agence. Nous avions l'expérience de la F.D.A. aux Etats-Unis, qui fonctionne assez bien pour les médicaments, mais pas pour les produits alimentaires. En outre, la logique de l'aliment n'a strictement rien à voir avec celle du médicament et les expertises sont totalement différentes.
Nous sommes toujours opposés à ce que les comités scientifiques intègrent des consommateurs car nous nous considérons comme des partenaires économiques. Je préfère un avis brut d'un comité scientifique qui n'a pas été obligé de tenir compte des avis des uns et des autres. Comme vous avez pu vous en rendre compte, nous mélangeons la consommation avec la politique dans nos discours. C'est inévitable. On y mêle même le syndicalisme.
A partir de là, les scientifiques travaillent et donnent un avis. A partir de cet avis scientifique, la société civile donne son avis et nous faisons connaître le nôtre. Dans l'affaire de l'E.S.B., la France prendra une décision qui ne sera pas uniquement fondée sur la décision de l'A.F.S.S.A. Quand on avance dans ce dossier, on se rend compte qu'il n'y a pas que les éléments scientifiques. Il y a tout l'historique, tous les manquements à prendre en compte. C'est le politique qui doit prendre une décision à partir d'autres éléments, parmi lesquels l'élément scientifique.
A propos des contrôles, je suis assez sceptique sur le droit d'alerte du salarié. Ce n'est pas souhaitable au plan humain. En revanche, cela fait 30 ans que les syndicats devraient dénoncer un certain nombre de choses, ce qu'ils ne font pas. Nous sommes une association de consommateurs et nous avons à plusieurs reprises déclenché des boycotts très durs, comme celui du veau aux hormones. C'est une arme difficile à manier. Elle doit être précise. On ne déclenche pas un boycott du jour au lendemain, comme peuvent le faire les Anglais et les Américains ; c'est un acte responsable. A chaque fois que nous avons déclenché des boycotts, nous avons eu face à nous les syndicats maison. Il y a là une contradiction.
Je terminerai par l'agriculture raisonnée. Nous soutenons l'agriculture raisonnée comme mode de production. Par contre, nous ne soutenons pas la labellisation agriculture raisonnée dont s'est emparée la grande distribution. Il est important, en tant qu'organisation de consommateurs, de soutenir toute initiative qui va dans le sens d'une agriculture moins polluante. C'est le cas de l'agriculture " bio " ou de l'agriculture raisonnée.
Il nous faut une agriculture durable - c'est pourquoi nous soutenons le réseau F.A.R.R.E. - mais pas pour que cela permette à la distribution de vendre des produits qui ne sont pas meilleurs que d'autres. C'est d'ailleurs ce que nous pensons aussi de l'agriculture " bio " qui utilise des modes spécifiques de production, mais qui ne donne pas des produits à la hauteur des espérances, parfois même de ceux qui font de l'agriculture " bio " depuis très longtemps.
M. Gérard BENOIST du SABLON : Sur le droit du salarié, le terme " droit " ne peut pas être utilisé. Donner un droit au salarié peut être dangereux pour lui. Par contre, lui permettre d'émettre vers l'extérieur et le protéger après dans l'entreprise nous semble nécessaire. Sinon, il est dur, sur un plan éthique, d'aller tous les matins au travail et de faire quelque chose d'interdit. Je pense à ces viandes du côté de Bordeaux où pendant des années, des salariés ont assumé ce travail, en sachant très bien qu'en couvrant leur patron, ils protégeaient leur emploi. Dans l'avenir, il devrait être impossible d'imaginer que des salariés soient obligés de poser des actes qui soient contraires à une certaine éthique, surtout dans des domaines aussi sensibles que l'agroalimentaire. Je ne partage pas obligatoirement ce que dit Gérard Montant.
M. le Président : Nous ne sommes pas là pour partager des avis, mais pour entendre la diversité de ce que nous représentons. M. Montant a souhaité réagir sur cette question.
M. Gérard MONTANT : Si vous n'aviez envie que d'un seul avis, vous n'inviteriez qu'une seule personne. Si je propose un droit d'alerte codifié, c'est au contraire pour protéger le salarié en lui évitant des conséquences en retour. J'ai dit qu'il fallait le négocier, savoir comment le définir. Je constate que cette demande provient de toutes les organisations syndicales des salariés de la transformation. Elles sont toutes d'accord sur ce point. C'est pourquoi cela a été introduit dans l'avis du C.N.A.
A un moment donné, le salarié ne peut pas simplement faire que de constater ; ou il s'en va et il dénonce à l'extérieur, mais il a perdu son emploi, ou il dénonce sur place et on lui oppose qu'il a le droit de dénoncer auprès du C.H.S.C.T., quand il y a menace pour sa propre santé. Les salariés en ont le droit et ils l'exercent. Il faut transformer ce droit pour aller au-delà, c'est-à-dire prendre en compte la sécurité du produit qu'il fabrique.
Encore une fois, cela est très logique. Qu'il y ait des contrôles, dont acte ! Mais tous les droits sont là pour cela.
M. Daniel PEPERS : A propos des travaux relatifs à la recherche privée, mon organisation a souhaité que les résultats des recherches privées puissent faire l'objet d'un contrôle par la recherche publique. En réalité, aujourd'hui, on a des résultats de recherches qui sont avancés comme des résultats scientifiques à caractère probant. Or ces résultats sont pris en tant que tels et assumés comme venant compléter un corpus de recherche. Il faut donc des moyens supplémentaires pour la recherche publique.
Enfin, nous souhaiterions que dans la restauration privée, de loisir ou collective, on oblige les responsables d'établissements à l'indication de l'origine des viandes et des poissons. Il faut une information des clients de la restauration hors foyer pour avoir une possibilité de vérification et de contrôle de l'administration sur cet affichage.
M. Eric AVRIL : Je souhaiterais que l'on observe que les sojas importés ne subissent aucune taxe. Toutes les céréales sont taxées ; le soja a un avantage comparatif en termes de nutrition animale. Pourquoi ce traitement inégalitaire à l'égard des céréales de l'Union européenne ?
Sur la question posée de la révélation de dommages à venir, c'est vrai que Bruxelles est en train de réformer les délais pour agir sur la responsabilité du fait de produits défectueux. La France a transposé en 1998 et a intégré les produits agricoles. Il convient d'envisager des délais beaucoup plus longs, car les scientifiques nous disent que cela mettra du temps pour apparaître.
D'ores et déjà, en ce qui concerne les nouvelles technologies, il faut créer une taxe, ne serait-ce que pour mutualiser un fonds. Objectivement, les scientifiques des deux bords, les " pro " et les " anti ", savent qu'il y aura des risques pour la santé humaine. Qui paiera ? Ils sont là pour faire des expertises, pas pour cautionner et mutualiser les risques.
Sur le boycott, nous sommes sous l'empire de la loi du 1er juillet 1901 : à l'inverse du dirigeant d'une entreprise, le président d'une association est pénalement et civilement responsable sur ses biens personnels. Si l'on n'a pas cela en tête et si l'on appelle au boycott, dans un monde qui se judiciarise, l'intérêt de certains professionnels et de cabinets d'avocats est d'assigner en excès sur la forme. L'U.F.C.-Que Choisir ? a aussi connu des batailles juridiques, notamment concernant le boycott du veau.
L'avenir des consommateurs et des associations qui les représentent passera par le refus de dépendre de la tutelle pour ce qui relève de l'information et du financement des actions des services publics. Nous demandons clairement, pour payer nos experts et nos représentations, qu'au même titre que Mme Buffet a pu l'obtenir en instrumentation, on ait 5 % sur la croissance exponentielle de la publicité-communication à travers les nouveaux médias, journaux mis à part.
On sait déjà que le milieu très fermé des Parisianistes est très protecteur de ses intérêts et ne veut pas entendre ce type d'analyse.
M. le Président : Il est presque 13 heures 30. Nous avons pratiquement passé quatre heures ensemble et je vous remercie pour vos contributions qui ont été très riches. Il y a eu échange ; nous avons pu aborder le fond des problèmes dans la diversité des approches. C'est ce qui nous intéresse puisque nous sommes là en tant que commission d'enquête pour essayer de connaître le point de vue des gens dans leur diversité et essayer de repérer les dysfonctionnements qui existent ici ou là et pouvoir être en mesure de faire des propositions. Merci de votre participation.

Le débat avec les Associations de consommateurs
du département des Côtes d'Armor

Avec la participation de :
Mmes Marie-Edmée DUPUIS, Présidente U.F.C.-Que Choisir ;
Marie-Christine CLÉRET, Présidente Famille Rurale ;
MM. Vincent URIEN, Président de la Confédération syndicale du cadre de vie ;
Joseph le MORDANT, Président de l'Union départementale des associations familiales ;
Lionel le BORGNE, Président de la Confédération syndicale des familles ;
Pierre-Yves LAOUENAN, Président de Indecosa-C.G.T. ;
et de Mme LHÔTELLIER.
(extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 9 décembre 1999
à Saint-Brieuc)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
Mmes Marie-Edmée Dupuis, Marie-Christine Cléret, MM. Vincent Urien, Joseph le Mordant, Lionel le Borgne, Pierre-Yves LAOUENAN et Mme Lhôtellier sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mmes Marie-Edmée Dupuis, Marie-Christine Cléret, MM. Vincent Urien, Joseph le Mordant, Lionel le Borgne, Pierre-Yves LAOUENAN et Mme Lhôtellier prêtent serment.

M. le Rapporteur : Nous travaillons sur l'amont de la filière jusqu'au niveau du consommateur, en passant par la transformation. Nous aimerions connaître votre vision des notions de transparence, de traçabilité et de sécurité alimentaire.

Que manquerait-il encore dans l'organisation de cette filière en France ?Avez-vous fait dans les Côtes d'Armor beaucoup de recours en justice ? Vous êtes-vous portés partie civile sur telle ou telle affaire ? Si oui, sur lesquelles ? Quelle est votre méthode pour essayer de faire passer le message vis-à-vis des consommateurs, mais aussi vis-à-vis de toute la partie amont de la chaîne, de façon à faire arriver dans notre assiette les meilleurs produits possibles ?

Mme LHÔTELLIER : L'U.F.C. s'est depuis longtemps impliquée dans le domaine de la qualité et de la sécurité des produits alimentaires. Nos premiers travaux sur ces questions remontent aux années 90 et concernaient le secteur bovin. Nous nous étions déjà aperçus à cette époque que cette filière présentait des signes d'opacité et qu'elle offrait des produits de qualité inégale aux consommateurs. Nous nous étions rendu compte que le consommateur qui se trouve en bout de chaîne ne disposait pas d'éléments fiables, tangibles et contrôlables pour pouvoir exercer son choix. Or le consommateur doit être reconnu comme un opérateur déterminant dans la filière alimentaire et doit pouvoir exercer son libre choix.

Les associations ont régulièrement travaillé sur la question de l'étiquetage de la viande bovine. Un règlement sur l'étiquetage devait intervenir dans un délai rapproché ; son entrée en vigueur est repoussée à 2003, parce qu'il existe d'importantes différences de fonctionnement dans la vision de la traçabilité au niveau européen.

Mme Marie-Christine CLÉRET : Nous ajouterons que les familles rurales conseillent aujourd'hui de ne pas consommer une viande bovine qui ne porterait pas l'étiquette " communauté européenne " avec l'indication du pays de provenance de la viande. Il y a des indications X L provenance communauté européenne sans autre précision. Nous conseillons alors de ne pas consommer ce type de viande.

M. le Rapporteur : Sous quelles formes vos conseils sont-ils donnés ?

Mme Marie-Christine CLÉRET : Dans les Côtes-d'Armor, les familles rurales représentent 33 associations intercommunales qui tiennent six permanences d'information du consommateur, réparties sur l'ensemble du département. Lors de ces permanences hebdomadaires, nous sommes interpellés ; les consommateurs sont inquiets et nous sommes amenés à donner des informations que nous diffusons également dans notre bulletin.

M. le Rapporteur : Pourriez-vous nous parler de ce problème de l'embargo et du principe de précaution ? La décision n'a pas été facile à prendre sur ce point. Nous avons tous participé à une réflexion à ce sujet au ministère de l'Agriculture, mais votre analyse nous intéresse.

M. le Président : Nous avons parfois des réactions avant que les décisions ne soient prises, mais il est bien pour nous de connaître les réactions après. Vous savez comment cela se passe : les experts donnent un avis, mais ce n'est qu'un avis. Ensuite, c'est au pouvoir politique de prendre la décision.

M. Joseph le MORDANT : L'U.D.A.F. n'a pas d'action directe sur le terrain. C'est " Famille rurale " qui agit. J'ai été personnellement très attentif aux propos tenus par l'U.F.C.V. sur les questions d'information. Les familles sont inquiètes car elles reçoivent précisément toutes sortes d'informations : " vache folle ", clonage, etc. Elles sont en situation de défense, suspectant tout à la fois la production et la commercialisation.

Comment intervenons-nous sur le terrain ? Cela se fait principalement au travers de communiqués de presse. Pour le b_uf britannique, nous avons alerté les associations de consommateurs en disant que nous étions défavorables à la levée de l'embargo. Tant qu'il existe en effet des incertitudes, nous ne pouvons pas prendre de risques.

M. Pierre-Yves LAOUENAN : Nous exprimons un grand intérêt pour le principe de précaution, mais nous ne voulons pas déstabiliser l'ensemble des filières de l'amont à l'aval. Association de consommateurs émanant du mouvement salarié, nous sommes aussi sensibles aux questions d'emploi.

M. le Président : Il ne faut pas affoler, mais voir les problèmes sans complaisance.

M. Pierre-Yves LAOUENAN : Vous avez eu l'occasion d'entendre notre secrétaire général. Nous sortons d'un colloque de plusieurs jours sur la sécurité alimentaire. La clôture de ce colloque a été faite par Mme la ministre. Nous avons le souci d'être informés, d'intervenir.

Je voulais souligner les difficultés que nous rencontrons au niveau local. Nous n'y avons malheureusement pas de structures dans lesquelles nous pourrions nous investir. Il est pourtant nécessaire de disposer d'un organe de travail au niveau local, d'avoir des moyens pour travailler au niveau associatif, d'avoir de la documentation technique et des avis et de pouvoir, en toutes circonstances, saisir les uns et les autres afin de développer une vision éclairée des problèmes de sécurité alimentaire.

Je voulais souligner maintenant l'intérêt de la mise en place d'un plan départemental pour l'environnement à l'initiative de l'Etat et du conseil général. J'avais sollicité le président pour obtenir la création de certaines commissions et notamment d'une commission " environnement et sécurité alimentaire ".

Il s'agissait d'analyser les problèmes de sécurité alimentaire se posant de l'amont à l'aval, soit au sein de cette instance, soit dans d'autres contextes. Il nous semble aujourd'hui qu'il faut aller vers plus de moyens mis à la disposition des associations de consommateurs. Nous avons un comité départemental de la consommation piloté par l'Etat, mais nous avons aussi un plan départemental de l'environnement dans lequel nous pourrions nous investir davantage.

Nous avons fait des propositions au niveau national, à savoir la création d'une chambre nationale et de chambres régionales de la consommation, financées par une taxe parafiscale sur la publicité audiovisuelle. Nous constatons qu'il est assez difficile de travailler en toute sérénité.

Nous constituons une association de consommateurs salariés. Nous avons dit que le congé de représentation nous semblait présenter certaines imperfections. Il faut que les consommateurs salariés dans les entreprises puissent s'exprimer pleinement.

Mme Monique DENISE : Nous avons rencontré votre secrétaire général, M. Montant, qui nous avait parlé des labels de façon tout à fait intéressait. Il disait que le label risquait de tirer la qualité des produits vers le bas. Que pensez-vous de cette réflexion ?

M. Pierre-Yves LAOUENAN : Si les agriculteurs font un travail conséquent sur la qualité, il est normal que ce travail qualitatif soit pris en compte et qu'il reçoive une juste rémunération, car le progrès obtenu se fait à l'initiative des agriculteurs. Mais en aval, les consommateurs ne doivent pas être victimes de grosses distorsions en termes de qualité. Tous les consommateurs doivent pouvoir bénéficier d'un standard minimum en termes de qualité.

La lisibilité de la sécurité alimentaire doit être assurée dans les grandes surfaces. La distribution ne doit pas détruire le travail effectué en amont. En période d'affluence, les poulets labellisés sont mélangés avec les poulets standards. On " casse les prix " des produits labellisés qui se retrouvent alors au prix des produits standards. Où se retrouve le travail effectué antérieurement ?

M. Vincent URIEN : Il faut insister sur l'étiquetage et la traçabilité qui permettent à tout moment d'agir sur le contrôle des denrées alimentaires. Cela permet de retirer très rapidement une denrée dont on connaît l'origine défectueuse. Je ne veux pas faire l'apologie de la traçabilité, mais il est important de le savoir.

Nous constituons une association de consommateurs départementale. Nous n'avons pas dans la période récente, esté en jugement pour des affaires de sécurité alimentaire.

Je reprendrai les arguments présentés par M. LAOUENAN sur le rôle des associations de consommateurs. Si l'on veut agir sur la connaissance, la transparence, il faut que les associations d'usagers, que les représentants des associations de consommateurs aient la possibilité d'agir, de participer à certaines réunions ; il faut qu'ils puissent faire des contrôles efficaces.

Je suis bénévole ; j'ai effectivement dû quitter mon travail. Un autre salarié bénévole de l'association est au comité de bassin à Orléans. Il n'y a pas de rémunération pour participation associative dans ce genre de réunion. Pour que l'on puisse agir, pour que les usagers puissent agir, il faut des moyens donnés à des gens extérieurs à la profession pouvant agir, contrôler, participer avec d'autres partenaires. C'est indispensable. Il ne s'agit pas là du temps syndical et on a appelé cela de diverses façons.

M. le Président : Il s'agit de temps citoyen.

M. Vincent URIEN : Il faut des autorisations plus simples à obtenir que celles auxquelles on a recours, des moyens et des dédommagements. Nos préoccupations vont largement au-delà de la sécurité. Notre association participe pour l'équivalent d'un plein temps mensuel à un certain nombre de représentations. Quand je vais au comité départemental de conciliation sur les loyers, je reçois une rémunération de 32 francs pour chaque intervention. J'y ai passé ma matinée et j'ai travaillé les dossiers 2 à 3 heures. C'est un exemple parmi de nombreux autres. On ne peut pas agir sur la transparence, sur la connaissance de ces éléments-là si nous l'on pas les moyens d'agir. J'insiste !

Mme Marie-Christine CLÉRET : Je rejoindrai le point de vue de M. Urien car notre mouvement essaie de former les bénévoles qui tiennent ces permanences de proximité en milieu rural. S'il nos associations n'existaient pas, il n'y aurait pas de service qui se décentraliserait à ce sujet. Dans la formation des bénévoles, les crédits n'ont pas été revalorisés pour que nous puissions mobiliser les personnes compétentes afin qu'elles amènent leurs connaissances et leur savoir-faire. Quant aux bénévoles, ils se libèrent et prennent sur leurs congés ou leurs soirées. C'est ce travail que font les consommateurs, mais comme vous l'avez dit, c'est le rôle de tout citoyen.

Nous voulons que les citoyens s'impliquent dans l'information et dans leur rôle de consommateurs. Nous rentrons dans un jeu de formation des plus jeunes ; nous avons entrepris des campagnes d'information des enfants sur la prévention de l'eau. Nous y avons associé les compagnies fermières, les élus, les partenaires locaux. Nous allons continuer sur les déchets. Que produit-on en tant que consommateur ? Nous espérons avoir des informations pertinentes pour en informer les consommateurs. Tout cela demande des moyens. Nous réclamons toujours des moyens nouveaux pour que les bénévoles soient suffisamment formés, informés et que le réseau soit optimisé en milieu rural.

M. Joseph le MORDANT : Je rejoins cette position relative aux bénévoles. Les pouvoirs publics font de plus en plus appel aux bénévoles à l'heure actuelle. Mais il n'y a aucun dédommagement pour quitter son entreprise. Il y a là toute une éducation au niveau de l'employeur pour permettre une ouverture plus grande et pour pouvoir s'engager dans le cadre des associations.

M. le Rapporteur : Je reviens à la filière alimentaire : depuis que nous faisons des auditions et que nous nous sommes impliqués dans ce travail, la diminution dans le budget familial de la part consacrée à l'alimentation m'a beaucoup frappé : depuis une cinquantaine d'années, la part alimentaire a diminué au profit de la communication, des médias, de la voiture...

Une compression de ces dépenses a été prise en compte par l'ensemble de la filière et met à disposition des produits de moins en moins chers. Vous voyez la manière dont peut s'installer le cercle vicieux. J'aimerais savoir comment vous vous situez par rapport à cela ?

Vous parliez d'action pédagogique. Nous savons ce que vous faites tous, les uns et les autres. Sur l'aspect de la nutrition, une action est-elle engagée ? Cela relève-t-il de l'éducation nationale au niveau de l'école de donner quelques rudiments de diététique pour éviter à nos enfants l'obésité ? Par rapport à cet aspect financier et qualité de la nutrition, comment réagissez-vous ?

M. Joseph le MORDANT : L'U.D.A.F. participe à l'observatoire de la famille. A partir de sondages réalisés à Rennes, il apparaît que l'alimentation est toujours le secteur de dépenses le plus important, mises à part les dépenses scolaires pour les enfants.

Concernant la transparence, les familles ont des difficultés à se positionner car l'information vient de toutes parts ; elles ne savent plus qui croire. Dans le développement des Côtes-d'Armor, un point dominant est lié à l'alimentation, c'est la qualité de l'eau. Tout cela sous-tend une qualité des produits.

Nous avions informé le préfet du problème de la qualité de l'eau. Nous étions surtout favorables à ce que l'eau soit traitée avant, de manière qu'il y ait un effort de la part des agriculteurs pour protéger l'eau au niveau de la source.

Ensuite, la formation est un point que nous avons développé tout particulièrement. La formation au niveau de l'alimentation et des comportements alimentaires doit se faire dès le plus jeune âge. Cela pourrait se faire au niveau de l'école, mais aussi dans le parcours de l'enfance, lors des colonies de vacances par exemple, au niveau des partenaires sociaux, des travailleurs familiaux. A tous ces niveaux, il y a un effort de formation à mettre en place.

Je m'occupe personnellement d'un club de judo. Quand nous présentions auparavant des cadets en compétition, il n'y avait plus de compétiteurs au poids de 73 kilos. Actuellement, cinq ou six compétiteurs de ce poids se présentent. Cette situation n'est pas due à un excès de croissance, mais à un problème d'équilibre alimentaire.

Mme LHÔTELLIER : Il faut dire qu'il n'y a pas un mais des consommateurs. Les comportements vont changer d'un consommateur à l'autre mais aussi d'un jour à l'autre. Un jour, il va s'orienter vers un produit festif auquel il réclamera une qualité élevée ; un autre jour, il préférera une qualité standard. Dès lors que l'on peut avoir des comportements et attitudes différents, il faut à notre disposition cet éventail qui va nous faciliter ce choix. On revient toujours à la notion de choix et donc, d'étiquetage.

M. le Président : Quelle que soit la gamme de produit, souhaitez-vous la sécurité sanitaire ?

Mme LHÔTELLIER : La sécurité sanitaire est le point sur lequel il n'y a aucune ambiguïté. Il s'agit d'un droit absolu qui ne se négocie pas. C'est un enjeu de santé publique. Aujourd'hui, à Rennes, a lieu la conférence régionale de la santé. Il est important d'y faire allusion.

Les priorités de la région portent sur le lien entre santé et environnement. On sait qu'à long terme, ils peuvent être affectés par certaines méthodes de production ou certains comportements. Je pense aux pesticides, aux activeurs de croissance, dont on ne connaît pas nécessairement aujourd'hui les effet sur notre santé. Il est important de poursuivre les recherches sur cette question.

Il faut ajouter que l'utilisateur ou le consommateur cherche des assurances dans des situations où il redoute des risques. Cela se produit quand la qualité d'un produit lui paraît dépendre de l'incorporation d'une technicité ou d'un savoir-faire qu'il ne peut pas déceler au moment de l'achat. Il y a là un ajustement nécessaire entre la qualité attendue et la qualité perçue.

D'autre part, le consommateur est accablé d'informations. Alors que trop d'informations tue l'information. Il faut donner au consommateur les informations dont il a le plus besoin. Si l'on prend l'exemple de la viande bovine, le fait de connaître l'état d'engraissement ou la conformation constitue un critère d'achat, mais qui importe peu au consommateur. Par contre, le degré de maturation lui sera peut-être utile.

Cela nous renvoie aux questions d'éducation. C'est culturel, mais c'est tout aussi important. Le sociologue Claude Fischler a dit : " On est ce que l'on mange ". Si on ne sait plus ce que l'on mange, il y a une perte d'identité. C'est à la suite de plusieurs affaires que le consommateur a perdu confiance : " vache folle ", O.G.M., Coca Cola, poulet à la dioxine. Il faut rétablir un climat de confiance, faute de quoi on va vers une rupture entre le monde agricole et la société civile. Pour les générations futures, cela est très grave. Il est nécessaire de revoir tous les modes de production afin de limiter les excès. Sinon, nous serons tous perdants.

M. le Président : Comment se comporte le consommateur avec les produits étiquetés ? Que lui apporte l'étiquetage ? Comment le consommateur lambda se comporte-t-il devant les rayons ? L'étiquetage est un thème qui est fréquemment revenu au cours de nos débats. On nous dit que c'est bien, mais il ne suffit pas que cela soit étiqueté. Y a-t-il des produits étiquetés qui ne seraient pas bons ?

Mme LHÔTELLIER : Il existe une multiplicité de signes de qualité. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Au moment de la crise de la viande bovine, les consommateurs se sont détournés de la viande de b_uf, parce qu'elle était chère sans correspondre à un bon niveau de qualité. Il y a donc eu des reports de consommation sur d'autres viandes. Il fallait redonner confiance aux consommateurs. En quelque sorte, on a " fait parler la viande ". On a prévu des signes officiels de qualité, mais on a fait aussi beaucoup de marketing au travers de slogans. On voulait redonner confiance au consommateur mais, au bout du compte, il pas sûr que celui-ci s'y soit retrouvé.

M. le Président : Pouvez-vous nous confirmer qu'au moment de l'affaire du poulet à la dioxine, le montant des ventes du poulet entier a baissé, mais pas celui des ventes des cuisses de poulet ?

M. Pierre-Yves LAOUENAN : Le consommateur agit en fonction de son niveau de rémunération. Il faut voir un samedi aux heures d'affluence quelle est la clientèle d'un " hard discounter " et se demander quels sont les moyens de réaction d'un Rmiste par rapport à quelqu'un qui a 10 fois plus de moyens . le niveau de rémunération doit indiscutablement être pris en compte.

Mme Marie-Christine CLÉRET : Quand vous dites que la part du revenu consacré à l'alimentation a considérablement baissé, il faut espérer que cela est dû à l'amélioration du revenu. Mais celui-ci ne s'est pas amélioré pour tout le monde et certaines personnes n'ont pas la possibilité de choisir, ce qui peut expliquer la consommation de certains éléments de poulets ou de dindes.

L'éducation des enfants elle aussi est importante, car ils influencent considérablement les achats de leurs parents. Les enfants sont sous l'emprise publicitaire ; c'est pour cette raison que nous intervenons aussi auprès des enfants pour renverser la tendance.

Malheureusement, les moyens financiers des familles ne permettent pas toujours de se rendre chez le boucher voisin afin d'acheter un produit convenable.

Mme Monique DENISE : Nous irions selon vous vers une société connaissant une alimentation " à deux vitesses " ?

M. Pierre-Yves LAOUENAN : Cette société duale existe déjà. Les " Restos du c_ur " sont ouverts et ils sont fréquentés par une population en voie de marginalisation ou complètement exclue. Ces mêmes personnes se retrouvent dans les " hard discounters ".

Mme Marie-Edmée DUPUIS : Dans le département, de très nombreuses personnes touchent le RMI ou ont des revenus très faibles. Il y a un vrai problème par rapport à ces consommateurs qui n'ont pas les moyens.

Par rapport au thème de l'information, l'alimentation devrait être traitée au niveau scolaire.

M. le Président : ...information donnée aux enfants ?

Mme Marie-Edmée DUPUIS : Oui. Au départ, il faudrait la donner à tous. Les associations ne touchent pas toute les populations. Il serait important de donner l'information à la base.

Je voudrais revenir sur les labels et sur l'information. Pour le consommateur, il est très difficile de s'y retrouver. Les labels sont variés ; tout le marketing reprend les éléments qui sont donnés dans l'information et fausse en partie le jugement de la population. Le marketing les reprend comme arguments pour vendre un produit. Mais il n'y a rien de scientifique, rien qui soit basé sur la qualité réelle. Il y a donc un problème d'information sur la qualité réelle et sur la façon dont elle est présentée par le marketing. C'est très difficile. Informer sur la qualité réelle du produit est le travail des associations. Nous le faisons, mais difficilement.

M. Jean GAUBERT : Revenant sur la question du label, de la traçabilité, j'aimerais que vous puissiez nous renseigner sur la réaction des consommateurs à un certain nombre de choses : par exemple, lors de la relance de la viande bovine, on a vu apparaître la photo de l'éleveur dans quelques publicités. Quelle est la réaction du consommateur ? Cela lui donne-t-il confiance ? Cela change-t-il quelque chose dans cette masse d'informations qu'il reçoit ?

L'autre question a déjà été abordée par Mme Lhôtellier : la grande confusion des consommateurs entre qualité sanitaire et qualité gustative. Il y a une vraie confusion que personne ne s'est attaché à démystifier.

Enfin, il nous a été dit que l'on avait vendu beaucoup plus de pièces de poulets que de poulets entiers. On le comprend assez facilement. Ceux qui achètent des pièces de poulets sont souvent des gens qui ont de faibles moyens financiers, mais il y a aussi toute la restauration collective. Elle n'a pas beaucoup modifié ses comportements. C'est le consommateur individuel qui a modifié ses comportements. Quand on va dans la restauration collective, on a trois plats au choix : du thon, du poulet ... et on choisit entre deux ou trois plats.

M. Pierre-Yves LAOUENAN : Monsieur le rapporteur, vous nous avez posé une question concernant les actions que nous pouvions être amenés à mener au niveau pénal. J'ai un exemple portant sur les questions de sécurité. En 1997, nous avons obtenu un jugement du tribunal correctionnel dans une affaire assez conséquente de beta-agonis* qui était utilisé pour l'alimentation des veaux. Alors, nous disons oui à la sécurité alimentaire, oui pour avoir confiance dans la filière alimentaire, mais nous disons qu'il est prudent dans une certaine mesure de renforcer les moyens de contrôle des services de l'Etat pour que le consommateur puisse en toute sécurité consommer les produits à sa disposition.

Le bénéfice qu'a pu rapporter cette vente de substance illicite sur plusieurs mois a été de un million de francs ! Il y a donc bien des gens qui ont un intérêt à vendre ces produits qui leur rapportent beaucoup d'argent. Quelle est la finalité de ces produits ? C'est d'être utilisés dans la filière alimentaire. Si les services de contrôle n'avaient pas saisi ces substances illicites, le consommateur les aurait retrouvées dans son assiette.

M. Vincent URIEN : Sur la part de l'alimentaire dans le budget des familles, plusieurs effets ont joué. Il y a eu une augmentation du niveau de vie et une baisse relative de la part de l'alimentaire, mais on est peut-être là au c_ur du problème. La différenciation se fera en fonction des revenus.

On assiste à l'explosion du " bio ". Ce n'est pas donné à tout le monde d'acheter du label, de pouvoir contrôler ce qui est mangé. Peut-on demander à la restauration collective si elle utilise des poulets traités par OGM ? Au niveau sanitaire, c'est sûrement sain, mais ce n'est pas le meilleur des poulets. C'est du poulet standard, bas de gamme, à moins de 10 francs le kilo.

On peut donc lier cela au problème de l'eau qui est l'indicateur le plus important chez nous. Les Bretons vont massivement acheter de l'eau en bouteille. Qui y va et qui n'y va pas ? Y a-t-il une différenciation selon les revenus ? Nos enfants sont les premiers à dire que l'eau n'a pas bon goût ou qu'elle n'est pas bonne. Ils vont solliciter les parents pour acheter cette eau en bouteille. Mais on peut se poser des questions sur les teneurs en pesticides !

Mon médecin dit que des études tendraient à corréler l'augmentation des cancers avec l'utilisation des pesticides. Vous êtes sûrement mieux placés que moi pour trouver ces analyses. On sait que les pesticides sont un vrai problème. Les nitrates ne sont qu'un indicateur de la détérioration de l'environnement. Il faut rappeler que nous sommes dans un département bien atteint dans lequel aucun progrès n'est fait en la matière. On va aller vers des augmentations considérables du taux de nitrate. Ce n'est pas trop important pour la sécurité alimentaire, mais c'est l'indicateur d'une grande détérioration. Il faut le dire, le développer. Cela pose problème.

M. le Président : Mme Lhotellier souhaite ajouter quelques mots ?

Mme LHÔTELLIER : On dit que peu d'efforts ont été faits dans la restauration collective. On peut donner aussi l'exemple des restaurants scolaires. On parlait de l'éducation de l'enfant. Elle commence là. Beaucoup d'enfants mangent en milieu scolaire. Il est important que l'alimentation qu'on leur donne répondre à des critères.

M. le Président : Avez-vous eu l'occasion en tant qu'association départementale de demander aux services de la préfecture par exemple de faire des contrôles particuliers dans ce domaine ?

Mme LHÔTELLIER : L'UFC l'a fait au niveau du grand ouest dernièrement.

M. Vincent URIEN : Nous le faisons au niveau national et régional.

Mme Marie-Christine CLÉRET : Nous avons demandé quelle eau était servie en restauration scolaire.

Mme LHÔTELLIER : La traçabilité est totalement inexistante.

M. Vincent URIEN : Dans les conseils d'administrations des établissements scolaires, on nous répond qu'au niveau organoleptique et qualité sanitaire, il n'y a pas de problème. Il semble que ce sont les centrales d'achats qui régissent.

M. Jean GAUBERT : La procédure d'appel d'offres ne permet pas de demander un certain nombre de signes de qualité. Si vous faites cela, la DCCRF vous dira que ce n'est pas légal.

Mme LHÔTELLIER : Il aurait fallu parler des contrôles. La veille sanitaire n'est pas toujours cohérente.

M. le Président : Il serait intéressant que vous nous fassiez parvenir vos contributions écrites afin de nous alerter sur vos problèmes de terrain. Au plan national, nous avons déjà rencontré vos organisations. Nous allons avoir une masse de documents, mais les éléments de terrain, les éléments de la vie quotidienne de vos associations départementales nous intéressent au plus haut point.

M. le Rapporteur : Je m'interrogeais sur les normes diététiques. Qui les fixe ? Existent-elles ?

M. Vincent URIEN : Il y a une diététicienne à Saint Brieuc. Elle passe de temps en temps voir les élèves et leur demande si c'est bon.

Mme Marie-Christine CLÉRET : Les diététiciennes affiliées à une collectivité travaillent en amont avec les personnes chargées de la préparation des repas. Elles veillent à l'équilibre. Il faut savoir comment on le fait passer auprès des élèves.

M. le Rapporteur : Je participe à un conseil d'administration en tant que conseiller général, les représentants d'élèves se plaignaient de la qualité de l'alimentation. Le proviseur leur a demandé ce qu'ils souhaitaient ; leur réponse a été : " bifteck frites ".

L'analyse de l'Institut National de la Consommation

Audition de M. Marc DEBY,
Directeur de l'Institut National de la Consommation (I.N.C.)

accompagné de M. VICTORIA
(extrait du procès-verbal de la séance du Mercredi 1er décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Marc DEBY et VICTORIA sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Marc DEBY et M. VICTORIA prêtent serment.
M. Marc DEBY : Monsieur le Président, Madame, Messieurs, je vous remercie de votre accueil.
Je voudrais tout d'abord présenter brièvement l'Institut National de la Consommation et ses missions.
Créé voici plus de trente ans, l'Institut National de la Consommation est un établissement public industriel et commercial au service de tous les consommateurs et de leurs associations, que vous avez récemment reçues en forum ; ses ressources proviennent en grande majorité de la vente de ses publications et d'une subvention prévue dans la loi de finances de l'année. L'Institut National de la Consommation comporte deux pôles opérationnels :
- un pôle " expertise " qui regroupe essentiellement les activités d'essais comparatifs, de tests, de travaux scientifiques, les études économiques et juridiques et enfin les travaux documentaires ;
- un pôle " information " qui rassemble les activités " médias " ; quatre médias diffusent ainsi les travaux de l'Institut National de la Consommation, en plus du média Internet que nous venons de créer, " Conso.net " ; il s'agit de " 60 millions de consommateurs ", qui est le média principal, avec ses numéros mensuels et ses numéros thématiques, soit au total 21 numéros par an et une diffusion globale de 2 800 000 exemplaires, " d'INC Hebdo ", qui est un hebdomadaire d'informations spécialisées, de " Consomag ", qui correspond à 14 minutes d'émissions télévisées sur France 2 et France 3 et enfin d'un service télématique, à partir du 36-15 INC.
Pour résumer l'activité de l'Institut National de la Consommation, on peut dire que, par l'activité de ses équipes d'experts dans les domaines du droit, de la technique et de l'économie, l'Institut contribue à faire du consommateur un partenaire naturel des entreprises qui produisent et distribuent des biens et services au grand public.
Après un exposé sur les questions de sécurité alimentaire, je voudrais vous présenter quelques propositions concrètes sur lesquelles vous pourrez m'interroger, si vous le souhaitez.
La sécurité alimentaire est devenue un vrai problème de société, qui préoccupe fortement les Français ; le consommateur apparaît comme un partenaire de plus en plus attentif et averti, qui souhaite se réapproprier le contenu de ce qu'il mange.
Pour mémoire, je vous indiquerai que l'Institut National de la Consommation a été désigné par l'Union européenne pour mettre sur pied le volet français d'une campagne d'information portant sur la sécurité alimentaire qui se déroule dans les quinze Etats membres. Les thèmes ont été librement choisis par les différents pays, mais il existe un socle commun reposant sur les questions de traçabilité, d'étiquetage et de contrôle.
Ainsi que l'ont montré des sondages réalisés par Eurobaromètre en 1998, à ses motivations d'achat habituelles qui sont les prix des produits, leur qualité sensorielle et nutritionnelle, leur commodité d'emploi, le consommateur ajoute désormais des préoccupations relatives à sa santé, à son environnement et même des considérations éthiques, portant sur le bien-être animal ou sur les conditions de fabrication des produits.
Les progrès de la science et le développement de nouvelles technologies, de ce que l'on appelle les " biotechnologies " ont paradoxalement suscité de nouvelles interrogations et sont à l'origine de nouveaux risques. Les causes de ces interrogations sont bien connues : je citerai les méthodes de production et de conservation mises en _uvre, la diversité et la nouveauté des aliments proposés, la diversification de l'origine des produits, l'intensification des échanges internationaux, le fait enfin que l'on puisse acquérir des produits fabriqués souvent très loin de l'endroit où on les consomme.
Dans le même temps, des risques nouveaux sont apparus, tout particulièrement ceux qu'engendre l'encéphalopathie spongiforme bovine.
J'en viens à l'aspect " transparence de l'information " qui me paraît absolument essentiel ; une question se pose aussitôt : faut-il multiplier les messages à destination des consommateurs, au risque de banaliser les plus importants d'entre eux ? Qu'attendent les consommateurs et sont-ils vraiment tous armés pour intégrer les messages de la même façon, quand on sait que parfois, certains messages sont très subtils et guidés par le marketing ?
Peut-être convient-il de s'interroger sur la façon de communiquer en l'absence d'éléments prouvés ; autrement dit, faut-il communiquer étape par étape, comme dans le cas récent des canettes de Coca-Cola, où la communication a été faite en avançant successivement différentes hypothèses contradictoires et donc troublantes à terme pour bon nombre de consommateurs, au risque de brouiller le message ? Une notion doit, selon moi, s'imposer : celle de l'information des consommateurs qui constitue un droit fondamental et incontournable, tant il est vrai que les craintes se nourrissent de l'ignorance.
Il convient à cet égard de bien faire la distinction entre les situations pour lesquelles l'information est liée à un état de crise, type E.S.B., pour lesquelles l'évolution est très lente et fait nécessairement l'objet d'une communication de longue durée, les situations dans lesquelles la santé du consommateur est en jeu de façon beaucoup plus diffuse, comme c'est le cas pour les hormones dans la viande et enfin les situations où se posent avant tout des questions éthiques, comme c'est le cas pour les organismes génétiquement modifiés.
L'information doit être graduée, parce qu'il peut exister des populations à risques, elle doit être également circonstanciée dans le temps et dans l'espace ; elle doit être enfin complète, tout en évitant l'alarmisme. A chaque occasion, à " 60 millions de Consommateurs ", nous mesurons la difficulté qu'il peut y avoir à pondérer une information juste quand, pour un même message diffusé, on sait clairement qu'il y a autant de perceptions de ce message qu'il y a de consommateurs.
Plus généralement, il faut rappeler l'importance de la communication sur des notions aussi fondamentales que le " principe de précaution " et la notion de " risque zéro ", toute la question étant d'apporter l'ensemble des éléments indispensables à une meilleure compréhension et à une meilleure acceptation du risque encouru, puisque cette notion de " risque zéro " doit être éliminée des esprits.
Toute communication à destination des consommateurs devra tenir compte enfin de leurs préoccupations fondamentales et notamment de leurs interrogations sur les modes de production. Cela est particulièrement vrai pour le secteur de la viande, puisque même les professionnels ont longtemps ignoré comment se déroulaient les choses dans les abattoirs.
Il est tout aussi important d'observer que protection, formation et information du consommateur sont très souvent indissociables ; c'est probablement là le message essentiel que je voudrais délivrer. Dans la campagne européenne sur la sécurité alimentaire, nous avons ainsi mis l'accent sur le rôle que le consommateur non seulement peut, mais doit jouer, s'agissant de l'obtention des informations au travers d'une lecture attentive des étiquettes lors de l'achat, (encore faut-il que le langage employé soit lui-même cohérent avec les concepts et les catégories qu'il a dans l'esprit), mais aussi en matière de modalités de transport, de gestion et d'utilisation des aliments au domicile, puisque le consommateur achetant un produit, notamment s'il est réfrigéré, partage une responsabilité dans la consommation de ce produit.
A ce jour, si l'on veut bien prendre en compte certains dysfonctionnements touchant tant à la production (on le voit pour l'affaire des boues d'épuration incorporées dans les farines animales) qu'au contrôle (nous savons que, pour les viandes en provenance du Royaume-Uni l'embargo n'a pas été complet), la question n'est plus seulement de savoir comment communiquer avec les consommateurs, mais surtout comment, avant tout, restaurer la confiance souvent perdue de ces derniers.
Je voudrais, à ce stade de mon exposé, vous présenter plusieurs suggestions.
Une première proposition concerne le " principe de précaution " ; je suggère que l'on donne une définition claire de ce principe qui s'est imposé aujourd'hui dans l'esprit de tous et que l'on prévoie l'idée de sa prévalence absolue. J'observe d'ailleurs que la définition du principe de précaution est aujourd'hui floue et que l'invocation de ce principe est tout à fait galvaudée.
Ma seconde suggestion concerne la notion de " traçabilité " ; le concept de " traçabilité ", ou pour être plus simple, de " traçage " des produits, est une notion clef ; le consommateur doit, autant que possible, du stade de la matière première jusqu'à celui de son assiette, être absolument informé sur l'origine des produits et sur la façon dont ceux-ci ont été traités ; les contrôles doivent bien sûr y aider.
Cette " traçabilité ", ce " traçage ", doivent pouvoir se généraliser à l'ensemble des filières agroalimentaires, afin que le consommateur, à partir de cette transparence de l'information, puisse faire des choix éclairés. C'est vraiment ici le point essentiel ; il faut le faire, je pense, pour tous les opérateurs de la filière et permettre une identification accrue des lots, en cas de problème.
Ma troisième proposition, vers laquelle nous allons déjà, ce dont je me félicite, concerne l'harmonisation internationale des questions de sécurité alimentaire. Cette harmonisation doit permettre de mieux contrôler les excès de la course à la productivité européenne et mondiale. Je crains, ceci étant, que tout effort de régulation et de contrôle en la matière ne conduise qu'à essayer de rattraper un train qui va plus vite ; mais, j'ai confiance sur ce point dans les Etats.
Je pense qu'il faut aussi promouvoir des normes et des réglementations communautaires, venant compléter les structures par Etat, des instances européennes étant peu à peu appelées à en assurer l'application. Je sais que la France possède, avec l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, une instance d'évaluation du risque, indépendante et transparente qui permet de séparer l'évaluation de la gestion proprement dite du risque ; je crois, en outre, que la mise en place de cette nouvelle structure a entraîné une réforme profonde de l'expertise, qui était autrefois disséminée. Enfin, en termes d'harmonisation internationale de la qualité des produits, les normes du " Codex alimentarius " vont devenir de plus en plus la référence en cas de litige et cela me paraît une bonne chose.
J'en viens à deux propositions plutôt sectorielles et plus modestes : je pense tout d'abord, s'agissant des farines animales, qu'il faudrait établir une liste parfaitement définie, on pourrait parler d'une " liste positive " des ingrédients entrant dans l'alimentation animale et généraliser la " traçabilité " de ces ingrédients. Je rappelle, en effet, que de nombreux ingrédients sont utilisés, parfois au niveau des produits finis, parfois à celui des produits semi-finis : cette liste des ingrédients doit être connue, comme doit l'être leur mode d'incorporation dans la fabrication des aliments.
Il faut reconsidérer ensuite la question des antibiotiques entrant dans l'alimentation animale, à la lumière des risques de résistance bactérienne.
D'une manière générale, il faudrait renforcer la réglementation et les contrôles relatifs à la production d'aliments du bétail et, en particulier, aux " farines animales ", je mets, d'ailleurs, ce mot entre guillemets, car il m'a toujours choqué, " farines " évoquant un produit végétal ; il faut, en toute hypothèse, éviter de se retrouver dans des situations de crise de confiance touchant même l'Europe et susceptibles de mettre la France en situation difficile ; on le voit dans l'affaire de l'utilisation des boues des stations d'épuration, où nous avons connu, là aussi, une crise majeure.
Il faudrait aussi clarifier la réglementation relative à l'utilisation des ingrédients pouvant entrer dans la composition des farines ; les pouvoirs publics ont qualifié cette réglementation de " floue ", quand ils ont dû se justifier face aux critiques provenant des autres pays de l'Union européenne ; il faut sûrement que ce " flou " disparaisse ou qu'il s'estompe au plus vite.
En ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés, je note que l'opposition aux O.G.M., d'abord observée en Europe, touche à présent les Etats-Unis. Nous n'avions d'ailleurs pas perçu cette opposition au départ ; je voudrais vous montrer comment le journal " 60 millions de Consommateurs " l'avait signalé dès janvier 1997 dans un dossier alors salué par la presse ; un petit encart dans ce dossier fait apparaître, je le cite, " que les associations de consommateurs exigent la transparence ". Nous avions essayé de montrer comment déjà le soja entrait dans la composition d'une centaine de produits courants, que nous présentions, soit comme protéine, soit comme émulsifiant, sous forme d'huile ou de farine ; nous disions que tous ces produits pourraient contenir des organismes génétiquement modifiés. Un an et quatre mois plus tard, soit il y a presque deux ans, nous avons testé quarante-cinq de ces produits et avons décelé que nous mangions sans le savoir, dans neuf de ces produits, des organismes génétiquement modifiés. Ainsi, le consommateur ne savait-il pas ce qu'il achetait en termes d'organismes génétiquement modifiés. Notre demande principale dans ce domaine concerne, à ce sujet, la création de filières sans O.G.M., ce qui permettrait en fait aux consommateurs de ne pas choisir ces produits sans le savoir.
Je terminerai sur ce point ; il a été demandé à un grand organisme, l'I.N.R.A., d'examiner la faisabilité économique d'une filière sans organismes génétiquement modifiés. Les travaux de l'I.N.R.A. devraient aboutir prochainement ; nous serons évidemment intéressés, nous-mêmes, Institut national de la consommation, par les résultats de ces travaux. Une partie des consommateurs, il faut le remarquer, est prête à payer ce type de filière sans organismes génétiquement modifiés, même si elle dégage des surcoûts.
M. le Président : Je vous remercie, vous avez été suffisamment bref et en même temps complet ; nous avons des questions à vous poser.
Mme Monique DENISE : Vous venez de nous exposer le rôle primordial que joue l'Institut National de la Consommation, rôle d'information, de diffuseur des messages qui permettent l'éducation des consommateurs ; j'ai une question concrète à vous poser, à laquelle vous venez pratiquement de répondre, en nous exposant votre attitude par rapport aux organismes génétiquement modifiés : lorsque vous détenez une information par exemple par la presse, comment faites-vous connaître votre analyse ?
M. Marc DEBY : Nous disposons de deux canaux essentiels pour diffuser nos messages. Je rappelle d'abord l'explosion des thèmes de consommation depuis deux ans et observe que l'impression qu'une vague nous recouvre est considérable ; il est cependant très difficile d'agir pour un petit organisme comme le nôtre, qui n'emploie que 80 personnes. Nous savons, ceci étant, qu'il existe des relais de presse, importants comme l'A.F.P. ; mais, ce qui nous distingue sûrement d'autres organismes est le fait que nous dosons, que nous essayons de faire très attention à notre communication ; nous ne publions pas de communiqué, par exemple, sans être absolument sûrs de ce qu'ont révélé nos études.
Mais tout notre effort se retrouve dans notre journal, car nous sommes une maison absolument transparente ; il n'existe pas de dossier d'essais comparatifs, d'études, qui n'ait été présenté par notre centre d'essais, qui n'ait d'abord été approuvé par le programme de l'Institut National de la Consommation et de son Conseil d'Administration composé des organisations de consommateurs ; il n'existe pas de dossier qui n'aboutisse pas ensuite, soit dans le journal, " 60 millions de Consommateurs ", soit dans INC HEBDO, soit dans les émissions de télévision CONSOMAG qui sont des émissions d'expression des consommateurs reconnues par le cahier des charges des chaînes publiques.
C'est là notre premier moyen d'action : le travail en liaison avec la presse, de la façon la plus harmonieuse. L'ambition de l'Institut National de la Consommation n'est pas de vendre son journal ; elle est de faire passer auprès des journalistes et des journaux dont on connaît le sérieux, un certain nombre de messages. Nous avons réussi ainsi à obtenir que plusieurs grands organes de presse puissent, le jour même de la publication de notre journal, mettre l'accent sur les problèmes posés par le tabac ; je suis heureux de voir que, quelques mois plus tard, les ministres prennent en compte ces questions et renforcent la réglementation et la transparence en matière d'information sur le tabac.
Notre second moyen d'action réside dans le rôle que nous jouons auprès de la représentation nationale : nous donnons notre avis sur des projets ou des propositions de loi à caractère évidemment technique, car nous ne sommes pas un organisme politique ; il se trouve, d'ailleurs, que parfois, certaines de nos propositions sont suivies d'effet et nous nous en félicitons.
M. André ANGOT : Vous parliez tout à l'heure de " traçabilité ", en particulier pour ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés et vous nous avez cité un certain nombre de produits dans lesquels vous avez retrouvé des organismes génétiquement modifiés. Il est vrai qu'il existe dans les O.G.M. certains traceurs que l'on peut retrouver dans certains cas, mais il faut savoir aussi qu'il existe beaucoup de méthodes pour détruire toute traçabilité dans les O.G.M. : il existe d'abord la méthode physique du chauffage des protéines qui détruit le traceur ; certains traitements chimiques sont susceptibles également de détruire le gène marqueur de l'organisme génétiquement modifié. Il est donc tout à fait possible qu'existent des produits dans lesquels on ne retrouve pas le gène marqueur et qui contiennent cependant des organismes génétiquement modifiés ; quelles sont alors vos possibilités d'investigation ?
Je souhaiterais savoir, par ailleurs, ce que vous pensez de certaines publicités faites par les grandes chaînes d'hypermarchés sur les produits alimentaires ; on voit, sur des pages entières de journaux, la côte de porc à 14 francs le kilo, le poulet à 12 francs. Pensez-vous que ces méthodes sont de nature à améliorer la qualité des produits d'origine ? Car on tire toujours les prix vers le bas ; pour que l'agriculteur puisse s'en sortir, il doit produire au moindre coût, ce qui peut avoir des effets négatifs.
M. Marc DEBY : S'agissant de la destruction du gène marqueur, M. Victoria, mon collègue, ingénieur au centre d'essais, pourra répondre si vous en êtes d'accord, sur cette partie technique.
M. VICTORIA : Le 22 octobre, le comité permanent des denrées alimentaires a émis un avis favorable sur un projet de règlement sur l'étiquetage des organismes génétiquement modifiés ; une notion de seuil a été précisée, mais il n'y a pas actuellement d'accord portant sur une méthode d'analyse européenne fiable, repérable de la détection des O.G.M. On ne peut que regretter cette situation, mais, m'informant régulièrement auprès de laboratoires avec lesquels nous sommes en contact, je sais que les choses avancent et qu'elles pourraient aboutir dans quelques mois.
M. André ASCHIERI : Vous avez mis le doigt sur l'élément essentiel, celui de dire la vérité ou de ne pas la dire ; aujourd'hui nous devons passer d'une culture de la dissimulation, où l'on ne dit pas la vérité, à une culture de la transparence, qui seule pourra susciter la confiance. Les gens perdent confiance, parce qu'on ne leur dit pas la vérité ; c'est une habitude classique, dans tous les domaines. Madame Rivasi pourrait vous parler du nucléaire où les choses se passent encore plus mal ; si l'on dit la vérité, on parvient à une certaine sécurité, parce qu'on prend des précautions, mais en plus, cela a un effet important sur l'amélioration de la qualité des produits ; à partir du moment où les producteurs savent que leurs méthodes de fabrication sont connues, ils sont obligés d'améliorer la qualité de leurs produits.
En ne disant pas la vérité, on arrive à deux attitudes contradictoires, toutes les deux néfastes ; si l'on ne sait pas la vérité, on néglige un danger, donc on peut absorber tel ou tel produit d'une manière importante et cela est dangereux. Mais, on peut aussi exagérer le danger, ce que font parfois la presse et les médias : on focalise sur des dangers qui ne sont pas très importants, alors que l'on va peut-être en oublier d'autres qui, eux, le sont davantage. J'ai l'impression aujourd'hui que certains problèmes sont mis sur le devant de la scène, tels que ceux de la viande bovine, par exemple, alors qu'en France, c'est peut-être l'un des dossiers que l'on a le mieux maîtrisé. On a insisté par ailleurs sur les problèmes posés à Perrier ou à Coca Cola, alors qu'il ne s'agissait pas de crises exceptionnelles. N'avez-vous pas d'ailleurs le sentiment que d'autres crises se préparent, crises que nous connaissons déjà et dont on parle très peu ? Vous avez évoqué, par exemple, le problème des hormones ou des antibiotiques.
J'ai le sentiment que c'est beaucoup plus grave, car il n'existe pas alors d'effets immédiats ; pour la dioxine, nous avons tout de suite constaté le scandale provoqué, mais les antibiotiques peuvent nous tuer à petit feu ; vous savez très bien que le corps s'y habitue progressivement, et que, le jour où l'on a vraiment un problème, on s'aperçoit que les maladies infectieuses reprennent le dessus, car on a annihilé la valeur et l'effet des antibiotiques, du fait qu'on les absorbe régulièrement dans les aliments.
Qui va dire la vérité ? Cette commission d'enquête est parfaitement bien placée pour changer un peu les choses, mais qui va dire la vérité ? Certainement pas celui qui produit ; il n'a pas intérêt à dire que son produit est de mauvaise qualité ; dans la mission parlementaire que j'avais menée, je m'étais aperçu qu'il était difficile de faire dire à certains les dangers que pourraient présenter certains produits, pesticides, engrais ou autres. Le politique est, quant à lui, toujours un peu tenu ; j'en suis un, je peux donc le dire clairement, le scandale, cela ne plaît pas trop non plus ; est-ce au politique de dire " attention, vous allez vous empoisonner " ? Quant aux services de l'Etat, ils ont un rôle qui est plus de contrôle que de prévention, étant présents sur le terrain pour voir si la réglementation est bien appliquée. Il ne reste en définitive que les citoyens, les consommateurs par médias interposés qui ont donc un rôle très important à jouer, celui d'être les révélateurs de ce qui ne va pas ; l'I.N.C., qui est d'ailleurs financé en partie par l'Etat, aura à l'avenir un rôle important, rôle qui devra être plus préventif que curatif.
Il faut que l'on mette tous l'accent sur l'essentiel qui est l'éducation : tout pourra se régler par l'exemple, dans ce domaine comme dans d'autres.
M. le Président : Les questions posées par M. Aschiéri sont très importantes.
M. Germain GENGENWIN : Je voulais aborder à nouveau la question des O.G.M. et savoir quels risques ils présentent pour l'alimentation humaine et animale. N'est-il pas dangereux, à une époque où tout le monde est hypersensibilisé aux risques, de parler de " trace d'O.G.M. " ?
M. Marc DEBY : Nous ne nous situons pas réellement dans la notion de risque ; ainsi que je l'ai dit, nous admettons qu'il ne puisse y avoir de " risque zéro ", cela serait absurde ; la vie elle-même est source de risques. Ce qui est essentiel, c'est la transparence de l'information, qui est un moyen de respecter celui qui en est le destinataire, puisqu'elle concourt à son éducation, comme l'a rappelé M. Aschiéri.
Monsieur Angot a parlé du problème de la publicité sur des prix bas. Vous avez tout à fait raison, mais la réponse a été donnée par votre collègue ; lorsque des distributeurs pratiquent des prix bas et gênent effectivement un des acteurs de la filière, il incombe à ce dernier de faire comprendre que les conditions de référencement et de commercialisation ne lui conviennent pas.
La faisabilité économique d'une filière sans O.G.M. ne demande qu'à être chiffrée. Cela est sûrement difficile, mais il faut rappeler que nous avons su, dans le passé, mener à bien des réorganisations de filières. Rappelons-nous les débats sur le veau aux hormones en 1974-75. Qu'a fait la filière ? Elle a pris en main le problème et s'est rassemblée : agriculteurs, producteurs, éleveurs, commerçants se sont regroupés et ont proposé un système viable. Aujourd'hui, les Français ont un standard de qualité sur le veau, qui est nettement supérieur à celui d'autres pays. On prouve le mouvement en marchant et l'on doit pouvoir prouver que des filières sans O.G.M. peuvent exister, dès lors que les consommateurs y sont prêts. Nous l'avons démontré également avec le " bio " qui souvent, était une notion trompeuse ; notre article a été considérablement repris ; là aussi, il peut exister des consommateurs qui s'allient à des producteurs et des distributeurs, pour créer des filières et des modes d'approvisionnement conformes à ce que tous souhaitent.
M. le Président : Vous avez, dans votre intervention liminaire, synthétisé vos propositions autour de cinq points : le premier est la notion de principe de précaution ; le deuxième concerne celle de traçabilité, que vous avez définie comme étant une notion clef ; le troisième point est l'harmonisation européenne et internationale de la réglementation ; puis vous avez fait deux autres propositions, le " listage " des ingrédients entrant dans les farines animales et enfin, la transparence en matière d'organismes génétiquement modifiés, avec la possibilité d'aller vers " une filière sans O.G.M. "
Sur le premier point, j'aimerais bien que vous nous précisiez votre vision du principe de précaution ; nous avons beaucoup débattu de ce point. Sur l'harmonisation des réglementations, comment voyez-vous l'articulation entre ce qui se fait au niveau européen, au niveau international et ce que nous faisons en France, où nous sommes quand même, malgré tous les problèmes rencontrés, plutôt " en pointe " ? Ne risque-t-on pas alors de tirer notre réglementation vers " le bas " ? Ou va-t-on réussir à faire avancer la réglementation internationale, européenne, vers ce que nous pourrions appeler " le haut " ?
M. Marc DEBY : Je ne voudrais pas, M. le président, vous faire une réponse " bateau ", mais je crois que la notion de subsidiarité peut être utile en la matière. L'harmonisation des règles au plan européen ne doit pas se faire vers le bas. Tous les pays ne sont pas, en effet, au même niveau ; ils n'ont pas tous les mêmes habitudes et ils n'ont pas l'envie d'en changer non plus. Il faut éviter à cet égard l'abandon de nos systèmes de normes.
Cela dit, il faut aussi que la réglementation européenne fasse progresser un certain nombre de droits de la consommation insuffisants dans d'autres pays, qu'en tout cas, nous pouvons juger insuffisants par rapport à notre Etat de droit.
Quant à la notion de principe de précaution, il faut la définir mieux, car elle est le paravent derrière lequel s'abritent un certain nombre d'organismes, ou certains médias ; c'est malheureusement une notion souvent invoquée mais tout à fait imprécise.
M. le Président : Précisément, quel contenu donnez-vous à cette définition ?
M. Marc DEBY : Je crois que ce principe doit être appréhendé au niveau du consommateur, qui doit se poser la question suivante : pourquoi, en ce cas, vaut-il mieux ne pas acheter ? La définition du principe reste difficile et je ne suis peut-être pas suffisamment savant, pour pouvoir y procéder. Il faudrait demander à des experts des matières sociales, à des sociologues, à des philosophes, comment l'être humain peut se sentir suffisamment concerné par une matière pour décider de s'en détourner.
Mme Michèle RIVASI : Vous avez juré de dire toute la vérité, rien que la vérité ; je voudrais vous demander, puisque vous êtes financé par l'Etat, si vous avez subi des pressions de l'Etat dans certaines affaires que vous pouviez rendre publiques dans votre journal ? Cela intéresse aussi le consommateur et le politique.
M. Marc DEBY : Lorsque j'ai entendu la première phrase de votre intervention, Madame, j'ai eu très peur ; je me suis dit que je devais révéler quelque chose ; mais maintenant que j'ai entendu la fin de votre question, je me rends compte que je puis répondre et sous serment, sans aucune difficulté. Jamais, jamais, Madame, du moins durant le temps où j'ai été directeur de l'Institut, c'est-à-dire depuis le début de l'année 1995, je n'ai subi aucune pression. Le journal n'a jamais subi aucune pression ; notre établissement est conçu de telle façon, qu'il ne peut rien se cacher à lui-même. Je sais ce que veut faire la rédaction ; la rédaction elle-même sait ce qu'il lui paraît important de mettre en avant ; je n'assiste pas au comité de rédaction, je ne suis pas un censeur, je lis et j'essaie de comprendre ; je suis, un peu modestement, un secrétaire de rédaction dont le métier consiste à dire " je ne comprends pas ce point ; pouvez-vous me l'expliquer " ?
Les pressions viennent souvent des professionnels, qui veulent faire annuler un essai comparatif, qui veulent le faire refaire, le faire transformer, qui demandent que les termes employés ne soient pas ceux-là, toutes choses que nous ne pouvons admettre. En revanche, nous appliquons parfaitement le " droit de réponse " prévu par la loi qui permet à toute personne qui s'estime lésée par les propos tenus dans un journal de se plaindre. De ce point de vue, d'ailleurs, la loi nous donne les moyens de préserver notre indépendance ; j'ai parfois, en effet, des " retours " de certaines administrations, qui me manifestent leur désaccord. Je pourrais vous citer l'exemple des préservatifs : l'Institut National de la Consommation dans " 50 millions de Consommateurs ", voici très longtemps, a démontré, en pleine crise du SIDA, qu'un préservatif sur deux n'était pas fiable. Nous avons pu faire voici quelques années un nouvel essai sur les préservatifs ; j'ai d'ailleurs reçu des visites de producteurs qui m'ont dit : " heureusement que vous avez fait cet essai, car cela nous a permis d'augmenter la qualité de nos produits ". Mais combien d'administrations parfois se sont émues de l'existence d'un nouvel essai comparatif, qui dérangerait leurs propres plans de communication ! J'ai précisé que, de toutes façons, cet essai serait maintenu et publié. Nous avons pu indiquer ainsi que les préservatifs avaient bien amélioré leur qualité et, que maintenant, le niveau de protection était considérable.
De la même façon que nous avons démontré la faiblesse, nous pouvons aussi, et c'est cela le meilleur pour l'indépendance, démontrer que les produits sont valables, qu'ils sont bons.
M. le Président : Je vous remercie. Nous pouvons être amenés éventuellement à compléter cette audition par des questions écrites, si vous voulez bien y répondre ?
M. Marc DEBY : Absolument, M. le président.
II. L'analyse du monde agricole

Le Forum avec les Associations nationales des
exploitants agricoles

Avec la participation de MM. :

M. Gérard CHAPPERT, Président du MODEF,

M. Pascal COSTE, Président du Centre national des jeunes agriculteurs,

M. Luc GUYAU, Président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles,

M. René LOUAIL, Secrétaire national de la Confédération paysanne,

M. François LUCAS, Président de la Coordination rurale

(extrait du procès-verbal de la séance du Mercredi 8 décembre 1999)

Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président

M. Gérard Chappert, M. Pascal Coste, M. Luc Guyau, M. René Louail, M. François Lucas sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Gérard Chappert, M. Pascal Coste, M. Luc Guyau, M. René Louail, M. François Lucas prêtent serment.

M. le Président : Mes chers collègues, la séance est ouverte. Monsieur Louail, vous avez la parole.

M. René LOUAIL : Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, en tant que Secrétaire national de la Confédération paysanne, je m'en tiendrai aux questions fréquemment soulevées concernant les problèmes de sécurité alimentaire. J'aborderai trois points : les risques sanitaires, l'application des normes dans un contexte international et enfin, l'application du principe de précaution.

De nombreuses et récentes affaires ont mis en évidence l'extrême sensibilité de l'opinion publique face aux questions sanitaires liées à l'alimentation. Elles traduisent la grande exigence de sécurité sanitaire propre aux pays développés. Ces affaires illustrent la nécessité d'une meilleure communication en direction des consommateurs qui ne comprennent plus de quoi il retourne, dans le cadre de la massification de la production industrielle des biens alimentaires.

La maîtrise du risque sanitaire est à la fois un défi et une menace pour les paysans qui, depuis toujours, sont le maillon faible de la filière. Nous l'avons vu dernièrement avec diverses crises sanitaires : celle de la " vache folle ", celle de la dioxine, et, il y a quelques années, celle du veau aux hormones. Les réactions violentes et radicales des consommateurs montrent à quel point les producteurs sont fragilisés. Cette menace, au-delà du revenu des exploitations, plane aussi sur la survie économique des intéressés.

Par ailleurs, les producteurs de biens agricoles et alimentaires sont désormais soumis, comme l'ensemble des fabricants de produits manufacturés, à l'obligation générale de sécurité vis-à-vis du consommateur. Le fabricant est responsable des dommages que son produit peut engendrer. L'objectif de sécurité sanitaire n'est donc plus seulement d'ordre général ou moral. Il faut désormais tenir compte de la dimension judiciaire, étant donné les actions conduites par des victimes.

L'exigence d'un contrôle et d'une traçabilité efficaces s'impose pour rétablir la confiance du consommateur, sa sécurité et sa protection ainsi que celle des différents agents de la filière alimentaire. La Confédération paysanne ne conteste pas cet aspect, mais nous pensons que, pour informer le consommateur, la chaîne de traçabilité ne doit pas s'arrêter au stade de la production agricole.

La gestion du risque sanitaire semble trop largement soumise aux impératifs économiques. Dans la plupart des pays occidentaux, les risques sanitaires liés aux grandes épidémies et aux maladies contagieuses véhiculées par l'alimentation sont globalement maîtrisés. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Par contre, l'exigence accrue de sécurité se fonde sur l'émergence de nouveaux risques diffus, engendrés pour la plupart par la complexification de la chaîne des méthodes de fabrication des produits alimentaires et surtout par l'incorporation de nouveaux ingrédients, dont le but est d'améliorer la compétitivité des filières, en amont et en aval de la production.

Quant aux normes sanitaires et à leur fondement scientifique, social et environnemental, elles constituent un enjeu majeur dans l'organisation des échanges internationaux. Les lois de 1998 et de 1999 sur la sécurité sanitaire reflètent ces nouvelles préoccupations. Les nouveaux dispositifs s'orientent davantage vers un contrôle indirect du risque sanitaire, c'est-à-dire vers la capacité de le détecter et de suivre son évolution, plutôt que vers sa maîtrise proprement dite. Les risques technologiques soulèvent la question de la capacité, de la compétence et de la fiabilité de l'expertise scientifique ainsi que de son indépendance vis-à-vis des auteurs et des détenteurs des risques technologiques.

Concrètement, ces missions de veille ou de biovigilance se heurtent au droit des brevets qui protègent les firmes détentrices de ces innovations. J'y reviendrai, si vous le souhaitez, à l'appui d'exemples précis.

Parallèlement, tout au long de la chaîne de fabrication des produits alimentaires, le contrôle public ne s'emploie pas à traiter le risque sanitaire, mais se fait relayer par les systèmes d'autocontrôle et de contractualisation entre les différents acteurs de la filière. Ce retrait est motivé par trois considérations : la complexité croissante des méthodes et des process de fabrication, l'extrême concentration des entreprises qui multiplient les risques et l'impossibilité de les déterminer au niveau européen ; c'est, en effet, désormais à ce niveau que les normes sanitaires sont fixées. C'est à l'entreprise qu'incombe la responsabilité du contrôle. Cette gestion du risque sanitaire est, par conséquent, de plus en plus soumise aux impératifs économiques. Seules les grosses entreprises peuvent prendre en charge les mesures de fiabilité et amortir les coûts de ces dispositifs d'autocontrôle qui sont plus difficiles à mettre en _uvre pour de petites et moyennes installations. Ces dispositifs contribuent donc au processus d'élimination des petits et des plus fragiles économiquement. Le domaine des produits agricoles et alimentaires en est l'illustration : en appliquant la même norme aux produits dits industriels et aux produits dits artisanaux, on fait naître un risque majeur sur le plan économique et sur le plan social. Le problème auquel doit désormais faire face le contrôle public n'est plus tant celui de garantir sur toute la ligne de production la qualité du produit que celui d'intervenir, au cas où une crise serait révélée aux consommateurs et de sanctionner le plus rapidement possible et le plus efficacement.

L'importance du scandale qu'a suscité la listeria dans les rillettes ou les fromages ou la dioxine dans les viandes donne la mesure des dispositions à prendre.

Ces dispositifs de gestion du risque sanitaire ont pour objet de ne pas entraver la liberté des entreprises, ni celle des échanges intra et extra communautaires. Toutefois, l'augmentation de la taille des entreprises n'est absolument pas synonyme d'une meilleure maîtrise du risque. A preuve, dans le domaine de la fabrication des fromages au lait cru, on sait que les fabrications industrielles sont moins fiables et qu'elles ont un impact plus grand que les fabrications fermières et artisanales. En revanche, la taille de l'entreprise détermine sa capacité financière et économique.

Sur le plan international, pour la Confédération paysanne, le principe fondamental du droit des peuples à choisir leur alimentation ainsi que les moyens de la satisfaire, se fonde sur des motifs de sécurité alimentaire, d'équilibre ville-campagne et d'identité culturelle. Ce principe ne doit pas seulement s'appliquer au mode d'alimentation, mais aussi aux qualités, aux seuils, autrement dit à l'exigence de sécurité sanitaire. S'il existe une approche quasi universelle de l'identification des risques sanitaires liés à l'alimentation, des différences significatives existent entre les pays, leurs cultures, leurs importations relatives et surtout leurs manières de les maîtriser.

La remise en cause de l'alimentation animale et des farines d'origine animale, la crise de la " vache folle " et, en amont, celle du traitement des déchets animaux illustrent cette dépendance, voire cette subordination des objectifs de sécurité sanitaire aux impératifs économiques. L'exemple de la Grande-Bretagne qui, malgré l'interdiction de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation animale, a fermé les yeux sur de telles pratiques et celui de l'Union européenne, qui a toléré cette attitude jusqu'à l'apparition de la crise, illustrent cette subordination à l'économie.

Cette crise démontre qu'une règle n'a de portée, que si les conditions de sa mise en _uvre sont réunies. Elle révèle également l'incohérence, dans l'espace communautaire, entre l'unicité des règles de libre-échange et les modalités différenciées d'application de la gestion des risques sanitaires. Même si l'Union européenne édicte des règles, elle laisse aux Etats membres le soin de leur mise en _uvre. On observe des différences selon le degré de compétence des services et les moyens financiers et humains de chaque Etat.

Les industriels n'apportant pas la preuve qu'ils respectaient la réglementation, les conditions de transparence et de contrôle public n'étant pas réunies pour garantir suffisamment la fiabilité de l'élevage bovin, et, donc la sécurité de la santé humaine, devant les risques de contamination de l'E.S.B., la Confédération paysanne s'est prononcée, à titre de précaution, contre l'utilisation des farines d'origine animale dans l'alimentation animale. L'autorité publique reste la seule garante de l'intérêt commun.

L'introduction des organismes génétiquement modifiés fait l'objet de pressions considérables de la part des détenteurs actuels et potentiels de cette technologie d'amélioration génétique. Elle illustre d'autres aspects de la gestion du risque sanitaire. La maîtrise du risque sanitaire lié aux O.G.M. devrait s'appuyer sur les principes suivants :

Premièrement, le principe de précaution, lequel suppose l'appréciation du risque le plus tôt possible, bien avant l'introduction des O.G.M.

Les risques sanitaires sont visiblement très mal évalués. Fort peu d'études ont été menées sur les effets de l'ingestion des produits O.G.M. par les animaux, premiers destinataires de la plupart des produits ayant fait l'objet de demandes de mise sur le marché. Il serait périlleux de refuser la prise en compte d'une évaluation complète du rapport bénéfice-risque à court et moyen terme d'un produit O.G.M.

Deuxièmement, l'indépendance de l'évaluation du risque et sa transparence : la recherche publique doit se voir confier l'évaluation du risque, en toute transparence pour garantir la plus grande neutralité possible face aux enjeux économiques. Or, les chercheurs les plus compétents pour analyser de tels risques sont également ceux qui entretiennent le plus de liens avec les firmes.

Troisièmement, la transparence de la technologie elle-même.

Les consommateurs doivent absolument savoir quels sont les O.G.M. mis sur le marché, aussi bien pour des raisons de sécurité, que pour la transparence et la loyauté des transactions au niveau interne et surtout international. Cette transparence suppose que le détenteur d'un produit O.G.M. soit dans l'obligation d'en rendre publique la méthode de manipulation génétique. A notre connaissance, cette obligation n'existe qu'en France et il est impératif qu'elle soit introduite dans les accords internationaux.

Quatrièmement, l'étiquetage de la traçabilité positive.

Ces mesures s'imposent aux O.G.M. pour sécuriser les consommateurs dans leur demande de différenciation des filières. Cela suppose la détermination de seuils de tolérance pour les produits sans O.G.M. Ce seuil doit être très bas et différent pour les semences. Nous avons fixé un seuil de 0,1 % que nous souhaitons voir appliquer et de moins de 1 % pour les produits.

Je dirai un mot de la responsabilité en cas de risques de développement : la loi du 15 mai 1998, relative à la responsabilité engendrée par des produits défectueux prévoit l'exonération pour risque de développement. Le détenteur d'un produit O.G.M. a-t-il la possibilité d'invoquer cette exonération, en cas de dommages causés aux consommateurs ? Une telle incertitude doit être levée, soit en modifiant la loi, soit par l'élaboration d'un texte spécifique. En tout état de cause, le risque O.G.M. ne peut plus entrer dans la catégorie des risques méconnus.

Quant aux antibiotiques et activateurs de croissance, la finalité de leur utilisation ne répond ni à des préoccupations de sécurité sanitaire ni à une plus grande satisfaction du consommateur, mais seulement à des exigences de compétitivité de certains maillons d'une filière ou à celles, plus contestables encore, de juguler certaines endémies spécifiques de la grande taille de certains élevages ou la trop forte concentration de certaines productions sur le même territoire. Les antibiotiques utilisés à d'autres fins que thérapeutiques et hors du contrôle direct du vétérinaire, doivent être interdits pour des raisons évidentes de protection immédiate et à terme, de protection de la santé humaine. Pour les autres activateurs de croissance, nous demandons l'application du principe de précaution.

M. le Président : La parole est à M. Chappert, Président du M.O.D.E.F.

M. Gérard CHAPPERT : Sécurité alimentaire et production agricole sont indissociables. Nous devons observer le processus de l'alimentation en gardant à l'esprit les conséquences des méthodes de production sur la santé du consommateur. En effet, si des produits sains peuvent, par une mauvaise transformation, devenir des produits altérés, des produits de base non salubres ne peuvent jamais devenir des produits transformés salubres ! A nos yeux, la salubrité des produits qui se trouvent dans l'assiette passe en premier lieu par celle du produit à la sortie de la production primaire. Notre agriculture doit avant tout produire des matières salubres, mais cela ne suffit pas. Encore faut-il que la production s'opère en préservant l'environnement. Le type de fonctionnement imposé par le capitalisme a fait naître une agriculture qui correspond davantage à des critères essentiellement économiques, qu'aux besoins de tous les consommateurs de la planète.

Pour le M.O.D.E.F., la question est simple : quelle agriculture voulons-nous pour demain ? Quelle agriculture pour nourrir l'ensemble de la planète à partir de produits salubres mis à la disposition de toutes et de tous ? Nous n'accepterons pas une agriculture qui offrirait des produits sains pour ceux qui en auraient les moyens et qui se désintéresserait des autres. La compétitivité étant la référence dominante et l'agriculture étant de plus en plus industrielle, cette industrialisation ne va pas de pair avec la sécurité alimentaire - d'un point de vue quantitatif, sanitaire, gustatif ou technologique - et ne constitue pas un facteur de paix dans le monde. Un quart de la population mondiale souffre de malnutrition et manque de soins élémentaires. Une politique agricole audacieuse, non seulement en France, mais en Europe et au-delà, est donc absolument nécessaire.

Permettez-moi une comparaison : en 1962, nous étions 3 millions d'agriculteurs sur le territoire; aujourd'hui, nous ne sommes plus que 620 000. Dorénavant, le temps n'est plus à la concurrence, mais à la collaboration entre agriculteurs français et européens.

Or pour l'heure, l'Europe se résume à une somme de nations agressives qui menacent les pays en développement. Certes, notre agriculture a une vocation exportatrice - céréales, vins, spiritueux, entre autres - mais cela ne doit pas nous masquer la réalité de notre dépendance. Avec seulement 40 % de production de fruits et légumes, nous sommes trop en déficit dans un secteur de grande consommation. Autre secteur déficitaire, pour ne pas dire marginal : le " bio " où nous ne produisons qu'environ 7 % de notre consommation. La France est d'ailleurs le seul pays à avoir un cahier des charges très strict concernant la production " bio ", le cahier des charges européen se réduisant comme une peau de chagrin. C'est en soutenant les producteurs " bio " avec des aides directes que les institutions rendraient cette agriculture accessible à tous.

La sécurité alimentaire s'est imposée comme une préoccupation majeure du monde occidental. Agriculteurs, consommateurs ou citoyens, tous, nous nous interrogeons sur les bienfaits et les dangers de l'utilisation intensive d'engrais, de pesticides, d'herbicides, d'insecticides, sur la salubrité et la qualité des produits, sur le plan économique, environnemental, culturel, mais aussi de la santé publique. Ces questions ont conduit aux certifications, à travers les labels rouges, les labels régionaux, les logos A.B., A.O.C., A.O.P., entre autres, que 80 % des consommateurs déclarent connaître, dont 47 % pour l'A.O.C., 25 % pour le logo A.B., 17 % pour le certificat de conformité. Ces signes encourageants prouvent que les consommateurs sont des adultes et qu'ils nous soutiennent pour pousser plus loin encore la définition de l'agriculture que nous souhaitons voir se développer pour l'avenir.

En bref, notre but est de promouvoir et de développer une agriculture de type familial dont les vocations premières sont de préserver l'emploi agricole et de sauvegarder les emplois qui découlent de l'activité agricole, c'est-à-dire l'ensemble de l'emploi rural : école, santé, service public de qualité, politique de transport, aménagement du territoire. Il s'agit aussi de préserver l'environnement et de répondre aux besoins en offrant des produits de qualité.

J'aborderai aussi la sécurité alimentaire dans le secteur de la distribution, où des éléments essentiels tels l'approvisionnement, le stockage avant le transport et les lieux mêmes de distribution doivent être pris en compte. Nous n'ignorons pas que l'ensemble de la grande distribution et des commerces de gros concerne près de 20 000 entreprises, 1 000 hypermarchés et plus de 7 000 supermarchés. Les commerces de proximité représentent, quant à eux, près de 60 milliards de francs. On dénombre plus de 61 000 commerces spécialisés. Nous n'ignorons pas non plus que les grands groupes mondiaux occupent 53 % du marché mondial. De plus, de nombreuses fusions ne manqueront pas d'avoir des répercussions néfastes sur le monde agricole.

L'ensemble de ces données renforce l'exigence de cahiers des charges, non seulement au niveau des exploitations, mais également dans le secteur de la grande distribution. La maîtrise de la sécurité alimentaire repose sur la responsabilité de tous les acteurs. Si tous sont vigilants, la sécurité alimentaire sera bien maîtrisée. A cet effet, il est indispensable que la distribution respecte un cahier des charges qui comprenne, sur le plan des achats, la procédure de référencement et un cahier des charges, sur le plan des entrepôts, l'agrément, la formation, la mise en place d'outils de suivi et, sur le plan des points de vente, des guides de bonne pratique, avec la mise en place d'un livre blanc, formation et procédures de retrait. Ces cahiers des charges devraient être transmis aux associations de consommateurs. Il est à noter que la référence à la qualité est très utilisée et qu'il ne faut pas confondre qualité et sécurité, car la sécurité est un dû, quelle que soit la qualité du produit.

Pour ce qui est de la question des O.G.M., indissociable du débat général sur la sécurité alimentaire, nous observons deux démarches contradictoires : d'un côté, le consommateur, de l'autre, le producteur. Un constat s'impose : depuis les années 1950, c'est la surproduction qui prime. Une génération entière de producteurs a été formée à une logique de productivité dont on constate, aujourd'hui, les limites et les dégâts : " vache folle ", dioxine... Les O.G.M. proviennent du productivisme imposé aux producteurs.

A ce sujet, le M.O.D.E.F. est scandalisé de voir l'I.N.R.A. étudier et développer les O.G.M. sans disposer d'un seul laboratoire où les risques pour l'homme et la nature seraient étudiés. De plus, l'I.N.R.A. n'est-il pas en voie de privatisation et la création des géno-plantes est l'un des éléments du dispositif. Les chercheurs étant de moins en moins indépendants, les crédits pour la recherche publique toujours revus à la baisse, il est clair qu'une demi-douzaine de grands groupes chimiques cherchent à faire intervenir cette activité chimique dans le vivant. Sans prendre position pour ou contre les O.G.M. - le dossier est plus compliqué qu'il n'y paraît -, nous constatons avec effarement que le dossier O.G.M. a été évalué à partir de certaines données toxicologiques, alors que les tests toxicologiques existants ne sont pas adaptés aux O.G.M. Personne ne veut sortir de tests officiels, car ils sont extrêmement coûteux; en outre, les industriels ne se montrent pas intéressés.

Le M.O.D.E.F. n'acceptera en aucun cas la culture des plantes O.G.M. Nous ne jouerons pas aux apprentis sorciers. C'est la raison pour laquelle nous demandons avec force l'application d'un moratoire sur les O.G.M. En outre, l'I.N.R.A. doit être doté de moyens financiers et humains pour poursuivre la recherche sur les O.G.M., afin de déterminer leur nocivité ou non pour l'homme et la nature, et sur d'éventuelles utilisations parallèles comme la pharmacologie, par exemple. Des problèmes inédits se posent aujourd'hui, problèmes liés aux modes de production et qui, fatalement, entraînent de vrais choix de société. Laisser les choses en l'état ne peut en aucun cas nous servir de modèle. Nous sommes décidés à changer les choses pour les rendre incontournables.

M. le Président : La parole est à M. Luc Guyau, Président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, F.N.S.E.A.

M. Luc GUYAU : Monsieur le Président, M. le Rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je voudrais tout d'abord saluer la création par l'Assemblée nationale de cette commission d'enquête. Les agriculteurs sont demandeurs de débats publics et sont prêts à apporter leur contribution à la réflexion. Ils souhaitent éclairer la représentation nationale et les citoyens sur des sujets qui ne peuvent se réduire à leur seule dimension technique. Précisément dans un esprit de clarification du débat et de transparence, la F.N.S.E.A. avait demandé un débat, une conférence citoyenne, sur les boues et un débat sur la sécurité alimentaire. Nous nous réjouissons que le Premier ministre, dans le cadre de la conférence agricole tenue le 21 octobre dernier, ait souhaité reprendre cette initiative. J'ajoute que j'apprécie, M. le Président, que vous ayez invité à s'exprimer devant vous un grand nombre de mes adjoints, présidents des associations spécialisées, tant végétales qu'animales le 24 novembre dernier.

Une clarification sur le fond est d'autant plus urgente que les crises successives de l'année 1999 ont affolé les consommateurs. Ils ont besoin de repères, tant il est vrai que les exagérations médiatiques ont jeté la suspicion sur toute notre alimentation et fragilisé des filières entières. Les incendiaires, qui rallument périodiquement le feu à grand renfort de déclarations irresponsables, devront répondre de leurs actes. C'est d'autant plus exagéré que l'arbre dissimule la forêt. Notre alimentation est l'une des plus sûres au monde, une des mieux contrôlées. Plus il existe de contrôles, plus on décèle des anomalies. Nous nous sommes donné les moyens de cette politique avec, notamment, la traçabilité. Les agriculteurs ont contribué à cet effort qui fait de nous les premiers de la classe en Europe. Nous avons su réagir après l'E.S.B. et nous devons mieux le faire savoir.

Pour nous, la sécurité alimentaire est un principe essentiel qui constitue la base de la relation entre agriculteurs et consommateurs. Nourrir les hommes, en assurant la quantité des approvisionnements, la qualité et la sécurité des produits a toujours été notre métier et notre mission. En cela, la F.N.S.E.A. est favorable au principe de précaution, mais dans le cadre d'une application raisonnable, équilibrée, responsable et partenariale. Raisonnable, car une application dénaturée du principe de précaution ne doit pas aboutir à paralyser l'activité économique. Réagir à l'excès devant une crise en exagérant les risques courus aboutit à pénaliser injustement certains éleveurs ; jeter le discrédit sur nos produits conduit à menacer les débouchés extérieurs des filières concernées. Cinquante-cinq Etats, au plus fort de la crise de la dioxine, ont décrété un embargo contre nos produits. Ne donnons pas des armes à nos concurrents, trop contents de l'aubaine ! Je rappelle, d'ailleurs, que tous les producteurs sanctionnés par un blocage, mais chez qui on n'a pas trouvé de dioxine, n'ont toujours pas été indemnisés pour les dégâts subis sur leurs exploitations.

Qui dit principe de précaution responsable dit gestion responsable des crises avant, pendant, et après. Avant : par la prévention des difficultés; pendant : par l'évaluation des risques sur des éléments objectifs et à l'aide d'une communication appropriée; après, par l'indemnisation rapide des éleveurs pénalisés.

La F.N.S.E.A. s'est félicitée de la création de l'A.F.S.S.A., laquelle doit contribuer à une gestion plus responsable des crises. Elle devra prévenir autant que guérir et ne pas servir de parapluie aux responsables politiques, tentés de s'abriter derrière les avis rendus pour justifier leurs décisions. Lors des crises, les agriculteurs sont trop souvent tenus pour responsables, alors qu'ils sont victimes d'un problème de pollution urbaine ou industrielle, par exemple avec les boues d'épuration, ou avec les dysfonctionnements imputables à certains fournisseurs, en particulier, aux fabricants d'aliments du bétail.

La F.N.S.E.A. souhaite que les exigences de sécurité alimentaire soient appliquées équitablement, car les mêmes règles doivent prévaloir pour les importations comme pour les productions. L'embargo sur la viande bovine britannique a démontré l'urgence d'une harmonisation des pratiques au sein de l'Union européenne. La traçabilité doit devenir une obligation appliquée uniformément en Europe. Une sécurité alimentaire homogène en Europe devrait conduire à la mise en place d'une Agence européenne de sécurité sanitaire, afin d'éviter toute incohérence entre les avis rendus et les décisions prises au niveau national et au niveau européen.

Sur le plan international, une plus grande cohérence est aussi souhaitable. Elle passe d'abord par la reconnaissance du principe de précaution. La F.N.S.E.A. a insisté à Seattle et maintenant à Genève, pour que l'O.M.C. progresse en matière de sécurité alimentaire. Cette cohérence sous-entend la mise en place de normes communes dans le cadre du Codex alimentarius qui garantissent, par l'étiquetage, le droit à l'information du consommateur.

Enfin, pour la F.N.S.E.A., la gestion de la sécurité alimentaire ne peut être que partenariale. Assurer la sécurité alimentaire doit être l'objectif de toute la filière, du fournisseur à l'agriculteur jusqu'au transformateur et au distributeur. C'est une responsabilité partagée devant le consommateur. Qu'un maillon cède et, c'est toute la chaîne alimentaire qui est menacée.

Mais la sécurité a un coût et ce coût doit se retrouver dans le prix des produits. La spirale de la baisse des prix, sous la pression de la grande distribution, présente un réel danger pour une politique de sécurité optimale. A terme, c'est un risque pour le consommateur et il faut le lui faire comprendre. Il est donc urgent de rééquilibrer les rapports de force au sein de la filière alimentaire, d'aller vers plus de transparence et d'équité entre les partenaires. La distribution ne doit pas donner le ton à toute la filière.

Récemment, les professeurs Viney et Kourilsky ont remis un rapport sur le principe de précaution au Premier ministre. Je me félicite des recommandations de ce rapport qui préconisent, notamment, une analyse économique sur l'impact des mesures de précaution et la création d'une agence de presse spécifique.

Je tiens à le rappeler, les agriculteurs sont des gens pragmatiques : ils souhaitent davantage de visibilité sur les risques, afin de mieux répondre à la demande des consommateurs en leur apportant toutes les garanties. Ils attendent des scientifiques une juste évaluation des risques et, des pouvoirs publics, des normes pour les encadrer et les contrôler. Toute fraude doit, bien sûr, être punie, mais les pratiques régulières ne devraient pas être sanctionnées. La sécurité alimentaire doit également tenir compte de l'acceptabilité sociale d'un certain nombre de pratiques. Les agriculteurs attendent que ce débat qui concerne les consommateurs et les citoyens soit tranché par eux.

De telles considérations ont motivé les prises de position de la F.N.S.E.A. sur un certain nombre de dossiers. Ainsi, la F.N.S.E.A. a-t-elle demandé la suspension de l'épandage des boues, tant que les garanties sur leur innocuité n'auront pas été apportées. De plus, nous demandons la création d'un fonds de garantie pour couvrir les risques actuels et ceux qui pourraient être découverts à l'avenir. Les agriculteurs ont suspendu l'épandage des boues, afin de ne plus être tenus pour responsables des risques qu'ils ne maîtrisent pas, ainsi que pour répondre à la grande distribution qui en tire un argument commercial, refusant des produits au prétexte qu'ils viennent de parcelles utilisant ces boues. Ce débat doit être clarifié une bonne fois pour toutes et l'agriculteur saura à quoi s'en tenir.

En ce qui concerne les farines animales, nous déplorons le manque de cohérence dans les pratiques en Europe et souhaitons que le débat soit posé au niveau européen. Il faudra tenir compte de l'impact économique des décisions prises. En cas d'interdiction de ces farines, se posera la question du coût de la destruction des déchets et du surcoût de l'alimentation animale, avec le risque de voir l'Europe de plus en plus dépendante en oléoprotéagineux et en matières protéiques.

Sur les O.G.M., la F.N.S.E.A. demande la poursuite de l'effort de recherche, afin d'étudier tous les risques et ainsi préserver l'avenir. Il ne faut pas tourner le dos à l'innovation, mais savoir l'encadrer. Pour les agriculteurs, le débat n'est pas d'être pour ou contre les O.G.M., mais plutôt de savoir comment maîtriser le progrès pour le bénéfice de tous. La F.N.S.E.A., en collaboration avec une trentaine de partenaires de l'agriculture, de la distribution, de la transformation et de la consommation vient de lancer un programme de recherches sur la faisabilité d'une filière non-O.G.M. Nous défendons l'information du consommateur par l'étiquetage et souhaitons éviter qu'il y ait deux poids deux mesures selon qu'il s'agit d'importations ou de nos productions.

La question de la sécurité alimentaire se pose au moins autant en termes d'acceptabilité de certaines pratiques qu'en termes purement techniques sur le plan sanitaire. Les consommateurs citoyens sont donc bel et bien les arbitres du débat. Les agriculteurs sont prêts à répondre aux demandes des consommateurs en suivant des règles du jeu définies en commun et acceptées par tous.

M. le Président : La parole est à M. François Lucas, Président de la coordination rurale.

M. François LUCAS : En préalable, je vous rappellerai que notre organisation considère la souveraineté alimentaire comme l'élément fondamental de la transparence et de la sécurité sanitaire de la filière alimentaire. La sécurité alimentaire ne peut se décliner selon la théorie des avantages comparatifs.

Je vais brièvement vous présenter ce qui pour nous, agriculteurs, met ou peut mettre en péril la sécurité alimentaire, donc la santé publique. Vous avez associé transparence et sécurité sanitaire. Le concept de transparence ne peut s'envisager qu'au cours du processus d'élaboration de l'aliment, car un aliment est le fruit de transformations. La première étape de sa création se réalise dans le sol, interface complexe entre l'atmosphère, les minéraux et les organismes. L'aliment naît dans l'opacité du sol, non dans une station de conditionnement ou dans une usine agroalimentaire. L'approche de la sécurité sanitaire de la filière alimentaire doit donc être globale et tenir compte à la fois des interventions directes du producteur ou des opérateurs, mais aussi de celles de l'activité humaine qui engendrent des pollutions atmosphériques, des rejets de déchets sous forme de boues ou de scories, voire de particules radioactives. En matière d'alimentation animale, vous entendrez - ou vous avez entendu - des spécialistes parfaitement instruits des risques liés aux substances chimiques, tels les facteurs de croissance ou les hormones. Il existe également des risques en relation avec la pollution globale, dont l'illustration peut être la dioxine. Ce composé organo-chloré retombe sur le sol, s'accumule dans les tissus graisseux des animaux et subit un phénomène de concentration dangereux si ces graisses sont utilisées dans l'alimentation animale.

Par ailleurs, depuis quelques années, nous assistons à l'émergence d'organismes génétiquement modifiés. Je dirai brièvement qu'ils sont le moyen pour franchir la barrière des espèces naturelles. Sans les manipulations génétiques, le mariage de la carpe et du lapin est impossible. Avec les O.G.M., les barrières entre les végétaux, les animaux et les humains tombent. Nul ne peut prétendre aujourd'hui connaître toutes les incidences directes des O.G.M. sur la qualité de l'aliment ni leurs effets secondaires sur l'environnement.

Enfin, nous appelons votre attention sur notre grande dépendance en protéines végétales, dépendance qui nous pousse à importer massivement, d'une part, des graines et tourteaux de soja, pour la plupart génétiquement modifiés - pour lesquels le principe de précaution devrait d'ailleurs s'appliquer, mais ce qui n'est pas possible du fait de notre grande dépendance ; d'autre part, sous la contrainte des accords de Blair House dans le cadre du G.A.T.T., des graines de tournesol en provenance, soit d'Amérique du Sud, soit des pays d'Europe de l'Est, notamment d'Ukraine, sont importées. A notre connaissance, ces importations se font sans vérification des conditions de production. Les sols sur lesquels ces graines poussent contiennent-ils des éléments indésirables ? Les produits de traitement utilisés sur ces cultures sont-ils autorisés chez nous ? La radioactivité des graines importées est-elle contrôlée ?

En conclusion, si en matière de sécurité sanitaire, l'Europe semble aujourd'hui à l'abri des grands fléaux, la santé publique peut être mise en danger par des phénomènes beaucoup plus insidieux, notamment au niveau de l'alimentation. La plus grande vigilance s'impose donc; elle passe par une prise en compte de tous les facteurs intervenant dans l'élaboration des aliments, en partant du sol vivant - qu'il convient de protéger -, en passant par les pollutions extérieures - qu'il faut éliminer - avant de maîtriser, dans la transparence, ce qui relève de l'intervention directe des opérateurs.

M. le Président : La parole est à M. Pascal Coste, Président du Centre national des jeunes agriculteurs.

M. Pascal COSTE : Mesdames et Messieurs les Députés, je souhaite m'en tenir uniquement au sujet sans m'appesantir sur l'évolution de l'agriculture ou sur les modèles d'agriculture que l'on souhaiterait pour le XXIe siècle. En effet, je pense que les problèmes de sécurité alimentaire ne sont pas directement liés aux types d'agriculture.

Le C.N.J.A. se félicite de la création de cette commission d'enquête sur la transparence de la sécurité sanitaire en France, commission qui porte sur un enjeu de société d'une importance capitale et qui concerne de très près la profession agricole, dont la mission première est de nourrir les hommes.

Les jeunes agriculteurs sont résolument déterminés à contribuer, dans toute la mesure du possible et dans un esprit d'ouverture, aux travaux conduits par les représentants de la nation sur ce thème.

Tout d'abord, il est clair que l'enjeu de la sécurité sanitaire dans la filière alimentaire revêt une dimension technique. Or, sur ce point, et malgré les crises récentes qui ont touché différentes catégories de produits, nous sommes convaincus que la situation est moins grave qu'il n'y paraît. Il ne faut pas céder au catastrophisme. L'alimentation française est l'une des plus saines et des plus sûres au monde. Elle a bénéficié des progrès des sciences et techniques de ces dernières années et est entourée de contrôles et de garanties plus rigoureux et plus exhaustifs que par le passé. C'est, paradoxalement, du reste, l'une des raisons pour lesquelles sont repérés davantage de problèmes. Un système plus strict de contrôle des pratiques et des caractéristiques des produits conduit nécessairement à donner plus de visibilité aux écarts constatés par rapport aux normes.

La deuxième dimension de cet enjeu, dimension informative et pédagogique, a presque autant d'importance que la première. Les crises récentes l'ont prouvé : il ne suffit pas d'établir une situation de sécurité; encore faut-il établir un climat de sécurité, c'est-à-dire donner un juste sentiment de sécurité conforme à la sécurité réelle. Une communication à caractère pédagogique plus approfondie est donc nécessaire pour pallier la méconnaissance croissante des consommateurs vis-à-vis des pratiques agricoles et des modes de production. Quand un problème surgit à propos d'un produit donné, l'ensemble du marché en subit les conséquences. Ainsi la récente crise de la dioxine a, par exemple, provoqué une baisse de la consommation globale de poulets, même de ceux dont les marques arboraient des labels, apportaient de solides garanties sanitaires et n'étaient objectivement pas concernés par le problème soulevé.

Cette communication nécessaire doit notamment permettre de mieux faire connaître aux consommateurs la complexité de la filière alimentaire et les nombreuses professions qui y jouent un rôle, en amont et en aval. Les agriculteurs sont trop souvent tenus pour responsables de tout ce qui a trait à l'alimentation, alors qu'ils sont eux-mêmes victimes de pratiques industrielles qu'ils ne maîtrisent pas, comme ce fut le cas des pratiques de fournisseurs d'alimentation animale. Jamais les agriculteurs ne fuiront leurs responsabilités, car l'éthique du monde paysan est telle que faire le choix de cette profession équivaut à prendre un engagement envers les consommateurs, tant en termes de sécurité des quantités d'approvisionnement alimentaire que de qualité des biens produits. Le seuil imprescriptible de la qualité reste, bien sûr, la sécurité alimentaire. L'éthique de l'agriculteur est de respecter la terre, l'air, le soleil, facteurs essentiels de production ; c'est là la condition de survie de notre métier.

De plus, cet engagement embrasse la dimension environnementale du métier de paysan. L'agriculteur est le premier à avoir conscience de ce que son travail doit aux ressources naturelles.

La sécurité sanitaire est un enjeu tel que le C.N.J.A. ne peut qu'être favorable à l'application du principe de précaution. Toutefois, elle doit faire l'objet d'une communication claire et pédagogique ainsi qu'être accompagnée des mesures adéquates.

Premièrement, elle doit tenir compte du fait que les sciences de la vie ne sont pas des sciences exactes. Ainsi, dans le domaine de l'alimentation, le " risque zéro " est impossible à atteindre. L'application du principe de précaution doit être la plus raisonnable possible et ne pas conduire à juger toute forme de progrès scientifique et technique comme suspect a priori et qu'il est préférable d'y renoncer. Il est important d'arriver à faire rimer progrès, modernité et qualité.

L'application de ce principe doit s'accompagner d'une communication qui canalise la portée qu'elle peut avoir, mais aussi d'une prise en charge des conséquences économiques indésirables qu'elle peut entraîner. Le fait même de se référer au principe de précaution jette un opprobre sur le produit ou sur la pratique concernés, qui font l'objet aussitôt d'une inévitable suspicion. Toute sanction économique infondée doit être évitée. Quand le comportement des consommateurs pénalise les producteurs, par définition non fautifs, l'application du principe de précaution étant par nature une mesure préventive, il est juste qu'ils soient indemnisés à hauteur des préjudices subis.

Ce principe doit être adopté au niveau international, et, en priorité, à l'échelon européen. A ce titre, le C.N.J.A. est résolument favorable à la création d'une Agence européenne de sécurité sanitaire, dispositif indispensable à l'harmonisation des pratiques au sein de l'Union européenne. La traçabilité, mise en place en France et en Finlande, avec une certaine avance sur leurs partenaires, doit faire l'objet d'une décision communautaire rapide qui la rende uniformément obligatoire dans tous les pays de l'Union européenne.

Au niveau international, outre le combat mené pour faire reconnaître la légitimité du principe de précaution devant l'Organisation mondiale du commerce, des normes communes doivent être établies, notamment dans le cadre du Codex alimentarius. Toutefois, cette plus grande cohérence des décisions ne doit pas être obtenue au détriment de la variété des modes de consommation adoptés dans le monde; elle ne doit pas non plus s'aligner sur une conception normative culturelle des peuples.

Enfin, nous devons veiller à ce que le coût que représente l'enjeu de la sécurité sanitaire dans la filière alimentaire soit équitablement réparti sur tous les maillons et parmi tous les acteurs de cette filière complexe. Les consommateurs doivent aussi prendre conscience des charges qu'induisent leurs exigences en matière de sécurité et contribuer à en supporter le coût. En ce qui concerne les prix payés au producteur, il faut s'assurer que le maillon de la production ne supporte pas à lui seul l'impact économique de cet enjeu. Des contraintes supplémentaires dans les pratiques agricoles, ne serait-ce que l'enregistrement de données destinées à faciliter les contrôles notamment, doivent correspondre à une juste valorisation.

Quant à l'utilisation des O.G.M., les jeunes agriculteurs, tout en restant prudents, tiennent au respect de deux principes : la transparence et la liberté de choix du consommateur. Voilà pourquoi, nous sommes favorables à la création d'une filière non-O.G.M. et souhaitons une véritable politique d'étiquetage. La recherche doit être conduite, y compris en France et en Europe, retirée des mains des quelques multinationales qui ont considérablement investi dans ces techniques. Veillons à ce que ces multinationales ne deviennent pas les nouveaux dépositaires de la clé de répartition de la valeur ajoutée de la filière agroalimentaire. Assurons-nous aussi, à l'Organisation mondiale du commerce, de ne pas généraliser des éléments de brevetage du vivant.

En conclusion, les jeunes agriculteurs sont prêts à assumer leurs responsabilités en matière de sécurité alimentaire, en pensant plus particulièrement aux implications sociales, culturelles, environnementales et territoriales de leur activité économique. Nous sommes prêts à en répondre devant les consommateurs et les citoyens, qui sont en dernier ressort les arbitres de ce débat et qui devront trancher, pourvu qu'ils disposent des moyens de le faire en connaissance de cause.

Les autorités scientifiques doivent fournir aux autorités politiques, sans aucunement se substituer à elles, toute information utile pour définir le cadre légal des métiers de la filière alimentaire. Les pouvoirs publics doivent, quant à eux, mettre en place les moyens et les procédures nécessaires au contrôle de ces pratiques, à la sanction des fraudes, bien sûr, mais aussi à l'indemnisation des pratiques régulières injustement pénalisées par un comportement d'achat.

Les pouvoirs publics doivent également veiller à l'information, voire à la formation des consommateurs sur ces questions. Au-delà des aspects scientifiques et techniques au c_ur de ces enjeux, il est indispensable de rétablir une proximité entre les consommateurs et les métiers de la filière alimentaire, proximité que les jeunes agriculteurs appellent de leurs v_ux et pour laquelle ils _uvrent. La situation de méconnaissance générale due à un trop grand éloignement de la société à l'égard du monde agricole et agroalimentaire entraîne nécessairement un climat favorable à l'émergence de soupçons et de comportements démesurés. Les consommateurs ont, eux aussi, un rôle actif à jouer. La sécurité sanitaire relève - je n'hésite pas à l'affirmer - d'un véritable corpus de compétences des consommateurs à l'égard des produits alimentaires, dont ils doivent mieux connaître les conditions pratiques de stockage et d'utilisation. Les acteurs de la filière ont tous un rôle à jouer, en favorisant la dimension éducative qui passe par la communication grand public sur ces enjeux.

Les pouvoirs publics doivent contribuer à réunir les conditions qui découragent par avance toute forme de surenchère marketing et publicitaire autour des enjeux de sécurité alimentaire, lesquels doivent faire l'objet d'une approche raisonnable, transversale et responsable.

M. le Président : Merci. Après ce premier tour de table, les problèmes, tels que les agriculteurs les perçoivent, sont clairement définis, à travers le pluralisme de leurs organisations.

Le jeu des questions-réponses devrait nous permettre d'éclairer certains aspects.

Je laisse la parole à M. le Rapporteur pour une première série de questions.

M. le Rapporteur : Mesdames, messieurs, nous nous penchons aujourd'hui sur le premier maillon de la chaîne alimentaire. J'aurai quelques questions générales à poser sur les productions amenées à subir une série de transformations pour arriver jusqu'au produit alimentaire.

Un intervenant a insisté sur la mise en place d'un système de biovigilance ; il existe déjà. J'ai été frappé par les difficultés d'application de ce principe de biovigilance, difficultés liées à l'existence de brevets de firmes chimiques de production. Avez-vous eu connaissance de difficultés d'information sur la composition et la dangerosité de produits brevetés utilisés dans différents traitements ?

Ma deuxième question porte également sur des problèmes de sécurité. Avez-vous rencontré des difficultés sur le terrain, en ce qui concerne l'application des autocontrôles ? Les règles diffèrent selon que les productions sont industrielles ou présentent un caractère artisanal. Nous savons, par exemple, qu'il existe encore en France des abattoirs qui ne répondent pas aux normes européennes. On assisterait à une sorte de dichotomie entre des ateliers à caractère artisanal et d'autres à caractère industriel. J'aimerais avoir votre sentiment sur la pérennisation d'une telle situation.

Quant aux difficultés relatives aux contrôles aux frontières, avez-vous des recommandations à présenter pour éviter la perméabilité de certaines zones, tels les Pays-Bas, notamment dans des ports internationaux où les règles de contrôle semblent insuffisantes ? Avez-vous des exemples de dysfonctionnements à nous signaler ?

Sur la production elle-même, certains ont fait allusion à l'agriculture biologique. L'intérêt pour l'agriculture biologique est-il, selon vous, un phénomène de mode ? Quelles sont les limites de cette agriculture sur le plan de la distribution ? Notre attention a été appelée sur une obligation de distribution dans des secteurs aux zones d'influence réduite, si je puis dire. Quels sont les avantages et les inconvénients d'un développement de ce type de production ?

Personne n'a évoqué les propositions contenues dans la loi d'orientation agricole, notamment les contrats territoriaux d'exploitation. Ces contrats territoriaux vous paraissent-ils de bons outils à disposition de l'exploitant agricole pour une production de qualité ?

Deux remarques pour terminer : la première concerne le principe de précaution. Nous commençons à étudier le rapport rendu au Premier ministre ; un forum sera organisé sur cette question. Je souhaiterais connaître votre position et savoir ce que vous placez sous ce terme et ce qu'il évoque pour vous.

Ma deuxième remarque concerne les O.G.M.. Je suis surpris que l'on soit déjà entré dans la phase de mise en place d'une filière sans O.G.M. Nous sommes face à un constat : la filière sans O.G.M. existe et l'une de vos préoccupations porte sur sa mise en place. Les quelques informations dont je dispose montrent qu'une filière sans O.G.M. serait plus coûteuse pour le consommateur. On ajouterait une filière avec O.G.M. et, c'est la filière sans O.G.M. qui fournirait les produits les plus onéreux pour le consommateur ! J'aimerais obtenir quelques explications sur ce point.

Vous semble-t-il possible de concilier acceptabilité sociale et réponse à la concurrence économique en obéissant aux règles de sécurité alimentaire ? A mon sens, il est difficile d'établir une compatibilité entre l'application de règles strictes concernant la sécurité alimentaire, l'acceptabilité sociale et la compétitivité économique.

Enfin, j'aimerais connaître votre position sur le dossier brûlant de l'embargo des viandes britanniques et sur les derniers événements de Seattle, donc de l'Organisation mondiale du commerce.

M. le Président : Voilà une série de questions qui balayent tout le champ de nos préoccupations !

La parole est à M. Pascal Coste.

M. Pascal COSTE : L'agriculture biologique, par exemple, a des incidences à la fois sur des pratiques agricoles et sur l'environnement. En termes de qualité intrinsèque des produits, notamment de sécurité sanitaire, elle n'est pas forcément au premier rang.

L'image que se fait le consommateur du b_uf, dès lors qu'il est élevé, produit, transformé localement, bénéficie d'une valeur ajoutée par son image artisanale et son mode de production. Cette image ne garantit en rien la supériorité du produit sur le plan de la sécurité alimentaire comparé à un produit standardisé contrôlé à tous les échelons. Il ne faudrait donc pas confondre les aspects liés à la sécurité sanitaire et ceux qui relèvent de l'image de qualité induite chez le consommateur.

Les contrats territoriaux d'exploitation (C.T.E.) se traduisent par une réorientation des soutiens accordés vers la qualité. C'est dire que l'on donne une dimension qualitative au métier, qui vient s'ajouter à la dimension quantitative. Toutefois, les C.T.E. ne régleront pas les problèmes de sécurité alimentaire. Ils constituent plutôt une orientation.

Sur l'embargo du b_uf britannique, la prudence reste de mise tant que les scientifiques signalent des risques. Certaines rumeurs courent sur un b_uf américain aux hormones ou non hormoné. Là aussi, restons prudents et tenons-nous en aux conditions posées pour le b_uf britannique, qu'il convient d'appliquer au b_uf américain. La ligne de conduite doit être claire et s'appliquer à tous.

M. Guy LE FUR : Les O.G.M. présentent un risque technologique important, dont les conséquences, tant pour les consommateurs que pour l'ensemble des acteurs intervenant dans la chaîne alimentaire, n'ont pas été mesurées. Le principe de précaution, tel qu'il est appliqué aujourd'hui, ne concerne pas uniquement les problèmes alimentaires. Son application au domaine alimentaire suppose une définition reconnue à l'échelle européenne - voyez la difficulté que nous rencontrons à trouver un terrain d'entente avec la Grande-Bretagne - et internationale. C'est indispensable, si nous voulons répondre aux attentes sociétales. Aujourd'hui, le consommateur ne veut courir aucun risque en se nourrissant. Récemment, à Cartagène, j'ai regretté que nous ne soyons pas parvenus à trouver un accord, ne serait-ce que sur deux éléments : traçabilité et étiquetage.

Pour répondre à la question relative aux importations extérieures à la Communauté, nous considérons - toujours sous l'angle des O.G.M. - que l'obligation d'étiquetage doit absolument être retenue. C'est une donnée de base. Comment assurer l'application des règles au niveau communautaire, s'il n'y a pas obligation d'étiqueter les produits importés, alors qu'un étiquetage de tous les produits O.G.M. devait être appliqué depuis le mois de septembre 1998 ? Aujourd'hui, au mépris des attentes des consommateurs, les Américains ont mélangé les sojas O.G.M. et non-O.G.M. Nous sommes face à un problème de fond, auquel il faudra trouver une solution commune, si nous voulons répondre à la question initiale qui est à l'origine de la création de votre commission.

Je reviens sur la filière non-O.G.M. Les consommateurs n'ont pas réclamé d'O.G.M. Comment pourraient-ils admettre, parce que des groupes imposent des O.G.M. à certains endroits, que ceux travaillant sans O.G.M. doivent se protéger ? Or, dans le cadre de la bio-sécurité, nous savons que les sources de contamination sont multiples. Elles apparaissent au niveau du flux génique, c'est-à-dire la contamination par les pollens. Actuellement, en Europe, les surfaces en maïs génétiquement modifié sont peu étendues. En revanche, si l'on observe le parcellaire en damier au niveau européen, il est facile d'imaginer que la mise en place de maïs génétiquement modifié puisse remettre en cause la plupart des autres critères de labels de certification, notamment l'agriculture " bio ". Parallèlement, la législation française et européenne n'a pas défini clairement les responsabilités face à ce risque de contamination. Si l'on ne donne aucune responsabilité aux auteurs du risque, il est évident que l'ensemble de la chaîne bio sera automatiquement remis en cause. Nous prenons une responsabilité lourde de conséquences sur le modèle européen d'alimentation.

Au niveau international comme dans le cadre du Codex alimentarius, nous considérons nécessaire de remettre en chantier la convention bio-sécurité. De même, les discussions entamées à Cartagène pour parvenir à un accord, tant sur le principe de précaution que sur la traçabilité et l'étiquetage, doivent être reprises.

La question sur le brevetage du vivant revêt, elle aussi, une dimension internationale. Accepter que le vivant puisse être breveté nous fait craindre des risques considérables. Il ne s'agit pas d'une invention, mais d'une découverte et une découverte ne peut pas être brevetée. Il est inacceptable de laisser six ou sept entreprises agro-chimiques s'accaparer des gènes propres à certaines régions, gènes qui font partie du patrimoine humanitaire de la biodiversité. Deux ou trois entreprises agro-chimiques pourront, dans un avenir très proche, avoir un pouvoir sans précédent sur le contrôle alimentaire de la planète. Si ce processus n'est pas enrayé, tous les discours sur la sécurité sanitaire auront bien peu de valeur et, à ne pas le contrecarrer, nous ne prendrions pas nos responsabilités.

M. le Président : La parole est à M. Luc Guyau.

M. Luc GUYAU : Je compte répondre aux dix questions posées par M. le Rapporteur.

En premier lieu, je traiterai des risques technologiques, de la biovigilance et de la difficulté de la brevetabilité du vivant. Le vivant n'est pas la propriété d'entreprises multinationales. Aujourd'hui, l'analyse des risques technologiques nous place dans une situation quelque peu aberrante. Des brevets ou homologations des différents produits chimiques existent. Pourtant, après leur homologation - qui comporte une obligation d'information sur la santé et sur les utilisations -, ils sont encore considérés comme dangereux ! Qu'en est-il ? Soit ils sont dangereux et ils ne peuvent alors être brevetés puis mis sur le marché, soit on accepte sciemment de mettre sur le marché des produits nocifs.

A propos d'homologation de brevet, une question se pose sur " la guerre des semences ", je reprends le titre d'un très bon livre de Jacques Grall. On pourrait tout autant parler " d'une guerre de la génétique ". En effet, le jour où les semences et la génétique seront aux mains de certains pays ou de certaines entreprises, la situation de dépendance alimentaire induite se révélera très dangereuse. Ceux qui s'intéressent de près à l'agriculture savent très bien que, si une réelle volonté avait existé en France et en Europe, de développer des productions liées aux protéines, volonté soutenue par une recherche vraiment poussée - comme ce fut le cas pour le maïs où nous avons obtenu de grands succès sur tout le territoire -nous disposerions de variétés parfaitement adaptées au climat des pays européens, ce qui est aujourd'hui le cas en France. J'ai fait ma scolarité jusque dans les années 65. A l'époque, le maïs n'était pas cultivé au nord de la Loire. C'est à force de sélections que l'on y est parvenu.

La recherche pour la production de protéines en France n'est pas digne de ce nom. Pourquoi, par exemple, ne sommes-nous pas parvenus à faire plus de protéines dans le nord de la France ? Au-delà de la sécurité alimentaire, l'indépendance à produire pourrait déboucher sur la sécurité alimentaire, tant il est vrai que le jour où certains produits feront défaut, on sera contraint de prendre ce que l'on nous présentera.

En ce qui concerne les autocontrôles, nous sommes favorables à la définition de règles, à l'instauration d'un climat de confiance, d'un contrôle très poussé. S'il fallait demain, un corps de fonctionnaires en faction derrière chaque agriculteur ou chaque industriel, les choses deviendraient vite invivables ! Nous avons glorifié la " Food and drugs administration " qui a vu le jour aux Etats-Unis. Or il semble que certains abattoirs ne subissent pas même un contrôle dans l'année. Une prise de conscience générale de tous et pas uniquement des producteurs s'impose. Des règles floues rendraient l'autocontrôle plus ardu. Bien sûr, il y aura toujours quelques fraudeurs. Pour eux, pas de quartier ! Pourtant, quand on saisit des dossiers sur les hormones ou autres en France, sous tous les régimes politiques, il est toujours très difficile d'aller jusqu'à la condamnation. Les intérêts en jeu sont difficiles à maîtriser. Nous nous sommes portés partie civile dans beaucoup de cas et nous sommes obligés de regretter l'absence de sanctions.

Sur la question des normes aux frontières, les importations de protéines ou de maïs ne sont pas soumises à la même rigueur que les productions intérieures. Les mesures de sécurité sanitaire aux frontières des pays de l'Est n'étaient pas à la hauteur - avec, par exemple, les importations d'animaux vivants en provenance des pays d'Europe centrale en direction de l'Italie. J'essaierai de vous fournir des exemples plus précis. Les problèmes ne se bornent pas aux frontières car, en Europe même, tous les pays ne respectent pas les mêmes règles.

En ce qui concerne " l'agro-bio ", la production agricole doit répondre à la demande des consommateurs, qu'elle soit de 5 %, 10 %, 15 % ou 20 %. Il faut " coller " à la consommation. Aujourd'hui, je vois quelques dangers dans " l'agro-bio ". Tout d'abord, " agro-bio " n'est pas synonyme de sécurité. La même exigence doit prévaloir pour les autres produits et le label " agro-bio " ne préserve pas de tout, il faut l'expliquer clairement.

En outre, la pression de la grande distribution risque de banaliser " l'agro-bio ", empêchant les agriculteurs en " bio " de tirer profit de leur production. A l'heure actuelle, ceux qui sont en conversion bénéficient les premières années de soutiens de l'Etat assez considérables. Mais, quand les aides de l'Etat s'arrêtent, certains producteurs sont obligés de quitter leur activité " bio ", simplement parce qu'ils ne peuvent pas vivre de leur métier.

Si, au niveau européen, étaient appliquées les règles " agro-bio " sur la viande bovine en vigueur en Autriche, nous pourrions, en France, vendre sous le label " bio " approximativement 40 à 50 % de la viande bovine produite en France. Je vous laisse juges !

Je ne peux m'empêcher de vous faire part de mon inquiétude au sujet de l'authenticité " bio " d'un certain nombre de productions telles que les volailles. La France ne produit pas suffisamment de céréales " bio " pour des raisons de volonté politique ou pour des raisons économiques et importe une grande part de céréales dites " bio ". A Rouen, je préfère ne pas assister à l'arrivée des bateaux roumains qui ne transportent pas nécessairement des produits " bio " ! Sur ce sujet, il faut le dire, nous sommes sur le point de voir, tôt ou tard, un scandale éclater. Comment faire, pour assouplir certaines règles " bio ", permettant de rester dans le " bio ", tout en étant davantage autosuffisants ? Quand un industriel du " bio " m'a dit que la Patagonie offrait en quantité de la viande bovine " bio ", je lui ai demandé qui pouvait m'en assurer ? Qui peut m'assurer en effet qu'aucun traitement n'a été effectué avant le départ ? Comment avoir une traçabilité fiable ? Ce qui est valable pour le " bio " l'est d'ailleurs pour toute politique d'identification. Comment assurer la traçabilité, dès lors que l'on traverse les frontières ? Cependant, en Europe, se pose un vrai problème d'harmonisation, en particulier en ce qui concerne l'élevage, des produits " bio ". Nous y croyons cependant. Cela fait partie d'une segmentation du marché. Mais le discours sur le " bio " doit rester cohérent : on affirme qu'il faut nourrir tout le monde au plus bas prix et, dans le même temps, demain, seuls les nantis pourraient accéder aux produits " bio " ! " L'agro-bio " ne doit pas devenir une nourriture réservée aux riches, quand les autres mangeraient du standardisé. Pour nous, la sécurité alimentaire concerne tous les produits, dont certains font l'objet d'identification, tels les produits A.O.C. et d'autres.

La F.N.S.E.A. a clairement indiqué que les contrats territoriaux d'exploitation étaient de bons outils et nous avons fortement contribué à leur émergence. Si les C.T.E. ne sont qu'une machine à compensation pour pallier des difficultés conjoncturelles ainsi que l'a relevé le ministre, ils n'ont pas grande utilité. Par contre, s'ils permettent au plus grand nombre d'agriculteurs de s'insérer dans une démarche multi-fonctionnelle de réponses à la demande de la société - en emploi, qualité, sécurité, respect de l'environnement -, nous sommes d'accord, à la condition qu'ils s'appuient sur des exploitations existantes économiquement. Le C.T.E. est un complément et ne pourra, à lui seul, permettre la vie ou la survie des exploitations. Les soutiens apportés aux agriculteurs, dans le cadre de la sécurité alimentaire, de la qualité ou de l'emploi, doivent progressivement être relayés par une valeur marchande. Dans mon département, qui représente 60 % du marais poitevin, les agriculteurs se sont portés volontaires pour répondre aux " O.G.A.F.-environnement " qui leur demandaient d'exploiter leurs prairies différemment. Ils ont bénéficié d'une prime qui leur permettait de faucher les foins trois semaines ou un mois et demi plus tard. Ils sont totalement entrés dans la démarche. Au bout de cinq ans, le contrat terminé, on leur a expliqué qu'il n'y avait plus de crédits, à la suite de quoi les agriculteurs ont décidé d'abandonner les exigences qui leur avaient été notifiées. En fait, au cours des cinq ans, il ne fut pas possible de valoriser la fonction nouvelle des agriculteurs dans une démarche économique. Les fonctions nouvelles et multifonctionelles ne pourront toutes être marchandes, mais on doit _uvrer, pour qu'un certain nombre le soient, telles celles liées à la sécurité et à la qualité. Dès lors que l'on a incité les agriculteurs, on doit leur permettre d'y trouver une valorisation. Si, alors qu'il y a sécurité, qualité, exigences supplémentaires, il n'y a pas de valorisation supplémentaire ou simplement une pression complémentaire de la grande distribution pour arrêter le plus bas prix, on n'atteindra pas l'objectif.

En lien avec ce sujet, je réponds à votre huitième question relative à l'acceptabilité sociale. Il faut informer les consommateurs que le panier de la ménagère contient 16 % de produits agricoles et agroalimentaires. Parmi ces 16 %, seul le quart, soit 4 %, représente les produits sortant de l'exploitation. Le prix de la baguette de pain est compris entre 2,50 francs et 4 francs suivant le marché, le blé représente 16 centimes. Vous pouvez faire ce que vous voulez sur la politique du blé, cela ne changera strictement rien au prix de la baguette. Pour le yaourt, le couvercle en aluminium coûte plus cher que le lait dans le yaourt. L'acceptabilité doit se traduire par un changement de comportement de tous. Demain, devra-t-on nourrir les populations gratuitement ? Si nous voulons passer de 4 % à 0, il faut tous nous fonctionnariser, mais pas uniquement avec les aides. Il faut considérer l'agriculture comme un service public - j'ai cru comprendre que l'on a tenté la démarche dans d'autres pays du monde et qu'elle a échoué. Créons un service public, produisons trente-cinq heures, et alors nous ne connaîtrons plus de problème d'exportation ! On ne connaîtra pas non plus de problème de sécurité alimentaire, puisque l'on importera de l'extérieur !

La notion d'acceptabilité n'est pas facile à expliquer dans un débat de société. Aujourd'hui, à force d'avoir pressé les prix, on condamne parfois la productivité outrancière. Je me suis installé en 1970. Lorsque m'était retirée une partie de la valeur ajoutée par une réduction des prix, j'avais la possibilité de nourrir mes animaux avec un peu plus de concentré pour rattraper par la quantité, mais nous avions alors la chance d'avoir le débouché et la sécurité européens avec les stocks. Depuis, les débouchés se sont compressés, les agriculteurs sont agressés à l'extérieur, on ne dispose plus des mécanismes. Si on ne relève pas les prix, nous aboutirons inéluctablement à la disparition de plus en plus d'agriculteurs. Certains croient pouvoir s'échapper par l'agrandissement. Or toutes les courbes le montrent : l'agrandissement améliore la productivité, puis, au-delà d'un certain niveau, celle-ci retombe, sans parler des problèmes environnementaux. Nous sommes là au c_ur d'un problème de société et, si nous voulons répondre à ces demandes, il faudra changer les choses. Sécurité alimentaire, oui, mais à condition que soit reconnu notre rôle économique.

Sur le principe de précaution, je n'ajouterai rien à mon intervention assez claire, me semble-t-il, sur le sujet. Pour résumer, nous sommes favorables au principe de précaution, s'il répond à quatre exigences : une application raisonnable, équilibrée, responsable, partenariale. Le principe de précaution ne doit pas être un mécanisme bloquant toute évolution possible, car telle est la crainte. Il s'est produit un fait dommageable cette année : l'utilisation du principe de précaution surmédiatisé avec la présence de listeria dans les fromages, ce qui n'est pas un phénomène nouveau. Cela fait dix ou quinze ans, que l'on retire des lots de fromages de la consommation. Cette semaine, une note indiquait, - je ne puis l'affirmer - que huit cents lots différents atteints de listeria en France avaient été retirés. Lorsqu'un lot est retiré, alors qu'il ne représente pas même 1 % de la production nationale et que l'information fait les gros titres de TF1 à vingt heures, c'est tout le fromage au lait cru qui en pâtit. C'est exagéré et cela fait porter les soupçons sur l'ensemble des producteurs. Les politiques ne sont pas responsables, nous non plus, mais comment maîtriser un tel phénomène ? Oui donc, au principe de précaution, mais pas n'importe comment.

Pour ce qui est de la dioxine, les Belges ont commis de graves erreurs. La raison a été avancée du manque d'Etat en Belgique, mais nous n'allons pas gloser sur ce thème. Du fait des règles européennes, des personnes en France achètent des produits en Belgique. Suspicion. Du jour au lendemain, 270 élevages ont été bloqués. Il a fallu dix jours pour savoir s'ils étaient atteints. On n'a rien trouvé. Les éleveurs n'ont pas été indemnisés. Parallèlement, les Américains importent en un an 282 tonnes de volailles venant d'Europe par rapport à une consommation de 13 millions de tonnes. Ils ont décrété l'embargo. Quand C.N.N. annonce l'embargo des Etats-Unis sur les volailles venant d'Europe, tout le monde se réfère à cette information avec pour conséquence que, dans les trois jours, cinquante-cinq pays ont bloqué leurs importations et il a fallu que l'administration française - démarche de vétérinaires, de techniciens, d'ambassadeurs et de conseillers commerciaux - fasse le tour du monde, pays par pays, pour reprendre ses positions. Quand C.N.N. annonce - ce que, en réalité, elle n'a jamais fait - la levée de l'embargo par les Etats-Unis, les pays qui avaient cessé leurs importations n'ont pas repris leurs commandes. Cela pour dire que le principe de précaution peut se révéler une barrière commerciale redoutable. Nous n'avons pas de solution à présenter, mais nous sommes pour une utilisation maîtrisée principe de précaution.

Septième question : les O.G.M.. La position de la F.N.S.E.A. est claire. On ne peut faire n'importe quoi avec la science. Nous sommes des producteurs et des gestionnaires du vivant. Une responsabilité nous incombe vis-à-vis des consommateurs : nous ne pouvons nous permettre de faire n'importe quoi. Si les O.G.M. ne sont pas acceptés par les consommateurs, s'ils ne les considèrent pas sécurisants, nous n'avons pas le droit de les mettre sur le marché. Le communiqué le plus simple que j'aie fait en qualité de Président de la F.N.S.E.A. fut il y a trois ans quand, le même jour, furent autorisées les importations de produits O.G.M. et fut interdite leur culture en France. Incohérence ! Si les O.G.M. étaient estimés dangereux sur le territoire national, ils l'étaient tout autant à l'extérieur de nos frontières. Sur ce point, nous sommes intraitables, ajoutant que nous n'avons pas le droit d'arrêter la recherche, pour une raison simple : toutes les inventions engendrent des bienfaits et des méfaits. Par exemple, le nucléaire. Le Téléthon s'est déroulé la semaine dernière. On parle de manipulations génétiques ; 360 millions de francs ont été récoltés en France. Pour cette raison, on se doit de poursuivre les recherches. Au surplus, nous devons les poursuivre pour notre propre indépendance. Si nous sommes les seuls à être absents de ce secteur, nous serons encore plus dépendants des pays ou des multinationales qui auront engagé ces recherches. Sans polémique aucune, détruire les recherches mises en _uvre par le C.I.R.A.D. sur le riz à Montpellier a rendu des pays en voie de développement un peu plus dépendants des Américains qui ont poursuivi les mêmes recherches. Si, demain, on trouvait en ces domaines des solutions pour que les pays en voie de développement s'en sortent mieux, la France ne pourrait plus jouer son rôle d'équilibre dans le monde. Il faut prendre ses responsabilités. Je le dis sans esprit polémique. Vous nous avez demandé de dire toute la vérité, je vous la dis comme je le pense.

Nous avons travaillé sur une filière non-O.G.M. Mais, aujourd'hui, notre problème est d'offrir aux consommateurs la possibilité de choisir. L'étude que nous avons lancée avec une trentaine d'organisations de consommateurs, de producteurs, de transformateurs, sous couvert de l'I.N.R.A., porte sur la recherche de faisabilité d'une filière non-O.G.M., car si, sur des produits de base, le projet est réalisable, dès que l'on aborde les produits transformés, la question devient extrêmement complexe.

Si demain, suite à des décisions politiques et à des engagements internationaux, nous sommes obligés d'accepter les O.G.M., comment répondre aux consommateurs qui, pour des raisons personnelles, idéologiques, de santé et de sécurité, s'y refusent ? Les conclusions émises ne sont pas aussi nettes qu'on veut bien le dire. Au niveau européen, on ne parle pas de produits " sans O.G.M. ", mais de produits " non-O.G.M. ", c'est-à-dire qu'on laisse un petit seuil de tolérance. Le chantre de la grande distribution des produits non-O.G.M., Carrefour, a annoncé il y a un an qu'il ne vendrait que des produits non-O.G.M. Une analyse, faite pour des consommateurs, portant sur du chocolat vendu par la grande distribution a fait apparaître des produits O.G.M., uniquement dans la filière Carrefour. Il convient par conséquent d'être attentif. On n'a pas le droit d'abandonner la recherche, on n'a pas le droit d'aller contre l'avis des consommateurs ; il faut, au contraire, les sécuriser.

On reproche souvent aux agriculteurs, parfois même à la F.N.S.E.A., de ne pas suffisamment anticiper. C'est pourquoi, nous avons décidé d'anticiper. On verra les conclusions qui en découleront.

Neuvième point : l'embargo. Pour la F.N.S.E.A., l'essentiel réside dans la sécurité du consommateur, avec un retour sur le producteur. Si l'inquiétude du consommateur porte sur la viande bovine anglaise, du fait de la mauvaise traçabilité et de la mauvaise identification de ce type de viande, son inquiétude portera à terme sur toutes les viandes. C'est pourquoi, nous prônons la transparence, la traçabilité, l'étiquetage sous le couvert de l'Agence européenne.

Lundi soir, TF1 et LCI, correspondants locaux, m'ont contacté pour connaître mon opinion sur la position de l'A.F.S.S.A. Le ministre de l'Agriculture avait déclaré que l'A.F.S.S.A. ne pouvait prendre qu'une position, ce qui constituait une véritable maladresse vis-à-vis d'un organisme indépendant. Or, quelle ne fut pas ma surprise en apprenant que l'A.F.S.S.A. émettait des doutes. S'il y a doute, c'est une irresponsabilité que de prendre la décision de lever l'embargo. Si nous avons l'assurance de la traçabilité, de l'identification, de l'étiquetage, j'appellerai tout consommateur, où qu'il soit, à exiger l'étiquette indiquant la provenance.

M. Pierre LELLOUCHE : Même avec cela, ce sera insuffisant.

M. Luc GUYAU : Si l'A.F.S.S.A. déclare qu'il y a doute, ce peut être une décision politique. Mais que ce soit une véritable décision politique, car si elle est incomplète, elle est irresponsable.

M. Luc GUYAU : J'en arrive maintenant à la conférence de Seattle ; trois points du débat - deux sur l'agriculture, un sur les biotechnologies - nous ont interpellés.

Premièrement, nous avons _uvré, pour que l'accord agricole ne soit pas obtenu ; il s'agit de sécurité alimentaire - c'est vrai pour tous au niveau mondial - l'agriculture n'est pas un produit industriel. Nous sommes dans le domaine du vivant, qui fait entrer en jeu le climat, les spécificités régionales. Si l'on accepte une telle mécanique, on aboutira à la banalisation de l'agriculture au niveau mondial, l'alimentation n'étant plus un bien particulier, répondant à la demande des consommateurs.

Deuxièmement, le projet d'accord faisait l'impasse sur la définition de la multifonctionnalité. Nous avons indiqué, que l'on n'utiliserait plus le terme " multifonctionnel ", mais qu'il fallait pouvoir l'intégrer, s'agissant de sécurité alimentaire. Ce point fut insuffisamment précisé.

Troisièmement, et il s'agit là d'une réflexion qui ne touchait pas directement l'agriculture : le débat en Europe sur l'attitude différente de quatorze pays " ennemis " - comme les a qualifiés M. Blair - sur le groupe de biotechnologie, l'Europe étant contre la mise en place d'un groupe de biotechnologie, pendant que le commissaire clamait au niveau international qu'il y était favorable. Cela a créé quelques difficultés. L'Europe a besoin de recadrer les choses. La Commission est bien au service des pays et elle a mandat pour exécuter les décisions arrêtées.

Voilà quelques remarques, mais je suis prêt à être interrogé sur Seattle, car, sur ce sujet, j'ai beaucoup à dire.

M. le Président : La parole est à M. François Sauvadet.

M. François SAUVADET : J'ai relevé un grand esprit de responsabilité dans les propos de nos interlocuteurs, en matière de sécurité sanitaire et alimentaire.

Je vous poserai à chacun la question de la norme. Le principe de précaution est un principe, qui peut se révéler extrêmement dérégulateur. Dans certaines productions au lait cru - je pourrais également vous parler de l'époisses - on a vu s'établir une jurisprudence, bouleversant les normes au nom du principe de précaution. Faisant le diagnostic d'une situation, constatant votre volonté commune de vous investir et de trouver des outils, je considère que la question de l'élaboration de la norme est centrale.

L'agence européenne a été évoquée. Elle prend en considération ce que nous vivons actuellement au sujet de la viande bovine britannique. Il ne s'agit pas d'un conflit franco-britannique, mais de la sécurité sanitaire qui est posée à l'ensemble de l'Europe. La réflexion a été nourrie par Luc Guyau et Pascal Coste. J'aimerais connaître la position de la Coordination rurale, de la Confédération paysanne ainsi que du M.O.D.E.F. sur cette question. Comment, à travers une agence européenne, fera-t-on respecter la diversité qui a fait le succès internationalement reconnu de notre secteur agroalimentaire ?

M. le Président : La parole est à M. André Aschiéri.

M. André ASCHIERI : Je souhaitais poser une première question, mais chacun y a déjà répondu. Elle concernait l'embargo.

Nous sommes pris par l'urgence. On parle beaucoup d'O.G.M., de " vache folle ", de dioxine, mais on oublie de parler des hormones et des antibiotiques, ces derniers représentant, selon moi, un risque fondamental. Je souhaiterais connaître vos positions sur le sujet.

Il est question ensuite de privatiser les brevets pour le vivant. J'ai le sentiment que nous arrivons à une privatisation du vivant qui deviendra un marché extraordinaire dans le monde. Il convient d'en prendre conscience et de rester vigilants.

Nous avons entendu les positions des syndicats, mais il faut se tourner vers les populations, entendre leur point de vue et considérer l'aspect lié à la santé. Je ne livrerai qu'un chiffre, celui qui m'inquiète le plus : la progression des cancers du cerveau de 6 % par an, qui a pour seule explication l'environnement ou l'alimentation. Quoi que l'on en dise aujourd'hui, un véritable problème se pose. Sinon, nous ne serions pas réunis ici.

M. le Président : La parole est à M. Germain Gengenwin.

M. Germain GENGENWIN : Je reviens sur les propos de François Sauvadet soulignant l'importance de l'Agence européenne de sécurité.

Ma question porte sur la traçabilité des produits. Les producteurs ne peuvent pas assurer le coût de l'opération, simplement parce qu'ils ne maîtrisent pas la totalité du déroulement de la filière. Or il faut assurer correctement la traçabilité. Nous importons des fruits et des légumes du monde entier. Personne ne sait quels traitements ils ont subi ni dans quelles conditions sanitaires ils ont été traités. C'est dire qu'il est des produits mis sur le marché dont on s'inquiète beaucoup moins que la listeria dans le fromage.

Ne faudrait-il pas, par ailleurs, que la profession fasse un effort de communication ? Il y a quinze jours, un dimanche soir, sur une chaîne nationale, nous avons pu voir comment on fabriquait du jambon. La publicité annonçait : " Un jambon rond avec la couenne, de celle dont est faite le cochon. " Cette couenne est composée de 20 % de sel ou d'autres produits, qui augmentent le poids à même hauteur. Les consommateurs sont-ils avertis de ce type de manipulation ?

Demander de plus en plus de labels, d'A.O.C., ne contribue pas en soi à la transparence pour le consommateur et notre politique de la qualité perd tout sens, puisque le consommateur ne se repère plus dans les labels. Je pose donc la question de la communication et de l'honnêteté publicitaire des produits, essentiellement présents dans les grandes surfaces. Nous avons entendu Laurent Spanghero déclarer : " Je ne peux pas me permettre de perdre un client, parce qu'il représente 30 ou 40 % de la viande sur le marché ; il n'existe plus que quatre ou cinq acheteurs au niveau de la grande distribution. "

M. le Président : La parole est à M. Jean Gaubert.

M. Jean GAUBERT : Ma première question a trait à l'utilisation des boues des stations d'épuration dans la filière de l'alimentation animale. Qui savait ? A quel niveau de la filière ? N'oublions pas que le monde agricole est un peu plus engagé en amont et en aval qu'il ne le fut à une époque, notamment dans la filière de l'alimentation du bétail, mais aussi dans la filière de la découpe des volailles et du porc. Disposez-vous d'informations ? Des erreurs de ce type coûtent très cher aux producteurs.

Ma seconde question s'adresse à René Louail. J'ai cru déceler une contradiction entre deux de ses affirmations. Il a déclaré - je ne voudrais pas trahir sa pensée et il me corrigera si nécessaire - qu'il était impossible aux petits producteurs transformateurs d'assumer les mêmes normes que les productions industrielles, ce qui laisserait entendre que l'on pourrait accepter qu'ils fassent courir à des consommateurs moins nombreux un plus grand nombre de risques. Il affirmait, quasiment a contrario, que la filière agro-industrielle est, à l'inverse, davantage chargée de risques. Je veux bien le comprendre, dans la mesure où elle s'adresse des consommateurs plus nombreux. Il serait intéressant que vous précisiez ce point qui semblait révéler une contradiction dans les termes.

M. le Président : La parole est à M. Patrick Lemasle.

M. Patrick LEMASLE : Je voudrais connaître le point de vue des différents syndicats présents, sur la question de la maîtrise de la production, quantitative et qualitative. Je remarque ainsi, à l'occasion des crises porcine et avicole, que l'on met parfois en place des bâtiments importants, lesquels sont destinés à produire du bas de gamme à très faible coût. Quelle est votre opinion sur la maîtrise de la production ?

Quel est le signal que vous envoyez à vos adhérents, s'agissant des O.G.M. pour poursuivre les recherches déjà engagées ? Avez-vous demandé à vos adhérents de boycotter l'utilisation de produits O.G.M. ?

Quel est votre point de vue sur les semences fermières, sur leur vente et leur utilisation ?

D'aucuns se sont exprimés contre l'utilisation de farines animales. Deux sortes de produits sont destinées à leur fabrication. Ne pensez-vous pas nécessaire de dissocier produits d'équarrissage et produits issus des abattoirs ? N'est-il pas dommage de supprimer toute farine animale provenant d'animaux sains issus d'abattoirs, alors que la viande et certains produits partent directement sur l'étal du boucher ? Pourquoi se priverait-on de protéines relativement bon marché pour recycler ces produits ?

M. le Président : La parole est à M. Alain Calmat.

M. Alain CALMAT : M. Guyau a déclaré, à juste raison, que, dans la mesure où l'on ne pouvait empêcher l'arrivée des O.G.M. sur le marché en France, que ce soit sous une forme transformée ou sous une autre, l'étiquetage et la traçabilité étaient une nécessité.

Quelle différence faites-vous entre cette attitude et celle que l'on pourrait avoir vis-à-vis de la viande bovine britannique, dans la mesure où elle serait étiquetée et où sa traçabilité serait assurée ? Ne pas avoir du tout de viande bovine sur le sol français, est-ce pour vous une position de principe ou, avec les précautions que vous avez préconisées pour les O.G.M., seriez-vous moins radical ?

M. le Président : La parole est à M. Lucas.

M. François LUCAS : A la question de M. Sauvadet sur les normes, je répondrai tout d'abord par une boutade. De l'uniformité naquit l'ennui. Le danger de la norme est la standardisation. Je prends les extrêmes : dans un contexte de libéralisation, de mise en contact des différentes zones du monde, on risque d'arriver à un tel phénomène, car, par le biais de la concentration, on peut assister à un durcissement des normes. Dans la norme, il convient de distinguer ce qui est directement en relation avec la sécurité alimentaire - on ne peut être contre - de ce qui tend à plutôt standardiser. Je m'appuierai sur le détournement de normes du melon. Jusqu'ici, le melon se classait au calibre. Il était facile pour les producteurs, y compris les petits producteurs, de classer les fruits par calibre. Sous l'influence de certains lobbies, on arrive à un classement des melons par poids. Cela paraît anodin, mais le classement des melons par poids nécessite des investissements importants passant par l'acquisition de machines extrêmement précises, éliminant de fait la possibilité pour les petits producteurs de continuer à produire du melon dans les filières où la norme est réclamée. Prenons donc garde aux normes. Nous y sommes favorables si elles sont directement en relation avec la sécurité sanitaire de l'aliment; en revanche, nous sommes contre si elles deviennent une méthode pour s'approprier un marché. A partir de là, je conçois les normes à deux vitesses. Par exemple, s'agissant des abattoirs, l'abattoir à la ferme aux normes françaises ou l'abattoir aux normes européennes. Je le conçois tout à fait, parce que l'exigence de qualité est la même à la sortie.

L'embargo sur la viande bovine. Le risque semble être présent. La réponse des scientifiques n'élimine pas le risque. Y a-t-il un enjeu pour la santé, rendant acceptable la prise de risque ? A notre connaissance, non. On peut continuer à s'alimenter, sans importer de la viande bovine. Cela nous amène à donner du principe de précaution une définition allant en sens inverse d'une analyse de l'ensemble des risques. Un risque vaut-il la peine d'être pris, parce qu'il existe un risque supérieur ? On peut prendre des risques en matière de santé humaine, quand on essaye un nouveau vaccin, car, en face, le risque est plus important : des vies humaines sont mises en danger. En revanche, quel est l'enjeu pour la viande bovine ou les O.G.M. ? Quelle est la contrepartie qui autoriserait la prise de risque pour le consommateur ? Il n'y en a aucune. Jusqu'à aujourd'hui, la France connaît un approvisionnement normal des marchés. L'étiquetage n'est pas, selon nous, une solution satisfaisante, car la santé publique ne peut s'accommoder d'un système à deux vitesses. Une consommatrice, interviewée à la sortie d'un hypermarché sur son comportement vis-à-vis de ses achats de viande et poussée dans ses derniers retranchements a répondu : " Oui, mais la viande bovine française, c'est très cher. J'achète donc sans étiquette. "

Il est, selon nous, inacceptable que prévale un prix différencié et que le consommateur qui ne disposerait pas des moyens de satisfaire à l'exigence de sécurité la plus haute du produit risque d'être exposé à un problème de santé. La responsabilité de santé publique consiste à offrir à tous les consommateurs des produits garantis sans problème. Cela vaut pour les O.G.M. comme pour la viande britannique.

Notre organisation considère inacceptable la privatisation du vivant ; patrimoine commun, personne n'est en droit de se l'approprier.

J'en viens aux questions de M. Aschiéri.

Aujourd'hui, le risque se déplace. Ce n'est plus le risque d'un grand problème, encore que l'on ignore les conséquences à long terme, de l'affaire de la " vache folle " ; le risque porte plutôt sur une détérioration insidieuse de la santé qui ne sera mesurable que sur le long terme. C'est sur la base d'observations cliniques et statistiques que l'on saura, au bout de x années, qu'interviendra telle ou telle évolution. Des études sur la dioxine relèvent une incidence de la dioxine sur le taux de fécondité des humains. Mais nous avons besoin de recul. Nous sommes, semble-t-il, en train de devenir des cobayes, ce qui est dangereux.

Le coût de la traçabilité et la nécessité de bien l'assurer relèvent du possible - en payant. D'autres n'en relèvent pas; nous ne serons jamais assurés des conditions dans lesquelles des produits seront élaborés loin de France. Je reviens sur la notion de souveraineté alimentaire. On ne maîtrise que ce que l'on produit soi-même ; c'est un élément à prendre en compte au sens politique. Les agriculteurs sont prêts ; encore faut-il que l'environnement politique le soit tout autant.

En matière de communication, M. Gengenwin a cité le cas malheureux du jambon de Paris, qui est produit n'importe où. Nous ne sommes plus capables d'agir au niveau des producteurs. Nous ne pouvons mettre en avant que notre diversité, l'authenticité des produits dès lors qu'on les maîtrise, ce qui est incompatible avec des mises en filières où le produit échappe au producteur. On aboutit à des comportements réticents du consommateur qui se réfugie dans les systèmes d'appellation ou de labels. Mais ainsi que vous l'avez indiqué, il y en a tellement que l'on peut se demander ceux qui sont encore valables.

S'agissant des boues de stations d'épuration, M. Gaubert a demandé : qui savait ? Notre organisation l'a appris en lisant la presse. Nous ne sommes qu'un syndicat de défense des intérêts des agriculteurs et une très jeune organisation. Je puis vous garantir que nous ne savions rien et que nous ne sommes pas impliqués dans des filières.

Le système de normes à deux vitesses : à notre sens, il est possible d'envisager des normes à plusieurs niveaux, destinées, d'une part, à des produits qui seraient à exporter, soit hors des frontières françaises, soit hors des frontières de l'Europe, d'autre part, à des produits destinés à la consommation intérieure. Deux types de normes peuvent être ainsi envisagés, pourvu que la prise en compte de l'innocuité du produit soit toujours présente.

La question de la maîtrise de la production ouvre la boîte de Pandore. Sur le plan tant quantitatif que qualitatif, nous nous situons dans un système faisant appel aux mécanismes compliqués de la politique agricole commune. Est-il possible de maîtriser une production de porcs en Bretagne, si par ailleurs les voisins ne s'engagent pas dans la même voie ? Si ce n'est pas possible, nous restons dans une logique de compétitivité. Quelque part, quelqu'un, toujours, estimera qu'il est plus compétitif qu'un autre. J'en conviens avec vous : le système s'emballe. La maîtrise de la production est un élément, nous semble-t-il, indispensable. Par exemple, on a trouvé profitable de fixer un prix minimum de la pêche. En l'absence de toute maîtrise de la production au niveau européen, ce prix ne tient pas, dans la mesure où l'on suscite des plantations de vergers et que les agriculteurs produiront des fruits destinés à la décharge. La maîtrise de la production est, par conséquent, nécessaire. Elle ne fait pas partie, comme pour le porc ou la volaille, des prérogatives de la P.A.C., ce que nous déplorons.

Avec nos collègues, nous faisons partie d'une même coordination au sujet des semences fermières. Nous sommes extrêmement attachés à la préservation d'un droit multimillénaire qui a fondé l'agriculture. On a découvert récemment que si, il y a 132 000 ans, un habitant de la planète n'avait pas eu l'idée de ressemer une graine, la situation serait tout autre : il n'y aurait pas de villes, l'agriculture n'existerait pas. Selon nous, ce n'est pas au cours du XXe siècle que de grands esprits peuvent revendiquer un patrimoine multimillénaire qui appartient à tous.

J'en viens à la tentative de mise en place d'une filière sans O.G.M.. Nous avons vu se créer une filière soja de pays, laquelle garantit produire du soja sans O.G.M. dans certaines régions. La chose est étonnante, dans la mesure où la production de soja O.G.M. est interdite en France. La filière est étiquetée française, cela suffit, sans autre cahier des charges. Autre sujet d'étonnement : le cahier des charges implique que les producteurs utilisent des semences certifiées. Pour une question de coût, quatre-vingts pour cent de la production de soja française étaient jusqu'à aujourd'hui obtenus grâce à des semences fermières. En effet, le système de production du soja est assis sur l'aide compensatoire versée dans le cadre de la P.A.C. Ce n'est pas le produit qui permet la marge. C'est pourquoi les producteurs se sont adaptés en utilisant des semences fermières. Le cahier des charges impose l'utilisation de semences certifiées, lesquelles ne sont pas produites en France, mais aux Etats-Unis. Par ailleurs, le surcoût pour le producteur est évalué aux environs de 700 francs l'hectare. Le gain espéré et annoncé, exemple intéressant de captation de marge, est estimé entre 5 et 15 francs le quintal. La production moyenne est de 25 quintaux l'hectare. C'est dire que le gain espéré par le producteur varie de 25 francs à 175 francs l'hectare. Autrement dit, un cahier des charges l'oblige à utiliser des semences certifiées qui lui coûteront 700 francs de plus pour un espoir de marge supplémentaire de 25 à 175 francs l'hectare. Il y a là un aspect qui nous semble incohérent. Réaliser des analyses au fil de la production sur le soja sans O.G.M. est une approche qui oblige les producteurs à utiliser des semences certifiées contre leur gré, car ce n'est pas l'utilisation de semences certifiées qui garantit l'absence d'O.G.M. Un problème s'est posé l'an dernier à une coopérative d'agriculteurs biologiques du Gers. Elle produisait du soja biologique. Un camion de 25 tonnes de soja fut consigné, car l'on y avait décelé la présence d'O.G.M., tout simplement parce que l'un des producteurs avait dû acheter, sans qu'il le sache, un lot de semences génétiquement modifiées.

Les farines d'équarrissage et les farines d'abattoirs ne sont pas à considérer à l'identique. J'ai parlé de la dioxine qui s'accumule dans les tissus graisseux. On peut connaître des phénomènes de concentration, comme avec le lindane, qui, on l'a constaté, se concentrait dans le poisson. Des substances autres - antibiotiques, facteurs de croissance - peuvent se concentrer dans certains morceaux de la carcasse et être accumulées ultérieurement au niveau de l'alimentation animale. Selon nous, l'utilisation des farines de viande restera difficile à maîtriser au plan de la sécurité, car on ne maîtrise pas tous les éléments contrairement à l'apport de protéines végétales.

J'en viens à la question de M. Calmat : l'étiquetage n'est pas davantage une solution pour les O.G.M. que pour la viande anglaise. S'il y a risque, on ne doit pas mettre à disposition du consommateur des produits avec O.G.M. comme on ne doit pas mettre à disposition du consommateur de la viande anglaise.

En ce qui concerne Seattle, nous sommes pour l'exception agriculturelle : nous préférons que n'intervienne aucun accord, plutôt qu'un mauvais accord.

Sur l'acceptabilité sociale d'un renchérissement de l'aliment avec renforcement de la sécurité alimentaire, je partage l'avis de M. Guyau. L'incidence de la matière première agricole dans l'aliment à hauteur de 3,6 % est ridicule. Donnerait-on au boulanger la farine pour faire ses baguettes, cela ne changerait rien au prix alors même que, pour nous, la santé n'a pas de prix. Je ferai une relation, peut-être facile, mais l'on peut se poser des questions, entre la baisse du coût alimentaire en France et l'augmentation du coût de la santé.

M. le Président : La parole est à M. René Louail.

M. René LOUAIL : On a beaucoup parlé des risques technologiques. Il serait intéressant d'illustrer le propos par un cas concret, celui de l'utilisation du gaucho, insecticide des semences, qui a posé problème aux apiculteurs. La contre-expertise a démontré que le produit étant homologué, on tombe sur le secret du brevet avec toutes les difficultés pour pousser plus loin.

M. Gaubert pose la question des mêmes normes pour tous, à laquelle nous sommes confrontés et qu'il convient d'aborder. Les normes évoluent souvent au regard d'exigences, de procédés ou de process industriels nécessitant des conditions de sécurité toujours plus grandes. Si on applique ces mêmes normes trop exigeantes aux produits fermiers, très peu d'agriculteurs pourront suivre. Pour autant, cela ne signifie pas que l'on a, d'un côté, un produit sain, aseptisé ou pasteurisé, et, de l'autre, un produit qui présenterait davantage de risques. En effet, il s'agit d'autres modes de fabrication, mais les risques de type industriel sont exclus dans ce cas, puisque ces produits ne sont pas des produits industriels. Appliquer des normes industrielles à des productions fermières, à l'évidence, condamnerait des milliers d'emplois alors que ce sont des filières totalement différentes. Plus on concentre la production, plus on concentre au niveau de l'agroalimentaire, plus les risques sont élevés.

Il y a quelques années, les conditions sanitaires d'un grand abattoir, dont je tairai le nom, étaient irréprochables. Or, on y a détecté des listérias. Les agents de la D.S.V. ont démontré que ce n'était pas un problème de fiabilité du procédé, mais simplement que, pendant la durée de fonctionnement, transitaient des tonnes de produits avec une contamination possible. Si on devait appliquer cette même règle à une fabrication de fromages fermiers, à une charcuterie à la ferme, il est évident que l'on condamnerait des milliers d'emplois. Cela ne signifie nullement que les produits fermiers sont des produits à risques.

La question de la maîtrise des productions doit être associée au débat sur la mondialisation des échanges et à ce qui se passe à Seattle. La maîtrise des productions ne se limite pas à une région, l'Ouest de la France que l'on désigne du doigt; la concentration existe partout ailleurs, où l'on connaît des développements de productions industrielles qui soulèvent les mêmes questions. On ne peut dissocier la maîtrise de la production d'une notion de répartition de la production, tant il est vrai que " maîtriser " signifie tout aussi bien " maîtriser le marché ", ce que l'on peut atteindre de différentes façons. C'est un point dont il faut que nous débattions. La notion de répartition de la production sur le territoire est un point extrêmement important. Bon an, mal an, on observe que les échanges extra-communautaires représentent entre 5 et 7 % des produits européens. La Confédération paysanne ne refuse pas les échanges, mais les assujettit à une somme de conditions. Contrairement à ce qui a pu être dit, la Confédération paysanne n'est pas pour le démantèlement de l'O.M.C., mais pour son contrôle citoyen, ce qui est totalement différent.

Aux échanges mondiaux, nous mettons trois conditions.

Compte tenu des risques pesant à l'intérieur et hors du champ communautaire, on ne peut se battre au niveau européen pour l'augmentation des prix à l'agriculture et faire croire que le marché mondial peut y répondre. Les produits exportés hors des frontières de l'Europe - les poulets, le porc - bénéficient d'un niveau de subvention quasiment équivalent au prix payé au producteur. Si nous poursuivons cette logique infernale, on incitera à produire en Europe sans avoir réglé le problème, car les prix payés à l'extérieur de l'Europe ne sont pas rémunérateurs pour les agriculteurs français. Au mois de décembre 1998, le prix du porc payé par les Etats-Unis s'établissait à moins de deux francs. En France, aussi compétitif soit-il, aucun producteur n'est en mesure de s'aligner sur ce prix. Derrière la notion de marché mondial, c'est une fuite en avant, pour ne pas engager un débat sérieux sur la maîtrise de la production. Selon nous, elle ne peut se mettre en place qu'au niveau communautaire. La Confédération paysanne a noué des contacts serrés dans le cadre de la Coordination paysanne européenne avec différents partenaires européens. Le dossier avance. Certes, des réticences très fortes subsistent, notamment en France, de la part de certaines organisations agricoles, qui parlent d'ailleurs de moins en moins de maîtrise et de certaines organisations économiques. C'est là un vrai sujet.

Si la maîtrise des productions ne devait pas s'opérer, on assisterait à une véritable catastrophe sur le plan économique et social. La Confédération paysanne n'entend pas maîtriser la production par la mise en place de plans sociaux. Pour certains, les plans sociaux sont un levier et un outil de régulation du marché. Or, ce serait catastrophique, car on peut toujours faire plus de production avec moins de producteurs.

Ce dossier n'a jamais été autant d'actualité. Il est important que la France et l'Europe se saisissent de dossiers, car près d'un tiers, voire 40 % des agriculteurs sont en faillite dans certaines productions.

Deuxième condition : nous considérons que toute politique de dumping, qui consiste à exporter pour exporter, n'est pas soutenable. Nous réduisons nos exportations, oui, à la condition que cela ne revienne pas, entre autres, à concurrencer les pays en développement. C'est un aspect auquel on ne peut échapper. Il suffit de se reporter aux conséquences de l'exportation de certains produits agricoles et alimentaires sur les pays de l'Est, notamment la Russie et la Pologne. Nous devons en tirer des conclusions.

Troisième condition : l'entrée sur le marché mondial ne doit pas aggraver les conditions d'environnement en France. Plutôt que de subventionner indéfiniment des exploitations sans contrôle, nous préférons un mécanisme responsabilisant les surproducteurs ici. Si, effectivement, il y a abondance de produits, il n'y a pas une règle au niveau de la profession.

M. Germain GENGENWIN : Il faut prévoir les années maigres.

M. René LOUAIL : La Confédération paysanne s'est prononcée contre les farines d'origine animale car les procédés de fabrication des produits n'étaient pas fiables et on ne pouvait en démontrer la sécurité. Il a fallu, je crois, attendre 1996 pour avoir une loi sur l'importation des farines animales. Il convient de dissocier ce qui relève des produits à risques des produits qui ne le sont pas. On ne peut évacuer le débat de ce que l'on fera de ces produits.

M. le Président : La parole est à M. Gérard Chappert.

M. Gérard CHAPPERT : Je tenterai de répondre à quelques interrogations, notamment à M. Gengenwin qui déclarait que le consommateur ne comprenait plus. En effet, il ne comprend plus. Une pléthore d'A.O.C., d'I.G.P. et autres sigles permettent d'identifier les produits. Le cabecou fabriqué dans le Lot est une A.O.C. Or il faut savoir que le cabecou est fait avec du lait caillé importé du Maroc. Le foie gras, produit festif et porteur, vient pour l'essentiel de Hongrie. L'association d'un importateur et d'un producteur permet l'appellation " foie gras de Dordogne " ou " du Lot ". Il y a deux ans, nous avons arraisonné deux camions de foie gras de Hongrie qui se sont révélés des produits hautement toxiques, impropres à la consommation. Nous avons dû payer une amende de 700 000 francs - cela pour la petite histoire !

Le miel est fabriqué de 55 % de miel en provenance de l'étranger et de 45 % de miel français, ce qui donne 100 % de miel français. Cela devient une jungle !

Je suis viticulteur, producteur d'A.O.C. Corbières. Qu'est-ce qui se profile ? L'entrée de moûts étrangers pour fabriquer du vin français.

UN DÉPUTÉ : Il existe des verrous !

M. Gérard CHAPPERT : Pour le moment. Cela dit, je ne suis pas étonné que les consommateurs ne s'y retrouvent plus.

Il y a une semaine, se tenait un séminaire de la Coordination paysanne européenne à Genève. Un représentant nous a fait part du fonctionnement du Codex alimentarius. Prendre des mesures pour un produit peut nécessiter des années. Si c'est le cas pour les O.G.M., on ne peut que s'interroger. C'est grave. Ce sont là des éléments que je présente à la réflexion de chacun.

Bien sûr, il faut des normes européennes, mais nous souhaitons qu'un socle commun soit respecté, car si nous établissons des règles communes, tous ne les respectent pas ! Je prends pour exemple les abattoirs. Si les mesures envers les petits producteurs qui _uvrent dans leur ferme, sont très strictes, sur le " bio ", on trouve un cahier de charges français, un cahier de charges européen allégé. Que l'on se mette d'accord : des normes sont indispensables, mais elles doivent être respectées par tous et pour tous, sinon, une fois de plus ce sera un coup d'épée dans l'eau.

Nous sommes entièrement d'accord sur la mise en place d'une Agence européenne pour la sécurité alimentaire, mais elle doit être un outil effectif qui s'applique à tous.

M. René Louail a répondu à la question sur la maîtrise de la production. La coopération est nécessaire. Si l'on entre en guerre les uns contre les autres, nous n'aboutirons à rien, si ce n'est à la catastrophe présente. Une véritable coopération entre pays permettra la maîtrise de la production.

Sur les O.G.M., je le répète, pas un laboratoire en France n'étudie les risques pour l'homme et la nature. Les scientifiques ne sont pas tous d'accord. C'est pourquoi le moratoire s'impose. Continuons la recherche pour ne pas prendre du retard sous peine d'être pénalisés. Les règles toxicologiques qui président à l'étude des O.G.M. ne sont pas adaptées. Il serait temps que les scientifiques de l'I.N.R.A. et le pouvoir se mettent d'accord pour qu'il en soit autrement.

J'en viens à l'embargo. Je trouve un peu fort que ce soit notre pays qui doive faire la preuve de la nocivité du type de viande qu'il reçoit sur son territoire. C'est assez original ! On impose aux éleveurs français des normes de traçabilité et des règles contraignantes, alors que l'on est prêt à nous envoyer des produits, dont nous sommes obligés de faire la preuve qu'ils ne sont pas dangereux.

Le débat des scientifiques sur la question doit se poursuivre au nom du principe de précaution, car la question n'est toujours pas éclaircie.

Les C.T.E. sont un bon outil. Le M.O.D.E.F. s'est investi en présentant des propositions dans le cadre du projet de loi d'orientation. Toutefois, je constate sur le terrain que des zones d'ombre persistent, que les D.D.A., que nous convions à nos réunions, ne sont pas, à l'heure actuelle, en mesure d'éclaircir. Pourtant, des C.T.E. commencent à être signés. C'est une bonne chose, mais les modalités restent vagues. Il convient d'accélérer la procédure de vulgarisation des C.T.E.

Un dernier mot : l'agriculture ne doit pas être incluse dans les accords de Seattle. La F.A.O. offre un cadre plus propice s'agissant de l'agriculture.

M. le Président : J'indique que, si vous le souhaitez, vous pouvez apporter des contributions écrites sur tel ou tel point. Nous les verserons au dossier.

La parole est à M. Luc Guyau.

M. Luc GUYAU : M. Aschieri a soulevé la question des hormones et des antibiotiques. La F.N.S.E.A. a toujours réclamé la plus grande transparence aux niveaux français et européen. A chaque déviation rencontrée, nous nous sommes portés partie civile.

Sur les hormones, les positions sont assez claires. C'est un peu moins précis pour les antibiotiques, car leur utilisation se cantonne au traitement des maladies ou de la croissance. Pour la croissance, tout le monde s'accorde pour les éliminer. Aussi, dans la plus grande transparence, certains justifient-ils leur utilisation par des motifs thérapeutiques, notamment nos collègues néerlandais qui souhaitent sécuriser en permanence. La gestion d'un produit interdit se révèle beaucoup plus facile. Les dérives doivent être éliminées progressivement, mais il faut parallèlement assurer la santé de nos animaux.

Sur la traçabilité, je reprendrai le débat tenu à l'Assemblée nationale lors de la loi d'orientation, qui a donné lieu à des développements assez longs sur la demande du fonds de communication. J'ai fait partie de ceux qui ont fortement milité pour un fonds de communication pour l'agriculture. Il s'agit de disposer aujourd'hui des moyens de reprendre une information correcte et transparente à l'attention du consommateur, notamment les jeunes. On peut dire tout ce que l'on veut sur la sécurité alimentaire, si le consommateur n'est pas en mesure de percevoir l'évolution de son alimentation, on rencontrera des difficultés. Aujourd'hui, les quatre-cinquièmes des consommateurs, notamment les jeunes, n'ont jamais vu leur mère ou leur grand-mère tuer un lapin ou un poulet. Dans le cadre des fermes ouvertes, si on n'explique pas que ces animaux sont destinés à l'abattoir, les enfants, rentrant le soir, déclarent ne plus vouloir manger de poulet ou de lapin. Il convient de bien expliquer les circuits des fermes.

Autre exemple : un responsable d'une entreprise d'abattage de volailles interrogé sur la dioxine m'a indiqué avoir perdu 30 % du marché sur la volaille, mais n'avoir pas vendu une cuisse de poulet en moins. Autrement dit, tout le monde a eu peur d'acheter du poulet entier et a acheté des cuisses de poulets, ce qui ne posait pas problème. Ferait-on le maximum demain, rien ne serait possible sans cette compréhension. Je regrette simplement que, pour diverses raisons, la mise en place du fonds de communication ait été obtenue sans financement. Il est par conséquent inutile à ce jour. Nous essayons de trouver des moyens financiers dans les taxes et contributions perçues dans le cadre de la profession pour alimenter et faire fonctionner ce fonds de communication. De nombreux exemples ont été cités, il y en a bien d'autres encore. Il faut être clair : en 1980, on ne parlait pas de la dioxine.

J'évoquerai les boues en même temps que les farines animales. Nous connaissons un véritable problème de communication à cause de la définition de ces termes : " Farines animales ", " boues " ne passent pas, car ils sont connotés. A un moment donné, j'avais essayé de trouver une formule : " surplus et coproduits de la transformation et de la consommation " à la place du terme de " boues ". D'aucuns préconisent de ne plus épandre les boues sur les sols. Mais si elles sont totalement saines ? Avec Mme Voynet, nous avions même parlé un temps de labelliser les boues. Si nous arrivions à les identifier et à les déclarer saines, pourquoi ne pas les utiliser pour l'" agro-bio " ? Déclarer impossible l'utilisation des boues dans l'" agro-bio ", même saines, induit de facto une suspicion dans l'opinion publique et dans l'esprit du consommateur.

Dans mon département, la Vendée, la moitié de la surface pourrait être concernée par une entreprise qui souhaite y faire pousser du blé dur, à la condition que ce soit sans boues. Ma coopérative laitière elle-même a déclaré que ce serait une bonne chose de supprimer les boues, ce qui permettrait une valorisation du lait. Cela dit, on ne sait pas où partiraient les boues de l'usine qui fabrique le fromage et le beurre.

Se pose donc le problème de la définition du type de boues.

On parle des boues dans l'alimentation animale. Au risque de choquer, je le dis ici : s'il s'agit de boues inertes, totalement naturelles, elles ne sont pas pires que le poulet mangeant du grain dans sa gamelle pour aller ensuite picorer sur le fumier. On évoque le produit fermier nourri au grain, mais le grain est partout ! Il convient donc de faire attention à ce que l'on dit. Il en va de même pour les farines animales. En France, nous n'avons pas réussi à communiquer sur ce thème. Nous sommes fortement accusés alors que nous avons, plus que les autres, sectorialisé les farines animales. Les seules à pouvoir être réintégrées étaient des farines animales produites par des animaux sains, c'est-à-dire des résidus de produits propres à la consommation humaine. Par exemple, un morceau de steack intégré dans la farine animale. Cela ne me choque pas si nous sommes assurés que toutes les mesures de sécurité sont prises. En outre, l'aspect psychologique est à prendre en compte : souvenez-vous des réactions lorsque l'on a su que l'on faisait manger de la viande aux vaches ou aux poulets. Ces derniers mangent bien du lombric !

Nous sommes pour une grande rigueur, un maximum de transparence, d'identification et de traçabilité. C'est pourquoi, à un moment donné et malgré ce que je viens d'expliquer, j'ai été obligé de dire que nous étions opposés à l'intégration totale des farines et des boues, car les gens ne sont plus capables de faire la différence. Grâce à une communication efficace de tous et avec l'accord des consommateurs, je crois que l'on pourra revoir la question, car, si nous ne le faisons pas, nous serons confrontés à un coût d'un côté et à des manques de l'autre. Les résidus et coproduits sont un vrai problème de société. Je finirai par un trait d'humour : si nous n'arrivons pas à trouver de solutions, on finira par décréter que les citoyens devront se rendre tous les samedis matin dans les mairies chercher le petit paquet de boues séchées qu'ils auront produit dans la semaine et l'utiliseront à ce qu'ils voudront. Nous sommes tous responsables. Pour éviter la pollution, nous avons tout concentré et aujourd'hui nous savons utiliser les résidus. Nous sommes prêts à les intégrer, mais il serait dangereux que, demain, le fait d'avoir épandu des boues sur son sol ou d'utiliser des farines de viande dans certaines alimentations détruise notre propre marché.

Nous avons demandé une interdiction totale des boues sans plus de sécurité. Epandre les boues coûte peu à la collectivité. Les incinérer coûte trois fois plus. La différence de coût entre les deux modes peut être un moyen économique pour certains agriculteurs qui, âgés de cinquante-cinq ans, n'ont pas de successeur et sont d'accord pour valoriser leurs terres avec les boues. Or le jeune qui, cinq ans après, reprend l'exploitation ne peut cultiver ni blé dur, ni haricots verts, ni produire de lait. C'est un vrai problème politique. C'est pourquoi j'ai appelé à une réflexion citoyenne. Dans les ministères, on me dit aujourd'hui : " Peut-être n'avons-nous pas trop intérêt à exposer cela sur la place publique ; cela risque de nous revenir dans la figure. " Je réponds : aujourd'hui, nous n'avons pas le choix. Même s'il faut du temps pour expliquer, le sujet doit être porté sur la place publique.

Innocuité des produits industriels et fermiers. Beaucoup de produits fermiers ne peuvent supporter tous les investissements qui seraient nécessaires pour répondre aux normes fixées qui sont telles que ce n'est plus possible économiquement. Mais on ne peut non plus séparer les produits fermiers et les industriels. Il convient de casser l'idée selon laquelle les produits industriels - je ne parle pas ni du goût, ni de la gastronomie, mais de la sécurité sanitaire - sont moins sûrs que les autres. Il ne faut pas se voiler la face : les risques de salmonelle sont plus grands en mangeant des _ufs fermiers qui ont été pondus sur du fumier que s'ils ont été pondus dans un élevage de type industriel. Je ne me place pas sur le plan de la gastronomie ou du goût, mais bien sur un plan sanitaire. On se situe toujours entre l'amélioration du goût et la sécurité. Il faut l'expliquer. Un jour que je le faisais, le journaliste qui m'interviewait a marqué sa surprise. Nous parlions d'un fonds de communication. Si les consommateurs cherchent la sécurité, il faut qu'ils achètent des produits normalisés ; s'ils cherchent autre chose, sur la base de la sécurité que nous souhaitons, ce sera autre chose.

La F.N.S.E.A. a clairement indiqué qu'elle était pour la maîtrise des productions. Un rapport de 1991, présenté à Angers, en fait état. Que des personnes, au sein ou non de la F.N.S.E.A., ne soient pas favorables à la maîtrise de la production, c'est vrai. Ce n'est pas faute de l'avoir dit clairement. Et puisque nous devons dire la vérité, je ne suis pas sûr qu'il y ait plus de présidents de groupements de producteurs à la F.N.S.E.A. qu'à la Confédération paysanne. En termes de représentativité, les proportions doivent être quasi identiques. Il n'empêche que le discours sur la part de marché est le même. " Ne pas maîtriser et on risque de perdre notre part de marché " est un discours ambiant destructeur. C'est pourquoi nous préconisons la maîtrise ; d'ailleurs, nous avons entamé un début de maîtrise nationale en procédant au retrait des porcelets plutôt que de les envoyer en Espagne. Nous avons un vrai problème avec l'Europe : en effet, si la France est le seul pays à maîtriser, les autres risquent de commettre des erreurs. Un clin d'_il : le ministre et d'autres nous disent impossible d'établir la maîtrise en France sans l'établir dans toute l'Europe. Dans le même temps, les aides sont modulées en France et non dans les autres pays européens. Lorsqu'existe une volonté politique, tout est possible ! La preuve !

Nous avons présenté des propositions sur la maîtrise de la production avicole qui ne doit pas se résoudre uniquement par la destruction de bâtiments; cela peut se réaliser en allégeant la charge, en allongeant les vides sanitaires... Quant à la construction de nouveaux bâtiments, les demandes sont moins nombreuses. Entre la demande de construction du bâtiment et sa réalisation, deux ans se passent, quand ce ne sont pas deux ans et demi contre deux mois en Espagne. Des dossiers sont arrivés alors que les travaux étaient en cours.

Quant à la taille des élevages, nous avons demandé un contrôle dans le cadre de la loi d'orientation, qui ne tienne pas compte uniquement de l'agrandissement en surface, mais également des surfaces hors sol, à condition que les préfets fassent respecter la loi.

Les commissions départementales d'orientation n'ont pas de pouvoir de décision. Depuis une dizaine d'années, toute personne qui s'agrandit contre l'avis de la commission départementale, se voit délivrer nationalement une autorisation, car les administrations nationales auxquelles elle fait appel trouvent toujours un vice de forme. Il convient donc d'appliquer les sanctions prévues.

Le lien maîtrise/export laisse à penser que les exports français ne sont uniquement que des surplus. Or la fonction d'exportation n'a pas pour seul objectif de dégager les surplus. Prévaut une fonction commerciale et de rentrées de devises : des marchés existent, pour un grand nombre portant sur des produits non aidés à l'exportation ; d'autres sont aidés avec restitution à l'exportation. Nous ne sommes pas opposés - ce fut le grand débat à Seattle - à la suppression des aides à l'exportation, à condition que préside une totale transparence entre tous nos concurrents. Le texte de Seattle qui voulait supprimer les aides à l'exportation ne remettait pas en cause les mécanismes de soutien, en particulier des Américains. Il faut être cohérent. Je lance un signe à nos amis de la Confédération paysanne. On ne peut se déclarer contre les aides à l'exportation et, la même semaine, aller voir avec son député le ministre de l'Agriculture pour demander les restitutions pour la volaille et le porc. C'est ce qui s'est passé au cours des quinze derniers jours. Je le dis sans esprit de polémique et parce que l'on nous demande de dire la vérité et que nous ne pouvons toujours tout dire à la presse.

Vous posez la question du boycott des O.G.M. par la F.N.S.E.A. Nous demandons le respect de la loi. Dans la mesure où ce n'est pas autorisé, nous n'appliquons pas. Il convient de différencier ce qui est expérimental de ce qui ne l'est pas. Il faut savoir ce que l'on fait du produit, le produit ne suffit pas. Nous estimons que cela fait partie de la recherche. Si les produits ne sont pas autorisés, il n'y a nulle raison de les produire.

S'agissant des semences fermières, nous sommes pour le droit reconnus aux agriculteurs de semer leurs propres semences. S'il s'agit des mêmes produits qu'il y a quatre mille ans, pourquoi pas ? Il n'en reste pas moins que des agriculteurs et des entreprises continuent à faire de la recherche et il faut que nous trouvions un mécanisme pour renvoyer aux entreprises et aux agriculteurs la capacité de la poursuivre. La mise en place d'un système régulé et lié, avec retour, - il était question d'une cotisation, d'une taxe -permettrait le maintien de la recherche et de l'expérimentation. Toutefois, supprimer à un agriculteur le droit de ressemer est anormal.

M. Calmat, quelque peu choqué par mes propos, me pose une question sur la crise avec la Grande-Bretagne. Vous aurez remarqué qu'au cours de cette crise, la F.N.S.E.A. a fait preuve de discrétion, avec un petit excès de ma part le jour où les journalistes m'ont demandé : " Et si les Anglais boycottent tous les produits agricoles, qu'allez-vous faire ? " J'ai lâché : " C'est une île; c'est plus facile à bloquer qu'un continent. " Ce fut la seule agression, qui, d'ailleurs, a connu des retours. Pour le reste, nous ne sommes pas opposés à l'arrivée de b_uf anglais, si toutes les sécurités sont prises. Il y a un mois, une démarche fut entreprise, pour obliger les Anglais à s'engager plus avant sur la traçabilité. La position de l'A.F.S.S.A. n'a pas été tranchée. L'eût-elle été, cela nous aurait facilité la tâche, y compris pour le Gouvernement. La position de l'A.F.S.S.A. ne lève pas tous les doutes, ce qui impose une traçabilité et un étiquetage du début à la fin de la chaîne. Dans le même temps où nous avons débattu avec les Anglais, l'Europe a fait marche arrière sur l'obligation de traçabilité à partir du 1er janvier. Nous avions l'occasion de différer l'embargo jusqu'au 1er janvier, au moment où s'imposera l'application totale de la réglementation. Si l'on parvient à assurer l'étiquetage et la traçabilité des achats individuels dans les grandes surfaces, en revanche, on rencontre un problème de traçabilité dans les collectivités. Je ne voudrais pas que, devant l'incertitude, les responsables des cantines scolaires craignent un mauvais étiquetage. J'exige une traçabilité, y compris pour les produits consommés dans les collectifs.

M. le Président : S'agissant des boues, il convient de distinguer entre les boues des stations d'épuration urbaines et celles provenant des stations des usines d'équarrissage. J'ai cru comprendre que celles-ci étaient introduites dans les farines animales, les premières posant un problème d'épandage. Je crois qu'il y a eu confusion.

M. Luc GUYAU : Vous avez raison de le relever. On parle des usines d'équarrissage, alors qu'il ne s'agissait même pas d'usines d'équarrissage publiques, mais de celles propres aux entreprises. Il m'a été expliqué qu'un atelier d'abattage de volailles recyclait l'ensemble des résidus, y compris les plumes, qui étaient broyées, et que le tout était réinséré dans les aliments du bétail, les produits obtenus ne franchissant pas les portes de l'entreprise. Toutefois, expliquer cela au journal de vingt heures ou dans la presse n'est pas aussi aisé. Il conviendrait de différencier les différentes catégories de boues, en les nommant d'un terme spécifique, afin d'éviter tout amalgame.

M. le Président : La parole est à M. Guy Le Fur.

M. Guy LE FUR : Des confusions s'installent, s'agissant du principe de précaution. Il faut distinguer le principe de prévention du principe de précaution. Le principe de prévention, intervient lorsque le risque est avéré alors que le principe de précaution doit être mis en place, lorsque pèsent des incertitudes, ce qui est le cas des O.G.M. au plan de l'évaluation de la santé des personnes. Les O.G.M. utilisés aujourd'hui sont résistants à la pyrale, à des insecticides, et créent donc leur propre insecticide. Ils ont une tolérance à un herbicide total et contiennent un gène de résistance à un antibiotique. Théoriquement, sur ce point, prévalait un accord pour refuser tout O.G.M. ayant une résistance à un antibiotique. En l'absence de toute évaluation sur des animaux, encore moins sur la santé humaine, il était absolument indispensable de mettre en place le principe de précaution. Dans notre pays, nous avons procédé à des études sur les vaches laitières. Dans le Maine-et-Loire, un troupeau de cinquante vaches a été divisé en deux, vingt-cinq étant élevées au maïs génétiquement modifié. L'expérience a été réalisée à partir d'animaux très jeunes, dans la mesure où ils se construisent, rendant les effets plus visibles. En outre, les analyses du lait, de la viande et des bouses n'ont pu être réalisées par manque de financement. Ils ont été stockés dans des congélateurs. On peut même se poser la question de savoir si on n'attend pas que les congélateurs tombent en panne ! Cela pour dire, qu'en l'absence d'évaluation, la mise en _uvre du principe de précaution doit demeurer dans la mesure, où il n'y a pas eu évaluation.

En ce qui concerne la " vache folle " ou les hormones, il s'agit davantage d'un principe de prévention, puisque des risques de transmission sont avérés. Parallèlement, on met en place le système " Terminator ", c'est-à-dire la stérilisation des graines. Monsanto, compte tenu de la " levée de boucliers " observée, a suspendu ses recherches. Si une telle méthode se mettait en place, vous imaginez ce que cela signifierait. L'ensemble de ce qu'il y a de vivant se construit à partir de la reproduction et, soudain, on décide de mettre en place un gène de stérilisation du vivant dont on ignore les implications, si ce n'est de créer un pouvoir supplémentaire et une situation de dépendance des personnes.

S'agissant des hormones, il faut comprendre - ce qui doit d'ailleurs être négocié au niveau international - qu'il ne faut pas obliger les consommateurs à ingérer des hormones, s'ils ne le souhaitent pas. Ce n'est pas pour autant, qu'il faut donner une prime à ceux qui veulent nous vendre de la viande aux hormones. La position doit être très claire.

Aujourd'hui, l'utilisation des antibiotiques est d'autant plus élevée que l'élevage est concentré. Les frais vétérinaires d'ailleurs augmentent avec la taille des ateliers. Ce n'est pas aussi clair que le laissait entendre Luc Guyau. Un problème est posé qu'il faut résoudre. Une moins forte concentration limite la levée des épidémies. Le taux de microbisme est moindre dans les élevages, d'où une meilleure santé et une utilisation moindre des antibiotiques tout comme des hormones. Il est dommage que cela n'ait pas été relevé par la Commission scientifique européenne. Les Canadiens ont démontré que les vaches laitières piquées aux hormones connaissaient une augmentation de leur production laitière de 20 %, ce qui pose problème dans un pays assujetti à des quotas. Il ressort également de l'étude que l'utilisation des hormones réduit la durée de vie des animaux de 20 à 25 % parallèlement à une utilisation plus forte d'antibiotiques du fait de la dégradation des tissus, mammaires notamment. La Commission de Bruxelles aurait dû faire valoir le principe de précaution comme argument scientifique pour qu'une autre orientation soit prise.

Le droit des paysans à ressemer leurs graines est capital et nous nous battons pour cela. A ce titre, notre position rejoint celle que nous avons adoptée pour les brevets. Nous sommes hostiles aux brevets américains car, une fois les plants, les gènes ou des séquences d'A.D.N. brevetés, ceux-ci ne sont plus accessibles à la recherche et les paysans n'ont plus le droit de ressemer leurs graines. Nous voulons la généralisation des dérogations européennes. Les végétaux et les animaux ne sont plus brevetables et le droit de ressemer les graines est garanti. C'est un élément important pour nous et pour l'ensemble des pays.

Le dernier point est celui de l'indépendance des agriculteurs, également vis-à-vis des semenciers. En France, les semenciers ont été achetés intégralement par des firmes agro-chimiques à des prix défiant toute concurrence; pour certains, cela représenterait sept fois leur chiffre d'affaires. Si bien que le potentiel de sélection est accaparé par des personnes qui ont de l'argent.

J'en viens à la recherche. Luc Guyau n'a pu manquer de critiquer la Confédération paysanne à propos de la destruction d'un certain nombre d'essais.

Nous réclamons une recherche indépendante au niveau de l'ensemble du dispositif d'évaluation. Une recherche indépendante signifie un service public fort et, comme pour les médicaments, peut-être tous les experts amenés à donner leur avis dans le cadre des évaluations doivent-ils dire s'ils sont dépendants de telle station ou de telle firme agro-chimique ou s'ils ont des contrats avec eux, de telle sorte que tout soit transparent et que l'on comprenne leurs positions. D'autres experts doivent pouvoir apporter un point de vue contradictoire.

La Confédération paysanne considère qu'il est indispensable aujourd'hui que la société civile et les forces vives de la nation puissent être partie prenante dans l'orientation de la recherche.

Nous refusons le secret et l'absence de transparence autour des recherches. C'est flagrant pour les O.G.M. Chaque année, sept cents essais sont réalisés en France. Certains ne sont pas contrôlés ou très peu. Les chercheurs vont sur un point, restent trois mois, laissant derrière eux presque la moitié de la récolte, puisque, pour une part d'entre eux, ils coupent avant la récolte. Les racines correspondent à peu près au volume de ce qui est coupé et qui reste dans le sol, sans que l'on puisse apprécier le fonctionnement à l'intérieur des sols, des conséquences de ces modifications génétiques des plantes sur la vie microbienne du sol. Aujourd'hui, dans un gramme de terre, il y a environ un milliard d'êtres vivants. Or, nous n'en connaissons même pas 10 %. Le fait de généraliser des essais partout en France sans avoir véritablement un suivi et une biovigilance, qui ne s'applique qu'après autorisation de culture est critiquable ; nous pensons qu'il faut revoir les règles qui ont présidé aux différents essais et que nous entrions dans la logique de la transparence. Aujourd'hui, des D.D.A. ont refusé de communiquer les emplacements de parcelles. En revanche, des protocoles d'accord ont été conclus entre différentes parties, qui ont pu aboutir, car on savait où on allait et à quoi cela pouvait servir.

M. François LUCAS : Il est nécessaire de bien distinguer entre les deux niveaux de risques. On pense aujourd'hui essentiellement aux risques alimentaires, mais le consommateur est également attentif aux risques environnementaux, lesquels, en général, ne sont pas pris en compte, parce que le domaine est très nouveau et que l'on n'a pas pris l'habitude d'expertiser les risques, des produits végétaux pour le consommateur et sa consommation. J'évoquais la suppression des barrières entre les espèces. De là, vous imaginez jusqu'où peut aller le risque environnemental ; or nous estimons qu'en général, il n'est pas pris en compte.

Au sujet des semences fermières, il convient d'être cohérent, dès lors que l'on aborde le financement de la recherche. J'ai parlé de l'utilisation libre et gratuite des semences fermières. Nous sommes donc opposés au principe de la taxe. En effet, si la recherche profite aux producteurs, il leur revient de la financer. Avant que quelques grosses firmes ne s'approprient les petites maisons familiales qui procédaient à des sélections depuis le début du siècle, la recherche de ces maisons familiales était financée par leur capacité à trouver des variétés qui apportaient un élément intéressant aux producteurs, qui abandonnaient momentanément leurs semences fermières pour acheter une semence certifiée d'une nouvelle variété intéressante. Originaire du nord, je connais bien les familles qui produisaient et sélectionnaient. Elles estimaient qu'il suffisait de trouver une bonne variété tous les dix ans pour financer leur entreprise et assurer la recherche. Le progrès est indispensable. A qui profite-t-il ? Je répondrai en tant qu'agriculteur. Le bénéfice que me procure un hectare de blé à 70 quintaux est beaucoup moins important qu'un hectare de blé à 40 quintaux, lorsque j'ai commencé dans la profession. La recherche profite essentiellement au consommateur. Nous avons relevé la distorsion entre la matière première et le produit fini. Lorsque j'ai commencé dans la profession, on échangeait au boulanger 80 kg de pain contre 100 kg de blé.

Si la recherche est indispensable, parce qu'elle profite à la collectivité, il lui appartient de la financer, ce qui lui permettra d'avoir un droit de regard et d'orienter la recherche. À ce titre, je rejoins M. Chappert lorsqu'il s'inquiète du génoplan et de la privatisation de la recherche.

Selon nous, le fonds de communication sur l'alimentation relève de l'Education nationale. Il convient d'actualiser les informations. La majorité des jeunes ont perdu le contact avec la nature comme avec l'agriculture. C'est un problème d'éducation au sens large et le problème n'a pas à être traité par les professionnels, à l'avenir de moins en moins nombreux, mais par l'Education nationale, la question devant être prise en compte dans les programmes scolaires.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

La transparence et la sécurité, objets de nos préoccupations, traversent l'ensemble de la chaîne alimentaire et suscitent la diversité des points de vue sur l'agriculture.

Au-delà des questions sur lesquelles les scientifiques doivent poursuivre les recherches, il est à craindre que, par le biais des O.G.M., une réunion de pays ou quelques grands groupes détiennent la maîtrise, le pouvoir sur les semences, ce que nous avons appelé " l'arme alimentaire ", ce qui n'a d'ailleurs pas été démenti. Il nous a été précisé que le danger s'estomperait, si la concurrence était maintenue. Il me semble toutefois bien réel; je l'ai ainsi ressenti à travers les arguments développés par les uns et les autres. Je vous remercie de votre participation.

Le Forum avec les Fédérations nationales de producteurs

Avec la participation de :
MM. Henri de BENOIST, Président de l'association nationale des producteurs de blé et autres céréales ;
Jacques LEMAITRE, Président de la fédération nationale porcine ;
Jean-Michel LEMETAYER, Président de la fédération nationale des producteurs de lait ;
Bernard MARTIN, Président de la fédération nationale ovine ;
Pierre PAGESSE, Secrétaire général de l'association générale des producteurs de maïs ;
Jacques RISSE, Président de la fédération des industries avicoles ;
Marcel SAINT-CRICQ, Président de la fédération nationale des palmipèdes à foie gras ;
Denis SIBILLE, Vice-président de la fédération nationale bovine ;
Eugène SCHAEFFER, Président de la confédération française de l'aviculture, Vice-président de la F.N.S.E.A.
(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 24 novembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
M. Henri de BENOIST, Président de l'Association générale des producteurs de blé et autres céréales, M. Jacques LEMAITRE, Président de la Fédération nationale porcine, M. Bernard MARTIN, Président de la Fédération nationale ovine, M. Pierre PAGESSE, Secrétaire général de l'Association générale des producteurs de maïs, M. Jacques RISSE, Président de la Fédération des industries avicoles, M. Marcel SAINT-CRICQ, Président de la Fédération nationale des producteurs de palmipèdes à foie gras, M. Denis SIBILLE, Vice-président de la Fédération nationale bovine, M. Eugène SCHAEFFER, Président de la confédération française de l'aviculture, Vice-président de la F.N.S.E.A, sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les intéressés prêtent serment.
(M. Jean-Michel LEMETAYER, Président de la Fédération nationale des producteurs de lait est introduit en cours de séance et prête serment au moment de sa prise de parole)
M. le Président : Messieurs les Présidents, mes chers collègues.
Je vais demander à chacun d'entre vous de présenter par un court exposé introductif les caractéristiques majeures de sa fédération et de la filière qui y correspond, ainsi que la perception globale que sa fédération peut avoir des problèmes soumis à notre Commission.
Cette présentation a donné lieu à un tirage au sort. Conformément à ce tirage, je donnerai successivement la parole à MM. Denis Sibille,  Henri de Benoist, Jacques Risse, Bernard Martin, Marcel Saint-Cricq, Jacques Lemaitre, Pierre Pagesse, Jean-Michel Lemetayer s'il est parmi nous à ce moment là, puis Eugène Schaeffer.
En conséquence, la parole à M. Denis Sibille.
M. Denis SIBILLE, Secrétaire général de la fédération nationale bovine :
Je vous remercie Monsieur le Président.
La Fédération nationale bovine considère en préalable qu'en matière de sécurité alimentaire le risque zéro n'existe pas même si on peut estimer que la France a atteint un niveau très élevé dans ce domaine et que ce niveau est envié par de nombreux pays. Le consommateur attache, en effet, de plus en plus d'attention à ce qu'il consomme. Ses exigences vont même au-delà de la stricte sécurité alimentaire et concerne aussi les conditions de production et le bien-être des animaux.
Nous pensons que quatre niveaux doivent être considérés :
1°) celui de l'expertise du risque qui doit se fonder sur une analyse scientifique indépendante,
2°) celui de la gestion du risque qui relève, pour sa part, des responsables politiques guidés par le principe de précaution,
3°) celui de la réduction du risque qui se traduit par la qualité des produits et qui s'obtient par le professionnalisme de tous les opérateurs,
4°) celui la traçabilité du produit au travers de tous les actes qui concourent à la production.
Le contrôle, quant à lui doit être assuré par les services de l'Etat conformément à leur vocation régalienne.
Pour sa part, la filière bovine est confrontée à peu près à tous les problèmes. Nous avons été frappés de plein fouet par la crise de l'E.S.B. Il en résulte que les farines de viande sont exclues de l'alimentation des ruminants depuis 1990. Mais quand on parle des O.G.M., nous sommes évidemment concernés. Lorsqu'on parle d'anabolisants, nous le sommes encore. Quand on parle de dioxine, nous le sommes toujours. Quand on parle de salmonelles, nous le sommes, de même que pour les antibiotiques, les résidus dans les produits carnés ou les boues d'épandage.
De fait, l'éleveur est souvent l'otage de problèmes de société que celle-ci ne tranche pas mais dont elle lui fait porter la responsabilité. Or l'éleveur n'est pas un chimiste, il ne maîtrise pas tous les éléments de la filière, en particulier l'étiquetage des aliments du bétail où il y a sûrement des améliorations précises à apporter. La traçabilité, qui est une donnée nouvelle depuis quelques années, constitue dans le domaine de la viande, une exigence difficile. C'est la raison pour laquelle elle n'a pas été réalisée avant la crise de l'E.S.B. Il faut rappeler qu'une carcasse de 400 kilos représente, au niveau des consommateurs, environ 1 500 portions. L'enjeu de la traçabilité est d'expliquer que l'entrecôte que le consommateur a dans son assiette vient de tel animal qui provient de tel élevage et qui a suivi telle méthode de production.
Une fois résolu le problème de la traçabilité, qui est l'exercice le plus difficile, on peut facilement procéder à l'étiquetage. Dans ce domaine l'avancée de la France est incontestable mais, pour l'instant, nous avons beaucoup de mal à être suivis au niveau communautaire. C'est ainsi que la Commission vient de reporter les deux dates d'étiquetage qui sont aujourd'hui obligatoires : en 2001 pour ce qui concerne la mention de l'endroit où l'animal est abattu, et en 2003 pour ce qui concerne la mention, comme on le fait en France, de l'endroit où l'animal est né puis élevé. Il y a un autre domaine où l'étiquetage a du mal à s'instaurer : c'est celui de la restauration hors domicile. L'interprofession y travaille et vient de signer un accord interprofessionnel qui est une première étape dans la transparence en ce domaine. Il y a enfin les signes de qualité. En effet, à côté de la sécurité alimentaire, le consommateur est intéressé par des informations sur les méthodes d'élevage. C'est tout le travail que font les éleveurs depuis quelques années avec l'ensemble de la filière pour segmenter cette production ce qui n'est pas sans amener un grand " chambardement " dans les campagnes.
La préoccupation de la Fédération nationale bovine est que l'harmonisation communautaire aille plus vite et plus loin. Actuellement, nous connaissons une réussite puisque l'identification bovine a été généralisée en Europe à compter du 1er janvier 1998 mais il nous faut poursuivre car l'harmonisation reste insuffisante. Nous avons une autre préoccupation ; c'est qu'à l'occasion des négociations de l'O.M.C. les exigences des consommateurs européens et les conséquences qu'elles induisent au niveau de la production soient reconnues dans les négociations mondiales de façon que nos producteurs vivent dignement de leur métier.
M. Henri de BENOIST, Président de l'Association générale des producteurs de blé et autres céréales :
Quelle est notre perception globale des problèmes que vous étudiez ? Je voudrais dire tout d'abord que la thématique de la sécurité alimentaire est au c_ur des préoccupations du grand public mais aussi de tous les professionnels de l'agro-alimentaire dans la mesure où un seul incident peut remettre en cause la crédibilité de toute une filière. Cependant, le principe de précaution qui s'impose de manière prioritaire en matière de sécurité alimentaire n'est pas une règle d'abstention, comme on veut parfois la présenter. La notion de risque zéro comme norme générale n'a pas de sens dans les domaines où la preuve scientifique ne cesse de s'élaborer au cours du temps et doit continuellement être réactualisée.
La filière céréalière a donc choisi d'évaluer ses pratiques et de s'organiser pour assurer le suivi tant des innovations que des risques nouveaux qui pourraient affecter ses produits. Le travail effectué actuellement sur des guides de production raisonnée va dans ce sens et entend présenter la production céréalière dans ses composantes économiques, environnementales, et sanitaires. Elle préfigure une avancée forte vers la traçabilité totale des produits dans toute notre filière. La mise en place de procédures techniques plus transparentes contribue à restaurer la confiance des consommateurs, mais elle ne suffira pas si les consommateurs ne sont pas associés à la résolution des problèmes qui les concernent aussi comme citoyens. La conférence des citoyens sur les O.G.M. a amorcé le mouvement.
Un autre sujet, celui des boues de stations d'épuration, devrait être également abordé dans ce type d'enceinte. Il pourrait amener les citoyens à abandonner leur attitude négative en les faisant contribuer à la solution d'un problème qui est un véritable problème de société. La prise en charge de l'épandage des boues de stations d'épuration par les agriculteurs doit être faite d'un commun accord avec la société tout entière et sous sa garantie. C'est à cette condition que l'on pourra passer de la notion de risque acceptable déterminé par les experts à la notion de risque accepté par la population.
Je dirai quelques mots sur les grands points que vous soulevez : génie génétique, alimentation et bien-être des animaux, contamination biologique, traçabilité et distorsions de concurrence dues à des normes différentes.
Sur le génie génétique, les résistances actuelles, voire le refus des consommateurs ne doivent en aucun cas ralentir nos nécessaires efforts de recherche car il faut les poursuivre, voire les développer. Il faut encourager les décideurs à partager et à faire partager le fait que le risque nul n'existe pas et les méthodologies retenues pour évaluer les différents choix technologiques doivent être empreintes d'impartialité. A titre d'illustration, je voudrais dire qu'il est tout à fait légitime que les risques environnementaux associés au développement du génie génétique fassent l'objet de travaux très approfondis. Mais on peut se demander aussi pour quelles raisons, par exemple, les conséquences du recours à certaines méthodes de lutte biologique commencent à peine à prendre en compte les risques environnementaux. Or un certain nombre de scientifiques se posent la question des risques induits par la lutte biologique.
L'alimentation et le bien-être des animaux ! Mes collègues sont mieux à même que moi d'en parler mais je voudrais néanmoins donner un exemple concernant ce problème. Si un client interdit que les bovins qu'il achète soient nourris avec du corn utenfield provenant de maïs génétiquement modifié, pourquoi ne se demande-t-il jamais quelle est la nature du tourteau de soja que l'on emploie pour nourrir les mêmes animaux ? Il y a un vrai problème. On sait très bien que la dépendance de l'Europe face aux importations de produits protéinés végétaux est fondamentale.
S'agissant de la contamination biologique, chimique, et physique, je dirai que l'on ne trouve dans une analyse que ce que l'on cherche. Je pense par exemple aux boues de stations d'épuration. On ne trouve dans les analyses chimiques que ce que l'on cherche - n'importe quel chimiste vous le dira - et on ne peut pas trouver ce qu'on ne cherche pas dès lors qu'on ne le connaît pas. Il est clair que si l'agent de l'E.S.B. avait été connu, on l'aurait trouvé à l'occasion des analyses que l'on a pu pratiquer avant l'apparition de l'épidémie de la vache folle. Encore une fois, un chimiste et un biologiste vous le diront, on ne peut trouver dans une analyse que ce que l'on cherche, et pour le chercher, il faut le connaître. Il y a un risque que chacun doit comprendre et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous pensons que ce problème des boues de stations d'épuration doit donner lieu à un vrai débat de société. J'ajoute que dans ce domaine, il ne nous semble pas très admissible que seuls les médias aient le monopole de l'évaluation de l'ampleur des différents risques. En conséquence, il nous semble très urgent que les Etats de l'Union européenne, voire la Commission, mettent en place des commissions chargées d'identifier ces différents risques, et d'en faire une évaluation tant sur le plan économique, social que sociétal.
Il nous semble aussi qu'il faut encourager régulièrement les différentes institutions à reconsidérer de façon approfondie les réglementations en vigueur en s'appuyant sur les connaissances scientifiques les plus récentes. Par exemple, la directive nitrates coûte très cher aux acteurs économiques et à la collectivité en général. Or elle a été établie sur des analyses et des travaux qui ont aujourd'hui plus de cinquante ans d'âge. Pouvons-nous dire quels sont les responsables qui sont capables de dire combien il y a eu en Europe de mortalité ou même d'intoxications consécutives à des problèmes de nitrates au cours des vingt dernières années ? Je pose la question. Je n'y réponds pas. Je dis simplement que les méthodes et les travaux scientifiques sur lesquels se base cette directive ont plus de cinquante ans et qu'il serait peut-être intéressant de se poser la question de leur pertinence.
S'agissant de la traçabilité, il est indéniable que les consommateurs, qui sont aussi des citoyens, exigent de plus en plus de transparence et qu'il faut prendre en compte cette exigence. Le principe de traçabilité est une bonne chose, mais dans les faits, il se traduira par des coûts supplémentaires très significatifs du fait des nouvelles procédures qu'il induit, de ses conséquences administratives et de la logistique qu'il suppose. J'ai eu l'occasion de rencontrer, hier, un Américain, le Président d'A.D.M. qui connaît bien ces problèmes et qui estime qu'une traçabilité complète devrait doubler le prix de revient d'un produit. C'est l'analyse d'une société américaine, certes, mais il faut savoir que la traçabilité a un coût. Au surplus si sa nécessité n'est pas reconnue par le consommateur, elle peut entraîner de fortes distorsions de concurrence, sauf si elle est admise comme un élément de valeur ajoutée supplémentaire. En tout cas, pour le législateur, elle peut le conduire à prendre des décisions apparemment marginales et sans importance, alors que dans les faits, elle peut fortement modifier les règles du jeu économique. Par exemple, dans le domaine du maïs, on n'est pas en mesure de tendre à l'inexistence totale d'O.G.M. On a fixé un seuil de 1 %. Sans doute dans les plaines américaines où les fermes s'étendent sur 5 000 hectares, on peut probablement assez facilement isoler des lots de plusieurs kilomètres sans O.G.M. Mais imaginez nos parcelles européennes ! Pensez-vous qu'on puisse isoler et garantir un seuil de 1 % aussi facilement que certaines grandes sociétés américaines ? C'est aussi un vrai problème.
Enfin, sur les distorsions de concurrence, l'adoption de normes moins contraignantes par certains de nos partenaires commerciaux peut entraîner incontestablement des distorsions. L'homogénéisation de la réglementation internationale est un enjeu très important pour le XXIe siècle. Or la France est mal préparée à ces négociations parce que la place qu'y occupent ses fonctionnaires ou ses chercheurs, dans les instances de négociations internationales, est dramatiquement faible. Je pense notamment au Codex alimentarius. Beaucoup de chercheurs français ne me démentiront pas. Même s'ils font un excellent travail, ils sont très peu nombreux. Il convient donc, si nous le pouvons, de corriger cette situation dans les délais qui me semblent devoir être les plus brefs.
M. Jacques RISSE, Président de la Fédération des industries avicoles :
La filière volaille est d'autant plus sensible au problème dont vous discutez que nous venons de traverser des moments très difficiles avec l'affaire de la Dioxine qui a été suivie de très près par celle des boues de stations d'épuration. Nous pensions avoir été très vigilants jusque-là et nous nous sommes rendu compte que, même lorsque nous étions très vigilants, il suffisait d'un accident ou d'une fraude, comme celle qui s'est produite cet été -alors que cette fraude n'a présenté aucune conséquence quant à la sécurité de la filière - pour que nous soyons victimes d'incidents économiques graves.
S'agissant de l'alimentation des animaux et des farines animales dont on a beaucoup parlé, il faut savoir que la filière avicole utilise 80 % des farines animales vendues en France et que cela se justifie parfaitement aux plans économique et technique. Au plan économique, pourquoi ? Parce qu'en 1973, il y a eu un embargo sur le soja. A cette époque, nous avons eu toutes les peines du monde pour produire de la volaille. Qu'est-ce que les autorités françaises et européennes ont alors dit ? Qu'il fallait impérativement que l'Europe, et la France en particulier, mobilise toutes ses ressources protéiques et utilise notamment les farines de viande. On les a très fortement encouragées à cette époque et je crois que l'on a eu raison. Or aujourd'hui, nous pensons que le problème se pose un peu dans les mêmes termes, en ce que cela permet de réduire les importations de soja qui sont déjà très importantes. Au plan technique, l'utilisation des farines de viande se justifie parce que c'est une matière première d'excellente qualité qui apporte des protéines et des sels minéraux de grande qualité. Nous souhaitons donc pouvoir continuer à les utiliser, mais sous trois conditions. Premièrement, qu'elles soient fabriquées selon les normes européennes. Deuxièmement, qu'il y ait utilisation de matières premières sélectionnées ; les précautions que la France a prises à ce sujet nous semblant tout à fait remarquables grâce à l'élimination des cadavres et des saisies, ce que ne font pas les autres pays européens. Troisièmement, et c'est une demande instante de notre part, nous souhaitons que ces farines et leurs établissements de fabrication soient contrôlés par les services publics, contrôle qui nous offrirait une garantie et nous permettrait de rassurer les consommateurs français et européens de façon convenable.
S'est-on demandé d'ailleurs ce qu'on allait faire de ces farines si on ne les utilisait plus dans l'alimentation des animaux ? Allons-nous les détruire, les incinérer ? Cela représentera un coût considérable qui s'élèvera à plusieurs milliards de francs tout en nous plaçant de plus dans des conditions très défavorables par rapport à nos concurrents européens qui, eux, ne procéderont pas à cette destruction et disposeront d'une alimentation à des coûts nettement moins élevés.
Je vais faire une comparaison. Lorsque les Anglais ont décidé d'adopter des normes sur le bien-être des animaux, notamment pour l'élevage de leurs porcs, que s'est-il passé ? Leurs élevages de porcs se sont effondrés de façon spectaculaire et, aujourd'hui, ils consomment du porc mais qui leur vient de Hollande, du Danemark ou d'Allemagne. Ils consomment donc des porcs élevés dans les mêmes conditions qu'auparavant mais qui sont importés !
De même, la question des O.G.M. nous est posée de façon constante, notamment par les distributeurs. En ce qui nous concerne, nous estimons que c'est une question qui nous passe " au-dessus de la tête " car ce n'est ni nous-mêmes, ni la France qui pouvons faire grand-chose à nous seuls: il faut des accords internationaux. M. de Benoist vous a parlé du soja. Aujourd'hui, dans le monde, le modèle d'alimentation des volailles est fondé sur les céréales et le soja. Or il y a deux fournisseurs de soja : les Etats-Unis et le Brésil. S'ils nous vendent du soja génétiquement modifié, que faisons-nous ? Est-ce que nous arrêtons la production de volailles en Europe ? Et si, simultanément, on nous dit que nous ne devons plus utiliser les farines de viande, que faisons-nous ? On en arrive à des situations ubuesques ! Nous n'avons pas d'attachement ou de répulsion particuliers contre les O.G.M. mais qu'on nous propose des solutions économiquement équivalentes.
Je voudrais ajouter quelques mots sur tous les contaminants possibles dont peuvent être l'objet les produits animaux. Il y a les antibiotiques dont on parle très souvent. Aujourd'hui, il reste deux antibiotiques autorisés et la filière réfléchit très soigneusement à ce qu'elle pourrait faire au cas où il y adviendrait une totale suppression. Ce n'est pas un problème qui nous paraît très fondamental. On doit pouvoir trouver des solutions de rechange acceptables. Au stade de la transformation, où l'obtention de produits d'une qualité sanitaire convenable constitue un problème plus complexe, la filière s'en est préoccupée depuis plusieurs années. Elle a commencé par mettre en place des contrats de progrès qui concernent l'ensemble de la filière " Dinde " en s'intéressant à tous les maillons, les uns après les autres et c'est ainsi que nous avons mis en pratique, dès 1993 ou 1994, des codes des bonnes pratiques d'hygiène qui s'imposent, en tout cas que nous conseillons vivement à nos professionnels de respecter. Puis, quand il s'est agi de la méthode d'H.A.C.P.P., nous avons établi des guides d'application afin de ne pas laisser les producteurs aller à l'aventure.
Quant au bien-être des animaux, si j'ai une observation à formuler, je dirai : surtout, pas d'anthropomorphisme ! Or, c'est ce que l'on fait de la façon la plus courante. Mais l'anthropomorphisme va parfois à l'encontre de l'intérêt des animaux. Ce n'est pas toujours facile à faire comprendre. Je vais citer un exemple qui nous concerne très directement. On entend dire en permanence que nos conditions d'élevage ne sont pas bonnes parce que nos poulets sont les uns sur les autres. Est-ce que quelqu'un a vu un poulet se promener seul au milieu d'un pré ? Non, cela n'existe pas. Les poulets ont la hantise d'être seuls. Ce sont des animaux qui ont besoin de vivre en groupe et d'être plutôt serrés les uns contre les autres pour être à l'aise. Sinon, ils sont pris d'un véritable sentiment de panique. Doit-on adopter des normes qui finalement nous conduiront à l'inverse de ce qui peut être favorable aux animaux ? Je vous cite ce simple exemple, mais je pourrais vous en citer des dizaines d'autres. Nous sommes parfaitement d'accord pour dire que l'on doit respecter un certain nombre de normes de bien-être. Mais nous demandons que ces normes soient basées sur des constatations scientifiques et non pas seulement sur de bons sentiments. Les hommes ont un certain nombre de sentiments, de codes de bonne conduite et d'usages qui ne sont pas ceux des animaux.
M. Bernard MARTIN, Président de la Fédération nationale ovine :
Madame, Messieurs, en quelques mots, je voudrais vous dire ce que représente la filière ovine au niveau national. Tout d'abord, cette production est essentiellement basée au sud de la Loire et concerne des territoires difficiles. Elle couvre à peine 40 % de la consommation française. Ses effectifs sont composés essentiellement de brebis allaitantes et, pour 20 %, de brebis laitières qui contribuent notamment à la production du Roquefort qui est un fromage au lait cru : par rapport à nos collègues européens et à nos concurrents des Etats-Unis, c'est un premier problème que je souhaite signaler.
Pour ce qui concerne la viande, la filière a développé, depuis 1995 et grâce au soutien public à partir de 1996, une grande politique visant à démarquer la production française afin d'obtenir un différentiel de prix. Elle a eu recours à deux signes - " agneaux des bergers de France " et " agneaux français de qualité bouchère " - mais la Communauté nous a rapidement condamnés à supprimer le terme " français " puisque nul n'a le droit de faire une politique de communication en utilisant le nom d'un pays dès lors qu'il a recours à de l'argent public, voire à de l'argent interprofessionnel puisque celui-ci est considéré comme de l'argent public. C'est un premier élément que nous avons fortement contesté.
Je vous citerai un autre exemple qui fait que la production ovine française est chaque fois mise en demeure de se plier à des réglementations communautaires qui ont tendance à l'affaiblir. L'année dernière, nous avons demandé l'étiquetage de la viande ovine française, c'est-à-dire l'étiquetage de tout animal né, élevé, et abattu en France. Nous souhaitions répondre à la demande des consommateurs et de la Commission nationale de la consommation en ayant recours à un étiquetage uniquement français, puisque les autres pays ne souhaitaient pas que l'on ait recours à des sigles tels que " UK " ou " CE " pour des raisons commerciales et pour éviter un affrontement avec les Britanniques. Là aussi, la Communauté a rejeté notre demande sous prétexte que l'on créait des distorsions de concurrence.
La production ovine a l'avantage de bénéficier d'un rapport récent rédigé par M. le député Launay, rapport qui a été remis au ministre début novembre et où tous ces éléments sont repris. On remarquera que l'alimentation des ovins est essentiellement basée sur des produits végétaux y compris pour les aliments composés conformément aux cahiers des charges qui lient la profession. Quant aux contraintes nées de l'O.M.C., depuis 1980, date du règlement communautaire ovin, nous avons déjà " donné " et il n'est pas question d'accepter d'autres contingents supplémentaires venant de pays tiers.
S'agissant de la consommation nationale, notre objectif est d'accentuer la segmentation du marché par une démarche fondée sur des signes officiels. La loi d'orientation est très claire à cet égard et nous ne demandons qu'à l'appliquer. Toutes les actions que nous menons sont conformes à cette démarche. Qui plus est, toutes les enquêtes officielles réalisées auprès des consommateurs concourent à confirmer l'image positive de la production ovine française. Mais cela représente un coût et c'est ce qui freine un peu les éleveurs. Aujourd'hui, le coût d'une certification et des contrôles se situe aux alentours de 10 % du prix du kilo. C'est cependant une démarche dont nous sommes convaincus qu'il faut accentuer.
Dernier élément concernant les aspects sanitaires : vous n'êtes pas sans savoir que la production ovine connaît une maladie qui s'appelle la tremblante et qui a plus de 200 ans. Depuis l'apparition de l'E.S.B, des travaux de recherche essentiellement conduits par le C.N.E.V.A. de Lyon, coordonnés par la D.G.A.L., visent à étudier s'il y a une liaison entre l'agent infectieux de l'E.S.B. et la tremblante. Nous n'avons pas connaissance d'éléments nouveaux à ce jour mais nous sommes attentifs à ce problème. Je rappellerai simplement que ces craintes ont essentiellement été formulées par des chercheurs écossais et que nous, les éleveurs, nous avons peut-être eu trop vite tendance à dire : " à l'affrontement commercial, voilà qu'on nous ajoute un affrontement sanitaire ".
M. Marcel SAINT-CRICQ, Président de la Fédération nationale des palmipèdes à foie gras :
Monsieur le Président, j'apporterai quelques éléments d'information sur la production du foie gras, puis quelques réflexions par rapport aux thèmes du dossier.
Le marché du foie gras est essentiellement français puisque nous consommons 90 % de la production mondiale et la France détient le quasi-monopole au niveau de la production. Ce marché est très dynamique avec un taux de croissance de l'ordre de 10 % par an depuis dix ans. Ce dynamisme a profité essentiellement à la production française puisque les importations qui représentaient, il y a 10 ans, 45 % de la consommation française, ne représentent plus aujourd'hui que 18 %. C'est donc la production française qui a profité de ce dynamisme.
En France, le foie gras provient pour 96 % du canard, et pour 4 % de l'oie mais l'oie domine au niveau de l'import. Les régions qui ont bénéficié de cette augmentation de production sont celles de l'Ouest, la Bretagne notamment, puisque cette production qui était marginale il y a dix ans représente aujourd'hui 21 % de la production française, le Sud-ouest représentant encore 74 % des tonnages produits.
J'en viens à quelques caractéristiques techniques. Il y a deux phases dans la production du foie gras et d'abord la phase de l'élevage qui se passe essentiellement à l'extérieur. On " démarre " les animaux dans des bâtiments très confortables puis, à l'âge de cinq semaines, on les met sur des parcours extérieurs. C'est un élevage de type label. Les canards sont des hybrides entre le Barbarie et le Pékin c'est à dire des animaux très rustiques et très performants qui font d'excellents produits. A l'issue de l'élevage, il y a la phase du gavage qui a lieu entre onze et quatorze semaines et se fait avec du maïs : dix kilos environ de maïs sont distribués en quinze jours. Pour l'oie, la technique est la même mais le gavage est un peu plus long puisqu'il dure une vingtaine de jours.
Depuis ces dernières années, de très grands progrès ont été réalisés tant au niveau de l'expression et de la connaissance des besoins de l'animal qu'au niveau des conditions d'ambiance dans les bâtiments. Tous ces éléments ont permis de diminuer le temps de gavage. Il y a dix ans, on gavait pendant dix huit ou vingt jours ; aujourd'hui on produit la même quantité de foie gras en douze ou quinze jours de gavage, tout en préservant la qualité du produit.
La traçabilité se développe de façon importante puisque, pour les régions traditionnelles, notamment le Sud-ouest, un dossier dit " I.G.P. " pour " indication Géographique Protégée " est déposé à Bruxelles mais les entreprises n'ont pas attendu d'avoir cette protection pour mettre en place la traçabilité et utiliser un certain nombre de références géographiques. La moitié des canards produits dans le Sud-ouest, soit dix millions de canards, sont aujourd'hui sous " signe qualité " avec une certification de conformité. Dans le cahier des charges relatif au produit " I.G;P. Sud-ouest ", l'utilisation de farines de viande, de graisses animales et de maïs transgénique est exclue.
Au niveau des produits, il n'y a pas de problème particulier sur le plan microbiologique. La revue Que Choisir ? a publié, dans son numéro de décembre, des tests comparatifs portant sur vingt produits et retenant différents critères : au plan microbiologique, tous les produits étaient conformes aux normes.
La définition du foie gras fait l'objet d'un règlement européen depuis 1991 et nos problèmes proviennent essentiellement des attaques des associations de protection animale et des détracteurs du gavage qui, outre des manifestations médiatiques périodiques, essayent de faire passer leurs idées sur le plan réglementaire. Il faut savoir qu'au niveau du Conseil de l'Europe, une Convention sur la protection animale a été adoptée en 1978. Depuis, un certain nombre de recommandations relatives à chaque espèce animale sont adoptées régulièrement. Le 22 juillet 1999, celle concernant les oies et les canards a été adoptée par le Conseil de l'Europe. Même si nous avons réussi à faire adopter un certain nombre d'amendements, deux problèmes n'ont pas été résolus. On nous demande d'abord de rechercher des solutions alternatives qui n'impliquent pas la prise forcée d'aliments c'est à dire qu'il faudrait supprimer le gavage. S'y ajoute le problème de la contention : depuis une dizaine d'années, on a vu se développer des cages individuelles dans lesquelles on place l'animal pour le gaver pendant quinze jours. La recommandation tend à nous obliger à supprimer ces cages individuelles d'ici 2005 ce qui pose un problème pour l'éleveur dont la pénibilité du travail qui avait diminué serait ainsi rétablie. Bref, si une Directive devait aller dans le même sens, on risquerait de mettre en cause l'avenir de cette production.
Il convient d'évoquer aussi le problème de la canette. Le Comité interprofessionnel du foie gras avait établi une réglementation qui a été reprise par les pouvoirs publics visant à ne produire du foie gras de canard qu'avec des canards mâles qui donnent un produit de meilleure qualité. Nous avions souhaité que cette réglementation devienne une norme européenne. Le dossier est à l'instruction depuis trois ans et, malgré tous les efforts réalisés et les dossiers produits, la Commission européenne refuse de faire avancer cette extension au motif qu'il s'agirait d'une restriction de concurrence incompatible avec les règles de l'O.M.C. relatives aux viandes et aux volailles.
M. Jacques LEMAITRE, Président de la Fédération nationale porcine :
Je vais vous d'abord rappeler quelques chiffres pour situer notre production. L'Europe produit 200 millions de têtes de porcs et la France 25 millions. Un kilo de viande de porc exige trois kilos de céréales. 75 % de la viande de porc sont consommés sous forme de produits transformés. Les techniques de transformation ont bien sûr une importance sur la qualité du produit fini. Il est vrai que, pour nous, la traçabilité du produit ne se conçoit que s'il est suivi tout au long de la filière. C'est pour cette raison que nous avons mis en place, dans toutes les régions de France, et dans le grand Ouest en particulier, un programme d'identification du porc, appelé programme P.I.G. Tous les éleveurs - et 95 % des élevages aujourd'hui - sont conformes à ce programme. Notre cahier des charges est rigoureux à tout point de vue : méthodes d'élevage, exigences vétérinaire, alimentaire, etc.
Comme toutes les productions, les produits porcins subissent aujourd'hui une certaine suspicion de la part des consommateurs car l'alimentation des porcs pose les problèmes déjà cités par mes collègues. On retrouve ainsi le débat sur les protéines, les farines animales ou les boues d'épuration. Pour ce qui concerne l'alimentation des porcs, je me placerai à trois niveaux, technique, financier et concurrentiel.
Sur l'aspect technique, les porcs sont d'abord des omnivores et pour leur croissance, ils ont besoin de protéines et de compléments en acides aminés car ils ne peuvent synthétiser les protéines eux-mêmes. Les farines sont fabriquées avec des sous-produits de produits sains, même si mon collègue, Jacques Risse, a expliqué que le secteur avicole était aujourd'hui le principal consommateur de farines animales. Nous utilisons tous les produits issus des abattoirs, que ce soit les os, le sang ou les gras, produits qui sont de la même qualité sanitaire que ceux destinés à la consommation humaine ; la fabrication de nos farines et de nos granulés nécessitant des matières grasses qui en constituent le liant.
Concernant l'aspect financier, l'aliment représente 60 % du coût de production d'un kilo de porc. Vous voyez toute l'importance que revêt le coût de l'alimentation animale en termes de compétitivité. Le gain apporté ces dernières années par l'utilisation des sous-produits animaux, farines et graisses animales, est estimé entre trois et cinq centimes pour un kilo de farines dont le prix, aujourd'hui, se situe autour du franc soit 3 à 5 % ce qui peut paraître faible mais ce gain peut varier en fonction des cours des matières premières de substitution : le tourteau de soja ou les céréales. Ce qui pose problème surtout, en cas de suppression des farines animales, c'est le devenir des sous-produits d'abattoir car la rentabilité de l'équarrissage est en jeu, ainsi que son devenir. Qui le prendra en charge ? Je rappelle que nous sommes dans un espace commercial européen et j'en arrive donc aux aspects concurrentiels. La concurrence est très sévère sur le marché du porc et toute contrainte supplémentaire induira des distorsions très préjudiciables. Une harmonisation européenne minimum est indispensable pour défendre nos positions au sein de l'O.M.C. et cette harmonisation est indispensable au sein de l'Europe elle-même : interdire en France la consommation des farines animales alors que les autres pays, en particulier nos concurrents que sont l'Espagne et la Hollande, eux, continueraient à les utiliser nous mettrait dans une situation impossible tant notre compétitivité est à la marge.
En l'absence d'harmonisation, le contrôle des produits importés s'impose. Aujourd'hui, en France, il rentre des porcs d'Espagne pour la fabrication de certaines productions élaborées mais nous n'avons absolument pas connaissance de la façon dont ces animaux sont nourris. Si, en France, nous souhaitons un cahier des charges très précis qui permette l'identification des produits, la logique impose de signaler la présence de composants importés et cet exercice sera d'autant plus difficile que les porcs que nous consommons se présentent pour 75 % sous la forme de produits transformés.
La suppression des farines animales aurait comme principal effet un recours accru aux tourteaux de soja importés des pays tiers, ce qui poserait notamment le problème de l'utilisation des O.G.M. Je ne reviendrai pas sur l'explication de mes collègues qui représentent les producteurs de végétaux mais il est vrai que la substitution des protéines animales en protéines végétales accélérera ou accentuera la prédominance d'autres pays tels que les Etats-Unis ou le Brésil, fournisseurs de protéines végétales à base d'O.G.M.
Je voudrais enfin faire le point sur le bien-être animal. Concernant la réflexion européenne dans le secteur porcin, une circulaire est en cours de préparation concernant notamment les caillebotis, les gisoirs, le nombre de porcs au mètre carré, etc. Tout cela aujourd'hui se discute dans une atmosphère assez passionnée. Les défenseurs de la protection animale font tout pour que l'on revienne à une production de porcs qui se fasse pour l'essentiel en plein air. Je rappellerai simplement à la commission d'enquête qu'il y a en France, aujourd'hui, une production de porcs en plein air mais qui reste, malgré tout, assez marginale. Je précise pour éviter les confusions que si l'on voit quelques truies en plein air, c'est pour le naissage. L'engraissement de ces mêmes animaux nés en plein air est conduit dans des bâtiments aux normes, contrôlés, et dont le confort qu'ils apportent aux animaux n'est pas contestable. Nous devons faire face cependant à ce débat assez passionné même si nous faisons tout ce que nous pouvons pour bien faire comprendre que nos méthodes d'élevage évitent précisément à l'animal des conditions de vie parfois catastrophiques : je ne suis pas certain que passer tout un hiver dehors, par moins 10 ou moins 15 degrés, ou rester sous la pluie soient des conditions aussi agréables que cela pour les animaux.
En guise de conclusion, il faut que votre commission d'enquête se fixe trois axes de réflexion. Que l'on se prononce sur l'avenir des cadavres et des saisies ! Nous sommes farouchement d'accord pour que ces cadavres et ces saisies ne soient plus mis dans les farines animales. En revanche, s'agissant de la farine issue de produits sains, nous y voyons là au contraire un avenir, à condition que tous les contrôles et que les usines qui fabriquent ce type de produits soient soumis à un cahier des charges draconien quant à la traçabilité de leurs produits. Enfin, le troisième axe de réflexion devrait être la réglementation et l'harmonisation européennes. Il ne faudrait pas que la France constitue une exception qui, ensuite, lui enlèverait toute compétitivité.
M. Pierre PAGESSE, Vice-Président de la l'Association générale des producteurs de maïs :
Je voudrais dans un premier temps rappeler l'importance de la filière qui comporte trois niveaux principaux :
- d'abord l'Association Générale des Producteurs de Maïs - A.G.P.M. - qui regroupe l'ensemble des structures qui ont un lien direct avec les agriculteurs, que ce soit le maïs/semence, le maïs/grain, le maïs doux, ou le maïs/ensilage
- ensuite l'Association européenne des transformateurs de maïs doux avec l'Union des semouliers de maïs et la Chambre syndicale des amidonniers,
- enfin une interprofession qui porte sur l'amont et l'aval de la filière, le Centre d'information du maïs qui réunit les fédérations d'organismes stockeurs de céréales ainsi que les industriels de l'alimentation animale.
Je citerai quelques chiffres afin de souligner l'importance du secteur de semences en France. La France, en ce qui concerne les semences de maïs, est le deuxième producteur mondial. Elle est aussi le deuxième exportateur mondial grâce à 40 000 hectares de production. La production de maïs, en tant que telle, concerne 200 000 agriculteurs qui exploitent 3,2 millions d'hectares dont 1,6 million d'hectares sont destinés à l'ensilage c'est à dire à la nourriture des animaux, principalement des vaches laitières - dans une moindre mesure des animaux producteurs de viande et 1,8 million d'hectares sont destinés à la production de grains. La France exporte 50 % de sa production, soit dans les pays européens, soit dans les pays tiers, bien que l'Europe soit structurellement déficitaire en maïs grain. Cette production de maïs est essentiellement destinée à l'alimentation animale, aux semouleries et aux amidonneries. On peut ajouter qu'il se cultive en France 30 000 hectares de maïs doux, ce qui correspond à la totalité environ de la production européenne.
Il convient de préciser que la filière est tout à fait attentive à la sécurité alimentaire et qu'elle tient particulièrement à suivre l'évolution du besoin du consommateur et à y répondre de manière compétitive. Elle s'inquiète cependant d'un certain nombre de distorsions de concurrence qui sont imposées aux producteurs sans présenter, à notre avis, de bénéfices réels pour le consommateur. Je voudrais attirer à ce sujet l'attention des membres de la commission d'enquête sur huit points.
1°) En ce qui concerne les O.G.M., je crois que l'on peut dire, comme cela est mentionné dans la note établie sous le timbre de votre commission en date du 19 octobre, que la filière française a été particulièrement pénalisée par la crise des O.G.M., notamment du fait de l'absence d'un seuil de pureté officiel en France, comme d'ailleurs dans l'Union européenne, ce qui a conduit un certain nombre d'industriels à se détourner de l'utilisation du maïs alors que sur les 3,3 millions d'hectares cultivés on n'en compte que 80 de maïs génétiquement modifié.
2°) Je crois que l'on peut dire de la production française, en rapportant ces 80 hectares aux 3,3 millions d'hectares, qu'elle n'est pas génétiquement modifiée alors que, paradoxalement, dans l'alimentation animale - mais cet aspect a été évoqué par mes collègues - nous avons une dépendance protéinique de 80 % qui est comblée essentiellement par l'importation de soja qui se trouve lui-même génétiquement modifié à hauteur de 50 % selon les chiffres officiels publiés aux Etats-Unis.
3°) On pourrait ajouter les importations de Corn Gluten Feed, produit de substitution issu des drêches de maïs des usines américaines qui fabriquent de l'éthanol et de l'isoglucose. (30 % des surfaces de maïs utilisent des variétés O.G.M.).
4°) Je voudrais également déplorer un amalgame qui, de notre point de vue, est injustifié entre les problèmes liés à la santé publique qui peuvent découler de l'E.S.B., de la peste porcine, de la listériose, ou de la dioxine, et le débat relatif aux O.G.M. qui nous paraît être d'une nature totalement différente.
5°) En ce qui concerne la réglementation française applicable à ces plantes génétiquement modifiées, pas seulement au maïs d'ailleurs, mais plus largement au recours aux biotechnologies dans le domaine végétal, nous pensons que notre organisation est très rigoureuse. Nous estimons que toute autorisation de mise sur le marché - c'est à dire une A.M.M. - suppose une parfaite innocuité. Nous regrettons donc que la suspension d'un certain nombre de ces A.M.M., loin d'avoir élucidé le débat, ait même probablement rajouté à la confusion en alimentant une crise de l'expertise qui était déjà perceptible.
J'attire, en effet, votre attention sur la nécessité de restaurer la crédibilité de l'expertise scientifique et je vous incite à réfléchir à une méthode permettant d'y parvenir. En effet, toute décision politique qui consiste à ignorer l'expertise rajoute encore un discrédit aux recommandations des experts.
6°) Cette observation me conduit directement à évoquer le principe de précaution. Bien entendu, nous sommes d'accord avec ce dernier pourvu qu'il ne dégénère pas en principe d'abstention. On ne peut que rappeler, encore une fois, que la réglementation française est contraignante au point que, de temps en temps, elle donne le sentiment de sombrer dans un excès de précaution sans proportion, d'ailleurs, comme l'ont indiqué un certain nombre de mes collègues, avec le risque encouru. Nous considérons, nous aussi, que le risque zéro n'existe pas (naître ce n'est pas prendre le risque mais avoir la certitude de mourir un jour). Ce principe de précaution, je pourrais le définir de la façon suivante : ce n'est ni le droit de faire sans savoir, ni le droit d'interdire par ignorance. Cette définition pourrait ouvrir une piste propre à guider la réflexion sur ce principe.
L'A.G.P.M. se félicite, par ailleurs, que la Commission européenne ait fixé ces derniers jours un seuil en ce qui concerne la présence fortuite de graines modifiées et j'attirerai simplement votre attention sur le fait que ce seuil est apparemment fixé à 1% ce qui, de notre point de vue, correspond à un niveau beaucoup trop bas dans la mesure où il ne tient pas compte de la réalité des pratiques et des structures de production ; de la semence aux produits transformés, aucun produit n'est pur à cent pour cent. Par conséquent, l'A.G.P.M. serait favorable à ce que le seuil de pureté soit fixé - et sur ce point, nous étions d'ailleurs d'accord avec la D.G.A.L., dont une étude réalisée avec le concours des Filières recommandait un seuil - aux alentours de 3,5 %. Pourquoi ? D'une part parce que 5 % correspond au seuil de pureté de la production " bio ", d'autre part parce que, si nous désirons que le consommateur ait le choix d'une filière étiquetée, y compris pour les O.G.M., nous savons qu'avec un seuil de 1 % la faisabilité est quasiment impossible à des prix convenables. Nous avons réalisé, en interne, une étude sur l'augmentation des coûts dont il est ressorti qu'avec un seuil aux alentours de 3,5 %, le surcoût était de 10 % ; mais qu'avec un seuil de 1 %, il passait à 50 %. Nous savons, en outre, comme le disait le président de Benoist, qu'il faut faire très attention au sujet de la traçabilité. En effet, compte tenu de la taille des exploitations européennes comparée à celle des exploitations américaines, il faut bien veiller à ce que ladite traçabilité ne s'avère pas, finalement, plus facile à mettre en _uvre aux Etats-Unis que sur notre vieux continent.
Nous disons donc oui au seuil, oui à une fixation de ce seuil, tout en sachant que si ce seuil est pratiquement irréalisable tout au long de la filière, il ne permettra pas d'offrir un véritable choix aux consommateurs. Trente-cinq organisations réfléchissent actuellement à la question de la détermination d'une filière tracée. C'est un chercheur de l'I.N.R.A., M. Valceschini qui est chargé de rédiger le rapport mais les conclusions de cette étude ne seront, malheureusement, rendues qu'en fin d'année.
7°) Nous pensons, pour notre part, que le progrès génétique est important, qu'il sera tout à fait nécessaire pour répondre aux besoins, tant qualitatifs que quantitatifs, du siècle qui s'ouvre devant nous. La France qui, ainsi que je l'ai indiqué, est deuxième producteur et deuxième exportateur, en semences, ne doit pas se laisser distancer par ses grands concurrents internationaux et il nous paraît donc vital de continuer, voire d'accélérer, les recherches en biotechnologie végétale, notamment au niveau du maïs compte tenu de cette place de leader qu'occupe notre pays. Vous n'êtes pas sans savoir que les semences sont le premier maillon de la production agricole et qu'elles seront donc le vecteur de l'innovation de demain. Compte tenu de l'enjeu que représente la propriété intellectuelle puisque le brevet sur le vivant a été reconnu dans les accords de Marrakech d'une part, et d'autre part, de la concentration des opérateurs (conglomérats agro-chimico semenciers) qui s'observe sur la planète, tourner le dos à cette évolution pourrait aboutir à priver, non seulement les semenciers et les agriculteurs mais aussi l'ensemble de notre pays, de la valeur ajoutée dégagée aussi bien par notre agriculture que par tout le secteur de l'agro-alimentaire dont je vous rappelle simplement qu'avec l'agriculture, il représente 15 % du produit intérieur brut national.
8°) J'en terminerai avec une remarque sur l'O.M.C. Si on regarde les choses de près on constate, depuis les accords de Marrakech, que l'O.M.C. a établi les bases juridiques du commerce international avec ce que l'on appelle " l'organe du règlement des différends ". A cet égard, je recommanderai une certaine prudence parce que nous savons qu'il existe des accords S.P.S. qui définissent les règles à respecter dans le cadre de la sécurité sanitaire et alimentaire. Ces normes sont arrêtées par des offices internationaux qui, de facto, se trouvent détenir un pouvoir très important. Ces offices sont le Codex alimentarius, l'Office international sur l'épizootie des animaux et l'Office international sur la protection des végétaux. Ces offices édictent des normes, que tout le monde pouvait négliger avant les accords de Marrakech mais qui, aujourd'hui, sont devenues la règle internationale, respectée dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce du fait de cet organe du règlement des différends, ce qui signifie que, chaque fois que l'Europe s'en éloignera, elle pourra se trouver en situation d'accusée et être amenée à payer des contreparties, soit en versant des sommes d'argent, soit en faisant des concessions supplémentaires dans le cadre international.
Ma dernière recommandation sera donc pour dire que si l'Europe veut instaurer des normes encore plus drastiques que celles définies dans le cadre de ces offices, il nous faudra " investir " ces offices internationaux et travailler en leur sein pour faire élever l'ensemble des standards, faute de quoi, au niveau du commerce international, nous nous mettrions, une fois de plus, en position de faiblesse.
M. le Président : Monsieur Pagesse, je vous remercie.
La parole est maintenant à M. Michel Lemetayer à qui je demande de prêter serment puisqu'il nous a rejoint en cours de séance et n'a pu, en conséquence, y procéder avec ses collègues.
M. Jean-Michel Lemétayer prête serment.
M. Jean-Michel LEMETAYER Président de la Fédération nationale des producteurs de lait :
Je vous prie d'excuser mon arrivée tardive dont j'avais informé les responsables de ce forum il y a plusieurs jours. J'interviens après mon collègue de la F.N.B. qui a déjà parlé des bovins dont font partie les vaches laitières et je vais donc m'efforcer, bien que nous ne nous soyons pas concertés, d'éviter les redites en limitant mon propos à ce qui a plus spécifiquement trait à la production laitière et en vous rappelant ce que représente cette filière que certains, autour de cette table, connaissent bien même si elle a évolué depuis la mise en place des quotas laitiers.
Cette filière est encore le fait de plus de 140 000 exploitations pour une production d'à peine 23 millions de tonnes. La France n'est plus le premier, mais le deuxième producteur de l'Union européenne depuis la réunification de l'Allemagne. Il convient de situer cette production importante dans l'Union dont la production est estimée à 113 millions de tonnes, l'aspect vente directe n'étant pas toujours aisé à évaluer exactement. Je rappelle que l'Union, avec une telle production, est le premier bassin de production du monde - ce qui ne se dit pas assez - par rapport aux 460 millions de tonnes produites dans le monde.
La quasi-totalité de la production laitière est transformée. Le lait ne restant pas ou ne restant que peu en l'état, ce sont donc près de 420 entreprises de plus de dix salariés qui assurent la transformation de notre production nationale. A cette filière, correspond un chiffre d'affaires de 138 milliards de francs, ce qui prouve l'importance de cette activité qui représente environ 20 % du chiffre d'affaires des industries agro-alimentaires françaises. La transformation se répartit en trois grands secteurs : près de 4 millions de tonnes de lait de consommation ; 1,5 million de tonnes de fromage ; 1,2 million de tonnes de yaourt.
Si je mets l'accent sur cette segmentation du marché c'est pour bien montrer la complexité du maintien de la sécurité alimentaire et sanitaire tout au long de la filière et je dis, d'entrée de jeu, que ce n'est pas parce que l'on aurait assuré toute la sécurité au départ de la ferme qu'il faudrait considérer que tout est acquis puisque c'est tout au long du processus que cet aspect est à prendre en compte, depuis le producteur jusqu'au consommateur, en passant par la collecte du lait, la manière dont les risques sont gérés au niveau de l'entreprise sans parler de l'acheminement de certains produits et de leurs délais de conservation qui sont très variables : les fromages à pâte pressée cuite ont des délais de conservation de plusieurs mois tandis que les yaourts ont des délais plus courts qui attirent la vigilance du consommateur quant aux dates affichées sur le produit. Il est donc important de souligner que ce n'est pas le représentant des producteurs - même si je suis également président de l'interprofession - qui peut apporter à lui seul tous les éléments de réponse.
Comme je viens de le préciser, il s'agit d'une filière organisée avec une vie interprofessionnelle forte dont le travail a permis de mettre en place, depuis maintenant plus de trente ans, un schéma qui nous assure d'ores et déjà un qualité certaine puisque, dans le prolongement de la loi Godfrain, ont été mis en place des laboratoires interprofessionnels qui, s'ils travaillaient au départ à établir des critères pour le paiement du lait, ont très vite prolongé leur activité pour assurer la qualité du produit. Il est un chiffre qu'il me paraît important de retenir : ce sont 60 millions d'échantillons de lait qui sont analysés chaque année par ces laboratoires interprofessionnels. Chaque exploitation est soumise à quatre contrôles mensuels auxquels viennent s'ajouter maintenant, pour la majorité des exploitations qui sont au " contrôle de performance " ou au " contrôle laitier ", des contrôles vache par vache qui ne se limitent pas au contrôle de la matière grasse et de la matière protéique mais qui en arrivent à étudier le dénombrement cellulaire ce qui assure une fiabilité du contrôle de la qualité et permet aussi à l'éleveur de sélectionner encore plus rapidement, au niveau de son cheptel, pour les éliminer, les vaches qui sont susceptibles de poser des problèmes tant au niveau de la sécurité alimentaire que de la qualité du produit livré à l'industrie. Ces laboratoires sont au nombre de vingt-six et nous travaillons avec la Direction générale de l'alimentation pour les accréditer au titre du Comité français d'accréditation - C.O.F.R.A.C.- au travers de la commission nationale que nous avons créée au niveau du C.N.I.E.L. et qui, chaque année, délivre une certification quant à la qualité du travail qu'ils accomplissent.
Concernant la traçabilité je dirai que, pour nous, elle concerne en premier lieu ce que nous donnons à manger à nos animaux. Sans revenir sur ce qui a été dit par MM. de Benoist et Pagesse, je préciserai que, concernant le fourrage que nous cultivons sur nos exploitations, nous essayons d'être vigilants tant sur sa qualité que sur sa conservation étant donné que cette dernière peut avoir des conséquences sur le produit livré.
Nous partageons les inquiétudes qui ont été exprimées sur tout ce que nous sommes contraints d'importer dans la mesure où nous sommes déficitaires en protéines. On peut tenir tous les discours philosophiques possibles mais nous n'avons pas d'autre choix que d'incorporer du soja dans l'alimentation des vaches laitières, ne serait-ce que pour équilibrer les rations, car nous n'imaginons pas un seul instant ne pas distribuer une alimentation équilibrée à nos animaux. Nous partageons donc ces inquiétudes sur les produits importés, notamment sur le fait de savoir si nous avons affaire à du soja génétiquement modifié ou non. Je ne m'étendrai pas sur le sujet mais je répète que nous partageons ces inquiétudes tout en mesurant notre énorme dépendance pour respecter l'équilibre protéinique de l'alimentation de nos animaux.
J'ajouterai, même si cela a probablement été déjà signalé par mon collègue de la F.N.B., que, concernant la traçabilité au niveau du produit, nous sommes plutôt en avance quant à l'identification des animaux puisque, sans attendre les dernières réglementations, la norme qui s'impose à tous les producteurs de lait qui sont au contrôle de performance les oblige à déclarer les animaux immédiatement après leur naissance afin qu'ils rentrent dans le livre généalogique. A partir de là, nous obtenons un excellent suivi de l'identification des animaux, même s'il reste encore quelques efforts à faire pour les producteurs qui ne sont pas au contrôle de performance.
Un travail énorme a également été accompli en matière de santé animale depuis de nombreuses années. Il a d'ailleurs fait l'objet de financements successifs dans le cadre des contrats de plan et au travers de l'action des groupements d'intérêt économique - G.I.E. - lait/viande pour tout ce qui concerne la lutte contre la brucellose, la leucose et tous les aspects I.B.R. Une action forte a donc été menée en termes d'évolution de qualité sanitaire de notre cheptel. Sans atteindre la perfection, je crois que l'on peut dire qu'aujourd'hui le troupeau laitier présente une bonne qualité sanitaire.
En outre, nous sommes engagés dans la démarche des chartes de bonne pratique que nous avons lancées au début de cette année avec la F.N.B. pour l'ensemble des éleveurs de bovins. Nous espérons que l'action qui maintenant se met en place va nous permettre d'atteindre que non 70 ou 80 % mais 100 % des éleveurs signent cette charte qui les engage à respecter toutes les règles en usage tant en ce qui concerne le bien-être des animaux que de l'utilisation des médicaments vétérinaires. Nous passons donc à la phase active de mise en place de la charte de bonne pratique au niveau des élevages. Malheureusement, force est de reconnaître que tout cela ne nous a pas empêchés de traverser des crises et, travaillant sur du vivant, nous sommes en situation de veille permanente. Il existe d'ailleurs une cellule de veille, qui réunit des scientifiques et des vétérinaires, au niveau de l'interprofession laitière. Nous avons ainsi subi de plein fouet l'affaire de la Dioxine puisqu'elle était liée à l'alimentation de nos animaux et nous restons en permanence soucieux de ce qui peut arriver - notamment pour ce qui concerne la listériose - sur toutes nos productions au lait cru. Je ne vais pas entrer dans le détail, mais, M. le président, je tiens un certain nombre de fiches à votre disposition sur ces dossiers pour vous monter combien nous surveillons en permanence ces risques avec notre cellule de veille.
A ce sujet, je tiens à signaler que la démarche d'autocontrôle observée dans les entreprises explique que, par rapport au tonnage que j'ai évoqué tout à l'heure - 1,5 million de tonnes de fromage -, on enregistre finalement si peu d'incidents même si, lorsqu'il s'en déclare un, la presse s'en fait largement l'écho au lieu de le relativiser. C'est un point qu'il faut souligner car on a tendance à toujours nous mettre au banc des accusés alors que nous observons des démarches extrêmement rigoureuses qui sont de nature à rassurer les consommateurs.
Je terminerai en apportant quelques précisions sur la politique conduite au niveau des hormones. Sur le plan européen, il existe un moratoire relatif à la non-utilisation de la B.S.T. : c'est un dossier qui deviendra obsolète au premier janvier 2 000 mais je crois savoir que les scientifiques européens sont favorables à sa reconduction alors que nous préférerions, nous, que soit prononcée une interdiction définitive au niveau de l'Union européenne. Quoi qu'il en soit, je crois que l'on peut être assuré pour les cinq prochaines années d'une non-utilisation de la somatotrophine, hormone qui augmente la production laitière des vaches
Au sujet de l'alimentation, sans revenir trop longtemps sur le sujet, je dirai que les quelques cas d'E.S.B. qui sont encore détectés posent question dans la mesure où, depuis, 1990, on n'utilise plus de farines animales dans l'alimentation des vaches laitières : la seule explication est l'utilisation de fonds de silos ou un nettoyage insuffisant des cellules de camions acheminant de l'alimentation pour vaches laitières et ayant antérieurement transporté des porcs. (Signes dubitatifs de certains députés. )
Ce sont les seules explications et croyez bien qu'en tant que producteurs nous serions très heureux que les scientifiques nous apportent des réponses car cela nous inquiète de voir, comme cela s'est produit récemment, certaines vaches nées en 1994 être touchées par l'E.S.B. alors que normalement, depuis 1990, plus aucune farine animale n'est incorporée à l'alimentation des vaches laitières. C'est là un point que je préfère signaler parce que nous sommes tous en attente d'avis scientifiques pertinents. J'ajoute que dans l'alimentation des vaches laitières n'entre aucun additif antibiotique et, de ce point de vue, nous sommes aussi sécurisés.
Je crois que la crise de l'E.S.B. est un phénomène qui a mis en évidence un manque de transparence et il est vrai que l'étiquetage des aliments qui sont livrés sur nos exploitations mériterait d'être clarifié car nous n'avons pas forcément toujours suffisamment d'informations sur le produit qui nous est livré, qui est un produit élaboré et non pas une matière première de base. Un aliment de vache laitière intègre en effet plusieurs types de matières premières et il est vrai que nous aurions besoin d'un étiquetage plus détaillé.
Je ne reviendrai pas sur les O.G.M. : tout a été dit ! Nous sommes, bien entendu, favorables à l'application du principe de précaution même si nous lui préférerions la notion de principe de prévention dans la mesure où nous estimons, si l'on veut limiter au maximum les risques, que c'est en amont qu'il faut travailler.
En conclusion, je dirai que nous disposons actuellement d'une réglementation européenne relative à l'hygiène qui est spécifique au secteur laitier au travers de la directive 9246 et qu'actuellement, dans le cadre de la refonte des textes, il faut veiller à ne pas en perdre les acquis car ils sont importants pour le secteur. De même, nous devons nous montrer très vigilants concernant l'Organisation Mondiale du Commerce. J'ai parlé tout à l'heure du cas de la somatotrophine. Si nous pouvons être favorables à une politique de baisse de prix, je rappellerai toutefois qu'ayant défendu pour le secteur laitier, dans le cadre de la réforme de la politique agricole à Berlin, une politique visant à la fois à maîtriser les prix et à garantir la sécurité alimentaire, nous ne voudrions pas que la négociation qui s'engage dans le cadre de l'O.M.C. vienne " casser " tout ce que nous avons alors obtenu.
Je terminerai en mettant de nouveau l'accent sur la charte de bonne pratique qui doit engager encore plus avant les éleveurs dans cette démarche de sécurité alimentaire à laquelle nous sommes tous attachés.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est maintenant à M. Schaeffer puis, à la suite de son exposé, nous pourrons passer aux premières questions.
M. Eugène SCHAEFFER, Président de la Confédération française de l'aviculture, vice-président de la F.N.S.E.A. :
Il est vrai que l'exercice auquel je dois me livrer maintenant n'est pas facile puisque, tous mes collèges s'étant déjà exprimés, l'essentiel a été dit. Je me contenterai donc de relever quelques points que je considère être les points faibles de notre réglementation et de la gestion de la politique sanitaire.
Je soulignerai tout d'abord que le consommateur exige d'avoir une très haute opinion du produit alimentaire dans la mesure où il considère que sa santé en dépend : aussi bien choisit-il son produit alimentaire en fonction de son travail, de son âge, de sa culture et la confiance qu'il nous apporte doit être justifiée par la qualité de la réglementation et par la qualité de sa mise en _uvre par les filières.
A l'occasion des différentes crises que nous avons connues, nous n'avons jamais cessé de répéter et de dire, avec le Gouvernement d'ailleurs, que nous avions, par rapport à nos concurrents, une des meilleures réglementations qui soit. Pour autant, si cette réglementation est bonne, encore convient-il, d'une part qu'elle soit correctement appliquée par les trois structures en charge de cette application - la Direction générale de la Santé, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et les services du Ministère de l'Agriculture - et d'autre part que les agents de toutes les filières aient un comportement responsable : la réglementation doit être avant tout une réglementation de filières et de contrôle des filières.
L'affaire des boues de stations d'épuration, par exemple, n'aurait jamais dû arriver. Nous sommes tout de même le pays qui a écarté les cadavres d'animaux de la fabrication des farines de viande et nous nous faisons " piéger " sur une affaire pareille, nous nous faisons ridiculiser par les Allemands sur leurs chaînes nationales de télévision alors qu'eux-mêmes continuent à intégrer des cadavres dans leurs farines animales... Non, là il y a une lacune et il convient de tirer des leçons de cette expérience malheureuse de façon à ce qu'elle ne se reproduise plus. Quant à l'article du Canard enchaîné, on sait parfaitement que les journalistes sont toujours avides de scoops...
Une telle affaire n'aurait pas dû avoir lieu d'autant qu'une fois lancée, il n'est pas évident de se défendre : allez expliquer les choses ! Il n'y a rien eu à faire... et s'il y a eu un problème de gestion au moment de la crise c'est parce que l'on n'a pas été clair quand il aurait fallu l'être : la réglementation était précise et même si elle comportait des lacunes, on devait pouvoir compter sur un comportement responsable des agents de la filière.
Si je prends maintenant l'affaire de la Dioxine, il faut bien reconnaître qu'il y a eu également un problème de gestion à notre niveau. Je me suis toujours posé la question de savoir pourquoi l'affaire de la Dioxine n'a pas eu la même répercussion aux Pays-Bas et en France dans la mesure où les échanges de produits s'y effectuent à un niveau à peu près équivalent. Nous avons étudié la question. Lorsque la crise a éclaté, le gouvernement des Pays-Bas a déclaré qu'il n'y avait aucun risque, qu'il avait été prévenu par la Commission, que depuis deux mois il surveillait la question et que toutes les précautions avaient été prises. En France qu'a-t-on fait ? A la crise a succédé une période d'affolement pendant laquelle on a dit que l'on ignorait l'affaire, bien que la Commission - et là encore c'est un problème de gestion interne aux ministères compétents qui ont mis en avant un prétendu conflit entre le ministre et le Commissaire à l'agriculture - ait déclaré qu'une lettre avait été envoyée à la France comme à tous les pays concernés. Mais on a affirmé qu'elle ne nous était pas parvenue. A partir de là, dans la précipitation, on a mis sous séquestre les producteurs, les abattoirs et tout le reste et il a fallu attendre trois semaines pour obtenir les résultats des analyses qui, lorsqu'ils sont arrivés, se sont avérés pour la plupart négatifs. Il reste qu'entre temps, les producteurs ont enregistré une immense perte.
Or la responsabilité du législateur est engagée car lorsque que le gouvernement prend de telles mesures qui sont d'ordre sanitaire et qu'ensuite on ne trouve rien, qui indemnise ? Le problème n'est pas tranché ! Il faudra que l'on y réfléchisse parce que, faute de règles d'indemnisation, la prise de telles mesures sanitaires, lorsqu'elles s'avèrent injustifiées, peut se révéler catastrophique sur le plan économique. Pourquoi attendre trois semaines pour obtenir des résultats d'analyse ? En l'espèce, un seul laboratoire était agréé ce qui constitue un autre point faible à signaler. Il faut veiller à ce qu'une telle situation ne se reproduise plus chez nous et que nous tirions des leçons en comparant la façon dont les Pays-Bas ont géré cette crise par rapport à nous. Il convient donc de réfléchir à la réglementation mais également au comportement qu'il faut initier au niveau des filières.
Je ne reparlerai pas de la transparence mais je soulignerai un autre problème avec l'Union européenne et avec nos voisins. Dès que les crises se sont déclarées, notamment celle de l'E.S.B., tous les pays, ont, à l'instar du nôtre, dit qu'ils allaient fixer au niveau de leur politique nationale des règles de transparence et des critères de stabilité qui jusqu'alors n'existaient pas : leur application qui était prévue pour l'an 2000 ne peut plus être envisagée avant 2001 dans la mesure où, d'après le Commissaire compétent, de nombreux pays ne sont pas prêts, notamment l'Espagne, la Grèce, l'Italie et j'en passe. Comme on ne peut pas appliquer une réglementation qui n'a pas cours dans les autres pays, chaque pays applique actuellement sa propre réglementation en matière de transparence et de traçabilité. Quelles sont les conséquences d'une telle situation, par exemple, dans la filière avicole ? Sur cette filière où nous sommes de gros exportateurs - M. Risse en a parlé tout à l'heure - puisque nous produisons environ 2,4 millions de tonnes dont nous exportons à peu près 900 000 tonnes, dont 60 % vers les pays de l'Union, nous constatons depuis deux ans que nous reculons sur le marché européen. Nous nous sommes demandé pourquoi. C'était le cas en Allemagne et en Grande-Bretagne notamment. Nous nous sommes alors rendu compte que, depuis que ces pays avaient installé la traçabilité et la transparence, ils en avaient fait un argument de promotion nationale ce qui leur permettait de " renationaliser " une partie de leur production au détriment de nos exportations. C'est la situation que nous vivons actuellement et qui explique pour une part la crise que traverse aujourd'hui notre aviculture. Il faut donc faire très attention pour que, très rapidement, une traçabilité et une transparence communautaires s'instaurent pour que la France qui est le premier exportateur européen ne perde pas cet avantage au motif que les consommateurs des autres pays se reportent sur leurs produits nationaux.
Il est également un point sur lequel il convient de s'interroger : est-ce que le produit alimentaire, aujourd'hui, à qui on demande un très haut niveau de qualité sanitaire, peut être soumis à la même politique de concurrence et aux autres formes de compétitivité que les autres produits ? Je vous donne un exemple : si, demain, j'achète une veste en promotion et que je m'aperçois qu'elle est de mauvaise qualité, seul mon pouvoir d'achat en souffrira mais si j'achète un produit alimentaire en promotion et que je tombe malade, les conséquences ne seront pas les mêmes !
Or il faut bien mesurer ce qu'induit cette recherche de compétitivité sur la situation financière de la plupart de nos industries agro-alimentaires ; ce qui finalement renvoie à la question des prix que pratique, par exemple, la grande distribution et au fait de savoir si une telle politique n'est pas à la source des situations délicates que nous pouvons connaître. Lorsque vous voyez un poulet sous label en promotion à 21 francs le kilo et que vous le retrouvez ensuite à 35 francs, cela conduit le consommateur à se dire que le produit à 35 francs ne peut pas être le même que celui à 21 francs alors que c'est pourtant, en fin de compte, le cas. Je pense qu'on arrive à un moment où il faut poser le problème de la promotion des produits alimentaires qui ne devraient pas supporter les mêmes règles de compétitivité et de promotion que les autres produits.
Je voudrais apporter aussi un témoignage concernant les O.G.M. dont Pierre Pagesse a parlé. Je suis président d'une coopérative en Alsace dont la principale activité est la collecte de maïs. Or, en Alsace, nous travaillons énormément avec des industries de transformation notamment à destination de la consommation humaine. Naturellement, ces industries nous demandent de mettre en place des filières non génétiquement modifiées ce qu'on a fait mais ce qui, en l'absence de réglementation, n'est pas facile. Qu'est-ce que cela donne ? A la sortie du silo, une analyse est réalisée par un expert neutre qui coûte 1 300 francs. Ensuite, au début de la transformation, l'industriel refait la même analyse pour le même prix, laquelle est à nouveau refaite à la sortie de la chaîne industrielle. Le produit est alors acheminé vers la Suisse avec qui nous sommes liés par contrat et il subit de nouvelles analyses à l'entrée et à la sortie du pays, lesquelles sont faites par des cabinets d'audit. Mais ce n'est pas tout ! Il nous est arrivé que l'analyse se soit révélée négative à l'entrée comme à la sortie de la coopérative, à l'entrée comme à la sortie de la chaîne industrielle française et qu'elle se soit révélée positive à l'entrée en Suisse, qu'au lieu de s'établir à zéro, elle s'établisse à 0,1 ou 0,2 pour aboutir à nouveau à un résultat négatif à l'issue de sa transformation définitive par l'industriel suisse ! Tout cela prouve qu'il nous faut disposer de critères d'analyse plus précis qui résultent d'une réglementation et non de simples cahiers des charges dont nous ne nous sortirons pas !
Enfin, j'évoquerai un dernier point qui nous concerne un peu tous : celle de l'affaire des poules en cage. On a pris un certain nombre de dispositions mais je tiens à vous dire que, scientifiquement, malgré tous les travaux qui ont été conduits, on n'est jamais parvenu, au niveau de la Commission, à démontrer scientifiquement qu'en faisant passer la surface accordée à ces volailles de 450 à 800 centimètres carrés, leur bien-être en soit différent ! D'ailleurs, nous n'avons pas les cages, nous ne savons pas les faire et les Suédois qui devaient nous les fournir disent aujourd'hui que leur technique ne marche pas. Nous nous trouvons donc confrontés à une réglementation que nous devons appliquer sans savoir comment le faire puisque tout ce qui est préconisé par la législation, pour le moment, ne fonctionne pas ! Il faut qu'en 2010, l'affaire soit réalisée mais l'amortissement pour quelqu'un qui investit aujourd'hui ne sera pas achevé en 2010. La mesure qui a été prise représente une catastrophe économique pour la filière! Nous nous sommes battus énormément, notamment le gouvernement français face aux gouvernements allemand et britannique qui ont porté le dossier pour admettre, en fin de compte, qu'économiquement cette décision était une catastrophe mais que, politiquement, il n'y avait pas moyen de procéder autrement. Voilà un exemple qui prouve que nous devons être vigilants par rapport à un certain nombre de démarches qui sont moins d'ordre économique que politique.
Tels sont, M. le président, les points essentiels que je voulais relever.
M. le Président : Je vous remercie. je crois que nous allons pouvoir, maintenant passer aux questions. Je vais demander à mes collègues de les poser les unes à la suite des autres ce qui pourrait conduire à un débat entre les témoins qui pourrait être intéressant... En tout état de cause, je passe d'abord la parole à M. le rapporteur qui est prioritaire.
M. le Rapporteur : Merci, monsieur le Président ! Messieurs, je vous remercie de vos interventions qui se situent après que nous ayons auditionné les plus grands experts. Nous nous situons maintenant, de plain-pied, face aux problèmes concrets ce qui me conduit à faire une remarque d'ordre général. Il est tout à fait normal que vous abordiez, chacun en ce qui vous concerne, les problèmes économiques propres de vos organisations et de ceux qui y sont affiliés m'attendant à entendre une autre tonalité, la semaine prochaine, lorsque nous organiserons le forum avec les représentants des consommateurs. Il nous appartiendra, à ce moment-là peut-être, de faire la part des choses.
Aussi, la première question que je poserai sera de savoir s'il est susceptible qu'il y ait un réel antagonisme entre l'aspect économique et l'aspect sanitaire de notre alimentation. A cette remarque d'ordre général, j'en ajouterai une seconde. J'ai été assez frappé par votre position sur la traçabilité. Cette traçabilité, elle vous paraît intéressante lorsqu'il s'agit de mettre en place des labels, ce que nous comprenons très bien, mais elle semble devenir une contrainte plus difficile à mettre en _uvre pour ce qui concerne la production plus courante. Je suis élu des Hautes-Alpes, d'une région de montagne -  le président de la fédération porcine y était présent il n'y a pas très longtemps - et si nous parvenons à " tirer notre épingle du jeu ", c'est justement en conduisant cette politique de label. Les producteurs qui s'intéressent à ces labels veulent avoir une traçabilité parfaite, c'est-à-dire que le consommateur puisse avoir une connaissance très détaillée de l'origine des composants de leur produit mais j'ai l'impression que, si ceux qui produisent des aliments labellisés sont des farouches défenseurs de cette traçabilité maximale, les autres, en revanche, - et j'y reviendrai tout à l'heure - la vivent un comme une contrainte supplémentaire.
Par ailleurs, il est un point qui a été largement abordé dans vos interventions et qui nous a posé quelques problèmes lors des auditions antérieures. Je veux parler de l'introduction sur le territoire national de produits et notamment d'aliments pour les animaux dont on ne connaît pas forcément l'origine.
De même j'aimerais savoir, au niveau des différentes filières dont vous avez la responsabilité, comment sont mis en place les autocontrôles et de quels appuis techniques ils bénéficient pour les rendre les plus efficaces possibles.
Du principe de précaution dont nous avons, bien entendu, souvent entendu parler dans le cadre de cette commission, je dirai qu'il est très difficile à définir au point d'ailleurs que le Premier ministre a chargé deux éminentes personnalités de lui remettre un rapport visant à en cerner l'efficacité opérationnelle. Pourriez vous nous préciser le sens que vous donnez à cette notion ?
De même, je dirai que nous partageons votre souci d'une meilleure information scientifique du consommateur ; mais je voudrais m'arrêter un instant sur la place réservée à l'alimentation dans le budget familial. C'est un sujet qui m'est inspiré par la dernière intervention, celle de M. Schaeffer. Effectivement une bonne alimentation doit avoir un coût et j'ai été assez frappé, au cours des premiers travaux de la commission d'enquête, de voir que la part de l'alimentation dans le budget familial était en régression permanente : peut-être est-il nécessaire d'inverser cette tendance.
Je terminerai en évoquant les O.G.M. Pour ce qui a trait à l'utilisation des organismes génétiquement modifiés, nous sommes en pleine réflexion. Différentes décisions ont été prises, notamment la mise en place d'un moratoire, mais j'ai également retenu, au niveau des différents intervenants que certains, notamment M. Saint-Cricq au niveau de la production de foie gras, n'avaient pas attendu, sur ce chapitre, les prises de position officielles pour écarter d'emblée l'utilisation de farines animales, de graisses ou d'O.G.M. Il s'agit peut-être d'une position bien spécifique s'agissant d'un produit particulier mais j'aimerais que vous nous confirmiez les uns et les autres votre position sur ce problème.
Telles sont, M. le Président, les différents points sur lesquels je souhaitais revenir.
M. le Président : Voilà une série de questions et pour y répondre je donne d'abord la parole à M. Lemetayer.
M. Jean-Michel LEMETAYER : Je voudrais réagir immédiatement au moins aux deux premiers points évoqués par le rapporteur et notamment sur la traçabilité.
Je n'ai pu assister à l'ensemble du débat mais je ne crois pas que chez un producteur quelconque, la traçabilité soit considérée comme une contrainte. J'ajoute, à propos de la comparaison que vous avez établie, qu'il faut faire très attention avant d'opposer ceux qui accepteraient un cahier des charges parce qu'ils produisent sous label et ceux qui le refuseraient alors que ce sont ceux qui produisent 90 % de notre alimentation. Si je réagis spontanément, c'est pour vous demander avec une très grande insistance de ne pas mélanger dans la réflexion l'aspect sécurité sanitaire de nos aliments et l'aspect qualitatif, gustatif c'est à dire tout ce qui fait la différence entre les produits. Je crois que, quelle que soit la profession que nous représentons, et quels que soient les producteurs, nous devons tout mettre en _uvre pour assurer la sécurité sanitaire des aliments.
Au niveau de la filière que je connais la mieux, je peux vous assurer qu'il y a longtemps, longtemps, longtemps, que la sécurité sanitaire est assurée aussi, de temps à autre, cela me révolte de voir poser cette question de la sécurité sanitaire quand tant d'actions ont été conduites en la matière et quand on sait la multiplication des efforts qu'ont consentis les producteurs sur ce plan : les critères de qualité concernant le lait qui ont été mis en place en France sont plus sévères que la réglementation européenne.
Si je réagis aussi spontanément c'est pour que l'on se comprenne bien ! Pour prouver que la traçabilité n'est pas une contrainte, je ne prendrai qu'un seul exemple : il se trouve qu'étant Breton, j'appartiens à une région où on fabrique beaucoup d'Emmenthal : si vous prenez une meule d'emmenthal, qui est un produit très basique, vous verrez qu'elle comporte une plaque qui permet de retrouver l'exploitation d'où vient la citerne de lait qui a servi à sa fabrication. Il n'y a pas plus de traçabilité dans la meule de Comté qu'il n'y en a dans la meule d'Emmenthal de Bretagne et c'est pourquoi je vous demande de ne pas confondre la démarche sanitaire et la démarche qualitative.
Pour ce qui a trait à la première question qui était relative à notre souci - qui serait excessif - de compétitivité économique, je crois que ce que nous avons cherché à mettre en évidence les uns et les autres - Eugène Schaeffer l'a fait, comme je l'ai fait moi-même à travers la B.S.T. notamment - c'est que nous sommes favorables à toutes les démarches qui constituent des réponses aux demandes actuelles de la société et des consommateurs - bien-être des animaux, traçabilité et bien d'autres questions - mais que toutes ont un coût. Or, ce que nous craignons, c'est que l'on n'impose pas les même règles dans l'Union mais surtout en dehors de l'Union et que des produits qui ne seraient pas soumis à ces règles puissent cependant entrer sans trop de difficultés sur notre marché : c'est là que se situe l'enjeu ! De ce fait, le dossier sanitaire des aliments prend une importance considérable dans le cadre des négociations de l'Organisation Mondiale du Commerce parce que nous imposer certaines règles du jeu plus contraignantes que celles qui s'imposent à nos concurrents supposent de pouvoir protéger notre marché.
Enfin quand on regarde les enseignes de la distribution - et Eugène Schaeffer y a fait quelque peu allusion - on voit qu'elles pratiquent toute la politique des prix toujours plus bas pour fidéliser le consommateur alors que, dans le même temps, on nous demande, tout en ayant l'obligation d'assurer la sécurité sanitaire des produits, d'accroître toujours leur qualité gustative.
M. le Président : La parole est à M. Lemaitre.
M. Jacques LEMAITRE : Dans le même esprit, je crois qu'il faut que le Rapporteur précise bien dans son rapport que nous sommes maintenant dans un espace commercial européen et qu'avec l'euro qui va maintenant se mettre en place la zone de chalandise, notamment de la grande distribution, par laquelle passent maintenant 85 % des produits de l'alimentation, s'élargit et est en passe de devenir, entre les bassins de production, une formidable zone de compétitivité. Comme, tout à l'heure, vous l'avez, à juste titre, fait remarquer, cette compétitivité va s'exprimer en fonction des règles que chaque pays va appliquer pour son bassin de production.
Aujourd'hui, en France, nous voulons mettre en place un cahier des charges et je réaffirme après Jean-Michel Lemétayer que la traçabilité, pour nous, n'est pas une contrainte. Aujourd'hui, tout le monde se soumet, en matière de production porcine, au programme P.I.G; auquel j'ai fait référence tout à l'heure, qui est contrôlé par des organismes certificateurs connus sur la place sans que cela pose le moindre problème.
Pourtant, ainsi que cela a été rappelé, il faudra bien que l'on apprécie toute la problématique de la grande distribution qui se sert de tous les produits certifiés, tracés, que nous mettons en place en France mais qui n'hésite pas à faire rentrer, pour les fonds de rayons, des produits que l'on a été chercher ici ou là et qui, eux, ne respectent absolument pas les mêmes règles du jeu que celles que nous avons en France.
Oui, derrière la traçabilité, il y a bien un phénomène de compétitivité qui demandera une harmonisation car il ne faudrait pas que la traçabilité devienne, pour la production française, ce qu'ont été, il y a une vingtaine d'années dans le domaine monétaire les fameux montants compensatoires monétaires : les M.C.M., Or, j'ai comme l'impression qu'après avoir réglé les problèmes monétaires que nous avons connus à l'époque des M.C.M. on en réintroduit d'autres par le biais de la qualité et de la traçabilité entre les différents bassins de production. Attention à cela, car il en va du devenir de notre production nationale !
M. le Président : La parole est à M. Schaeffer.
M. Eugène SCHAEFFER : Sur la dernière question et plus précisément sur la traçabilité de la filière non O.G.M., à laquelle on est en train de réfléchir, il est clair que si l'on veut mettre en place une filière, il faut apporter au consommateur la garantie qu'il n'y a pas d'O.G.M. Cela suppose que, comme sur un produit certifié ou sur un produit labelisé, on ait apporté toutes les garanties tout au long de la filière, aussi bien au niveau de la collecte que de la transformation etc. et que l'on ait dégagé les points faibles sur lesquels faire porter les analyses et les contrôles à chaque phase de la transformation. Il faut ensuite que cela figure sur l'étiquette et qu'il n'y ait aucune fraude ! Une telle démarche ne peut pas se faire sous autocontrôle : il faut des organismes neutres, des organismes certificateurs qui l'avalisent. Par conséquent, il s'agira d'une démarche qui aura un coût. Je ne peux pas dire combien elle coûtera car on ne peut pas faire une estimation par rapport à une éventuelle production O.G.M. lancée à grande échelle dans le pays. Aujourd'hui, on ne sait même pas toujours, par exemple, à quel prix la semence O.G.M. sera vendue puisqu'il n'y a pas de marché.
M. le Rapporteur : Pardonnez-moi mais, sur ce point particulier, la pratique la plus générale actuellement est de ne pas faire appel aux O.G.M., autrement dit le marché des produits sans O.G.M. existe...
M. Eugène SCHAEFFER : ... Oui !
M. le Rapporteur : ... et l'on est en train d'imaginer, sous prétexte que l'on serait envahi par les O.G.M., que la filière classique coûterait plus cher ! Au nom de quoi ?
Eugène SCHAEFFER : Parce qu'elle va exiger une traçabilité, donc des contrôles effectués à tous les niveaux par des experts et qu'il faudra bien en répercuter le coût... Regardez à combien s'élèvent, pour un produit sous qualité label, les frais supplémentaires de contrôles, d'analyses qui augmentent d'autant le prix payé par le consommateur... Garantir la traçabilité d'un produit non O.G.M. jusqu'au consommateur coûtera de l'argent ! L'intervention d'un ingénieur se paie 6 000 francs par jour et une analyse 1 300 francs : encore faut-il bien définir sur la filière le nombre d'analyses à réaliser...
M. le Président : La parole est à M. Risse.
M. Jacques RISSE : J'ajouterai quelques précisions par rapport aux questions qui ont été posées. Le problème, pour la plupart d'entre nous, ne réside pas dans l'antagonisme entre l'aspect sanitaire et financier même si, bien sûr, il ne faut pas qu'il y ait d'excès ; mais deux points me chagrinent un peu.
Premièrement - et je " ramerai " peut-être à contre-courant mais je le dis tout de même - si je prends la filière poulets, je peux dire que très exactement 8,6 % de sa production correspondent à du poulet label et que 91,4 % correspondent à du poulet standard. Je pense qu'il faut effectivement faire en sorte que le label, qui est une spécificité française, soit protégé mais qu'il ne faut pas, non plus, faire en sorte que l'on détruise la filière du poulet standard, du poulet ordinaire parce que, d'une part c'est celle qui se vend dans les pays voisins et que, d'autre part, Mme Nicoli l'a dit il y a très peu de temps à la télévision, même en France, il convient que le consommateur ait le moyen de choisir : celui qui veut acheter du poulet à 15 francs doit pouvoir acheter du poulet à 15 francs et celui qui veut acheter du poulet à 50 francs doit pouvoir acheter du poulet à 50 francs. Je me méfie beaucoup de la diabolisation d'une production par rapport à une autre - c'est l'histoire de l'Auguste et du clown blanc - pour mettre l'une ou l'autre en valeur et je dirai simplement que nous devons prendre garde à ne pas détruire les filières en croyant que l'on va en développer d'autres segments que nous développerons peut-être mais pas autant qu'il le faudrait pour compenser ce que nous perdrons de l'autre côté.
Deuxièmement, je dirai deux mots sur la traçabilité et les autocontrôles dont vous vous êtes inquiétés. Concernant la traçabilité, on peut dire qu'en France les résultats ne sont pas si mauvais, tout au moins en ce qui concerne la filière volaille. Lorsque l'on a connu les ennuis liés à la Dioxine; combien de temps a-t-il fallu aux pouvoirs publics pour séquestrer les élevages suspects ? Tout a été fait en moins de 48 heures ce qui est absolument remarquable : il n'y a sans doute pas un autre pays en Europe qui aurait été en mesure de faire cela ! Cela signifie qu'en la matière, les résultats obtenus par la France ne sont pas si mauvais ! Pour les autocontrôles, en ce qui concerne la filière volaille et plus concrètement la dinde - mais cela a aussi été le cas dans d'autres filières - avec les contrats de progrès, des contrôles sont effectués au niveau des élevages mais, au surplus, l'interprofession paie elle-même des organismes tiers pour procéder à des contrôles inopinés, et dans les élevages, et dans les usines de transformation. Les résultats leur sont ensuite communiqués avec les commentaires ad hoc et, deux ou trois fois par an, un organisme de contrôle a pour mission d'acheter des produits sur les linéaires, n'importe où, pourvu qu'il y ait au moins dix enseignes et dix prélèvements. A partir de là, les analyses sont réalisées au hasard et les résultats nous en sont communiqués ce qui nous permet de réagir auprès de la filière elle-même.
J'en terminerai, pour ne pas être trop long, par les O.G.M. Comme me le disait mon voisin il y a quelques secondes, si les Américains ont lancé les O.G.M. c'est bien parce qu'ils espéraient en tirer un profit financier en pensant qu'ils allaient coûter moins cher ! En ce qui nous concerne, j'y reviens encore une fois, sur le soja, nous n'avons guère l'embarras du choix : il est américain ou brésilien et si nous offrons des perspectives de marché suffisantes - 3 à 4 millions d'hectares - nos fournisseurs feront du soja non génétiquement modifié sans quoi nous ne les intéresserons pas. Or, comme en France et en Europe nous n'avons pas les conditions idéales pour produire du tourteau de soja sauf à des coûts prohibitifs, je ne vois pas bien comment nous allons nous en sortir... Si on prend en Europe des dispositions suffisantes pour offrir aux Américains des perspectives de marché, nous aurons du soja non O.G.M., sinon, ne nous berçons pas d'illusions, ils feront ce qu'ils auront envie de faire : vous savez comme moi qu'ils n'ont pas d'états d'âme, que ce ne sont pas des tendres et que les problèmes qui se posent aux autres pays ne les inquiètent pas. J'en profite d'ailleurs pour dire, et ce sera vraiment mon dernier mot, que dans les négociations qui vont s'engager à Seattle, ce que nous souhaitons les uns et les autres, c'est que l'Europe manifeste clairement son intention d'exister en ce qui concerne nos productions devant les Américains !
M. le Président : Vous avez la parole, monsieur Pagesse mais, ensuite, je donnerai la parole à ceux de mes collègues qui ont l'intention de vous soumettre également au feu de leurs questions.
M. Pierre PAGESSE : Pour ma part, je ne crois pas qu'il existe un antagonisme entre l'économique et la sécurité sanitaire. Comme je l'indiquais tout à l'heure dans mon propos liminaire, la C.G.B. et les différentes instances qui avalisent un produit génétiquement modifié ont tout à fait le souci de l'innocuité de ce produit. Je pense donc, à partir du moment où un certain nombre de groupes d'experts interviennent, où des tests sont réalisés pour déterminer si en cas de transgénèse, quand un gène crée une protéine, ladite protéine n'a pas d'effet allergique, qu'une fois l'autorisation donnée, il ne devrait pas y avoir de problèmes pour la sécurité alimentaire. Nous ne sommes pas en face d'un problème de santé publique. Nous sommes face à une demande de choix de la part du consommateur.
Où se pose le problème ? Si la filière non O.G.M. respectait un taux de pureté convenable, nous pourrions la livrer à un coût acceptable. En revanche plus on élève le pourcentage de pureté, plus la chose devient difficile. Comme je viens de l'indiquer, pour être aussi président d'une maison de semences, je sais bien, quand on fait des semences à fécondation croisée dans de bonnes conditions avec des distances d'isolement, en respectant un certain nombre de précautions dans le cadre d'un cahier des charges rigoureux avec un contrat par agriculteur à qui sont fournies les semences de base, au niveau de la production un certain nombre de phénomènes se produisent tels que des fécondations par les pollens transportés par les vents ou les insectes qui font que nos semences ne sont pas pures à cent pour cent. Par conséquent, si demain, les O.G.M. étaient largement cultivés dans notre pays, nous ne pourrions pas, physiquement, sauf à avoir des contraintes draconiennes d'isolement (plus d'un kilomètre, voire un kilomètre et demi) cultiver une parcelle non O.G.M., ce qui rendrait la production quasiment impossible. Confiner ainsi la filière non O.G.M. c'est la tuer d'emblée. Ce n'est pas acceptable car, pour ce qui nous concerne, nous pensons que le consommateur doit avoir le choix, que les prix ne doivent pas être prohibitifs, et, pour ce faire, il faut un seuil raisonnable car le seuil de 1% rend la chose quasiment irréalisable !
J'ajoute qu'il faut faire très attention : un certain nombre de grandes sociétés internationales ont probablement bien défendu leurs intérêts à Bruxelles - pour discuter avec leurs représentants, nous savons ce qu'ils ont dans la tête - et plus vous rendez la filière non O.G.M. inapplicable, plus ils pensent qu'ils placeront facilement leurs produits en Europe ce que nous jugeons contraire à l'intérêt du consommateur qui, ne serait-ce que pour des raisons sociologiques, doit avoir le choix ce qui suppose de fixer le seuil à un niveau acceptable.
J'en arrive à la traçabilité. Mon ami Lemetayer vend du lait. Quand un industriel vend du lait ou même des fromages, il arrive à un moment de la collecte qu'on rassemble un certain nombre de lots. Il en va de même en agriculture, pour les céréales, qu'il s'agisse du blé ou du maïs ! Il est d'ailleurs nécessaire de procéder à de tels " allotements " et, pour satisfaire le cahier des charges de nos clients, de mélanger parfois des variétés pour respecter certains taux de protéines ou certains niveaux de qualité. On peut, bien sûr, identifier un certain nombre d'éléments mais il est hors de question de remonter jusqu'à l'agriculteur et de vérifier chaque silo de M. X ou de M.Y car cela reviendrait à identifier 800 000 silos à travers le pays. On ne peut pas, comme c'est le cas pour un animal à qui il suffit de mettre une étiquette pour le suivre, grâce à l'informatique, presque jusqu'au dernier morceau, procéder ainsi pour les céréales. Durant la collecte, soit de lait, soit de céréales, il arrive un moment où la traçabilité s'arrête à l'organisme certificateur qui peut dire que dans telle cellule interviennent x producteurs avec x variétés : la traçabilité s'arrête là ! En conséquence, je vous mets en garde contre les ayatollahs de la pureté du seuil non O.G.M. qui, en fait poursuivent des buts contraires à que ceux que nous essayons d'atteindre ici, c'est à dire d'assurer une certaine sécurité et faire en sorte que le consommateur ait le choix !
M. le Rapporteur : Excusez-moi d'insister un peu mais, soit les O.G.M. ne présentent pas de danger auquel cas il n'y a pas besoin de fixer un seuil, soit il y a suspicion de danger et le seuil doit être de 0 %. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus !
M. le Président : Dans la foulée, j'aimerais que vous apportiez une réponse à la question qui a été posée tout à l'heure : pour quelles raisons la filière O.G.M. serait-elle plus rentable ? Est-ce parce qu'il y aurait moins d'intrants dans la culture ? Ce point mériterait d'être approfondi car on ne comprend pas très bien pourquoi la filière O.G.M. serait moins onéreuse que l'autre.
M. Pierre PAGESSE : Pour essayer de répondre à votre question, je dirai que, franchement, je ne vois pas pourquoi en tant qu'agriculteur ou qu'industriel on laisserait entrer sur le marché des produits dangereux ! Ou bien ils sont dangereux et ils doivent être interdits sur toute la planète ou ils ne sont pas dangereux et ils doivent être autorisés et je ne vois pas comment l'Europe pourra maintenir sa position puisque, comme cela a été dit et redit, on continue d'importer du soja génétiquement modifié, du maïs génétiquement modifié, du Corn Gluten Feed génétiquement modifié et qu'à partir d'un certain moment on consomme des O.G.M., d'une manière ou d'une autre...
M. Pierre CARASSUS : Ces produits sont-ils identifiés ? Sont-ils étiquetés ?
M. Pierre PAGESSE : Non, ils ne sont pas identifiés. Nous sommes vendeurs de semences génétiquement modifiées aux Etats-Unis et nous savons bien qu'elles ne soient pas isolées et que durant l'acheminement du champ au silo de collecte par voie d'eau notamment, certains mélanges se produisent. Par conséquent, à leur arrivée en Europe, les produits sont forcément mélangés. Il est probable que l'on puisse obtenir une identification mais elle va venir augmenter le coût de production de nos industries qui utilisent éventuellement ces denrées.
Je voudrais également attirer votre attention sur cette question de la traçabilité parce que je vous signale que, dans le cadre des accords de Marrakech, nous avons une clause d'accès minimum au marché qui nous oblige à acheter un certain taux de produits qui est passé de 2 à 5 % de la consommation des produits intérieurs. Il faut donc veiller à ne pas acheter un produit industriellement transformé.
L'un des grands volaillers, pour des questions de prix de revient compréhensibles, est en train de monter des poulaillers au Brésil. Donc, quand il va vendre des poulets en Asie du sud-est ou dans des pays méditerranéens, que son poulet soit fait à base de soja modifié ou pas, vous pourrez l'analyser autant que vous le voudrez, mais vous n'en trouverez aucune trace puisque dans un produit transformé, on ne peut pas tracer.
J'ai assisté à un congrès américain où l'on indiquait que l'importation du soja à l'état de graines en Europe n'était pas un problème, que si nous n'en voulions plus, il suffirait de nous envoyer le tourteau et l'huile dans la mesure où, après trituration, il devient impossible de trouver de traces d'A.D.N. Il faut donc être très vigilants en termes de concurrence !
Je souhaite également attirer votre attention sur une distorsion de concurrence supplémentaire vis-à-vis des produits importés : un produit pourra arriver en France avec un taux d'O.G.M. inférieur à 1 % alors qu'il est fabriqué à partir d'ingrédients issus d'O.G.M. ou dépassant le seuil de 1 % (jusqu'à 10 % si le produit utilise moins de 10 % d'un ingrédient tel que l'amidon par exemple - situation très courante).
Pour répondre à votre question, je dirai qu'une partie importante de l'innovation passera demain passe par l'évolution des sciences de la vie. Des spécialistes, dont le président du Gènopôle, M. Tambourin (?) disent - je suis d'accord avec cette analyse - que dans les dix ou quinze années à venir, 40 % de l'économie dépendront des sciences de la vie dans les secteurs de la santé animale, végétale, humaine et dans les secteurs de l'informatique et de l'environnement notamment. Nous ne pouvons décemment pas tourner le dos à ces technologies dont nous pensons qu'elles sont un facteur de progrès et j'estime donc qu'il conviendrait de distinguer la simple variété de maïs résistante à l'herbicide et tous les procédés qui vont nous permettre d'introduire des résistances aux virus, aux champignons, aux insectes, etc.
L'adaptation aux utilisations industrielles est un autre exemple : si demain, nous sommes capables de faire un amidon à gros granulés pour l'industrie du papier, cela permettra d'éviter des pertes dans les effluents. En particulier, augmenter le pourcentage d'amilopectine est favorable à la durée de fraîcheur. Pour l'alimentation des volailles, diminuer la viscosité du blé est favorable à la limitation des rejets dus aux fientes.
On est donc devant une réaction irrationnelle : je comprends le souci du Gouvernement et les travaux de votre commission pour approcher tous ces problèmes mais je dis aussi que les grands agropharmaciens qui sont devenus des semenciers ont compris les enjeux de ces techniques, qu'ils ont racheté pratiquement tous les semenciers et les laboratoires de biotechnologie de la planète, que tout cela va se trouver concentrer dans les mains de trois ou quatre opérateurs et qu'avec la propriété intellectuelle liée aux brevets, ils peuvent capter toute la valeur ajoutée de toute la zone Europe si nous n'y prenons pas garde. Ce sont des enjeux stratégiques extrêmement importants et j'essaierais de distinguer dans les plantes transformées celles qui vont l'être sur le plan qualitatif, celles qui font appel à des gènes extérieurs à l'espèce ; et j'essaierais de décomposer les choses pour voir ce qui est acceptable ou plus facilement acceptable par les consommateurs parce qu'il est vrai qu'aujourd'hui, si vous avez un maïs résistant à la pyrale, le gain écologique peut ne pas être négligeable.
M. le Rapporteur : Le maïs a un gène qui est résistant à l'ampicilline ; vous ne pouvez donc pas vanter ce maïs-là, avec les conséquences que cela peut avoir ! En nourrissant les animaux avec un tel maïs, vous introduisez un gène résistant à un antibiotique. Il s'agit donc du plus mauvais exemple que l'on puisse citer.
Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la nécessité de la poursuite de la recherche sur les O.G.M. sur le plan pharmaceutique et de la santé. Mais mon opinion est différente s'agissant de l'alimentation ; et l'exemple du maïs est véritablement un très mauvais exemple.
M. Pierre PAGESSE : Je ne suis pas en train de faire l'apologie du maïs résistant à l'ampicilline ! Il y a deux types de gènes marqueurs : le premier est résistant aux antibiotiques, et le second aux herbicides. Or si l'on utilise le second, il est aujourd'hui, sur la planète, entre les mains d'une seule firme. Vous avez auditionné des personnes telles que M. le Déaut qui ont dû vous expliquer que, pour les plantes, la transformation réalisée sur des cellules eucaryotes donc que l'on peut complètement éliminer cette conséquence, c'est-à-dire la transmission de la résistance à la flore microbienne du sol sachant que l'intestin des animaux, des hommes, où de nombreuses bactéries du sol sont naturellement existantes. Les différentes commissions, françaises ou européennes, qui ont délivré les autorisations, ont évalué ce risque et ont estimé qu'il était quasiment nul.
En guise de conclusion, je souhaite rappeler que l'A.G.P.M. fait confiance à la réglementation européenne qui assure au consommateur toute la sécurité sanitaire qu'il est en droit d'attendre et que l'A.G.P.M. milite activement pour que le consommateur ait le choix entre produits " O.G.M. " et " non O.G.M. ", notamment par la mise en place de Filières " non O.G.M. " économiquement abordables. Je souhaite également dire que l'A.G.P.M. s'inquiète des distorsions de concurrence que subit déjà la Filière maïs française alors qu'elle n'a cessé de prendre préventivement toutes les mesures nécessaires.
M. François GUILLAUME : Je voudrais tout d'abord remercier les neuf intervenants qui ont parlé du problème général de l'alimentation, en insistant sur l'aspect sécurité, mais en citant également toutes les contraintes économiques et commerciales. Ils ont également eu l'honnêteté de dire que le risque zéro n'existait pas et ont levé le voile sur l'énorme hypocrisie des autorités européennes sur le problème des O.G.M.
Monsieur le président, il serait bon que nos interlocuteurs puissent nous fournir une information très précise sur la façon dont ont été combattues, avec un très grand succès, des maladies des animaux extrêmement dangereuses parce que transmissibles à l'homme, telles que la tuberculose ou la brucellose.
Je voudrais également parler des problèmes d'identification. La France est en avance sur ce sujet, car il s'agit du seul cheptel qui soit correctement identifié dans toute l'Union européenne - je ne parle pas des pays du Sud, où, naturellement, le contrôle est bien plus difficile. L'Allemagne a même été prise en défaut assez récemment, certains éleveurs allemands ayant reçu des aides substantielles alors que les animaux n'existaient pas ! Il est donc important de se poser la question de savoir si, au niveau européen, il y aura une homogénéité en ce qui concerne non seulement l'identification, mais également et surtout les contrôles. Car ces contrôles sont généralement effectués dans des pays tels que le nôtre, où tout est facile à contrôler, et non pas là où ils seraient nécessaires.
En matière de traçabilité, les explications qui ont été données étaient très intéressantes, mais nous aimerions connaître les difficultés qui sont rencontrées au niveau des importations. Les Allemands continuent, nous le savons, à fabriquer de la farine avec des animaux d'équarrissage. Quant aux importations provenant des Etats-Unis : peut-on les croire lorsqu'ils affirment que la viande est garantie sans hormones ? Personnellement, je n'y crois pas. Quant aux importations de moutons en provenance de Nouvelle-Zélande et d'Australie, aux importations de foie gras d'Europe centrale, aux importations de fromages, puisque nous sommes tenus, légalement, d'importer une certaine quantité de fromages, dont nous ne sommes pas sûrs que le lait ayant servi à les faire n'a pas été produit à partir de B.S.T. !..
M. Jean GAUBERT : Messieurs, vos organisations sont aussi membres d'organisations européennes de producteurs ; or vous ne nous avez pas expliqué comment ce débat se traduisait à l'intérieur de ces organisations européennes. C'est important, car si l'on demande régulièrement aux responsables politiques de se mettre d'accord, il convient également qu'il y ait une concertation au niveau des producteurs.
Vous avez été nombreux à parler de la dioxine et notamment de l'utilisation des boues dans l'alimentation du bétail. Il me semble que beaucoup d'entre vous ont des responsabilités dans les coopératives agricoles ou dans des usines d'aliments. Quel était le niveau d'information dont bénéficiait la filière - et en particulier les responsables - par rapport à cette situation ? Bien qu'utilisateur de l'alimentation du bétail à titre professionnel, je vous le dis honnêtement : je ne le savais pas.
M. Germain GENGENWIN : Messieurs, n'avez-vous pas le sentiment que vous êtes un peu trop sur la défensive ? Je ne parle pas de l'E.S.B, car lorsqu'il y a un coup dur, il faut se défendre, mais pensez-vous que vous faites suffisamment connaître les progrès que vous réalisez dans vos différents secteurs ?
Je souhaiterais poser une question plus précise à Eugène Schaeffer : pourquoi les Hollandais ont-ils vécu d'une façon différente la crise de la dioxine ?
S'agissant de la réglementation européenne sur laquelle vous avez tous insisté : les organisations professionnelles sont à l'avant-garde et siègent dans tous les organismes : n'avez-vous jamais essayé d'infléchir la réglementation européenne ? Comment nos travaux peuvent-ils vous aider à progresser dans ce domaine ?
Mme Laurence DUMONT : Ma première question concerne la listeria. A ma connaissance, lorsque des tests sont effectués pour détecter la listeria, les résultats ne sont connus que 48 heures après. Comment gérer cet intervalle de temps, lorsqu'on sait à quelle vitesse le lait est transformé et livré ?
Monsieur Lemetayer vous avez évoqué le problème de l'étiquetage des produits élaborés, utilisés dans l'alimentation animale, en nous avouant que vous étiez relativement peu informé...
M. Jean-Michel LEMETAYER : Je parlais de l'aliment du bétail livré sur les exploitations...
Mme Laurence DUMONT : Ma question concerne justement la traçabilité, puisque l'on ne peut pas remonter au-delà de l'aliment qui vous est livré : que faudrait-il faire pour améliorer les informations qui vous sont données sur ces aliments ?
M. Marcel SAINT-CRICQ : Je voudrais tout d'abord dire que la part du budget consacrée à l'alimentation baisse régulièrement. Entre ce que le consommateur déclare désirer - des produits sains et de qualité - et son comportement au moment de l'achat, il existe une grosse différence ; seuls 20 % des consommateurs respectent, au moment de l'achat, ce qu'ils ont déclaré exiger comme garanties. La majorité achète des produits qui ont un bon rapport qualité/prix, nous devons donc en tenir compte dans nos productions, sans oublier qu'une grosse partie de l'alimentation se fait sous forme collective et que des coûts de production doivent être respectés.
En matière de normalisation de la production au niveau européen, il convient de faire attention à la concurrence des pays tiers ; en effet, l'Union européenne est incapable actuellement d'imposer les mêmes normes aux produits importés. Prenons l'exemple du foie gras : si l'Union européenne nous interdit le gavage qui nous permet d'abaisser le prix de revient, nous devrons respecter cette décision ; mais elle ne pourra pas l'imposer aux pays tiers importateurs, tels que la Chine. Voilà un réel danger sur lequel il faudra être vigilants quand nous mettrons en place des normes européennes.
M. le Rapporteur : M. Saint-Cricq, pardonnez-moi de vous interrompre, mais je voudrais revenir sur le problème de la restauration collective, auquel M. Sibille a fait allusion. A ce jour, il n'existe aucune traçabilité des produits fournis pour la restauration collective, c'est bien cela ?
M. Denis SIBILLE : Tout à fait, M. le rapporteur. En ce qui concerne la viande, il n'existe aucune traçabilité. Je l'ai dit au ministre de l'agriculture il y a deux mois lorsque je lui ai rendu visite avec mon président, M. Pierre Chevalier. Par ailleurs, je suis également président de coopératives et de sociétés qui livrent des produits alimentaires à l'éducation nationale, je suis donc également au courant de ce qui s'y passe. Je regrette que l'on fasse de grands " effets de manche " sur quelques McDonald's, alors qu'il s'agit de la seule restauration collective qui présente une totale traçabilité et qui fasse intégralement appel à la viande bovine française. En revanche, dans la restauration collective nationale, privée comme publique, et alors que des conseillers généraux sont présidents de conseils d'administration, il se passe tout et n'importe quoi ! La seule règle en vigueur est le prix le plus bas. On nous conseille toujours, dans les appels d'offres, de choisir le mieux-disant, et bien croyez-moi, en matière d'alimentation, lorsque les collectivités publiques lancent des appels d'offres, la règle est de choisir le moins-disant !
M. le Président : Quelles sont les propositions que vous formuleriez dans ce domaine ?
M. Denis SIBILLE : L'interprofession, qui a beaucoup travaillé sur la crise de l'E.S.B. depuis quelques années, vient de signer un accord interprofessionnel sur le sujet visant à faire en sorte que l'endroit d'abattage des animaux soit mentionné. Cela aura au moins le mérite de prouver que la viande n'est pas anglaise, par exemple. Cela étant dit, c'est une première étape, mais elle n'est pas suffisante. En effet, il est hors de question de revenir à ce que l'on a connu pendant de nombreuses années dans le milieu de la filière " viande bovine ", où tout était du b_uf et où l'origine de l'animal était déterminée par l'endroit où il était abattu. J'habite en Moselle, près de la frontière allemande ; lorsqu'en 1990 les frontières de l'Est se sont ouvertes, j'ai vu passer des milliers de vaches qui étaient rebaptisées françaises dès lors qu'elles étaient abattues dans un abattoir français ! Cet accord interprofessionnel signé il y a quinze jours par tous les professionnels de la viande - y compris les distributeurs -, et que le ministre va probablement étendre sous forme d'arrêté, est une première étape d'un projet qu'il faut poursuivre.
Un des intervenants a parlé de la situation du C.O.P.A. sur certains dossiers. J'étais présent au C.O.P.A. viande avant-hier et je puis vous affirmer que les dossiers, relatifs à l'étiquetage ou à la viande distribuée dans les G.M.S. ou dans les boucheries traditionnelles, progressent, même si certains pays sont encore contre l'étiquetage.
M. Marcel SAINT-CRICQ : Je voudrais revenir sur le problème du coût de la traçabilité : il est logique que la traçabilité ait un coût puisqu'elle est liée au respect d'un cahier des charges qui comporte un certain nombre de critères souvent supérieurs, d'ailleurs, à ce que l'on pratique habituellement. En outre, sont compris dans le coût la partie autocontrôle qu'il convient de réaliser avec des techniciens circulant sur le terrain, l'organisme tiers qui certifie la production et les analyses supplémentaires qu'il convient d'effectuer à chaque stade, etc. D'où le coût important de la traçabilité.
Si au niveau du cahier des charges, pour l'I.G.P. sud-ouest, on n'utilise ni les O.G.M., ni les farines à base de viande, c'est tout simplement par précaution : 70 % des ventes de foie gras se font entre le 15 novembre et le 31 décembre. Si un scandale sur ces produits éclate à ce moment-là, il peut faire couler une entreprise ! C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas utiliser de maïs transgénique - sans oublier le fait qu'il y en a peu, puisqu'il n'est cultivé que sur 80 hectares en France. En outre, l'on peut facilement se passer de maïs transgénique : la première génération résiste en effet aux insectes et aux herbicides, mais le problème sera certainement posé pour la seconde génération.
En ce qui concerne les déchets de farines de viande et de graisses animales, compte tenu de l'opinion des consommateurs sur un produit de luxe tel que le foie gras, l'on peut se permettre de s'imposer quelques critères supplémentaires sachant que le surcoût sera introduit dans le prix de vente. Mais il faut savoir qu'au niveau de cette filière, le fait de ne pas pouvoir recycler les carcasses pose des problèmes.
M. Eugène SCHAEFFER : Nous avions, nous les Français, depuis très longtemps, quelques doutes sur les farines belges. Nous nous rendions bien compte, en regardant de près les analyses techniques et les indices de consommation, que chez les producteurs français qui produisaient pour des abattoirs hollandais où les aliments leur étaient livrés, les indices de consommation étaient toujours un peu moindres par rapport à nos meilleurs indices ; des choses se passaient donc sur ces produits-là, que l'on peut appeler les activateurs de croissance. Et l'on en découvre pratiquement tous les jours. Mais si vous ne connaissez pas la molécule du produit, vous ne savez pas quoi chercher et donc vous ne trouvez rien !
Qu'avons-nous fait à l'arrivée de la crise de la dioxine ? Nous avons tout de suite été d'accord pour faire tout ce qui était possible, pour mettre en place des systèmes, mettre sous séquestre, etc. Trois semaines, un mois après, l'on s'est rendu compte qu'il n'y avait rien. Nous avions pris toutes les précautions possibles, causé des dégâts économiques, et il n'y avait rien ; et aujourd'hui, le problème de l'indemnité des producteurs et des usines d'aliments est toujours posé.
Qu'ont fait les Hollandais ? Ils ont dit que les analyses avaient déjà été effectuées et qu'il n'y avait rien. Ils ont pourtant procédé à un certain nombre de contrôles supplémentaires. La gestion de la crise a été différente, car ils avaient pris de telles précautions qu'ils étaient certains de ne rien trouver. Pour notre part, nous aurions pu aussi dire qu'un certain nombre de précautions avaient également été prises, car nos services réalisaient eux aussi des contrôles très sérieux à la frontière.
M. le Président : Il s'agit d'une question intéressante, car à vous entendre, l'on pourrait en conclure qu'il aurait presque mieux valu ne pas gérer la crise afin de dire qu'il n'y avait pas de crise !
M. Eugène SCHAEFFER : Mais c'était trop tard ! Et nous avions beau affirmer que notre sécurité sanitaire était l'une des meilleures et qu'il ne fallait pas s'affoler, nous n'apportions aucune preuve.
M. le Président : Devons-nous, dans l'espace européen, nous battre pour que les autres pays s'alignent sur ce que nous faisons de bien, ou devons-nous nous aligner sur ce que les autres font de moins bien ?
M. Eugène SCHAEFFER : Il faut bien entendu s'aligner sur ce qui se fait de meilleur - chez nous et dans les autres pays ! Je suis président du groupe avicole au C.O.P.A. C.O.G.E.C.A., je puis donc vous affirmer que la concertation existe au niveau de l'ensemble des pays européens. Un comité consultatif fonctionne et l'on est consulté sur les grandes décisions et les questions réglementaires de la Commission. Mais les pays du Nord essaient de nous imposer leurs normes pendant que les pays du Sud essaient d'échapper aux règles communes que l'on tente d'élaborer. En outre, la politique de chaque pays se répercute au niveau des organisations professionnelles.
M. Jean-Michel LEMETAYER : Monsieur le président, l'exemple de la dioxine, notamment dans le secteur bovin, est très explicite : il n'est absolument pas logique que l'on ait mis sous séquestres les élevages bovins, pour une vache qui avait consommé au pire trois kilos d'aliments dans lesquels il n'y avait un minime pourcentage de dioxine. Bien entendu, si l'on avait trouvé des résidus de dioxine dans le lait, l'affaire aurait été très grave, mais ceci aurait signifié que cette vache avait avalé des aliments souillés cinq ou six mois plus tôt ! Nous avons voulu être " plus blancs que blancs " et nous avons mis les élevages bovins sous séquestres. Les autres pays l'ont-ils fait ? Absolument pas ! Et tout cela pour apprendre, quinze jours trois semaines après - parce que seul un laboratoire réalise ce type d'analyses -, qu'il n'y avait rien !
Le groupe Danone, qui a un contrat de contrôle suite à son expérience dans le nord de la France avec les incinérateurs, a, quant à lui, fait faire ses analyses par un laboratoire allemand et a obtenu les résultats huit jours avant tout le monde. Les séquestres des élevages qui livraient chez Danone ont donc été levés, alors que l'on ne pouvait pas les lever chez les autres - qui ont eu les mêmes résultats ! Voilà comment on jette le doute, sans donner la moindre explication aux éleveurs ! C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles nous sommes sur la défensive ! On nous jette des reproches à la figure - et les médias ne se privent pas pour jeter le discrédit sur tout le monde, et notamment sur une production et des agriculteurs qui assurent fortement la sécurité alimentaire des consommateurs -, mais après c'est à nous de remonter la pente.
M. Jacques RISSE : Je voudrais revenir sur la crise de la dioxine, crise qui nous a appris la modestie. Nous avions, dans la filière avicole, mis en place un manuel de gestion de crise avec un cabinet spécialisé. Nous étions donc à peu près sûrs que si une crise survenait, nous saurions y faire face. Or nous avons pu constater que ce manuel de gestion de crise ne valait que pour une crise sans gravité ! Quand une crise aussi importante que celle de la dioxine survient, nous sommes confrontés à un véritable cyclone ! Personne ne nous écoute et il n'est même pas question de tenter de mettre en place nos techniques puisque personne ne les prend en considération !
Second constat : le pyralène - et non pas la dioxine - qui a été introduit dans les graisses, l'a été par fraude ! L'individu souhaitait simplement se débarrasser de ses fûts de pyralène ; or le pyralène est soluble dans la graisse et cette technique lui coûtait beaucoup moins cher que de les détruire. L'affaire de la dioxine résulte donc d'un méfait purement ponctuel. Il n'y aucun risque pour qu'on en retrouve dans l'aliment du poulet ! Il n'y a aucune espèce de raison d'en trouver - mis à part ce type de fraude. Mais lorsque la presse a compris qu'il s'agissait d'une fraude manifeste, et que la dioxine et l'aliment des volailles n'avaient rien de commun, elle a dévié sur les conditions d'élevage des animaux ; et de victimes, nous sommes devenus coupables. C'est à partir de ce moment-là que la crise s'est aggravée. Ensuite, est venue s'ajouter l'affaire des boues d'épuration, le 13 août, avec l'émission allemande Monitor qui ont relancé la querelle.
La presse des pays d'Europe du Nord a géré cela de façon différente, mais il est clair qu'en France cette crise a été un véritable cyclone. Les journalistes ont commencé à admettre nos réponses trois semaines après le début de l'affaire. Pendant la première semaine, j'ai reçu un nombre incalculable de coups de téléphone, y compris de la part des radios étrangères - radio Montréal téléphonait environ trois fois par jour ! Encore une fois, nous pouvons regretter que la presse n'ait pas écouté ce que nous avions à dire sur l'aspect technique, sur le fait qu'il s'agissait d'une crise ponctuelle ; elle avait un certain nombre de présupposés sur lesquels elle a développé ses articles.
M. Bernard MARTIN : Je rappellerai tout d'abord que les producteurs, en général, produisent des produits de qualité et n'ont pas envie de tromper le consommateur. J'ai évoqué tout à l'heure l'aspect étiquetage au niveau de la Communauté européenne, et la demande de l'extension de cet accord interprofessionnel. Voilà un exemple où la philosophie de la Commission se fait au fil de l'eau. L'identification ovine - 92-102 -, par exemple, a été mise en place en 1997 en France et nous souhaiterions qu'elle soit mise en place dans tous les autres pays de l'Union, avec la même efficacité.
J'ai participé, hier, à un séminaire avec mes collègues britanniques et le directeur du M.L.C., qui est l'homme de la communication et des nouveaux produits ovins. Pour eux il n'y a qu'en France qu'il y a de la tremblante ; eux sont indemnes ! Les Néo-Zélandais et les Australiens aussi : il n'y a aucun problème chez eux. Ils comptent même développer une campagne de communication en France pour vanter leur qualité sanitaire et faire passer le message qu'ils sont des " pays propres ".
Enfin, je souhaitais soulever un dernier point : les certificats d'import sont gérés, pour toutes les productions, par la Communauté, ce qui n'est pas le cas pour les certificats d'exportation pour la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Vous comprenez donc mieux pourquoi nous sommes, il est vrai, souvent sur la défensive. Bien entendu, il n'est absolument pas question de laisser faire ce type de pratiques, mais plutôt d'exiger plus de transparence, plus d'explications, plus d'étiquetages, afin que les consommateurs puissent choisir.
Tout cela ne pourra se faire que s'il existe une véritable volonté européenne, que si ces mesures sont appliquées partout en Europe comme elles doivent s'appliquer de la même façon aux pays tiers.
M. le Rapporteur : Monsieur Martin, pouvez vous nous confirmer qu'au niveau de l'élevage ovin, les farines animales ne sont pas utilisées ?
M. Bernard MARTIN : D'une part, la réglementation nous interdit l'utilisation de farines animales, et, d'autre part, la structure de consommation de cet animal, même s'il s'agit d'un ruminant, est différente de celle d'un bovin. Si l'on donne un aliment concentré bovin à une brebis pendant une semaine, on est sûr de la tuer. Pour être complet, j'ajouterai que l'on peut trouver, dans les compléments minéraux, du phosphore issu d'os ; mais dans la mesure où il s'agit d'os d'animaux qui ont été consommés, l'on peut imaginer que ces os sont sains.
M. Denis SIBILLE : Je répondrai à la question concernant l'identification européenne. Dans le domaine des bovins, une réglementation communautaire a imposé, au 1er janvier 1998, une uniformisation de l'identification. Au niveau français, nous sommes relativement fiers de ce qui se fait. J'ai encore testé le système ce week-end, chez moi, sur mon ordinateur, et je trouve que la mise en place se passe bien. En revanche, j'ai entendu dire au C.O.P.A., il y a deux jours, que les collègues des autres pays avaient pris un retard important, y compris les Anglais. En effet, le représentant agricole anglais a expliqué qu'ils rencontraient quelques soucis s'agissant de l'identification, et que cela allait prendre plus de temps que ce que la loi permettait. J'avoue être assez déçu par ce qui se passe dans les autres pays.
En ce qui concerne le problème de l'équarrissage, même si, au niveau de la filière bovine nous ne sommes plus concernés par l'incorporation des farines animales depuis 1990, je voudrais parler de ce dossier qui rencontre d'énormes difficultés et qui a fait l'objet d'une motion au conseil de direction de l'O.F.I.V.A.L. (Office National Interprofessionnel des Viandes) Nous avons d'énormes difficultés à harmoniser ce dossier au niveau communautaire, dans la mesure où c'est la D.G. 24 - la D.G. des consommateurs - qui le gère, alors qu'en France c'est le ministère de l'agriculture.
En ce qui concerne les hormones, il est vrai que l'on paie à ce jour le manque d'intérêt de l'Europe pour l'élaboration du Codex Alimentaruis qui a fixé des normes sanitaires acceptables et qui sont des références pour l'avenir. Il est dommage que l'Europe en soit pénalisée et que l'on paie l'embargo imposé sur les viandes provenant des Etats-Unis. Tout cela montre bien la nécessité d'être extrêmement vigilants sur ces sujets. Nous sommes dans l'attente de la commission scientifique communautaire pour déterminer s'il y a lieu de modifier les règles selon le risque pour le consommateur. J'espère que cela se passera bien, car au même titre que la B.S.T. - l'hormone de lactation -, au même titre que les hormones naturelles, le producteur français ne peut pas se comparer aux grandes fermes des Etats-Unis, où il y a 200 000 jeunes bovins - soit l'équivalent de tous les taureaux du quart nord-est de la France ; 200 000 jeunes bovins par exploitation, avec introduction systématique d'hormones - même si elles sont naturelles : vous comprenez que l'on n'a pas envie de se laisser faire. Heureusement qu'au niveau communautaire, le discours est identique.
Pour ce qui est de l'étiquetage des aliments du bétail, il convient, et cela a été dit ce matin, d'imposer aux fabricants d'être plus précis. S'agissant des aspects sanitaires nous sommes à la veille d'un projet visant à modifier le réseau de surveillance des risques sanitaires chez les bovins. Je trouve que la profession n'a pas été suffisamment associée à ce projet, ce qui est regrettable.
Enfin, M. le président, je profiterai de ma présence dans cette assemblée pour faire une remarque : de nombreux sujets ne posent pas de véritables problèmes c'est-à-dire qu'il n'y a aucune objection de la profession à avancer en matière de sécurité sanitaire, tels que les débats de fond sur les O.G.M. ou les stations d'épuration, même s'ils méritent certainement de la concertation et du temps. En revanche, sur des sujets tels que le P.M.P.O.A., la réforme de la P.A.C. pour laquelle on a empilé les réglementations, ou la loi d'orientation " qui nous arrive ", je puis vous dire le désarroi des éleveurs face à cette accumulation de réglementations. Je suis président de ma coopérative, je fais preuve de bonne volonté et j'ai expliqué jeudi, aux 200 éleveurs que je réunis chaque année ce que sont  qu'une déclaration d'activité polluante (la D.A.P.), la réforme de la P.A.C. pour laquelle on a empilé sans simplifier, la marge brute standard ou le C.T.E.... Ils " disjonctent ". Notre beau métier est en train de devenir très ennuyeux. De grâce messieurs les législateurs, prenez le temps d'élaborer les lois. Le monde existe depuis des millions d'années, l'agriculture existe depuis des milliers d'années, elle est intensive depuis quarante ans. Un virage est à prendre mais n'imposons pas à l'élevage, en sept ou dix ans, de modifier totalement ses modes de production sinon nous allons laisser des personnes sur le carreau sans avoir forcément répondu à toutes les préoccupations que fait naître la sécurité sanitaire.
M. le Président : Nous sommes des législateurs et la loi " qui vous arrive " a été votée. Une loi ne vaut que par la manière dont on l'applique. Mais sachez que vous avez soulevé des problèmes précis dont le législateur à conscience lorsqu'il élabore la loi. Par ailleurs, les discussions ne sont pas interrompues.
M. Pierre PAGESSE : Monsieur le président, je voudrais revenir sur l'O.M.C. Pour les O.G.M., dans le Codex Alimentarius, il existe la notion de substantielle équivalence. Toute plante transformée, si elle est substantiellement équivalente, correspond à une plante ordinaire. Elle doit donc pouvoir circuler sur le marché et répondre aux règles de l'O.M.C. Dans un tel cas, l'Europe - au sens de l'O.R.D. - est en faute et devrait payer une " amende " pour entrave au commerce, entrave à la circulation des marchandises, création d'une barrière non tarifaire et le Président Clinton avait fixé cette somme, en ce qui concerne les O.G.M. à 2,5 milliards de dollars. J'attire donc votre attention sur le travail que nous avons à accomplir dans le cadre du Codex Alimentarius, au sein des trois offices qui déterminent les normes, si nous ne voulons pas faire de concessions supplémentaires aux Américains. Enfin, je terminerai en disant un dernier mot sur les hormones : rien ne nous oblige à déclarer ce qu'on appelle les " construits " (?) en génétique, c'est-à-dire le transgène. Cela veut dire que si les Américains exportent des variétés transformées, sans produire la formule du " construit ", nous ne saurons pas les détecter. Des O.G.M. pourraient donc être exportés demain sans que nous le sachions.
M. le Président : Messieurs, je vous remercie de votre participation.

L'expertise de M. le Professeur Pierre LE NEINDRE,
Directeur à l'I.N.R.A.
membre du comité scientifique européen de la protection animale

sur le comportement des herbivores

(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 23 novembre 1999)
Présidence de Mme Monique DENISE, Vice-présidente
M. Pierre LE NEINDRE est introduit.
Mme la Présidente lui rappelle que les dispositions législative relatives aux commissins d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation de Mme la Présidente, M. Pierre LE NEINDRE prête serment.
M. Pierre LE NEINDRE : Je suis directeur de recherche à l'I.N.R.A. à Clermont-Ferrand et ma discipline scientifique est l'éthologie, c'est-à-dire l'analyse du comportement des animaux. Depuis trois ans, je suis membre également du comité scientifique de la Communauté européenne chargé d'élaborer les rapports sur le bien-être animal. Enfin nous pourrons évoquer la façon dont je conçois le rôle de l'expert puisque je suis actuellement président du sous-comité travaillant sur ce thème.
J'ai préparé un exposé préliminaire conformément aux documents qui m'ont été communiqués et qui traite en particulier des problèmes résultant de l'adoption de normes de bien-être différentes en Europe et hors d'Europe.
Cet exposé se limite au bien-être des animaux de rente, c'est à dire ceux dont les produits peuvent avoir une influence sur la sécurité alimentaire, exclut d'autorité les animaux de compagnie, de laboratoire et de zoo.
Le problème éthique du droit des animaux à vivre dans des conditions de bien-être ou de qualité de vie qui soient satisfaisantes a été développé par de nombreux philosophes depuis la Grèce antique jusqu'à nos jours. Les thèses défendues, comme souvent avec les philosophes, sont très diverses. Celle de l'animal machine, incapable de souffrir et qui peut donc être l'objet de toutes les contraintes, qui date de l'époque de Descartes, n'est actuellement plus soutenue.
A l'opposé, certains proposent que les animaux aient des droits identiques à ceux des hommes et considèrent que toute autre attitude serait spéciste, au sens de " raciste " ou de " sexiste ". Une déclaration universelle des droits de l'animal allant en ce sens a été publiée en 1978. Cependant, ce point de vue extrême est peu soutenu et la plupart des personnes qui traite de ce thème admettent que les hommes ont, certes, des devoirs envers les animaux qui sont sous leur contrôle mais que l'existence des droits des animaux, comme il y a des droits de l'Homme, constitue une position très discutable.
Cette question du bien-être animal n'est pas limitée toutefois à quelques philosophes ou à quelques " extrémistes " mais se trouve posée par une proportion importante du public. Une enquête, conduite sur un échantillon représentatif de la population française, a montré que 80 % des personnes considéraient que les conditions modernes de l'élevage pouvaient conduire à des altérations du bien-être des animaux ce qui démontre une préoccupation certaine du public.
Les informations parfois brutales de la presse et les différentes crises telles que l'E.S.B. et la dioxine qu'a récemment connues la filière animale ont probablement renforcé cette préoccupation. Les aspirations d'une partie du public, en ce domaine, sont plus spécifiquement défendues par les sociétés de protection des animaux. Celles-ci sont puissantes, du moins dans certains pays européens. Elles ont une action importante au niveau de chacun des Etats, ainsi qu'au niveau communautaire. En 1991, une pétition de plus d'un million de signatures demandant l'amélioration du bien-être des animaux de rente a été adressée au Parlement européen. Il peut donc y avoir des phénomènes de mobilisations extrêmement importantes.
Les raisons de cette préoccupation sont multiples, souvent non explicitées. Certaines personnes sont effectivement conduites par un souci de nature éthique en faveur des conditions de vie des animaux. Cependant, d'autres raisons peuvent être évoquées qui ont trait à la sécurité alimentaire ou, de façon plus large, à la qualité des produits ainsi qu'à celle de l'environnement. Tout cela fait l'objet d'une très forte confusion dans l'esprit du public.
Pour éclaircir le débat, je définirai ce qu'est le bien-être animal puis je vous présenterai les principales instances qui traitent de ce bien-être. Enfin je vous préciserai les rapports entre ce bien-être et la qualité des produits ainsi que leurs conséquences réglementaires sur les échanges intra et intercommunautaires.
Le bien-être est défini, aussi bien pour les humains que pour les animaux, comme étant l'état dans lequel l'individu est en harmonie physique et mentale avec son environnement. C'est donc la perception qu'a l'individu de son environnement. D'autres définitions plus opérationnelles ont été données qui font état de la facilité avec laquelle l'animal s'adapte à son environnement, ou considèrent les différentes composantes dont il faut tenir compte pour qu'il bénéficie d'un environnement de bonne qualité.
Cinq critères ont été retenus :
1.- l'absence de maladie et de blessure ;
2.- la satisfaction de ses besoins en eau et en nourriture ;
3.- la mise à sa disposition d'abris appropriés et du confort correspondant ;
4.- l'absence de peur et d'anxiété ;
5.- la possibilité d'exprimer les comportements normaux de l'espèce.
Il convient de remarquer que cette préoccupation est assez différente de celle concernant l'environnement, en particulier la biodiversité : dans le cas de la biodiversité, l'objet concerne la préservation de l'espèce ou de l'écosystème, dans le cas du bien-être animal, l'objet est l'individu lui-même.
En termes réglementaires, la France dispose, depuis 1850, d'un texte dit la loi Grammont, qui interdit la cruauté vis-à-vis des animaux en public, ceci dans un souci d'une bonne santé morale des personnes. Depuis 1976, l'animal est défini en France comme un être sensible, mais la plupart des réglementations et des développements récents en ce domaine sont des transcriptions en droit national de directives communautaires. Le mouvement provient donc, en général, de la Communauté européenne.
Il existe, dans certains pays de la Communauté, des règlements plus contraignants que les réglementations communautaires actuelles. Ainsi la Grande-Bretagne vient d'interdire, en début de semaine, l'élevage des animaux à fourrure. De la même façon, la Suède impose des mesures extrêmement contraignantes sur le bien-être des porcs et des poulets de chair.
Deux instances supranationales traitent des problèmes de bien-être animal : le Conseil de l'Europe et la Commission européenne. Le Comité permanent de la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages existe depuis 1947. Ses préoccupations sont essentiellement éthiques et jusqu'à une époque récente, il préparait des recommandations qui devaient être acceptées à l'unanimité des Etats membres, sans obligation toutefois de les traduire en droit national. Désormais, ses recommandations sont reprises à son compte par la Commission européenne et risquent d'être traduites rapidement sous forme de Directives.
En droit européen, l'animal a été considéré, jusqu'en 1997, comme un produit agricole et les textes réglementaires visaient à éviter les distorsions de concurrence entre les pays de la Communauté. Un protocole annexe au traité d'Amsterdam définit désormais l'animal comme un être sensible, et les pays contractants, à savoir tous les pays de la Communauté européenne, s'engagent à mettre en _uvre les mesures adaptées pour satisfaire le bien-être des animaux.
L'élaboration des textes de Bruxelles comporte plusieurs étapes qui font intervenir différentes commissions. Pour préparer les Directives, on fait appel à des comités scientifiques chargés de faire le point des connaissances dans le domaine considéré et de proposer des solutions. Les rapports qui sont ainsi rendus s'appuient sur des expérimentations, des enquêtes et des expertises sur la base d'un certain nombre de paramètres, dont la mortalité. Il ne s'agit pas là de remettre en cause la mort, qui est inhérente à la pratique de l'élevage, mais la mortalité comme étant la résultante d'une souffrance qui se traduit par la mort. Ensuite, on étudie les maladies, les réponses physiologiques, les modifications de comportement qui, tous, traduisent des difficultés d'adaptation. On peut également analyser les préférences des animaux, soit en leur proposant des choix simples, soit en les faisant travailler. En effet, on considère qu'un animal aura plus ou moins envie de travailler si sa nourriture ou ce qu'on lui propose de faire est plus ou moins intéressant. On peut, par exemple, leur faire parcourir une certaine distance, pousser une porte plus ou moins lestée, appuyer sur des boutons et mesurer les réponses obtenues.
De multiples éléments peuvent modifier le bien-être, en particulier les pratiques d'élevage, c'est-à-dire l'alimentation, le logement, mais également le comportement des éleveurs, car n'oublions qu'il n'y a pas d'élevage sans éleveur. Il faut aussi tenir compte de la sélection des animaux laquelle peut avoir des influences très importantes.
Ces rapports incluent généralement, de façon peut-être anachronique, une partie socio-économique. Nous sommes d'ailleurs le seul sous-comité à Bruxelles à inclure, dans nos rapports, une partie socio-économique qui porte sur les conséquences sociales et économiques d'éventuelles contraintes supplémentaires qui seraient imposées aux éleveurs.
La mesure du bien-être est possible, elle est multidimensionnelle et suppose l'intervention de scientifiques de différentes disciplines. On peut l'analyser en termes de risques. L'évaluation des risques auxquels nous soumettons les animaux est, en effet, possible. L'analyse en termes d'acceptable et d'inacceptable, de tolérable et d'intolérable n'est pas du ressort des scientifiques mais relève d'une position éthique de la société vis-à-vis de l'animal et dépend donc des responsables politiques.
A Bruxelles, de façon extrêmement claire, s'il nous est demandé d'évaluer, il ne nous est jamais demandé de gérer. Il est important de demander l'avis des scientifiques car cela permet de mobiliser l'ensemble des connaissances existantes comme d'éviter l'anthropomorphisme qui est souvent la position la plus facile : " je n'aime pas, donc l'animal n'aime pas... "
En dehors des Directives très générales sur l'ensemble des animaux de rente, des Directives particulières à certaines espèces ont été publiées. Elles comportent des éléments techniques précis qui peuvent avoir des conséquences très importantes. Par exemple, dans le cas du bien-être des truies en gestation ; celles-ci doivent être élevées en groupe, alors qu'elles étaient jusqu'à présent attachées. Les veaux doivent également être élevés en groupe alors qu'ils l'étaient dans des cases individuelles. Les poules pondeuses - qui aux Etats-Unis sont élevées sur une surface de 360 cm² - le sont maintenant sur 450, surface qui devrait bientôt passer à 800. Les cages seront interdites en 2012. De plus, les volières devront comporter au minimum des perchoirs et des bacs à poussière.
D'autres Directives doivent être publiées et, à tout moment, celles qui sont déjà publiées peuvent être sujettes à modification. L'objectif de certains, dont les positions sont les plus extrémistes, serait d'interdire certaines productions qui sont parfois très spécifiques à la France, notamment la viande blanche des veaux de boucherie, la viande des bovins porteurs du gène culard ou les foies gras des palmipèdes. Il semble difficile, en ce domaine, de faire d'ailleurs appel au principe de subsidiarité.
Après ce rappel de la réglementation, je traiterai des relations entre bien-être des animaux et qualité des produits. Généralement, on considère que les animaux qui subissent des conditions d'élevage faiblement contraignantes sont moins stressés et moins sujets aux maladies. C'est la position adoptée le gouvernement suédois qui a fait établir une réglementation très rigoureuse en ce domaine, considérant que l'élevage effectué au sein de milieux peu contraignants permet de supprimer l'utilisation des antibiotiques. Toutefois, à notre connaissance, l'amélioration de l'état sanitaire des animaux bénéficiant de telles conditions n'a pas été établie de façon formelle quoique, a contrario, on note par exemple une augmentation des salmonelles chez les poulets de chair qui est en corrélation avec l'augmentation de la durée du transport, ce qui veut dire que l'amélioration des conditions de vie peut permettre d'améliorer l'état sanitaire du produit.
En revanche, la mise en place de nouveaux systèmes d'élevage peut parfois entraîner l'accroissement, et non la diminution, de certaines pathologies comme c'est le cas apparemment en Grande-Bretagne dans les élevages porcins où certaines pratiques sont désormais interdites ; comme est désormais interdit l'élevage des poules en cages. Or le recours à des volières peut, en fait, accroître les risques de contamination par les salmonelles sur ou dans les _ufs, par conséquent provoquer des risques éventuels plus importants pour la santé humaine.

Un dernier point concerne l'image du produit. En fait, on achète très souvent un produit non pas parce qu'il est gustativement bon, mais pour d'autres raisons. C'est ainsi que l'image de la souffrance animale peut altérer la perception de sa qualité. Comme une forte proportion du public est consciente des contraintes imposées aux animaux et des souffrances qu'ils subissent, le consommateur est susceptible de se percevoir - directement ou indirectement - comme le complice de ces mauvais traitements et il convient de pas négliger ce facteur. En Grande-Bretagne, la proportion de jeunes femmes - un quart me semble-t-il - qui ne consomment pas de viande, est importante et elles n'en consomment pas pour des raisons éthiques. Or le rôle des femmes, dans les habitudes alimentaires, n'est pas négligeable.

Si les conditions de bien-être des animaux peuvent avoir des influences tant positives que négatives sur la qualité des produits, elles peuvent aussi en avoir sur la qualité de vie des éleveurs. Par exemple, en 2012, les poules devront être dans des volières disposant de bacs à poussière. Or les quelques données dont nous disposons, en ce domaine, montrent que les fréquences des allergies et les troubles respiratoires des éleveurs sont sensiblement plus élevés dans ces élevages où le volume des poussières et des plumes est plus important.
Dans la dernière partie de mon exposé qui porte sur les échanges entre Etats, je ferai état de quelques éléments sur l'économie des filières. Un grand nombre des mesures qui améliorent le bien-être des animaux peuvent effectivement permettre individuellement des performances supérieures, mais globalement, au niveau de l'exploitation, elles diminuent le revenu des éleveurs. Dans le cas des poules pondeuses, selon les systèmes adoptés, elles peuvent le diminuer de 15 à 30 %, ce qui est considérable pour un produit soumis à une concurrence extrêmement forte.
Reste à savoir qui doit absorber ce coût supplémentaire. Est-ce l'Etat qui impose ces contraintes et donc l'ensemble des citoyens, puisque c'est un problème éthique et qui concerne l'ensemble des citoyens ou bien les éleveurs, et donc in fine les consommateurs ? Je n'ai pas de réponse à cette question que je veux simplement vous transmettre. Il est évident qu'une politique différente, au niveau des produits, pourrait être mise en place, qu'une réglementation nationale, limitant les excès que la société juge intolérable, est indispensable mais à condition que la collectivité assure la promotion des produits issus d'animaux ayant bénéficié de meilleures conditions de vie.
Cet étiquetage permettrait aux consommateurs d'exprimer leur choix personnel en achetant des produits qui, même s'ils sont plus chers, satisfont leurs aspirations éthiques. Il faudrait permettre également aux moins fortunés de toujours trouver des produits bon marché mais correspondant à ces exigences dans la mesure où on ne peut leur dénier d'avoir accès à des produits de cette nature. Cette démarche existe dans certains pays et peut-être pourrait-elle être développée plus avant.
En France, différents cahiers des charges incluent des critères de bien-être, dans le cadre par exemple de l'agriculture biologique ou de certains contrats territoriaux d'exploitation. Cette politique est très prometteuse. Cependant, les mesures prises dans un Etat ou dans l'Union européenne peuvent entraîner des distorsions de concurrence vis-à-vis de l'extérieur, et donc la perte de marchés. Un exemple caricatural est celui de la production d'_ufs en Suisse. Ce pays a mis en place un cadre réglementaire interdisant l'élevage des poules en cage. Même si la consommation par habitant est beaucoup plus faible que celle observée en France, 80 % des _ufs consommés sont importés. Ne va-t-on pas arriver à des solutions aussi extrêmes ?
En conclusion, les préoccupations du public pour limiter la souffrance animale sont réelles. Il semble important et légitime de les prendre en compte. Les scientifiques disposent d'outils opérationnels pour évaluer le bien-être animal. Même s'ils sont imparfaits, ces outils peuvent être utilisés pour procéder à cette évaluation.
Je terminerai sur les problèmes de réglementation concernant les échanges intercommunautaires. Les Etats-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande n'ont pas de réglementation en matière de bien-être. Nos principaux concurrents sont donc libres sur ce point. Les préoccupations en matière de bien-être dans les pays du tiers monde ne sont pas non plus, on l'imagine, à l'ordre du jour.
Mais, dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, il est important de voir si des décisions reposant sur des considérations éthiques peuvent être mises en place ou non car si elles ne sont pas mises en place, l'ensemble réglementaire européen induira en notre défaveur une très forte distorsion de concurrence.
Il semble, en fait, illusoire de lier strictement le bien-être animal à la sécurité alimentaire. Des élevages à faibles contraintes, associées à des animaux génétiquement résistants, limiteront toujours les risques sanitaires qui doivent, cependant, être évalués de façon globale, tout au long de la chaîne de production. Il est clair que nous avons là à peser différents enjeux : comparer des risques de souffrance animale à des risques relevant de la qualité sanitaire des produits, la santé des travailleurs, les emplois et la survie des filières ? Je vous pose ces questions auxquelles je ne peux apporter de réponses.
Certaines réussites françaises montrent qu'il est possible de répondre à un tel défi, sous réserve de repenser les systèmes alternatifs qui prennent en compte tous les facteurs techniques et humains. Ces systèmes ne pourront se développer que s'ils sont portés par des éleveurs, car ce sont eux qui assurent in fine le bien-être des animaux et qui peuvent promouvoir et rechercher de nouveaux systèmes de production et, ainsi, assurer leur survie et la survie de leur filière.
Mme la Présidente : Avant de passer la parole à M. Chevallier, rapporteur de la commission, cela m'amène une réflexion. En Flandre, car je suis députée d'une circonscription du nord, lors d'une visite d'un élevage de porcs, j'ai été surprise d'une coutume qui consiste à mettre des lapins dans l'enclos d'une truie au moment de sa mise bas. On m'a expliqué que c'était pour éviter le stress dû à la mise bas. La présence d'un animal domestique, appartenant à la famille de l'éleveur, présentait un avantage certain car la truie n'écrasait pas ses petits. Cette coutume est-elle scientifiquement fondée ?
M. Pierre LE NEINDRE : Je n'ai pas connaissance de cette pratique, mais il est certain que les truies, qui vont mettre bas et qui sont isolées, sont en état de manque car ce sont des animaux sociaux. Le fait de mettre des lapins enrichit leur environnement, sachant qu'une des conséquences de l'élevage moderne - sans aucun jugement de ma part - est en général l'appauvrissement de l'environnement des animaux. Les truies en gestation, qui sont bien souvent à la tâche, sont en état d'ennui et de manque de richesse de l'environnement, ce qui les conduit à des mouvements stéréotypés, éventuellement des automutilations assez fréquentes. Cela a été jugé comme étant inacceptable. Il faut donc tenir compte de l'environnement social.
J'ai indiqué, tout au début de mon exposé, que le bien-être des animaux était non seulement physique, mais également mental. Le fait de vivre en société et d'avoir une activité sociale est quelque chose d'important pour ces animaux.
Mme la Présidente : La parole est à M. Chevallier, rapporteur de la commission.
M. le Rapporteur : Merci, M. le directeur, de cet exposé. Dans les préoccupations de la commission d'enquête, il avait été stipulé, en toutes lettres, que la partie bien-être animal devait être abordée. J'aurai essentiellement une question à vous poser par rapport à votre exposé qui cerne bien l'ensemble du problème. Qui peut aujourd'hui faire le lien entre le stress vécu par l'animal pour toutes les raisons évoquées (solitude, transport, etc.) jusqu'à la phase ultime de l'abattage ? Existe-t-il actuellement des moyens permettant de suivre les conséquences de ce stress ?
Vous avez fait allusion à une augmentation des salmonelles selon la durée du transport. Dans le cadre de l'I.N.R.A., existe-t-il un service ou des équipes de recherche qui se penchent plus particulièrement sur les conséquences de l'environnement animal lors de son élevage et leur traduction au niveau de l'assiette ?
M. Pierre LE NEINDRE : Pour résoudre ce problème, notre démarche a été de mobiliser l'ensemble des compétences existant non seulement à l'I.N.R.A., mais dans les instituts techniques et d'autres instituts de recherche. Il existe une coordination I.N.R.A.-C.N.E.V.A. - instituts techniques - pour tenter de répondre à ces questions extrêmement variées, en raison de la diversité et du nombre d'espèces et de modes d'élevage, sachant qu'à l'intérieur de l'I.N.R.A., des chercheurs - des épidémiologistes jusqu'aux éthologues en passant par des nutritionnistes - sont déjà coordonnés au niveau d'instances pour tenter d'apporter des réponses à ces questions. Il est certainement possible de faire mieux et plus, mais actuellement déjà, l'ensemble des moyens sont coordonnés au niveau de la France, et non pas seulement au niveau de l'I.N.R.A.
M. le Rapporteur : Cela signifie, par exemple, que des décisions prises sur le bien-être animal au plan européen, s'appuieront sur des bases scientifiques et non pas uniquement éthiques, même si elles ont leur importance. Un dossier, élaboré par des scientifiques, des conséquences du " non-bien-être animal " sera donc fourni.
M. Pierre LE NEINDRE : Absolument. Ma réponse se présentera en deux temps. Tout d'abord, il est important de disposer de données scientifiques car il faut absolument éviter l'anthropomorphisme. Il est essentiel de ne pas se laisser aller à des réponses émotionnelles de premier niveau. Par ailleurs, au niveau de la Communauté européenne, lorsque les données scientifiques manquent, on tranche toujours au bénéfice de l'animal. En cas de doute, des contraintes que l'on suppose bénéfiques pour l'animal seront imposées. Cela peut conduire à des contraintes totalement injustifiées.
Il est, par conséquent, indispensable de disposer de données scientifiques objectives pour montrer que ce que nous faisons n'a pas les conséquences scientifiques proclamées par certains. Cela peut paraître paradoxal, mais c'est à la communauté des éleveurs de montrer que ce qu'ils font n'a pas d'effets négatifs, et non pas aux autres de montrer qu'il y a des effets négatifs.
M. Jean GAUBERT : J'ai le sentiment que, moins on fréquente des animaux de rente, plus on a d'idées sur leur satisfaction personnelle. Les choses ont beaucoup évolué et on a fortement tendance à idéaliser le passé.
J'en prendrai un seul exemple. Vous avez mentionné l'isolement des truies au moment de la mise bas et indiqué que la truie est un animal qui aime vivre en groupe. C'est vrai, sauf pendant la mise bas. Une truie en liberté s'isolera lors de la mise bas. Il est faux de dire qu'elle a besoin d'un autre animal à côté d'elle. D'autant que si on remonte un tant soit peu dans le passé, ces animaux étaient enfermés dans les soues ou les refuges à cochons, où chaque animal était totalement isolé de son voisin. En revanche, quelqu'un les gardait et restait près d'elles lors de la mise bas. J'ai été ravi de vous entendre parler du bien-être de l'éleveur de porcs, car ce point est important, même si beaucoup considèrent aujourd'hui que le bien-être de l'animal devrait passer avant celui de l'éleveur. C'est un problème dont il faut être conscient.
Il m'est arrivé de lire, dans différents documents, émanant notamment de Bruxelles - ce qui m'inquiète beaucoup - de véritables non-sens. Les truies doivent maintenant être élevées en groupe, mais vous êtes suffisamment averti pour savoir que, dans les groupes, on a des leaders et des dominés. Que faire des animaux qui sont dominés ? J'ai lu, à ce propos, quelque chose d'extraordinaire : il faut prévoir un lieu pour leur isolement. Vous m'excuserez de la comparaison, mais c'est comme si, dans les banlieues, du fait que certains jeunes ont des fusils, on prévoyait des bunkers pour que ceux qui sont poursuivis puissent se cacher. J'avais cru comprendre que, dans toute organisation de la société, on veillait à ce que certains ne dominent pas les autres.
Toutefois, la réalité est bien éloignée de ce qui est dit, non pas tant dans les comités scientifiques que dans les déclarations politiques qui suivent ces comités scientifiques ; les éleveurs, eux, connaissent bien ces réalités et souhaiteraient que les discours soient plus en lien avec les vrais problèmes.
Chacun peut avoir sa propre définition de la souffrance animale. Je reprendrai l'exemple des porcs. Il arrivera un jour où l'on ne sera plus autorisé à limer les dents des porcelets à la naissance. De ce fait, chaque porcelet, en tétant, arrachera les lèvres de son voisin et mordra les tétines de sa mère, mais qu'il puisse le faire semble en définitive naturel. Cette situation engendrera des infections.
Sur le plan sanitaire, il faut bien mesurer les conséquences de certaines. Vous avez parlé des poules qui seront élevées en volière avec un bac à poussière. Dans le domaine de l'élevage des porcs, la grande mode actuelle est le retour à la paille, ce qui implique de nombreuses conséquences pour les éleveurs, dont le retour au fumier. Vous y avez fait allusion dans votre exposé, lorsque vous avez évoqué des expériences menées en Angleterre.
Dans le cadre de mon activité d'éleveur, je suis actuellement à la recherche d'un nouveau projet et j'ai tenté de savoir quelle était la situation en Angleterre. J'ai rencontré ceux qui ont été les promoteurs, il y a une quinzaine d'années, du retour de la paille en Bretagne. L'un d'entre d'eux m'a mis en garde contre cette formule. Nous avons tous oublié que le porc est un animal qui aime fouiller. Il le fait dans ses excréments, ce qui est naturel. Mais si vous lui laissez ses excréments, parce que c'est naturel, avant peu vous aurez des problèmes sanitaires qui, eux, ne sont pas toujours naturels. Ils l'étaient à l'époque de nos parents, car nous étions quasiment immunisés contre tout et supportions beaucoup plus de choses qu'aujourd'hui.
Il faudrait mettre tous ces éléments en cohérence, pour comprendre l'étendue des implications d'une décision. Aujourd'hui, nous sommes dans un domaine où le subjectif et l'émotionnel priment le rationnel. Pour autant, j'ai adhéré à une grande partie de vos propos. Un certain nombre de mesures sont parfois très rentables économiquement pour l'éleveur, notamment l'arrêt de l'attache des truies. Je l'ai fait il y a quelques années et j'ai regretté de ne pas l'avoir fait bien avant, car économiquement, cela a été très intéressant.
Sans revenir sur vos propos sur la concurrence ou les distorsions de concurrence, je pense que ce débat sur le bien-être animal est important. Ceci étant, on voudrait des cautions scientifiques, mais dans la réalité, c'est toujours le côté affectif qui prime chez des personnes qui ne rencontrent plus l'animal ou alors, par le biais de reportages télévisés.
Mme la Présidente : La parole est à M. André Angot, vice-président de cette commission.
M. André ANGOT : Je voudrais faire une observation. Vous avez opéré tout à l'heure, un parallélisme entre l'insécurité alimentaire et les conditions d'élevage. Il faut, à mon sens, relativiser les choses, en particulier, en ce qui concerne les poules pondeuses. Il est évident que l'état sanitaire des _ufs de poules pondeuses, élevées dans nos poulaillers de ponte traditionnels avec des poules en cage et non des volières, s'est beaucoup amélioré par rapport à celui qui existait du temps où les poules se promenaient librement dans les cours de ferme. Je me rappelle avoir autopsié, puisque je suis vétérinaire, un certain nombre de poules porteuses de salmonelles. Les troupeaux de poules, dans les fermes, étaient souvent atteints de salmonellose. Cette maladie a pratiquement disparu de nos élevages industriels.
Revenir à des poules qui se promènent librement dans les cours de ferme, grattent les tas de fumier et mangent n'importe quoi n'est pas forcément un gage de sécurité alimentaire. Les contrôles, tels qu'ils existent dans les élevages industriels, sont beaucoup plus garants de la sécurité alimentaire que dans l'élevage traditionnel que l'on connaissait il y a trente ou quarante ans.
M. Pierre LE NEINDRE : Vous avez exactement énoncé le contenu du message que je souhaitais faire passer. Il serait intéressant de lire le rapport scientifique, élaboré par le comité consultatif européen sur les poules pondeuses. Ce comité a indiqué qu'il y avait des avantages et des inconvénients à cette formule et qu'il serait dangereux d'obliger à un choix entre l'un et l'autre de ces deux systèmes. Ce rapport a été soumis ensuite aux autorités politiques.
La Commission européenne, a décidé qu'il n'y aurait désormais plus de poules en cage. Et pourtant, le rapport du comité scientifique était beaucoup plus nuancé et ne tranchait pas dans un sens ou dans l'autre. J'ai voulu vous montrer qu'il existe deux stades bien distincts : l'évaluation des risques, puis la prise de décision politique.
J'adhère tout à fait à vos propos. Les truies, comme les vaches, s'isolent lors de leur mise bas. Elles peuvent toutefois être dans un état d'énervement et le fait d'avoir quelque chose près d'elles leur évite une augmentation du stress. Les sociétés de nos animaux grégaires sont régies par une hiérarchie stricte de domination et de subordination, définie plus clairement par " l'un mange, l'autre regarde ". Nous devons absolument tenir compte de tous ces facteurs.
En ce qui concerne la souffrance animale, on peut la mesurer et un thème de recherche travaille actuellement sur l'intitulé suivant : " Quelles sont les conséquences de l'ablation des canines, des testicules et des queues ? " En fait, le porcelet a droit à ces trois ablations simultanément. L'ablation des canines a pour objectif le bien-être des mères, de leur éviter la souffrance lors de la tétée des petits. L'ablation des testicules est en rapport avec la qualité de la viande. Quant à l'ablation de la queue, elle a pour objet de supprimer l'effet de l'ennui des animaux - les porcelets se mangent la queue car ils n'ont rien d'autre à faire - et non pas la cause qui est l'ennui. Ces trois amputations sont de nature extrêmement différente. C'est pourquoi, il faut savoir faire la part des choses, avant d'émettre des avis sur l'interdiction de mutiler. J'entends souvent des propos qui me font frémir, comme celle de laisser leurs cornes aux vaches, car il est interdit de les écorner. J'ai posé la question en mentionnant un risque potentiel pour l'éleveur. La réponse qui m'a été donnée était la suivante : " Si les vaches se défendent, c'est qu'elles ne sont pas satisfaites et qu'elles le manifestent. " J'avoue que cette réponse ne me satisfait pas.
Mme la Présidente : Je vous remercie, M. le directeur.

Le débat avec les Associations d'exploitants agricoles
du département des Côtes d'Armor

Avec la participation de :

MM. Jean SALMON, Président de la Chambre d'agriculture ;

René ARIBART, Président de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles ;

M. Pierre-Yvon LOZAHIC, Président du Centre départemental des jeunes agriculteurs (C.D.J.A.) ;

M. Gaby le TROADEC, Responsable départemental de la Confédération paysanne ;

M. Michel BINEL, Président de la Fédération des syndicats familiaux (M.O.D.E.F.)

M. COMPAIN,

Mme ANNE-MARIE Anne-Marie CROLAIS,

(extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 9 décembre 1999
à Saint-Brieuc)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Jean Salmon, René Aribart, Pierre-Yvon Lozahic, Gaby le Troadec et Michel Binel, M. Compain et Mme Crollais sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. MM. Jean Salmon, René Aribart, Pierre-Yvon Lozahic, Gaby le Troadec et Michel Binel, M. Compain et Mme Crollais prêtent serment.

M. le Rapporteur : Le travail de la commission d'enquête porte sur la transparence et la sécurité sanitaire. Le président vous a indiqué les raisons qui nous ont amenés dans ce département qui figure en tête de la filière agro-alimentaire et la production de viande.

Une note de la D.S.V. précise que les Côtes d'Armor sont sous assurance qualité. Il y a nécessité de respecter certaines règles. Quelles sont les conséquences nées de l'obligation du respect de ces règles sur la rentabilité des exploitations par rapport au marché ? Cette assurance qualité, cette démarche qualité vous a-t-elle aidé à surmonter des problèmes dans l'exploitation ou la rentabilité de votre exploitation ?

D'autre part, comment vivez-vous la réglementation des administrations comme la DSV ou la DGCCRF qui sont là pour assurer le consommateur in fine que le produit mis sur le marché est de qualité et qu'il répond à certaines normes ?

Troisièmement, vous êtes organisés dans des groupements de défense sanitaire et vous êtes soumis à des contraintes relativement fortes. S'agissant de la partie aval de la filière alimentaire, à savoir la transformation de la viande, les contrôles sont, à mes yeux, suffisamment nombreux pour avoir une certaine garantie. Je pense que l'un des maillons faibles de la chaîne se situe en amont, à savoir la fabrication de la nourriture animale et l'alimentation animale. J'aimerais connaître votre sentiment sur cet aspect.

Mme Anne-Marie CROLAIS : Concrètement, je m'occupe au niveau syndical du dossier traçabilité, assurance qualité en production porcine, pas seulement pour les productions costarmoricaines, mais aussi bretonnes. Je peux vous dire en quelques mots comment nous avons essayé de mettre en place cette assurance qualité et jusqu'où nous voulons aller.

Lorsque l'on parle d'assurance qualité, la première démarche est d'être capable de tracer le produit depuis l'élevage jusqu'au consommateur de façon à pouvoir remonter la filière et intervenir là où il y a problème. En France, c'est une chance que nous avons.

Dans le cadre de notre assurance qualité de la production porcine, deux éléments interviennent :

- Premièrement, pas un seul porc ne quitte l'élevage sans être tatoué. Au niveau de la production porcine, ce tatouage se fait par groupe d'animaux, sachant que l'on y travaille souvent par groupe. Au niveau de l'élevage, on travaille par période. Quand un lot part, tout le lot est tracé à l'abattoir et cette traçabilité est obligatoirement visible jusqu'au consommateur.

Autre point important dans cette assurance qualité : le porc qui est tracé répond à un cahier des charges précis. Si nous sommes obligés, pour des problèmes sanitaires, d'intervenir sur un individu du groupe de porcs, nous sommes obligés de le baguer pour le différencier du reste du lot afin de permettre aux services de la DSV de le contrôler. L'absence de la lettre " T " montre que ce n'est pas un porc tracé.

M. le Rapporteur : Cela se fait-il dans le cadre de l'autocontrôle ?

Mme Anne-Marie CROLAIS : Non. Lors de la mise en place de l'assurance qualité, chaque éleveur a été qualifié par un cabinet privé et indépendant de l'agriculteur et de la structure coopérative. Il y a trois ou quatre cabinets de cette nature en Bretagne. Le cabinet Qualidel a été retenu après examen des réponses à l'appel d'offres.

Pour répondre à la traçabilité, l'éleveur doit s'engager à faire un travail parfait de tatouage de ces porcs, à bien marquer des animaux ayant un problème. Il s'engage aussi à respecter le cahier des charges qui précise que tout porc qui quitte l'élevage doit être livré ajeuné, critère très important pour la qualité du porc. Il y un délai d'ajeunement à respecter.

Le cahier des charges précise aussi que pour toute administration de produits antibiotiques aux porcs, il est obligatoire d'en conserver les ordonnances pendant 3 ans. L'organisme certificateur qui nous contrôle vérifie si nos porcs sont bien tracés, si chaque bâtiment d'élevage affiche notre panneau d'information avec les dates d'entrée, de sortie et d'intervention, si les porcs qui ont été malades ont bien été tatoués et si tout cela est bien retracé à l'abattoir. Chaque éleveur a son carnet sur lequel il doit noter tout ce qu'il a fait.

M. le Rapporteur : Depuis combien de temps ces mesures sont-elles en place ?

Mme Anne-Marie CROLAIS : Deux ans. La mise en place avance assez vite chez les éleveurs en raison des mesures d'incitation. Pour mettre en place cette traçabilité totale, les éleveurs qui respectent ces règles de travail, touchent 10 centimes de plus que le prix du marché au cadran au titre de plus-value qualité. En ce moment, cette plus-value compte dans notre trésorerie.

M. le Rapporteur : Il y a donc une petite compensation financière.

Mme Anne-Marie CROLAIS : Aujourd'hui, une assurance au niveau sanitaire a été mise en place. La DSV a dû vous en parler. L'objectif est de centraliser toutes les données d'intervention sanitaire au niveau des élevages. On a aujourd'hui un réel problème sur les maladies contagieuses. Un éleveur qui ne fait pas bien son travail en ne vaccinant pas bien son élevage peut contaminer toute une région par le biais des transports d'animaux, des camions. Il a été décidé que cet éleveur perdrait le " T ", et par conséquent les 10 centimes de plus-value. Nous allons mettre cela en place en début d'année prochaine.

La qualité va de pair avec la traçabilité, avec le respect du cahier des charges en matière de nourriture animale et d'interventions faites sur les porcs, mais aussi avec tout l'aspect sanitaire.

M. le Rapporteur : Combien d'éleveurs se sont-ils engagés pour le moment ?

Mme Anne-Marie CROLAIS : En août 1999, 1 776 000 porcs ont été abattus dont 1 297 159 porcs tracés et 378 000 porcs standards. Les porcs tracés représentent 77 %.

M. le Président : Les autres participants souhaitent-ils réagir sur les questions posées par notre rapporteur ?

M. Michel BINEL : Je suis éleveur de vaches allaitantes. En ce qui concerne la viande bovine, la traçabilité est assez correcte puisque le certificat de naissance doit suivre l'animal de sa naissance jusqu'à sa mort. L'alimentation du bovin entre en ligne de compte pour l'obtention de label. Dans ce cas, on sait à peu près ce que l'animal va manger. Je trouve que cela n'est pas tout à fait suffisant. Le label limite le maïs dans l'alimentation et des éleveurs continuent à en donner trop.

M. le Rapporteur : Y a-t-il un cahier des charges ?

M. Michel BINEL : Oui, il y a un cahier des charges qui limite à un tiers de la ration la proportion de maïs. Il faut que les animaux soient nourris à l'herbe. On peut compléter avec de l'aliment azoté, mais on ne connaît pas vraiment la composition des aliments fabriqués.

M. le Rapporteur : Vous voulez parler des farines animales ?

M. Michel BINEL : Quand Mme Crollais parlait de l'alimentation animale dans le cadre de la procédure qualité, elle parlait de la nourriture, aliment fabriqué compris.

Mme Anne-Marie CROLAIS : Bien sûr ! Il y a un cahier des charges très précis. Dans nos coopératives, chaque lot de blé est identifié, analysé. Aujourd'hui, ils sont en train de mettre en place la détection des résidus de traitements dans les céréales. En tant qu'éleveurs, nous avons un cahier des charges avec la composition de l'aliment. Si l'on pouvait avoir des doutes il y a quelques années, c'est aujourd'hui parfaitement identifié. Un éleveur qui ne connaît pas la composition de la nourriture qu'il donne, n'est pas digne d'être éleveur.

M. le Rapporteur : Pour les porcs, donnez-vous encore des farines animales ?

Mme Anne-Marie CROLAIS : Non. Il faut faire un distingo entre farines animales. Certaines farines sont issues de cadavres d'animaux et d'autres des déchets d'abattoirs. Actuellement, c'est très flou et il faudra bien que l'on identifie correctement ces farines de haute valeur ajoutée au niveau des protéines animales. Pour être réintroduites dans l'alimentation, il faut en finir avec la possibilité d'y introduire des cadavres d'animaux. C'est déjà le cas en France, mais si vous mangez du porc danois, vous êtes sûr que l'animal a mangé des cadavres d'animaux.

M. le Rapporteur : Il n'y avait aucune suspicion dans ma question.

Mme Monique DENISE : Si vous ne leur donnez pas de farines animales, que leur donnez-vous ?

Mme Anne-Marie CROLAIS : Des céréales, du blé, de l'orge, du soja pour les protéines. Aujourd'hui, 75 % de l'alimentation du porc est à base de céréales ; ensuite, on rajoute des protéines, puis des minéraux. Si on ajoute un traitement antibiotique, c'est avec une ordonnance après la visite d'un vétérinaire. Je rappelle que cette intervention doit être signalée. De plus, un certain temps doit s'écouler entre le moment où l'on donne l'aliment et l'abattage. Si tout cela n'est pas respecté, les porcs ne sont pas payés. Dans ce cas-là, on ne recommence pas deux fois.

M. Michel BINEL : On peut donc nourrir les bovins à viande sur l'exploitation sans amener des protéines de l'extérieur. Si un jour arrive le soja transgénique, on ne sait pas non plus que ce que cela donnera. J'espère que cela ne donnera pas le même résultat que les farines de viandes. Il y a un risque.

M. André ANGOT : Il est transgénique. Il n'y a pas de lot de soja qui ne soit pas transgénique.

M. Michel BINEL : Sur les étiquettes, il est vrai que figure la mention " peut contenir des sojas transgéniques ".

M. Gaby le TROADEC : Autant sur les céréales et produits franco-français, on peut avoir une traçabilité, même sur les produits en amont, autant pour tout ce qui est protéines achetées à l'extérieur il y a des points d'interrogation.

J'aimerais revenir sur la traçabilité. Un effort a été fait, un peu par volonté professionnelle, un peu par la contrainte. Dans le domaine de l'élevage bovin, avec le DOB par exemple, ce n'est pas facile à gérer. Le DOB est la déclaration de naissance, la carte sanitaire des bovins, qui doit être faite dans la semaine. Un petit veau vendu à huit ou quinze jours sur le marché au cadran ne peut partir de l'exploitation qu'avec sa carte rose et sa carte verte. Une exploitation fonctionne de façon tranquille ; on ne remplit pas toujours des papiers par minitel. Cela provoque des soucis.

La traçabilité est une chose quasiment normale. Notre confédération s'inquiète de savoir comment le consommateur va la retrouver et quel est son objectif. Est-ce remonter à l'origine du produit ? Cela me semble normal. Mais comment cela se passe-t-il ensuite en bout de chaîne quand l'animal est découpé en petits morceaux. Peut-on remonter le bout de saucisse ? Pour la viande bovine, c'est identique. Un bovin peut être dispersé en 10 ou 15 endroits, par la grande distribution notamment.

Notre inquiétude est la confusion qui est faite entre traçabilité et labellisation. La crise de l'ESB nous a fait comprendre qu'il fallait changer une certaine façon de faire et de penser aux produits. La traçabilité porte sur l'aspect sanitaire ; le reste concerne tout le problème de différenciation de produits, de labellisation. Aujourd'hui, un amalgame est fait ; il serait intéressant que le consommateur puisse s'y retrouver entre des formes normales et obligatoires qui permettent de suivre la lignée d'un produit et des recherches de valorisation.

M. Jean SALMON : Le bovin a connu une longue tradition de suivi et de qualité dans le département grâce à la coopération de tous : élus et professionnels.

Je voudrais me référer à un chiffre. Quand l'ESB est arrivée, nous avons eu au niveau des EDE à faire le listing de tous les cheptels de tous les animaux. Pour les Côtes d'Armor, tous les animaux étaient listés à 100 % ; il n'y avait que 5 % d'animaux dont on ne connaissait pas l'élevage naisseur. Ces animaux se trouvaient généralement dans des ateliers de taurillons et provenaient d'autres départements. Mais on connaissait l'élevage naisseur de tous les animaux dans les ateliers d'engraissement du département. Cela démontre bien qu'avant que ce problème ne vienne sur le devant de la scène, les cheptels bovins étaient particulièrement bien suivis.

Mme Crollais a présenté la situation de la production porcine. Il est vrai que l'effort y est plus récent, mais on en est à 75 % d'animaux tracés.

Je ne suis pas sûr qu'il n'y ait pas une ambiguïté par rapport aux farines animales. Il n'y a pas d'utilisation de farines animales issues de cadavres. Seules sont encore utilisées les farines animales nobles. Dans mon élevage, quand on fait venir dans un camion de l'aliment porcelet, truie, charcutier, les chauffeurs ont consigne de vider les vis entre chaque cellule ; pas entre chaque espèce, entre chaque cellule ! Cela permet d'éviter tout risque de contamination croisée. Je crois qu'ils ont généralisé la spécialisation des camions pour la livraison des aliments bovins pour éviter tout risque de contamination entre espèces.

Vous avez posé le problème de l'assurance qualité et de la rentabilité de l'exploitation. Pour élargir mon propos, je voudrais attirer votre attention sur l'exemple des farines animales. Il y a une incohérence entre la réglementation imposée actuellement en France, à laquelle je souscris totalement, et le fait que des animaux soient autorisés à l'importation en provenance de pays qui n'appliquent pas les mêmes règles du jeu. A Rungis, il n'y a plus de distingo.

M. le Rapporteur : Vous parlez des porcs belges ?

M. Jean SALMON : Belges, danois, hollandais etc. ; il n'y a que la France qui applique cette réglementation. Tant qu'on en est à ce stade, il n'y a pas une différence énorme. Je ne veux pas épiloguer mais le fait qu'à Seattle on ait essayé de porter sur le devant de la scène ce principe de précaution avec ce type de conséquences sur la rentabilité des élevages me convient. Les agriculteurs sont prêts à suivre des cahiers des charges à partir du moment où c'est un contrat avec le consommateur. Mais on ne pourra pas avoir un cahier des charges respecté au niveau des agriculteurs français si des produits concurrentiels entrent sans aucune contrainte.

Deuxièmement, par rapport au problème du maïs, quand il s'agit d'animaux label, des cahiers des charges spécifiques font que les proportions de telle ou telle alimentation sont posées. Le fait de mettre du maïs ou non dans l'alimentation n'est pas un critère de sécurité. C'est un critère en termes de choix de label ou de qualification des produits. Cela caractérise bien la difficulté et l'ambiguïté qui existe entre la qualité sanitaire des animaux qui doit être faite de la manière la plus intransigeante et les produits de label avec des cahiers des charges spécifiques et traités comme tels.

Pour être l'un des co-animateurs d'une réflexion sur l'agriculture raisonnée, il me paraît très important que l'on soit capable de bien faire la différence entre ce qui est de la qualification des produits et ce qui est de la qualification des pratiques.

Tout ce qui tourne autour du concept agriculture raisonnée cherche à qualifier le fonctionnement de l'exploitation dans sa transversalité, c'est-à-dire le respect de l'environnement, les respect des normes sanitaires, le respect des normes alimentaires pour les animaux, le respect du bien-être animal et la qualification des produits. A travers le label, le " bio " ; ces deux démarches peuvent être conduites en même temps.

Je ne voudrais pas que vous partiez d'ici avec le sentiment que, sous prétexte que l'on fait du produit conventionnel, on ne réponde pas au cahier des charges en termes de sécurité alimentaire.

Mme Anne-Marie CROLAIS : Au niveau de l'information du consommateur, on se rend compte qu'il est facile d'informer par rapport aux produits frais. Le problème de l'information se pose pour les produits transformés. C'est leurrer le consommateur que de n'indiquer que la mention de la transformation en France pour un produit transformé. Qui dit transformation en France dit produit français pour le consommateur. Or, une usine à Guingamp fait des produits transformés de volaille et travaille à 60 % à partir de poulets brésiliens, maliens à cause des prix. L'expression " fabriqué en France " n'est pas suffisant. L'origine du produit de base doit être portée à la connaissance du consommateur. Il faut enlever cette notion qui fait que le consommateur doute sur l'origine du produit.

M. Pierre-Yvon LOZAHIC : Sur les farines de viande, on a été assez strict en France : les farines de viande viennent de produits nobles. Si ces farines sont bannies demain, ce ne sera pas non plus une bonne solution. On sait très bien que l'on est déficitaire en protéines végétales. Il faudra donc en importer. Comment contrôler ces importations ? Quels moyens mettra-t-on en place ? Tout en sachant que ces protéines végétales coûteront plus cher que les protéines animales. Qui paiera ? Est-ce le producteur ou le consommateur ? Je ne sais pas si l'on sera gagnant en interdisant totalement les farines de viande telles qu'elles sont faites en France.

M. le Président : A partir de produits sains.

M. Gaby le TROADEC : Sur la notion de traçabilité, je pense qu'aujourd'hui les éleveurs ont pris la mesure de l'intérêt de la traçabilité, surtout en production porcine. C'est un peu moins vrai en production avicole où l'éleveur travaille des lots ; il a peu de prises sur l'évolution de son lot. En bovins, c'est la cape sanitaire.

Une chose me fait bondir et m'inquiète. On voit ici un groupement qui a pignon sur rue se faire épingler parce qu'il indique la mention produits français sur des produits belges. C'est inadmissible car aujourd'hui, certains éleveurs paient très cher cette bêtise. N'empêche que la traçabilité qui a été vraie jusqu'à la porte de l'abattoir a été soumise ensuite à des compromis ou à des calculs économiques. L'éleveur n'a plus rien à y voir, mais celui qui paie les pots cassés reste l'éleveur qui a des vides sanitaires dans sa boutique.

M. le Rapporteur : Que s'est-il passé ?

M. Gaby le TROADEC : Quinze tonnes de poulets sont venus ici de Belgique sous label français durant la crise de la dioxine ! Quinze autres tonnes n'ont jamais été récupérées. Cette entreprise qui s'était fait référencer dans la grande distribution a perdu ses référencements. Elle se retrouve avec ses poulets sur les bras ; derrière cela, il y a des éleveurs et des salariés. Les rumeurs courent dans les campagnes. On ne sait pas si c'est le fruit de règlements de comptes dans l'entreprise, mais le résultat est là.

M. le Rapporteur : Y a-t-il une procédure judiciaire en cours ?

M. André ANGOT : Oui. Ils sont passés au tribunal.

M. Jean SALMON : En tant qu'agriculteurs, nous sommes demandeurs de la plus grande transparence dans toutes ces histoires. Les trois ou quatre derniers gros pépins - ESB, dioxine, listeria - sont le fait d'erreurs industrielles ; pourtant, à chaque fois, ce sont les producteurs qui trinquent. L'incident des poulets PIC a eu son origine en Bretagne ; le reste était une malversation venant de Belgique. Qui a supporté le discrédit ? L'éleveur.

Nous souhaitons la transparence. C'est une vieille tradition dans le domaine des bovins ; la démarche est plus récente pour la filière porcine.

Quoi qu'il en soit, je suis incapable de dire si j'ai ou non du soja transgénique chez moi. Je suis à peu près sûr d'en avoir car je n'ai aucune maîtrise sur la livraison. Au niveau national, avec une trentaine d'organisations, nous essayons de constituer une filière non OGM. Cela a un coût et cela nous renvoie à la relation avec le consommateur. Celui-ci est-il prêt à passer un pacte ?

On est dans la situation où l'on produit et produira de plus en plus ce que le consommateur achètera. Ce n'est pas un problème. Encore faut-il que le consommateur qui pose ses exigences les assume en termes de rentabilité.

Je traite un autre dossier, celui des boues. Ce n'est pas un dossier agricole, mais le fait que les agriculteurs soient réticents pour prendre les boues est presque un crime de lèse-majesté. Sur ce dossier comme sur les autres, il faut un engagement entre le producteur, les utilisateurs, sous contrôle de gens dont le métier est de faire de l'agronomie et de voir ce qu'il est possible de faire ou pas. Il faut qu'il y ait engagement des transformateurs et des consommateurs.

Pour les filières porcs, bovins et volailles, il faut un engagement du fabricant d'aliment, du producteur, du transformateur, du distributeur et du consommateur.

Nous, en tant que producteurs, nous en avons assez d'être en position d'accusés. Des gens sont presque en faillite à cause de la dioxine venue de Belgique alors qu'ils n'y sont strictement pour rien ! Nous avons tous intérêt à ce que les choses se clarifient.

M. le Président : La mission de la commission porte sur toute la filière. Il y a l'amont de la production, la production, l'abattage, la transformation, le conditionnement. Il y a plusieurs maillons et souvent les gens pensent que c'est le maillon de la production qui est le plus en cause. En fait, il est coincé entre les autres et nous avons intérêt à repérer les dysfonctionnements pour les éviter, à essayer de voir les canaux par lesquels il peut y avoir des fraudes afin de les sanctionner et à voir comment on peut donner toujours plus de transparence et de sécurité. C'est l'intérêt des consommateurs et celui des producteurs.

M. Jean SALMON : J'ai été pendant plusieurs années administrateur d'une coopérative laitière. A l'époque, en 1985, on disait déjà que dans le cas où l'on trouverait une trace d'antibiotique dans une livraison de lait, le contrat serait cassé immédiatement. Si les agents de la DSV trouvent une trace d'antibiotique, le producteur est dégradé tout de suite.

M. le Rapporteur : Que signifie dégradé tout de suite ?

M. Jean SALMON : Il perd son agrément dans un premier temps et s'il continue... le cochon ne sera pas vendu.

M. le Rapporteur : Quelles sont les mesures appliquées ? Une exclusion définitive ?

M. Jean SALMON : Dans le cas du lait, il s'agissait de fortes pénalités. Jamais les producteurs ne sont intervenus pour nous dire que la sanction était trop dure.

M. le Président : Quand il y a des pénalités sur le prix, que fait-on du lait quand survient ce genre de problème ? Il ne faudrait pas que seul le producteur soit pénalisé en lui payant le lait moins cher alors qu'on utiliserait quand même le lait. Comment font les coopératives ?

M. Jean SALMON : Dans un certain nombre de cas, le lait n'était même pas collecté ; ces cas sont très rares. Parfois, le lait était pasteurisé ou subissait des traitements. Mais, de plus en plus, il est admis qu'il faut s'en débarrasser.

M. COMPAIN : Nous sommes tous attachés à la traçabilité, à la transparence avec le consommateur. Nous pouvons faire tous les efforts possibles sur nos exploitations. Mais quelques éléments nous sont chers à nous, MODEF.

Quand on s'installe, l'engagement est fort. La pérennité dépend alors de la capacité à vivre à partir d'une production durable. Il y a nécessité pour ceux qui s'installent d'avoir des productions traçables. On ne produit plus n'importe comment. C'est le consommateur qui décide ce qu'il veut manger. Les éleveurs sont aussi dépendants d'une politique de marché qu'ils ne maîtrisent pas individuellement, voire collectivement.

Il était question tout à l'heure de Seattle ; toutes ces notions de sécurité alimentaire, de traçabilité, d'arme alimentaire au niveau mondial, toutes ces questions d'alimentation sont au c_ur de la vie et transparaissent sur la vie quotidienne de nos exploitations. Nous pouvons maîtriser ces questions ou essayer d'influencer en tant que syndicalistes ou producteurs organisés, mais revenus sur nos exploitations, nous avons du mal à les maîtriser.

Nous sommes aussi liés à des politiques européennes : la PAC, l'accord de Berlin qui encadrent les prix et les diminuent. Au niveau communautaire, on a fait le choix il y a quelques années d'être dépendants au niveau des protéines avec l'accord de Blair House sur les oléoprotéagineux. Après un tel accord, nous avons un cadre restrictif dans lequel nous sommes obligés d'évoluer, nous, producteurs. Nous lançons un cri d'alarme auprès de votre commission : nous avons des règles qui sont dures à vivre, la PAC, l'accord de Berlin etc.

La question centrale est la question du revenu. Les éleveurs sont prêts à faire tous les efforts possibles, mais cela nécessite en contrepartie un revenu décent qui permette de vivre. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Il n'est pas tabou de dire qu'un agriculteur sur deux ne gagne pas le SMIC. C'est une réalité.

Partant de là - chiche ! - nous sommes tous prêts à jouer la transparence, la qualité et le savoir-faire. Il y a un savoir-faire paysan et il y a un savoir-faire dans les Côtes d'Armor. En face de cela, il faut une politique nationale.

M. le Rapporteur : La diminution dans le budget familial de la part de l'alimentation a été signalée au cours des auditions. C'est une donnée à prendre en compte. Au cours de ces 50 dernières années, ce mouvement est indéniable. Ceci n'est pas sans conséquence sur cela.

M. Pierre-Yvon LOZAHIC : Je voudrais parler de la volaille et plus particulièrement de l'élevage de la dinde. Le comité interprofessionnel de la dinde a mis en place un contrat de progrès dans tous les niveaux de la filière, de l'élevage jusqu'à la découpe.

Depuis quelques années, les éleveurs de volaille ont pris conscience que la traçabilité était la condition de leur survie. Nous avons fait des efforts et nous continuons à en faire. Sans que cela soit aussi élaboré que pour l'élevage des porcs, on a demandé aux éleveurs de pratiquer un suivi des lots identifiés par des numéros. Toutes les interventions, administration d'antibiotiques, vaccins, sont notées sur des fiches d'élevage. A chaque départ de volaille, la fiche d'élevage suit la volaille. Après, je ne sais pas comment cela se passe à l'abattoir et à la découpe.

Le contrat de progrès impose aux éleveurs de faire des efforts en ce qui concerne les conditions d'élevage. Par exemple, les bâtiments doivent être tout vides ou tout pleins. S'il y a plusieurs bâtiments, il ne peut pas y en avoir un qui soit plein alors qu'un autre serait vide. Pour éviter les risques sanitaires, des sas sont aménagés pour séparer zone propre et zone " sale ". On y revêt une tenue spécifique à l'élevage pour ne pas ramener des germes dans l'élevage.

La charte doit être respectée dans les domaines du nettoyage, de la désinfection et de la décontamination. La dératisation des élevages évite l'entrée de souris, rats et mulots.

M. le Président : Une question revient souvent dans nos entretiens. Elle concerne le bien-être des animaux et sa place dans l'amélioration de l'ensemble des produits.

M. André ANGOT : Vous disiez qu'en cas de présence d'antibiotique, tout le lot de porcs et de bovins concernés était pénalisé et qu'il pouvait être saisi. Pour ce qui concerne le lait, il faut savoir que deux ou trois fois par mois, les entreprises font des contrôles à la ferme pour mesurer le taux de matière grasse, le taux de leucocytes et contrôler la présence d'antibiotiques. L'éleveur en faute est passible du tribunal correctionnel. Cela existe depuis très longtemps.

J'ai été longtemps prescripteur d'antibiotiques et je peux vous dire que sur chaque ordonnance était spécifié un temps d'attente à respecter pour le lait et la viande. L'agriculteur avait bien compris le système et n'avait pas intérêt à ne pas respecter le temps d'attente. Pour les antibiotiques dans la viande porcine, bovine, le lait, on peut être rassuré. Sauf erreur qui peut toujours se produire, il est exceptionnel que l'on y retrouve des traces d'antibiotiques.

M. Michel BINEL : Souvent, les producteurs de lait savent quand les échantillons seront prélevés.

M. André ANGOT : Non.

M. Michel BINEL : Il arrive de temps en temps qu'on retrouve des antibiotiques parce que cela a été pris...

M. André ANGOT : Mais cela va au tribunal correctionnel.

M. Jean SALMON : Chez moi, le dimanche soir, c'est le voisin qui trait une fois sur deux. Il y a un code entre nous ; les bêtes à problème ont un bracelet à la patte. Un jour, par mégarde, il a trait une vache traité par antibiotiques. J'ai téléphone à la laiterie et mis le lait dans la fosse. Il y a d'ailleurs un dispositif qui fait que le lait est payé à 50 %. C'est un code de sécurité qui m'assure sur la moitié de la production. Mais, j'ai préféré mettre le lait à la fosse que d'aller au tribunal. D'ailleurs, ce système incitatif fait que les gens déclarent ces incidents.

M. Michel BINEL : C'est à cela que je voulais arriver car cela m'est arrivé aussi. Mais on a remarqué que c'est souvent chez les mêmes producteurs qu'il y a ces problèmes.

M. Jean GAUBERT : Il m'est difficile de me situer dans cette réunion : je ne sais pas si je suis député ou éleveur.

J'ai le sentiment que les choses ont beaucoup évolué en bien depuis 25 ans. Je suis paysan depuis quelque 30 ans. J'ai connu l'époque où, dans les élevages de porcs, l'éleveur mettait au matin le flacon d'antibiotiques dans sa poche et la seringue dessus. A l'époque, personne ne se posait de questions.

Aujourd'hui, on n'est plus du tout dans cette situation. Tout le monde l'a expliqué. Quand on analyse les résultats économiques des élevages, on se retrouve avec des situations terriblement obérées dans les élevages où il y a des problèmes sanitaires. Cela coûte très cher. Les gens s'en rendent compte de plus en plus . Chaque fois qu'il y a un problème sanitaire, c'est la sanction d'une faute de conduite d'élevage, bien qu'il y ait parfois des virus qui se promènent. Il y a de plus en plus d'éleveurs qui y font attention, y compris pour cette raison-là.

Ce qui est fou, c'est qu'aujourd'hui, on s'interroge alors que les éleveurs ont le sentiment d'avoir fait des progrès considérables par rapport à ce qui se passait 25 ou 30 ans auparavant. A l'époque, tout le monde nous disait que c'était très bien.

M. le Président : Le rapporteur doit rédiger un rapport final. Nous essaierons d'y faire quelques suggestions. Ce n'est pas la commission qui prend les décisions, mais le gouvernement. Si vous aviez, vous qui êtes des gens de terrain, quelques suggestions à faire, quel est le domaine dans lequel vous pourriez être amenés à nous dire de mettre l'accent sur telle ou telle chose ?

M. Jean SALMON : Avant de répondre à cette question, vous avez sollicité une réaction de notre part sur le bien-être animal.

En tant qu'éleveur, je considère qu'un animal productif est un animal qui est bien en termes de confort. Je pourrais multiplier les exemples. En vous écoutant, je pensais à un élevage qui venait de se mettre aux normes, qui avait couvert son aire d'exercice en stabulation, croyant avoir amélioré le bien-être de ses animaux, et qui a connu des problèmes sanitaires. Je me fais la réflexion que la notion de bien-être n'est pas obligatoirement celle que l'on croit.

Je prendrai un deuxième exemple qui concerne les poules pondeuses. Avec les gens du CNEVA*, devenu l'AFSSA, nous avons fait de nombreuses recherches sur les cages à poule. Nous nous sommes rendu compte que plus les poulaillers étaient agrandis et plus il y avait des problèmes de comportement. On peut en tirer les enseignements que l'on veut. Si je fais la comparaison entre l'élevage en batterie de volaille et l'élevage en plein air, tous les rapports sont d'accord pour dire qu'il est beaucoup plus difficile de tenir la qualité sanitaire d'un élevage quand les poules se promènent sur le domaine que lorsqu'elles sont en contention. Comment concilier tout cela ? Je ne sais que suggérer.

Je ne ferai qu'une suggestion : c'est que vous insistiez sur la cohérence des règles pour les producteurs français, européens et autres qui importent chez nous. C'est un point très important. On ne pourra durablement demander des efforts aux agriculteurs français et européens que s'ils ont la garantie de ne pas être concurrencés de manière déloyale par des productions de l'extérieur qui n'auraient pas les mêmes contraintes. Les contraintes ne sont pas une difficulté si l'on sait que l'on n'est pas concurrencé par des gens qui n'ont pas les mêmes charges.

Mme Anne-Marie CROLAIS : Au niveau du bien-être, je fais visiter l'élevage puisque nous avons des gîtes ruraux à la ferme. Plus je fais visiter, plus je suis fière du métier que nous faisons et de la façon dont nous élevons nos animaux. Au niveau du bien-être, nous savons que des normes vont se mettre en place au niveau de la communauté européenne. Nous devons veiller à ce que ce ne soit pas des rêveurs qui les mettent en place ; il faut que cela soit fait de façon réaliste par rapport aux conditions de travail des éleveurs.

M. le Rapporteur : Vous ne souhaitez pas que l'on mette cela entre les mains de la fondation Brigitte Bardot ?

Mme Anne-Marie CROLAIS : Le lobby pour le bien-être animal est manipulé par on-ne-sait-qui et prend une force terrible.

Mme Monique DENISE : Nous sommes dans le pays où la production de porc est la plus importante et où la crise du porc est la plus importante. Je vais vous parler de votre bien-être à vous. D'après ce que me disent les syndicalistes de ma région, le cours du porc pourrait être amélioré si les producteurs ne vendaient pas leurs porcs au-dessus de 80 kilos. Il y a une règle très simple à mettre en place : si les porcs étaient vendus en dessous de 80 kilos, votre prix de revient serait assuré de ne plus descendre au-dessous de 5 francs.

Mme Anne-Marie CROLAIS : Vous avez raison de dire qu'en cette période de crise, l'Europe pourrait mettre en place des outils pour réduire la quantité de viande sur le marché. On pourrait penser à l'abaissement des poids de carcasse, à des abattages de porcelets quand il y en a. Les Espagnols l'ont demandé car ils ont une forte culture alimentaire à base de porcelet. Il y a tout un éventail de mesures à prendre. Cela ne réglera pas la crise mais cela peut aider à soulager le marché.

Mme Monique DENISE : Il y a surproduction au Danemark.

Mme Anne-Marie CROLAIS : Je suggère une grande fermeté sur l'étiquetage des produits transformés. Il doit porter la mention : " produit en France " et " transformé en France ".

M. Gaby le TROADEC : Il faut qu'il y ait une équité dans la façon de faire au niveau européen.

Sur le bien-être, je me mets en retrait par rapport à ce que disent mes collègue. Je ne peux pas répondre à la place d'une poule, d'un cochon ou d'une vache, mais je m'interroge. En revanche, des producteurs qui ont une conception différente de l'agriculture ont compris que l'on touchait là au côté affectif du consommateur. Je ne vois pas pourquoi l'éleveur ne saisirait pas cette opportunité que lui offre le consommateur de jouer sur le terrain affectif.

Quelque chose nous revient en lame de fond de temps en temps et cela pourrait bien nous retomber dessus : l'utilisation d'antibiotiques en facteur de croissance. C'est peut-être moins utilisé qu'à une époque ; c'est peut-être plus réglementé ; mais il faudrait que cela soit aussi très clair. On aurait peut-être une perte en termes de rendement technique, mais il y a quelque chose à peser dans la balance. Il faudra qu'un jour on clarifie bien cette pratique.

M. André ANGOT : Cela se fait de moins en moins.

M. Gaby le TROADEC : Même si cela se fait un peu, cela gêne tout le monde.

M. André ANGOT : Au début de nos auditions, nous avons reçu le directeur de l'INSERM qui estimait que les publicités des hypermarchés annonçant le prix des produits alimentaires devraient être interdites. Ces publicité favorisent toujours la course à la baisse. Auchan dit : " la côte de porc à 17 francs " ; Leclerc répond : " la côte de porc à 16 francs, le poulet à 10 francs le kilo ". Notre commission aura des propositions à faire au gouvernement. Estimez-vous que l'une de ces propositions pourrait être d'interdire la publicité sur les prix les plus bas ? (Assentiment général)

M. Jean SALMON : Quand il y a pression sur les prix, cela tire sur la qualité.

M. COMPAIN : Dans les quelques idées force : il faut respecter l'homme ; il y a le bien-être animal, votre rôle de relais parlementaire est de rester attaché à l'homme, au respect du paysan, de sa qualité de vie. Il faut aider à ce que les diverses agricultures - raisonnée, durable ou " bio " - puissent coexister et que chacun puisse gagner sa vie. Il faut garder l'idée qu'il faudra plus de transparence au niveau de la sécurité et de la traçabilité. Enfin, il faut obtenir le respect de règles communautaires : ce qui vaut en France doit valoir en Angleterre. A cet égard, la décision du gouvernement français prise hier soir nous satisfait en tout cas.

M. Michel BINEL : Ne faudrait-il pas généraliser les cahiers des charges ? Pour le label, je n'ai pas de cahier des charges. On vient vérifier de temps en temps, mais dans l'alimentation, il y a pas de cahier des charges.

M. Pierre-Yvon LOZAHIC : Les règles communautaires sont très importantes. Mme Crollais a parlé d'une entreprise qui s'implantait dans la région et qui était venue soit-disant pour faire travailler les producteurs régionaux. Elle a mis en place une charte qualité et elle s'approvisionne dans d'autres pays. On peut quand même se poser des questions. Tous les éleveurs ont pris conscience de la nécessité de la qualité dans la filière de production. Il faudrait éviter qu'au nom de l'économie, des entreprises fassent n'importe quoi.

M. le Rapporteur : Serait-il possible d'avoir vos cahiers des charges et contrats de progrès ?

M. le Président : Je vous remercie de votre participation. Notre but n'était pas de brasser tous les problèmes car nous aurions pu y passer la journée. Les problèmes de qualité sont liés à l'ensemble des données. Nous avons donc voulu cibler sur ces questions.

Le débat avec les vétérinaires du département des Côtes d'Armor

Avec la participation de MM. les docteurs vétérinaires :

Guy POULIQUEN, Président du syndicat départemental des vétérinaires, membre du syndicat des vétérinaires d'exercice libéral ;

Pierre MAYAUX, Président du groupement technique vétérinaire ;

COLLIN, Coordinateur E.S.B. (encéphalite spongiforme bovine) ;

Guy JONCOUR, Responsable de l'environnement du groupement technique ;

François CORMIER, Conseiller membre de l'Ordre régional des vétérinaires de Bretagne, Représentant pour le département des Côtes d'Armor

(extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 9 décembre 1999
à Saint-Brieuc)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Guy Pouliquen, Pierre Mayaux, Collin, Guy Joncour et François Cormier sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Guy Pouliquen, Pierre Mayaux, Collin, Guy Joncour et François Cormier prêtent serment.

M. le Rapporteur : Vous contribuez de manière décisive à la transparence et à la sécurité sanitaire de la filière alimentaire. Nous savons que le département des Côtes d'Armor est sous assurance qualité ; nous aimerions connaître les conséquences concrètes de cette situation.

Quelles mesures spécifiques particulières avez-vous dû mettre en _uvre ? Quelles relations avez-vous avec les groupements de défense sanitaire ? Quelles sont vos relations avec l'administration ?

Parmi les informations qui m'ont été communiquées, j'ai noté que l'ampleur des contrôles était à l'image de l'importance des activités d'élevage : 140 000 contrôles sérologiques, 1 200 prélèvements de contrôles d'anabolisants, 1 600 examens de laboratoire. Ceci a sûrement inspiré des mesures de retraits de produits animaux destinés à la consommation ainsi que certaines recommandations au plan des pratiques d'élevage.

M. Guy POULIQUEN : Quand vous dites que le département est sous assurance qualité, qui cela concerne-t-il ? L'administration ? Les organismes ?

M. le Rapporteur : Il s'agit de la norme EN 45004.

M. Guy POULIQUEN : Voulez-vous parler de la Direction des services vétérinaires (D.S.V.) ?

M. François CORMIER : Nous dépendons tous de la D.S.V. du fait des mandats sanitaires, qui nous permettent d'agir en cas de maladies contagieuses, sous couvert précisément de l'autorité de la D.S.V. Nous constituons en quelque sorte " l'_il de l'administration " dans le cadre de notre activité libérale pour les maladies à déclaration obligatoire et pour les maladies qui ne sont pas encore obligatoirement déclarées.

M. Guy JONCOUR : L'objet de notre réunion ne se limite pas aux bovins, mais en tant que vétérinaires libéraux de campagne, nous avons à connaître aussi de la situation de petites et grosses exploitations pour les productions de porcs et de volailles. Je rappelle que les vétérinaires libéraux ont tenté de communiquer en 1996 dans ce secteur où l'objectif de transparence est difficile à atteindre.

Nous n'ignorons pas les aspects humains, car nous rencontrons régulièrement des éleveurs qui sont d'abord nos clients. La situation est souvent différente avec les systèmes intégrés d'élevage et les coopératives.

L'examen clinique d'un bovin est rentable pour l'éleveur, mais ne paraît pas possible pour les porcs ou les volailles. Je suis évidemment sensible au problème par la maladie de la " vache folle ", mais il existe sur ce point des problèmes au niveau de l'épidémio-surveillance.

M. Pierre MAYAUX : Les groupements techniques vétérinaires représentent tous les vétérinaires. Il est vrai que les vétérinaires libéraux interviennent dans tous les types d'élevages, mais il faut savoir que tous les vétérinaires du département, qu'ils soient libéraux ou non, sont responsables devant l'ordre. Ils sont donc tous soumis aux mêmes obligations. L'action des groupements techniques vétérinaires porte, par exemple, sur l'usage des antibiotiques en élevage, ce qui concerne évidemment la démarche qualité. Nous insistons pour que tous les vétérinaires recherchent la meilleure qualité de soins, l'utilisation optimale des antibiotiques dans les élevages.

M. le Rapporteur : Quel est le statut particulier des vétérinaires travaillant dans les groupements de défense sanitaire, pour autant qu'ils en aient un ?

M. Guy JONCOUR : Il y a un groupement de défense sanitaire par département. Les vétérinaires y sont salariés de la Fédération des groupements de défense sanitaire (F.G.D.S.) et peuvent se voir reconnaître le mandat sanitaire, s'ils le demandent. étroite avec ce vétérinaire. La F.G.D.S. est d'ailleurs un organisme agricole avec lequel nous travaillons quotidiennement.

M. le Rapporteur : Quelle est la nature du travail que vous accomplissez en collaboration avec les G.D.S. ?

M. Pierre MAYAUX : Des plans de certification sont lancés dans le cadre de la maladie des bovins. Nous travaillons avec les G.D.S. pour certifier les élevages. Nous collaborons aussi dans le cadre d'enquêtes sur les salmonelloses, sur les avortements chez les bovins. Le G.D.S. se consacre plutôt aux bovins dans ce département.

M. le Président : Comment fonctionne le service d'alerte entre la Direction des services vétérinaires, le vétérinaire de la fédération et vous-mêmes ?

M. Guy JONCOUR : Tout commence par l'éleveur.

M. Guy POULIQUEN : La Fédération intervient, quand il ne s'agit pas d'une maladie réputée contagieuse. Sinon, c'est la Direction des services vétérinaires qui est maître d'_uvre, s'appuyant en cela sur la Fédération qui est très organisée pour l'identification des bovins. D.S.V., F.G.D.S. et vétérinaires sanitaires travaillent ainsi ensemble.

M. Pierre MAYAUX : Suite à l'appel de l'éleveur, nous intervenons pour établir un diagnostic. S'il s'agit d'une maladie réputée contagieuse, nous alertons la D.S.V. Sinon, nous alertons la F.G.D.S.

M. Guy POULIQUEN : La F.G.D.S. accorde des subventions dans le cas de maladies non réglementées par l'Etat, mais susceptibles de coûter cher à l'éleveur. Par exemple, la salmonellose bovine et la maladie des muqueuses ne sont pas des maladies à déclaration obligatoire, mais leur déclaration permet à la F.G.D.S. de donner des subventions à l'éleveur qui a tout intérêt à nous appeler pour faire sa déclaration à la Fédération.

M. Guy JONCOUR : Le G.D.S. correspond en fait à une assurance pour l'éleveur. Il y a 30 ans, un éleveur avait perdu six de ses huit vaches par la ciguë. Deux jours après, il récupérait le prix de ses six vaches grâce à la distribution dans les fermes de morceaux de viande qui étaient revendus aux voisins. Actuellement, le G.D.S. remplace cette solidarité agricole par des cotisations et permet d'obtenir un appui technique pour les problèmes sanitaires de l'élevage dans le cadre des maladies non réglementées.

M. Jean GAUBERT : Le Dr Joncour a dit que l'examen clinique n'est plus possible dans les élevages de porcs et de volailles. J'aimerais qu'il en donne les raisons.

M. Guy JONCOUR : On ne fait pas un examen clinique individuel sur une volaille, sur un porc ou sur un animal de type industriel. L'examen clinique individuel ne se fait pas, parce qu'un poulet de chair ne vaut rien en tant qu'individu. Par contre, une vache qui vaut 8 000 francs justifie un examen clinique individuel. Nous étudions aussi la pathologie de groupe dans le cadre d'une exploitation, mais nous avons un examen clinique individuel. Je suis peut-être obnubilé par ces problèmes d'E.S.B. qui sont le point de départ de tous les problèmes. Comme Guy Pouliquen, 10 % des cas observés pour l'ensemble de la France l'ont été dans mon département.

M. Jean GAUBERT : Je suis éleveur et je connais donc bien le dossier. Il me semble que, pour le porc, l'examen clinique individuel est souvent un préalable à la détection d'une contagion possible. Quand l'éleveur constate qu'un animal présente des signes particuliers, il appelle son vétérinaire qui opère un examen individuel lui permettant de connaître le risque que court l'animal et de déterminer s'il peut être contagieux pour l'ensemble de l'élevage.

M. François CORMIER : M. Joncour dit qu'il n'y a plus d'examen clinique individuel sur une volaille, mais il subsiste un examen clinique global sur un poulailler de 15 000 poules. Il y a des autopsies, des de défense sanitaire sous couvert des vétérinaires salariés de la coopérative ou même de vétérinaires libéraux pour certains élevages qui ne sont pas intégrés. Il y a ainsi un contrôle constant des élevages. La qualité est pour nous une notion essentielle et nous essayons de la transmettre à l'éleveur.

M. Jean GAUBERT : Le terme de subvention ne me paraît pas adapté s'agissant de la Fédération des groupements de défense sanitaire. Les aides versées aux éleveurs dans les situations difficiles que vous avez évoquées sont la plupart du temps liées aux cotisations payées par les éleveurs. Il s'agit d'une assurance et non de subventions. Il existe, c'est vrai, des aides publiques, mais, pour l'essentiel, on est en présence d'un mécanisme d'assurance.

Notre département a été très touché par l'E.S.B. Avez-vous le sentiment que tous les cas ont été déclarés ? Ce n'est pas forcément le cas dans notre département ! Nous nous interrogeons tous sur le fait que le marchand d'aliments a distribué le même aliment dans deux départements voisins et que cela a provoqué plusieurs cas dans l'un et pas dans l'autre.

M. Guy JONCOUR : J'ai eu l'occasion d'en discuter ici même avec de nombreux journalistes. Ce résultat qui est réel, peut être la conjonction de plusieurs facteurs. Notre département est doté d'un fort réseau de 254 vétérinaires sanitaires qui connaissent très bien les éleveurs. Une autre explication plausible passerait par la prime à l'aliment sécheresse en 1989.

J'ai dit à Christopher Clover, éditorialiste au Daily Telegraph, que le risque biologique zéro n'existait pas. Maintenant, on parle beaucoup de sécurité alimentaire et de risque biologique zéro. Personne ne peut assurer que tous les cas ont bien été recensés. Les coordonnateurs des départements à l'ouest ou au sud des Côtes d'Armor ont été appelés, pour un plus grand nombre de cas de suspicion que de confirmation. On a constaté plus de 15 cas positifs. Il est toujours possible qu'un cas passe inaperçu, mais je ne pense pas que cette constatation fasse avancer les prises de responsabilité.

M. Guy POULIQUEN : Je suppose que vous évoquiez le département du Morbihan. Je connais personnellement un grand nombre de vétérinaires dans ce département - M. Angot en connaît aussi - dont on ne peut mettre en cause l'intégrité. Plusieurs vétérinaires du Morbihan nous ont contactés pour savoir comment nous avions détecté les cas. Mais s'ils n'en ont pas eu, ils ne peuvent pas les inventer.

M. Jean GAUBERT : Une usine est citée, parce qu'elle distribue plus d'aliments dans le Morbihan que dans les Côtes d'Armor et que, curieusement, c'est dans les Côtes d'Armor qu'il y a eu le plus de cas alors qu'il n'y en a pas eu dans le Morbihan.

M. Guy JONCOUR : C'était l'une des raisons pour lesquelles j'avais suggéré que les visites des ports du Légué ou de Lorient puissent fournir quelques informations. En 1989, certaines importations de farines anglaises pouvaient passer pour des cretons, des plumes et des poils. Il y a, là aussi, un problème de quantité, mais aussi de qualité dans les apports.

Quitte à passer pour un affreux corporatiste bien que je ne soie pas syndiqué, je dirai que les vétérinaires essaient de défendre plus la qualité que la quantité. Quand nous rencontrons un problème de salmonellose, de listériose ou d'une autre maladie qui fait peur, nous nous préoccupons aussi des quantités, autrement dit du revenu des éleveurs. C'est à ce propos que je parlais d'examen clinique individuel. Il ne s'agissait pas pour moi de dénigrer les élevages de porcs ou de volailles. Mais il est évident que toutes les gestions ne sont pas identiques.

Mme Monique DENISE : On sait que l'E.S.B. se transmet par l'alimentation, mais elle se transmet aussi de la vache à son veau par léchage.

Les participants : Il ne s'agit que d'une hypothèse !

Mme Monique DENISE : Ce n'est sans doute qu'une hypothèse, mais ceci explique qu'il faille respecter un délai de six mois avant et après la livraison des viandes. Il existe d'autres cas que l'on appelle les cas N.A.I.F. J'aimerais connaître votre opinion sur le sujet.

M. Guy JONCOUR : Les vétérinaires coordonnateurs ont fait un communiqué en 1996 sur ces cas N.A.I.F. en observant une vache limousine. Elle avait eu des farines animales en 1989 parce qu'elle était génisse et qu'il existait alors une prime à l'aliment sécheresse. Du fait de notre expérience de terrain, nous pouvons confirmer que les cas N.A.I.F. sont souvent liés à des croisements de filières non spécifiques, c'est-à-dire de l'aliment pour porcs ou volailles donné à des vaches.

Il faut savoir que des farines anglaises ont été importées jusqu'en juin 1996 afin de nourrir les porcs et les volailles. En 1996, nous avions suggéré d'arrêter de donner des farines animales aux animaux ruminants. Nous faisions une restriction pour les premiers âges en nous fondant sur la biologie. Les poussins mangent des vers de terre, de la protéine animale. Le porc est omnivore ; il mange aussi des protéines animales. Il faut se fonder à cet égard sur des données biologiques.

M. le Président : Il y a un autre débat sur les farines animales, selon que celles-ci viennent de produits sains ou de produits à risques.

M. Guy POULIQUEN : Je voulais parler de la différence entre les diverses farines. Nous ignorons le contenu des farines anglaises. La farine française est fabriquée depuis deux ou trois ans à partir de déchets d'animaux d'abattoirs, reconnus sains et propres à la consommation humaine. Les autres animaux morts sont transférés à l'incinérateur.

M. le Rapporteur : Ce type de farines animales issues d'animaux sains est un apport protéique intéressant. Il ne faudrait donc pas le donner aux ruminants ?

M. Guy JONCOUR : On peut donner de l'urée aux ruminants ; ils la transformeront en protéines. C'est une question d'éthique.

Nous ne pouvons pas traiter ici la question des O.G.M. Sont-ils dangereux ou non ? Si les consommateurs n'en veulent pas, il ne faut pas favoriser les O.G.M. On est dans l'irrationnel en matière de consommation comme en matière de sécurité et de transparence. Cela dit, je ne pense pas qu'il soit indispensable de donner à des ruminants des protéines animales.

M. le Rapporteur : Si vous ne donnez pas cela, il faut donner du soja. Or, le soja est souvent de nature transgénique !

M. le Président : Aujourd'hui, on ne donne plus de farines animales aux bovins. On continue d'en donner aux volailles, aux porcs et aux poissons, mais il s'agit de farines en provenance de produits sains. Les produits issus de l'équarrissage sont, quant à eux, incinérés.

M. le Rapporteur : Nous avons auditionné des scientifiques, dont Mme Brugère-Picoux de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort qui m'a tout à fait convaincu au plan scientifique. Elle dit que l'ingestion de farines animales par des ruminants n'a rien de scandaleux sur un plan biologique. On nourrit la flore intestinale contenue dans le rumen. Au plan scientifique, il n'est pas aberrant de faire consommer des farines pour avoir un apport azoté. Au plan éthique, cela est différent. Au plan biologique, j'estime qu'il n'est pas aberrant de le faire quand les farines sont fabriquées dans des conditions correctes. J'ai cru comprendre que vous étiez hostile aux farines animales chez les ruminants.

M. Pierre MAYAUX : Il faut traiter aussi du problème des cas N.A.I.F. qui ne donnent lieu pour l'heure qu'à des suppositions. Il paraît logique, par principe de précaution, d'éliminer déjà les farines animales. Il se pourrait en effet que des farines animales parviennent par d'autres chemins pour l'instant inconnus.

M. le Président : Lesquels ?

M. Pierre MAYAUX : Il s'agit de farines anglaises qui reviendraient par d'autres biais. Il paraît donc logique, par principe de précaution, d'interdire les farines animales pour les ruminants.

M. le Rapporteur : Si vous remplacez ces farines animales par du soja qui est transgénique à 90 %, du fait de l'application du principe de précaution, il existe néanmoins des risques importants : les modifications génétiques ne pourraient-elles pas susciter des problèmes, notamment le développement de l'E.S.B. ?

M. Guy JONCOUR : A l'heure actuelle, on pense que les farines animales, de viandes et d'os,- et peut-être de matières grasses - contiennent l'agent de transmission non conventionnel, l'A.T.N.C. - la théorie du prion n'est qu'une théorie - plus que les sojas transgéniques. Le problème du soja transgénique s'est posé, quant à lui, par rapport à la consommation de produits finis d'origine animale. Cette question est secondaire par rapport à la crise bovine qui se poursuit et qui a eu des répercussions sur les autres filières animales.

M. Guy POULIQUEN : Pour aller dans votre sens, j'estime qu'on nage dans l'irrationnel. Il est vrai qu'il faut arrêter l'usage de farine de viande pour les ruminants par précaution. Le soja transgénique, arrivant dans la panse, est transformé en acides aminés, comme l'urée, et produit des protéines. Le fait que le soja soit transgénique ou non au départ ne change pas grand-chose. (Signe dubitatif de M. Chevallier)

Autre argument, je ne connais pas de vétérinaire qui ait arrêté de manger de la viande.

M. le Rapporteur : Je ne sais pas si dans 10 ans, les vétérinaires ne seront pas plus porteurs de la maladie de Creutzfedt-Jakob que les autres populations !

Je suis d'accord avec vous lorsque vous parlez de la transformation du soja transgénique en rappelant la dégradation des protéines. Je ne sais ce que vous répondrez à ceux qui pensent que, lorsqu'on a fait du soja génétiquement modifié, on a introduit à un moment un gène nouveau sans savoir où on le mettait. Les conséquences de la proximité de l'implantation sur d'autres activités métaboliques ne sont pas connues.

Je suis d'accord avec vous sur votre analyse d'ensemble. Mais à un moment donné, on a manipulé en provoquant des modifications internes au niveau des molécules.

M. François CORMIER : Quand on sélectionne un maïs ou une autre espèce végétale comme le soja pour améliorer les conditions de production, on obtient des transformations génétiques. On va favoriser ces transformations génétiques artificiellement en mettant des gènes pour utiliser moins de pesticides.

M. le Rapporteur : Non. La manipulation sur le maïs Novartis a consisté à introduire un gène résistant à la pyrale, mais aussi un gène à l'ampicilline. Vous connaissez certainement le montage biologique. Ce n'est pas simplement le résultat d'un croisement, comme le faisaient les anciens pour obtenir au bout de 10 ans, un maïs résistant mieux à la sécheresse, par exemple. On a provoqué toute une série de transformations en introduisant un gène résistant à la pyrale ; pour marquer et sélectionner ensuite les graines, on a mis un gène résistant à l'ampicilline. J'ai dit l'autre jour aux responsables de Novartis que c'était le plus mauvais exemple que l'on pouvait utiliser pour essayer de valoriser les biotechnologies.

Je leur ai dit que s'ils avaient essayé de mettre en place un maïs résistant à la salinité ou au stress hydrique, l'on aurait peut-être pu concevoir autre chose. Mais une grande firme a essayé de jumeler la vente de semences, d'herbicide et la résistance à la pyrale, ce qui l'a obligée, au plan scientifique et biologique, à introduire un antibiotique pour favoriser la résistance ; on en ignore cependant les effets. Demain, vous ingérerez du maïs génétiquement modifié avec un gène résistant à l'ampicilline et tout devient possible.

M. André ANGOT : L'on pourrait fort bien régler le problème technique que pose le choix entre farines de viande et soja modifié génétiquement ou d'autres apports azotés. Il suffirait de décréter que l'on va nourrir les bovins avec de l'urée. Le consommateur est-il prêt à accepter que l'on introduise un produit chimique dans l'alimentation du bovin ? Celui-ci, contrairement au monogastrique, n'a pas besoin d'ingérer des acides aminés directement assimilables. Il avale des éléments azotés et c'est sa flore gastrique qui produit des bactéries qui sont digérées ensuite par le bovin. On pourrait faire l'apport d'azote au bovin sous forme d'urée, mais je ne suis pas sûr que le consommateur accepte plus facilement cette solution.

M. Guy POULIQUEN : Il y a une autre possibilité, c'est de donner de l'herbe aux bovins !

M. André ANGOT : A condition qu'il y ait du nitrate dans l'herbe !

M. Guy JONCOUR : Notre rôle en tant que simples vétérinaires sanitaires et coordonnateurs a été de mettre en relation des éleveurs qui avaient connu un cas d'E.S.B., qui ne pouvaient pas en parler à leurs voisins et n'en parlaient donc qu'à nous. C'est tellement vrai que le premier cas en France a eu lieu près d'ici à Plouha.

Les éleveurs vont très mal depuis le mois de février 1991. Nous avions été convoqués ici, le réseau d'épidémio-surveillance ayant été mis en place en décembre 1990. Loïc Gouello nous avait convoqués pour nous parler des aspects cliniques. Je constate que les éleveurs n'ont toujours pas fait le deuil de leur troupeau et qu'il faut en tenir compte. On a envoyé leurs bêtes à Lyon et d'autres cultivateurs ont fait tuer les bêtes, car ils avaient peur.

En matière de consommation ou de sexe, on a peur de ce que l'on ne connaît pas. Mais on sait prendre les mesures de prévention comme pour l'E.S.B. Notre réseau d'épidémio-surveillance est irréprochable. Le travail est bien fait dans chacun des départements et on sait prévenir l'E.S.B. Lorsque les journalistes allemands ont voulu me contacter pour parler de réseau d'E.S.B. et d'effluents qui servaient dans les farines animales, je leur ai fait remarquer qu'en Allemagne, on donnait des animaux morts à d'autres animaux dont les bovins. Le plus gros producteur bovin d'Europe est quand même un industriel allemand qui fabrique des farines de viandes et qui peut en vendre ailleurs.

M. le Président : Quelle est aujourd'hui votre principale crainte en matière de sécurité sanitaire ?

M. Guy JONCOUR : Il existe une fracture importante entre villes et campagnes. Je crois que les éleveurs sont dépressifs, qu'ils ne savent pas trop s'exprimer et qu'ils sont résignés. Ils savent qu'ils ne peuvent pas expliquer leurs problème du fait qu'ils n'en détiennent pas tous les éléments. Il s'agit en fait d'une dépression globale du milieu agricole qui concerne toutes les productions. J'ai en tête l'exemple d'un agriculteur qui vient de créer deux poulaillers ; pendant les cinq mois de vide sanitaire, il faut qu'il vive en effet.

M. Guy POULIQUEN : Il me semble que l'on n'a jamais aussi bien mangé qu'aujourd'hui. Il faut tout de même rappeler qu'il y a 8 000 morts sur les routes tous les ans en France et de nombreuses morts dues à l'alcoolisme et au tabac. Le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne semble avoir concerné qu'une personne à Lyon.

M. Guy JONCOUR : Il y a quinze jours, s'est tenu ici un colloque sur la listeria et la listériose. Il s'agit d'une maladie mortelle qui n'est pas contagieuse d'animal à animal, mais qui peut conduire à la fermeture d'unités de production, du seul fait qu'on y a observé la présence de listeria à des doses supérieures à celles qui sont autorisées par l'A.F.S.S.A. En utilisant ce terme de listeria, on peut conduire à la fermeture d'usines de qualité.

Nous vivons en fait dans la listeria qui est un germe que l'on trouve dans la terre. J'ai ramené à l'autopsie un veau suspect de listériose. Je pense que c'est là le problème de la fracture entre les villes et les campagnes ; les gens ne se rencontrent plus et ne se comprennent plus. Les citadins ne savent même pas qu'il y a des machines à traire.

M. François CORMIER : Je voulais insister sur la force de l'irrationnel et des médias. Il faut laisser les scientifiques travailler et ne pas lancer n'importe quoi en pâture à la population, au travers des journaux télévisés ou de la presse. On fait peur à tout le monde inutilement. J'ai continué à manger de la viande et n'ai pas peur d'une bonne côte de b_uf.

En plus de mes fonctions de représentant de l'Ordre, je suis vétérinaire inspecteur vacataire et je travaille à l'abattoir de Saint-Brieuc dans lequel on a distingué des saisies à haut risque et à bas risque. Le bas risque concerne la farine de viande faite avec les déchets des ateliers de découpe, autrement dit tout ce qui pourrait être propre à la consommation humaine, alors qu'une viande qui a des arthrites ou des abcès, est classée à haut risque et part donc à la destruction. Il s'agit donc bien, dans ce cas-là, de la protection du consommateur.

J'ai lu récemment un article sur les tests pour l'E.S.B. - je préfère le terme B.S.E pour cette maladie anglaise. Nous disposons maintenant des tests irlandais, français du C.E.A. et suisse. Les Suisses ont fait une enquête ; les Anglais font des tests et ont trouvé - ce qui est assez inquiétant - des cas positifs de 0,01 % sur du bovin " tout-venant ". Pourquoi ne met-on pas en place notre test qui est encore plus précis ? Peut-être est-il plus coûteux.

Mme Monique DENISE : Je crois que ce test ne sera disponible que dans six mois.

M. Guy POULIQUEN : La vraie raison est politique : si l'on met le test en place et que l'on trouve 5 000 ou 10 000 cas de vaches atteintes d'E.S.B. en France, que se passera-t-il ?

M. le Rapporteur : Il faut au préalable qu'un agrément soit accordé.

M. François CORMIER : Les tests de dépistage du S.I.D.A. ont été mis en place dans les circonstances que vous connaissez. Avec le problème du sang contaminé, les tests sont devenus obligatoires, ce qui a évidemment un certain coût. Mais le consommateur, au travers des médias, exige cette protection. Alors, pourquoi ne pas faire les tests E.S.B. sur toutes les carcasses de bovins qui passent dans les abattoirs ? Cela coûte 250 francs. Sur le prix d'une carcasse, cela représente 50 centimes au kilo.

M. le Rapporteur : Je sais que le test sera mis en place et qu'il s'agit d'un problème de délai. Nous n'allons pas revivre l'histoire du sang contaminé.

M. François CORMIER : Deux abattoirs des Côtes d'Armor, dont Bif-Armor, sont en cours de tests. Ils sont chargés de collecter des prélèvements, tête et sang, sur des bovins considérés comme bizarres ou grabataires. Nous allons opérer 5 000 tests sur des bêtes à risque comme les Suisses l'ont fait.

M. le Rapporteur : Il me semble avoir entendu dire que les tests prévus permettraient de confirmer un diagnostic d'E.S.B. sur une vache, mais qu'ils ne permettraient pas de détecter une bête en période d'incubation.

M. François CORMIER : Cela est difficile à dire.

M. Guy JONCOUR : Nous avons dans notre département essentiellement des éleveurs de vaches, laitières ou à viande, mais les mêmes problèmes peuvent se poser sur les ovins du sud-est ou d'ailleurs. La crainte des éleveurs en situation difficile est de voir se mettre en place un réseau de production très intégré par des fabricants d'aliments de bétail. Le système d'intégration est très dangereux et il est déjà bien en place en milieu laitier à travers la qualité, la traçabilité et la transparence. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose.

M. Pierre MAYAUX : La crainte des vétérinaires porte sur le fait que certains élevages ne seront plus visités chaque année. Il y a là un très gros danger.

M. le Président : Dans quelles conditions ?

M. Pierre MAYAUX : Parce qu'il n'y a plus d'appel aux vétérinaires.

M. le Président : S'ils étaient intégrés ?

M. Pierre MAYAUX : Qu'ils soient intégrés ou non. Les éleveurs laitiers préfèrent de plus en plus perdre une vache qu'appeler leur vétérinaire. Dans la situation de crise actuelle, l'appel au vétérinaire - libéral ou salarié - sera peut-être moins motivant au plan financier. Il faut conserver la formule du mandat sanitaire qui permet de visiter ces élevages au moins une fois par an et de faire en sorte qu'ils ne soient pas coupés de tout contrôle.

M. François CORMIER : C'est ce qui se passait auparavant quand une prophylaxie comme la tuberculose ou la fièvre aphteuse nous obligeait à passer dans les élevages une fois par an. Nous voyions les petits élevages aux périphéries des villes dans lesquels il n'y avait pas nécessairement un cas pathologique à observer ou un vêlage à faire chaque semaine. A l'occasion de nos déplacements dans ces élevages, nous parlions avec les éleveurs, ce qui conduisait à toutes sortes d'actes, de soins ou de prophylaxies autres que les prophylaxies légales pour lesquelles nous intervenions.

M. Guy JONCOUR : En 1996, dans un département voisin, un cas a été diagnostiqué par le vétérinaire sanitaire qui taillait les pieds d'une vache. Plusieurs cas ont ensuite été diagnostiqués à la suite d'appels d'éleveurs visant à faire pratiquer une euthanasie, à endormir une vache en fin d'évolution d'E.S.B. ou à faire rédiger le certificat vétérinaire d'information, particulièrement important quand il s'agit d'un certificat d'abattage d'urgence.

Les bovins malades peuvent souffrir d'une affection traumatique, métabolique ou infectieuse. Si l'on est en présence d'une infection, la saisie est souvent totale, sauf s'il s'agit d'un abcès qui est localisé. La loi nécessite alors la rédaction d'un certificat vétérinaire d'information. Nous faisons partie de groupes de réflexion sur l'amélioration de la rédaction du certificat vétérinaire d'information, en relation avec la D.G.A.L. et d'autres services.

M. le Président : J'aimerais connaître votre opinion sur le principe de précaution et savoir quel contenu vous lui donnez.

Comment appréciez-vous par ailleurs la décision de non-levée de l'embargo qui vient d'être prise ? J'aimerais connaître votre analyse sur la manière dont les décisions sont prises : les scientifiques, les experts donnent un avis et c'est au pouvoir politique qu'incombe la décision.

M. Pierre MAYAUX : On ne peut qu'être satisfaits d'observer que les politiques suivent l'avis des scientifiques.

M. Jean GAUBERT : Comment procède-t-on quand la commission, saisie pour avis, donne une réponse de normand ?

M. Pierre MAYAUX : La réponse donnée n'était pas " si normande " que cela...

M. André ANGOT : L'avis de la commission était clairement négatif.

M. Guy POULIQUEN : Un homme politique a très bien résumé la situation : M. Vasseur a dit récemment qu'il fallait suivre l'avis de la commission et surtout utiliser le principe de précaution. Maintenant que le Gouvernement a décidé de suivre l'avis de la commission, M. Vasseur dit : " Heureusement que le Gouvernement a fait cela, mais il aurait dû le faire depuis longtemps ".

Mme Monique DENISE : C'est de la politique politicienne !

M. Guy JONCOUR : Le principe de précaution est pour nous un principe de base que nous appliquons à tous les niveaux. Nous appliquons ce principe pour l'éleveur, quand nous décidons de faire abattre un bovin au lieu d'engager des frais inutiles en fonction de sa valeur économique.

En tant que professionnels, responsables de la santé des animaux et des hommes, nous ne constituons qu'un maillon de la sécurité alimentaire. On m'a reproché une prise de position sur la D.G.C.C.R.F. que j'avais prise en 1998, et qui a été publiée dans " Ouest-France " et " le Télégramme ". J'avais estimé que nous n'avions pas une vision claire sur les " matières premières ". Dans cette affaire d'E.S.B., il ne faudrait pas que la faute soit imputée aux des vaches, comme dans le cas du talc Morange où c'était la faute du derrière des bébés ! Il ne faudrait pas les responsables soient les éleveurs ou les vaches !

M. François CORMIER : Tout le monde souhaite avoir un risque zéro. Chacun préfère que l'usine qui pollue un tant soit peu soie chez le voisin. Quant à la centrale nucléaire, il vaut mieux qu'elle soit à l'autre bout de la France. Nous ne parviendrons pas au risque zéro et, c'est pour cette raison, que je rejoins Guy Pouliquen, lorsqu'il observait que, pour un ou deux cas de transmission de l'E.S.B. à l'homme, nous sommes complètement traumatisés. Il y en a eu 47 cas en Angleterre pour 180 000 cas d'E.S.B...

M. Guy JONCOUR : Pendant longtemps, du fait de l'absence de traçabilité, les animaux suspects étaient regroupés dans des sortes de " fermes dépotoirs " en Angleterre.

M. François CORMIER : La transmission à l'homme est quand même très faible. Je suis d'accord pour que l'on prenne des précautions, afin de supprimer les organes susceptibles de transmettre la maladie, tels que le cerveau, la moelle épinière ou les yeux. Mais je ne le suis plus pour la viande rouge.

Au nom du principe de précaution, on abat tout le cheptel pour un seul cas d'E.S.B. sans chercher à déterminer s'il existe un autre cas dans ce même cheptel. J'ai personnellement euthanasié un pauvre veau, qui avait été vendu juste avant que le dernier cas ne se révèle. Les services vétérinaires sont allés les rechercher, ce qui prouve que la traçabilité est efficace. Ce petit veau a été euthanasié, découpé en rondelles puis incinéré. Que faut-il en penser ?

M. Guy JONCOUR : Je ne suis pas d'accord.

M. François CORMIER : Est-il raisonnable de conserver une protection à 100 % ? La route, le tabac et l'alcoolisme sont des sujets plus préoccupants.

Je pense que la filière est bien contrôlée ; les vétérinaires sont présents, " de la fourche à la fourchette ", dans les abattoirs, les ateliers de découpe. Ils sont bien placés pour avoir une vue d'ensemble de la filière qui n'est pas si mal que cela. J'ai visité l'usine Leclerc à Kermené plusieurs fois avec la Direction des services vétérinaires et j'ai été vivement impressionné. On peut y faire du jambon de très bonne qualité ou non.

En revanche, est-il plus sûr d'aller chez le petit commerçant du village qui a fait lui-même sa préparation avec son panaris au bout du doigt ou en se mouchant ? J'exagère en disant cela car il s'agit peut-être d'un professionnel sérieux. Mais pourquoi penser qu'il serait nécessairement meilleur ? Quand on observe une listériose à partir des rillettes commercialisées par M. Leclerc, des milliers de personnes peuvent être concernées et cet événement peut rencontrer un écho important En revanche, une petite toxi-infection alimentaire locale ne concernant que 2 ou 3 familles, n'inspirera qu'un petit entrefilet dans la presse locale.

M. Pierre MAYAUX : Je voudrais atténuer un peu les analyses qui viennent d'être faites. On ne peut avoir pour l'instant une idée précise du nombre de morts supposées dues à la maladie de Creutzfeld-Jakob. Ce nombre peut être de 10 000 comme de 100 000 à l'avenir. Je pense qu'en toute hypothèse, le principe de précaution est essentiel, essentiellement pour rassurer les consommateurs.

Si nous n'avions pas appliqué le principe de précaution vis-à-vis des cas d'E.S.B. constatés, nous ne compterions plus beaucoup à l'heure actuelle de consommateurs de viande.

M. Guy POULIQUEN : En France, on peut estimer que le principe de précaution a été bien utilisé.

M. le Président : Nous allons précisément organiser un forum sur le principe de précaution.

Sur quels points, à votre avis, le rapport que nous allons présenter doit-il insister, s'agissant de l'amélioration de la réglementation ?

M. Guy POULIQUEN : Nous assurons actuellement un maillage efficace de l'ensemble du territoire. La tendance actuelle n'est pas à l'installation de vétérinaires en clientèle rurale. Les jeunes vétérinaires sont essentiellement des femmes ; 60 % de filles sortent des écoles vétérinaires.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Guy POULIQUEN : Le recrutement dans les classes préparatoires est essentiellement axé sur les mathématiques et la physique. Il est essentiellement citadin et issu de la région parisienne.

Nous demandons,- c'est là une demande du syndicat vétérinaire libéral que je représente pour mon département - de pouvoir intervenir dans les élevages, quitte à ce que ce soit de façon réglementaire. Il reste à préciser les choses au plan technique afin d'éviter le " tourisme sanitaire " ainsi que cela se fait beaucoup en Hollande. En effet, dans les élevages qui augmentent en taille, l'éleveur qui a 100 vaches n'a pas besoin en effet de 5 fois plus de visites vétérinaires que celui qui possède  20 vaches. Du fait que l'éleveur de 100 vaches connaît mieux les données techniques et que les pathologies ne sont pas les mêmes, nous y intervenons beaucoup moins. En revanche, ces éleveurs nous demandent des renseignements.

M. Guy JONCOUR : Cette idée de réseau est primordiale. La relation avec nos clients n'est pas seulement économique. Tout le monde est un peu d'origine rurale.

Les relations de concurrence existant entre les fabricants d'aliments pour bétail empêchent la transparence que nous souhaitons. J'ai parlé précédemment d'élevages intégrés où nous travaillons parfois à titre bénévole avec des laiteries. Celles-ci ont des relations avec tel ou tel fabricant d'aliments pour bétail et sont à l'origine de signatures de contrats tripartites entre les éleveurs, les laiteries et les fabricants d'aliments pour bétail avec une " monospécificité " de la chaîne de fourniture de complément de lactation.

Il y a 3 mois, j'ai constaté la présence de granulés de porc dans une fourniture de soja chez un éleveur qui fait un nourrissage au D.A.C. (distributeur automatique de concentré). Le directeur de la laiterie a voulu alors casser le contrat avec ce fournisseur. Or la chaîne n'est pas nécessairement composée des personnes qui ont initialement signé les contrats. Il y avait en l'espèce sous-traitance par un transporteur d'aliments ; le conducteur n'avait pas trop bien compris l'importance de ce type de fourniture qui doit être en fait irréprochable.

J'ai eu l'occasion d'interroger le directeur départemental de la D.G.C.C.R.F., à propos d'un complément de lactation qui contenait du cacao. Dans le cacao, il y a des précurseurs de la morphine. Mais, si vous dites à des consommateurs de yaourt, de beurre ou de lait, que les vaches sont nourries avec de la morphine, cela va poser problème. La D.C.C.R.F. m'a demandé si j'en avais informé " Ouest France " et " le Télégramme ", et a procédé à une enquête. Je précise que cela concernait l'Ille-et-Vilaine. La transparence doit exister entre toutes les parties, comme entre médecins et vétérinaires.

M. le Rapporteur : Je voudrais savoir quelles relations vous entretenez avec l'administration et avec le corps médical ?

M. Guy JONCOUR : Ces relations sont souvent personnelles, mais ne se limitent pas aux professions libérales.

M. Guy POULIQUEN : Le vétérinaire connaît le médecin du canton. Les relations se font plus au niveau syndical, au sein de l'U.N.A.P.L.

M. Guy JONCOUR : Le vétérinaire s'occupe de plusieurs espèces alors que le médecin ne connaît qu'une seule espèce. J'observe que les médecins connaissent parfois insuffisamment certaines maladies transmissibles à l'homme, telles que la toxoplasmose, la salmonellose ou la listériose. Je signale également que nous avons souvent des relations suivies avec les bactériologistes de l'hôpital central, s'agissant de maladies communes à l'homme et à l'animal.

M. le Président : Nous pourrions encore rester longtemps ensemble. Nous vous remercions pour votre participation. Si vous souhaitez développer tel ou tel point, vous pouvez nous nous envoyer une contribution écrite.

L'analyse de l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture

Audition de M. Guy VASSEUR
Président de la commission " environnement "
de l'Assemblée nationale permanente des Chambres d'agriculture

représentant M. HERVIEU, Président de l'Assemblée permanente
(extrait du procès-verbal de la séance du 21 décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
M. Guy Vasseur est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Vasseur prête serment.
M. le Président : L'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture a souhaité être entendue. Nous avons déjà eu l'occasion de recevoir les syndicats, mais il est tout à fait essentiel que l'A.P.C.A. puisse elle aussi s'exprimer sur ces questions. M. Hervieu, Président de l'Assemblée Permanente des Chambres d'Agriculture, nous a indiqué qu'il ne pouvait répondre aujourd'hui à notre invitation. C'est donc avec plaisir que j'accueille M. Vasseur qui le représente.
M. Guy VASSEUR : Je vous présente tout d'abord les excuses de M. Hervieu qui n'a pu se libérer et m'a demandé de le remplacer en ma qualité de Président de la Commission " environnement " de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture.
Je passerai rapidement sur les événements qui ont jeté un trouble sur les questions d'alimentation au cours des dernières années avec la crise de l'E.S.B., les problèmes du poulet à la dioxine ou encore les O.G.M.
Face à toutes ces difficultés, nous avons une conviction forte, qui nous semble partagée par la plupart des agriculteurs : la sécurité alimentaire de nos concitoyens doit être assurée ; il faut dès lors restaurer la confiance, du stade de la production à celui de la distribution.
Nous avons une autre grande conviction : les attentes des consommateurs doivent être correctement analysées, sauf à troubler davantage l'information donnée.
Le risque zéro n'existe pas. Quant au principe de précaution, il est certes essentiel, mais il ne doit pas conduire à tout refuser.
La concurrence internationale enfin doit être prise en compte dans tous nos débats.
Les Chambres d'agriculture ont largement travaillé pour le secteur des productions animales à la mise en place de l'identification permanente généralisée et à la conduite d'autres actions visant à la transparence et à une véritable traçabilité qui soit reconnue par l'éleveur comme par le consommateur.
La notion de la qualité a pris un sens plus large qu'auparavant. Jusqu'à maintenant, l'on envisageait surtout la qualité gustative ; aujourd'hui, ce concept couvre les aspects sanitaires, ceux de sécurité alimentaire.
L'A.P.C.A., s'appuyant sur ces convictions, a présenté des propositions concrètes en matière d'alimentation animale, d'utilisation du génie génétique et enfin d'utilisation des boues des stations d'épuration, sur les terres agricoles.
Pour l'alimentation animale, nous avons posé la question de l'étiquetage des aliments. Deux possibilités s'offrent en la matière : retenir des catégories d'ingrédients ou une liste exhaustive de tous les ingrédients entrant dans la composition des aliments concernés. Certains pays ont adopté cette seconde possibilité, la France ayant retenu celle de la catégorie d'ingrédients. Depuis 1996, début de la crise de l'E.S.B., l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture demande un recours à la première formule, car nous ne comprenons pas pourquoi les éleveurs n'auraient pas connaissance de l'ensemble des ingrédients contenus dans les aliments qu'ils utilisent. Il ne s'agit pas pour nous d'afficher la composition en termes de pourcentage, mais de faire en sorte que l'agriculteur, qui est responsable, sache clairement ce qu'il utilise.
Cette position n'est pas partagée par tous. Nous avions souhaité que ce problème soit réglé dans la loi d'orientation agricole. Cela n'a pas été le cas, mais cette question se pose aujourd'hui avec encore plus d'acuité, puisque de nouvelles dispositions européennes font relever de la responsabilité des agriculteurs tout ce qui sort de l'exploitation. A partir de là, que l'étiquetage soit le plus complet possible devient une exigence naturelle.
En France, l'utilisation des farines animales est réglementée sur des critères de fabrication. Nous estimons que ces farines ont des qualités nutritionnelles incontestables et qu'elles présentent un avantage important qui se traduirait, si elles n'étaient pas utilisées, par des coûts supplémentaires, notamment à partir de la non-valorisation du " cinquième quartier ", qui représente, suivant les espèces, de 30 à 50 % de déchets.
Nous estimons par ailleurs que, s'il est prouvé que ces farines présentent, lorsqu'elles sont consommées par les monogastriques, un risque réel pour la santé des consommateurs, les pouvoirs publics doivent les interdire et assumer les conséquences économiques lourdes d'une telle décision, conséquences qui sont donc la non-valorisation du " cinquième quartier " ainsi qu'un développement des importations de protéines végétales en provenance des Etats-Unis et du Brésil, puisque l'Europe est déficitaire dans ce secteur. Si, au contraire, aucun danger réel n'est mis en évidence pour la santé des consommateurs, l'interdiction des farines ne se justifie pas.
Au-delà de la réglementation nationale, il faut aussi harmoniser les normes de fabrication au plan européen. C'est le devoir de la France d'intervenir au niveau de l'Union européenne, pour que l'harmonisation des protocoles de fabrication devienne ainsi une réalité. Et si cela ne devait pas être possible au niveau européen, la France devrait recourir à l'étiquetage des farines.
La question des activateurs de croissance concerne notamment le recours aux hormones, pour lequel il existe un contentieux important entre les Etats-Unis et l'Europe. Si nous devions nous voir imposer l'obligation d'importer des viandes hormonées, là encore l'étiquetage serait indispensable pour permettre aux consommateurs de choisir en toute connaissance de cause.
Si l'on peut effectivement déceler parfois des abus dans l'utilisation des antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance, il convient d'être très prudent avant de les supprimer totalement, car ils permettent à faible dose une meilleure maîtrise sanitaire des élevages avicoles et porcins, qui seraient difficilement maîtrisables sans ces pratiques préventives. Nous avons à l'esprit l'exemple des Danois qui ont interdit l'utilisation préventive d'un antibiotique à la fin des années 80, ce qui a conduit à un recours trois fois plus important au même médicament à titre curatif. La prévention doit être raisonnée pour éviter les dérapages curatifs ultérieurs, dérapages qui s'avèrent inévitables si la prévention est mal conduite.
Autre point, le bien-être des animaux. Aujourd'hui, on ne peut parvenir à établir un lien entre le bien-être des animaux qui résulterait par exemple d'une augmentation de la dimension des poulaillers et la qualité de la viande obtenue. Avant donc de mettre en place de nouveaux critères, il convient de s'appuyer sur des travaux scientifiques probants, car toute disposition plus rigoureuse prise en France ou en Europe entraîne une moindre compétitivité de notre élevage au niveau international, sans qu'on ait la certitude que les attentes du consommateur sont satisfaites.
S'agissant des O.G.M., je n'aborderai pas le problème de nos relations avec les Américains, mais je pense, qu'au plan juridique, les dispositifs européens et nationaux enlèvent toute lisibilité à ce dossier, qui souffre encore de nombreuses failles.
Depuis 1996, début de la crise de l'E.S.B., l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture demande un recours à la seconde formule, car elle estime qu'il faut examiner soigneusement les applications concrètes de cette nouvelle technique. Les améliorations qu'elle procure aux espèces et variétés retenues et l'absence de risques tant pour le consommateur que pour l'environnement doivent faire l'objet de vérifications très approfondies. C'est le principe de précaution, appliqué en amont de la production.
La question des boues de stations d'épuration et de l'épandage agricole ensuite revêt deux aspects. Il faut mentionner d'abord l'utilisation des boues d'abattoirs dans l'alimentation animale. Les dernières observations incitent à une extrême prudence, bien que, dans certaines usines, les possibilités soient réelles et ne posent pas de problèmes. Pourtant, la fiabilité des process de fabrication et des contrôles doit être en permanence renforcée et apparaître sur l'étiquetage, comme je l'évoquais pour l'alimentation animale.
Il faut mentionner aussi la question de l'épandage des boues d'épuration sur les sols agricoles qui peuvent se retrouve à terme dans nos productions agricoles. Sur ce dossier, nous avons contribué à faire évoluer la réglementation. Dès 1995, face au développement de l'utilisation des boues sur les sols agricoles, nous avons présenté des propositions aux ministères de l'Agriculture et de l'Environnement allant dans le sens d'un renforcement de la réglementation, plus laxiste en France qu'ailleurs. Le Gouvernement a donc renforcé la réglementation et aujourd'hui les normes sont identiques à celles pratiquées notamment par les Allemands. Par ailleurs, un suivi agronomique et des productions permet de renforcer le système de contrôle avec l'appui de la profession et des Chambres d'agriculture, sous l'autorité des préfets.
Si le dispositif s'avère fiable et crédible, nous pourrons effectivement épandre des boues sur nos terres agricoles et donc produire ; s'il n'est en revanche pas fiable, nous ne pourrons plus utiliser les boues des stations d'épuration, parce que l'opinion les refusera. Je fonde mon propos sur la réaction de la grande distribution dont un certain nombre de cahiers des charges interdisent les boues. Cela devient une affaire commerciale, aspect auquel ne pourront répondre les producteurs. Il appartient au Gouvernement français d'établir un cadre fiable de nature à convaincre la grande distribution et les industries agroalimentaires. A contrario, le refus des boues devient une démarche de nature commerciale.
Voilà ce que je souhaitais dire sur ce dossier complexe. Les attentes du consommateur et de la société sont très fortes et nous sommes engagés pour y répondre.
M. le Président : Monsieur Vasseur, je vous remercie.
Vous avez évoqué le principe de précaution, question récurrente. Un rapport vient être publié sur la question ; nous aurons certainement à en débattre prochainement. Je souhaiterais que vous nous disiez ce qu'il faut entendre par principe de précaution. Est-ce : " dans le doute, abstiens-toi " ou " dans le doute, voici ce qu'il faut faire " ?
Vous avez rappelé le double système d'étiquetage : soit par catégorie d'ingrédients ; soit par liste complète de tous les ingrédients. Si j'ai bien compris, vous seriez d'accord pour passer de l'étiquetage par catégorie à la liste complète. Quels sont les obstacles qui jusqu'ici ont freiné ce passage ?
M. Germain GENGENWIN : Nous avons pour habitude au sein de la commission d'être très francs et très directs. Ne voyez donc aucun manque de courtoisie, si je le suis.
Vous avez utilisé à plusieurs reprises l'expression " être très prudent ". Vous l'avez vous-même été dans votre exposé, voire un peu trop, s'agissant du recours aux farines animales.
Au sujet des hormones de croissance, vous avez aussi préconisé la prudence. Mais pensez-vous dès lors que les hormones de croissance doivent être utilisées comme telles ou comme produits sanitaires ou vétérinaires ?
Pour ce qui est du bien-être des animaux, je suis d'accord avec vous : le coût de cette opération doit être pris en compte, surtout s'il faut augmenter l'espace d'un poulet de 50 %.Il y a quinze jours, une émission de télévision montrait un élevage de canards. La patte de l'un d'entre eux était coincée dans le grillage. C'est affreux ! Ne pourrait-on apporter des améliorations sur ce point également ?
Vous réclamez également la prudence pour les boues. Une fois de plus, en l'absence de normes, la prudence ne donne pas une réponse.
La concurrence internationale, dites-vous, doit être prise en compte dans le marché alimentaire. Qu'est-ce qui nous permet d'être à égalité de concurrence au plan des normes, de la fiscalité et quelles sont les propositions éventuelles de l'A.P.C.A. en ce domaine ?
M. Guy VASSEUR : Le principe de précaution répond au dicton " dans le doute abstiens-toi. " ou " comment faire ? " C'est une question fondamentale dont la réponse ne s'exprime pas obligatoirement par " oui " ou par " non ". Nous serions tentés d'avancer l'idée qu'un véritable doute appelle l'abstention dans une stricte acceptation du principe. Toutefois, dans la mesure où l'on ne recueillerait pas d'avis tranchés de la communauté des scientifiques sur ce type de sujets, l'on ne ferait sans doute jamais plus rien.
Des doutes sont exprimés sur les O.G.M. et sur leurs effets sur l'environnement. En ce domaine, l'urgence n'existe pas. Il n'y a nulle urgence à mettre en production, ou à développer au niveau français ou européen. Le véritable principe de précaution doit s'appliquer : dans le doute, on s'abstient, mais on continue à rechercher pour prouver l'existence ou l'absence de problèmes, car les O.G.M. peuvent se révéler à l'avenir une technique positive. Si demain, le maïs transgénique rendait possible un moindre recours aux produits phytosanitaires, nous aurions accompli un pas en avant en matière d'environnement ou de qualité des sols. Encore faut-il que nous n'ayons pas fait un pas en arrière sur les autres problèmes soulevés. Le principe de précaution doit s'appliquer et tout doit être mis en _uvre au niveau de la recherche, notamment publique, pour mener les investigations nécessaires. C'est l'action de l'I.N.R.A. et cela nous permet d'attendre, car il n'y a pas d'urgence en dehors de celle manifestée par les firmes privées américaines qui souhaitent envahir le marché. Le principe de précaution vis-à-vis des consommateurs et de l'environnement doit ici être mis en avant.
Je ne sais si j'ai été suffisamment clair en citant cet exemple tiré des O.G.M. L'on pourrait en citer d'autres, pour lesquels l'approche serait peut-être quelque peu différente.
Ainsi en est-il des antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance. Ils peuvent être utilisés en tant qu'activateurs à l'instar des hormones ou à titre préventif pour la lutte sanitaire. Sur ce point notre position est très claire : nous souhaitons qu'ils soient utilisés en tant que produits sanitaires, afin de prévenir les maladies susceptibles de se développer dans les élevages où la concentration rend les soins curatifs plus difficiles et appelle une utilisation beaucoup plus forte.
Sur le bien-être des animaux, je pense que des améliorations sont toujours nécessaires. Depuis une vingtaine d'années, des améliorations constantes ont été apportées, car le canard à la patte coincée ne peut devenir pour l'éleveur un produit très rentable !
Les évolutions que connaissent notre pays et l'Europe suivent souvent un mouvement de balancier. Résoudre un problème ne doit pas conduire à en engendrer un autre. Il faut en permanence améliorer les choses et s'abstenir de mettre en place des éléments incompatibles avec le maintien de la compétitivité.
Les agriculteurs français, au nom desquels je m'exprime aujourd'hui, sont favorables à des mesures visant à répondre aux préoccupations du consommateur ou du citoyen. S'agissant de la concurrence internationale, ils dénoncent l'absence des mêmes contraintes chez nos compétiteurs appelés à venir sur le marché français ou européen. Serons-nous capables dans le cadre de l'O.M.C., au-delà de la libéralisation du commerce, de faire prendre en compte deux données importantes : l'environnement - et donc la question du bien-être des animaux - et les aspects sociaux ? Je ne crois pas que les normes tant sociales qu'environnementales doivent être définies au niveau de l'O.M.C., mais elles doivent y être prises en compte.
Comment peut-on expliquer à des agriculteurs français que leurs coûts de production doivent être augmentés de 5 %, 10 % ou 15 % par le jeu de décisions prises en France ou en Europe, alors même que des produits concurrents continuent à être importés ? Telle est ma réponse à la question qui m'a été posée sur la concurrence internationale. Ou bien l'on est capable de négocier au niveau de l'O.M.C., ou bien il convient de mettre en place des dispositifs concernant les aliments tels qu'un étiquetage, ou bien encore il faudra bloquer les frontières. A défaut de cela, on n'assurera plus certaines productions en France. On relève d'ailleurs aujourd'hui de plus en plus des délocalisations d'élevages ou d'abattoirs, notamment au Brésil.
M. le Président : L'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture dispose-t-elle d'études comparatives sur les différentes réglementations applicables en Europe et dans le monde ?
M. Germain GENGENWIN : N'est-ce pas le rôle d'une organisation comme la vôtre de dénoncer les faits que vous venez d'évoquer ? Si des produits entrent sur le territoire sans supporter les mêmes contraintes sanitaires, par exemple, ne devez-vous pas le dire au nom de la responsabilité qui vous incombe de protection des producteurs ?
M. Guy VASSEUR : Je tiens ces propos à dessein. Non seulement nous sommes présents sur ce type de dossier, mais nous en sommes très préoccupés, compte tenu des conséquences prévisibles tant pour l'élevage que pour les consommateurs. Dénoncer ne suffit pas, notre objectif est bien d'alerter les instances, notamment ministérielles, sur tout ce qui nous est donné de connaître. Lorsqu'ils interceptent des camions, y compris pour des contrôles à l'intérieur de l'Union européenne, les agriculteurs constatent des faits surprenants. D'où la nécessité de renforcer les contrôles pour renforcer la sécurité donnée aux consommateurs.
Il est difficile, M. le Président, d'établir des études comparatives globales ; nous connaissons effectivement les coûts de production de nos collègues brésiliens : il faut faire référence aux données sociales très différentes des nôtres, à l'absence de contraintes environnementales et au fait que les matières premières y sont meilleur marché. Il faudrait pouvoir mener plus avant ce type de comparaisons, auxquelles nous ne pouvons procéder aujourd'hui que globalement.
Vous avez posé une question sur la publication de la liste complète des ingrédients. Nous présentons effectivement une telle demande. La position adoptée par les fabricants d'aliments du bétail semble toutefois s'y opposer, car ils font valoir qu'une telle publication est impossible, dans la mesure où les fabrications évoluent de jour en jour, voire d'heure en heure en fonction du cours des matières premières sur les marchés mondiaux. Cette première réponse ne nous satisfait pas, elle ne nous convainc pas.
La seconde réponse consiste à avancer que l'obligation d'affichage reviendrait à publier des secrets de fabrication, ce qui entraînerait une position plus délicate vis-à-vis de la concurrence. Il n'est pas question pour nous de demander le pourcentage de tel ou tel ingrédient, mais la liste des ingrédients.
Si ces différents arguments pouvaient se concevoir voilà quinze ou vingt ans, ils ne le peuvent plus aujourd'hui face à l'exigence des consommateurs. Nous devons aussi tenir compte de la situation des éleveurs. J'assistais hier soir à une réunion dans mon département sur l'identification permanente généralisée ; les éleveurs précisaient qu'ils ignoraient le contenu, si ce n'étaient les grandes catégories, des aliments pour animaux qu'ils employaient. Une véritable réponse est à apporter, donnant peut-être l'impression d'alourdir le dispositif, mais c'est là une exigence à prendre en compte. Les éleveurs ne peuvent être considérés comme responsables, s'ils ne connaissent pas exactement la composition des aliments qu'ils achètent. Et ne pas vouloir leur faire connaître la composition de ces aliments pose un problème qui suppose l'intervention d'une loi.
Pour les boues également, j'ai parlé de prudence. Très concrètement, nous avons fait évoluer la réglementation. Nous partons du principe que la réglementation en vigueur est draconienne pour les collectivités. Il appartient maintenant aux pouvoirs publics de délivrer les messages nécessaires aussi bien à la grande distribution qu'aux industries agroalimentaires et de prouver que le dispositif est fiable. Les agriculteurs ne peuvent intervenir, sauf à prendre le risque de s'entendre dire qu'ils utilisent les boues, parce qu'ils y ont un intérêt, alors que je ne suis pas persuadé que notre intérêt soit très probant. Nous apportons un service à la société et nous sommes prêts à continuer, mais nous ne pouvons mettre nos productions en péril.
Depuis que la réglementation a évolué vers un plus grand sérieux et une fiabilité accrue, il est curieux de noter que des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent contre l'utilisation des boues.
Je participe au comité national de suivi des boues ; j'ai reçu à ce titre un courrier de la grande distribution qui indique n'être pas opposée à l'utilisation des boues en agriculture, tout en précisant que telle enseigne pourra, pour des raisons commerciales, se démarquer. Au surplus, l'on parle beaucoup d'" agriculture raisonnée " ou d'" appellations d'origine contrôlée ". Le ministère de l'Agriculture accepterait l'interdiction de l'utilisation des boues sur les zones d'appellations d'origine contrôlée. Allant au-delà, la direction générale de l'alimentation s'interroge sur l'épandage de boues sur les zones d'agriculture raisonnée. Cela s'oppose à notre objectif qui est d'obtenir que toute l'agriculture soit " raisonnée ". C'est là un moyen de répondre aux préoccupations environnementales du citoyen. Si, dans le même temps, le ministère réfléchit à une interdiction de l'épandage sur les terres de l'agriculture raisonnée, on se trouve dans une situation impossible.
Nous disons oui à l'utilisation des boues, mais dans le cadre d'un engagement des pouvoirs publics qui doit être clair, précis et qui tarde à venir.
M. le Président : L'agriculture raisonnée ne serait pas pour vous un label, mais un objectif pour l'ensemble de l'agriculture ?
M. Guy VASSEUR : Tout à fait.
M. le Président : L'on nous a parlé de boues dans l'alimentation animale. Je précise qu'il ne s'agissait pas de boues en provenance des stations d'épuration urbaine, mais des abattoirs. Si je comprends bien, vous ne souhaitez pas que ces boues entrent dans l'alimentation animale ?
M. Guy VASSEUR : Je ne sais si l'on peut apporter une réponse catégorique face à la diversité des situations. Il est important de récupérer des protéines qui ne présentent pas de danger pour l'alimentation animale. Si nous ne sommes pas capables de mettre en place les contrôles qui vont de pair, il faut se référer au principe de précaution.
M. le Président : Notre échange montre les nuances entre la prévention et la précaution. La prévention porte sur des risques avérés connus, alors que le principe de précaution porte sur des risques supposés ou hypothétiques. C'est ce que nous tirons cela de votre exposé.
M. Guy VASSEUR : Tout à fait. Notre demande aux pouvoirs publics de créer un fonds national de garanties pour les boues épandues sur les terres agricoles était bien fonction d'un risque que nous ne connaissions pas ; c'était une forme de principe de précaution. Rien ne nous dit que l'on ne découvrira pas, dans dix ou quinze ans, un problème lié à l'utilisation des boues. Les assurances ne peuvent pallier ce phénomène ; c'est pourquoi, nous avons demandé aux pouvoirs publics la mise en place d'un fonds de garantie ; il semble que la volonté publique fasse défaut. Dès lors, nous demandons un engagement de l'Etat sur ce point. C'est une forme de principe de précaution par rapport à ce que nous ne connaissons pas. Nous savons que le risque zéro n'existe pas, dans aucun domaine. Pour autant, nous ne voulons pas bloquer l'utilisation des boues.
M. Germain GENGENWIN : Nous disposons actuellement de moyens d'analyse tellement sophistiqués que nous pouvons connaître l'ensemble des éléments constitutifs de ces boues. A partir de ces analyses, l'on peut autoriser ou non leur utilisation. La profession devrait dire à la collectivité locale : " Nous pouvons utiliser les boues pour l'épandage, à condition que... " Dès lors il convient de faire le nécessaire pour éviter en amont tout produit nocif. Quand je parle des produits d'amont, je n'évoque pas les produits agricoles ou les produits de ferme, mais toute cette armoire de produits chimiques que chacun de nous détient chez soi. L'action en amont doit s'adresser aux fournisseurs de tout produit utilisé par la ménagère, car, faute d'épandage, le coût de ces boues pour la collectivité doublera ou triplera le coût de l'assainissement.
M. le Président : Une dernière question sur ce sujet. Nous parlons beaucoup du principe de précaution, mais quand faut-il l'appliquer ? Nous avons eu l'occasion de nous appuyer dernièrement sur ce principe en France pour nous opposer à la levée de l'embargo sur la viande de b_uf britannique. Je ne sais comment l'A.P.C.A. réagit à cette décision. Je sais, en revanche, que les experts donnent des avis, mais c'est toujours en dernier ressort le politique qui doit prendre des décisions. Comment réagissez-vous par rapport à cette décision gouvernementale ?
M. Guy VASSEUR : Nous réagissons bien. C'est une décision qui doit être extrêmement difficile à prendre pour le Gouvernement, tant sont nombreux les éléments susceptibles d'entrer en ligne de compte. Nous y sommes favorables car nos éleveurs ont énormément souffert des problèmes suscités par les élevages britanniques. Aujourd'hui, rouvrir les frontières sans bénéficier du maximum d'éléments fiables serait très hasardeux et entraînerait pour notre élevage des conséquences dramatiques. Le Gouvernement a bien fait ; par une véritable application du principe de précaution, il prend le temps de disposer dans quelques mois de conclusions plus importantes. Ce n'est pas un blocage définitif, mais la nécessité d'attendre des informations plus précises, pour pouvoir ensuite avancer et prendre d'autres types de décisions.
Tout à l'heure, je cherchais un exemple pour illustrer l'utilisation excessive du principe de précaution. Au cours de cette année, plusieurs décisions furent prises dans l'urgence concernant des fromages. Je citerai l'exemple d'une petite laiterie de Vendée qui a souffert du retrait de cinq sortes de fromages au titre du principe de précaution. L'un d'entre eux s'appelait " Sainte-Maure ". L'information divulguée au niveau des médias a eu un effet terrible en 24 heures. Je suis d'une région où l'on produit le Sainte-Maure-de-Touraine. L'amalgame des deux fromages dans l'esprit du public aurait eu un effet catastrophique. L'annonce du blocage de cinq fromages traduit-elle pour la laiterie une juste application du principe, alors même que vingt quatre heures plus tard, les mêmes médias annonçaient l'absence de problème et la remise sur le marché des fromages ? C'est bien l'exemple à mes yeux d'une utilisation exagérée du principe de précaution.
M. le Président : Merci, M. Vasseur. Si vous avez des éléments d'informations ou statistiques à l'appui de vos propos, nous serions preneurs.
M. Guy VASSEUR : Nous vous apporterons tout élément d'étude ou d'investigation en possession de l'A.P.C.A.
M. le Président : Je vous remercie.

III.- L'analyse du monde industriel

Les débats avec les représentants de l'alimentation animale,
de l'abattage et de l'équarrissage

Audition de
M. Yves MONTECOT, Président,
et Mme Charlotte DUNOYER, Déléguée générale
du syndicat national des industriels de la nutrition animale (S.N.I.A.)
M. Daniel RABILLIER, Président,

Et M. Pierre MERLOT, directeur,
de la fédération nationale des coopératives de production
et d'alimentation animale (SYNCOPAC)

(extrait du procès-verbal de la séance du Mercredi 1er décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
Mme Charlotte DUNOYER, MM. Pierre MERLOT, Yves MONTECOT et Daniel RABILLIER sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, Mme Charlotte DUNOYER, MM. Pierre MERLOT, Yves MONTECOT et Daniel RABILLIER prêtent serment.
M. le Président : J'ai le plaisir d'accueillir M. Yves MONTECOT, Président et Mme Charlotte DUNOYER, Déléguée Générale du Syndicat National des Industriels de la Nutrition Animale, ainsi que M. Daniel RABILLIER, Président et M. Pierre MERLOT, Directeur de la fédération nationale des coopératives de production et d'alimentation animale.
Je souhaite que vous puissiez, au cours d'une courte introduction, nous donner votre point de vue sur le sujet qui nous réunit ; ensuite, nous pourrons échanger, nous vous poserons des questions et vous nous apporterez toutes les précisions souhaitées.
M. Yves MONTECOT : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je représente le secteur industriel de la nutrition animale, qui regroupe environ 200 entreprises réparties sur l'ensemble du territoire français ; c'est l'une des caractéristiques de notre profession : les entreprises sont réparties, car le secteur de la nutrition animale est, par définition, un produit qui ne voyage pas beaucoup ; les entreprises se trouvent donc dans les lieux de production agricole et dans les lieux d'élevage. Bien entendu, il est des zones à densité très forte, l'ouest de la France, en particulier la Bretagne et les Pays de Loire, mais nous retrouvons des productions animales dans l'ensemble du territoire.
La nutrition animale en données chiffrées, ce sont 23 millions de tonnes l'année dernière produites en 1998 ; la répartition se fait de manière à peu près égale entre le secteur que nous appelons " industriel privé " et le secteur coopératif que représente mon collègue le président Rabillier.
Ce secteur a une importance capitale pour l'alimentation humaine, puisque notre métier consiste à nourrir des animaux qui seront ensuite consommés ; le secteur de la nutrition animale a également une grande importance économique, car le coût de l'aliment est un facteur important du prix de revient, correspondant à 80 à 85 % du prix final selon les espèces. C'est un secteur exigeant, car les clients réclament de plus en plus un certain niveau de qualité ou de produit.
Notre profession a toujours attaché de l'importance au principe de précaution, dont on parle beaucoup aujourd'hui. Et ceci, parce que très souvent, nos usines étaient multi-espèces et que nous avions à gérer en permanence le traitement d'animaux, de bovins, de porcs ou de volailles, pour lesquels les conditions d'élevage et les conditions alimentaires ne sont pas du tout les mêmes ; il existe, en effet, ce que l'on peut appeler " des interdits de fabrication " correspondant à des produits qui sont valables pour un secteur et ne le sont pas pour un autre. Les préoccupations de sécurité ont toujours été notre préoccupation principale.
Cela nous a amenés dans le passé à prendre des mesures de précaution, avant l'intervention de textes législatifs ; je citerai simplement dans le cas de la " vache folle " le fait que, dès 1989, les professionnels avaient pris, en tant que mesure d'ordre professionnel, la décision de ne plus utiliser de farines animales dans les aliments pour ruminants.
Mme Michèle RIVASI : Les non-ruminants n'étaient donc pas concernés ?
M. Yves MONTECOT : En effet ; je ne parle que des ruminants, mais, ce, dès 1989 : c'est aussi une des raisons pour lesquelles il y a en France 75 cas de " vache folle " alors que l'on en a 160 000 au Royaume-Uni.
Je citerai une autre mesure de précaution, décision professionnelle plus récente, qui concernait une contamination à la dioxine sur des citrus bresilia, il y a deux ans. Nous avons estimé qu'il existait un risque potentiel et avons procédé à des retraits des produits en cause ; d'une façon générale, nous pensons qu'en termes d'analyse de risques, les professionnels que nous sommes sont les premiers concernés et que nous pouvons être les premiers informés d'un risque potentiel.
M. Daniel RABILLIER : Je suis le Président de la Fédération nationale des coopératives agricoles. Je suis moi-même éleveur et agriculteur ; la particularité des coopératives réside dans le fait que ce sont des agriculteurs qui sont actionnaires des entreprises ; ce sont donc les Présidents de coopératives et de fédérations de coopératives qui traitent tous ces dossiers.
Nous sommes hautement concernés par ces phénomènes de santé qui vont bien au-delà du principe de précaution ; je considère que, compte tenu de la situation que nous avons connue avec l'E.S.B. et tout le dossier des farines animales, nous sommes vraiment confrontés à des problèmes de santé animale et humaine ; ce sont autant de sujets qui, depuis 1996, nous préoccupent considérablement et nous amènent à prendre des décisions importantes à l'intérieur de nos usines et dans nos élevages, pour tenter d'assurer la sécurité alimentaire de nos concitoyens dont nous avons la charge.
Je rappelle aussi que les coopératives qui sont en même temps des fabricants d'aliments produisent également des animaux au travers de leurs adhérents, les agriculteurs. Je rappelle ainsi que je suis moi-même éleveur. Nous allons bien au-delà de la fabrication d'aliments, nous allons jusqu'à la mise en marché et donc tous ces problèmes de santé et de sécurité nous concernent au premier chef.
Nous sommes mobilisés ainsi sur l'E.S.B., depuis 1996, tout en notant que la " vache folle " était connue bien avant, dans les années 80 ; nous avons donc pris avec nos collègues la décision que M. Montecot rappelait tout à l'heure d'interdire les farines animales chez les ruminants dès 1989, alors que la Communauté Economique Européenne a pris la décision de ne les interdire qu'en 1994. Il s'est passé un certain nombre de choses que je souhaiterais voir évoquer par cette commission ; car si l'on a considéré que les produits français étaient toujours bons, voire meilleurs qu'ailleurs, on peut s'étonner aujourd'hui de voir toujours des cas de " vache folle " dits " N.A.I.F. " que l'on a toujours beaucoup de peine à expliquer ; nous sommes, nous fabricants d'aliments, rendus responsables des contaminations observées.
Je m'interroge toujours, nous nous interrogeons toujours : comment se fait-il qu'une contamination croisée dans l'usine d'aliments, alors qu'on n'utilise pratiquement plus ou très peu de farines animales dans nos usines, puisse avoir touché des animaux ? Cela signifierait que l'on a laissé sur le marché des matières premières hautement contaminantes ; comment se fait-il qu'aucune recherche n'ait été menée, pour savoir pourquoi cette matière première aurait contaminé d'autres animaux ? ce sont là des questions auxquelles nous n'avons jamais eu de réponse, alors que nous avons interrogé à maintes reprises un certain nombre d'administrations et de chercheurs. Nous refusons en tout cas de porter cette responsabilité d'être à l'origine de cette maladie, qui est susceptible d'influer sur la santé de nos concitoyens, puisque nous ne savons toujours pas s'il peut y avoir transmission de la maladie à l'homme.
Vous comprendrez aussi pour ces raisons toute l'inquiétude que nous avons en tant qu'industriels et éleveurs à propos de tous ces événements ; ces phénomènes d'E.S.B. nous préoccupent beaucoup. Nous avons pu constater fin 1998 que, sur ces matières premières prônées comme saines, loyales et marchandes, avec tout le phénomène des boues de stations d'épuration, que nous étions trompés depuis un certain nombre d'années ; même si, sur le plan de la santé humaine il n'y avait sans doute pas de grande incidence, il n'empêche que nous avions là des matières premières constituées à partir de denrées interdites par la loi et ceci à notre insu.
A notre avis, il y a eu un certain nombre de failles, jusqu'en 1998, quant à la fabrication de ces farines animales. Je vous rappelle également que la mise aux normes à 133 degrés 3 bars n'est intervenue en France qu'en février 1998. Autant d'éléments qui ne peuvent pas nous satisfaire, nous, fabricants d'aliments et éleveurs. De nombreux fabricants d'aliments ont refusé d'utiliser les farines animales, ce qui pose un autre problème ensuite aux éleveurs, car se pose alors la question de savoir ce que l'on fait de tous ces déchets d'abattoirs, pourtant issus d'animaux sains et qui remis dans la chaîne alimentaire, étaient en réalité quelque chose de tout à fait naturel, car des animaux tels que les volailles et les porcs sont des animaux qui, par nature, consomment des produits carnés. Je pense qu'il n'était pas anti-naturel que ces farines animales soient intégrées dans l'alimentation des volailles et des porcs. Cela était contestable pour les ruminants, je vous l'accorde et, c'est bien pour cela, que nous avons pris la décision de l'interdire dès 1989, car à cette époque, on savait ce qui se passait au Royaume-Uni.
M. le Président : Je vous remercie l'un et l'autre pour votre introduction ; nous enquêtons, je l'ai rappelé tout à l'heure, sur la transparence et la sécurité sanitaire de toute la filière, nous essayons de bien comprendre ce qui se passe sur l'ensemble de la chaîne (on dit quelquefois " de la fourche à la fourchette ", " de l'étable à la table ") et nous savons très bien que cette chaîne est faite de divers segments et de plusieurs maillons, que certains de ces maillons peuvent être plus sensibles que d'autres, peuvent présenter plus de risques que d'autres, peuvent connaître également des dysfonctionnements ; vous venez vous-même de reconnaître que le secteur de la fabrication de l'alimentation animale est précisément souvent " montré du doigt ". Nous sommes là pour essayer d'en savoir plus, pour essayer vraiment, à travers la transparence, de comprendre ce qui s'est passé, ce qui se passe aujourd'hui et ce qui pourrait se passer demain.
M. le Rapporteur : Je vous remercie de votre concision dans les exposés, qui permet de laisser beaucoup de place au débat ; nous sommes dans la partie amont de la filière alimentaire, avant la production de viande, et examinons donc tout ce qui peut alimenter cette production ; j'aurais trois questions à vous poser. En matière d'étiquetage, quelles sont les pratiques utilisées dans la fabrication de vos produits, quel est le suivi et quels sont les contrôles mis en place qui permettent de s'assurer de la qualité ou de la conformité d'un produit par rapport à un cahier des charges ? Existe-t-il un cahier des charges, un système d'étiquetage et qui en contrôle le respect à ce moment ?
Deuxièmement, nous avons eu à connaître des pratiques que l'on va qualifier de " déraisonnables " pour le moins, en ce qui concerne l'incorporation de certains ingrédients aux farines animales, puisqu'on a parlé de boues de stations d'épuration, de différents déchets, ce qui nous a valu pas mal de problèmes ; comment cela a-t-il été possible ? Est-ce un dérapage incontrôlé et incontrôlable ? Cela peut se reproduire ? Comment pratiquez-vous pour mettre de l'ordre dans cette production ?
Troisième question : le secteur des graisses animales est-il aussi votre ressort ? Si oui, comment arrivez-vous à inclure l'utilisation de ces graisses animales dans la nutrition des animaux ? S'agit-il de deux filières différentes, ou avez-vous aussi la possibilité d'incorporer des graisses animales dans les farines animales ? Etant donné que les graisses animales peuvent être des vecteurs de produits liposolubles, je fais allusion notamment à la dioxine bien sûr, disposez-vous de tous les contrôles suffisants, pour permettre d'éviter ce genre de contaminations ?
Dernier point qui est plus une remarque qu'une question : M. Rabillier a indiqué que les normes officielles de chauffage pour garantir une inactivation étaient de 133 degrés, or il a été démontré récemment, qu'à 138 degrés, nous avions encore des prions, des protéines " A.T.N.C. ", c'est-à-dire des " agents transmissibles non conventionnels ", qui qualifient l'autre aspect du prion.
M. Daniel RABILLIER : Nous avons l'habitude de travailler en commun sur un certain nombre de dossiers ; nous nous partagerons donc les questions. Je vais répondre à celle qui concerne l'étiquetage. L'alimentation animale est extrêmement contrôlée, contrairement à ce que l'on a pu dire, par les services vétérinaires et par la D.G.C.C.R.F. notamment ; la réglementation sur l'étiquetage est très poussée, a évolué régulièrement au fil des années, en fonction notamment de la connaissance des matières premières. Cet étiquetage est obligatoire et il est contrôlé par le service des fraudes régulièrement ; nous sommes régulièrement contrôlés dans nos usines par certaines administrations. Les services vétérinaires ne se sont pas beaucoup occupés de l'alimentation animale, mais aujourd'hui ils s'y intéressent beaucoup plus et à juste titre. Nous allons d'ailleurs être agréés dans un certain temps, nous attendons les décrets d'application ; tous les fabricants d'aliments seront agréés, reconnus sur un certain nombre de critères ainsi, nous le souhaitons, que tous les éleveurs qui fabriquent à la ferme ; car, il ne faut pas oublier non plus que bon nombre d'éleveurs achètent les matières premières et fabriquent eux-mêmes ; dans l'alimentation des animaux, il faut aussi prendre en compte tous ces éléments, puisque la plupart des matières premières sont achetées également sur le commerce.
Nous faisons l'objet d'autres contrôles ; c'est ainsi que, dans nos usines d'aliments, nous avons à répondre à de multiples cahiers des charges qui nous sont demandés par des producteurs, des groupements de producteurs ou encore d'autres organismes ; ces cahiers des charges sont suivis très sérieusement par des organismes certificateurs officiels. Nous avons dans certaines usines jusqu'à quinze cahiers des charges et nous sommes donc tenus de démontrer à tout instant le suivi de nos matières premières, de la réception jusqu'à la sortie, jusqu'à la livraison chez l'éleveur ; nous avons même un système relativement poussé d'échantillonnages, d'analyses à l'entrée des usines, de procédures de fabrication écrites et d'échantillons ensuite, à la sortie, qui sont conservés un certain nombre de mois, pour pouvoir réagir au cas où il y aurait un problème dans les élevages. Ce problème de l'étiquetage apparaît complexe, car l'on demande toujours davantage d'informations. Mais, on observe aussi, qu'en matière d'alimentation animale, l'étiquetage est plus développé encore qu'en alimentation humaine.
M. le Rapporteur : Qui fait les contrôles ? La D.G.C.C.R.F. ?
M. Daniel RABILLIER : C'est la D.G.C.C.R.F. qui contrôle l'étiquetage et un certain nombre de procédés dans les usines. Notre activité est une activité industrielle sous haute surveillance, contrairement à ce que l'on peut penser et, compte tenu des cahiers des charges qui nous sont imposés par certaines productions, nous faisons chaque semaine l'objet d'un certain nombre de contrôles. Lorsqu'il y a un cas d'E.S.B., un cas dit " N.A.I.F. " dans les départements, les usines d'aliments font l'objet d'un contrôle de plus de huit jours : tout est analysé, toutes les factures des matières premières sont reprises une par une ; nous sommes tenus de conserver toutes ces pièces plus de dix ans. Cela donne lieu ensuite à des rapports des services vétérinaires.
M. Pierre LELLOUCHE : Les contrôles dont vous faites l'objet sont-ils opérés sur pièces ou portent-ils sur la matière elle-même ?
M. Daniel RABILLIER : Il existe un contrôle sur pièces ; par ailleurs, nous essayons d'avoir des contrôles de la matière première quand elle rentre : blé, orge, maïs, tourteaux de soja, tournesol, colza, répondant à une définition très précise, apportée par le marché mais aussi par un certain nombre de règlements ; toutes ces matières premières sont sensées être loyales et marchandes.
Un problème se pose, s'agissant des farines animales. Lorsque les services vétérinaires font une analyse à la suite d'un cas d'E.S.B., l'on ne dispose pas toujours des échantillons des matières premières de 5 ou 6 ans auparavant.
M. Pierre LELLOUCHE : Quand passez-vous d'un contrôle sur pièces à un contrôle sur la matière, vous et les services de l'Etat ? A partir de quel moment analysez-vous les produits eux-mêmes ?
M. Yves MONTECOT : L'étiquetage étant précis donne les caractéristiques nutritionnelles de l'aliment, le taux de protéines. Lorsqu'il y a un prélèvement par l'administration des fraudes en usine, celle-ci prélève des étiquettes sur lesquelles sont portées les garanties, un échantillon représentatif en même temps, puis conduit une analyse en laboratoire, pour vérifier si les garanties apportées par la matière sont bien conformes à l'étiquetage.
M. Pierre LELLOUCHE : Et quelle est la fréquence en termes de contrôles ?
M. Yves MONTECOT : Les contrôles de l'Etat peuvent être menés une fois par mois, mais ils interviennent au moins deux à trois fois par an pour chaque entreprise ; les auto-contrôles sont, eux, quasi-permanents, puisqu'on vérifie l'adaptation de l'étiquette. L'étiquetage donne des fourchettes ; il faut donc vérifier l'adaptation et que les fourchettes soient bien respectées, avec les tolérances admises.
Mme Michèle RIVASI : Je voudrais revenir sur le cahier des charges ; vous dites que vous avez à peu près quinze cahiers des charges et même plus ; y a-t-il un cahier des charges minimum pour garantir la sécurité alimentaire ? Mais, s'il y a eu des scandales comme ceux que nous avons connus, c'est bien parce que le cahier des charges n'était pas tout à fait opérationnel en matière de sécurité alimentaire. Ce qui a choqué les consommateurs, c'est que vous ayez donné des farines animales à des ruminants.
Vous regroupez les entreprises qui fabriquent des aliments. ou des coopératives ; Savez-vous s'il y a des importations de ces produits et à combien s'élèvent-elles ? Est-ce que vous dominez tout le marché ? Vous parlez des " cas N.A.I.F. " ; ceux-ci ne seraient-ils pas dus à des importations n'offrant pas les mêmes garanties que vous ?
Pour les matières premières, le problème qui se pose est celui de leur origine ; vous dites que vous faites des autocontrôles ; quand vous dites que vous exportez des tourteaux de soja, viennent-ils de France ? Quel est le pourcentage des matières premières qui viennent d'ailleurs ? On ne dispose pas forcément de garanties, cela a été un vrai problème avec la dioxine à une certaine époque, sur toutes les matières premières ; et là aussi, il peut exister des sources de contamination.
Dernière question sur les boues de stations d'épuration, car vous n'en avez pas parlé.
M. Daniel RABILLIER : Je l'ai abordé.
Mme Michèle RIVASI : Pas beaucoup, je trouve.
C'est pour cela que l'on a un doute. On a appris que, dans une entreprise, on pouvait récupérer les boues, non pas de station d'une ville, mais celles de l'entreprise elle-même. Comment se fait-il, si vous aviez un cahier des charges bien défini, qu'une entreprise ait pu utiliser les boues d'une station d'épuration ? Nous vous faisons confiance, mais ces dysfonctionnements montrent, qu'au niveau de l'éthique de l'entreprise, il se pose de vrais problèmes ; mais cela veut donc dire que le cahier des charges en cause n'est pas correct.
M. Germain GENGENWIN : Dans la continuité des questions qui viennent d'être posées, on pourrait dire que, dans la fabrication d'aliments, à quelque chose malheur est bon ; vous avez insisté sur le fait que, depuis 1996, on a intensifié les contrôles, bien que je sache que la fabrication d'aliments a toujours été sévèrement contrôlée et que l'étiquette a toujours été la preuve de la contenance de l'aliment. Mais la concurrence joue : nous assistons en aval de votre produit, qu'il s'agisse d'un produit transformé en poulet ou en porc, à un phénomène : il existe de grandes centrales d'achats tellement concentrées, qu'au niveau du producteur, elles essaient de réduire le prix au maximum. Je pense que le producteur se tourne alors vers son fabricant d'aliments, pour lui demander de faire un effort sur le prix.
Par ailleurs, je prends l'exemple des boues ; on parle trop facilement des boues. Qui a utilisé des boues ? Quel genre de boues ? Il faut clarifier ce débat ; pour l'opinion publique aujourd'hui, cela veut dire que tout le monde a utilisé des boues.
Monsieur Rabillier a déclaré " on a laissé sur le marché des produits contaminants à partir d'un certain moment. En a-t-on la preuve ? Sait-on qui a commercialisé ou continué à commercialiser des produits contaminants dont on savait qu'il y avait véritablement un danger à les utiliser ?
Dernière observation ou question : n'est-il pas possible pour vous, de dire aux consommateurs, à la profession, " à partir de là, il y a effectivement danger pour le consommateur, parce qu'il y a une nécessité de qualité alimentaire au-delà de laquelle on ne peut aller " ? Je sais bien qu'il existe la concurrence, entre fabricants, entre coopératives, entre industries, mais, sur le terrain, nous le savons bien, les secteurs sont bien délimités ; aujourd'hui, pratiquement chacun a sa clientèle et il est très rare qu'un éleveur " enlève " un élevage important à un autre éleveur, étant donné l'intégration qui existe. Chacun a sa clientèle et ses sociétaires ; la profession devrait être aussi à un certain moment ferme au niveau des produits qu'elle fournit, au niveau des prix.
M. Joseph PARRENIN : Quelles garanties avez-vous sur le fait que les farines pour non ruminants ne sont pas utilisées à la ferme pour des ruminants ? J'ai été éleveur longtemps, j'ai regardé où l'on en était sur le plan de l'étiquetage, il faut quand même aller chercher assez loin pour voir qu'il y a des farines animales. Et cela pose un vrai problème ; je suis persuadé que les éleveurs n'ont pas conscience du fait que certains aliments contiennent des farines animales ; vous savez ce qui passe pour les agriculteurs qui sont en polyculture élevage : le fournisseur n'a pas livré la vache laitière et on va utiliser les aliments des porcs pour le week-end, parce qu'on n'a pas été livré.
Autre question : par rapport aux produits parapharmaceutiques, je ne sais si c'est sous votre responsabilité, mais vous savez que certains produits sont des produits dopants, dans lesquels on introduit des protéines. Je me rappelle avoir vu des protéines animales dans ces produits ; est-ce qu'aujourd'hui ces produits parapharmaceutiques font l'objet de contrôles ?
M. Yves MONTECOT : On avait commencé par l'étiquetage et l'on va arriver aux boues et aux farines animales, qui sont effectivement un sujet de préoccupation pour nous. Il faut être bien clair tout d'abord : les farines animales que nous utilisons sont pour nous des matières premières ; il y a eu très souvent une confusion sur ce plan : on ne donne pas à manger aux animaux des boues, mais des aliments qui peuvent contenir, le cas échéant, de la matière première et des farines animales. Pour être donc très clairs, cette affaire des boues nous gêne beaucoup ; nous l'avons découverte, et cela nous gêne tellement qu'au niveau du S.N.I.A., nous avons déposé plainte contre X à Rennes au mois d'août, car nous avons considéré qu'il y avait tromperie.
M. Germain GENGENWIN : Il faut réagir !
M. Yves MONTECOT : Mais nous avons réagi. En tant que professionnels, nous avons réagi fermement, nous avons porté plainte et demandé à la justice des éclaircissements. Sur ce point, il y a eu vraisemblablement un dérapage.
Sur le fond, la question de savoir si une matière première doit être mise sur le marché en tant que telle ou non, n'est pas de la responsabilité des professionnels ; nous avons la responsabilité de l'utiliser ou pas, mais en termes de sécurité, pour toute matière première qui est mise sur le marché, quelle qu'elle soit, qu'elle soit importée ou fabriquée en France, la règle est la même. Dès lors qu'elles ont une autorisation de mise sur le marché, elles doivent être de sécurité ; c'est de la responsabilité des pouvoirs publics de décider si une matière première ou un groupe de matières premières peut être utilisé ou non.
Mme Michèle RIVASI : Je suis en train de travailler sur une directive européenne ; le problème qui se pose est de savoir qui est responsable, du producteur ou de l'Etat. A l'heure actuelle, je vous signale que l'on s'oriente vers la responsabilité de l'entreprise qui achète des matières premières. Vous êtes une entreprise, vous voulez des matières premières, c'est quand même de votre responsabilité de contrôler si les matières premières que vous achetez au Brésil ou en Argentine sont conformes ; sinon, c'est trop facile, vous renvoyez à l'Etat en disant que c'est à lui de garantir l'état de la matière première.
M. Yves MONTECOT : Ce n'était pas le sens de mon intervention. Je prenais l'exemple des farines animales ; on a dit à un moment donné qu'il fallait les interdire. L'interdiction des farines animales incombe aux pouvoirs publics ; en termes de sécurité sanitaire, l'autorisation d'un groupe de matières premières doit relever de l'autorité publique ; après, bien entendu, il est de notre responsabilité d'industriels de vérifier que ces matières premières sont conformes et qu'elles sont saines, ce que nous appelons dans notre jargon " saines, loyales et marchandes ".
Nous avons beaucoup travaillé sur toutes ces questions ; à titre d'exemple, je reviens sur les farines animales, nous avons un accord professionnel, qui concerne les règles de commercialisation des farines animales et qui date de 1980, bien avant la crise.
Nous allons plus loin aujourd'hui sur les farines animales. C'est un sujet très sensible ; pour répondre clairement sur l'étiquette, lorsqu'il y a des farines de viande actuellement sur une étiquette, nous avons des modèles et avons diffusé récemment un communiqué pour bien expliquer. Il y est bien indiqué " farines de viande " ; à un moment donné, il était indiqué " farines d'animaux terrestres ", car c'était conforme à la réglementation ; sur les étiquettes actuelles, il est bien indiqué " cet aliment contient des produits protéiques interdits pour l'alimentation des ruminants ". C'est écrit noir sur blanc et de façon lisible sur l'étiquette ; chaque sac de 50 kilos ou 25 kilos qui quitte notre usine porte forcément une étiquette ; chaque sac : pas un ne sort sans cela ; il y a bien une étiquette ; et quand il s'agit d'une livraison en vrac, il y a une étiquette d'accompagnement et cela est bien respecté ; l'information existe donc.
M. le Président : Sur les farines animales, il y a deux problèmes en réalité : celui de l'utilisation de produits sains, de matières premières saines dont vous parliez tout à l'heure ; ensuite, on peut discuter de savoir à quel type d'animaux on donnera ces farines ; puis vient le problème de l'utilisation des cadavres d'animaux ; je pense que c'est de là qu'est venu le problème. En France, aujourd'hui, nous incinérons les produits d'équarrissage, mais nous savons très bien que ce n'est pas le cas partout ; je ne citerai pas ici de pays, mais chacun sait de quels pays je veux parler. Sommes-nous certains qu'aujourd'hui, il n'entre pas dans la fabrication de l'alimentation pour le bétail des farines qui proviennent également de cadavres d'animaux que nous avons interdits en France ?
M. Yves MONTECOT : C'est effectivement un point essentiel. Il faut d'abord bien rappeler que la France a pris les premières mesures : d'abord, la mesure de séparation des circuits, en application de laquelle ne vont dans les circuits de farines animales que les déchets d'animaux sains, c'est-à-dire ceux qui vont à la consommation humaine.
Cela amène ensuite à deux questions, que nous avons posées d'ailleurs aux pouvoirs publics conjointement, en avril 1998, bien avant la crise de la dioxine. Nous avions demandé par écrit au responsable de l'alimentation en France de prendre les mesures nécessaires pour vérifier les importations ; car si, en France, nous avons une législation forte, il existe aussi des liens très directs avec nos pays à l'intérieur de la Communauté Economique Européenne. Nous avons ensuite, en mai 1999, écrit directement à M. le ministre de l'Agriculture, pour lui parler également de ce problème d'harmonisation, pour dire qu'il fallait y penser. C'est pour nous une préoccupation, car en particulier en intra-communautaire, les marchandises peuvent circuler ; nous nous assurons en tant que professionnels, nous nous engageons à n'utiliser que des matières premières conformes ; mais à partir du moment où elles sont sur le marché, il est aussi de la responsabilité des contrôleurs aux frontières de vérifier que cette matière première passe bien.
M. Pierre LELLOUCHE : Cela nous ramène à la question de Mme Rivasi. Quelle part du marché contrôlez-vous ?
M. Yves MONTECOT : En terme de farines animales, la consommation française est d'environ de 500 000 tonnes ; cela a été à d'autres périodes plus important, de l'ordre de 800 000 tonnes. 500 000 tonnes par rapport à 22 ou 23 millions de tonnes d'aliments fabriqués, c'est-à-dire qu'au maximum, cela rentre à 1 ou 2 %. On peut considérer ainsi que la France est autosuffisante dans ce secteur ; nous sommes plutôt exportateurs de farines animales ; quand les marchés sont libres, il y a des mouvements, mais la part d'importations de farines animales est relativement faible aujourd'hui ; cela n'a pas été forcément le cas à d'autres périodes.
M. Pierre LELLOUCHE : Cela signifie-t-il que vous êtes en mesure de garantir que toutes les usines qui fabriquent des farines animales en France sont fournies par des produits sains fabriqués en France ?
M. Yves MONTECOT : C'est l'engagement qu'avaient pris les fournisseurs vis à vis de nous, dans les accords interprofessionnels ; nous pensions jusqu'en mai 1999 que cet accord était respecté ; c'est alors qu'est survenue l'affaire des boues et nous avons découvert qu'il y avait d'autres produits ; c'est pourquoi nous avons déposé une plainte.
M. Pierre LELLOUCHE : Savez-vous combien d'entreprises ne respectent pas le code de bonne conduite de la profession ?
M. Yves MONTECOT : Pour l'instant, nous avons demandé à la justice de le déterminer. Il y a eu deux rapports d'enquête, le rapport français des fraudes et celui de la Commission européenne il y a quelques semaines. Nous avons eu connaissance d'un certain nombre d'informations ; cela nous amène tout de suite à la décision que nous prenons. Nous voulons aller plus loin sur ces farines animales et avons exigé de nos fournisseurs une liste positive conduisant à considérer que tout ce qui n'est pas mis dans la liste est interdit. Nous allons formaliser cette liste, cet accord avec les professionnels, nos fournisseurs, dans les jours qui viennent. Là encore, nous voulons aller plus loin que la législation.
M. Pierre LELLOUCHE : Je ne comprends pas : vous êtes en train de nous expliquer que tout va bien et on sait que cela ne va pas bien ; combien d'usines fabriquent des farines animales en France ?
M. Yves MONTECOT : Je pense que vous aurez l'occasion d'entendre le représentant des fabricants ; nous ne sommes pas les fabricants des farines animales, ce sont nos fournisseurs.
Je ne suis pas en train de vous expliquer que tout va bien, puisque nous avons porté plainte. Nous avons découvert en même temps que vous qu'il pouvait y avoir des incorporations ; nous ne sommes donc pas satisfaits, nous l'avons exprimé devant la justice et nous avons mis en place depuis mai-juin, une procédure et des vérifications plus précises du produit, qui sera formalisée. On essaie d'avoir un produit sain, loyal et marchand, ce que l'on est censé nous vendre normalement.
M. Daniel RABILLIER : Mme Rivasi a posé des questions qui touchent au c_ur du problème. Nous achetons des manières premières, effectivement, conformes à la réglementation ; les boues des stations d'épuration découvertes étaient strictement interdites ; comment, quand on achète une matière première, savoir qu'une matière interdite s'est glissée dedans, a été mélangée ? Je vous suggère de lire le rapport de la D.G.C.C.R.F. fait fin 1998, rendu public en 1999, qui a fait l'objet d'un article dans le " Canard Enchaîné ". Vous comprendrez pourquoi on a porté plainte ; il y a eu un dysfonctionnement quelque part, qui n'est pas de notre responsabilité. Vous avez raison de dire que nous achetons des matières premières et devons nous assurer de leur qualité, mais, dans la matière première, telle que la farine animale, allez savoir quelles sont les matières premières entrantes ? Mme Lebranchu l'a dit au mois de juin, sociologiquement, le fait qu'il y ait des boues est inadmissible. Mais ceci dit, pour la santé humaine, il faut relativiser : une poule ou un cochon dans une ferme, vous savez ce qu'il mange ... Soyons capables de relativiser quand même et de nous reporter à ce qu'est un animal et comment il va se nourrir. Ceci dit, il n'est pas supportable, à l'aube de l'an 2000, de voir de telles situations, surtout quand il y a une réglementation qui précise que l'on interdit telle ou telle matière.
Aujourd'hui, nous essayons de prendre l'initiative, en disant que nous irons faire des listes positives plutôt que d'interdire, nous dirons " voilà quels sont les produits qui doivent rentrer dans la composition de telle ou telle matière première ".
Vous disiez " c'est de la responsabilité de celui qui achète la matière première ", cela devient à un certain moment insupportable ; nous allons prendre toutes nos garanties dans la liste positive ; je demande aux pouvoirs publics de nous donner aussi des garanties et de nous assurer que la liste positive est bien saine, loyale et marchande, que l'on ne risque pas d'être une fois de plus accusés d'avoir utilisé des matières premières qui choquent l'opinion publique.
M. Germain GENGENWIN : Et pourtant, les boues sont venues dans le circuit !
M. le Président : Pendant combien de temps cela s'est-il passé ainsi ? Est-ce quelque chose de ponctuel, ou est-ce que cela a duré longtemps ?
M. Daniel RABILLIER : Cela fait l'objet d'un rapport d'une administration, je vous demande de vous y reporter, je ne peux vous dire autre chose ; il est très riche d'enseignements.
M. le Président : Et personne dans la profession ne savait que cela se passait ?
M. Daniel RABILLIER : Ensuite se pose le problème des importations, comment les contrôler ? Et on rejoint le problème des organismes génétiquement modifiés, des sojas génétiquement modifiés, car, dans les études qui sont faites par l'ensemble des organismes professionnels, pour savoir si l'on peut monter une filière non organismes génétiquement modifiés en France, on se rend compte que la seule activité véritablement concernée par les organismes génétiquement modifiés est la distribution animale, la grande distribution. Nous dépendons en protéines végétales pour l'alimentation animale à 70 % de pays extérieurs à l'Europe ; comment arriver à s'assurer que les sojas seront O.G.M. ou non-O.G.M. ? C'est notre problème aujourd'hui ; nous avons demandé tant aux pouvoirs publics qu'aux Américains et à tous ceux qui peuvent faire pression sur les producteurs du continent américain qu'ils séparent les lots O.G.M. et non-O.G.M., pour informer les éleveurs et les consommateurs ; c'est un véritable problème de fond et d'actualité, avec la conférence de Seattle.
Mme Odette GRZEGRZULKA : Vous nous avez parlé du cahier des charges ; Quelle en est l'ampleur ? Jusque dans quels détails entre-t-il ? Pouvez-vous en laisser un exemplaire ?
Vous avez dit, par ailleurs, que vous faites beaucoup d'autocontrôles, vous faites vous-même votre propre police, sous quelle forme et, vous est-il arrivé de prendre des sanctions vis à vis de collègues, pas des fournisseurs ? Vous saisissez la justice pour vos fournisseurs, mais dans votre corporation, quels exemples avez-vous d'initiatives prises vis à vis de collègues défaillants au regard des cahiers des charges ?
En troisième lieu, vous occupez-vous aussi de la nourriture des poissons en élevage, saumons, truites ? Le cahier des charges est-il le même pour la nourriture de nos animaux domestiques ?
M. Yves MONTECOT : Nous n'avons pas parlé des dioxines et des graisses ; mais je dois déclarer qu'en France, il n'y a pas eu un cas de contamination de dioxine.
M. Pierre LELLOUCHE : Mais, cette affaire des " poulets à la dioxine " l'année dernière, de quoi s'agissait-il ?
M. Yves MONTECOT : Ce n'était pas en France.
M. Pierre LELLOUCHE : Des poulets français ont été contaminés, à partir de la Belgique ; j'ai à votre disposition le télégramme du gouvernement belge informant le ministère des finances français.
M. Yves MONTECOT : Il y a eu une alerte. Une entreprise en France a été mise sous séquestre pendant trois semaines, mais c'était une alerte ; au bout des trois semaines, les analyses ont prouvé qu'il n'y avait eu aucune contamination.
M. Pierre LELLOUCHE : Les produits avaient déjà été consommés trois camions de poulets, ont été vendus et consommés par des Français ; il faut faire attention à ce que l'on dit ici.
M. Yves MONTECOT : Au niveau de l'alimentation animale française ...
Mme Charlotte DUNOYER : C'étaient des poulets belges.
M. Pierre LELLOUCHE : Je ne parle pas de poulets belges, mais d'aliments contaminés par la dioxine importés en France dans une usine qui dépendait d'un groupe belge ; je peux en donner le nom. Que l'on ne vienne pas me dire que j'ai rêvé.
Mme Charlotte DUNOYER : Techniquement, que des graisses animales soient rentrées en France, dont on a pensé qu'elles pouvaient appartenir au lot contaminé, est un fait, l'entreprise qui avait acheté ces graisses a été mise sous séquestre, on a retrouvé un échantillon ...
M. Pierre LELLOUCHE : Six mois après la fabrication !
Mme Charlotte DUNOYER : Compte tenu des échantillonthèques, un échantillon de la graisse en question et du lot susceptible d'être contaminé a été analysé, s'est révélé négatif, il y a eu mise sous séquestre en attendant les résultats, mais le lot incriminé entré en France s'est révélé a posteriori négatif ; ce sont des choses tout à fait publiques.
M. Pierre LELLOUCHE : Ils n'en savent rigoureusement rien !
M. Yves MONTECOT : On n'a pas eu de découverte d'aliment contaminé par la dioxine en France. Il y a une raison à cela, c'est que nous étions, nous, professionnellement, dans les guides de bonnes pratiques et décisions professionnelles, décidés à ne pas importer de produits belges, étranger, qui ne soient pas conformes à la réglementation française ; cela a éliminé d'office un certain nombre de fournitures sur le marché français il s'agissait là de décisions de professionnels. En France, nous avons eu 75 cas de " vaches folles ", les Anglais sont à 160 000 ou 180 000 cas.
Mme Odette GRZEGRZULKA : On a plutôt entendu parler de 2 000.
Mme Charlotte DUNOYER : Par an.
M. Yves MONTECOT : En France alors, qu'en Angleterre, le chiffre est de 180 000, depuis le début de la crise. Il y a une connaissance essentielle qui montre que les mesures que nous pouvions prendre, qui ne sont pas parfaites, mais que nous devons continuer d'améliorer, ont quand même été efficaces et cela est important.
Pour répondre sur le cahier des charges farines animales, nous vous le transmettrons, sans difficulté.
Pour les collègues défaillants, oui, nous avons des sanctions, nous pouvons vous dire aujourd'hui que nous sommes partie civile sur dix cas qui ont concerné l'alimentation.
Mme Michèle RIVASI : C'est un peu le problème de l'agrément qui est posé ; s'il y avait un agrément au niveau des entreprises, n'y aurait-il pas un meilleur contrôle ? Que concernent ces dix cas ? Les farines ? Les boues ?
M. Yves MONTECOT : Ce sont des dossiers de justice, pour l'utilisation de substances interdites ; cela peut concerner des hormones ou d'autres choses, des substances internes. La législation européenne qui sera transcrite en droit français obligera à l'agrément de toutes les usines d'alimentation animale dans les mois qui viennent ; nous étions jusque là sur un système déclaratif. La moitié des industriels de l'alimentation animale sont aujourd'hui certifiés ISO 9002, qui est une démarche volontaire engagée depuis dix ans. Les premières entreprises certifiées ISO 9002 ont entrepris les démarches il y a dix ans.
Pour répondre à votre question sur le poisson, ce n'est pas notre secteur du tout.
M. Daniel RABILLIER : Quelques usines fabriquent de l'aliment poisson, mais il s'agit de petites quantités ; nous en avons une parmi nos adhérents car il y en a quelques-unes en France. De même que pour les animaux domestiques, certaines usines fabriquent des aliments pour les chiens de chasse.
M. Germain GENGENWIN : Qui fabrique des aliments pour Royal Canin ?
M. Daniel RABILLIER : L'une des sociétés du Groupe Guyomar ; cela concerne essentiellement les chiens de chasse, mais nous avons les mêmes réglementations strictes ; c'est un autre débat, qui concerne les animaux familiers ; mais, nous ne sommes pas aptes à répondre à ce genre de question, car ce n'est pas notre métier principal.
En ce qui concerne la réglementation, vous voyez bien tout le problème de l'harmonisation, d'abord européenne, ou son " inharmonisation " ; vos propos de tout à l'heure sont justifiés, nos frontières n'existent plus au niveau national, on n'empêchera pas des fabricants belges de venir vendre en France. Nos collègues et adhérents du Nord sont toujours inquiets, car il y a quelquefois des concurrences déloyales. On connaît très bien le problème des hormones ; nous avons pris en France des mesures depuis très longtemps pour qu'il n'y en ait plus mais, cela n'a pas été le cas partout en Europe ; l'Europe est entière et totale, comment fait-on pour contrôler tout cela ? Cela reste un problème important, même si cela ne touche pas de nombreux cas, cela donne une très mauvaise image de notre profession ; cela peut donner l'impression qu'il se fait n'importe quoi dans notre métier.
Tous ces dossiers de farines animales ont terni notre image ; nous sommes aujourd'hui sur les organismes génétiquement modifiés, même si cela n'a pas la même portée sanitaire en terme d'image, c'est quand même très néfaste pour nous et parce que nous essayons de prendre des initiatives pour tenter d'avoir des matières premières parfaitement connues et pouvoir transmettre l'information.
M. Germain GENGENWIN : Et les sojas, vous les avez ?
M. Daniel RABILLIER : Oui, mais nous ne pouvons pas aujourd'hui faire des aliments sur des volumes importants, pour certifier à nos acheteurs et consommateurs que nos animaux ont été nourris avec des sojas non-O.G.M.
M. Pierre LELLOUCHE : A votre sens, quelle est la part des importations plus ou moins sauvages ?
M. Daniel RABILLIER : On ne peut pas parler d'importations sauvages.
M. Pierre LELLOUCHE : Sur la production nationale ?
M. Daniel RABILLIER : Il faut raisonner en Europe ; l'Europe importe 70 % de ses protéines végétales.
M. Pierre LELLOUCHE : On peut dire sans se tromper que les animaux élevés en France mangent des organismes génétiquement modifiés ?
M. Daniel RABILLIER : Dans toute l'Europe, le monde entier.
M. Pierre LELLOUCHE : Et les hormones ?
M. Daniel RABILLIER : Non. Les hormones sont strictement interdites et l'ensemble de la profession a pris des mesures depuis un certain nombre d'années pour faire le ménage sur le territoire français ; cela n'exclut cependant pas quelques percées, mais globalement, les animaux ne sont pas élevés aux hormones ; il faut être très clair là-dessus.
M. le Président : Dans la mesure où l'on a une production de masse et qu'il existe donc des regroupements importants d'animaux, il semblerait que l'on mette des antibiotiques dans l'alimentation ; il serait intéressant d'avoir votre opinion là-dessus.
M. Daniel RABILLIER : C'est la dernière préoccupation majeure de notre profession ; jusqu'à l'an dernier, il y avait 9 antibiotiques autorisés dans l'alimentation animale en termes d'additifs, pas d'activateurs de croissance forcément. Aujourd'hui, quatre ou cinq antibiotiques ont été interdits, il en reste quatre ; on parle d'en interdire encore un autre et nous savons que nous irons vers l'interdiction totale, pour répondre à la demande du consommateur et du citoyen sur la santé humaine. Nous approfondissons nos techniques d'élevage pour nous passer de ces antibiotiques qui étaient utilisés en faibles quantités, pour favoriser la digestion de l'animal et éviter la maladie. Je vous rappelle que les antibiotiques en alimentation animale correspondent à 10 % de l'ensemble de la fabrication antibiotique ; d'ici à quelques années, nous n'y aurons probablement plus recours ; nous compenserons cela, car nous avons beaucoup appris dans les méthodes d'élevage. De nombreux élevages se passent d'antibiotiques, avec un suivi sanitaire et prophylactique rigoureux, qui entraîne un surcoût ; nous savons que nous sommes obligés de le faire et que cela n'est pas répercuté ensuite dans les prix de vente. Nous avons des produits additifs qui sont aussi très fortement connus sur la place publique, qui avaient leur utilité au plan sanitaire, mais dont il nous faut nous passer.
M. Joseph PARRENIN : J'émets de grands doutes sur ce que vous venez de dire, car nous savons très bien que l'apport d'antibiotiques augmente l'indice de consommation. C'étaient essentiellement des raisons économiques qui ont fait que l'on a supplémenté en antibiotiques.
M. Daniel RABILLIER : Je n'ai pas dit le contraire.
M. Joseph PARRENIN : Je n'ai pas eu de réponse par rapport à ma question sur les produits parapharmaceutiques. Par ailleurs, j'émettrai des réserves par rapport à la fabrication à la ferme ; vous essayez de vous dédouaner, mais elles sont faites à partir de céréales produites dans les fermes, avec des produits complémentaires fabriqués chez vous ; ne mettons pas trop encore les fabrications à la ferme en cause. Je ne dis pas qu'il ne peut pas y avoir quelques erreurs, mais ne les mettons pas trop en cause.
M. Yves MONTECOT : Nous ne les remettons pas en cause du tout, le marché existe et peut exister, nous demandons qu'il soit contrôlé de la même façon, pas avec les mêmes moyens, mais que des contrôles soient faits, car ils ont accès à d'autres choses.
M. Daniel RABILLIER : Et vous avez le problème important du soja, qui est une question fondamentale ; un tiers des sojas sont utilisés en direct par l'éleveur et, quand l'éleveur nous interroge O.G.M. ou non-O.G.M., surtout pour les ruminants, la question est complexe ; je suis personnellement producteur de lait ; j'achète le soja nature et j'ai le même problème dans mon exploitation que si je me tournais vers l'usine d'alimentation de mon entreprise.
Mme Michèle RIVASI : Ne peut-on changer pour autre chose ?
M. Daniel RABILLIER : Difficilement.
M. Yves MONTECOT : 20 millions de tonnes importées en France, dont 4 millions de tonnes ne sont pas des importations illégales, elles sont déclarées, mais cela est tout à fait important. Nous sommes surproducteurs, en surproduction de céréales, qui apportent l'énergie, mais nous devons importer 20 millions de tonnes de protéines végétales au niveau européen ; nous sommes dépendants à 70 % de ces protéines.
M. le Président : Peut-on réduire cette dépendance en développant les cultures d'oléagineux ?
M. Yves MONTECOT : C'est un message clair de la profession, nous proposons un troisième plan protéines pour développer les oléagineux.
M. le Président : Nous allons devoir nous arrêter là ; si vous avez des contributions écrites, vous pouvez nous les faire parvenir ou nous les donner dès maintenant.
Audition de MM. :
Laurent SPANGHERO,
Président de la Confédération française des entreprises bétail et viandes
François TOULIS,
Président de la Fédération nationale de la coopérative bétail et viandes,
assisté de Pierre HALLIEZ
(extrait du procès-verbal de la séance du Mercredi 1er décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Pierre Halliez, Laurent Spanghéro et François Toulis sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Pierre Halliez, Laurent Spanghéro et François Toulis prêtent serment.
M. le Président : J'ai le plaisir de saluer l'arrivée parmi nous de M. Laurent Spanghéro, Président de la Confédération française des entreprises bétail et viandes et de M. François Toulis, Président de la fédération nationale de la coopérative bétail et viandes, accompagné d'un de ses collaborateurs, M. Pierre Halliez.
De nombreuses questions ont déjà été posées au cours des auditions précédentes sur les processus de fabrication des produits. Vous représentez ici un maillon spécifique, celui de l'abattage. Nul doute que votre audition donnera lieu à un débat fourni.
M. Laurent SPANGHERO : Je vous présenterai en premier lieu notre organisation. La C.E.B.V. est un groupement de quatre organisations professionnelles, la fédération nationale des industries du commerce en gros de viandes qui regroupe environ 400 adhérents, le syndicat national des industriels de la viande, qui compte une vingtaine d'adhérents, le syndicat national du commerce de porc qui regroupe à la fois des structures privées et coopératives avec 80 adhérents et enfin les marchands de bestiaux qui enregistrent un millier d'adhérents. Cela représente un chiffre d'affaires assez important, 3 000 chefs d'entreprise et 62 500 salariés.
Les chiffres clefs du secteur, qui comprennent la coopération, sont les suivants : cinquante marchés aux bestiaux, répartis sur le territoire, commercialisant chaque année 2 100 000 bovins et 1 150 000 ovins, près de 350 abattoirs, 300 d'entre eux étant agréés par la Communauté Economique Européenne et 43 étant des abattoirs locaux ; ces derniers ne représentent, d'ailleurs, que 0,5 % du tonnage national, mais sont à la source d'une distorsion, les contrôles n'y étant pas de même nature. Par ailleurs, le secteur compte 1 500 ateliers de découpe, organisés selon deux régimes distincts, l'un d'ateliers agréés, l'autre d'ateliers non agréés. Le chiffre d'affaires total du commerce de bétail vivant (je regroupe là aussi les deux secteurs) est de 96 milliards de francs, celui de l'abattage et de l'industrie est de 98 milliards de francs, avec des secteurs excédentaires, comme celui des bovins (6,5 milliards de francs d'excédent) et celui des porcins (0,6 milliard de francs pour ce qui concerne 1998).
Les viandes et préparations à base de viandes représentent un tonnage important de la consommation française. Les Français consomment aujourd'hui 1 600 000 tonnes de viande bovine, 1 900 000 tonnes de viande porcine et 265 000 tonnes de viande ovine. Chaque Français consomme 95 kilos de viande par an (volaille y compris).
La viande étant un produit hautement périssable, surtout lorsqu'elle est transformée, les filières animales font l'objet d'une surveillance stricte par les pouvoirs publics. Celle-ci se situe à deux niveaux. Le premier concerne les maladies : tuberculose, brucellose, fièvre aphteuse, peste porcine. La surveillance est très efficace et nous avons quasiment éradiqué toutes ces maladies. Même lorsque des cas de peste porcine sont apparus aux Pays-Bas, nous n'avons eu à en déplorer aucun en France. Nous ne sommes pas encore tout à fait dans le secteur dit " propre " par rapport aux normes mondiales du commerce, mais nous pourrions bientôt l'être.
Les éleveurs et les services vétérinaires ont mis en place depuis des années des plans de prophylaxie pour contrôler les animaux sur pied, qu'ils soient en ferme ou dans les circuits commerciaux, avec l'objectif d'éliminer ces différentes maladies.
Le deuxième niveau de surveillance concerne celui des viandes, grâce à des inspections sanitaires en abattoir et une surveillance des process de production dans les ateliers de découpe et de transformation.
On peut donc dire que nos métiers sont sous contrôle permanent, tant au niveau de la production qu'à celui de l'abattage. En revanche, si l'on revient à l'actualité récente, nous avons connu trois alertes importantes. Concernant la crise de " la vache folle ", une mauvaise stérilisation des farines animales anglaises, contaminées par un prion, serait à l'origine de la dissémination de la maladie. S'agissant de la dioxine belge, elle est due au comportement criminel d'un fournisseur de produits destinés à être incorporés dans les farines animales et qui a vendu des huiles contenant de fortes proportions de dioxine. Concernant enfin le recyclage des boues par les équarrisseurs, cette pratique qui semble largement répandue en Europe, résulte d'un " laisser-faire " toléré depuis de nombreuses années ; le rapport de la Commission européenne de fin août le révèle très fortement. Nombreux étaient ceux qui savaient que des boues étaient recyclées par les équarrisseurs.
Dans tous les cas, ce sont bien les méthodes de production des farines animales et la qualité des matières premières utilisées qui sont en cause.
Pour en revenir à l'E.S.B., il est important de rappeler que, dès 1990, les professionnels savaient qu'il existait des problèmes en Angleterre. Il a fallu attendre le 21 mars 1996 pour qu'ils apparaissent vraiment au grand jour. D'ailleurs, dès 1990, des mesures réglementaires avaient été prises pour la circulation des bovins vivants en provenance du Royaume-Uni et en ce qui concerne les viandes importées en provenance de ce pays. Seuls les veaux de moins de 6 mois pouvaient quitter le Royaume-Uni avec identification spéciale et obligation d'abattage avant l'âge de 6 mois. De telles mesures avaient déjà été prises en 1990 pour les viandes ! Dès 1992, seules les viandes désossées, dénervées, pouvaient être exportées. Il faut d'ailleurs noter qu'en 1992, la France avait décidé de mettre en _uvre un embargo de trois jours qui fut immédiatement levé après une réunion des ministres de l'agriculture européens. Il ne faut pas oublier aussi, qu'à partir de 1993, de facto, les Allemands ont décidé un embargo à l'encontre des viandes d'origine britannique ; mais ils l'ont fait avec une telle discrétion que personne n'en a parlé. Pourtant, il n'y a plus un kilo de viande britannique qui entre en Allemagne, ce depuis 1993. Les Allemands ont d'ailleurs été les premiers à prendre des mesures importantes. Puis, la France a décrété l'embargo en 1996. Mais elle a été précédée de trois ans par les Allemands, qui n'en ont rien dit.
Nous considérons, aujourd'hui, que tous nos maux proviennent de ces divers dysfonctionnements que je viens de citer et qui nous préoccupent. En juillet 1996, la F.N.I.C.G.V. a porté plainte contre X dans l'affaire de " la vache folle ", notamment pour rechercher les responsabilités concernant les farines animales importées et distribuées en France. Pour l'instant, cette plainte est instruite par le juge Edith Boizette et l'instruction n'est toujours pas close. Nous n'en avons toujours pas de nouvelles, alors que la plainte date de juillet 1996.
Outre ces alertes fortement médiatisées, se produisent périodiquement, des incidents en termes d'hygiène alimentaire et qui sont provoqués par des produits de viande contaminée, soit par l'Escherichia Coli 157, soit par des salmonelles ou des listeria. Les produits transformés sont les plus exposés à ces contaminations.
Ce domaine est du ressort des fabricants. Il faut encore renforcer l'hygiène alimentaire dans nos usines ; une analyse des points critiques, selon la méthode H.A.C.C.P., a été mise en place depuis deux ou trois ans maintenant, d'une façon quasiment systématique. Elle exclut cependant les ateliers non agréés par la Communauté Européenne dont la latitude est plus grande que celles des autres ateliers soumis à diverses obligations qui les respectent en général.
J'ai élaboré une liste de propositions que je pourrais vous soumettre.
M. François TOULIS : M. le Président, Madame, Messieurs, je souhaite faire, comme Laurent Spanghéro, une présentation générale.
Je suis agriculteur dans l'Ariège et, c'est à ce titre, que je suis Président de la fédération nationale de la coopération bétail et viandes. Pierre Halliez, à qui j'ai demandé de m'accompagner, travaille dans notre structure nationale.
La F.N.C.B.V., fédération nationale de la coopération bétail et viandes, est la fédération du mouvement coopératif. Elle regroupe 300 groupements de producteurs des secteurs de l'élevage bovin, porcin et ovin et une trentaine de groupes ou d'entreprises d'abattage et de transformation de viandes. Il s'agit des mêmes entreprises, au sein du secteur coopératif, que celles que M. Spanghéro vient de présenter pour le secteur privé.
Créée à la fin des années 50, la coopération a participé aux changements des filières d'élevage et les a souvent provoqués : progrès techniques dans les élevages, concentration des opérateurs, organisation des marchés, allongement de la durée de vie des produits imposée par l'allongement des circuits, industrialisation des filières, révolution de la distribution ; beaucoup de choses ont changé au cours de ces dernières années.
Les groupements de producteurs témoignent de la volonté des éleveurs de s'organiser. Ils sont constitués sous forme de sociétés coopératives, au nombre d'une centaine dans chacun des trois secteurs que je viens de citer. Ils représentent 35 % de la production bovine, 50 % de la production ovine et 90 % de la production porcine française. Ces groupements jouent un rôle à la fois économique (organisation et développement de la production, regroupement de l'offre de bétail, adaptation des productions au marché) et technique (encadrement des éleveurs, conseils, orientation de leur production, suivis sanitaire et vétérinaire, organisation des prophylaxies).
Je voudrais attirer votre attention sur la contestation permanente, par l'ordre des vétérinaires et leurs confrères libéraux, du rôle et des moyens des vétérinaires salariés de nos coopératives. Ce point est important, car vous avez souligné l'aspect essentiel du suivi vétérinaire des animaux. Comme le prévoit la loi, les vétérinaires titulaires du même diplôme ont certes, les mêmes devoirs, mais aussi les mêmes droits d'accès à l'ensemble des médicaments vétérinaires nécessaires à leur mission. Cet accès doit se faire dans le strict respect des exigences du code de la santé publique, s'agissant d'élevages dont le suivi sanitaire leur est régulièrement confié, sans que vienne s'y ajouter l'exigence du paiement des médicaments par les vétérinaires eux-mêmes, exigence que les parlementaires ont clairement repoussée en 1992.
La F.N.C.B.V. regrette, à cet égard, qu'un récent arrêt du Conseil d'Etat n'ait pas répondu aux questions posées en la matière en les situant dans leur véritable contexte, celui du plein exercice. Cet arrêt ne nous semble conforme ni à l'esprit, ni à la lettre de la loi et sa portée doit être relativisée. Nous insistons pour une stricte application des articles du code de la santé publique, afin que nos coopératives remplissent toutes leurs missions d'encadrement sanitaire et qu'elles contribuent ainsi à la sécurité des aliments, par la connaissance d'ensemble de l'état sanitaire des élevages, la mise en _uvre des prophylaxies, la surveillance et le diagnostic vétérinaire, les prescriptions et le contrôle de la distribution des médicaments et l'interprétation des résultats d'abattage.
J'en reviens à ma présentation de la filière coopérative. Les entreprises coopératives d'abattage et de transformation, filiales des groupements, réalisent plus de 35 % du marché de la viande en France. Elles se situent dans le prolongement de l'activité des éleveurs dans l'élaboration et donc la valorisation de leur production. Ce montage en filière économique permet une maîtrise du produit, depuis la naissance de l'animal jusqu'à la commercialisation de la viande et assure une prise en compte des exigences du marché, qu'elles soient d'ordre quantitatif, sécuritaire ou qualitatif. Les fondements de la coopération " bétail et viandes " reposent depuis l'origine sur l'application du principe de transparence. Chronologiquement, l'accent a été mis successivement sur la clarification des marchés (fixation du prix selon des critères objectifs, en particulier du poids des carcasses), l'orientation des productions en fonction des débouchés, l'organisation et la maîtrise des circuits commerciaux et l'adaptation aux évolutions du marché, enjeu majeur des trois dernières années.
Grâce à leurs relations avec les éleveurs adhérents, les groupements de producteurs et l'industrie des viandes, les filières coopératives sont à même de construire des démarches de traçabilité et de qualité formalisées, rigoureuses, suivies et contrôlables. Précisons, à ce stade, que les groupements de producteurs, qui produisent, par exemple, 90 % de la viande porcine française, la commercialisent aussi bien par le biais de structures coopératives d'abattage et de transformation que par celui de structures privées que représente M. Spanghéro.
Ainsi, dès 1988, nos congrès ont décidé d'orienter la stratégie économique de nos entreprises vers la mise en place de " filières-qualité ", prenant en compte de façon globale la sécurité et la satisfaction des consommateurs.
Nous avons mis en place des outils communs, en particulier CERTIVIANDE, pour lequel nos deux fédérations sont partenaires en matière d'assurance qualité et d'hygiène lors de l'abattage et de la transformation. Nous avons également une démarche coopérative avec AGRICONFIANCE, qui concerne l'assurance qualité des élevages et des coopératives. Citons enfin toutes les actions en faveur de la traçabilité, qui ont pris un essor non négligeable à partir de 1996.
Je voudrais rappeler que, quelques mois avant que ne se déclare la crise, l'interprofession, dans laquelle nous siégeons tous les deux, travaillait sur cette fameuse identification " viande bovine française ". Cela a d'ailleurs permis à la profession, une fois la crise déclarée, de réagir très vite et de mettre en place le fameux V.B.F. dont vous avez eu connaissance, ne serait-ce qu'en tant que consommateurs. Ne voyez là aucun heureux hasard ; le V.B.F. n'aurait pu être créé en quelques semaines, et nous y travaillions avant que cette crise n'éclate. Cela corrobore les propos de M. Laurent Spanghéro : les professionnels étaient conscients de ce qui couvait déjà en Grande-Bretagne, mais ils ne pouvaient intervenir en la matière au niveau européen. L'interprofession française a exprimé clairement la volonté de mettre en _uvre une identification de produit. Trois semaines avant que n'éclate la crise, nous nous étions réunis pour choisir le logo que nous pourrions développer sur ce fameux V.B.F. Nous n'étions pas complètement d'accord ; le concept était en cours d'élaboration, nous avions encore un peu de temps et ne savions pas ce qui nous attendait. Quelques jours après, quand la crise s'est déclarée, nous avons tenu une réunion rapide pour choisir le logo et nous avons mis en place cette identification. C'est probablement ce qui a sauvé la production française, puisqu'encore à ce jour, les cours de la viande bovine en France sont supérieurs au niveau des producteurs, de 2 à 4 francs du kilo de carcasse, à ceux de l'Irlande ou de l'Allemagne.
C'est également à la suite de la crise de l'E.S.B. de 1996, qu'a été décidée au niveau communautaire la mise en _uvre d'une identification des viandes à partir du premier janvier 2000, délai qui vient d'ailleurs d'être repoussé au niveau communautaire, puisque l'on parle maintenant de 2001 ou 2003.
Je pense que ce retard constitue une véritable erreur, car il me paraît indispensable de s'orienter vers une meilleure information et une meilleure connaissance du produit. Vous, comme moi, appréciez de savoir d'où proviennent et comment ont été traités les produits que vous achetez quotidiennement. Cela permet de guider votre choix. Or, pour la viande, nous étions dans l'anonymat le plus complet. Cette crise, qui a joué pour beaucoup dans les difficultés que la filière a subies en 1996 et 1997, s'est révélée bénéfique sur d'autres points, car elle a permis de faire avancer la traçabilité des viandes. L'année suivante, en 1997, nous avons entrepris, comme en 1996, la même démarche d'identification au niveau de la filière ovine. Mais il reste beaucoup à faire pour réduire les distorsions existant au niveau communautaire.
M. le Président : Je vous remercie, l'un et l'autre, de vos exposés qui nous ont permis d'avoir une idée précise du maillon que vous représentez.
M. le Rapporteur : M. Spanghéro, vous nous avez indiqué que 300 abattoirs étaient agréés " Communauté Economique Européenne " et que 43 ne l'étaient pas. L'agrément concerne-t-il les garanties en termes de qualité et de traçabilité, ou concerne-t-il simplement ce qui se passe à l'intérieur de l'établissement ?
Pour les contrôles, M. Toulis a déclaré que sa structure emploie des vétérinaires salariés dans les coopératives ; je pense que, pour M. Spanghéro, ce sont des vétérinaires privés qui interviennent. Nous en avons débattu lors de l'audition du Directeur général de l'A.F.S.S.A. : il faut préciser si l'on peut être juge et partie lors des contrôles effectués et je pense notamment aux vétérinaires salariés des coopératives.
Concernant la filière qualité et la traçabilité, pouvez-vous nous dire aujourd'hui si, dans vos abattoirs, tout animal suspecté d'être porteur de certaines maladies est systématiquement écarté ?
Enfin, en ce qui concerne la traçabilité, je partage le regret que vous avez exprimé, s'agissant du recul de la date de sa mise en place au niveau européen. Mais, au niveau français, êtes-vous décidés à franchir le pas et à mettre en _uvre cette traçabilité dans de bonnes conditions ? Cela ne constitue-t-il pas également une forme de protectionnisme en notre faveur, ce qui a d'ailleurs été reproché à la France, lorsqu'elle utilise la notion de traçabilité ?
M. le Président : S'agissant de la non mise en place de la réglementation souhaitée, à qui, selon vous, ce retard peut-il être imputé ?
M. François TOULIS : Sur la traçabilité, les choses sont claires en France. A partir de 1996, après la crise, nous avons mis en place l'étiquetage des viandes par accord interprofessionnel. Ce ne sont donc pas les pouvoirs publics, qui ont pris cette décision, qui est le fait de la profession. L'accord a été étendu et nous avons profité, il faut bien le dire, de la crise de " la vache folle " pour que Bruxelles l'accepte. Nous étions en pleine crise, il fallait " sauver les meubles " et la Communauté a laissé faire.
Cela n'a pas été le cas pour les ovins quelques mois après, car la Commission a perçu la mesure comme témoignant plus d'une volonté protectionniste que de sécurité. Je crois qu'il s'agit d'une erreur européenne ; j'ai soutenu ce point de vue la semaine dernière au comité consultatif " productions animales " auquel je participe au niveau communautaire, de même que je l'ai soutenu devant mes collègues qui s'opposent à la mise en _uvre d'un étiquetage au plan européen.
Tout le monde achète du vin et sait de quel pays, de quelle région et même, de quelle propriété il provient. Cette identification s'applique de manière identique aux fruits et cela n'empêche pas les échanges, il en va d'ailleurs de même, pour les voitures. Je pense que l'on doit une grande clarté au consommateur et qu'il faut lui apporter les informations nécessaires. La viande irlandaise ou allemande n'est pas mauvaise en définitive et sa qualité est similaire à la nôtre. Il est vrai qu'en cas d'incident dans un pays ou dans une région, des incidences sont possibles sur la consommation. Mais, d'un certain point de vue, cela peut être bénéfique en poussant à l'excellence l'ensemble des filières.
Pourquoi a-t-on alors reporté la mise en _uvre de la traçabilité ?
M. le Rapporteur : C'est la question ; cela veut dire que l'on s'orienterait vers une politique privilégiant de plus en plus la labélisation.
M. François TOULIS : Le label est autre chose. La traçabilité sur les viandes consiste à donner l'information disponible quant à leur origine. En France, nous avons choisi trois critères : l'origine (française, né, élevé, abattu en France) ; la catégorie des animaux (vaches, b_ufs, jeunes bovins -car en France, on ne mange pas du b_uf, mais essentiellement de la vache) ; le type d'animal (origine laitière ou viande). L'information sur l'origine est particulièrement importante, car, en cas de problème, nous pouvons réagir ; et le consommateur a droit aux informations sur l'origine des viandes.
Un projet est en préparation au niveau communautaire pour 2003 ; il consiste à ajouter à ces critères celui de la maturation de la viande, entre la date d'abattage et celle où elle est vendue. Vous savez comme moi, que la qualité de la viande que l'on consomme est liée à 50 % à l'animal lui-même (son alimentation, son élevage), mais aussi à 50 % à la manière dont la viande a été traitée, en particulier sa maturation. Alors qu'il faudrait consommer le yaourt à jour zéro, c'est le contraire pour la viande. Ainsi, à l'heure où je vous parle, un carré d'entrecôte sous vide est en train de maturer dans mon réfrigérateur. Je lui laisse dix jours de plus car je sais que c'est grâce à ce délai d'attente que le viande sera tendre. Alors que le goût vient de l'animal lui-même, la tendreté est due à la maturation.
Ces informations complémentaires que l'on peut donner, comme on les donne sur d'autres produits, sont intéressantes et amélioreraient notre image. Ensuite, il nous reviendra d'être performants pour convaincre les consommateurs européens de manger notre viande. Mais les autres producteurs européens agiront de même ; les Irlandais, par exemple, ne perdent pas de temps.
Pourquoi la décision de mettre en _uvre la traçabilité a-t-elle été repoussée au niveau communautaire ? Il est certain que des lobbies se sont opposés à une telle mise en _uvre.
M. le Président : Lesquels ? Nous avons du mal à comprendre.
M. Germain GENGENWIN : C'est la langue de bois ce matin.
M. François TOULIS : Non ! J'ai été, il y a six mois, stupéfait que les représentants de la boucherie européenne à Bruxelles demandent que la traçabilité s'arrête à l'entrée des magasins. Cela n'a rien de secret, puisque ce point a été discuté en comité consultatif " viande bovine ". Je pense que cette demande a été motivée par la réticence à briser certaines habitudes, jugées commodes.
M. Germain GENGENWIN : Et peut-être par les coûts ?
M. François TOULIS : Peut-être ; mais je pense que c'est une erreur. Vous me demandiez un exemple, en voilà un. Je suppose que, si cette demande a été présentée en comité consultatif " viande bovine ", les représentants de la boucherie européenne agissent aussi pour faire en sorte que l'on en reste là.
Je pense qu'un deuxième élément, l'identification des animaux, a énormément retardé cette mise en place. Sachez que nous sommes, en France, exemplaires sur tous ces points. Nous sommes capables pour un animal (il y a encore eu des améliorations) comme pour un homme, de savoir où il est né, comment il a évolué, alors que c'est loin d'être le cas au niveau communautaire. La Commission a réalisé, qu'en dépit des événements de 1996, certains pays n'avaient rien entrepris en la matière et qu'à ce jour, ils n'étaient matériellement pas capables de mettre en _uvre la traçabilité, faute d'identification des animaux. Comment voulez-vous mettre en place la traçabilité des produits dans ces conditions ?
Ce point a également eu son importance. M. Dewinck, qui est le représentant de la Commission sur les productions animales et que j'ai questionné la semaine dernière, m'a répondu qu'il était inutile de se battre pour prévoir la traçabilité au 1er  janvier prochain. Il a estimé que cet objectif était irréalisable, pour les raisons que j'ai évoquées et parce que les textes nécessaires n'ont pas été arrêtés. Cela explique que cette mise en _uvre soit repoussée à 2001 ou à 2003. Vous savez que nous sommes en conflit avec les Etats-Unis à l'O.M.C. sur le problème des hormones. Nous avons perdu. Pour le moment, la Communauté Economique Européenne a décidé de ne pas accepter les importations de viandes hormonées. Je signale qu'il existe une grande différence entre les organismes génétiquement modifiés et les hormones. Les hormones sont interdites au niveau communautaire. Or, nous perdons le procès sur l'interdiction de laisser pénétrer des viandes hormonées : soit l'on paie et l'on n'en laisse pas entrer, soit elles entrent. Si elles pénètrent sur le territoire européen, vous comprenez tout l'intérêt que les quinze Européens, auront à avoir tracé leurs viandes. Nous pourrons alors préciser aux consommateurs européens quelle viande est garantie sans hormones. Cela n'évite pas les cas de fraude, que l'on trouve partout, comme pour le stationnement dans la rue : si quelqu'un fraude et se " fait prendre ", son véhicule va en fourrière. Ce sera le même cas de figure. La traçabilité nous permettrait d'informer les consommateurs : " Voici de la viande d'origine européenne, ou d'autres Etats, non hormonée, et l'autre nous a été imposée ; consommez celle que vous souhaitez ".
M. Laurent SPANGHERO : Je souhaiterais répondre à la question portant sur les ateliers agréés et non agréés. Je suis moi-même professionnel, à la tête d'une entreprise importante...
M. le Rapporteur : Par " ateliers ", entendez-vous " abattoirs " ?
M. Laurent SPANGHERO : Oui. Les professionnels souhaitent qu'une règle soit appliquée pour tous. Or, dans un atelier agréé, il y a quasiment obligation d'avoir une permanence vétérinaire. Des préposés vétérinaires sont là, quasiment en permanence. Dans un atelier, ou un abattoir non agréé, c'est le vétérinaire du secteur qui passe quand il en a le temps et qui vérifie l'animal qui a été abattu le matin même, les viscères, les abats. C'est tout à fait différent. D'un côté, un contrôle vétérinaire permanent garantit la sécurité et l'hygiène des produits, de l'autre, c'est un peu plus laxiste. Les professionnels souhaitent avoir une règle commune.
Concernant l'étiquetage français, je serai peut-être un peu plus clair que ne l'a été M. Toulis. Certains pays ont intérêt à ce que les ingrédients ne soient pas identifiés. Il est sûr qu'ils sont en retard sur nous ; aujourd'hui la Grèce ne sait pas ce qu'est un animal identifié, ou si peu et l'Italie importe 50 % de sa production. Les Italiens, pour ne citer qu'eux, ne sont pas favorables à l'étiquetage. Un certain nombre de pays ne voient pas d'intérêt, font du lobbying à Bruxelles pour l'éviter. Je suis vice-président de l'Union européenne du commerce de bétail et viande et je vois bien ce que mes collègues me reprochent : " vous allez plus vite que la vitesse ; à Bruxelles, la décision n'a pas encore été prise, il nous faut attendre 2001 ou 2003 et depuis trois ans, vous étiquetez ". Nous avons là des conflits, mais les professionnels français ont pris les choses à bras le corps.
Les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui proviennent, pour l'essentiel de l'alimentation des animaux. Nous estimons que les règles appliquées pour l'E.S.B. doivent être appliquées au niveau communautaire. Vous avez indiqué que, dans certains pays, les cadavres d'animaux entrent toujours dans la composition des farines animales. C'est vrai et il faut citer les noms de ces pays : aujourd'hui, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, recyclent ces cadavres dans les farines animales. Or, si j'achète un porc au Danemark, les consommateurs français consommeront des produits qui n'ont pas rencontré les mêmes exigences que celles que nous avons ici en France.
La première règle, à mon point de vue, est d'avoir une mesure communautaire identique.
Les mesures qui consistent à sortir du circuit de l'alimentation animale et à incinérer tous les produits à risques spécifiés (cervelle, moelle épinière) sont contenues dans des décisions précises. Or, seuls les pays qui déclarent l'E.S.B. appliquent ces mesures. Certains pays se déclarent aujourd'hui indemnes d'E.S.B. A qui va-t-on faire croire qu'aucun cas d'E.S.B. n'a été observé depuis des années ? Cela n'est pas très crédible ; les pays qui déclarent qu'ils n'ont pas de cas d'E.S.B. n'ont donc pas à incinérer les cervelles ou les moelles épinières, ce que nous nous imposons en France. Le coût de l'opération, 700 millions de francs par an en France, n'est quand même pas une plaisanterie !
Il faut également exclure de l'alimentation animale tous les produits à risques ; cela concerne les stations d'épuration, et aussi les résidus de dégrillage, etc. Aujourd'hui, les acheteurs de sous-produits d'abattoirs veulent non pas nous imposer, mais nous proposer une liste de produits positifs. J'estime qu'aujourd'hui, il est du ressort des pouvoirs publics de dire clairement, avec tous les experts du secteur, ce qui peut être toléré pour être transformé en farines animales et ce qui ne l'est pas, d'une façon très précise. En France, par exemple, les soies de porc ne sont pas tolérées par nos transformateurs de farines animales. Or, partout ailleurs en Europe, les soies de porc entrent dans la composition de farines animales. Il faut que l'on sache exactement ce qu'il en est. Pour 2 millions de tonnes de porcs, 18 000 tonnes de soies de porc sont exclues des farines animales Françaises ; or, si les soies de porc ne sont pas autorisées, ce n'est pas le cas des plumes de poulets qui ont la même composition. Il faut donc mettre les choses au clair.
Je voudrais insister devant vous, sur ce dernier point. L'opprobre est aujourd'hui jeté sur les farines animales, alors que nous consommons tous les jours des produits qui produisent ces farines animales : les os de porc, les os de b_uf sont utilisés dans de bons pot-au-feu, nous les donnons à notre chien, de même que les os de poulet ; et ces os ne pourraient pas entrer dans la composition des farines animales ? La protéine issue de ce type de produit est de grande qualité. Il faut, à mon sens, éviter de prendre une décision lourde de conséquences, en déclarant que tous ces sous-produits d'abattoirs qui sont nobles pour les humains (l'os à moelle est utilisé pour manger une bonne entrecôte) ne seraient pas bons pour nos animaux. Je ne suis pas d'accord. Par ailleurs, nos besoins en Europe sont d'environ 20 millions de tonnes de protéines d'origine végétale ou animale. Nous produisons aujourd'hui 500 000 tonnes de protéines d'origine animale, ce qui ne représente que 10 ou 15 % de nos besoins totaux. Il faut donc éviter de prendre une décision qui risque de mettre à mal la compétitivité de l'ensemble de la filière au niveau européen et mondial, alors que le risque humain, à mon point de vue, est nul, puisque nous consommons nous-mêmes ces produits. La condition, sur ce dernier point, est évidemment que les bovins, les ruminants, ne consomment pas ce type de produit. J'ai, sur ce point, une proposition à présenter : il est vrai qu'il n'est pas aisé de déchiffrer les étiquettes ; je préconise que toutes les farines animales destinées à des monogastriques, comme les porcs, volailles et autres, soient estampillées, en spécifiant de manière lisible qu'elles sont interdites pour l'alimentation des ruminants. Les choses seraient ainsi bien plus claires.
M. André ANGOT : Je souhaite revenir sur la question des abattoirs, agréés ou non " Communauté Economique Européenne ", et souligner en particulier la grande confusion qui règne dans l'esprit du consommateur. Ce dernier part du principe que tous les produits sortant de très grands groupes industriels ou de grands abattoirs seraient plutôt plus dangereux que des produits labellisés issus de petits ateliers. Or, vous avez signalé que, dans les grands abattoirs et les grands groupes, une démarche qualité s'applique à tous les stades de la fabrication et s'améliore d'ailleurs d'une année à l'autre, de sorte que ce sont finalement ces produits qui présentent la plus grande sécurité alimentaire. Néanmoins, dans l'esprit du consommateur, ce sont plutôt les produits labellisés ou les produits bio issus de petits ateliers, qui n'ont pas du tout mis en application cette démarche qualité, qui seraient sûrs. Il y a là une grande contradiction, car le consommateur a l'impression que le produit qui sort d'un petit atelier est, par définition, bien meilleur, alors que celui qui sort d'un grand groupe industriel est suspect. Il faut aussi parler de cette contradiction qui demeure dans l'esprit du consommateur.
M. Laurent SPANGHERO : Il faut bien distinguer les choses. Vous avez parlé à la fois de sécurité et de produits " bio " ou labellisés. Il convient de distinguer le stade de la production du produit, c'est-à-dire l'animal, produit dans un élevage selon une qualification, un suivi, des normes précisées et le produit labellisé qui doit respecter un certain nombre de normes. En revanche, il est clair aujourd'hui, que les aliments les plus sûrs sont issus des entreprises les mieux organisées. Cela tient à l'agrément Communauté Economique Européenne, aux contrôles imposés ou suivis par les services vétérinaires, aux démarches qualitatives ISO 9002 et aux exigences aujourd'hui de plus en plus grandes en termes d'hygiène et de sécurité des aliments. Cela peut être le cas d'une entreprise de dix personnes, qui a un ingénieur qualité à mi-temps. Mais, en ce qui me concerne, je dispose de trois ingénieurs qualité, j'ai multiplié par cinq les tests bactério-chimiques. Nous nous imposons des exigences qu'une petite entreprise aurait peut-être des difficultés à supporter. Le seul agrément " Communauté Economique Européenne " est exigeant : il suppose un choix du fournisseur, l'interdiction de certaines méthodes, que ne peut pas respecter un petit atelier. A priori, quand il s'agit de transformation, les petits ateliers ne peuvent pas avoir les mêmes exigences en matière de niveau d'hygiène que les grandes unités. Les choses sont différentes au stade de la production.
M. Germain GENGENWIN : Quand on s'appelle Spanghéro, on vient forcément du pays du rugby, c'est-à-dire du pays où on a l'habitude de respecter les lois dès leur promulgation. Je suis donc sincèrement étonné d'entendre que l'on parle encore d'ateliers d'abattage non agréés. Cela fait vingt ans en Alsace que l'on n'entend plus parler de cela ; je suis véritablement surpris.
Concernant les boues, vous avez déclaré que les pratiques étaient connues, mais qu'on a laissé faire. Qu'entendez-vous par ce " on " ? Pourrions-nous réentendre, sur ce point, un service administratif que nous aurions déjà auditionné ?
M. le Président : Nous sommes là pour essayer d'éclairer les choses, il faudra effectivement que cette question soit posée, afin d'éviter les dysfonctionnements, dans l'intérêt à la fois des producteurs, des consommateurs et des autres acteurs de la filière.
M. François TOULIS : M. Halliez peut apporter une information complémentaire technique sur le problème des ateliers agréés que vous souleviez.
M. Pierre HALLIEZ : Permettez-moi un complément de nature plus technique ou réglementaire, relevant d'une question de vocabulaire qui a son importance. Il ne faut pas laisser entendre qu'aujourd'hui, en France, fonctionnent des ateliers ou abattoirs illégaux. A ma connaissance, cela n'existe pas. Je pense que le président Spanghéro a voulu souligner qu'il existe en revanche différents niveaux d'agréments qui n'offrent pas tous les mêmes niveaux d'exigence, donc de sécurité. L'agrément communautaire est le plus répandu et a les exigences les plus fortes, avec un contrôle permanent qui donne accès au marché européen. Mais, il existe aussi un agrément dit " loco-régional ", qui correspond à un niveau d'exigence et peut-être de contrôle moindres. En termes économiques, les ateliers correspondants ont un marché restreint au département d'implantation et aux départements limitrophes. Il est clair que le niveau de garantie et la capacité à accéder à des outils de gestion de la qualité ne sont pas les mêmes.
Par ailleurs, il convient de préciser que les textes ont prévu la dispense d'agrément. C'est peut-être cela qui est le plus anormal. La dispense d'agrément concerne des ateliers se situant entre le petit atelier industriel et le gros boucher et qui, sans agrément, donc, sans contrôle, peuvent livrer le marché des collectivités, donc les cantines scolaires dans lesquelles déjeunent nos enfants. Cette possibilité d'être dispensé de l'agrément sur simple déclaration auprès des services préfectoraux constitue la source la plus importante de distorsions économiques mais aussi sanitaires.
M. le Président : Il est donc aujourd'hui possible que soient servies, dans les cantines scolaires et la restauration collective, des viandes, y compris bovines, d'animaux ayant été nourris avec des farines provenant, par exemple, d'Allemagne ou des Pays-Bas ; personne ne peut alors dire que ces farines n'ont pas été consommées.
Le représentant de l'équarrissage traitera plus tard cette question, mais je la pose ici car, en réalité, c'est un secteur où l'on ne sait pas grand chose sur la provenance et la traçabilité de la viande.
M. François TOULIS : Un point précis est important : il faut savoir que la majorité des viandes consommées dans la R.H.F. (restauration collective hors foyers) est constituée de viandes d'importation, pour des raisons de coûts. Il y a là quelque chose qui ne tourne pas bien dans la mécanique des cahiers des charges. Ce n'est pas un mal en soi car, encore une fois, la viande d'importation n'est pas forcément mauvaise. Le problème de fond est celui que nous avons souligné précédemment : la règle doit être la même dans toute la Communauté Economique Européenne.
Je souhaite ajouter que l'interprofession bovine française vient de signer un accord interprofessionnel il y a un mois et portant sur l'information de la restauration hors foyers. Nous nous engageons à donner l'origine des viandes aux clients de la R.H.F. qui le souhaitent. Une fois encore, la décision a été prise par l'interprofession. Aucune décision réglementaire n'a bien entendu été prise au niveau communautaire, puisqu'aucune avancée n'a été enregistrée sur le problème de l'étiquetage de la viande au niveau global. Dès que notre accord interprofessionnel sera étendu normalement au 1er janvier, nous serons soumis à cette nouvelle obligation, qui découle de la volonté de la profession. Nous souhaitons cette transparence. Le responsable de la cantine aura le choix entre tel ou tel produit, selon tel ou tel prix, telle ou telle condition ; mais il aura l'information, comme nous le souhaitons. Vous avez bien compris qu'au niveau de la filière française, nous souhaitons un maximum de transparence. Je pense que nous avons tout à y gagner ; et tant mieux si on travaille bien !
Je voudrais souligner un autre point. Comme M. Spanghéro l'a dit, il ne faut pas mélanger le problème de l'élevage des animaux et celui des qualités de traitement dans la filière. Il n'y a pas l'ombre d'un doute : plus les outils sont importants au niveau industriel, grâce au niveau des contrôles et des agents qualité, plus la qualité du produit est assurée au niveau sanitaire. Il n'est qu'à visiter ces ateliers pour le constater : le port des gants et des masques donne à penser qu'on est plus dans un hôpital que dans un abattoir.
Une autre question est celle de l'origine du produit. Dans un gros atelier, peuvent être traitées toutes sortes de viandes (bio, sous label, ou certification de conformité ou autres). Sanitairement, ces produits sont traités à partir de l'entrée dans l'abattoir. Or, pour qu'un animal entre dans un abattoir, il faut disposer de toute sa prophylaxie, de son état sanitaire, en règle avec le suivi de son document d'accompagnement et de sa vignette sanitaire.
M. le Rapporteur : Sinon, vous le refusez ?
M. François TOULIS : En effet. Si vous ne disposez pas de l'ensemble de ces pièces, l'animal est saisi d'entrée. S'il entre dans l'atelier, il ne peut plus en ressortir.
M. le Rapporteur : Y compris pour les ateliers non agréés " Communauté Economique Européenne " ?
M. François TOULIS : Même dans les ateliers agréés France, il ne peut pas y entrer. Mais des ambiguïtés existent : quel est le député qui n'a pas voulu défendre son petit abattoir ou sa petite tuerie locale, en utilisant l'argument de proximité et de commodité ? Nous savons qu'il faut restructurer les outils d'abattage sur un plan économique, mais également sur ceux du niveau sanitaire et du suivi, et il y a là une réelle contradiction. Mais nous avons tous les mêmes comportements : en tant qu'élus, professionnels, ou politiques, nous défendons et nous investissons dans tous ces outils. Des efforts sont faits, mais la pression est parfois forte. Des outils sont alors préservés, bien qu'ils ne soient pas rentables.
Concernant la conception du produit, la spécificité du label ou d'une viande sous certification de conformité réside dans l'existence d'un cahier des charges. C'est au niveau de l'exploitation d'origine que le producteur signe ; le cahier des charges du label, (qu'il s'agisse d'un produit bio ou sous certification de conformité) est autocontrôlé par l'organisme qui l'a déposé et qui a conventionné avec l'éleveur. Mais il est surtout contrôlé par la D.G.C.C.R.F., à tous les niveaux.
J'insiste sur un point important : la maîtrise revient à la Commission nationale des labels et des certifications qui est agréée par l'Etat ; il s'agit donc d'une responsabilité de l'Etat. Nous avons bien vu, dans le combat qui nous oppose maintenant à elle, que la grande distribution cherche à acquérir la maîtrise de ce genre d'opération. Je pense que l'on aurait alors des marques voire des labels de distributeurs, ce qui serait très néfaste en termes de qualité, d'origine du produit et de suivi et réduirait la maîtrise, par le maillon production, de son produit jusqu'en aval.
M. le Président : Vous êtes favorable à ce que seul l'Etat puisse délivrer l'agrément.
M. François TOULIS : Oui et je signale que la question de revenir sur ce point s'est déjà posée.
M. le Président : C'est très important.
M. François TOULIS : Il faut que ce soit l'Etat qui délivre l'agrément.
M. Germain GENGENWIN : La profession cède à la pression.
M. François TOULIS : Comprenez qu'il est difficile, pour un opérateur comme Laurent Spanghéro, qui a sa propre entreprise, de résister à la pression de Carrefour-Promodès qui viennent de fusionner et qui tiennent 34 % du marché ...
Ils nous demandent une ristourne, parce qu'ils viennent de fusionner, sur des activités datant des six derniers mois, puis une ristourne pour la promotion de l'anniversaire, une ristourne pour la promotion du tonnage. Quand on en est à ce niveau de concentration, si l'on dit à Laurent Spanghéro (peut-être pas par écrit, mais en aparté) " si vous ne nous faites pas cela, vous perdez votre référencement chez nous ", ce problème (qui est peut-être autre que celui que vous avez évoqué) n'est pas sans conséquences sur la qualité du produit. Car, quand un opérateur situé en milieu de filière, ou même en amont, est trop pressuré et s'étouffe, il ne peut plus faire tout ce que l'on souhaiterait. Je ne suis pas sûr que cela rejoigne les attentes des consommateurs, malgré certains discours. Entre autres, les labels ou certification de conformité, qui permettent de remonter la filière, sont facteurs de différenciation : le consommateur paie plus, mais il peut être exigeant. La traçabilité ne se situe ni à l'entrée de l'abattoir, ni à la distribution, elle remonte en amont jusqu'à la qualification de l'élevage et du produit.
M. le Président : Vous avez indiqué que l'abattage était un des maillons où l'on faisait sans doute le plus de contrôles. Pouvez-vous, à travers ces tests, déceler si certaines des carcasses sont celles de bêtes ayant reçu des hormones ? Il semble, bien que ce soit interdit, que des trafics existent à ce niveau.
M. Laurent SPANGHERO : Aujourd'hui, le perfectionnement dans l'utilisation des hormones est tel qu'il semble difficile de les déceler au niveau de l'abattoir. Deux pays voisins n'appliquent pas les règles communautaires. Ce n'est quand même pas normal, car tout le monde le sait. Je trouve anormal que les Espagnols et les Belges (ce sont des pays un peu en avance dans ce domaine, même si, chez nous, il existe encore quelques petites poches, plus anecdotiques) ne se cachent pas, en Europe du Sud, pour nous " prendre des marchés ". Nous avons d'ailleurs perdu des marchés en Italie, car l'utilisation qu'ils en font leur permet d'être plus compétitifs que nous qui avons des méthodes naturelles.
M. François TOULIS : Les Espagnols sont sur le marché italien.
M. Laurent SPANGHERO : C'est ce que j'entends par " Europe du Sud ". Aujourd'hui, les règles communautaires sont bafouées, notamment en Espagne. C'est encore le cas en Belgique, malgré certains efforts.
La viande des gros bovins, des ruminants, est globalement très saine, car ils sont nourris à partir de produits végétaux. La difficulté est que " la vache folle ", la dioxine, etc., résultent d'alimentations supplémentées, achetées dans les usines d'aliments et qui ont suscité une panique. Sinon, concernant les animaux, eux-mêmes, il n'y a aucun problème. Grâce à la suppression des activateurs de croissance, grâce à la promotion du bien-être animal (cases collectives pour les veaux, nouvelles règles sur les transports) et tout ceci contribue d'ailleurs à améliorer la sécurité des aliments. Néanmoins, je persiste à dire qu'il n'est pas normal que certains pays continuent à incorporer des cadavres d'animaux dans les farines animales. Il n'est pas normal, même en France, que des ateliers puissent encore être dispensés d'agrément. Monsieur le député, je peux vous citer de tels ateliers qui sont en Alsace. Vous ne le savez pas, mais il y en a. Ils ne sont pas nombreux, il y en a moins qu'ailleurs peut-être, mais dans les régions de faible densité de population, il existe de petits abattoirs de 300 ou 400 tonnes. Il n'y en a pas beaucoup, 43 disséminés sur le territoire. Si l'on mène une opération en six mois, il peut ne plus y en avoir du tout ; mais leur mise aux normes n'est pas simple.
Concernant l'utilisation des boues des stations d'épuration, tout le monde était plus ou moins au courant. Il faut appliquer les mêmes règles, ce qui est en cours aujourd'hui, aux stations, aux équarrisseurs et aux fabricants d'alimentation animale. Ces règles doivent être celles que l'on applique dans nos usines pour fabriquer les produits alimentaires finaux. Si l'on applique les mêmes règles, nous n'aurons plus de problème.
M. Joseph PARRENIN : Vous avez abordé le problème des abattoirs, sur lequel j'ai deux questions à vous poser. Sur la première, peut-être pourrez-vous nous transmettre votre réponse par écrit : la pression exercée par la grande distribution ou les grandes chaînes de restauration sur les prix peut-elle avoir des conséquences sur la qualité des produits ? Autre question : il est vrai que le problème des abattoirs est posé un peu partout en France. Certains abattoirs ne sont pas rentables, fonctionnent moyennement. Si on les supprime, m'amplifiera-t-on pas inévitablement l'abattage sauvage, peut-être pas des gros bovins, mais des autres animaux, les moutons en particulier ?
M. François TOULIS : Vous en avez déjà une telle quantité !
M. Joseph PARRENIN : La question est quand même posée ; est-on capable d'inventer des abattoirs de proximité qui soient aux normes et qui remplissent aussi les conditions de rentabilité ? C'est cela, le problème.
M. Laurent SPANGHERO : Concernant la pression de la distribution, aujourd'hui, les opérateurs se font du souci. Nous avons en face de nous cinq ou six clients et nous ne pouvons plus nous permettre d'en perdre un seul. Sinon, c'est l'entreprise elle-même qui est perdue. Mais ceci ne nous oblige pas à mettre des produits de mauvaise qualité sur le marché. Du fait du nombre de contrôles, mais aussi de nos exigences, nous ne pouvons pas nous le permettre. La pression de la distribution ne nous amènera pas à modifier la qualité des produits. Je suis clair là-dessus.
En revanche, concernant les abattoirs locaux, une étude au cas par cas est effectivement nécessaire. Je vous en donne un exemple : un abattoir doit être agréé à 25 kilomètres de Lyon, alors que celui de Lyon même, qui enregistre 20 000 tonnes, est en sous-capacité. C'est là une erreur monumentale. Je signale que des parlementaires, et non des moindres, exercent une pression pour que cet abattoir soit réalisé.
Je fais un procès, y compris aux pouvoirs publics, contre l'ouverture de cet abattoir. La fédération des viandes s'y opposera. Je veux que cela serve d'exemple. Si l'on continue à laisser faire " n'importe quoi, n'importe où " sous prétexte que des élections approchent, cela se fera au détriment d'un outil beaucoup plus important, qui risque d'être mis en péril.
Je me suis opposé à la mise ne place d'un abattoir situé dans le Vaucluse. Un très haut parlementaire qui est aujourd'hui ministre, a plaidé pour la construction de cet abattoir, qui s'est réalisée. L'abattoir en question traite 400 tonnes par an ; or, aujourd'hui, un abattoir qui ne traite pas cinq mille tonnes annuellement n'a pas de raison d'être.
M. le Président : Qui travaille dans un tel abattoir ?
M. Laurent SPANGHERO : Ce sont des bouchers locaux, mais la question n'est pas là. Ce qui est critiquable, c'est le fait que les fonds publics financent ce type de projets et qu'il y a là une source de distorsions de concurrence car les abattoirs voisins sont en sous-capacité et sont donc mis en difficulté. Dans le cas cité, c'est l'abattoir de Marseille qui est en difficulté.
Je me situe au-delà de l'opinion politique des uns ou des autres. Le problème est économique. Je raisonne donc en termes économiques et je dis qu'il faut que l'on ait la volonté, une fois pour toutes, de poser la question de la carte des abattoirs de France. Je ne suis pas opposé à un abattoir local si celui-ci se révèle nécessaire. Mais, nous avons aujourd'hui 350 abattoirs en France, qui couvrent bien le territoire. Autoriser la construction de nouveaux abattoirs, reconstruire ou moderniser des abattoirs qui sont situés à quelques dizaines de kilomètres d'un abattoir plus important, ce n'est pas normal. Cela laisse la porte ouverte au moindre contrôle que j'ai évoqué, car pour un abattoir de 500 tonnes, vous rendez-vous compte du coût du contrôle ? Mon abattoir traite 15 000 tonnes ; il a un vétérinaire et des préposés. Mais s'il traitait 5 000 tonnes, il aurait aussi un vétérinaire et des préposés. Le prix du vétérinaire est divisé par trois ; et s'il s'agit de 500 tonnes, n'en parlons pas !
M. François TOULIS : Une pression importante de la distribution sur la qualité sanitaire du produit ne jouera pas : si vous êtes dans un outil agréé, vous ne pouvez pas passer outre. Ce n'est pas le cas pour ce qui concerne la qualité d'origine du produit si l'on remonte jusqu'au producteur et qu'on lui demande de produire différemment (vous parliez vous-même de suppléments antibiotiques). Quand vous êtes trop pressuré, vous ne pouvez pas produire en prenant le risque de perdre un client. C'est pourquoi j'estime que cette trop grande pression sur l'ensemble de tous les maillons redescend dans la filière et, quelque part, on ne fait pas vraiment ce qui serait souhaitable pour la qualité. Je ne parle pas de la qualité sanitaire, car on ne peut pas passer outre. Je parle de la qualité intrinsèque du produit, de sa conception.
M. le Président : Nous sommes obligés de nous arrêter là. Vous avez quelques documents, peut-être pouvez-vous nous les laisser ? Nous pouvons également être amenés à vous adresser encore des questions, auxquelles vous pourrez nous apporter des réponses écrites.

Audition de M.  Bruno POINT

président du syndicat des industries françaises
des coproduits animaux

(extrait du procès-verbal de la séance du mercredi 1er décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
M. Bruno Point est introduit.
M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête lui ont été communiquées. A l'invitation du Président, M. Bruno Point prête serment.
M. Bruno POINT : Je vous remercie d'entendre notre profession et de lui donner la possibilité de s'exprimer devant la représentation nationale. Notre métier fait, en effet, souvent la " une " de l'actualité et nous regrettons de ne pouvoir nous exprimer davantage, de ne pouvoir situer notre profession au sein de la chaîne agro-alimentaire, de préciser nos règles ainsi que les normes de sécurité qui sont les nôtres.
Parmi les activités que l'on associe à l'équarrissage, mais qu'il faut exclure, figurent la destruction des cadavres d'animaux, celle des saisies d'abattoirs c'est à dire ces parties d'animal mises de côté par les services vétérinaires, ainsi que les Matières à Risques Spécifiés - les M.R.S. -, en l'occurrence les abats connexes au système central nerveux des ruminants. Ces trois catégories de produits font l'objet, depuis juin 1996, et plus particulièrement, depuis la publication de la loi du 31 décembre 1996, d'un retrait de la chaîne alimentaire. Il s'agit donc bien d'une activité distincte qui ne concerne pas l'alimentation animale.
Où se situe notre industrie dans la filière agro-alimentaire ?
Notre métier consiste à collecter et à transformer des coproduits animaux issus de la filière viande pour fabriquer, dans des établissements agréés et contrôlés, des produits finis : les farines de viande, les graisses animales. L'ensemble de ces produits finis est, en conséquence, destiné à l'alimentation animale à l'exception des produits de quelques établissements que sont les ateliers de fonte de corps gras, c'est-à-dire ceux qui fabriquent du gras de b_uf - le suif - et du gras de porc - le saindoux - qui, étant destinés à la consommation humaine justifient qu'un agrément particulier soit donné à ces ateliers.
Tel est notre métier qui est de fabriquer des coproduits d'origine carnée et qui se situe entre la filière viande et les fabricants d'aliments du bétail, à l'exception des deux produits destinés à l'alimentation humaine que je vous ai signalés ainsi que ceux qui ont une vocation industrielle entendue au sens large, en particulier la savonnerie.
Tout d'abord, la filière viande. Je ne m'étendrai pas, puisque vous avez auditionné précédemment les fédérations qui produisent des animaux sur pied et les fédérations d'abattage.
Nous collectons auprès des abattoirs, des salaisons, des ateliers de transformation de la viande et auprès des boucheries, les coproduits animaux issus des animaux sains qui ont été inspectés par les services vétérinaires. Tous les os, dont parlait M. Spanghero il y a un instant, les viscères, tous les sous-produits sont issus exclusivement d'animaux dont la viande est destinée à la consommation humaine et ont donc été soumis à l'inspection vétérinaire.
Je voudrais vous donner maintenant quelques chiffres : sur un potentiel de 3,5 millions de tonnes au niveau national, notre profession assure la collecte d'environ 2,6 millions de tonnes. Il faut savoir d'ailleurs que d'autres professions, parallèles à la nôtre, utilisent aussi les coproduits animaux ; il s'agit pour l'essentiel de l'industrie de la fabrication des aliments pour animaux de compagnie, autrement dit, les chiens et les chats lesquels étant carnivores, consomment bien entendu des produits carnés. Il s'agit là d'une profession tout à fait parallèle qui utilise des carcasses de volaille, des foies, etc. Un certain nombre de ces produits crus se retrouvent après transformation dans ces boîtes de pâté. Il faut citer aussi l'industrie de la gélatine qui utilise des os de b_uf et des couennes de porc, essentiellement pour fabriquer des produits destinés à la pharmacie comme les gélules mais aussi de la gélatine photo.
Globalement, les autres industries consomment 25 % de la ressource en coproduits, notre profession en traitant et en transformant 75 %. Nous contribuons ainsi à la fabrication des rations alimentaires des porcs et des volailles, mais non des ruminants puisque la législation française exclue l'intégralité des farines d'origine animale comme aliment des ruminants. Vous disiez, lors de l'audition précédente, que les vaches élevées à l'étranger peuvent avoir consommé des farines de viande. Je souhaiterais préciser que la législation européenne prévoit l'interdiction, dans l'alimentation des ruminants, des farines issues de mammifères, ce qui sous-entend que sont toujours autorisées au niveau européen les farines issues des volailles. Seule la France a pris la décision d'interdire toutes les farines de viande pour en finir avec cette image négative du ruminant qui devient carnivore mais également dans le souci d'éviter toute fraude car, une farine de volaille et une farine de viande pouvant se ressembler étrangement, les contrôles sont très difficiles.
Nos produits sont utilisés par les fabriquants d'aliments pour bétail, suivant des dosages qu'il leur appartient de déterminer mais qui sont en général de l'ordre de 1 à 5 %.
Quelle est l'importance de notre profession ? Celle-ci regroupe 23 entreprises réparties sur une trentaine de sites, emploie 2 500 salariés et fait 3,5 à 4 milliards de chiffre d'affaires. Il s'agit d'une industrie très lourde en terme d'outils de production avec un ratio d'investissement annuel de l'ordre de 8 à 12 % du chiffre d'affaires. Au cours des dernières années, des investissements importants ont été réalisés pour conforter le système thermique et contribuer à la protection de l'environnement.
J'ajouterai quelques mots.
Notre métier consiste en premier lieu en une collecte auprès des abattoirs, ce qui suppose l'utilisation de véhicules obéissant eux-mêmes à une législation spécifique qui prévoie des lavages et des désinfections identiques à ceux requis pour le transport des denrées alimentaires.
La transformation, elle, est encadrée par une réglementation comprenant trois niveaux. La première est celle des établissements classés qui relève du ministère de l'Environnement. La seconde qui dépend du ministère de l'Agriculture est sensiblement identique à celle des abattoirs et l'agrément de tous les sites répond à des normes européennes conformes au principe de " la marche en avant " qui veut que le secteur " matières premières " soit distinct de celui des " produits finis ", et au principe des " normes de stockage " afin de ne pas faire subir à des produits finis le risque d'une contamination bactériologique.
Ces normes sont fort anciennes et en tout cas ne datent pas des crises de la " vache folle "" ou de la " dioxine " même si elles sont connues une montée en puissance, depuis douze ans, dans notre profession.
Nous avons aussi des normes en matière de sécurité sanitaire, en particulier celle relative au traitement thermique qui a fait l'objet d'une réglementation européenne, reprise en droit français, qui fixe une norme de 133 degrés à trois barres et de 20 minutes pour ce qui concerne les déchets de mammifères.
Outre les contrôles propres aux entreprises et à nos clients, qui en font de très nombreux à la fois en terme de nutrition, de composition et de bactériologie, l'agrément requiert en particulier des analyses bactériologiques fournies au service vétérinaire en fonction d'un cahier des charges établi pour chaque site et adapté à son tonnage. Historiquement, ces procédures d'analyse et leur application se sont traduites par la présence sur notre territoire de sites utilisant des procédés thermiques à température élevée et à durée de cuisson longue. Bien avant la stérilisation sous pression qui a permis d'homogénéiser et d'imposer un principe unique, les sites français utilisaient des procédés de traitement à température élevée et à cuisson de durée longue.
Quelques mots pour terminer sur les travaux que nous avons menés avec les fabricants d'aliments depuis plusieurs mois. Ils consistent à définir une liste exhaustive des coproduits entrant dans la composition des farines et des graisses animales. Nous avons travaillé, notamment avec le S.N.I.A. et le S.Y.N.C.O.P.A.C. pour établir une liste tout à tout à fait exhaustive, en concertation avec les fédérations d'abattoirs. Il s'agit pour nous de renoncer à ce vocable " farines de viande " qui n'est pas précis quant à la composition du produit et de disposer d'une composition précise dans laquelle on trouvera les os, les viscères, le gras, etc. Ce seront là les produits exclusivement inclus dans les farines de viande et dans les graisses animales.
En parallèle, nous avons engagé une procédure de certification auprès d'un organisme extérieur, le B.V.Q.V.I. et nous disposerons ainsi, en plus de la réglementation en vigueur, d'une certification par un organisme extérieur. Le cahier des charges de cette certification prévoira la visite des abattoirs avec l'examen des coproduits, des procédures de collecte, des moyens de stockage, des véhicules, des séparations des sites, des procédures de contrôle de la stérilisation, de stockage et de livraison des produits finis.
Nous devrions signer cet accord aujourd'hui même avec les fabricants d'aliments du bétail et, dans les jours qui viennent, avec l'organisme certificateur avec lequel nous travaillons depuis plusieurs mois.
Nous souhaitons vivement, pour pouvoir satisfaire aux exigences de la sécurité alimentaire, développer le dialogue avec nos autorités de tutelle. Nous avons d'ailleurs travaillé, notamment depuis trois ans, avec différents services du ministère de l'Agriculture, notamment le C.E.M.A.G.R.E.F., à la mise en place des procédures.
Je souhaiterais cependant insister sur un point que je crois essentiel pour la garantie de la sécurité alimentaire. Nous sommes une industrie lourde réalisant des investissements importants. Un investissement réalisé ne permet pas, en principe, de retourner en arrière. Or, les normes qui nous sont demandées, normes pour lesquelles nous participons d'ailleurs très régulièrement à des échanges avec l'administration française, sont débattues au niveau européen où il existe une très grande disparité de comportements ce qui nuit à la visibilité du système. Nos investissements risquent d'aller parfois dans un sens différent des normes prévues et mettre dans un grand embarras une entreprise qui aurait fait tel choix plutôt que tel autre.
Depuis de nombreuses années, nous avons beaucoup travaillé aux investissements liés à la sécurité alimentaire. Il est très important que nous continuions, mais avec une meilleure visibilité à court et moyen terme, essentiellement en raison de la lourdeur de nos investissements.
Je vous remercie.
M. le Président : Je vous remercie. M. le Rapporteur, vous avez sans doute déjà quelques questions.
M. le Rapporteur : Dans votre exposé, M. le Président, vous avez fait mention de deux filières, celle de fabrication de farines et celle de la destruction de cadavres d'animaux et de matières à risques spécifiés. J'aimerais que vous précisiez si ce sont bien deux types d'activité dont vous assumez la responsabilité et, si tel est le cas, s'il n'y a pas une certaine ambiguïté ou une difficulté à faire passer vos messages. D'un côté, vous avez en effet une filière que l'on peut appeler " noble " qui tend à la fabrication de farines animales à partir des sous-produits d'animaux sains, et de l'autre, vous êtes amené à traiter des carcasses d'animaux, qui sont peut-être atteints de maladie, qu'en tout cas il faut éliminer. Il y a risque, au niveau du consommateur ou de la population en général, d'une certaine confusion. J'aimerais savoir si, chez vous, ces deux activités sont vraiment séparées et comment vous arrivez à les discerner.
Deuxième remarque : quand vous appliquez le traitement thermique, je pense que vous respectez les normes ou les obligations qui vous sont faites par des réglementations. Or, il a été démontré qu'à 133 degrés, les prions n'étaient pas détruits et que même à 138 degrés, il y avait encore des risques. Etes-vous conscient de cette situation ? Quelle serait votre demande en la matière ?
Quelle est enfin l'administration qui vous contrôle ? Est-ce que les contrôles sont effectués par la D.G.A.L. ou par la D.G.C.C.R.F. ?
M. Bruno POINT : Concernant les deux filières, d'un strict point de vue administratif - ce point n'est pas très important, mais il est symbolique -notre syndicat, aujourd'hui, regroupe des industriels exerçant les deux métiers. Il s'agit là d'une situation ancienne.
Récemment, nous avons engagé une procédure de scission. Nous aurons donc deux syndicats et nos industries vont certainement " décrocher " l'une par rapport à l'autre.
M. le Rapporteur : Vous avez donc bien ressenti le problème !
M. Bruno POINT : Il nous apparaît difficile de promouvoir un produit issu d'animaux sains quand, en parallèle, la scission n'est pas claire dans l'esprit du public et des médias. Il est important que dans les mois prochains, nous puissions tout à fait séparer ces deux activités, à la fois en termes juridiques et industriels.
M. le Président : Egalement sur le site ?
M. Bruno POINT : C'est en effet la question importante, car l'aspect juridique est une donnée mais, c'est au travers des pratiques et sur le terrain, que se présentent les risques, si risques il y a. Dans la pratique, ces filières sont aujourd'hui distinctes au niveau des ateliers de traitement, d'une manière claire, avec des séparations, non pas des sites, mais des process de traitement. Un certain nombre d'usines se consacrent déjà spécifiquement à la valorisation ou au traitement de produits à hauts risques. Quelques usines sont aujourd'hui vouées aux deux activités, mais de façon tout à fait encadrées notamment par le cahier des charges qui nous fixe notre mission de service public au niveau départemental, et demain, au niveau régional. Les cahiers des charges sont en effet très précis et des visites ont lieu, pour valider la séparation des deux unités de traitement.
Il nous paraît clair que l'avenir industriel va dans le sens d'une scission géographique. Il est nécessaire à cet égard d'intégrer un élément très important : l'extrême difficulté aujourd'hui, pour un industriel de ce métier, de s'installer où que ce soit car il faut successivement bâtir un dossier pour établissement classé, franchir les étapes de l'enquête publique et enfin obtenir bien d'autres autorisations.
M. le Rapporteur : A ce sujet, quels types de pollutions engendre l'existence d'une telle activité ? Est-ce qu'elle concerne l'eau ... l'air ?
M. Bruno POINT : Les deux : les atteintes potentielles à l'environnement concernent l'air et à l'eau. Elles touchent à l'eau d'une façon simple à comprendre. Notre métier consiste à déshydrater les coproduits. Or globalement, sur une tonne qui rentre, il y a 600 kilos d'eau. Tout établissement qui traite une tonne de coproduits génère ainsi 600 kilos d'effluents, auxquels s'ajoutent les effluents issus des eaux de lavage des véhicules et du site. Ces effluents sont traités ensuite par des stations d'épuration. Ils sont donc sous le contrôle d'établissements classés. Il existe des normes européennes et françaises et chaque préfet, dans son département, peut préciser ces normes et en accroître les effets.
La deuxième atteinte potentielle à l'environnement concerne l'air. La nature de nos produits et la nature de notre transformation qui consiste à les cuire font que, tout naturellement, nous dégageons des buées qu'il faut capter et traiter. Il existe aujourd'hui des méthodes de plus en plus opérantes et c'est l'un des objets essentiels des investissements de notre profession.
M. le Rapporteur : Quand vous parlez de 600 kilos d'effluents par tonne traitée, vous nous indiquez que ces effluents sont traités par une station d'épuration. Or, il semblerait que ce sont bien ces résidus de traitement de stations d'épuration qui ensuite ont été réincorporés dans des farines animales.
M. Bruno POINT : Tout à fait.
M. le Rapporteur : Il y a peut-être une logique dans cette démarche ; dans ces effluents, il y a encore des parties protéiniques qui peuvent être recyclées, ce que l'on peut comprendre. Mais, le fait de vouloir à tout prix réintégrer la totalité des déchets peut présenter certains risques. Avez-vous bien quantifié tout cela ?
M. Bruno POINT : Notre profession en a fait le constat. Ces pratiques existaient et sont révolues depuis le début de l'année, notamment depuis le 17 mars : le recyclage des boues de nos stations d'épuration ou des résidus d'effluents de nos sites est désormais interdit.
M. le Rapporteur : Dans l'esprit de nos concitoyens, il s'agissait des boues des stations d'épuration urbaines.
M. Bruno POINT : Ceci explique aussi notre comportement et le comportement général de toute la filière en la matière. Il existe un texte européen, daté de 1991, repris en droit français en 1992, qui établit la liste des ingrédients interdits dans la fabrication des aliments pour animaux. A l'intérieur de ces aliments, sont mentionnées, aux côtés, par exemple, des ordures ménagères ou des sciures de bois, les boues des stations d'épuration. Historiquement, avec nos administrations de tutelle et avec les abattoirs, et ce, probablement à tort, nous ne nous sommes pas sentis concernés par ce texte et il ne nous est jamais venu à l'idée d'aller collecter des boues de stations d'épuration collectives.
En revanche, s'est développée une collecte des effluents dans les usines et dans les abattoirs. Ces produits ont été tout naturellement recyclés dans notre profession, ceci à l'époque où nous incorporions des cadavres d'animaux. Ce qui, aujourd'hui, ne paraît plus du tout du domaine de l'acceptable, l'était il y a dix ans. Cette pratique était générale, à tel point qu'elle était clairement validée par tous nos dossiers établissements classés. Je rappelle, en effet, que tous nos établissements sont agréés, qu'ils font l'objet d'un découpage en tranches tout à fait précis, que toutes les quantités rentrantes et toutes les quantités sortantes générées sont déclarés. Tous nos établissements font l'objet d'arrêtés préfectoraux. La transparence est totale.
M. le Rapporteur : Au plus fort de la crise actuelle qui nous oppose à la Grande-Bretagne, nous avons subi un effet boomerang lorsqu'on nous a dit : " Vous, les Français, vous avez utilisé des farines animales dans lesquelles vous avez inclus des boues de stations d'épuration ". Pour l'opinion, il s'agissait des boues de stations d'épuration publiques. Je n'ai entendu nulle part apporter la précision selon laquelle c'étaient des boues de stations d'épuration de recyclage, qu'il s'agissait d'effluents recyclés.
M. Bruno POINT : Nous l'avons dit à la presse, mais je pense que le dossier était difficile à expliquer, que les médias n'ont guère manifesté d'intérêt à apporter des précisions sur notre façon d'exclure désormais toute utilisation potentielle des boues de nos propres stations d'épuration. Lorsque la crise a rebondi, cette pratique et ce recyclage n'existaient plus. Nous avons, entre autres, reçu un courrier du ministère de l'Agriculture, le 17 mars qui la prohibait clairement. Dès le 19 mars, je le notifiais à l'ensemble de nos adhérents.
M. le Président : A l'époque où tous les produits, collecte d'animaux et cadavres, allaient à l'équarrissage, qu'est-ce qui a conduit la profession à chauffer moins ces farines qui apparaissent d'autant plus dangereuses qu'on nous dit aujourd'hui que les prions n'étaient plus détruits ?
M. Bruno POINT : Au Royaume-Uni ? En France ?
M. le Président : Aussi bien chez nous qu'ailleurs.
M. Bruno POINT : Selon notre analyse, au Royaume-Uni s'est imposé, dans les années 80, un système de traitement utilisé aux Etats-Unis et qui est un traitement à basse température.
En France certains traitements consistaient à recourir à des cuiseurs. Qui dit cuiseur, dit évaporation et nécessairement, une température de plus de cent degrés. Mais il existe aussi un autre outil de traitement qui concerne la grande majorité des matières premières des coproduits français, tout particulièrement, dans l'Ouest, en Vendée, dans les fortes régions de production de nos coproduits. Les techniques utilisées sont des techniques à bain de graisse où, selon le principe même de la friteuse, la graisse étant caloporteuse c'est elle qui transfère la température. Dans ce cas, il n'y a pas de pression mais une température qui dépasse les 140 degrés pendant plusieurs heures. C'est la nature du process industriel français et nul ne peut dire qu'en France on ait diminué les températures avant l'épidémie d'E.S.B. Il n'y a eu aucune baisse des températures pour des motifs technico-économiques. Bien au contraire, on a assisté à un maintien des pratiques à forte température, parce qu'il s'agissait là de notre tradition industrielle.
M. le Président : Je souhaiterais savoir comment les choses se passent sur un site. En fait, vous collectez des produits d'abattage qui, pour certains sont sains, pour d'autres, sont à risque, puisque vous collectez les cadavres d'animaux. Comment tous ces produits sont-ils traités ? Aujourd'hui, tous les cadavres d'animaux sont bien évidemment appelés à aller à l'incinération. Mais les farines qui en résultent, c'est à flux tendu qu'elles vont dans les usines pour être détruites...
M. Bruno POINT : Nous aimerions qu'elles soient à flux tendu. Cela vient.
M. le Président : Cela m'intéresse de vous entendre sur ce sujet. Dans ma région, des quantités importantes de farines sont en stock. On nous avait dit que, désormais, on ne stockait plus : tout ce qui sort des usines d'équarrissage va directement dans les centrales où on les incinère, autrement dit dans des cimenteries et, ce qui reste, c'est ce qui a été stocké au moment où l'on est passé du système antérieur au système actuel.
Quels sont enfin les problèmes d'ordre financier que vous pouvez rencontrer aujourd'hui, dans la mesure où, dans le passé, les produits provenant de cadavres d'animaux ne coûtaient rien puisqu'ils étaient recyclés puis vendus ? C'étaient des rentrées financières pour la filière, mais aujourd'hui, il en va autrement. Comment les choses se présentent-elles ?
M. Bruno POINT : Il y a dans votre demande trois questions distinctes. La première concerne une précision sur la distinction des deux filières. Tout d'abord, les collectes sont, selon les cahiers des charges, complètement distinctes. Un camion ne peut collecter, dans un compartiment, des cadavres d'animaux, et dans un autre, des produits sains. Cette pratique est tout à fait interdite.
Une exception est prévue par la loi. Dans des zones à faible densité, il peut être envisagé, dès lors qu'un conteneur est complètement étanche et qu'un arrêté préfectoral le prévoit, de ramasser une brebis au cours d'une tournée.
Ensuite, les ateliers sont complètement distincts. Notre souhait est de les scinder complètement, ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'au sein d'une même commune, d'un même hameau, ou d'un même site, nous nous interdirions d'avoir deux unités, mais cela signifie que nous souhaitons que ces deux unités soient géographiquement séparées avec deux entrées et deux sorties, ce qui est pratiqué aujourd'hui quasiment sur tous les sites.
En ce qui concerne les farines à incinérer, je crois pouvoir dire que les stocks présents sont surtout des stocks anciens qui ont été constitués à une époque caractérisée par une certaine confusion, en 1996, lorsqu'ont été publiés les textes et qu'il a fallu un certain temps pour connaître les cahiers des charges de ceux qui pouvaient être intéressés par l'incinération de ces farines. Avant que nous trouvions avec l'Etat les méthodes d'incinération, mais aussi les " clients ", plusieurs mois se sont passés ce qui a provoqué la formation de stocks qui, un an après, se sont trouvés non conformes aux souhaits des cimentiers et des compagnies de chauffage urbain en termes de qualité et de présentation du produit.
M. le Président : Le chauffage urbain utilise-t-il ces farines ?
M. Bruno POINT : Il existe deux ou trois cas, mais qui ont répondu aux procédures des établissements classés, qui sont passés en conseil départemental d'hygiène, qui ont suivi une procédure parfaitement transparente. En général, il y a deux niveaux de décision pour une compagnie de chauffage urbain : celui de l'autorité politique et celui du gestionnaire. Au niveau de l'autorité politique, les procédures ont été menées avec le plus grand sérieux.
M. le Président : Pensez-vous que les cimenteries qui aujourd'hui utilisent la quasi-totalité de ces farines pourraient y recourir davantage ? Pensez-vous que l'on pourrait aussi les utiliser dans d'autres centrales thermiques ? Il faut liquider les stocks et si l'on veut le faire, il faut augmenter aujourd'hui les capacités de destruction. Si on détruit d'un côté les stocks et que l'on produit d'autres stocks, par ailleurs, on ne fait que déplacer le problème. Il faut arriver aujourd'hui à augmenter le rythme de destruction des farines qui sortent directement des usines et de celles qui sont aujourd'hui stockées. Pensez-vous qu'il soit possible de trouver d'autres débouchés ?
M. Bruno POINT : Ce n'est pas tout à fait ma compétence.
M. le Président : Vous avez peut-être une idée là-dessus.
M. Bruno POINT : Par exemple, les chaufourniers, les fabricants de chaux dont les usines sont aux yeux d'un néophyte tout à fait identiques à celles des cimentiers et utilisent donc des procédés thermiques tout à fait aptes à consommer des farines de viande comme source d'énergie, ont, eux, des soucis techniques avec la présence de cendres, puisque les farines contiennent des cendres. C'est un sujet de préoccupation, parce qu'une cendre constitue un déchet ultime et que les chaufourniers se soucient de l'intégration de cendres dans la chaux. Selon les marchés qui sont les leurs, cela peut soit autoriser, soit interdire la consommation de farines de viande.
Un certain nombre de compagnies de chauffage urbain - si les verrous " politiques ", les verrous liés à certaines image, les verrous que constituent les associations de défense de l'environnement pouvaient être débloqués - sont des consommateurs potentiels importants et pour lesquels la farine serait d'un apport économique tout à fait intéressant, notamment les farines anciennes qui sont des farines grasses. La graisse a un pouvoir calorifique supérieur à la farine dégraissée. Certains process de compagnies de chauffage urbain seraient intéressants en terme de sécurité et en termes économiques.
Le problème est un problème d'image. D'après les quelques expériences que j'ai pu vivre, ce sont des outils qui présentent toutes les garanties, s'agissant des émissions de fumées et de l'environnement et qui traitent des produits qui contiennent eux-mêmes des substances plus nocives, mais que leurs équipements de traitement antipollution captent. Les farines, en elles-mêmes, d'après les services de l'Etat et le ministère de l'Industrie, ne présentent pas de problème particulier. Mais l'image est là.
M. le Président : Aujourd'hui, la collecte des cadavres est un service public. Comment se passent les choses pour les collectes d'abattoirs ? J'ai cru comprendre que l'on avait observé quelques problèmes au cours de la période récente. Je ne demande pas comment cela se passe dans telle usine d'équarrissage, mais quels sont les problèmes auxquels vous avez à faire face dans la filière ?
M. Bruno POINT : Vous venez de préciser votre question. Dans sa première formulation, vous faisiez état d'une " perte de volume " pour notre industrie, du fait que les cadavres d'animaux ne sont plus un produit valorisé. Ceci est techniquement tout à fait compensé par la loi qui institue le service public qui nous conduit à passer des marchés avec la puissance publique, en l'occurrence au niveau des départements, et demain des régions. Notre profession est, pour ses activités de collecte, de transformation, comme de destruction, rémunérée comme un prestataire de services, comme une usine d'ordures ménagères, par exemple.
Je ne cacherai pas, pour en parler souvent avec les services de l'Etat, que nous rencontrons néanmoins des difficultés. Nous avons, en face de nous, à la fois des normes sanitaires, des normes de sécurité, des exigences en termes d'image qui deviennent et que nous souhaitons plus contraignantes, mais qui vont imposer des investissements coûteux. La liste des normes est potentiellement considérable. Aujourd'hui, les services du ministère de la Santé notamment, avec ceux du ministère de l'Agriculture et du ministère de l'Environnement, examinent et travaillent sur tous les périphériques d'une usine d'équarrissage, de traitement de cadavres d'animaux. Il y a bien les farines, les graisses, mais il y a aussi les eaux, les boues. Sont-elles dangereuses ? Des avis scientifiques sont demandés. Nous attendons des réponses pour investir, mais il est clair que nous allons vers une augmentation que je crois considérable des coûts. Il est très important qu'un vrai dialogue soit conduit et que l'Etat prenne bien la mesure du budget qui va être nécessaire.
Le chiffre d'affaires de la profession est faible. Je ne veux pas dire que 600 ou 700 millions de francs ne représentent rien, mais rapporté à celui d'autres industries c'est peu d'argent pour des industriels qui doivent impérativement investir ; il ne s'agit évidemment pas du volume des investissements nécessaires au traitement de l'eau en France ou des ordures ménagères ; cela reste du niveau des cadavres d'animaux qui est plus modeste mais on ne peut négliger le problème.
M. le Président : C'est une industrie qui pose des problèmes, mais c'est une industrie nécessaire.
Aujourd'hui, avez-vous un nombre de sites suffisants ? Comment procède-t-on pour la modernisation et la mise aux normes ? Que se passe-t-il quand on veut créer un autre site ? Cela doit poser quelques problèmes d'environnement et d'acceptation par la population.
M. Bruno POINT : L'acceptation par la population est très difficile. Aujourd'hui, très probablement, nous manquons d'un peu de capacités en France ; celles-ci sont peut-être suffisantes, si on raisonne à échéance d'une année. Mais, si on raisonne sur une saison ou en cas d'un apport subit de produits, il manque des capacités en France qui correspondent probablement à un ou deux sites.
Il est un autre problème que je me permets de vous exposer : c'est celui des dépôts. La plupart de ceux-ci sont mixtes. Or l'avenir est à la scission complète des dépôts : des dépôts destinés aux cadavres d'animaux et d'autres destinés aux coproduits d'animaux.
Chaque usine compte en général plusieurs dépôts qui sont en fait des centres de collecte et permettent d'irriguer un ou plusieurs départements. Ces dépôts sont historiquement mixtes. Aujourd'hui, créer un dépôt représente un véritable parcours du combattant. Il faut convaincre une mairie, la population, satisfaire à l'enquête publique. C'est un travail que nous faisons mais avec un taux d'échec qui est à ce jour de 100 %. Nous aurions tout à fait besoin d'un appui des services de l'Etat, des parlementaires, des conseils généraux pour remplir ce métier qui, comme vous l'avez dit, est nécessaire. Nous souhaitons parfaire notre scission des deux filières, mais encore faut-il que nous puissions la réaliser.
Je n'ai pas répondu à votre question précédente concernant nos rapports avec les abattoirs.
On se trouve ici dans le domaine des coproduits valorisables et non pas dans celui des cadavres, des M.R.S. Nos relations avec les abattoirs sont depuis quelques mois difficiles. Il s'agit d'un problème de compte d'exploitation mais aussi d'application de la liste exhaustive dont j'ai parlé dans mon préambule.
La récente crise de la dioxine nous a vraiment frappés de plein fouet, dans la mesure où elle a fait resurgir au sein des médias et de l'opinion publique l'image des farines de viande. Nous avons vécu un bouleversement total de nos marchés avec une perte de valeur. Notre produit, pendant plusieurs mois, et encore aujourd'hui, a une valeur telle qu'il nous est impossible d'équilibrer nos comptes d'exploitation, sauf à nous retourner vers l'amont pour dire : " aujourd'hui, nous vendons la farine de viande 500 francs la tonne alors qu'elle en vaudrait aujourd'hui 1 300 francs si l'on prenait comme référence le soja puisque, historiquement, sa valeur est fonction de sa valeur protéinique et s'établit par rapport au marché des protéines ". Or nous la vendions, au mois de septembre, 500 francs, au mois d'octobre, 550 francs, et, au mois de novembre, à peine 600 francs. Nos comptes d'exploitation sont dramatiquement négatifs.
La loi de 1996 a modifié en profondeur la loi de 1975. J'ai observé avec grand intérêt que tous les cas sont prévus. Il n'en reste pas moins que la loi précédente permettait à tout détenteur de coproduits de s'adresser au préfet qui s'adressait à l'équarrisseur. Aujourd'hui, le producteur de déchets est livré à lui-même ; il doit trouver une solution par lui-même, étant admis que notre profession est agréée pour répondre à cette situation. Mais celle-ci est tout à fait inconfortable, parce que nous sommes accusés de détenir une position dominante, voire un monopole dans certaines régions. Or, c'est un fait, nous avons capacité à collecter ces produits, à les transformer, mais nous sommes dans un marché qui a souffert de cette image négative à tel point que nous ne pouvons plus aujourd'hui valoriser, c'est-à-dire soit payer les abattoirs, soit collecter à valeur zéro. Nous souhaitons que les choses évoluent et nous travaillons pour que, par le biais, notamment de l'image du produit, au niveau des garanties apportées en termes de sécurité alimentaire par la mise en place de la liste positive, nous puissions revaloriser ce produit. Ce n'est cependant pas le cas aujourd'hui. D'où des tractations difficiles à avec les abattoirs.
M. le Président : Vous avez bien clarifié les choses : ce qu'on a appelé les boues introduites dans l'alimentation ne sont pas les boues venant des usines de traitement des stations urbaines, mais les boues des stations à l'intérieur du site et l'utilisation de ces boues était un peu le dernier maillon de la récupération de protéines.
M. Bruno POINT : Tout à fait.
M. le Président : Toutes les eaux récupérées sur le site, ne provenaient sans doute pas du traitement des produits sains ; une partie pouvait provenir du traitement des produits qui étaient beaucoup plus dangereux ou de celui des cadavres. Est-ce cet ensemble qui a fait qu'il existait réellement un danger en matière de sécurité ?
M. Bruno POINT : A ma connaissance, il y a eu plusieurs procès-verbaux de la D.G.C.C.R.F. qui ont relevé des confusions entre les boues saines et celles qui étaient impropres mais ces procès-verbaux ont donné lieu à des rectifications immédiates de la part des industriels. C'était cependant une pratique peu courante et qui en tout cas a cessé dès le mois de janvier pour ceux qui ont été mis en cause.
M. le rapporteur : Est-il possible d'avoir les différents cahiers des charges qui encadrent votre profession ?
M. Bruno POINT : Je peux vous transmettre la liste des réglementations et les cahiers des charges qui nous lient aux abattoirs et aux clients.
M. le Président : Je vous remercie.
M. Bruno POINT : C'est moi qui vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer au titre de ma profession.

Forum avec les industries chimiques et phytosanitaires

Avec la participation de :
- M. Alain CHALANDON, Directeur général de la société Rhône-Poulenc Agro France ;
- M. Bernard CHARLOT, Directeur général de la Société Novartis Agro, accompagné par M. MORIN et Mme Marie-Cécile LEBAS ;
- Mme Isabelle DELPUECH ;
- M. Jean-Pierre GUILLOU, Directeur général de l'Union des Industries de la Protection des Plantes (U.I.P.P.) ;
- M. Jeremy MACKLIN, Directeur général de la SA SOPRA ;
- M. Bertrand MEHEUT, Directeur de la division Agro à la Société BASF France ;
- M. Jean PELIN, Directeur général de l'Union des Industries chimiques (U.I.C.), accompagné de M. René GAUVARD, Chargé des questions relatives à l'environnement au sein du Département technique de l'U.I.C. ;
- M. Jean POUGNIER, Directeur général à la Société Dupont de Nemours France ;
- M. Daniel RAHIER, Directeur des relations extérieures de la Société Monsanto France, accompagné par M. François ROLLIN ;
- M. Claude VINCINAUX, Directeur technique à la Société Bayer.
(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 7 décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Alain Chalandon, Bernard Charlot, Morin, Mmes Marie-Cécile Lebas, Isabelle Delpuech, MM. Jean-Pierre Guillou, Jeremy Macklin, Bertrand Meheut, Jean Pelin, René Gauvard, Jean Pougnier, Daniel Rahier, François Rollin et Claude Vincinaux sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Alain Chalandon, Bernard Charlot, Morin, Mmes Marie-Cécile Lebas, Isabelle Delpuech, MM. Jean-Pierre Guillou, Jeremy Macklin, Bertrand Meheut, Jean Pelin, René Gauvard, Jean Pougnier, Daniel Rahier, François Rollin et Claude Vincinaux prêtent serment.
M. le Président : Je donnerai tout d'abord la parole à M. Jean-Pierre Guillou, Directeur général de l'Union des Industries de la Protection des Plantes, puis, ensuite, à M. Jean Pelin, Directeur général de l'Union des Industries chimiques. J'appellerai ensuite, suivant un tirage au sort qui vous a été notifié, M. Jean Pougnier, Directeur général de la Société Dupont de Nemours France, M. Bernard Charlot, Directeur général de la Société Novartis Agro, M. Daniel Rahier, Directeur des relations extérieures de la Société Monsanto France, M. Jeremy Macklin, Directeur général de la SA. Sopra, M. Bertrand Meheut, Directeur de la division Agro à la Société BASF France, M. Alain Chalandon, Directeur général de la Société Rhône-Poulenc Agro France, M. Claude Vincinaux, Directeur technique à la Société Bayer. Enfin, je note que certains d'entre vous se sont fait accompagner par leurs directeurs que j'accueille, bien entendu, bien volontiers. S'ils sont amenés à s'exprimer durant le débat, à ce moment-là, je leur demanderai également de prêter serment.
Monsieur Guillou, vous avez la parole pour un exposé introductif.
M. Jean-Pierre GUILLOU : Je débuterai mon propos par un rappel sur le rôle des produits phytosanitaires, produits chimiques fabriqués par des sociétés dont les représentants sont en partie aujourd'hui présents. La raison d'être de ces produits est d'éviter de limiter la compétition entre la culture et les parasites présents dans la nature.
Un végétal, une culture, disposent d'un potentiel génétique de production. Le rôle des produits est de permettre la pleine expression de ce potentiel de production. La concurrence s'exerce par la présence de mauvaises herbes, par des maladies cryptogamiques, des champignons parasites, y compris ceux qui fabriquent des mycotoxines. Elles s'exercent par des insectes. L'utilisation des insecticides peut aussi être très utile en agriculture comme en santé publique pour lutter contre les maladies vectorielles, ou pour des produits divers, qu'il s'agisse de lutter contre des nématodes, des rongeurs ou des mollusques. Les produits permettent de lutter contre les pertes de récolte, car, dans certains pays, les pertes s'élèvent encore à plus de 80 %.
L'U.I.P.P. est un syndicat professionnel ancien, créé en 1918. Il compte aujourd'hui 29 adhérents regroupant 5 600 personnes employées directement, dont le chiffre d'affaires en métropole représentait, en 1998, 13 milliards de francs et le chiffre d'affaires export un peu plus de 6 milliards de francs, soit 96 % du marché français, car des entreprises ne sont pas adhérentes à l'U.I.P.P.
Le marché français est également le premier marché de l'Union européenne avec 32 % du marché, l'Allemagne occupant la deuxième place avec 17 %.C'est également le deuxième marché du monde avec environ 10 %.
Le chiffre d'affaires par famille chimique est de 36 % pour les fongicides, 41 % pour les herbicides, 10 % pour les insecticides, 11 % pour les produits divers.
L'homologation fait la particularité de nos activités, notamment de leur réglementation. Aucun produit ne peut être utilisé en agriculture sans avoir été homologué. La réglementation est ancienne, puisque la loi qui la sous-tend date de 1943, reprise depuis par la directive de juillet 1991. Il faut savoir que la mise sur le marché d'une nouvelle molécule représente pour une entreprise environ 800 millions à 1 milliard de francs et 8 à 10 ans de recherche et de développement, recherche à laquelle les sociétés, ici présentes, mais d'autres également, consacrent environ 10 % de leur chiffre d'affaires.
Le dossier d'homologation pour la mise sur le marché comporte plusieurs volets : un volet toxicologique, un volet écotoxicologique de plus en plus lourd et un volet sécurité-consommateur avec des essais résidus sur la culture elle-même, des sous-produits pour l'alimentation animale ou encore des produits transformés du type vin, bière ou biscuiterie.
Dans le cadre de cette procédure d'homologation, la sécurité est assurée par un double raisonnement sur lequel j'insisterai un instant.
D'un côté, des études toxicologiques permettent - toutes études confondues et tous animaux de laboratoire confondus - de fixer une dose sans effet sur l'animal, laquelle est systématiquement affectée d'un coefficient de sécurité de 100, minimum. La dose sans effet est donc divisée par un coefficient de 100 afin d'obtenir la dose journalière acceptable qui représente le crédit toxicologique à ne pas dépasser.
A côté de ces études scientifiques toxicologiques de laboratoire, on réalise des études de résidus aux champs, dans les conditions de l'application normale du produit, à la dose recommandée.
En ce qui concerne la directive européenne, ces essais sont conduits à la fois dans le nord et dans le sud de l'Europe. Un minimum de seize essais est nécessaire. Ce panorama de valeurs résiduelles, valeurs qui permettent donc de mesurer la quantité de produit restant sur la culture, permet aux experts, après analyse statistique, de fixer une limite maximale de résidus. Lorsqu'on multiplie la limite maximale de résidus par la quantité moyenne théorique ingérée - élaborée au travers d'enquêtes telles celles menées régulièrement par le C.R.E.D.O.C. que l'on appelle " le panier de la ménagère ", on obtient une valeur : l'apport journalier maximum théorique. Cette valeur est alors comparée au crédit toxicologique pour savoir si on se situe au-dessus ou en dessous. En fonction de la position de la valeur A.J.M.T., on considère que le produit peut être ou non utilisé. Il faut savoir que l'A.J.M.T. ne concerne pas une seule culture, mais l'ensemble des cultures sur lesquelles le produit peut être utilisé et que cet apport journalier représente la somme des quantités qui touchent l'ensemble des cultures sur lesquelles le produit est appliqué. Voilà pour les mesures de sécurité prises lors de l'homologation du produit.
Homologués, ces produits sont vendus avec un étiquetage informatif. Celui-ci comporte la classification toxicologique et écotoxicologique, les recommandations d'emploi en termes de doses, de stades de culture, de parasites visés, ainsi que des numéros de lots permettant d'assurer la traçabilité du produit du fabricant jusqu'à l'utilisateur. Malheureusement, malgré tous les efforts, les recommandations d'emploi ne sont pas aujourd'hui suivies de façon aussi rigoureuse qu'il conviendrait. Des efforts d'information et de formation du monde agricole restent donc à poursuivre.
Pour finir, en termes de sécurité, l'harmonisation est nécessaire entre les différents Etats, afin d'éviter de créer des barrières dites " non tarifaires ". A ce propos, je renvoie à des organismes tels le Codex alimentarius, l'O.M.C. ou encore les réunions conjointes F.A.O.-O.M.S. dont la vocation est d'organiser cette harmonisation.
M. le Président : La parole est à M. Jean Pelin, Directeur général de l'Union des Industries chimiques.
M. Jean PELIN : Je voudrais situer rapidement l'industrie chimique en France. C'est une industrie dont la production atteignait, en 1998, 460 milliards de francs et dont cinquante-cinq pour cent du chiffre d'affaires ont été réalisés à l'exportation. L'excédent commercial de l'industrie chimique au sens large, dans laquelle s'intègrent les industries phytosanitaires, s'élevait à 51 milliards de francs en 1998 et le montant des investissements matériels à 22 milliards de francs.
Elle emploie directement 236 000 salariés hautement qualifiés. On peut considérer à hauteur équivalente le nombre de salariés indirects. C'est une industrie qui, depuis quinze ans, enregistre un taux de croissance moyen de 3,4 % et il est important de souligner - les industriels présents à cette table en sont d'ailleurs une illustration -, que plus de 50 % des centres de décision qui la concernent sont situés hors de l'Hexagone. L'industrie chimique française se place au quatrième rang mondial, derrière l'industrie américaine, japonaise et allemande. Le montant de 55 % de chiffre d'affaires réalisé à l'exportation nous positionne troisième exportateur mondial.
Cette industrie située au c_ur de l'économie est liée, en amont, aux secteurs fournisseurs de matières premières, des produits pétroliers et énergétiques - l'industrie chimique est le plus gros consommateur industriel d'énergie -, aux produits agricoles, aux produits industriels et aux activités de services. En aval, elle irrigue tous les secteurs de l'économie, notamment l'agriculture et l'alimentation, pour lesquels les ventes ont représenté globalement près de 44 milliards de francs en 1998. Je rappelle que 50 % des centres de décision de cette industrie sont situés hors de l'Hexagone.
Dans le cadre d'un engagement volontaire, appelé " l'engagement de progrès ", la déclinaison française d'un programme international intitulé le " Responsible Care ", notre industrie a effectué depuis vingt ans et plus, particulièrement depuis dix ans, des efforts extrêmement poussés sur le plan de la protection de l'environnement, tant au niveau des sites industriels qu'au niveau de la gestion responsable des produits.
Sur les sites industriels, je ne citerai que trois chiffres : alors que la production croissait de 80 % de 1980 à 1998, les émissions dans l'air d'oxyde d'azote ont diminué de moitié, les émissions dans l'air d'oxyde de souffre des quatre-cinquièmes et les rejets dans l'eau ont été réduits des trois quarts. Notre industrie consacre 1,4 milliard de francs par an à la protection de l'environnement, ce qui représente le cinquième des investissements antipollution réalisés par l'industrie française.
Quant au domaine spécifique de la gestion des produits, le processus décrit par M. Jean-Pierre Guillou sur l'industrie des phytosanitaires s'applique plus largement à l'ensemble de notre industrie. Extrêmement rigoureux, il s'appuie tout d'abord sur un engagement fort de l'entreprise et de sa direction, sur la mise en _uvre de moyens à adapter, sur la connaissance des produits et de leurs dangers, sur l'évaluation et la gestion des risques liés à ces produits, sur des actions d'information, de formation et de sensibilisation et enfin, sur des relations avec les clients et autres utilisateurs de produits chimiques. Il s'agit donc bien d'un engagement volontaire et de pratiques de l'ensemble des entreprises de notre secteur d'activité.
Sur le plan réglementaire, la mise sur le marché des produits chimiques, qu'il s'agisse de substances existantes ou de substances nouvelles, fait l'objet de plusieurs directives européennes et de programmes, tant au niveau de l'O.C.D.E. qu'au niveau de l'Union européenne. Les substances à usage spécifique ayant un rapport avec la filière alimentaire sont soumises à des obligations particulières complémentaires d'autorisations, connues et appliquées par les industriels et les syndicats professionnels concernés où elles sont référencées sur une liste positive établie par la D.G.C.C.R.F. depuis 1973.
La législation française sur les produits chimiques en contact avec l'alimentation est fondée sur une loi du 1er août 1905 et couvre l'ensemble des exigences applicables aux produits. Son objectif vise la non-contamination des denrées alimentaires par des substances nocives ou indésirables. Ces réglementations sont particulièrement bien suivies et sont totalement compatibles avec les dispositions européennes.
L'industrie chimique a récemment lancé au niveau mondial des programmes globaux de recherche et de tests sur les produits chimiques. Le premier, intitulé L.R.R.I., " Low Range Research Initiative ", vise à étudier les effets à long terme des substances chimiques, en particulier la modulation endocrinienne, c'est-à-dire la perturbation des endocrines au niveau du corps humain, et plus généralement les effets santé-environnement des produits chimiques. L'initiative H.P.V., " High Pro-action Volume ", initiative, là encore, lancée au niveau international, concerne les collectes de données, les analyses de danger des produits chimiques en grande quantité, c'est-à-dire des quantités de production supérieures à 1 000 tonnes.
Voilà, très rapidement brossé, le tableau de l'industrie chimique, des initiatives volontaires et des réglementations appliquées aux produits chimiques, notamment les contacts avec la filière alimentaire.
M. le Président : La parole est à M. Jean Pougnier, Directeur général de la société Dupont de Nemours France.
M. Jean POUGNIER : Dupont de Nemours est une société américaine fondée en 1802 par un émigré français. En 1998, ses ventes avoisinaient 160 milliards de francs et elle comptait près de 100 000 employés. Ses ventes sont réparties dans nombre de secteurs de l'industrie chimique et de la chimie de base : le polyester, l'agriculture, les nylons, la pharmacie, les plastiques, les fibres spéciales et les peintures. En France, le chiffre d'affaires s'élève à près de 7 milliards de francs, dont 3 milliards à l'exportation; elle emploie 2 000 personnes dans six usines.
Pour Dupont de Nemours, l'activité de protection des cultures est d'importance. Elle représente, en effet, environ 10 % de son chiffre d'affaires, 15 milliards au niveau mondial, 4 800 employés et une activité avant tout fondée sur les herbicides. En France, le chiffre d'affaires est de l'ordre de 600 millions de francs, avec 500 employés, deux usines et une ferme expérimentale commercialisant environ 40 produits, pour la plupart produits en France.
J'aimerais, pour finir, dire un mot sur les biotechnologies. Par l'acquisition de la société de Semences Pioneer, la société Dupont de Nemours est aujourd'hui présente sur le marché des O.G.M. En quelques mots, je souhaiterais décrire nos positions.
Tout d'abord, nous pensons que ce sont des technologies d'avenir aux implications multiples. Dupont de Nemours souhaite être une société privilégiant le développement durable en utilisant des ressources renouvelables pour produire certains matériaux de base, tel le polyester.
L'enjeu des biotechnologies ne se limite donc pas à l'alimentation mais à moult activités industrielles. Comme toute nouvelle technologie, ces technologies ont engendré des craintes tout à fait légitimes et nous nous devons d'en tenir compte. Pour nous aider dans cette démarche, nous allons créer un " Comité consultatif indépendant ", formé de personnalités reconnues. Il sera chargé de donner son avis sur les actions que nous entreprenons dans le cadre du développement des essais et sur la commercialisation des nouveaux produits fondés sur les biotechnologies. Nous demanderons à ce Comité d'auditer nos progrès et de fournir un rapport public à échéance régulière. Le consommateur doit également être informé de la manière la plus scientifique possible et doit avoir le droit de choisir. Cela implique que nous sommes prêts à mettre en place des systèmes de préservation d'identité et de traçabilité.
La politique de sécurité et d'environnement de Dupont de Nemours a une longue histoire et elle est très performante. Nous connaissons dix fois moins d'incidents au travail que la moyenne de l'industrie. Nous appliquerons cette politique à l'ensemble de nos activités en biotechnologie.
M. le Président : La parole est à M. Bernard Charlot, Directeur général de la Société Novartis.
M. Bernard CHARLOT : Je vous présenterai un bref exposé. Je me ferai aider, s'il y a des questions particulières, par Marie-Cécile Lebas, pour tout ce qui aura trait à la chimie toxicologique, et par Christian Maurin s'il y a des questions concernant les O.G.M. et la biotechnologie.
Novartis Agriculture en France est représenté par deux sociétés : la société Novartis Agro et la Société Novartis. L'une s'occupe plus particulièrement de produits phytosanitaires fondés sur la chimie, l'autre des semences, y compris les semences O.G.M. Un siège social est implanté dans la région parisienne, l'autre dans le Sud-Ouest de la France. Bien entendu, nous rapportons tous les deux à une société bâloise.
Nous comptons deux sites de production en France pour le secteur de la chimie et trois pour les semences. Les tonnages sont relativement élevés. Nous disposons également de sites de recherche disséminés en France.
En matière de semences, nous travaillons aussi bien les semences de grande culture que les semences florales et potagères. Le chiffre d'affaires n'est pas négligeable avec plus de 3 milliards de francs pour la chimie et plus de 1 milliard de francs pour les semences. Pour les semences, le centre français est également le centre européen. Parallèlement, les effectifs sont également importants : plus de 1 000 personnes dans le secteur de la chimie et plus de 500 personnes pour la branche des semences.
M. le Président : La parole est à M. Daniel Rahier, Directeur des relations extérieures de la Société Monsanto.
M. Daniel RAHIER : Monsanto est une société américaine créée en 1901 dont le développement a toujours été fondé sur la recherche. Aujourd'hui sur les 30 000 personnes que compte la Société dans le monde, plus de 10 % sont des chercheurs.
Nous intervenons dans trois domaines d'activité où nous avons été à l'origine de découvertes importantes : dans le domaine de la santé, où nous sommes à l'origine de la première pilule contraceptive et, plus récemment, d'un anti-inflammatoire de nouvelle génération " l'Anti-cox 2 " ; dans le domaine de la nutrition, où nous sommes à l'origine de l'Aspartam, un édulcorant intense connu en France sous le nom de " Candérel " ; dans le domaine de l'agriculture, où nous sommes à l'origine d'un herbicide particulièrement reconnu pour être respectueux de l'environnement, commercialisé sous le nom de " Round up ".
Il y a près de vingt ans, la société Monsanto s'est intéressée aux biotechnologies, en créant l'un des tout premiers laboratoires privés de recherche ce domaine. En 1996, quinze ans après le début de nos travaux, nous avons commercialisé la première plante de grande culture génétiquement modifiée, le soja tolérant au glucosate.
Aujourd'hui, la division agriculture de Monsanto représente 50 % du chiffre d'affaires de la société au niveau mondial et emploie près de 12 500 personnes, soit plus de 40 % des effectifs totaux. Nous nous situons en quatrième position pour les produits de protection des plantes, en deuxième position sur le marché des semences avec 8 % du marché mondial et en position de leader pour les biotechnologies végétales.
A l'échelle mondiale, la France représente le troisième pays en importance pour Monsanto. Nous comptons douze cents collaborateurs répartis entre les sites commerciaux de Paris - pour les divisions nutrition, santé, et grande consommation - et de Lyon pour la division agriculture. Les neuf sites industriels de production sont répartis à travers le territoire français.
La division " agriculture " en France représente la moitié du chiffre d'affaires, soit 1 milliard de francs, et occupe près de 560 personnes. Le développement est axé sur quatre domaines : la phytopharmacie, les semences - avec le blé, le maïs, le colza, le tournesol et le soja -, les nouveaux itinéraires culturaux et les biotechnologies végétales. Enfin, la France représente aujourd'hui pour Monsanto le principal centre de recherche, de production et de fabrication de semences conventionnelles pour l'Europe, avec un réseau de sept fermes de recherche, sept sites de production et deux sites de fabrication sur le territoire, auquel est associé un important réseau d'agriculteurs multiplicateurs.
Je voudrais m'attarder plus spécialement sur ce qui fait l'objet du débat d'aujourd'hui, autrement dit sur les biotechnologies auxquelles l'image de Monsanto a été associée depuis quelques années.
Pour ce qui est de la filière alimentaire française, seuls deux types de plantes génétiquement modifiées sont concernés : il s'agit du soja runduprédi, uniquement autorisé à l'importation depuis 1996, et d'un maïs résistant aux insectes, appelé le Mon 810, autorisé à l'importation et à la mise en culture depuis l'été 1998. La sécurité alimentaire de ces deux types de plantes a été évaluée au cours de procédures d'autorisation longues et rigoureuses. Dans le cadre de l'autorisation européenne, la France a été le pays rapporteur de ces deux dossiers et les a transmis à Bruxelles avec son avis favorable. Vous avez certainement eu l'occasion d'évoquer tous ces détails lors de vos précédentes rencontres avec les responsables de la Commission du génie biomoléculaire.
Pour ce qui est des aspects liés à la transparence, Monsanto se conforme aux exigences qui lui incombent en tant qu'acteur de l'amont agricole, c'est-à-dire des mises en _uvre de procédures de traçabilité dans le cas de production de semences, leur étiquetage et la fourniture des données au ministère de l'Agriculture dans le cadre du programme de biovigilance. Nous ne sommes pas partie prenante dans le reste de la chaîne agroalimentaire située en aval de l'agriculteur, c'est-à-dire après la récolte des grains. Nous avons donc très peu de légitimité particulière à prendre position sur les questions liées à la traçabilité et à l'étiquetage en aval de la filière. Toutefois, nous reconnaissons le besoin du consommateur à disposer d'informations sur les produits qu'il consomme, y compris ceux dont certains ingrédients sont issus de plantes transgéniques. Nous ne pouvons donc que répondre favorablement aux initiatives prises en France et en Europe. Je pense au décret sur la traçabilité qui sera pris en application de la loi d'orientation agricole ou à l'initiative de l'Union européenne concernant l'étiquetage des denrées alimentaires contenant des O.G.M. 
Notre restons convaincus que les biotechnologies sont un outil essentiel au service de l'agriculture, dont les consommateurs, tout comme les agriculteurs, tireront bénéfice de façon croissante dans les années à venir. Aussi notre priorité est-elle de répondre le plus complètement possible à toutes les questions qui peuvent éclairer ce débat difficile. Merci de me donner l'occasion de le faire aujourd'hui.
M. le Président : La parole est à M. Jeremy Macklin, Directeur général de la société Sopra.
M. Jeremy MACKLIN : Monsieur le Président, M. le Rapporteur, merci de cette invitation.
Le groupe Zeneca fait partie du groupe Astro Zeneca, un groupe anglo-suédois basé à Londres, avec un chiffre d'affaires global d'à peu près 100 milliards de francs. Zeneca agrochimie comprend l'activité phytosanitaire et biotechnologique de ce groupe anglo-suédois qui enregistre un chiffre d'affaires global de 17 milliards de francs, avec une activité fortement dominée par les herbicides à 56 %, les fongicides représentant 23 % du chiffre d'affaires. Au niveau de la recherche et du développement, nous investissons à peu près 10 % du chiffre d'affaires dans la recherche avec 6 milliards de francs, dans tout ce qui a trait à la chimie classique et les biotechnologies. Cette recherche, conduite au niveau international, Angleterre, Etats-Unis et Pays-Bas, est ensuite relayée par des stations d'expérimentation mondiales, dont une située en France, près de Toulouse. Soulignons qu'à l'heure actuelle, avec les outils de " screening " dont nous disposons, nous sommes capables de tester près de cent mille molécules chimiques. Ainsi et, avec de la chance, c'est seulement au bout de dix ans et avec 100 millions de dollars de développement, que nous sommes en mesure de sortir un seul produit.
Sopra est la filiale française de Zeneca agrochimie. Pour l'année 1998, son chiffre d'affaires s'élève à 1,7 milliard de francs. Elle compte en France 218 employés et 105 centres techniques. Pour l'heure, elle concentre surtout ses activités sur les phytosanitaires, mais, depuis dix ans, le groupe Zeneca travaille aussi dans le secteur des biotechnologies. Il a pratiqué, comme les autres groupes, une activité d'invention avec séquençage des gènes et une activité avec les génomes fonctionnels. Nous ciblons nos activités à la fois sur les possibilités de remplacement de produits phytosanitaires, mais surtout sur les gènes d'activité qui intéresseront les consommateurs à la fin de la filiale agroalimentaire, sur certaines cultures.
Je souhaiterais souligner l'aspect lié à la commercialisation. En effet, nous avons eu la possibilité de préparer un produit à base de tomates, une purée de tomates. Lancé sur le marché en Angleterre il y a trois ans, le produit a connu une réussite remarquable. Grâce à l'étiquetage et à la traçabilité, le consommateur a pu être informé sur ce qu'il mangeait. Selon nous, les produits issus de la biotechnologie peuvent être une réussite au niveau commercial pour le consommateur grâce à la traçabilité et à l'étiquetage.
M. le Président : La parole à M. Bertrand Meheut, Directeur de la division Agro de la société BASF France.
M. Bertrand MEHEUT : Le groupe BASF est un groupe d'origine allemande créé en 1895. C'est un leader de la chimie mondiale dont le chiffre d'affaires représente plus de 180 milliards de francs, ce qui en fait quasiment le plus grand groupe chimique mondial. BASF est présent dans tous les domaines de la chimie, des matières plastiques aux colorants en passant par les produits de santé et de nutrition.
Les activités liées à la santé et la nutrition représentent environ 20 % de l'activité du groupe, dont les produits phytosanitaires, qui représentent, au niveau mondial, un chiffre d'affaires de 11,5 milliards de francs. Le groupe emploie plus de 100 000 personnes dans le monde et il est présent dans tous les pays du monde.
La France est, bien entendu, très importante pour le groupe, en particulier pour les activités agro. Ce sont en effet les deuxièmes en importance au niveau mondial. En ce qui concerne la partie phytosanitaire, nous réalisons un chiffre d'affaires de l'ordre de 1,6 milliard de francs avec un peu plus de 200 employés. Nous sommes présents sur les marchés les plus importants de l'agriculture française, comme les céréales, le maïs, le colza et la vigne et menons également des activités de recherche et de développement au travers de stations d'expérimentation réparties sur le territoire.
Les activités biotechnologie du groupe sont un axe que nous considérons particulièrement déterminant pour l'avenir, même si ces activités ne sont matérialisées que par des ventes très réduites de semences au travers de " joint ventures " que nous avons réalisées dans le monde. Mais, en termes de recherche, nous investissons de l'ordre de 300 à 350 millions de francs par an pour développer des O.G.M. dits " de seconde génération " dont nous pensons qu'ils représenteront une valeur ajoutée élevée pour le consommateur et l'ensemble de la collectivité.
M. le Président : La parole à M. Alain Chalandon, Directeur général de la Société Rhône-Poulenc Agro France.
M. Alain CHALANDON : La société Rhône-Poulenc Agro France est uniquement axée sur la commercialisation des produits phytosanitaires en France. En tant que responsable de cette partie économique, je ne représente donc pas la totalité du groupe.
Cette entreprise de 600 personnes développe 2 milliards de chiffre d'affaires en France sur le marché des phytosanitaires. Elle développe deux axes de développement particuliers : une partie vente et une partie production industrielle. Comme mes collègues, nous faisons beaucoup d'efforts pour la sécurité. Je relève un exemple marquant : dans notre usine de Villefranche, qui emploie 300 personnes, voilà quatre ans que nous n'avons pas eu à connaître d'accident.
La Société Rhône-Poulenc est pratiquement la seule société d'envergure internationale du domaine de l'agrochimie. Comme nos collègues, nous avons développé un axe fort dans le secteur des biotechnologies. C'est la raison pour laquelle le groupe Rhône-Poulenc a récemment décidé de fusionner avec le groupe Hoechst. Cette fusion devrait être effective dans les quinze jours qui viennent.
Ce nouveau groupe aura pour axes principaux la pharmacie et l'agriculture, parce que nous pensons que pharmacie et agriculture ont des liens et des bases communes en termes de technologie. C'est la raison pour laquelle, comme je viens de vous le dire, ces deux groupes ont décidé de fusionner. Ensemble, ils deviendront dans les deux domaines des partenaires importants de la santé publique et de la santé des plantes. Ces deux axes seront donc privilégiés à l'intérieur de cette nouvelle société qui s'appellera Aventis.
J'ai choisi de développer un point particulier du domaine des biotechnologies pour vous montrer l'importance accordée à ces biotechnologies par le groupe Rhône-Poulenc et par le futur groupe Aventis. Je décrirai l'un des dispositifs que nous développons en France, notamment avec les partenaires français de la filière de l'agriculture, qu'il s'agisse de coopératives agricoles ou des représentants de filières type Sofi-protéol ou Unigrain, soit des filières liées à des protéagineux et à des oléagineux, soit les filières des céréales. L'importance que revêtent ces développements bio-technologiques s'illustre à travers ces associations entre des entreprises publiques ou semi-publiques, comme ces associations filières agricoles et des entreprises privées comme Rhône-Poulenc Agro.
Au-delà, je souhaiterais développer un aspect particulier : l'effort que l'ensemble des industriels " maintenants " et " développants " porte à l'utilisation des produits agro-chimiques. Très souvent, on oublie que nos sociétés développent de gros efforts pour promouvoir l'emploi correct de ces produits, respectant notamment les conditions optimales d'utilisation dans l'environnement. Je mettrai à votre disposition des documents qui traitent des problèmes de formation, d'éducation, de sensibilisation de nos utilisateurs agriculteurs au bon emploi de ces produits. Je soulignerai, parallèlement à ces traits spécifiques à ma société, la contribution de l'ensemble de mes collègues ici présents auprès de l'U.I.P.P. dont je suis le représentant en tant que Président de l'U.I.P.P. depuis maintenant trois ans. Je puis à ce titre vous donner un ordre d'idée de nos budgets et du temps que les directeurs généraux de cette filière professionnelle consacrent aux problèmes de l'environnement. Au cours de nos réunions et de nos travaux, un peu plus des deux tiers de notre temps est consacré aux problèmes environnementaux et de sécurité - celle des applicateurs, mais aussi celle des consommateurs. Globalement, c'est l'effort maximal que nous développons au sein de notre association. La démarche mérite d'être signalée et sous-tend l'ensemble de nos travaux. Elle nous mobilise fortement tous les mois en heures que nous consacrons volontairement. C'est un fait qui me semble important à signaler, car tous les industriels n'ont pas cette volonté d'apporter une telle contribution.
Parmi les derniers exemples soumis aux pouvoirs publics, un rapport retrace la totalité des actions menées en faveur de la sécurité-environnement. Il regroupe les expériences, les aspects pratiques que l'ensemble des sociétés ont pu développer et qu'elles ont rassemblés dans un document que nous tenons à votre disposition.
M. le Président : La parole est à M. Claude Vincinaux, Directeur technique à la Société Bayer.
M. Claude VINCINAUX : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi tout d'abord d'excuser l'absence de notre Directeur de division, M. Hoh. Hospitalisé, il doit subir ce jour une petite intervention chirurgicale.
La société Bayer est née à la fin du siècle dernier. En France, le groupe est représenté par quatorze sociétés. Il représente un chiffre d'affaires de 14 milliards de francs, dont 3 à l'exportation, occupe 4 250 employés et dispose de 9 sites industriels.
Les implantations sont nombreuses. La Société de conditionnement Bayer qui réalise une partie du conditionnement des produits phytosanitaires est implantée à Marle.
La division phyto et la division agro font partie de l'entité juridique Bayer SA, laquelle comprend aussi d'autres activités comme la chimie de base, la santé, la Bayer Pharma par exemple, les polymères pour l'agriculture. La division agricole est structurée sous forme du siège et de sept régions. Nous disposons de 140 collaborateurs. Les activités sont multiples et une grande partie est consacrée à la recherche, au développement et aux aspects techniques. Nous présentons 80 produits et les activités agro-chimiques enregistrent un chiffre d'affaires de 1,3 milliard de francs.
Les produits proviennent de la recherche au niveau de trois grands centres mondiaux, dont le principal est situé à Monheim ou Mannheim ?, au nord de Leverkusen en Allemagne, le deuxième, très important, à Kansas City aux Etats-Unis et le troisième au Japon, à Yuki.
Je voudrais également aborder le problème des études de résidus. Ne serait-ce que pour le centre de Monheim-Leverkusen, en Allemagne, bon an, mal an, nous récoltons 20 tonnes de matériel végétal, 6 tonnes de terre et 4 tonnes d'eau pour procéder aux analyses de résidus. Nous menons de pareilles activités dans nos deux autres centres de recherche aux USA et au Japon. A ce titre, la France collabore de façon large à ces études résidus, puisqu'elle fait partie de l'Europe du nord, pour une partie de ses départements, et de l'Europe du sud. Nous conduisons environ 100 à 130 études de résidus sur le territoire français. Voilà une brève présentation de la Société.
M. le Président : Je vous remercie, messieurs.
M. le Rapporteur : Je vous remercie, mesdames, messieurs, de la concision de vos exposés, ce qui nous permettra, je pense, d'avoir un échange fructueux.
Mes chers collègues, nous avons devant nous des responsables qui sont sources de beaucoup d'avancées et de progrès, mais aussi de soucis en termes d'environnement.
Une question revient en permanence. Elle porte sur l'utilisation des produits chimiques dans le domaine de l'agriculture et de l'agroalimentaire et concerne les méthodes, les moyens, la connaissance que vous avez du respect des recommandations d'utilisation des produits que vous mettez sur le marché. Je sais bien que cette question ne dépend pas directement de votre compétence, mais on ne peut l'éluder.
Lors de la mise au point d'un produit, des doses admissibles sont à respecter. Une collaboration étroite avec ceux qui utilisent ces produits est nécessaire. Un des intervenants a parlé de formation du monde agricole. Précisément, quels sont les efforts que vous engagez sur le plan financier et sur celui de la communication auprès des responsables agricoles et des agriculteurs, bref, en direction des utilisateurs ?
En matière de gestion des risques des produits, vous travaillez aussi sur les résidus. Quelle est votre implication dans le suivi des molécules utilisées, notamment par rapport à ce que l'on retrouve dans les boues de stations d'épuration ? Leur utilisation pose problème, car on retrouve dans ces boues tous les ingrédients amont. On devrait donc, immanquablement, y retrouver en partie vos molécules, en tout cas des parties dégradées suite à la métabolisation des molécules utilisées. Soit on les retrouve intactes, soit sous forme de produits dégradés dans les stations d'épuration. Quelles sont les méthodes utilisées et les garanties que vous pouvez apporter ? Quel est le suivi de ces molécules dans la filière de dégradation de celles-ci ?
En ce qui concerne la recherche de nouvelles molécules, M. Macklin parlait d'une recherche active, ce qu'on appelle un " screening " des molécules afin de déterminer les molécules les plus actives. Vous travaillez certainement sur des configurations moléculaires plus ou moins actives et recherchez des compositions supplémentaires, des branchements d'atomes ou de molécules qui pourraient rendre le produit plus actif. Moi-même, j'ai eu l'occasion d'effectuer une mission dans un pays assez riche en termes de biodiversité. Une convention avait été passée pour, précisément, procéder à un " screening " des molécules naturelles. J'aimerais donc savoir si, dans le cadre de votre recherche de molécules actives, vous êtes plus orientés vers des molécules de synthèse ou si vous passez des conventions de développement et de recherche avec des pays en développement ou des pays de zones où la biodiversité est plus intéressante, dans le but de sélectionner les molécules actives de demain.
J'en viens aux O.G.M. Une question est revenue assez souvent dans nos débats; je vous la pose aujourd'hui : les grandes lignes d'un schéma sont en train de s'organiser, autrement dit s'offre la possibilité de mettre en place deux types de filières : une filière sans O.G.M. et une filière avec O.G.M. La question qui nous préoccupe le plus est de savoir pourquoi la filière sans O.G.M. donnerait des produits à la consommation plus chers que la filière O.G.M. Dans la situation actuelle, nous consommons des produits issus de modifications génétiques moins rapides, de sélections qui se sont opérées au fil du temps. L'apparition d'une filière O.G.M. serait moins onéreuse pour le consommateur que la filière sans O.G.M. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce point.
Certains, au niveau de la filière O.G.M., s'entourent de comités consultatifs, ce qui me semble une bonne chose. J'aimerais quand même leur poser la question de l'indépendance de ce comité consultatif au regard de l'opinion qu'il a à émettre.
Enfin, je voudrais vous faire part de ce qui a été, à mon sens, une erreur, que je qualifierai d'assez monumentale. Il s'agit bien sûr d'un point de vue et je vous demande de réagir : le lancement, sur le marché, de la première semence génétiquement modifiée, un maïs, avec toute une série d'inconvénients liés à cette semence. Je fais allusion, bien entendu, au gène marqueur résistant à l'ampicilline et à la non-compréhension des utilisateurs, qui, peut-être, voyaient dans les O.G.M. des semences ou des produits permettant de surmonter des difficultés autres que celles d'une résistance à la pyrale. Si la filière O.G.M. avait entamé ses activités en travaillant sur un maïs résistant à la salinité, à la sécheresse, autrement dit sur un maïs doté d'avantages certains en termes de production et d'adaptation à certains pays, peut-être n'en serions-nous pas là aujourd'hui.
Je suis scientifique de formation. Tout le monde sait l'intérêt de la pratique des O.G.M. pour tout ce qui concerne la lutte contre les maladies. Si le consommateur, on le sait bien, est capable d'ingérer un peu tout et n'importe quoi quand il s'agit de se soigner, en revanche, il est plus réticent quand cela touche à son alimentation. C'est un point qu'il faut garder à l'esprit. Or la première expérience à portée publique a connu un retentissement fort : il s'agit du débat sur le maïs transgénique dont personne n'a très bien compris l'intérêt, surtout avec les inconvénients que je viens de citer relatifs au gène marqueur.
Cela m'amène aux O.G.M. de deuxième génération, sur lesquels je souhaiterais que vous nous en disiez un peu plus.
M. Macklin nous a fait l'amitié de nous apporter un produit, une purée de tomates fabriquée avec des organismes génétiquement modifiés. Quel est l'intérêt d'un coulis de tomates fait avec des tomates génétiquement modifiées ? A moins que mes connaissances ne soient pas d'actualité, ce que je savais de la tomate génétiquement modifiée concernait un gène permettant la non-gélification de la tomate, c'est-à-dire sa meilleure conservation, mais ne touchait pas à sa composition. Si effectivement la différence de composition se traduit par une plus grande richesse en hydrates de carbone, en moyens énergétiques ou en protéines, on peut comprendre. Mais si ce coulis est fabriqué avec des tomates qui renferment un gène préservant leur flétrissement, je ne vois pas très bien quel est l'intérêt de ce concentré à base de tomates résistant mieux au vieillissement.
M. le Président : La parole est à M. Guillou.
M. Jean-Pierre GUILLOU : La première question de M. le Rapporteur, repose sur la connaissance des recommandations et sur leur respect lors de l'utilisation des produits. Si les produits phytosanitaires apportent des bénéfices considérables à l'agriculture en général, il est acquis qu'il ne s'agit pas de produits anodins et qu'ils présentent, pour certains d'entre eux, une certaine toxicité, d'où la question légitime que vous vous posez des recommandations appliquées par les utilisateurs. Effectivement, le produit mis sur le marché est utilisable par l'agriculteur. C'est alors qu'apparaît la notion de professionnalisme. La conscience professionnelle de l'agriculteur entre en jeu; elle est, d'une certaine façon, le seul garant de la bonne utilisation. Voilà pourquoi j'ai insisté précédemment sur les progrès à engager en matière de recommandation et d'utilisation des produits. Des progrès considérables ont été faits. Dans l'enseignement agricole, que ce soit au niveau du secondaire ou au niveau du supérieur, des formations relativement poussées sont dispensées afin que les jeunes agriculteurs, en sortant de ces établissements d'enseignement, connaissent les produits et sachent qu'il ne convient pas de les utiliser comme de l'eau. Des précautions doivent être prises; elles sont stipulées lors de la mise sur le marché des produits et sur l'étiquetage.
Pour ce qui concerne la profession dans son ensemble et les efforts de formation et d'information que nous lançons, l'ensemble des sociétés et leurs syndicats professionnels participent à de nombreuses associations et groupes interprofessionnels dont la vocation est d'améliorer, autant que faire ce peut, l'utilisation des produits. J'en citerai au moins trois par ordre chronologique de création : l'association Pic-agri, association interprofessionnelle à laquelle participent les syndicats agricoles, les chambres d'agriculture, l'industrie, la distribution agricole. Cette association a pour vocation d'éliminer les reliquats de produits éventuellement présents dans les exploitations agricoles. C'est un travail de longue haleine, engagé il y a presque sept ans, et qui, petit à petit, élimine ces vieux produits qui peuvent être sources de pollution.
Pour ce qui concerne l'utilisation elle-même, je citerai l'association F.A.R.R.E., Forum pour l'agriculture raisonnée et respectueuse de l'environnement, une association elle aussi très largement interprofessionnelle à laquelle l'industrie participe activement et dont la vocation est de promouvoir un concept aujourd'hui très largement utilisé, celui d'agriculture raisonnée, c'est-à-dire l'utilisation des produits à bon escient lorsqu'ils sont utiles, mais en prenant des précautions comprises dans cette plate-forme, ce socle commun qu'est le cahier des charges de F.A.R.R.E.
Je citerai enfin l'association Phyto-Mieux, créée plus récemment. C'est, là encore, une association interprofessionnelle où, avec les syndicats agricoles et l'ensemble de la filière agricole, on essaie de promouvoir la bonne utilisation des produits.
M. Alain CHALANDON : J'aimerais ajouter quelques remarques précises concernant l'emploi des produits, remarques qui renvoient à la première question abordée dans mon exposé : quelle formation ? Que faire pour essayer d'améliorer la situation ?
Le constat de base n'est pas dressé par les industriels seuls, à travers l'U.I.P.P. ou à travers les sociétés que nous dirigeons, mais par l'ensemble de la filière agricole. Ce constat souligne les améliorations notables à apporter sur l'emploi des produits. Une fois que le produit a passé les fourches caudines de l'homologation, qu'il a reçu l'autorisation, qu'il est mis en _uvre par l'agriculteur, des risques importants demeurent. Nous les avons constatés de même que les agences de l'eau lors des manipulations de produits, au moment où l'on prépare la bouillie et surtout lors des rinçages de pulvérisateurs ou encore lorsqu'il y a épandage des résidus présents dans " les fonds de cuves ".
Des actions sont à mener sur l'ensemble de ces processus : rinçage des bidons, préparation des bouillies de pulvérisation, rinçage des pulvérisateurs et destination des résidus et des reliquats de fonds de cuve. C'est la raison pour laquelle, avec l'ensemble de la filière agricole, nous avons lancé l'opération Phyto-Mieux, association qui regroupe approximativement 25 groupements professionnels regroupant entre autres la F.N.S.E.A., le C.N.J.A., les fédérations des C.U.M.A., le négoce agricole, la coopération agricole, l'U.I.P.P., bien sûr, et l'industrie des engrais. L'ensemble de ces associations a pour vocation de promouvoir des actions environnementales. Toutes les sociétés, en plus de la mise au point des produits, de leur promotion et de leur vente, se sont lancées pour un produit particulier dans ces actions. Nous proposons aux agriculteurs ou aux distributeurs des CD-Rom ainsi que des sessions de formation accompagnées de livres indiquant les bonnes méthodes à suivre.
Grosso modo, dans une entreprise comme la mienne qui comprend un peu moins de 300 personnes, commerciales et techniques, près de 30 personnes travaillent dans les domaines proches de l'environnement, ou, en tous les cas, sont chargées de promouvoir la bonne utilisation des produits auprès de nos clients et auprès des agriculteurs. Je ne pense pas que notre société soit une exception. Il s'agit d'une réalité qui correspond à nos métiers et à notre vocation, non seulement de commerciaux vendant des produits pour produire en quantité et en qualité des matières végétales, mais aussi d'industriels responsables tenant à promouvoir les actions allant dans le sens d'une amélioration environnementale.
Ces aspects très concrets mériteraient une plus grande attention. Mais nous sommes limités, parce que notre vocation n'est pas le développement agricole et parce qu'il nous faut motiver l'ensemble de la filière agricole. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons créé Phyto-Mieux et c'est aussi pourquoi, lors du débat sur la T.G.A.P., nous avons été extrêmement choqués de constater qu'elle s'orientait vers le financement d'une loi sociale alors qu'on aurait pu penser qu'une utilisation de certains fonds publics pouvait mener à une réelle action environnementale, une véritable action de formation et de sensibilisation des agriculteurs. En effet, on sait qu'elle est pratique, que les phénomènes environnementaux sont réversibles et que l'on peut améliorer l'environnement de façon notable.
M. Bernard CHARLOT : Vous avez posé une question concernant l'utilisation et le suivi des conditions d'utilisation, peut-être parce que vous doutez que les agriculteurs puissent utiliser nos produits de façon satisfaisante. Il est à mentionner que les étiquettes des produits portent des données générales, mais surtout des conseils d'utilisation et de prudence. Si l'ensemble de la profession a décidé de conduire des actions spécifiques en supplément des Chambres d'agriculture et de la distribution à l'adresse des agriculteurs, c'est parce que celles-ci méritent d'être détaillées, expliquées et promues. Toutes les sociétés mènent donc aujourd'hui un programme spécifique destiné à promouvoir les bonnes utilisations, les bonnes pratiques agricoles. On peut considérer que des efforts considérables ont été réalisés depuis quatre ans.
M. le Président : Y a-t-il d'autres réactions ?...
Mme DELPUECH : Vous posez la question des résidus de produits phytosanitaires qui peuvent résulter de l'utilisation de nos produits. Autrement dit, vous demandez quelles activités nous mettons en _uvre pour garantir que notre produit a été utilisé à la bonne dose et que, au bout de la chaîne de production agricole, mais également de la chaîne de transformation alimentaire, le consommateur sera face à un résidu, dont les normes se situeront en dessous des limites admises au terme des études décrites précédemment.
Je souhaiterais apporter déjà un premier élément de réponse en expliquant que notre profession conduit des enquêtes d'utilisation, appelées " panels d'utilisation ". Par le biais de la société d'enquête B.V.A., nous interrogeons tous les ans plusieurs milliers d'agriculteurs en leur posant des questions sur leur pratique, sur les doses et les produits qu'ils utilisent. C'est pour nous une première façon de contrôler ou de vérifier a posteriori que les doses d'emploi sont bien respectées. Je peux dire sous serment qu'elles le sont, même si elles s'inscrivent un peu à la baisse par utilisation de doses inférieures à celles homologuées, ce qui ne manque pas d'inquiéter les industriels. En effet, en termes de sélection de populations de ravageurs ou de maladies résistantes, on sait que les utilisations à des doses inférieures peuvent provoquer un risque, à terme, sur la durée de vie de la molécule.
Cette première activité nous apporte de premières garanties en matière de respect des doses et de respect des limites maximales de résidus.
Le deuxième élément que je me proposais de vous apporter va dans le sens de ce que mes collèges ont décrit en matière d'efforts volontaires pour contribuer à garantir de bonnes pratiques agricoles. Je parle de ce qui se passe au niveau de l'agriculteur. Il est clair que c'est bien le maillon le plus difficile à contrôler. Je voudrais vous montrer le type d'activité que nous mettons en _uvre, bien sûr, à travers la distribution, c'est-à-dire, pour nous, principalement, les coopératives agricoles, nos distributeurs de produits, en particulier à travers leurs services techniques.
La chaîne des activités qui conduisent, depuis nos usines de fabricants de produits phytosanitaires, jusqu'aux consommateurs passe par les silos de stockage, les usines de transformation alimentaires chez les transformateurs agricoles avec pour débouché la consommation, donc le niveau des consommateurs. Au plan de notre activité phytosanitaire, nous mettons en _uvre volontairement des contributions diverses. C'est une tendance lourde dans nos activités, afin de contribuer à une amélioration et un progrès en termes de traçabilité, de qualité et sécurité alimentaire.
Pour répondre à votre question, je voudrais insister davantage sur cette étape des bonnes pratiques agricoles au niveau de l'agriculteur en répétant, encore une fois, que c'est par le biais de nos distributeurs et des services techniques des coopératives que nous mettons en _uvre ce type de services.
L'avertissement de traitement à l'agriculteur est un élément essentiel. Nous mettons à sa disposition des outils d'aide à la décision : " Faut-il traiter le puceron actuellement sur mon blé ? Est-il vecteur de virus ou ne l'est-il pas ? " Quand on est dans un champ, on manque de moyens pour prendre de telles décisions. Ce sont des services que nos sociétés mettent en _uvre pour aider à la décision à bon escient. Je parlerai également du réglage des pulvérisateurs. En effet, il est clair que si la dose est suivie - encore une fois, nos études " panel " le confirment - tout peut être remis en cause si le pulvérisateur présente une courbe de répartition de pulvérisation non conforme et non homogène. Nous mettons ces services à la disposition des agriculteurs via les coopératives agricoles.
Je voudrais parler également des moyens d'enregistrement des pratiques agricoles, importants pour la traçabilité. De plus en plus, on nous demande, au long des filières, que l'agriculteur dispose de moyens simples d'enregistrer les différentes interventions phytosanitaires auxquelles il a procédé sur sa parcelle, c'est-à-dire le type de produit ou de médicament des plantes qu'il a utilisé pour protéger sa culture. Merci de votre attention.
M. le Président : La parole est à M. Jean Pelin.
M. Jean PELIN : Je me propose de répondre à la deuxième question sur les boues provenant des stations d'épuration. En complément de ce qui a été dit sur les produits phytosanitaires, je précise que, pour les autres produits " chimiques " - tout ce qui est naturel étant aussi chimique, il ne faut pas procéder à une opposition factice entre chimique et naturel -, toutes les professions, au-delà des industries phytosanitaires, appliquent les principes de gestion des responsables des produits, principes que j'ai évoqués dans mon exposé préliminaire, en particulier les actions d'information, de formation et de sensibilisation des utilisateurs des produits.
En ce qui concerne la question relative aux incidences liées à l'épandage des boues de stations d'épuration, je laisse la parole à M. René Gauvard qui est l'expert qui m'assiste.
M. le Président : Monsieur René Gauvard, vous avez la parole.
M. René GAUVARD : S'agissant des boues des stations d'épuration sous l'angle de la chimie, citons en premier lieu les stations d'épuration des usines chimiques. L'industrie chimique ne figure pas parmi les industries produisant énormément de boues. C'est un problème limité à quelques-unes de leurs activités. Dans ce cadre, les boues produites sont, dans la quasi-totalité des cas, des boues homogènes, des boues qui, tout au long de l'année, sont produites un peu de la même façon. On connaît parfaitement leur composition. Elles entrent dans le cadre de la réglementation des installations classées, donc des autorisations d'épandage, des accords directs suivis par les différentes administrations, souvent après avis du Conseil supérieur d'hygiène de France. La valorisation de ces boues est très encadrée.
Un autre type d'industries rejoint les stations d'épuration des collectivités territoriales : ce sont les industries raccordées, un certain nombre d'industries rejetant leurs boues dans l'assainissement collectif. Là aussi, les rejets de ces industries sont encadrés, car elles proviennent en général d'installations soumises, au moins pour la chimie, à un régime d'autorisation et font donc l'objet d'arrêtés préfectoraux qui imposent un certain nombre de critères de rejet. Par ailleurs, même s'il n'en a pas toujours été ainsi dans le passé - aujourd'hui, la procédure se développe de plus en plus - une deuxième autorisation, celle de la collectivité locale, est nécessaire, par laquelle elle accepte les rejets de ces industries. Il appartient au maître d'ouvrage de la station d'épuration à définir si la station peut traiter les rejets qu'elle reçoit de l'industrie. Ensuite, les rejets sont traités. Une partie repart dans le milieu naturel - là encore, en obéissant à la réglementation -, l'autre est reversée dans les boues. C'est à ce stade que peut se poser un problème.
Reste le cas général des stations d'épuration domestiques. L'origine de tous les résidus des boues est diverse, sauf si l'analyse démontre la présence d'un polluant bien particulier dont on peut situer l'origine. Dans ce cas, il est possible d'intervenir auprès de l'industriel; par contre, l'origine est très vaste. On se situe alors dans une autre problématique. En effet, à ce moment-là, et c'est tout le débat actuel, les boues deviennent une matière première. C'est plutôt ainsi qu'il convient de les considérer. Si ces boues doivent être épandues, leur composition nécessite d'être parfaitement connue pour en assurer le suivi. Telle est l'orientation de la réglementation sur l'épandage des boues. Nous ne voyons pas d'autres solutions que de passer par la partie réglementaire. C'est d'ailleurs ce qui se pratique pour des produits concurrentiels issus de l'industrie chimique, c'est-à-dire les engrais. En effet, la réglementation des engrais définit des critères de composition et serait donc en concurrence avec les boues. L'industrie qui participe à l'élaboration de cette réglementation, en particulier la commission des matières fertilisantes, tend à caractériser ces boues le mieux possible. En fonction de leur composition, il s'agit d'éliminer les polluants qui peuvent être contenus. En ce qui concerne la gestion des risques, il faut déterminer la source, puis gérer le risque lors de l'épandage et surtout, en assurer le suivi.
M. le Rapporteur : Les municipalités sont fréquemment confrontées à des boues contenant des métaux lourds - problèmes les plus sensibles. Sur ce point, j'aimerais que vous nous apportiez votre expérience. Procède-t-on actuellement, dans le cadre des analyses des boues de stations d'épuration, à une recherche systématique de produits de dégradation ? On a parlé des problèmes liés aux fonds de cuve, aux restes de certains produits phytosanitaires qui, passés dans les égouts, se retrouvent dans les stations d'épuration. Il n'y a pas alors recherche systématique de la composition des boues. Que faudrait-il faire pour s'assurer que ces boues qui renfermeraient des produits issus de fonds de cuve ou ces produits de dégradation, ne présentent pas un caractère toxique au moment de leur utilisation ?
M. le Président : La parole est à M. Gauvard.
M. René GAUVARD : L'industrie chimique n'a pas la réponse à tout. S'il s'agit de fonds de cuve, c'est en amont, dans le cadre de la formation, qu'il faut s'assurer de la bonne utilisation du produit. Nous ne disposons pas d'analyses particulières sur les boues sortant de la station d'épuration. Ce n'est d'ailleurs pas à l'industrie chimique de les réaliser, même si nous cherchons à en avoir. L'évolution de la réglementation actuelle paraît positive. D'ailleurs, elle participe à la connaissance du produit et permet de déterminer si tel ou tel produit peut ou non être épandu. A ce titre, le débat a lieu entre les organisations agricoles et les collectivités locales. L'industrie chimique n'intervient pas en tant que telle. En revanche, elle suit ces travaux de très près. Les textes présentés passent devant la Commission des matières fertilisantes où l'industrie chimique est également représentée.
M. Alain CHALANDON : Je crains que l'on ne soit en train de faire un faux débat. Si l'on rencontre essentiellement des problèmes phytosanitaires dans les eaux, ce n'est pas le cas dans les boues d'épuration. Pourquoi ? Tout simplement parce que les agriculteurs épandent leurs produits sur les champs alors qu'ils déversent les fonds de cuve dans leur cour de ferme ou sur les chemins, entre la ferme et l'exploitation. Les rejets n'arrivent pas toujours dans les stations d'épuration en passant par les réseaux d'égout. Je ne crois pas que le problème soit là. Eventuellement, il peut se rencontrer dans les jardins, lorsqu'un amateur ne sait pas quoi faire du reliquat présent dans son pulvérisateur. Pour ce qui est de la question agricole, il n'y a pas de production de métaux lourds, notamment par les phytosanitaires dans les boues d'épuration. Je crains que ce ne soit une mauvaise piste. Les pollutions engendrées par des résidus de fonds de cuve ont pour conséquence un mauvais emploi; c'est pourquoi on retrouve une certaine quantité de phytosanitaires dans les eaux de ruissellement ou de rivières. De vraies mesures sont, en effet, à prendre pour éviter cette pollution : elles passent par un emploi correct des produits. Lorsque le produit est utilisé sur la culture, le risque n'est pas là. Il est d'abord dégradé, par la plante parce qu'il est employé par la plante ou dans le sol. La pollution provient, dans les deux tiers, voire les trois quarts des cas, d'un mauvais usage. Attaquons-nous à ce problème-là, mais ne faisons pas fausse route : à mon sens, il n'y a pas là une relation entre qualité des boues, problème d'épandage et phytosanitaire.
M. le Président : La parole est à M. Charlot.
M. Bernard CHARLOT : La question des fonds de cuve est, en effet, un sujet d'importance.
Les agriculteurs rincent leur matériel et alternent le rinçage et l'épandage au milieu de leur parcelle. M. Charlot indiquait que cela se faisait parfois dans les cours de ferme ou sur les chemins, ce qui n'est pas recommandé. Il faut absolument pulvériser les résidus au milieu des parcelles. C'est ce qui est conseillé : pas d'épandage en bordure de champs, ni dans les cours de fermes, ni non plus dans les chemins et surtout pas dans les fossés. Les recommandations sont aujourd'hui très claires et pour la totalité de l'industrie.
M. Pierre LELLOUCHE : Mesdames et Messieurs, vous avez devant vous, ne possédant aucune formation scientifique comme mon collègue, un citoyen inquiet qui se pose quantité de questions. Vous me pardonnerez donc si mes questions vous semblent basiques. En tant que consommateur, j'aimerais savoir quelle est la part de l'agriculture française qui ne fait pas l'objet de vos soins, tant en matière phytosanitaire que d'O.G.M., c'est-à-dire hors traitements chimiques.
S'agissant des O.G.M. de " deuxième génération ", quelle est votre vision, en tant qu'industriels, de l'avenir de l'agriculture ? Que mangera-t-on et que produira-t-on dans dix ans ?
L'un d'entre vous - M. Guillou me semble-t-il - a évoqué, en termes très techniques, l'apport journalier en molécules tolérables (A.J.M.T.) et autres. Qui fixe les doses et s'assure que ce sont les doses maximums recevables par la terre et les aliments ? Quel niveau de contrôle pèse directement sur vous ? Sans même encore parler de l'utilisateur, comment vous-mêmes êtes-vous contrôlés et comment s'assurer que les doses administrées aux plantes, qui sont ensuite données aux animaux, sont les bonnes ?
Ma dernière question, d'ailleurs déjà soulevée par M. le Rapporteur, concerne le contrôle de l'utilisateur, point qui me laisse totalement perplexe. Mme Delpuech a mentionné des sondages effectués auprès des agriculteurs. N'y voyez aucune ironie de ma part, Madame, mais pensez-vous réellement que les agriculteurs vous diront s'ils mettent plus de produits que de besoin ? On manipule des produits qui sont, par définition, dangereux. Avez-vous la certitude que vos sondages reflètent la vérité ? Je ne veux pas dire qu'ils sont faux, mais est-ce vraiment une base scientifique sur laquelle on peut se fonder, car ce ne sont toujours que des témoignages humains.
Il est intéressant de voir qu'il existe un certain degré de contrôle sur cette industrie, au niveau de sa production de produits dangereux, mais qu'ensuite, la distribution en est quasiment libre. C'est vrai qu'il y a une notice d'explication et un effort de formation des utilisateurs. Je ne mets pas en doute les propos de M. Chalandon. Toutefois, quel contrôle est exercé ensuite sur les utilisateurs qui manipulent ces produits dont la dispersion doit être adaptée selon l'endroit et divers autres critères ?
Si on compare cette industrie à d'autres industries dangereuses, telles que le nucléaire, vous avez soit les fabricants de matière première, soit les producteurs d'électricité nucléaire. Ensuite, jusqu'au traitement des déchets, se déroule une chaîne extrêmement contrôlée à tous les échelons. Même avec une industrie aussi contrôlée d'un bout à l'autre de la chaîne, on encourt des risques.
En revanche, les industries chimiques et phytosanitaires fabriquent des produits dangereux, qui entrent directement dans le domaine public et la distribution. Pour s'assurer que ces produits sont convenablement utilisés, on s'appuie sur des sondages pour indiquer que, finalement, on suppose qu'ils sont sous-utilisés ou bien utilisés.
Sans vouloir faire le procès des industriels ou des agriculteurs, je note néanmoins un certain nombre de dérapages et de problèmes dont je ne suis pas certain que nous soyons correctement outillés pour les gérer. Je m'interroge sur la façon la plus efficace possible pour les gérer, le type d'agence qu'il conviendrait pour s'assurer de la formation des utilisateurs. Quand on distribue des armes de chasse, on s'assure que les chasseurs ont au moins le permis de chasse. C'est un exemple basique.
Par ailleurs, les produits que vous fabriquez sont également utilisables dans un certain nombre de pays pour fabriquer non pas seulement des pesticides, mais aussi des armes de guerre. C'est la même molécule au départ.
J'aimerais entendre vos réflexions sur toutes ces questions car cela conditionne l'avenir de nos industries et celui du marché.
M. François GUILLAUME : Je serai quelque peu plus pratico-pratique. Il me semble qu'il a manqué dans les interventions, ce qui pourrait être éventuellement rattrapé par un document ultérieur, un plaidoyer sur la nécessité de l'utilisation des produits phytosanitaires dans ses trois déclinaisons - herbicides, insecticides et anticryptogamiques - pour démontrer où nous en serions aujourd'hui sans ceux-ci.
Je prends pour exemple la vigne. Bien avant l'arrivée des grandes industries, la vigne était traitée contre le mildiou. Le vigneron savait parfaitement que, dans l'année, compte tenu des variations des conditions climatiques d'une année à l'autre, si une dizaine de traitements était nécessaire et qu'il n'en faisait que neuf, il perdait tout. C'est un point important.
J'aurais souhaité que l'on nous parle des produits de lutte biologique que certaines de vos entreprises développent. Dans l'opinion publique, on donne parfois l'impression que l'on pourrait substituer à des produits chimiques, la lutte biologique. Il faut éclairer les consommateurs français sur ce point.
Le domaine de la formation a largement été évoqué. Au début des années 50, les premiers balbutiements vinrent de l'utilisation de produits toxiques. On avait d'ailleurs déjà souligné, bien avant les années 50, les méfaits du D.D.T. On remploie aujourd'hui un certain nombre de produits qu'on estime potentiellement dangereux, notamment le lindane. C'est d'autant plus vrai que les agriculteurs n'avaient alors aucune formation adéquate car c'était un produit nouveau. De plus, on ne disposait pas des matériels aussi sophistiqués qu'aujourd'hui, capables de bien répartir le produit sur l'ensemble des surfaces traitées.
Aujourd'hui, tout cela a changé et la formation est, me semble-t-il, relativement satisfaisante. A cet égard, j'aimerais que vous fassiez la distinction entre les agriculteurs et les non-agriculteurs. Vous avez indiqué que la formation passe bien auprès des agriculteurs, mais les problèmes essentiels viennent peut-être des produits utilisés par les non-agriculteurs, ceux qui détiennent des jardins et qui ont tendance à considérer que plus on met de produit, plus c'est efficace. Il ne faut pas non plus oublier les grands services tels que la S.N.C.F. ou l'Equipement, dont les traitements sur les fossés vont directement, par les divers émissaires, jusqu'à la rivière.
Vous pourriez peut-être apporter des réponses quant à l'importance des quantités de produits utilisés tant par ces administrations que par ces petits producteurs, jardiniers et autres. Aujourd'hui, on procède à des traitements à partir de bas volumes, c'est-à-dire de quantités de produits nettement moins importantes, mieux utilisables et plus efficaces parce qu'utilisés dans des conditions optimales d'hygrométrie, de température. Un agriculteur ne traite qu'une heure dans la journée parce que c'est l'heure optimale. Ce sont des éléments à rappeler, sinon nous avons le sentiment que tant les agriculteurs que les industriels sont des empoisonneurs publics.
C'est le coût qui motive la bonne utilisation par les agriculteurs. Plus le produit est efficace, à partir de doses faibles naturellement, moins le coût à l'hectare est élevé. En dehors du sens de la responsabilité des agriculteurs, il me semble que le coût est un facteur déterminant.
M'adressant plus particulièrement au représentant de la firme Bayer, j'aimerais que vous nous parliez du Gaucho dont on a beaucoup entendu parler. Chacun sait que le Gaucho est accusé de priver les abeilles de leur sens de l'orientation. En fait, aujourd'hui, ce reproche est très contesté. A titre personnel, plusieurs années successives, des apiculteurs sont venus installer, dans des champs de tournesols traités au Gaucho, des ruches dont les abeilles se sont alimentées en pollen au plus près, ce sans jamais aucun problème.
Il est important de faire le point de la situation sur le Gaucho. S'agissant des O.G.M., on a beaucoup parlé du danger de diffusion par la pollinisation. Qu'en est-il ? Il serait intéressant de connaître le point de vue de chacun autour de cette table.
Je conclurai par un v_u qui s'adresse plus particulièrement à notre commission d'enquête. Il serait profitable que les taxes, qui vont être appliquées sur l'utilisation des produits phytosanitaires, reviennent directement aux actions de formation afin de permettre aux agriculteurs et à l'ensemble des utilisateurs de mieux utiliser les produits. Ainsi, la taxe aurait-elle un effet qui ne serait pas uniquement de sanction, mais également positif.
M. Germain GENGENWIN : En premier lieu, je voudrais adresser mes compliments à l'industrie chimique. Chacun sait que le monde serait en famine depuis longtemps, sans l'industrie chimique et ses produits de traitement, ses engrais. Il faut le reconnaître en toute objectivité et lucidité. Par ailleurs, lors des vingt dernières années, il y a eu un progrès considérable au niveau des produits, sans oublier la technologie, les pulvérisateurs et la formation des agriculteurs. Le chemin parcouru en vingt ans est considérable. Par ailleurs, au niveau de la sécurité des traitements, de grands progrès ont été faits.
Ceci pour être beaucoup plus critique et percutant dans l'autre domaine, celui des produits ménagers. Quand je vois chez moi le nombre de produits disponibles, qui vont des produits pour la vaisselle, le linge en passant par les casseroles et autres, tous ces produits rentrent, en période sèche, dans les stations d'épuration. A-t-on mené des études sur ce point ? Etes-vous autant contrôlés sur les produits ménagers que sur les produits de traitement ?
S'agissant des O.G.M., l'opinion publique a l'impression, avant vos arguments de recherche, que cela devient un combat entre les industries chimiques, producteurs de semences O.G.M., et les producteurs de semences traditionnelles. Il y a là véritablement un grand décalage. L'opinion est méfiante. Pour une dose hectare de semences de maïs, quel sera le coût des semences O.G.M. par rapport à celui des semences traditionnelles ? Y a-t-il une forte augmentation ? L'enjeu est un pouvoir énorme au niveau de la production de semences, car il sera concentré entre les mains de celui ou de ceux d'entre vous qui sortira vainqueur de ce combat de géants.
M. Joseph PARRENIN : Nous partageons, bien évidemment, les propos de M. Gengenwin quant à l'apport de la chimie. Toutefois, nous devons considérer aujourd'hui que les consommateurs sont inquiets et que l'on ne peut rester sans apporter un certain nombre de réponses scientifiques au problème posé.
Je voudrais aborder deux sujets et ne pas mettre en accusation que le monde agricole. Quelle est la proportion de produits phytosanitaires utilisés par l'agriculture et par les non-agriculteurs ? L'Equipement et la S.N.C.F. ont été évoqués, mais il y a également toutes les collectivités locales. Même si vous n'êtes pas en mesure de nous communiquer ces données aujourd'hui, j'aimerais que l'information apparaisse, de façon précise, dans le rapport.
Alors que, depuis un siècle, on utilise des engrais et des produits phytosanitaires sans en avoir établi un suivi, pourriez-vous nous dire quels sont les suivis agronomiques, menés depuis vingt ou trente ans, des apports d'engrais et de phytosanitaires ? De tels suivis sont faits sur l'épandage des boues d'épuration, mais à ma connaissance, je n'ai jamais vu de suivi agronomique précis, mené sur les sols de la Beauce ou en Bretagne.
M. le Président : Qui veut apporter sa contribution pour nous éclairer sur toutes ces questions ?
M. MORIN : Je provoquerai certainement un intermède en parlant d'O.G.M., qui est l'autre versant de vos travaux aujourd'hui. Je commencerai par la question de M. Chevallier, sur l'erreur monumentale de départ et ce qui la caractérise.
Cela figure d'ailleurs sur la première page de la présentation de vos travaux, lorsque les biotechnologies et les O.G.M., en l'occurrence les plantes génétiquement modifiées, arrivent en bout de liste, après le recours aux hormones et la corrélation avec le cancer, les farines animales de qualité douteuse dont on connaît les conséquences, l'E.S.B., la peste porcine, les listeria, salmonelles et autres problèmes d'intoxication, le poulet à la dioxine et l'affaire Coca Cola.
Il est certain que de voir figurer, en première page de vos objectifs, ces sciences et ces produits montre bien un problème de perception et l'échec de présentation de ces produits au public, ou la grande difficulté qu'il y a à faire comprendre aux consommateurs la nature même de ces produits.
J'essaierai, le plus brièvement possible, de répondre à l'ensemble des questions posées. Tout d'abord, que dire de l'erreur monumentale ? Une semence, uniquement au plan biologique, représente une dizaine d'années de recherche et de développement. En y ajoutant une pincée de science, comme pour les O.G.M., environ quinze à vingt ans ont alors été nécessaires pour arriver à un premier produit concret à proposer aux agriculteurs.
Ce concept est né peu après le premier choc pétrolier, dans les années 70, où l'on a voulu se doter, alors que le pétrole vert était la grande idée et l'agriculture quasiment la seule activité qui rapportait des devises à l'exportation, d'une agriculture plus économe de ses moyens de production, aussi productive sinon plus car il y avait cette responsabilité de nourrir mais aussi d'exporter, enfin plus respectueuse de l'environnement. Ce concept, tant pour les produits phytosanitaires que les travaux de recherche en génétique - le germe blaste des plantes - a consisté à trouver des alternatives de plus en plus efficaces, avec de moins en moins d'impact sur l'environnement, et contribuant de plus en plus à la qualité finale des produits.
Les O.G.M., avec l'aide de la transgénèse, ont participé à cet effort, c'est-à-dire offrir une alternative aux agriculteurs, à des solutions existantes qui n'ont cessé de s'améliorer. En vertu des objectifs précédents tels que l'efficacité, le minimum d'impacts négatifs sur l'environnement et la non-altération de la qualité du produit, il semblait que les O.G.M. étaient de nature à répondre à cette qualité, en particulier le maïs anti-pyrale.
Pourquoi ce premier produit a-t-il été un maïs anti-pyrale ? Tout d'abord, parce qu'il existe un véritable besoin, tant en France que dans les autres pays producteurs de maïs. La pyrale est un parasite qui prélève sur les récoltes, encore aujourd'hui, une grande quantité de grains de maïs. Par ailleurs, en matière scientifique, c'était aussi la plante la plus simple car on connaissait le producteur de la protéine en question, c'est-à-dire le gène se situant dans cette bactérie Bacillus turagensis.
Le produit était utilisé avec succès par l'agriculture biologique, dans de grandes quantités, ou par les eaux et forêts. Il suffit de faire une photocopie de ce gène et de l'introduire dans la plante, pour qu'elle autofabrique sa protéine et s'autoprotège contre le parasite. Nous avions là un gène, une protéine et un effet positif de contrôle d'un parasite dans la culture.
Tous ces éléments nous conduisent à nous interroger sur l'échec de ce produit. En effet, ce premier produit, tout en étant une avancée technologique considérable, mais ne correspondant en rien à une demande du public, en tout cas apparente, est pourtant typiquement agronomique. Il satisfait un besoin de protection d'une culture tout en apportant, à l'agriculteur, des avantages non négligeables. La pyrale est difficile à détruire parce que cachée dans les tiges des plantes. Avec une autoprotection, on protège la plante sans discontinuer, quel que soit le temps, même si la plante est trop haute pour intervenir.
Ces avantages collatéraux ne sont pas minces non plus. Au niveau de l'industrie de transformation, on améliore la qualité sanitaire de la matière première maïs. Je n'évoquerai ici qu'une baisse de présence des mycotoxines dues au fusarium.
Au plan économique, une question a été posée quant au coût. On ne peut donner une réponse générale, car il faut prendre solution par solution, produit par produit, cas par cas, ainsi qu'on le dit en matière d'O.G.M. En l'occurrence, ce maïs ne revient pas plus cher que la semence de maïs traditionnelle, plus le traitement insecticide et l'application des traitements par un entrepreneur. Pour l'agriculteur, cela se traduit par un avantage économique car il a moins de dépenses de main d'_uvre, d'énergie, de machinisme et surtout un accroissement de la productivité de cette même parcelle de maïs puisqu'il y dégagera quelques quintaux supplémentaires.
Ces éléments d'agronomie, de plus de protection et de qualité économiques pour l'agriculteur sont peu évocateurs pour un consommateur essentiellement citadin, loin de son agriculture. Les O.G.M. et les phytosanitaires ont certainement un problème de perception. Il faudrait transporter les villes à la campagne pour que le citoyen consommateur constate le sérieux avec lequel les agriculteurs travaillent et maîtrisent certaines données non maîtrisables telles que le temps, le froid, la chaleur, les sols, même si des progrès restent à faire quant à leur formation et au respect des règles.
M. le Rapporteur : Monsieur Morin, vous avez fait l'impasse sur l'ampicilline.
M. MORIN : J'y viens. Le gène en question est entouré de deux autres gènes marqueurs. Ce concept est né au début des années 80. A cette époque, nous avons été amenés à mettre les premiers produits à l'inscription. Or, les deux gènes qui s'expriment dans la plante, c'est-à-dire le gène B.T. Bacillus turagensis ou le gène marqueur à l'herbicide, sont issus de bactéries présentes dans le sol, bactéries que nous sommes amenés à consommer par le biais des produits frais et verts et dont les protéines se comportent exactement comme des protéines alimentaires. Il n'y a aucune différence notable au niveau de leur ingestion, tant sous forme de bactérie soit dans la salade, par exemple, soit dans l'ingrédient alimentaire. Si on les ingère sous forme d'ingrédients directement, il n'y a aucune différence avec des protéines alimentaires.
Le gène ampicilline fut ce gène utilisé, tout à fait en amont de la transformation génétique, pour sélectionner les bactéries, vecteurs de la construction génétique dans le c_ur de la cellule qui serait bombardée avec les fameuses microbilles et l'A.D.N. modifié. Ce gène sert à sélectionner les bactéries porteuses de la construction génétique de celles qui ne le sont pas. C'est un travail long, difficile et aléatoire. Il faut choisir correctement le matériel en question.
Si on se projette quinze ou vingt ans en arrière, le gène Bla, ce fameux bétalactamase, est l'auxiliaire de laboratoire par excellence de tous les laboratoires. C'est un produit couramment utilisé, qui a été examiné sous toutes ses coutures. Plus de 27 000 publications scientifiques sont disponibles et traitent de ce gène, de sa protéine, des effets de cette protéine. Le caractère de ce gène, dans le maïs, a un atout supplémentaire. Il ne produit pas de protéine, ni de bétalactamase et n'est donc pas actif dans le génome du maïs.
Ce gène peut-il s'échapper du génome du maïs et se transférer à des bactéries de l'appareil digestif des animaux, voire des humains ? La réponse est bien entendue, car le scientifique se refuse à émettre un avis catégorique et définitif. Toutefois, la possibilité que cela se produise est d'une chance sur quarante milliards. La statistique est très faible et la probabilité encore plus. Si ce gène s'échappait et récupérait sa capacité à produire de la bétalactamase, sa protéine de résistance aux antibiotiques, il arriverait dans un milieu naturel, que ce soit au niveau des hommes ou des animaux consommateurs de ces plantes, où ce type de résistance est déjà largement développé. Il ne changerait strictement rien à la situation sanitaire dans laquelle on se trouve aujourd'hui, avec ou sans ce maïs génétiquement modifié.
Je vous concède que ce gène est effectivement, sur le plan médiatique, arrivé à une erreur monumentale de perception, mais sur le plan scientifique et de l'innocuité, tant vis-à-vis des hommes que des animaux, depuis environ une trentaine d'années, ces trois gènes et ces trois protéines -sauf pour le maïs car il n'y a pas de protéine bétalactamase - sont considérés comme tout à fait sûrs et sans impact sur la santé des hommes ou des animaux.
En ce qui concerne le coût plus élevé de la filière, on a vu que l'utilisation d'un maïs transgénique ne reviendrait pas plus cher qu'un maïs classique qu'il faudra protéger contre la pyrale, voire la sésamie. Ce maïs s'adresse, comme toute solution agronomique destinée aux agriculteurs, à des agriculteurs qui ont un problème à résoudre.
Ils savent qu'ils ont de la pyrale et observent leurs parcelles. Ils sont au fait que les conditions météorologiques sont plus ou moins favorables au développement du parasite, qu'ils ont fait tous les travaux d'hiver pour broyer les pailles et enfouir les déchets. Toutefois peut-être restera-t-il un petit coin de parcelle où les larves auront hiverné, et le printemps venu, les papillons iront pondre sur les feuilles.
L'utilisation d'un tel produit a un impact économique sur le revenu brut de l'agriculteur et, a priori, les O.G.M. ne sont pas synonymes de renchérissement de la conduite de la culture du maïs. Au contraire, ils participent à la productivité et à la qualité des produits, et devraient avoir un impact économique sur la fourniture de ces matières premières.
A cet égard, je citerai deux chiffres. En 1993, première réforme de la P.A.C., le prix nominal du maïs était, me semble-t-il, de 121 francs le quintal. C'est ce qui était payé à l'agriculteur, indépendamment des subventions et autres apports. Fin 1998, sur les premières livraisons faites par les agriculteurs dans les campagnes, le prix se situait entre 65 et 70 francs le quintal, toujours indépendamment des aides. L'agriculture française a su supporter ce gain considérable de productivité, tout en maintenant sa capacité à produire des produits de qualité.
Je ne suis pas certain du tout que les O.G.M. soient plus chers. En effet, objectivement, si l'on se réfère au cas de la France aujourd'hui, avec ses deux cents hectares de culture de maïs génétiquement modifié pour s'autoprotéger contre la pyrale, la filière O.G.M. coûtera certainement plus cher. On sera bientôt obligé de faire la récolte à la main et ainsi de suite. L'absence d'industrialisation de cette filière la renchérira, mais l'impact économique et l'utilisation de ces produits demeureraient.
En matière de renchérissement de filière quelle qu'elle soit, dans le cadre de produits avec ou sans O.G.M., si une filière doit répondre à des demandes très précises de ses clients, avec un bénéfice largement perçu et des avantages qualitatifs, économiques, de goût, de présentation ou de couleur, le consommateur, à l'autre extrémité de la chaîne par rapport aux semenciers et à l'industrie phytosanitaire, est à des années lumière des fournisseurs de l'agriculture que nous sommes. Le fait que le consommateur perçoive ou non l'avantage gustatif, qualitatif et de coût dépend de bien d'autres intermédiaires que celui que nous sommes, entre la recherche scientifique et l'agriculteur.
Si une filière a quelque chose à apporter ou à vendre, si des clients s'arrachent les produits en question, elle se valorisera et fera de la valeur ajoutée jusqu'à ce que la concurrence régule la situation. On reviendra alors à la case départ et chacun se retrouvera dos à dos pour mieux négocier les achats qu'il fera à ses fournisseurs.
Il s'agit de répondre aux besoins et à des attentes qui peuvent être concrètes, d'ordre psychologique ou sociologique. Dès lors que nous saurons y répondre, les produits prendront naturellement la valeur pour laquelle ils auront été fabriqués.
La France d'aujourd'hui est-elle O.G.M. ou pas ? En 1998, dans le cadre d'essais expérimentaux recherche et culture économique, 1 600 hectares ont été cultivés auxquels s'ajoutent les expérimentations de la recherche et développement, soit environ 2 000 hectares sur trois millions d'hectares de maïs. En 1999, comme les sociétés qui proposaient ces produits ont perçu la morosité du climat et du marché à l'égard de leurs produits, cela s'est borné à deux cents hectares, soit environ 10 % de l'année précédente, toujours sur trois millions d'hectares de maïs. C'est aujourd'hui tout à fait dérisoire.
Je ne me prononcerai pas sur les phytosanitaires, mais en fonction des demandes, des attentes à satisfaire et de la commande que passeront les agriculteurs, les organismes stockeurs, les premiers transformateurs ou l'agro-industrie, cette science et ces technologies peuvent tout à fait s'adresser à la globalité, en tout état de cause à l'agriculture qui répondra à ses besoins tant industriels alimentaires qu'industriels et à d'autres activités comme la fourniture de molécules pharmaceutiques ou la réhabilitation de sols. Les champs d'application de ces technologies ne se déterminent pas en termes de conquête d'un territoire, mais de réponses à des besoins, aujourd'hui difficiles à satisfaire avec les savoir-faire et les technologies du moment.
Qu'allons-nous manger dans quinze ans ? En premier lieu, on doit répondre à des besoins. On constate aujourd'hui l'expression d'un grand attachement, à la fois culturel et gustatif, de nos concitoyens à des produits de qualité, qui sentent et représentent quelque chose culturellement. Je ne suis pas trop inquiet, encore moins quand je sais que les matières premières, issues de l'agriculture d'aujourd'hui - celle qu'on a tendance à mettre en accusation - sont déjà d'un standard qualitatif extrêmement élevé. Il n'y a aucune raison qu'en améliorant sans cesse les apports à l'agriculture, on dégrade la qualité de ses produits. Les aliments de demain seront ce que les citoyens, en particulier les consommateurs, voudront qu'ils soient.
M. le Président : Je vous remercie. M. Macklin souhaitait réagir aux questions posées, puis M. Rollin.
M. Jeremy MACKLIN : J'aimerais reprendre les propos de M. Morin, tout en tentant de soulever les doutes qui subsistent dans l'esprit de M. le Rapporteur, vis-à-vis des tomates.
La question qui se posait tout à l'heure était de savoir pourquoi les produits naturels pourraient coûter plus cher. A l'inverse, pourquoi les produits issus de la biotechnologie pourraient-ils coûter moins cher ? Prenons le cas de la tomate. Ce gène existe déjà dans la plante. En le transférant au sein du même plant de tomates, on a compris que l'on pourrait retarder le mûrissement des tomates. Ainsi, l'agriculteur utilisera moins d'eau d'irrigation, soit un bénéfice pour l'environnement et l'agriculteur.
Ensuite, le transformateur traitait les tomates moins longtemps dans l'usine de transformation. La purée de tomates obtenue était d'une consistance plus solide avec un goût plus intègre et plus fidèle à celui de la tomate. Le consommateur y gagne un produit qui coûte moins cher, avec un goût plus intéressant. C'est donc une complète réussite pour l'ensemble de la filière.
Pour reprendre la question de M. Lellouche - quelle vision de l'avenir - avec les O.G.M., nous pourrons répondre aux besoins et attentes du consommateur et de l'ensemble des acteurs de la filière.
M. François ROLLIN : Je voudrais apporter quelques compléments d'information par rapport aux remarques de MM. Guillaume et Lellouche, concernant la mise sur le marché de produits génétiquement modifiés et l'accompagnement prévu par la loi, lorsque ces produits sont sur le marché.
S'agissant de l'autorisation de mise sur le marché, au niveau des plantes génétiques modifiées, je ne rentrerai pas dans le détail de la réglementation qui est particulièrement complexe. Je voudrais simplement mentionner que quatre règlements régissent la mise sur le marché au niveau européen :
- Les règlements régissant l'autorisation de mise sur le marché du produit phytosanitaire.
- La directive 90-220 régissant la transformation génétique que l'on va apporter à la plante et qui est une évaluation du risque lié à cette transformation.
- L'étude d'alimentarité ou de substance équivalente entre le produit génétiquement modifié et la plante non modifiée qui sera prise à titre de comparaison.
- L'homologation de la plante qui sera porteuse de la modification génétique.
- L'autre élément important est que les firmes elles-mêmes mènent une grande partie des études pour constituer ces dossiers. Beaucoup d'études scientifiques sont réalisées par la recherche publique. M. Guillaume a fait allusion tout à l'heure à des études de pollinisation entre des plantes génétiquement modifiées et des plantes non génétiquement modifiées ou des adventifs qui pourraient être fécondés par ces plantes.
- Une structure, l'I.C.F.A.*, créée sur l'initiative de la commission de génie biomoléculaire, regroupe les expertises de chercheurs de l'I.N.R.A. et de différents instituts techniques pour les céréales, le maïs, les oléagineux et la betterave. Ils étudient ces flux de gènes et commenceront à publier les résultats de quatre années d'étude sur ces flux de pollens.
S'agissant de l'accompagnement sur le marché, la loi d'orientation agricole a entériné la création d'un comité de biovigilance, composé d'experts sous tutelle des ministères de l'Environnement et de l'Agriculture. Ces experts sont là pour étudier les risques potentiels liés à la mise sur le marché de ces plantes génétiquement modifiées. Par exemple, dans le cas du maïs transgénique, le comité de biovigilance s'est fixé trois domaines d'étude particuliers dont l'impact du marqueur antibiotique et l'apparition potentielle de résistance du fait de l'utilisation de ces produits. Cela a fait l'objet de comptes-rendus périodiques des travaux de ces différents experts.
Enfin, la loi d'orientation agricole a prévu de détacher des fonctionnaires du service de la protection des végétaux du ministère de l'Agriculture, pour opérer des contrôles inopinés sur le lieu même des exploitations afin d'observer comment ces produits allaient être utilisés. Cela est vrai tant pour les O.G.M. que pour les produits de la protection des plantes.
M. le Président : Monsieur Gengenwin a posé une question intéressante, que j'ai eu l'occasion de poser au cours des auditions précédentes. Un débat a toujours lieu entre les scientifiques sur le problème des O.G.M. et notre volonté n'est pas de l'arrêter. La question de M. Gengenwin était de savoir, à supposer qu'il n'y ait aucun problème sanitaire avec des O.G.M., si celui qui détiendra justement ces semences n'exercera pas un pouvoir considérable du point de vue de l'avenir de l'agriculture. Cela ne sera-t-il pas, sous une forme ou une autre, le pouvoir de l'arme alimentaire ? Cette question peut se poser en ces termes.
Autre question, posée par M. Lellouche, qui n'a pas eu de réponse. Au niveau des produits chimiques et phytosanitaires, qui fixe les doses ? Comment les choses sont-elles décidées à ce niveau ?
M. Jean-Pierre GUILLOU : Je peux apporter un élément de réponse que Mme Lebas pourra compléter. Pour ce qui concerne la fixation des doses maximum qui garantissent la sécurité pour le consommateur, ces limites sont fixées dans le cadre de la procédure d'homologation des produits phytosanitaires. Ce sont des experts qui appartiennent à une commission dite commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires, qui fixent ces limites. Cette commission, sous tutelle du ministère de l'Agriculture bien que commission interministérielle, compte entre cinquante et soixante membres experts médecins, analystes, toxicologues. Y participent également le ministère de l'Environnement, de l'Industrie, de la Santé et de l'Agriculture. Ce sont ces experts qui fixent les limites à partir des éléments fournis dans les dossiers d'homologation.
Mme Marie-Cécile LEBAS : En complément des propos de M. Guillou, il faut rappeler que ces produits sont mis sur le marché avec des autorisations préalables qui ne sont pas définitives. Les produits autorisés font régulièrement l'objet de révisions et d'évaluation sur la base des exigences nouvelles et l'évolution de ces exigences. Le cadre réglementaire suit précisément l'évolution des connaissances scientifiques.
A ce titre, en France, un produit est autorisé au maximum pour dix ans. De plus, dans le cadre de la Communauté, un grand programme de révision communautaire des substances se fait sur la base d'une harmonisation de ce système d'évaluation, partagé par l'ensemble des Etats membres de la Communauté. C'est un élément très important à garder présent à l'esprit qu'en fait, tout produit peut être remis en cause à tout moment si des effets néfastes étaient constatés.
J'apporterai une petite précision en ce qui concerne les plans de surveillance, évoqués par M. Rollin. Les plans de surveillance sont menés régulièrement par les pouvoirs publics. Cela porte, par exemple, sur les analyses d'eau potable, mais également sur des aliments qui sont surveillés. Si des dépassements de limite maximale de résidus sont constatés, c'est l'occasion de revoir les pratiques agricoles et, à ce titre, les doses préconisées, les doses d'autorisation de vente, peuvent être revues ainsi que les usages. Il peut y avoir modification ou restriction des usages, modification de ces pratiques, augmentation du délai avant récolte. Tout cela permet de mettre en _uvre une gestion du risque.
M. le Rapporteur : Avez-vous connaissance du rythme actuel de demandes d'autorisations de mise sur le marché ?
Mme Marie-Cécile LEBAS : Nous avons des dates précises, c'est-à-dire que les demandes ne peuvent être déposées à n'importe quel moment. En fait, le comité d'homologation, qui reçoit ces demandes, se réunit cinq fois dans l'année au maximum. De ce fait, nous pouvons effectuer nos demandes cinq fois dans l'année.
M. le Rapporteur : Actuellement, le bureau ad hoc est-il submergé de demandes ? Quel est le rythme de production d'autorisations au niveau des entreprises que vous représentez ?
Mme Marie-Cécile LEBAS : Il est très variable. Pour un nouveau produit, on ne peut dire qu'il y en a beaucoup. En revanche, il y a énormément de démarches pour des modifications de doses, d'usage - des extensions d'usage - ou de pratiques agricoles.
M. Jean-Pierre GUILLOU : Pour répondre à la question de M. le Rapporteur, s'agissant du rythme de demandes d'homologation, il faut distinguer les extensions d'emploi de produits déjà utilisés et les molécules nouvelles, donc de nouveaux produits qui apparaissent sur le marché. Aujourd'hui, on peut considérer, bon an mal an, qu'entre huit et douze molécules nouvelles apparaissent tous les ans sur le marché français et européen.
En ce qui concerne le nombre de formulations autorisées, puisque l'autorisation de vente n'est pas accordée à une molécule mais à une formulation autorisable par l'agriculture, on peut considérer que, chaque année, entre cent et deux cents nouvelles formulations apparaissent, sous réserve de confirmation, car je n'ai pas les chiffres précis en tête.
M. le Président : Si vous aviez des éléments plus précis à nous communiquer, il serait intéressant de nous les faire parvenir par écrit. L'intérêt est de susciter des questions auxquelles on n'a pas forcément les réponses aujourd'hui et auxquelles on peut apporter des éléments de réponse par écrit.
M. Alain CHALANDON : Les technologies mises en _uvre ont pour but d'améliorer la santé environnementale et la santé publique. Elles répondent à un grand nombre de problèmes, d'où la difficulté rencontrée par la commission des toxiques qui a, d'ailleurs, reçu des allocations de ressources plus importantes, ces dernières années, pour répondre à ces demandes.
En France, nous ne sommes pas sous-équipés par rapport au niveau européen. La législation française et européenne est de grande qualité et elle est probablement équivalente à celle des Etats-Unis. La législation française ne réserve pas un plus mauvais traitement à nos concitoyens, puisqu'elle correspond à la législation européenne et qu'elle prévoit des garanties importantes.
M. Pierre LELLOUCHE : Sur ce point, j'ai entendu M. Guillou parler de la commission d'homologation. Comment cela cadre-t-il avec les commissions européennes ? L'autorisation donnée en France est-elle valable dans les autres pays ? Un produit validé en Europe est-il automatiquement validé en France ?
M. Jean-Pierre GUILLOU : La procédure d'homologation, depuis juillet 1991, date de promulgation de la directive, fonctionne schématiquement de la façon suivante. Les Etats membres préparent les dossiers sur des matières actives et ce sont des commissions communautaires qui statuent sur la matière active. Mais, lorsque la matière active est passée par les instances communautaires, l'autorisation de la matière active est rétrocédée aux Etats membres qui, eux, travaillent sur les formulations.
Il y a donc une homologation communautaire pour les matières actives et une homologation nationale pour les formulations. Ceci est tout à fait compréhensible car l'agriculture du Danemark n'est pas la même que celle de l'Italie ou de l'Espagne. Les formulations doivent être parfaitement adaptées à l'agriculture locale, même si le principe actif est le même dans les différents pays.
M. François GUILLAUME : Sans vouloir donner à M. Chalandon une leçon d'agriculture, je pourrais simplement lui dire qu'il ne suffit pas pour détruire toutes les plantes adventives dans un champ de blé, de maïs ou de colza, d'avoir un produit distinct pour chacun d'entre eux. Cela ne se passe pas ainsi.
Il existe un certain nombre de plantes adventives dominantes et aucun produit qui détruise toutes les plantes adventives dans la culture en question. L'agriculteur devra donc choisir son produit en fonction des risques d'apparition de telle ou telle mauvaise herbe sur son terrain. C'est pourquoi il y a une grande variété de produits.
M. Pierre LELLOUCHE : Je suis ravi de l'intervention de mon collègue, mais ce n'était pas le sujet de ma question. Par exemple, Novartis invente une molécule. Comment se passe l'homologation du produit ? Allez-vous à la Commission de Bruxelles ou dans le pays où vous travaillez et comment déclinez-vous ensuite les autorisations ?
M. François GUILLAUME : Cela a déjà été expliqué.
Mme Marie-Cécile LEBAS : Un préalable, qui porte sur la substance active, doit se faire au niveau de Bruxelles. Dès lors que la substance active a fait l'objet d'une consultation intensive auprès des quinze Etats membres, au travers d'une directive, elle peut être inscrite sur une liste positive. Une fois cette substance acceptée au niveau communautaire, elle peut faire l'objet d'un examen national dans tous les Etats de la communauté européenne, mais bien évidemment d'un examen d'évaluation des risques et de ses performances agronomiques. Ceci se fait au niveau national, parce que les conditions d'emploi, épidémiologiques et agronomiques, sont différentes d'un Etat à l'autre. Par exemple, dans le cas de la Finlande et de la Grèce, il ne s'agit pas du tout des mêmes parasites, voire des mêmes plants dans certains cas. On peut avoir du coton en Grèce que vous n'aurez pas en Finlande ou en Suède.
M. le Président : Merci, Madame. M. Aschiéri, Mme Denise et M. Angot vont maintenant vous poser leurs questions.
M. André ASCHIERI : Si on peut affirmer, avec certitude, que l'industrie en général a nettement diminué les pollutions qu'elle occasionnait par le passé, car un effort a vraiment était fait dans le domaine des rejets dans l'atmosphère ou dans le milieu naturel par l'eau, le problème qui nous préoccupe est la transmission de certains produits que l'on va retrouver dans les aliments, l'eau ou l'atmosphère. C'est dans ce domaine que nous sommes très inquiets.
Une étude de toxicité immédiate doit être faite, mais la grande difficulté est de connaître véritablement les doses dangereuses qui se trouveront dans l'eau, l'atmosphère et les aliments, de connaître la liaison avec le temps d'exposition ou d'utilisation et de savoir dans certains cas -mais c'est encore plus difficile - les synergies qu'il peut y avoir entre plusieurs produits, qui non seulement ne s'ajoutent pas mais se multiplient dans ce cas.
C'est un sujet très important. Le travail effectué pour un produit qui, tôt ou tard, se retrouvera dans notre corps, soit les poumons ou les intestins, est-il équivalent à celui effectué pour la recherche et les études de médicaments avant leur mise sur le marché, pour savoir s'il n'y a pas, à long terme, des effets néfastes ? Dans les produits chimiques, n'y a-t-il pas un problème sur ce plan ?
Si nous sommes là aujourd'hui, c'est parce que nous avons un problème sur l'alimentation, mais que vous retrouverez dans d'autres secteurs. Lorsque l'on écoute les industriels, tout est fait pour que cela marche bien. Mais, dans le même temps, on note une augmentation des cancers, des maladies lymphatiques, cardio-vasculaires, asthme ou autres, sans explication génétique ou utilisation abusive d'alcool ou de tabac. Par exemple, les cancers des enfants augmentent rapidement.
On sent très bien, dans les pays industrialisés, un changement et il faudrait savoir exactement d'où il provient. C'est dans notre intérêt à tous, en fait. Vous devez faire disparaître votre mauvaise image, en faisant en sorte, à partir de maintenant, de trouver la bonne solution pour étudier ces produits. L'étude que vous faites est-elle semblable à celle effectuée dans le cas de médicaments ? Est-elle menée par des experts totalement indépendants, car ils doivent l'être, des industriels ? Si tel n'est pas le cas et si des problèmes subsistent, notre préconisation serait une agence indépendante.
Mme Monique DENISE : Mesdames et messieurs, vous représentez l'ensemble de l'industrie chimique et phytosanitaire et avez présenté l'ensemble de vos activités, en précisant votre poids dans l'économie française et le nombre d'emplois que vous représentez.
Il existe actuellement dans l'économie, au niveau de l'opinion française, un souhait très largement répandu, celui de diminuer les pollutions, en particulier celles d'origine agricole. Le principe pollueur-payeur ayant été retenu, une nouvelle taxe a été créée portant sur les activités polluantes. Vous fabriquez des produits qui sont classés actuellement en sept catégories, de zéro - non taxé - à sept. 50 % de ces produits, utilisés par les agriculteurs, ne sont pas taxés.
Je m'intéressai plutôt aux 50 % restants. Ma question concerne votre méthode pédagogique pour aider les agriculteurs à choisir des produits de moins en moins polluants. Allez-vous orienter vos recherches vers des produits de plus en plus acceptables ? Comment allez-vous aider les agriculteurs à trouver des produits moins polluants qui actuellement se trouvent encore dans des catégories élevées ? Je pense notamment à un produit encore classé en catégorie trois et qui est le seul disponible pour lutter contre le mildiou de la pomme de terre ou de la vigne.
M. André ANGOT : Je connais mieux la filière animale que végétale, pour avoir longtemps été utilisateur et prescripteur de médicaments. Quand on utilise un médicament dans la filière animale, que ce soit un antibiotique, un antiparasitaire externe voire une substance hormonale, il y a des délais très stricts de respect de délai d'attente avant consommation de la viande, abattage de l'animal ou utilisation d'un produit comme le lait ou les _ufs. Des contrôles fréquents et importants sont faits, entraînant des sanctions sévères si l'agriculteur ne respecte pas ces délais d'attente, qui peut être passible du tribunal correctionnel.
Existe-t-il le même type de contrôle sur les produits végétaux ? L'agriculteur qui utilise un produit phytosanitaire trop proche de la récolte risque-t-il des sanctions pénales, dans le cas où l'on découvrirait des résidus importants dans les produits végétaux qu'il livre sur le marché ?
M. le Président : Des réponses vont nous être fournies successivement par M. Vincinaux, M. Guillou, M. Pelin et Mme Lebas.
(Projection de transparents.)
M. Claude VINCINAUX : Pour illustrer les différentes questions posées durant les dernières quinze minutes, je voudrais vous présenter ce tableau qui reprend l'évolution des dossiers d'homologation au cours des dernières années, voire des dernières décennies. Vous avez, par exemple, sur ce transparent la comparaison entre l'année 1985 et l'année 1993. Les différentes parties en bleu représentent tout ce qui concerne la chimie et la biologie, en vert tout ce qui concerne l'environnement et, en rouge, tout ce qui concerne la toxicologie. Il va sans dire que les exigences posées par les autorités ont été en évolution exponentielle et je dirais tant mieux.
Donc assurément, vis-à-vis de ces différentes catégories, nous avons de plus en plus de réponses aux questions posées. Par exemple, comme pour la filière animale, il y a des délais de carence. Lorsqu'une société fait le choix d'une dose, les autorités statuent également. Cela entre dans la partie biologique du dossier. Il y a là toute une étude entre la relation dose utilisée et les courbes de réponses, donc l'efficacité.
Mon propos concerne également la question posée par M. Guillaume sur l'état actuel du Gaucho dont on a beaucoup parlé en France, ces derniers mois. Permettez-moi tout d'abord de faire un bref rappel sur la situation d'il y a un an. La commission des toxiques avait signifié, après analyse de la situation, que, s'il n'y avait aucun élément pour accuser le Gaucho de la désorientation des abeilles, il n'y en avait pas non plus pour tout à fait l'exclure.
Dans ces mesures, un certain nombre des questions posées concernaient principalement deux aspects : l'aspect persistance dans le sol et l'apport d'études de métabolisme dans la culture du tournesol. Ceci vous montre, par rapport aux parties de la plante qui intéressent l'abeille, où l'on pouvait retrouver des traces de la substance active ou des métabolites.
Nous avons donc répondu à ces différentes questions. Nous avons introduit notre dossier de base au mois d'octobre dernier et j'ai le sentiment, qu'au niveau scientifique, nous avons répondu de façon positive à ces différentes questions.
Dans plusieurs pays voisins, des questions ont été posées à nos filiales respectives sur les problèmes, par exemple, des abeilles ou de la persistance dans le sol. Ils ont décidé de prolonger les homologations et ont donc considéré que nous avions répondu aux différentes questions posées.
M. Jean-Pierre GUILLOU : Je voudrais répondre aux questions de M. Lellouche, concernant la part de l'agriculture française qui est sans traitement phytosanitaire, ce qu'on appelle l'agriculture biologique. On peut considérer, sans avoir le chiffre précis en tête, que la surface de cette agriculture est de moins de 5 % de la surface agricole.
M. le Rapporteur : La proportion est de 0,75 %.
M. Jean-Pierre GUILLOU : En tout état de cause, c'est extrêmement faible. En matière de statistiques, M. Guillaume a posé la question, reprise par M. Parrenin, quant aux produits utilisés dans les jardins d'amateurs ou diverses structures, Equipement et S.C.N.F. Je n'ai pas là non plus le chiffre en tête. Nous tâcherons de vous le procurer.
Si j'en juge par le chiffre d'affaires réalisé par un autre syndicat professionnel, la Chambre syndicale de l'horticulture, qui traite de tous les produits utilisés notamment en jardins d'amateurs, et si on le compare à celui de l'U.I.P.P., on peut considérer qu'il y a environ 5 % de produits utilisés dans les jardins d'amateurs.
Je voudrais également répondre à la question de M. Aschiéri sur le temps d'exposition. Ce n'est qu'un élément de réponse. Je voudrais signaler que, dans le cours de la procédure d'homologation, non seulement le court terme ou le subchronique sont testés, mais également le chronique, puisque les animaux de laboratoire font l'objet d'études à long terme. Pour la souris et le rat, c'est deux ans, pour le lapin ou le chien, un an.
Ces durées d'études représentent la durée de vie de ces animaux et, avec l'extrapolation que l'on peut faire à l'homme avec les conditions de sécurité dont j'ai parlé tout à l'heure en début de présentation, les toxicologues considèrent que l'on couvre le risque long terme d'utilisation des produits. C'est un des éléments de réponse. Des toxicologues répondraient mieux que moi à cette question.
Je terminerai sur la question de M. Angot sur les délais, avant la consommation des produits. Les recommandations d'emploi, qui sont précisées lorsque le produit est homologué et mis sur le marché, comportent non seulement la dose d'utilisation, mais également ce que l'on appelle un délai avant récolte, délai incompressible qui doit être respecté entre le traitement et la récolte.
Les contrôles faits à ce propos peuvent conduire la direction de la répression des fraudes à effectuer des analyses. J'ai là son rapport de 1998, où l'on signale que les laboratoires ont effectué environ 80 000 analyses au cours de cette année 1998. Ces contrôles peuvent conduire à bloquer des productions. Cela va-t-il jusqu'à des sanctions pénales ? Je ne peux pas vous dire.
M. Jean PELIN : Je voudrais répondre à Mme Denise, MM. Lellouche et Aschiéri. Ce sont des questions qui concernent l'ensemble de l'industrie chimique. Je rappellerai tout d'abord qu'il y a cent mille substances chimiques sur le marché. L'industrie chimique a pris l'initiative de fournir les données et d'analyser les dangers inhérents aux 2 800 substances dont le volume de production (high production volume H.P.V.) est supérieur à mille tonnes. Cette analyse, objet d'une initiative internationale, sera transparente et les résultats seront disponibles sur Internet.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit en matière d'homologation, d'autorisation et de législation. Dix ministères en France sont concernés par les différentes procédures et autorisations liées aux produits chimiques. De plus, tout cela s'inscrit dans un cadre de conventions internationales.
Je voudrais aussi rappeler, et M. Aschiéri ne me démentira pas, qu'il est important de bien dissocier les phases d'analyse de dangers, d'analyse de risques et de gestion des risques. La confusion entre risque et danger est trop souvent à l'origine de nombreuses décisions qui sont en fait préjudiciables à l'environnement, lorsque l'on pense au moyen terme.
Je voudrais juste présenter notre position quant à la création, espérée par M. Lellouche et annoncée par M. Aschiéri, d'une agence que j'appellerai santé et environnement. Nous sommes favorables à la création de cette agence, dès lors que sa nature, son statut, ses missions et ses prérogatives sont clairement identifiés et qu'elle ne se superpose pas aux nombreux organismes qui aujourd'hui traitent de ces questions, tels que l'I.N.S.E.R.M., l'I.N.E.R.I.S., l'I.N.R.S. et autres. Soit cette agence les rassemble, soit elle reprend des structures existantes.
Nous sommes favorables à la création de cette agence, annoncée par le Premier ministre en juin 1999, dès lors qu'est clairement admise une séparation des fonctions évaluation des risques et gestion des risques et que les principes de prévention, de précaution et le principe pollueur-payeur sont clairement stipulés dans les missions principales de cette agence santé et environnement.
Le financement de cette agence sera effectué par la T.G.A.P. Celle-ci coûtera à l'industrie chimique, en année pleine, 2,9 milliards de francs. Je suppose que la T.G.A.P. version énergie a été mise en place ainsi que la version industries hautement technologiques. Notre industrie ne bénéficiera qu'à concurrence de 1,3 milliard de francs des allégements de charges.
L'objectif de ce mécanisme final, qui coûtera à l'industrie chimique, dont j'ai rappelé les grands équilibres macro-économiques, 2 milliards de francs, est clairement dévoyé. Cela a été évoqué pour les produits phytosanitaires, mais c'est également vrai pour les autres produits de la T.G.A.P. : son objectif est clairement le financement des 35 heures. Les principes d'affectation de cette fiscalité vont à l'encontre et de l'environnement et de l'emploi, en particulier en ce qui concerne l'industrie chimique. Le double dividende ne s'applique pas sur la T.G.A.P. pour notre secteur industriel.
M. le Président : C'est une opinion.
M. Jean PELIN : C'est une réalité que nous avons longuement exprimée à l'ensemble de vos collègues, y compris au Président.
M. le Président : Le sujet déjà été débattu à l'Assemblée nationale et le sera de nouveau. Néanmoins, c'est une réalité pour vous et une opinion pour d'autres. Nous sommes là pour en débattre.
M. le Rapporteur : Je suis content d'entendre que le surcoût sera supporté par l'industrie chimique et non pas par les utilisateurs.
M. Jean PELIN : C'est ce que l'on retrouve dans les différentes propositions de Mme Grzegrzulka et M. Aschiéri sur la création de l'agence santé et environnement. C'est un sujet de débat qui ne me semble pas pertinent ici.
M. le Président : Je suis d'accord, mais il a été évoqué. Tout est pertinent dès lors que l'on essaie d'aller au fond des choses.
M. Jean PELIN : Le financement de l'agence santé et environnement dépasse le cadre du...
M. le Président : C'est un sujet que vous avez abordé.
M. Jean PELIN : Tout à fait. Nous sommes favorables à la création de cette agence.
M. le Président : Le second problème qui fait débat ici et ailleurs est le problème de la T.G.A.P. Mais c'est une autre question.
M. Jean PELIN : En revanche, nous sommes très défavorables à la T.G.A.P. car nous considérons qu'elle ne répond pas à son objectif essentiel qui est le financement des actions pour l'environnement. Pour nous, elle aura des impacts défavorables sur l'emploi. C'est ce que nous avons expliqué à la puissance publique. Je l'ai moi-même dit au Président de l'Assemblée nationale il y a huit jours.
M. le Rapporteur : Ma remarque concernait la T.G.A.P. Je réitère ce que j'ai dit tout à l'heure, je suis heureux d'entendre, de votre part, que c'est vous qui allez payer cette T.G.A.P. et non pas les utilisateurs des produits que vous allez mettre sur le marché.
M. Jean PELIN : Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que, de toutes façons, la T.G.A.P. ne serait pas positive pour l'industrie chimique pour les raisons que j'ai schématiquement évoquées.
Un autre problème est posé par la T.G.A.P., celui du financement de l'agence santé et environnement. Je pense que M. Aschiéri comprendra que ce soit un sous-produit de la T.G.A.P. au sens large. Quant à la répercussion de la T.G.A.P. sur le consommateur, elle se produira, en particulier la T.G.A.P. sur les lessives. En fait, cela conduit à faire de la T.G.A.P. une T.V.A. déguisée, mais c'est un autre débat.
M. le Président : C'est un autre débat qui peut avoir lieu ici et qui aura lieu ailleurs. Le débat n'est pas clos en ce domaine.
M. André ASCHIERI : Si la T.G.A.P. avait permis de financer l'agence, y auriez-vous été favorable en ce cas ?
M. le Président : Ce sera probablement le cas.
M. Pierre CARASSUS : La réponse est oui.
M. Jean PELIN : Tout dépendra des prérogatives, du statut et des missions de cette agence. Soyons très clairs, notre position sur le principe de la création de l'agence est favorable. Quant à son financement, c'est un autre sujet.
M. le Président : Nous avions bien compris votre position sur ce point. Là où il y a débat, c'est sur l'interprétation que nous avions par rapport à la T.G.A.P. Le débat est ouvert sur ce point. J'ai cru comprendre qu'il pourrait être également ouvert sur d'autres aspects des choses.
Mme Marie-Cécile LEBAS : J'aimerais apporter une précision en ce qui concerne les évaluations de risques et faire le lien avec la notion de toxicologie, telle qu'on peut la concevoir dans le domaine animal, c'est-à-dire pour les médicaments vétérinaires, voire humains. Quand on parle des produits phytosanitaires, l'objectif des essais est de déterminer les organes cibles et avant tout, les doses sans effets.
Dans le domaine médical et vétérinaire, nous ne travaillons pas avec ces doses sans effets, mais à des doses thérapeutiques, ce qui amène une grande différence en termes de marges de sécurité. C'est un point que je voulais préciser, puisque effectivement les doses sont significativement différentes. Ces quelques transparents vont éclairer des questions posées.
(Projection de transparents.)
En ce qui concerne la toxicologie, l'objectif est de couvrir l'ensemble des risques et tout particulièrement des effets, qui sont conduits dans le cadre d'un laboratoire. Nous avons les études aiguës, les études à court terme et les études à long terme qui doivent être représentatives de la vie humaine, car ces effets et ces études portent bien évidemment sur l'expérimentation animale. Il n'est pas question, dans notre domaine, de faire une expérimentation sur des humains. Toute la problématique porte sur l'extrapolation animale à l'homme.
Le choix, dans le cadre des études à long terme, porte sur des espèces qui sont représentatives. Généralement, ce sont le rat et la souris qui sont retenus pour leur proximité de comportements et d'effets. Ceci est fondé sur des bases de données, issues de nombreuses études menées depuis des années. A ceci, s'ajoutent des études spécifiques qui portent sur la reproduction sur plusieurs générations, des études de mutagenèse in vitro et in vivo qui portent sur le patrimoine génétique ainsi que des études spécifiques permettant une vue d'ensemble sur des potentiels de neurotoxicité, d'immunotoxicité et en l'occurrence, d'absorption cutanée.
Tout ceci conduit à déterminer des doses sans effets sur l'animal le plus sensible et tout découlera de ces doses, par rapport à ce qui est conduit en termes thérapeutiques, avec des notions de pharmacodynamique. En ce qui concerne les résidus, les études sont conduites sur les plantes elles-mêmes, pour qu'elles soient représentatives des régions géographiques de production. Les études de transfert, qui font le lien entre le passage dans la chaîne alimentaire complète, nous servent de base pour déterminer ce que l'on appelle les limites maximales de résidus.
Ces limites maximales de résidus, qui ne sont pas des limites de danger mais des limites à valeur de normes réglementaires, partent de résultats d'essais effectués dans les conditions de bonnes pratiques agricoles. En fait, nous faisons le lien entre la toxicologie, les effets, la dose sans effets et ce que nous pouvons déterminer dans le cadre de cette pratique agricole, puisque, bien évidemment, un lien avec la dose doit être fait.
Pour fixer ces doses et ces limites, nous prenons les valeurs des pires cas que nous constatons dans la pratique agricole, à travers des analyses de résidus, que nous doublons et que nous affectons d'un coefficient de sécurité supplémentaire.
Cet ensemble de données nous permet de déterminer les effets. En toxicologie, il faut constater des effets, car sinon, nous ne pouvons déterminer les organes cibles et les études ne sont pas validées. Il y a donc un lien entre tout cela et il n'est pas anormal d'observer des effets, au contraire.
Parallèlement, puisque les évaluations de risques sont le lien entre les effets et l'exposition, cette exposition est mesurée au travers de modèles. En fait, aujourd'hui, nous disposons de modèles tant pour l'applicateur pour lequel il y a des modèles applicateurs avec des données génériques insérées dans ces modèles et validées par la Communauté européenne ou au niveau national, que d'exposition en ce qui concerne les résidus à travers ces modèles constitués par la F.A.O., l'O.M.S. ou le Conseil supérieur de l'hygiène publique de France, et qui tient compte des facteurs de consommation et des différents types de consommateurs. On peut citer un adulte ou un bébé, ce qui peut être complètement différent. Tout cela est pris en compte avec des facteurs de sécurité.
(Projection de transparents.)
Mme Isabelle DELPUECH : Je vous propose rapidement quelques éléments de réponse par rapport aux soucis légitimes de M. Aschiéri et de tout consommateur qui n'est pas forcément scientifique ou urbain et loin du monde agricole et qu'en tant que parents, nous comprenons particulièrement bien.
Je voudrais citer une étude très intéressante d'un toxicologue américain fort éminent, le docteur Bruce Ames, très connu pour avoir laissé son nom à des tests sur le pouvoir cancérigène des produits chimiques. Cet article a été publié par " La recherche " du mois d'octobre. Ce qui m'amène à parler de cet article est votre légitime interrogation par rapport aux risques de cancers.
Les risques de cancers ne sont pas en augmentation, si l'on excepte ceux liés au cancer du poumon, lesquels, pour 90 %, s'expliquent en particulier par la consommation de tabac. Si on retire des statistiques les cancers du poumon, les cancers sont en diminution d'environ 18 à 20 % depuis les années 50. L'une des grandes explications de ce fait est l'apparition du réfrigérateur et des moyens de conservation de nos aliments. Les produits phytosanitaires n'ont rien à revendiquer en ce domaine.
En revanche, ce qu'apporte Bruce Ames, c'est le souci de relativiser. Une plante produit naturellement des toxines pour se défendre. Elle produit des molécules chimiques dont certaines sont connues, telles que les alcaloïdes qui ne sont pas des molécules inoffensives. Ce contenu dans les plantes de molécules ayant une activité est, pour nous industriels de l'agroalimentaire, une source de copie pour synthétiser des insecticides, des fongicides ou des herbicides.
Il est beaucoup plus commode, efficace et pertinent d'aller à la recherche de modèles de molécules naturelles qui présentent une activité et de les copier par une science qui s'appelle la bionique, c'est-à-dire la copie de la nature, en améliorant la molécule naturelle et en lui conférant une meilleure stabilité à la lumière. C'est donc une source très importante pour nous d'imagination et de créativité pour notre recherche.
Bruce Ames souligne que, pour se défendre, il y a dans la plante ce qu'on appelle des phytoalexines, à savoir des molécules qui, à la différence des molécules apportées de façon exogène, sont des molécules naturelles qui ne sont pas connues. On en recense de cinq à dix mille qui sont mal connues. Il s'agit d'une étude américaine, mais elle est très directement transposable, du moins dans les ordres de grandeur. On peut citer certaines de ces molécules : le psoralène du céleri, les alcaloïdes, la roténone, la nicotine. Ce sont des molécules bien connues pour avoir des activités précises dans la défense de la plante.
La quantification de l'ingestion de ces molécules naturelles mal connues, mais ayant un potentiel d'une certaine toxicité, au niveau du régime alimentaire de l'Américain moyen, amène Bruce Ames à dire qu'environ, chaque jour, dans sa ration alimentaire, un Américain moyen en absorbe 1,5 milligramme.
Sur ces cinq à dix mille substances mal connues et mal cernées, environ la moitié de ces molécules naturelles ont montré, dans des tests de laboratoire sur rongeurs, équivalents à ceux que nous sommes amenés à conduire pour alimenter nos dossiers d'homologation, un pouvoir cancérigène. Par ailleurs, Bruce Ames, dans son étude, montre le poids en résidus synthétiques, c'est-à-dire en résidus de médicaments synthétiques apportés de façon exogène par nos produits phytosanitaires, qui figure dans la ration d'un Américain moyen, soit 104 ou un dix millième de 1,5 milligramme ingéré quotidiennement.
C'est le premier extrait dont je voulais vous faire part. Le deuxième me rapproche d'une réponse que je voulais apporter à M. Guillaume, c'est un plaidoyer en faveur de tout ce qu'a apporté la protection moderne des cultures. Nous parlions de cancers tout à l'heure. Là aussi, je cite Bruce Ames : " Imaginons qu'une moindre utilisation des pesticides synthétiques soit imposée brutalement, alors le prix des fruits et des légumes augmentera et le nombre de cancers suivra probablement la même tendance. En effet, les personnes à bas revenus, qui consomment déjà le moins de fruits et de légumes, en mangeraient encore moins. " Suit une étude bibliographique très riche que nous vous remettrons et qui étaye cette affirmation. Cela pour la raison très simple que les fruits et les légumes contiennent des molécules antioxydantes dont on commence à percevoir l'intérêt en matière de prévention contre le cancer.
M. le Président : Madame, peut-être pourrez-vous nous remettre vos autres transparents. Parallèlement aux auditions et aux investigations que nous faisons ici et là, nous recevons beaucoup de courriers. J'en ai reçu un dont j'aimerais bien que l'un d'entre vous nous dise de quoi il s'agit et quel risque il présente. Cette personne nous indique que l'aspartame, un faux sucre, est un produit très dangereux.
Par ailleurs, il n'a pas encore été répondu à la question posée par M. Gengenwin, à savoir le pouvoir que cela peut donner à ceux qui posséderont la connaissance et la manière de contrôler les semences.
M. Alain CHALANDON : A cette question de prédominance de l'une ou l'autre des sociétés qui détiendrait la totalité des semences de la planète, la meilleure des choses que l'Assemblée nationale pourrait faire est de laisser jouer le droit à la concurrence et de faire en sorte que les entreprises qui souhaitent développer ces technologies puissent entrer elles-mêmes dans cette compétition, en autorisant notamment les recherches et le développement de ces produits.
La libre concurrence et le fait que les différentes sociétés, qui sont autour de la table et intéressées, car nous sommes à la fois autour de la table et très fortement concurrents, puissent exercer leur recherche et développer leurs technologies en libre concurrence entre elles, seront le meilleur garant pour l'agriculteur français et européen.
M. Alain CHALANDON : Ce qui se passe aux Etats-Unis sera vrai en France. Aujourd'hui, il y a de la concurrence sur 30 millions d'hectares...
M. le Président : La France et les Etats-Unis ne sont pas les seuls concernés ; ce sont des questions que nous nous posons par rapport aux problèmes mondiaux actuels.
M. Alain CHALANDON : Les biotechnologies, du fait de la technologie qu'elles représentent, s'adressent néanmoins essentiellement aux pays développés. Je crains fort, au contraire, que le frein technologique que l'on met en place n'élargisse encore un peu plus le fossé entre les pays du Nord et du Sud. Ce n'est pas en étant frileux sur ces technologies qu'on rétrécira le fossé qui se crée entre le Sud et le Nord. Mais ce débat serait très long et, dans le délai qui est le vôtre, je ne pense pas que l'on puisse y répondre.
M. le Président : C'est une vaste question.
M. Alain CHALANDON : Cette question, qui a été abordée dans le séminaire organisé par la F.A.O. au mois de décembre, a fait l'objet d'un certain nombre de débats auxquels j'ai participé avec le sénateur Bizet. C'était une partie de mon intervention à laquelle vous pouvez vous référer, car elle est publiée au Sénat.
M. le Président : Merci. Qu'en est-il de l'aspartame ?
M. Daniel RAHIER : Je ne sais pas ce que la personne a souligné comme problèmes particuliers par rapport à l'aspartame.
M. le Président : " On sait maintenant que la consommation de l'aspartame entraîne des effets secondaires allant du simple mal de tête à des tumeurs du cerveau. "
M. Daniel RAHIER : L'aspartame a remplacé la saccharine. Cet édulcorant de synthèse a été autorisé en 1981. Ce n'est pas un nouveau produit. Avant sa commercialisation, plus d'une centaine d'études ont été faites. Cette question avait été abordée essentiellement par les autorités américaines - ensuite au niveau international - qui se sont penchées sur ces questions. Toute une série de tests ont été faits. Dans certaines de ces études, les animaux étaient nourris avec d'énormes quantités d'aspartame, soit l'équivalent d'une centaine de canettes de boissons " light " qui contiennent de l'aspartame, pendant deux ans. Aucune corrélation n'a pu être mise en évidence entre le nombre de cancers du cerveau, ni d'autres types de tumeurs et ces animaux.
Aujourd'hui, aucune raison physiologique ne pourrait laisser croire que l'aspartame serait susceptible de provoquer des cancers. L'un des points les plus importants est qu'il se décompose en différents composants, à savoir l'acide aspartique, la phénylalanine et le méthanol, que l'on retrouve dans la plupart des aliments, des produits tels que le lait, la viande, les haricots secs, les fruits et les légumes. Tout cela a été étudié en long et en large.
Aujourd'hui, des allégations vont en ce sens, mais les études se poursuivent et un système de suivi très précis est en cours au niveau de cette molécule. Je peux vous fournir toute la littérature qui a été produite, si cela peut aider la commission.
M. Alain CHALANDON : En conclusion, nous sommes une industrie qui souhaite contribuer positivement à l'évolution de notre monde. En réponse à la question de Mme Denise, qui concernait la liaison avec l'évolution de nos technologies, je crois que nos technologies évoluent et que nous proposons, au travers de la législation mise en place en Europe, des produits qui respectent, avant l'efficacité même, une évolution sur le plan toxicologique et environnemental.
Ce sont les priorités de nos entreprises. Quant au renouvellement des produits, lorsqu'ont été évoquées les homologations de nouveaux produits qui arrivent sur le marché, ces produits répondent avant tout à ces exigences environnementales et toxicologiques, qui sont la demande principale de nos concitoyens.
Le deuxième facteur de sécurité est la mise en place de toute la réhomologation de nos produits, auxquels nous nous soumettons, puisque nos matières actives sont révisées. Par le biais de cette exigence réglementaire pour les nouvelles matières actives et la révision de ces anciennes matières actives, nous pourrons répondre à la question de Mme Denise, qui est d'apporter des produits plus sûrs et qui seront dans la bonne partie de la classification évoquée tout à l'heure.
Ce sont ces deux domaines qui vous donneront les évolutions de notre industrie et de son impact sur l'environnement. Nous souhaitons être une industrie mature, responsable de ses actes. Nous restons à votre disposition pour d'autres compléments que nous n'avons pas abordés ce matin.
M. le Rapporteur : N'oubliez pas, qu'en bout de chaîne, il y a les consommateurs.
M. le Président : Ce débat a été intéressant. Vous représentez un secteur très important de la chaîne de l'agroalimentaire qui va, comme on le dit de manière courante, de la " fourche à la fourchette " ou de " l'étable à la table ". Ce sont des formules que tout le monde comprend.
La place que vous occupez est très importante et il était très intéressant que nous ayons ce forum et ces échanges. Vous avez répondu brièvement et d'une manière dense aux questions posées. Nous essayons de repérer les dysfonctionnements qui apparaissent ici et là et d'y voir clair dans les problèmes qui se posent à l'ensemble de la société d'aujourd'hui.
Nous aurons un rapport à rédiger. Tous les travaux seront publiés et nous tenterons de dégager quelques propositions. Telle est notre mission, toujours sans agressivité ni complaisance. Je vous remercie.

Les forums avec les représentants des industries agroalimentaires

Le forum avec les dirigeants des industries agroalimentaires

Avec la participation de :

MM. Joseph BALLE, Président de la Confédération Française de la Coopération Agricole ;
François COINDREAU, Président de l'Alliance des Syndicats des industries de la biscotterie, de la chocolaterie, de la confiserie, de la diététique et des céréales ;
Gérard LE TYRANT, Délégué général de la Fédération Française des Industries Charcutières ;
Benoît MANGENOT, Directeur général de l'Association Nationale des Industries agroalimentaires;
M. Yves MICHELON, Directeur général de la Fédération française des Industries d'Aliments conservés ;
Jean-François MOLLE, Directeur général du département sécurité alimentaire, réglementation et environnement du Groupe Danone ;
Jérôme QUIOT, Président du Comité national des vins et eaux de vie de l'Institut National des Appellations d'Origine ;
Georges ROBIN, Président de la Fédération Nationale des Industries des Nationale des Industries des Corps Gras ;
Roland STALDER, Directeur qualité à la société Nestlé France ;
(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 14 décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Joseph BALLE, Président de la Confédération Française de la Coopération Agricole (C.F.C.A.), François COINDREAU, Président de l'Alliance des Syndicats des industries de la biscotterie, de la chocolaterie, de la confiserie, de la diététique et des céréales, Gérard LE TYRANT, Délégué général de la Fédération Française des Industries Charcutières (F.I.C.), Benoît MANGENOT, Directeur général de l'Association Nationale des Industries agroalimentaires (A.N.I.A.), de M. Yves MICHELON, Directeur général de la Fédération française des Industries d'Aliments conservés (F.I.A.C.) Jean-François MOLLE, Directeur général du département sécurité alimentaire, réglementation et environnement du Groupe Danone, Jérôme QUIOT, Président du Comité national des vins et eaux de vie de l'Institut National des Appellations d'Origine (I.N.A.O.), Georges ROBIN, Président de la Fédération Nationale des Industries des Corps Gras (F.N.I.C.G.), et. Roland STALDER, Directeur qualité à la société Nestlé France, sont introduits.
M. le Président leur rappelle les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée relative aux commissions d'enquête et leur indique que la commission pourra décider de citer dans son rapport tout ou partie du compte rendu de la présente audition. Ce compte rendu sera auparavant communiqué à chacun des intervenants. A l'invitation du Président, les intéressés prêtent serment.
M. le Président : Mes chers collègues, la séance est ouverte.
J'appellerai les intervenants suivant les résultats d'un tirage au sort auquel nous avons procédé et qui vous a été notifié. Nous commencerons donc par M. Yves Michelon, directeur général de la Fédération française des industries d'aliments conservés.
Je note que certains d'entre vous se sont fait accompagner d'experts que j'ai le plaisir d'accueillir. Si ceux-ci étaient amenés à s'exprimer durant le débat, je leur demanderai à ce moment-là de prêter serment. Nous commencerons donc par un tour de table d'introductions que je souhaiterais assez brèves afin de passer rapidement à un échange entre les parlementaires et vous.
Je donne la parole à M. Michelon.
M. Yves MICHELON : Monsieur le président, je vous remercie d'avoir bien voulu nous inviter à cette audition. Je suis directeur général de la Fédération nationale des industries d'aliments conservés qui regroupe les entreprises qui fabriquent des conserves alimentaires et certains produits surgelés. Cette fédération alimentaire fait partie d'une association regroupant également les transformateurs de surimi, les fabricants de produits traiteurs frais et les transformateurs de produits déshydratés. L'ensemble de ces secteurs représente un chiffre d'affaires de l'ordre de 35 milliards de francs. Il emploie un effectif supérieur à 30 000 personnes et les usines de transformation sont réparties à peu près sur l'ensemble du territoire français. Autre caractéristique de ces secteurs : la France est première en Europe en conserves de légumes, conserves de plats cuisinés et de poissons. Elle est troisième en conserves de fruits, seconde dans les produits traiteurs frais et première dans l'activité du surimi.
S'agissant de produits alimentaires conservés, il est certain que les questions posées à votre commission sont au centre des réflexions auxquelles sont confrontés nos métiers. Transparence et sécurité alimentaire sont des soucis permanents pour les fabricants de produits conservés qui souhaitent apporter le maximum de sécurité et de qualité aux consommateurs.
La vigilance des industriels doit porter, d'une part, sur le mode de conservation et, d'autre part, sur la matière première utilisée.
Concernant les moyens de conservation, je rappelle que la conserve appertisée constitue un des moyens les plus sûrs, celui qui probablement apporte la plus grande garantie aux consommateurs. Néanmoins, les transformateurs doivent apporter le plus grand soin à respecter les règles d'hygiène tout au long de la chaîne de transformation. C'est la raison pour laquelle nos professions ont mis en place un certain nombre de moyens qui permettent d'assurer les meilleures garanties d'hygiène.
C'est ainsi qu'ont été mis en place des codes de bonne pratique d'hygiène aussi bien pour les conserves que pour les produits frais. Une assistance a été fournie aux entreprises pour développer des méthodes de contrôle de production, du type de la méthode H.A.C.C.P. pour le suivi de la qualité dans le processus de transformation. Je voudrais rappeler, à cette occasion, que le secteur de la conserve a été sans doute le premier à mettre en place un programme collectif pour mise sous assurance qualité, le programme " P.A.Q.A. ", programme d'assurance qualité pour appertisé, qui avait été réalisé avec le concours de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que de la direction générale de l'alimentation. Ce programme collectif a permis d'enclencher et d'accélérer un processus de mise sous assurance qualité dans l'ensemble du secteur de la conserve.
Cette démarche avait été largement soutenue par le centre technique qui assiste notre profession, le centre technique de la conservation des produits alimentaires. Ce centre, alimenté par des taxes parafiscales, est un outil technique auquel notre profession est très attachée, car la mutualisation des efforts permet l'accès de toutes les entreprises à la recherche collective et à l'amélioration des moyens de contrôle de la qualité et de la sécurité alimentaires.
Il est également important que les industriels disposent d'une bonne traçabilité des produits utilisés. Il faut souligner qu'ils ont probablement des responsabilités particulières, lorsqu'ils transforment directement la matière première agricole qui leur est livrée. C'est la raison pour laquelle, dans les contrats d'approvisionnement, sont prévues des dispositions relatives à la qualité sanitaire des produits achetés. Ces conditions précisent notamment les conditions d'utilisation des produits phytosanitaires. Dans certains cas, des cahiers des charges très stricts régissent aussi les conditions de production sur des terres ou des boues qui ont pu être épandues.
Une attention toute particulière existe, à cet effet, dans le secteur de la déshydratation. Il convient, dans ce secteur, d'avoir des exigences très précises, car la concentration de résidus après déshydratation est très forte dans les produits alimentaires, notamment végétaux.
Cette panoplie de moyens s'est accompagnée, depuis deux ans, d'un système de prévention et de gestion de crise, système qui a pu être expérimenté dans la crise de la dioxine. A cette occasion, il est apparu qu'il était fondamental d'avoir une organisation préalable, si nous voulions assurer convenablement la bonne information et le relais auprès des entreprises. Ce dispositif, pour être totalement efficace, doit fonctionner en parfaite symbiose avec des systèmes de gestion de crise mis en place dans les administrations.
Une des leçons que nous avons tirées de cette expérience est la nécessaire amélioration des relations entre les systèmes existants dans l'administration publique et dans les professions. Nous ne pouvons pas nous passer d'une bonne organisation de l'administration et l'administration ne peut, elle non plus, se passer de la bonne organisation dans les professions qui assurent un relais dans toutes les entreprises.
Enfin, je souhaiterais attirer votre attention sur deux points particuliers : l'information en matière de sécurité alimentaire et le contrôle des importations.
En ce qui concerne l'information, il nous semble que, lorsque des risques particuliers se présentent en matière de sécurité alimentaire, il vaut mieux informer les populations à risque, que prendre des mesures générales qui peuvent mettre en péril tout un secteur de production. Il faut éviter tout risque de confusion pour le consommateur, comme cela a pu être le cas dans le maïs, où il y a une confusion entre le maïs destiné à l'alimentation humaine et celui qui est destiné à l'alimentation animale.
Le second point sur lequel il faut veiller concerne le contrôle des importations. Nous ne sommes pas certains que les produits importés fassent l'objet de mesures identiques de précaution. C'est notamment vrai pour ce qui concerne les produits phytosanitaires utilisés dans les cultures. Il nous semble nécessaire de connaître les produits autorisés chez nos principaux fournisseurs de pays tiers, comme c'est le cas dans notre secteur, pour les conserves de fruits en provenance d'Australie et d'Afrique du Sud et de nous assurer, à l'entrée en Europe, que ces produits répondent aux mêmes exigences que celles qui sont imposées aux producteurs européens.
Pour résumer, il nous semble que la sécurité alimentaire doit répondre aux exigences suivantes : une réglementation précise, une bonne traçabilité tout au long de la filière, une information précise et adaptée, une uniformité des contrôles entre produits nationaux et importés et une collaboration permanente entre administration et profession.
M. le Président : La parole est à M. Coindreau, président de l'Alliance des syndicats des industries de la biscotterie, de la chocolaterie, de la confiserie, de la diététique et des céréales.
M. François COINDREAU : Monsieur le président, messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir. Cette Alliance des syndicats s'appelle l'Alliance 7, puisqu'elle regroupe sept professions, les principales étant la biscuiterie, la chocolaterie et la confiserie. Au total, l'Alliance 7 représente 482 entreprises, soit 42 000 emplois directs et à peu près autant d'emplois induits, un chiffre d'affaires total de 55 milliards de francs, soit à peu près 7 % du chiffre d'affaires total de l'industrie alimentaire française. Un tiers de nos productions est exporté.
L'Alliance 7 a pour première caractéristique de représenter des marchés où les marques jouent un rôle important, marques dont la valeur est directement liée au degré de confiance du consommateur. L'image de nos marques se construit au quotidien, en fournissant chaque jour à des millions de consommateurs la qualité qu'ils attendent de nos produits. Ce qui nous importe, c'est moins de faire acheter nos produits une fois, que de les faire les " racheter ". Dans l'évaluation de cette qualité, la sécurité a pris une part importante, à côté de la saveur, du service, des qualités nutritionnelles et du prix.
La deuxième caractéristique est que nos marchés et les acteurs de nos professions sont déjà européanisés et font face aux défis de la compétition internationale.
Quant à la troisième caractéristique, elle découle du fait que nous sommes, pour l'essentiel, des industries de deuxième transformation qui utilisent des matières premières déjà élaborées provenant de la sucrerie, de la meunerie, professions qui assurent l'interface avec le monde agricole.
Dès sa création, en 1999, l'Alliance 7 a intégré les politiques professionnelles de sécurité alimentaire comme une de ses priorités, en créant une commission sécurité que préside M. Laurent Mayalaré, lequel m'accompagne aujourd'hui. La mission de nos politiques professionnelles de sécurité alimentaire est essentiellement préventive. Il s'agit de veille et d'évaluation de la pertinence, pour nos professions, des risques nouvellement identifiés ou des nouvelles connaissances sur les risques connus, en vue de proposer aux instances dirigeantes de nos professions des mesures préventives ou correctives.
A titre d'exemple de cette politique de prévention, je citerai la mise en _uvre, depuis plus de dix ans, par la biscotterie et la biscuiterie, d'un plan annuel de surveillance des contaminants, aussi bien des matières premières que des produits finis. Ce plan annuel a maintenant été relayé également par la meunerie. Entre 1992 et 1995, nous avons réalisé, pour toutes nos professions, des guides de bonne pratique sectorielle, d'hygiène et de sécurité alimentaires. Récemment, nous avons publié une recommandation sur la maîtrise du risque aphlatoxines lié aux arachides, pour la profession des graines salées.
En 1990, le syndicat des produits diététiques pour l'enfance avait pris la décision d'exclure de ses produits les viandes britanniques et les abats de toute espèce animale de ses produits, donc, longtemps avant que la crise de l'E.S.B. ne devienne une crise publique. Cette politique de sécurité alimentaire s'exerce en concertation avec les experts publics spécialistes des sujets abordés. Ce partage d'expertise est, à notre avis, essentiel à la bonne conduite des politiques de prévention.
Il ne fait aucun doute que les crises alimentaires récentes doivent nous amener à renforcer notre coopération tant avec nos fournisseurs, notamment dans le domaine des spécifications des matières premières et de la traçabilité amont, qu'avec nos clients, avec lesquels il s'agit d'améliorer les spécifications en matière de conditions de transport et de stockage et de parfaire la traçabilité aval.
Il faut également améliorer l'information des consommateurs -eux aussi sont des acteurs de la sécurité alimentaire - sur les conditions de conservation et d'utilisation des produits, pour assurer la sécurité alimentaire de l'ensemble de la chaîne, qu'on l'appelle " du champ à l'assiette " ou " de la fourche à la fourchette ".
Notre politique de sécurité alimentaire axée sur la prévention est complétée par un dispositif de gestion des crises, qui a notamment été mis à l'épreuve durant la crise de la dioxine. Pour tirer les enseignements de cette crise, l'Alliance 7 a décidé début septembre de faire réaliser un Livre blanc sur son déroulement et sur ses conséquences. Ce livre est en cours de finalisation, mais nous pouvons, si vous le souhaitez, vous en présenter les premières conclusions.
Mais auparavant, rappelons quelques principes simples, malheureusement parfois perdus de vue, qui guident notre action et celle de nos entreprises.
Le premier est que ce sont les consommateurs, par leurs choix au quotidien, qui assurent le développement et la pérennité de nos entreprises. Nous devons donc nous efforcer d'offrir des produits qui répondent à leurs attentes en matière de qualité, de prix et de sécurité.
Le deuxième est que, quand nous mettons des produits sur le marché, nous engageons nos marques et nos entreprises. Nous sommes responsables en permanence vis-à-vis des consommateurs de la sécurité des produits que nous commercialisons. En cas de manquement aux exigences de sécurité, nous sommes également responsables devant l'opinion publique et devant les tribunaux. Nous sommes prêts à assumer cette responsabilité.
Le troisième est que nous sommes les maîtres d'_uvre au quotidien de la sécurité alimentaire à travers les spécifications et les contrôles de matières premières, les méthodes d'analyse de risque qui sont partie intégrante des bonnes pratiques de fabrication et les plans de contrôle des produits finis.
Pour exercer pleinement leur rôle, nos entreprises ont besoin d'un contexte qui favorise l'exercice de leur liberté responsable. Nous souhaitons donc des réglementations qui fixent des objectifs clairs de résultats à atteindre en matière de sécurité, plutôt que des contraintes de moyens que le progrès des connaissances scientifiques rend vite obsolètes ou inadaptées et qui risquent de déresponsabiliser les acteurs ainsi mis sous tutelle.
Nos industries ont aussi besoin d'une expertise de qualité qui permette d'évaluer de façon responsable les seuils assurant la sécurité du consommateur. C'est en effet généralement la dose qui fait le poison et il ne faut pas confondre niveau de sécurité et seuil de détection analytique. En effet, les méthodes de détection ont fait de tels progrès, qu'elles permettent de déceler les éléments souvent à des doses inférieures à leur niveau de présence naturelle dans l'environnement.
Enfin, nos industries ont besoin d'une meilleure cohérence dans les dispositions prises tant au niveau national, qu'européen et international. Il importe d'éviter tout autant des distorsions graves de concurrence que des atteintes à l'image de nos produits sur notre marché intérieur aussi bien que sur les marchés tiers.
M. le Président : La parole est à M. Georges Robin.
M. Georges ROBIN : Je bornerai cet exposé au secteur alimentaire de notre fédération, c'est-à-dire essentiellement à l'huilerie et à la margarinerie. Notre chiffre d'affaires est de 12 milliards de francs et notre activité utilise 10 000 personnes. Notre industrie se caractérise par la présence d'entreprises de toutes tailles, de groupes internationaux comme Cereol et Eridania Beghin-Say jusqu'aux Huileries du Berry spécialisées dans les huiles de noix.
Nous sommes directement liés à la filière oléagineuse et protéagineuse : en France, le tournesol représente environ 805 000 hectares et près de 1,6 million de tonnes de graines, le colza 1,14 million d'hectares et 3,7 millions de tonnes de graines ; le soja, lui, est une production encore peu développée en France qui représente aujourd'hui près de 110 000 tonnes.
Nos produits sont des produits de grande consommation, comme vous le montrent les volumes concernés : en France, on utilise en alimentation humaine 552 000 tonnes d'huile et, au total, 768 000 tonnes, aussi bien dans l'industrie que pour les usages techniques.
Ce sont des industries anciennes confrontées aux problèmes de sécurité alimentaire depuis longtemps. J'ai ici un petit traité sur les problèmes de falsification qui date de 1875 ! La margarine, quant à elle, a longtemps été régie par des textes datant de 1896. Nos produits ont donc préoccupé le législateur depuis longtemps, mais aussi l'industrie. Je ne pense pas que l'on rencontre beaucoup d'accidents dans ce secteur sauf, bien entendu, en cas de falsification de produits.
J'insisterai sur le fait que, depuis toujours, nos professions ont investi dans la recherche, comme le prouve l'Institut technique de recherche des huiles et oléagineux, financé jusqu'à maintenant pour 50 % par une taxe parafiscale et par la contribution et les travaux des sociétés. L'Institut emploie environ trente scientifiques et son budget est de l'ordre de 12 millions de francs. Les problèmes qui y sont étudiés sont ceux liés à la production des produits, comme le problème de la trituration des graines ou encore celui du raffinage des huiles - donc le contrôle des solvants - et ceux liés au transport, car nous utilisons non seulement des graines d'origine française, mais aussi des graines d'origine européenne - Russie, Pologne, Hongrie -, africaine pour le palme, le palmiste et le copra - Mozambique, Côte d'Ivoire, Congo - et asiatique - Indonésie et Malaisie - pour l'huile de palme. Nous sommes donc extrêmement vigilants sur les problèmes liés aux transports. Vous avez une vaste panoplie, allant de la falsification des huiles jusqu'à l'utilisation des matières premières, leur production et leur transport.
Je soulignerai, premièrement, notre attachement à l'établissement de normes internationales. A cet égard, nous participons au Codex alimentarius et estimons qu'un effort doit être fait pour que ces normes deviennent internationales.
Deuxièmement, je soulignerai la nécessité d'une autorité européenne. Si, grâce à notre Agence de la sécurité, nous avons fait des progrès considérables en France sur les échanges de produits, en revanche, la nécessité d'une autorité européenne des aliments indépendante me semble être essentielle. Fondée sur des évaluations scientifiques, elle permettrait des décisions rationnelles s'appuyant sur des données scientifiques. Le contrôle de la communication à destination du consommateur me paraît également un point important à renforcer.
Pour prendre le cas des huiles, les échanges sont constants en Europe et à travers le monde et des règles s'appliquent à l'ensemble de la profession, qui vont du contrôle des pesticides au contrôle des salmonelles dans les plants de production, en passant par le code de bonnes pratiques pour l'utilisation des solvants et son contrôle, ainsi que par le code de pratiques des polycycliques aromatiques hydrocarbone Ph dans l'industrie, le chauffage des huiles et son contrôle durant la production, le code de pratiques et de production de l'arachide - mon ami M. Coindreau l'a évoqué en liaison avec les problèmes d'allergie - et le code de pratiques pour le transport des huiles et corps gras à travers le monde. Notre problème est de contrôler le chargement des tankers, y compris en Indonésie !
Troisièmement, il serait bon de parvenir à la fin de la rivalité et de la confusion entre les services de l'Etat. Comme le disait M. Aschiéri, j'avoue moi-même être un peu perdu parfois, en France. J'ai passé près de cinquante ans dans les industries agroalimentaires. Depuis toujours, je me suis dit qu'il fallait choisir. Ma prédilection a toujours été la répression des fraudes sous ses différents aspects, jusqu'à ce qu'un de vos collègues, le professeur Cabrol, m'ait dit qu'il faudrait changer d'optique et aller maintenant à Bruxelles ou à Strasbourg.
Dans son livre, M. Aschiéri écrit page 66 : " Si vous voulez bien faire votre travail, avec qui travailler ? [...] L'I.N.S.E.R.M., le C.N.R.S., le C.N.E.V.A., l'I.N.R.A., l'I.N.R.I.S. et l'I.N.R.S., la D.R.I.R.E., la D.R.I.E.N., la D.D.A.S.S., l'I.F.R.E.M.E.R., la C.S.T.B., la D.G.C.C.R.F., le Conseil supérieur d'hygiène du public,... "
J'espère que l'Agence nous facilitera la vie !
Quatrièmement, des règles claires et applicables. Je vous ai montré celles du phédiol ou celles que nous-mêmes, avec notre laboratoire, mettons en _uvre. Voici le plan de travail pour l'année prochaine : biochimie et nutrition, contaminants, problèmes posés par les résidus phytosanitaires, dosage des traces métalliques dans les corps gras. A cet égard, je ne saurais que trop insister sur les normalisations des méthodes d'analyse et sur le fait que l'on ne trouve que ce que l'on cherche. Dire cela est certainement une évidence, mais qui doit être prise en considération. Les méthodes d'analyse font partie de notre travail, pour que nous puissions, à travers l'Europe et avec nos vendeurs, discuter sur les mêmes bases.
En conclusion, prenons garde à ce que la médiatisation vis-à-vis du consommateur ne soit pas débridée. Car le plus important en matière de sécurité alimentaire n'est plus tellement aujourd'hui d'insister sur le produit, mais d'apprendre au consommateur à nettoyer son réfrigérateur - pour les problèmes de listeria - et à comprendre l'étiquetage alimentaire. Je vous laisserai un exemplaire d'une brochure sur le sujet, car il n'est pas toujours évident de comprendre l'étiquetage alimentaire, il faut bien le dire ; ça l'est sûrement pour les spécialistes de la traçabilité, beaucoup moins pour le consommateur, mais nous avons essayé de faire _uvre utile pour l'aider à comprendre.
Je terminerai par une boutade. Je viens de regarder le nouvel organigramme de la Direction générale de l'alimentation : quand j'aurai trouvé ma voie, je vous le dirai ! Je peux vous le laisser aussi !
M. le Président : Vous pouvez, naturellement, nous laisser tous les documents susceptibles de nous éclairer.
La parole est à M. Jean-François Molle.
M. Jean-François MOLLE : Le groupe Danone est honoré et vous remercie de votre invitation.
L'activité du groupe Danone ne concerne pas que les produits laitiers frais, mais aussi les biscuits et les eaux en bouteilles. Il est leader mondial sur les produits laitiers frais et sur les biscuits et numéro deux sur les eaux en bouteilles. Son chiffre d'affaires est d'environ 87 milliards de francs.
Le groupe Danone a effectué un recentrage sur les trois métiers de base que je viens d'indiquer, condition impérative de la mondialisation. Dans la compétition internationale, le groupe Danone reste une petite société. Aujourd'hui, nous sommes le septième groupe mondial, représentant entre le tiers et le quart du leader, qui est le groupe Nestlé.
J'aborderai trois points. Tout d'abord, je parlerai de la sécurité alimentaire et de la compétition économique. Puis, je vous ferai part de nos réflexions sur la façon de regagner la confiance du consommateur. Je donnerai enfin des exemples de la politique du groupe Danone sur les O.G.M., la dioxine et les filières d'approvisionnement agricole.
Sur le problème de la sécurité alimentaire et de la compétition économique, il faut tenir compte du fait que le groupe Danone est un ensemble de marques. Qui dit marques dit capital de confiance auprès du consommateur, capital souvent ancien, qui a été très long à obtenir.
Ce capital de confiance peut être mis à mal, voire détruit, d'une façon extrêmement rapide par les crises alimentaires. Perrier, avant qu'il soit racheté par Nestlé, en a fait la cruelle expérience. En l'espace d'une nuit, nous pouvons perdre un acquis séculaire. Certaines de nos marques - les plus anciennes datent de 1860 - peuvent être effectivement détruites par ce genre de crise.
Enfin, la sécurité est très " compétitive ". L'exemple que je vais donner sera peut-être plus parlant qu'une démonstration. Voici quelques années, en Italie, Galbanic (?), membre du groupe Danone, leader du marché du mascarpone, fromage italien bien connu, a perdu 20 % de son marché pour une crise liée au clostridium qui s'était produite chez un concurrent plus petit. Pour un consommateur, quand un produit d'une marque donnée a un problème, c'est l'ensemble des produits et du marché qui éprouve ce problème. Donc, pour le consommateur italien, c'était le mascarpone qui n'était plus bon.
Il ne suffit donc pas de se dire : nous sommes de grandes sociétés, nous avons des systèmes de protection ; c'est l'ensemble de la profession qui doit progresser.
De ce point de vue, Danone passe à l'action : nous avons développé un modèle de microbiologie prévisionnelle qui fait l'unanimité en Europe et que l'Institut Pasteur reprend ; ce modèle est destiné à être utilisé par l'ensemble de l'industrie française.
Pour regagner la confiance du consommateur, il faut bien le connaître. Tous les sondages montrent, qu'en Europe, le premier risque alimentaire perçu est celui des résidus chimiques, notamment des pesticides. Ce n'est pas du tout l'avis des techniciens, mais c'est celui du consommateur. La sécurité alimentaire est une affaire de filière. La sécurité et la qualité de nos produits de marque se fabriquent aussi dans le champ et dans l'étable.
Il faut aussi distinguer les risques perçus et les risques réels. Pour les risques réels, ceux qui ont un effet sur la santé, nous appliquons le principe de prévention. La plupart des industriels sont sous assurance qualité, ce qui veut dire que les outils nécessaires à la prévention de la survenue de dangers sont mis en place ; tout système est certes faillible, mais ces outils existent et sont en place. Donc, pour ce qui est du risque réel, comme celui de la salmonelle dans les ovoproduits, le système fonctionne bien.
En revanche, pour ce qui est des risques perçus, c'est-à-dire ceux qui reposent sur une analyse scientifique souvent incomplète - comme, par exemple, les O.G.M. - l'ensemble de la technostructure, des pouvoirs publics et industriels, des experts et des administrations n'est pas aussi performant. Nous n'avons pas réussi ainsi à mettre en place un débat public de qualité sur ces risques perçus, à une exception près : la Conférence des citoyens, qui s'est tenue dans cette salle et à laquelle j'ai eu l'honneur de participer. C'était un exemple extraordinaire d'ouverture des dossiers. A mon avis, pour regagner la confiance du consommateur, il faut sortir de la culture du secret sur ces risques perçus.
Par ailleurs, nous avons besoin d'une évaluation scientifique indépendante, transparente et préalable. Cela est surtout vrai au niveau européen. Nous sommes très contents de la création de l'Agence. Nous avons pu juger de son efficacité lors de la crise de la dioxine. Quand elle publiait un communiqué à la suite de ses réunions d'experts, celui-ci bénéficiait d'une crédibilité totale auprès des médias et des consommateurs. C'était un guide d'action tout à fait clair. On ne peut pas en dire autant des actions et des évaluations scientifiques préalables des dispositions européennes en matière de gestion de la crise de la dioxine.
Nous avons aussi à progresser sur la gestion des crises et des alertes.
La crise de l'huile de palme contaminée par du gasoil en Hollande a été très bien gérée, dans la transparence. Tout le monde a été prévenu et nous avons bloqué les lots pour procéder aux analyses. Dès lors, il n'y a pas d'emballement médiatique ou consumériste.
Je pourrai citer d'autres exemples : les agrumes du Brésil, la nourriture animale en provenance de l'Allemagne contaminée à la dioxine, sur laquelle il y a eu avertissement des autorités allemandes, transparence et, là encore, des actions très claires.
Un exemple plus proche mérite d'être mentionné, celui d'Evian au Danemark. Il y a quelques mois, une consommatrice ayant bu de l'eau d'Evian se retrouve à l'hôpital. On a pu prouver par la suite qu'elle avait en fait stocké un produit dans sa bouteille, qui n'était pas de l'eau d'Evian. Mais le gouvernement danois a fait un communiqué à la presse repris sur Internet : nous sommes dé-référencés en Thaïlande, dans la nuit ! Voyez comment cela fonctionne !
Il est urgent que vous précisiez le contenu du principe de précaution. J'ai parlé du principe de prévention ; la prévention est déjà appliquée par les industriels.
A propos de la précaution, je ne reviens pas sur la proportionnalité qui a été évoquée, mais nous devons penser aussi à la réversibilité. La précaution ne s'applique pas de la même façon sur un risque irréversible et sur un risque réversible. Si quelqu'un attrape la maladie de Creutzfeldt-Jakob, il a une maladie irréversible. Pour les O.G.M., nous pourrions tout à fait appliquer un principe de biovigilance permettant, en cas de problème - personne ne dira que cette technologie est anodine - de revenir en arrière. La réversibilité est donc un point important.
Enfin, pour nous, industriels, malheureusement le " risque zéro " n'existe pas. Il est possible de nous demander le " zéro défaut " mais pas le " zéro risque ". Les Anglais ont une longue pratique de cette approche dite de " due diligence ", qui impose aux industriels d'avoir fait, à tous moments, ce qu'il était professionnel et raisonnable de faire, compte tenu des connaissances du moment.
La traçabilité est une demande très forte du consommateur, qui veut savoir d'où viennent ses produits et avec quoi ils ont été faits. C'est aussi pour nous et, depuis longtemps, un impératif. La traçabilité nous permet, en cas de réclamation de consommateurs ou en cas de problèmes - compte tenu, par exemple de l'identification des bouteilles : pour l'eau d'Evian, chaque bouteille est marquée à la minute de production - d'analyser la situation et de savoir tout de suite si nous sommes confrontés à un vrai problème de santé ou non. Cela permet aussi de gérer au mieux un éventuel retrait, comme dans la crise du Coca Cola.
Je termine ce bref exposé par quelques points particuliers.
Concernant les O.G.M., je ne vous dirai pas quelle est la position de Danone, mais je puis vous la faire parvenir.
Dioxine-lait était un assez bel exemple.
De même, vous vous souvenez sans doute de cette histoire d'incinérateur dans le nord, alors que la date limite de mise aux normes des incinérateurs était 1996. Donc, appliquons les règles à tous. Fort heureusement, nous avions nos propres campagnes de contrôle interne tous les six mois - maintenant, tous les trois mois. Cela nous a permis de gérer au mieux cette crise et celle qui a suivi, qui avait une tout autre origine en provenance de Belgique, le tout étant inscrit dans ce que nous appelons " le guide de producteur du lait Danone ", c'est-à-dire qu'un producteur de lait Danone a des règles de bonne pratique à respecter.
M. le Président : La parole est à M. Gérard Le Tyrant, délégué général de la Fédération française des industries charcutières.
M. Gérard LE TYRANT : La fédération française des industries charcutières regroupe 400 entreprises qui produisent 1,1 million de tonnes de charcuterie par an pour un chiffre d'affaires de 35 milliards de francs. Elle emploie 34 000 salariés. Ses entreprises sont majoritairement des P.M.E., puisque seules quatorze entreprises font plus de 500 millions de chiffre d'affaires par an et cent entreprises font plus de 100 millions de chiffre d'affaires par an.
Ces entreprises sont principalement situées en Bretagne, en région Rhône-Alpes, dans les pays de Loire et en région parisienne. Il faut souligner qu'il s'agit souvent d'entreprises situées en zones rurales.
La fédération française des industries charcutières transforme surtout de la viande porcine - elle transforme 75 % de la production française de viande porcine - mais également de la volaille.
Depuis 1990, la fédération des industries charcutières a fait de la sécurité alimentaire sa priorité. Cela s'est traduit tout au long de ces années par de nombreuses actions parmi lesquelles je citerai : la réalisation de guides de bonnes pratiques d'hygiène par famille de produits, par exemple, pour les jambons cuits, pour les jambons secs, pour les rillettes, pour les saucissons secs, la réalisation d'un logiciel de formation à la méthode de gestion et de maîtrise des points critiques, autrement dit la méthode H.A.C.C.P. et des aides à sa mise en place dans les entreprises.
Afin de permettre à toutes les entreprises de s'approprier cet outil, nous nous appuyons sur un centre technique professionnel, le centre technique de la charcuterie, de la salaison et des conserves de viandes, situé dans les locaux de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort, qui emploie quarante ingénieurs et vétérinaires.
Je citerai également la réalisation de documents sur les dangers microbiens que l'on peut rencontrer dans les produits à base de viandes ou la charcuterie ainsi que des études menées sur un germe qui nous a posé beaucoup de problèmes par le passé, la listeria.
Pour la réalisation de ces différents travaux, outre le centre technique de salaison, nous nous appuyons également sur des experts extérieurs et, très souvent, sur des experts de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort.
A ce travail collectif, s'ajoute l'établissement d'un protocole de validation des D.L.C., les dates limites de consommation. L'application de ce protocole permet aux entreprises de garantir que le produit demeure conforme jusqu'à la date limite de consommation indiquée sur l'étiquette, dans les conditions de conservation prévisibles du produit.
Enfin, bien sûr, pour assurer la sécurité des produits qu'elles mettent sur le marché, les entreprises doivent respecter les dispositions des directives communautaires. Ces directives sont en cours de révision et nous voyons avec satisfaction, qu'elles insistent bien plus sur des obligations de résultats que sur des obligations de moyens.
La mise en application, notamment depuis 1990, des différentes mesures professionnelles, a permis d'améliorer la situation en matière de sécurité alimentaire des produits de charcuterie. Ainsi, en 1991 et 1992, les produits de charcuterie ont été mis en cause dans deux épisodes importants de listériose humaine. Nous voyons avec satisfaction que, depuis cette date, les produits de charcuterie n'ont jamais été mis en cause.
Pour garantir la sécurité des produits qu'elle fabrique, l'industrie de la charcuterie doit disposer de matières premières - essentiellement de la viande porcine - de bonne qualité microbiologique. Dans ce domaine, nous devons constater que les abattoirs et les ateliers de découpe de porcs ont réalisé des progrès importants.
La sécurité concerne également la sécurité chimique, médicamenteuse et la traçabilité.
La transparence, pour notre profession, concerne deux volets : la transparence vis-à-vis du consommateur et la transparence au sein de la filière viande porcine.
La transparence vis-à-vis du consommateur consiste à l'informer sur la composition du produit, sur ses conditions de conservation, sa durée de vie et, si nécessaire, son mode d'emploi. Dans ce domaine, la réglementation actuelle nous semble donner satisfaction.
La transparence ou traçabilité au sein de la filière porcine, même si les choses sont moins avancées qu'au sein de la filière viande bovine, se met en place avec l'identification des animaux en élevage par un numéro d'élevage et par l'apposition d'un numéro de tuerie sur chaque carcasse à l'abattoir. Cependant si, pour des pièces comme les jambons, il est possible de remonter à un élevage, pour les autres pièces que nous travaillons, nous devons agir par lots, un lot correspondant à un fournisseur - pour nous, à un abattoir ou un découpeur - mais aussi à plusieurs élevages.
Par contre, la traçabilité nous permet de faire des lots de matières premières homogènes, correspondant par exemple à une origine commune, à un type d'élevage commun et à un mode d'alimentation commun.
En conclusion, les entreprises et les industries charcutières s'efforcent de satisfaire le consommateur, celui-ci restant le juge final de la qualité des produits.
M. le Président : La parole est à M. Ballé.
M. Joseph BALLE : Je suis agriculteur, producteur de lait, de viande bovine et de céréales. J'ai présidé une coopérative qui m'a conduit à prendre la présidence de la Confédération française des coopératives agricoles, laquelle regroupe 600 000 coopérateurs, 3 800 entreprises réparties sur toute la France et comprend des entreprises extrêmement diverses, de très petites P.M.E., aussi bien que de grands groupes comme S.O.D.I.A.L., la S.O.C.O.P.A., Limagrain et Champagne Céréales.
Nous sommes tout à fait concernés par les problèmes de sécurité alimentaire et je tenais à être présent aujourd'hui pour faire une courte déclaration générale. Je me suis fait accompagner de M. Jean-Pierre Tillon, docteur vétérinaire, qui a été directeur de l'école vétérinaire de Nantes. Si vous le permettez, M. le Président, je vous demanderai de lui donner la parole tout de suite après mon intervention, qui sera très brève.
Nous sommes concernés, parce que nous approvisionnons les exploitations agricoles, que nous sommes fournisseurs d'intrants, avec tout ce que cela comporte de conseils donnés aux agriculteurs pour l'utilisation des engrais, des phytosanitaires et de tous les produits nécessaires à leurs exploitations.
Nous sommes aussi concernés, parce que nous collectons et que nous transformons cette production, parfois pour la commercialiser nous-mêmes directement, mais aussi pour la livrer aux industries agroalimentaires.
Nous sommes engagés dans différentes démarches connues de tous, qu'il s'agisse des démarches qualité ou des signes officiels de qualité. Je suis président de la commission nationale des labels et de la certification. Le " label rouge ", l'"atout qualité certifié " et le logo A.B. me concernent.
Nous avons, au début des années 1990, développé une démarche particulière que nous appelons " Agri-confiance ". Il s'agit d'un système d'assurance qualité en amont des outils de transformation et de commercialisation. " Agri-confiance " est une certification-système. Nous avons donc des référentiels. Nous avons commencé début 1990 et nos premières entreprises certifiées l'ont été en 1996.
Nous avons un référentiel qui permet de décrire toutes les opérations de production, de conseil et même de transport jusqu'à l'usine de transformation. Nous avons un plan de contrôle et assurons également l'intervention d'un organisme certificateur agréé par les pouvoirs publics et par le C.O.F.R.A.C.
Actuellement, vingt-deux entreprises sont certifiées. Plus de 200 entreprises et 55 000 agriculteurs se sont engagés dans la démarche. A terme de deux ou trois ans, ils devraient avoir cette certification " Agri-confiance ", un système de certification qui permet d'assurer une garantie avec enregistrement auprès des transformateurs.
Je voudrais, en guise de conclusion, insister sur deux points.
Premièrement, nous subissons aujourd'hui une pression extrêmement forte sur les prix. Au niveau de la politique agricole, nous avons parfaitement réussi. Nous sommes donc présents sur un certain nombre de marchés saturés, où la grande distribution nous impose une pression sur les prix. Je pose ce problème, parce qu'il me paraît présenter un risque important pour la qualité des produits et, éventuellement, pour leur qualité sanitaire.
Deuxièmement, il ne faut pas oublier que le produit agricole, comme le produit alimentaire, est un produit vivant. Sur les produits vivants, le " risque zéro " n'existe pas. Notre responsabilité est de tendre vers ce " risque zéro ", qui ne pourra jamais être atteint, malheureusement. Le consommateur doit aussi prendre conscience de cette réalité, il faut l'informer de cette réalité.
M. le Président : Je vais demander à M. Tillon de prêter serment avant de lui donner la parole.
(M. Tillon prête serment.)
M. Jean-Pierre TILLON : Je vais essayer de me comporter en témoin d'une filière et de vous apporter mon témoignage sur les filières de production animale, au titre de trois expériences.
Ma première expérience dans cette filière a été celle de directeur de recherches au C.N.E.V.A., qui est devenu l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, où j'ai eu l'honneur de créer la station des pathologies porcines de Ploufragan et donc de m'occuper de la filière porcine.
Puis, pendant cinq ans, j'ai exercé les fonctions de directeur de l'Ecole nationale vétérinaire de Nantes ; j'ai pu ainsi élargir mes préoccupations aux problèmes de l'industrie agroalimentaire, du consommateur et de l'opinion, notamment au travers de l'animal de compagnie.
Enfin, je suis, depuis quatre ans, directeur scientifique et technique au groupe U.N.C.A., l'Union des coopératives agricoles d'agro-fournitures, où je m'occupe d'alimentation animale. Je suis conseiller auprès de trente-cinq coopératives qui fabriquent de l'alimentation animale.
Je voudrais insister sur plusieurs points.
Je ferai observer, tout d'abord, que les filières alimentaires et les filières de production animale ne datent pas d'aujourd'hui, puisque le compagnonnage entre l'homme et l'animal remonte au néolithique, c'est-à-dire à la période de la domestication. En fait, c'est ce lien entre le cycle alimentaire de l'homme et celui de l'animal qui est à l'origine du développement de notre civilisation.
L'essentiel de ce que consomment les animaux - la presse a souvent confondu les farines de viande avec la farine dans le sens " aliment du bétail ", c'est-à-dire de la farine comme le pain - sont des produits végétaux, puisque l'aliment moyen reconstitué en France est fait à 96 % de produits d'origine végétale. Ces affaires de farine de viande ou de matières grasses d'origine animale ne nous concernent donc qu'à la marge. Cela dit, il est néanmoins intéressant de pouvoir en parler.
Les animaux consomment donc essentiellement des produits végétaux. C'est pour cela que tout part du soleil et que nous sommes dans une chaîne directe de photosynthèse.
Les choses se compliquent pour le consommateur, car il y a, depuis toujours, des phénomènes de recyclage. L'homme, dans ses activités de transformation, a laissé des coproduits, qu'il était habituel de faire transformer par les animaux. Si l'on prend l'exemple de l'industrie fromagère, il faut savoir qu'elle a été parmi les toute premières à instaurer des porcheries industrielles pour utiliser les produits du lait qui n'étaient pas transformés en fromage - petit lait, babeurre.
Il existe donc un recyclage à partir de coproduits issus des industries de transformation.
Par ailleurs, au niveau de la consommation finale, certains déchets - notre société en produit de plus en plus -, sont eux-mêmes recyclés et peuvent, dans certaines catégories de produits comestibles, devenir pour nous des coproduits. L'industrie de l'alimentation animale et les filières de production animale sont des filières d'optimisation de tout cela, c'est-à-dire que l'on produit de la nourriture mais, qu'en même temps, on dégage des coproduits de nourriture. Il faut bien savoir qu'aujourd'hui, ne pas utiliser ces produits, c'est laisser de côté de la mélasse ou des graisses.
Notre métier, qui vise à apporter un maximum de sécurité a pris en considération tout cela, sous forme de dangers que je vais rapidement lister pour vous montrer comment nous prenons le problème.
Nous avons deux types de dangers.
Les premiers sont liés à la contamination initiale de la matière. Il faut donc faire en sorte, comme cela a déjà été dit précédemment, que cette matière ne soit pas contaminée. Ils peuvent être aussi liés à une contamination par des substances dites indésirables. Trouver de la dioxine dans des matières où il ne doit pas y en avoir ou trouver du fioul dans l'huile de palme, voilà qui doit nous inciter à la vigilance, parce qu'il peut y avoir au niveau du négoce ou du transport, des contaminations de ce type.
Donc, des substances indésirables et étrangères au produit. Certaines sont liées au produit, à sa conservation, par exemple. Pour prendre l'exemple des mycotoxines, au cours de la conservation, certaines denrées peuvent être contaminées par des éléments liés à cette conservation.
Nous devons également tenir compte de ce que l'on va appeler des " agents d'infection ", parce que la proximité de l'homme et de l'animal a fait qu'il y a une communauté de germes entre eux et c'est à l'origine des anthropozoonoses, en particulier, de ces problèmes qui nous posent tant de soucis : la colibacillose, la salmonellose, la listériose.
Comment établissons-nous les mesures de sécurité ?
Tout d'abord, nous avons des exigences croissantes pour le choix des matières premières. Nous avons également des procédures d'agrément des fournisseurs de plus en plus exigeantes, qui se heurtent actuellement au fait qu'un certain nombre de matières premières viennent de l'étranger, en particulier de pays en développement, avec une difficulté de remonter jusque là. Il se peut que nous soyons contraints - nécessité oblige ! - de renoncer à certaines sources d'approvisionnement. On parlait tout à l'heure de l'huile d'Indonésie, ce sont des produits sur lesquels il est plus difficile d'avoir la traçabilité que sur le blé qui vient de Beauce, blé qui reste majoritaire, car je vous rappelle que plus de 70 % de nos aliments sont composés de céréales françaises.
Des contrôles analytiques sont faits en permanence. Je suis dans une entreprise qui possède un laboratoire de cinquante-cinq personnes. Des mesures d'hygiène, désinfection et vide sanitaire, doivent être prises, tant au niveau des usines qu'au niveau des élevages. C'est tout le problème de la prévention.
Enfin, j'arrive à la prophylaxie sanitaire et médicale qui, à tous les échelons de la filière, nous permet d'avoir une garantie de sécurité pour le consommateur, bien sûr, mais aussi pour tous les transformateurs et autres éleveurs qui, eux aussi, veulent être tranquilles et savoir, qu'en faisant de l'élevage, ils n'encourront pas de catastrophes.
Voilà pour les contaminations initiales.
Nous devons également tenir compte d'autres phénomènes liés à l'amplification de la contamination.
Dans nos métiers, nous brassons de grandes quantités de choses et nous devons faire attention à ce qu'il n'y ait pas des multiplications intempestives, des accumulations importantes. Les accumulations d'agents toxiques ou infectieux sont toujours possibles, en particulier si la source d'approvisionnement est unique. L'un des génies du métier de l'alimentation animale est précisément de multiplier les sources d'approvisionnement pour diluer les risques et de s'imposer au niveau des matrices de formulation des seuils maximum d'incorporation. En effet, les produits végétaux sont eux-mêmes remplis de substances nécessaires à la plante pour se défendre contre ses prédateurs.
Nous pouvons dire beaucoup de bien des polyphénols qui peuvent être des agents antioxydants, mais il faut aussi savoir qu'ils sont des agents tannants, responsables d'indigestion ou de produits indigestes.
Nous sommes toujours obligés de jouer avec les seuils et les variétés de matières premières pour ne pas accumuler des éléments qui pourraient, à terme, poser des problèmes aux animaux, puis, aux consommateurs. C'est ce que j'appelle l'accumulation.
Quant à la contamination croisée, c'est une chose que nous connaissons : certaines fabrications se succèdent sans être forcément destinées aux mêmes espèces. Pour ne prendre qu'un exemple, si nous ne faisons pas attention entre une fabrication pour pondeuses et une fabrication d'aliments pour lapins, si nous avons ce qu'on appelle les contaminations croisées, les lapins payent extrêmement cher l'opération, puisque nous pouvons utiliser des additifs pour pondeuses, qui sont toxiques pour les lapins ou pour les chevaux.
Nous avons une pratique de cela, de l'ordre du milligramme, en permanence, parce que nous savons que certaines fautes, chez nous, ne pardonnent pas.
Le troisième élément concerne les flores de transformation ou de stockage. Il doit y avoir en permanence une vigilance à ce niveau.
Quelles mesures de sécurité sont mises en place ?
La traçabilité est devenue chez nous quasi-systématique.
Les bonnes pratiques de fabrication et d'hygiène, cela a été dit pour d'autres corps de métiers, sont toutes dérivées de l'obligation que nous fait la directive n° 93-43 de mettre en place un plan de gestion des risques. J'étais hier à l'assemblée générale de la coopérative de Celles-sur-Belle en Poitou-Charentes, qui fabrique des produits d'appellation d'origine contrôlée, où nous assistions à la signature par les éleveurs présents des chartes de qualité. Un travail considérable est fait sur le terrain.
Les cahiers des charges client sont également importants car, aujourd'hui, les clients ont des exigences qui dépassent celles du législateur. Aujourd'hui, en volailles par exemple, la plupart des clients ne souhaitent pas qu'il y ait des dérivés des coproduits d'origine animale. C'est une obligation à laquelle nous souscrivons, bien entendu.
Quant aux évolutions technologiques, il faut savoir que près de 10 % de nos usines sont équipées de traitements thermiques, pour inactiver l'aliment en matière de salmonellose ; c'est en quelque sorte un procédé de stérilisation.
Enfin, il y a l'épidémiologie vétérinaire. N'oublions pas que les premiers observateurs de la santé humaine restent les animaux et les élevages d'animaux. Si l'on s'est rendu compte des problèmes de dioxine, c'est parce que les poules avaient des problèmes de ponte. Il ne faut pas perdre de vue que les élevages sont notre premier rempart dans la protection sanitaire. Je suis vétérinaire, j'ai été directeur d'une école vétérinaire. Tout le travail accompli dans ce domaine fait honneur à la France et peut nous être envié à l'étranger.
Pour finir, je souhaiterais que l'on aborde ces notions importantes que sont les preuves et les garanties. Dans nos entreprises, nous sommes dans des processus de surveillance continue et de plans de contrôle, surveillance continue par nous-mêmes, mais aussi par l'administration. Chaque usine d'aliments du bétail en France est visitée une à deux fois par semaine. Des plans de contrôle sont faits par la D.G.A.L. régulièrement, qui trouve assez rarement, pour ne pas dire jamais, des résidus dans nos produits. Pour la filière porcine, les résidus sont pratiquement inexistants. Les niveaux de contrôle et de sécurité sont donc très importants.
Pour ce qui est des résultats, il suffit de voir les performances de l'élevage français, très largement supérieures, par exemple, à celles de l'élevage américain. Nous craignons en fait, que les Américains ne reprennent nos technologies et qu'ils n'arrivent à avoir des produits aussi performants que les nôtres.
Performance donc en matière de santé des animaux. Nous avons, grâce aux prophylaxies, éradiqué la plupart des maladies qui pouvaient poser des problèmes majeurs. Nous travaillons maintenant sur des maladies qui sont plus des maladies de filière, qui peuvent s'amplifier au cours des opérations de transformation ou des opérations intermédiaires.
La composition et la qualité fonctionnelle des produits est un aspect que nous devons assumer également. Certains collègues qui sont ici vous diront qu'ils ont des exigences extrêmement pointues en matière, par exemple, de taux de " gras " dans les produits. Ils préfèrent même les porcs de porcheries industrielles, plutôt que les porcs " label rouge " pour fabriquer certains produits demandés par le consommateur. Les choses sont donc assez complexes et il faut en discuter, pour pouvoir aller plus loin.
Enfin, le dernier point, c'est l'acceptabilité par le consommateur. Aujourd'hui, notre principal problème dans les filières animales est de convaincre des transformateurs, des distributeurs et des grossistes de l'intérêt qu'ils ont à prendre nos produits. Nous sommes en train de bâtir des argumentaires.
La sécurité alimentaire est pour nous un devoir à l'égard du consommateur. Elle ne se discute pas. En revanche, nous discutons des valeurs que le consommateur attachera au produit, qui justifieront son choix car, fondamentalement, le consommateur sera toujours en mesure d'effectuer un choix - que nous défendons collectivement - entre les produits qui lui sont proposés.
M. le Président : La parole est à M. Mangenot.
M. Benoît MANGENOT : L'Association nationale des industries agroalimentaires regroupe trente-deux syndicats professionnels ou fédérations professionnelles, dont bon nombre ici présentes sont déjà intervenues. Mon propos sera donc très synthétique, pour ne pas reprendre les remarquables contributions qui ont déjà eu lieu.
L'industrie alimentaire est la première industrie française avec un chiffre d'affaires, en 1998, de 803 milliards de francs, ce qui correspond à deux fois celui de l'industrie automobile.
Les effectifs de l'industrie alimentaire étaient de 403 000 salariés en 1998 ; ils seront légèrement supérieurs en 1999. Sachant que ces salariés sont répartis sur l'ensemble du territoire français, nous sommes, sans doute, l'industrie la plus aménageuse de territoire dans la mesure où, effectivement, la proportion de l'industrie alimentaire en zone rurale est deux fois supérieure à celle des autres industries.
Au sein de cette industrie alimentaire, il existe de grands groupes - l'un d'entre eux s'est déjà exprimé, l'autre le fera tout à l'heure - et aussi tout un tissu de petites et moyennes entreprises : 4 250 entreprises de plus de dix salariés et, en dessous du seuil de dix salariés, 10 000 entreprises, un chiffre tout à fait considérable.
L'industrie alimentaire est le principal débouché de notre agriculture : 70 % des produits agricoles sont transformés en aliments par l'industrie alimentaire.
Enfin, un dernier chiffre, nos exportations se sont élevées, en 1998, à 173 milliards de francs sur l'Union européenne et sur les pays tiers, dans une proportion d'un tiers, deux tiers. Ce chiffre nous place au premier rang mondial pour les exportations des produits de l'industrie alimentaire. En termes d'exportations, nous sommes devant les Etats-Unis, ce qui a de nombreuses significations dont nous pourrions parler longuement, mais c'est bien là la preuve que les produits de l'industrie alimentaire française sont reconnus au niveau mondial comme de qualité et apportant une satisfaction aux consommateurs, non seulement en France, mais également au-delà de nos frontières.
Pour en venir à cette question de la sécurité alimentaire, je tiens à souligner qu'elle est au c_ur des préoccupations des industries alimentaires. J'ai sous les yeux un chiffre, qui est une fourchette, de 20 à 40 milliards de francs pour les dépenses de sécurité alimentaire dans l'industrie alimentaire.
En fait, le minimum des dépenses consacrées à la sécurité des aliments représente 1 % du chiffre d'affaires et cela peut atteindre 5 %. Nous pouvons également citer le chiffre de 1 200 certificats ISO 9000 délivrés dans ce secteur, qui correspond à une démarche très forte dans le sens de l'assurance qualité.
On a déjà évoqué la méthode H.A.C.C.P., qui est largement présente dans de nombreux secteurs, mais aussi les guides de bonnes pratiques et des guides hygiéniques élaborés par de nombreuses fédérations professionnelles, le principe d'autocontrôle, les laboratoires qui existent dans les entreprises. Je citerai aussi un autre ratio : 15 % des dépenses de formation des salariés de l'industrie alimentaire concernent ces questions de sécurité alimentaire.
Dire que la sécurité des aliments est au c_ur des préoccupations des industries alimentaires n'est pas un vain mot, mais une réalité chiffrée, dont le mobile a déjà été cité : si nous n'offrons pas des produits garantissant toute sécurité aux consommateurs, c'est notre métier que nous mettons en cause.
De plus, la production d'aliments est particulièrement réglementée et contrôlée. Le corpus de textes réglementaires concernant l'aliment est particulièrement épais. Il est international dans le cadre du Codex alimentarius, mais aussi européen, avec les nombreuses réglementations européennes, et français.
La composition d'un aliment répond à un principe de liste positive : les ingrédients, avant tout emploi, doivent avoir fait la preuve de leur innocuité. Les conditions de production doivent répondre aux exigences sanitaires dont les objectifs sont fixés par la réglementation. 5 200 agents sont chargés, par les pouvoirs publics, de contrôler la qualité et la sécurité des denrées alimentaires.
Nous constatons que le nombre de toxi-infections d'origine alimentaire se situe à un niveau très faible. Un ordre de grandeur de cent décès par an a été cité. Aux Etats-Unis, le chiffre est sans commune mesure avec le nôtre, même en le rapportant à la population américaine. En France, nous sommes à un niveau extrêmement faible de toxi-infections sachant que la moitié de ces toxi-infections a pour origine une mauvaise utilisation du produit.
Cependant, l'industrie alimentaire est extrêmement préoccupée par la situation dans laquelle elle se retrouve depuis quelques années. Nous avons vécu une succession de crises alimentaires graves, mises en évidence par les médias, qu'il s'agisse de la crise de la " vache folle ", ou, plus récemment de celle de la dioxine, ou de crises plus mineures, mais toutes, bien qu'ayant pour la plupart, une origine extérieure à l'industrie alimentaire, jettent le doute sur la sécurité des aliments et mettent en cause notre métier et la façon dont nous le pratiquons.
Il y a plusieurs raisons à cela.
La première est, qu'aujourd'hui, on décèle beaucoup mieux tous les risques qui peuvent peser sur l'aliment, parce qu'il y a plus de contrôles, que les méthodes d'analyse sont de plus en plus fines et que le réseau de surveillance est en alerte permanente. Il existe aussi des raisons subjectives qui tiennent à un développement très important du recours au principe de précaution qui amène à communiquer de façon plus systématique, dès que l'éventualité d'un risque apparaît.
Une deuxième raison est que, dans l'opinion publique comme dans les médias, un amalgame est fait entre l'ensemble des maillons de la chaîne alimentaire. Lorsqu'un accident survient sur un aliment, c'est l'ensemble des maillons de la chaîne alimentaire qui est mis en cause, même si une partie de cette chaîne n'a aucune responsabilité dans ce qui est intervenu.
Quelques observations concrètes s'imposent à partir d'une des crises que nous avons rencontrées, celle de la dioxine apparue au mois de mai dernier. Cette crise a servi de révélateur. Nous, industries alimentaires, nous sommes dit que nous ne pouvions plus rester dans une situation où notre crédibilité et celle de nos produits étaient de plus en plus mises en cause parce que projetées médiatiquement sur le devant de la scène et que nous devions déterminer quel devait être notre comportement pour revenir à plus de raison. On ne peut pas, en effet, avoir une démarche extraordinairement rigoureuse pour garantir la sécurité alimentaire et accepter, dans le même temps, de laisser se développer l'idée que nous sommes des empoisonneurs, dont le seul mobile est de vendre des produits sans se soucier de la sécurité. Il faut revenir à la réalité.
La crise de la dioxine a été l'occasion de nous pencher sur cette question, à plusieurs niveaux. Nous avons constaté que cette crise qui s'est déroulée très rapidement, a donné lieu de la part des entreprises à une mobilisation très forte. De la part de l'administration, il y a eu également une mobilisation, mais on ne peut pas dire que la façon dont la crise a été gérée nous ait donné complète satisfaction. Les délais de réponse ont été lents. Les mesures prises ont rarement été d'effet proportionné, en tout cas, dans un premier temps. Nous avons constaté une série de dysfonctionnements qui ont beaucoup handicapé les entreprises et beaucoup pesé sur l'image de nos produits.
Sans entrer dans le détail de cette analyse, nous en tirons trois enseignements.
Premièrement, le recours systématique au principe de précaution se conçoit, mais doit être mieux défini. Nous attendons des pouvoirs publics que le principe de précaution fasse l'objet d'une définition plus précise, plus claire, pour que nous n'arrivions pas à un système qui paralyserait complètement notre activité, qui freinerait le progrès et qui, à la limite, ne permettrait plus à l'activité économique de se développer.
Le principe de précaution est certainement très important, mais il convient de l'éclairer de différents concepts, tels que celui de proportionnalité, déjà évoqué, celui de réversibilité, également évoqué et de bien noter que le recours au principe de précaution doit toujours avoir un caractère provisoire et non définitif. Si l'on suspend l'autorisation d'un produit, soit on le fait de façon définitive, et là, ce n'est plus par mesure de précaution, mais parce que l'on s'est aperçu du caractère nocif du produit, soit de façon provisoire, dans l'attente d'avoir des résultats scientifiques plus précis.
Tout ce qui pourra être fait permettant de mieux cadrer ce recours au principe de précaution rendra service aussi bien à ceux qui recourent au principe de précaution du côté des pouvoirs publics, qu'à ceux qui le subissent du côté des professionnels.
Deuxièmement, l'expertise et la gestion de la crise au niveau français se sont finalement mieux passées que ce que nous avons vécu au niveau européen. Une bonne partie des difficultés constatées est notamment liée aux dysfonctionnements au niveau communautaire et à ceux qui ont été observés dans d'autres pays de l'Union européenne. Nous avons longuement réfléchi à cette question de l'évaluation et de la gestion du risque au niveau européen et notre organisation professionnelle a pris une position concernant l'éventuelle création d'une autorité scientifique européenne chargée de l'évaluation du risque ainsi que d'autres considérations concernant la gestion du risque alimentaire au niveau européen, sur lequel des progrès importants sont à réaliser.
Troisièmement, de nombreux services de l'administration se sont mobilisés. Ils ont passé beaucoup de temps à se coordonner et il faut rendre hommage à leur volonté, mais cela a beaucoup ralenti la gestion du processus. Nous nous interrogeons sur l'efficacité du dispositif, quand il conduit à dépenser tant de temps en coordination. Un regroupement ou une meilleure répartition des rôles, pour rendre les choses plus rapides et plus efficaces ne devraient-ils d'ailleurs pas être envisagés ?
En revanche, nous avons salué l'efficacité et l'autorité de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui faisait ses premières armes à l'occasion de cette crise et dont les avis ont été des plus précieux.
En conclusion, je retiendrai trois principes concernant la sécurité des aliments, principes qui guident notre action et qui font le " modèle alimentaire français ", sachant que de nombreux modèles alimentaires coexistent et que nous ne refusons pas de consommer des produits venant d'autres pays du monde. Mais nous pensons que nous sommes dans la situation où nous sommes, parce que nous sommes fidèles à certains principes, que nous devons les préserver à tous prix, y compris lorsque nous sommes dans des négociations internationales pour libéraliser les échanges internationaux. C'était la position que nous avions prise avant les négociations de Seattle.
Ces principes sont des principes de transparence. Nous pensons que le patron, c'est le consommateur et que nous lui devons non seulement la sécurité, mais également la transparence sur ce que nous faisons. C'est un principe complexe, parce que nous sommes en mesure de donner de nombreuses informations au consommateur, encore faut-il qu'il soit capable de les lire, de les comprendre, de les interpréter. Dans ce domaine, nous pourrions avoir une démarche de manipulation, ce n'est pas notre principe, quand nous parlons de transparence, c'est dans un dialogue construit avec le consommateur que nous pourrons progresser afin de restaurer sa confiance envers nos produits.
Deuxième remarque sur ce modèle : la richesse de notre alimentation tient à sa diversité et à sa variété qui doivent être préservées comme des points forts de l'alimentation française. Si l'espérance de vie des Français a augmenté, c'est en partie grâce à leur alimentation, au fait que nos produits sont sûrs, certainement, mais aussi au fait que la diète française est équilibrée, riche et variée. Nous avons contribué à un certain bien-être de nos concitoyens.
Troisième remarque : notre modèle alimentaire repose sur des produits vivants, des produits emblématiques, comme les fromages au lait cru. Il faut absolument préserver ce type d'approche de l'aliment, qui respecte le vivant. D'autres modèles sont partisans d'une stérilisation du produit en fin de chaîne. Nous pensons au contraire que la logique de la chaîne alimentaire que nous devons promouvoir est celle du respect du produit tout au long de sa fabrication. C'est un élément très important dans les négociations internationales, sur lequel nous nous battons dans le cadre du Codex alimentarius, notamment. C'est un point sur lequel nous devons être très vigilants, d'une part, pour apporter les bienfaits de plaisir et de santé au consommateur et, d'autre part, parce que c'est un peu du patrimoine de notre pays.
M. le Président : La parole est à M. Jérôme Quiot.
M. Jérôme QUIOT : Monsieur le président, je voudrais vous remercier d'avoir invité un vigneron à cette table. Je suis moi-même vigneron dans la vallée du Rhône et j'exporte mes produits à 95 % dans 40 pays du monde.
Les appellations d'origine contrôlée vont du Cognac à la Champagne, du Bordeaux au Calvados, de la Bourgogne à la Loire et à la Provence. C'est un ensemble qui regroupe à peu près 450 000 hectares. Un emploi est généré par deux ou trois hectares, selon les appellations. C'est donc un secteur très fortement créateur d'emplois. L'exportation est considérable. La France est le premier exportateur mondial de vin et 30 % de nos produits sont exportés, soit à peu près 6 millions d'hectolitres.
Cette activité regroupe un nombre important de très petites entreprises. On compte approximativement 80 000 entreprises ou vignerons différents qui produisent leur vin.
Le vin est un produit fortement contrôlé, pour la simple raison qu'il est fiscalisé. Chaque fois qu'une bouteille sort d'une cave, d'un chai, elle paie une petite taxe, tant au niveau des interprofessions, qu'à celui de la douane. C'est un des éléments qui contribue à assurer une très bonne traçabilité.
Un certain nombre d'administrations nous suivent déjà par des contrôles à la vigne, des contrôles des transports, des contrôles de la consommation, des contrôles au niveau de l'élaboration des vins à travers l'I.N.A.O., la D.G.C.C.R.F. et la D.G.D.D.I., qui sont très impliqués dans tout le circuit de la distribution.
Le vin est donc un produit fortement " traçable " ; il porte une étiquette concernant autant la région de production, voire l'exploitation, que le metteur en bouteille. Tout au long de la chaîne, on peut suivre parfaitement le produit ; même si, aujourd'hui, je parle au nom des appellations d'origine, cela concerne l'ensemble des vins, qu'il s'agisse de vins de table, de vins de pays ou de vins d'appellation d'origine.
Un complément a été récemment installé en liaison avec la D.G.C.C.R.F., que l'on appelle le " suivi label qualité ", qui se traduit pratiquement par l'obligation pour les interprofessions de procéder à des prélèvements en grande surface. Ces prélèvements sont ramenés dans nos organismes et nos instituts, en vue d'avoir des analyses de produits, de conditions de production certes mais aussi plus fines allant jusqu'aux chloroanisole, chlorophénol, métaux lourds, ocratoxines, qui permettent d'avoir une traçabilité et une fiabilité assez précises du produit.
Dans bien des cas, quand on parle de fraude - et le milieu viticole y est extrêmement sensible, j'y reviendrai -, on peut être dans un cas de fraude, sans être concerné par les problèmes de sécurité. Pourquoi ? Parce qu'on touche à des usages, à des modes opératoires qui sont assez loin de problèmes de sécurité.
Nous sommes aussi dans un secteur très médiatique et, puisque nous sommes premier exportateur sur un produit parfaitement traçable, les pays étrangers sont toujours très attentifs à faire une mauvaise publicité au vin français. Ce qui s'est produit récemment à propos du sang de b_uf a eu des conséquences très importantes.
J'en dirai deux mots, parce que c'est assez significatif. Du fait de la médiatisation des risques, la profession a toujours eu le désir d'être un peu en avance. C'est ainsi, qu'en 1996, nous avons pris une décision professionnelle en accord avec la direction de la répression des fraudes pour conseiller à nos entreprises de ne pas utiliser de sang de b_uf dans le collage des vins. En 1996, cette mesure a été réglementairement établie en France ; en 1997, l'Europe l'a appliquée, suivie, en 1998, de l'O.I.V., l'Office international de la vigne et du vin. A cette date, la mesure était donc applicable à l'ensemble du monde.
En 1999, dans une région de production, on a trouvé du produit dans une cave pour l'utilisation de 500 hectolitres de vin. Ce vin n'était pas un produit d'appellation d'origine contrôlée. Dès le lendemain, après une petite maladresse, il y avait des reportages sur trois chaînes de télévision et, dans les dix jours qui ont suivi, 14 000 articles de presse ont été publiés dans le monde entier. La Chine a envisagé une interdiction d'importation pour les vins français. Il y a eu des discussions entre la France et les Etats-Unis, ces derniers voulant empêcher l'entrée des vins français, tout comme le Japon.
Dans ma région des côtes du Rhône, nous n'avons constaté aucune baisse des ventes, ni en France ni à l'étranger. Pourtant, en France, le sujet a fait quasiment deux heures et demie d'antenne !
Il a fallu aller de l'avant et nous avons pris un certain nombre de décisions concernant, par exemple, les boues d'épuration ; certains syndicats, comme la Champagne, ont demandé l'interdiction de l'épandage des boues d'épuration. D'autres appellations vont aller dans le même sens et vont l'interdire.
Nous avons aussi essayé d'établir un principe de prudence, notamment dans le cas des levures, en nous attachant à favoriser, par les instituts locaux de recherche, les levures aux endogènes et d'éviter tout ce qui pourrait être O.G.M.
Actuellement, nous conduisons une réflexion dans le cadre d'une commission appelée " Terroir et Environnement ", en partant du principe, qu'évidemment, il existe tout le suivi du produit, mais qu'une vigne est installée pour des années et des décennies et que l'on touche là aux mystères de la biologie. Aussi réfléchissons-nous au contrôle des intrants, tant en ce qui concerne les engrais, les produits de traitement ou divers éléments qui peuvent influencer et se retrouver, à long terme, dans le vin.
Il est évident que nous sommes obligés d'aller vers ce type d'obligations - nous avons évoqué l'H.A.C.C.P. - en raison du contact régulier qui existe entre l'acheteur de vin et le producteur, car l'acheteur risque de répercuter directement les effets d'une campagne nocive, puisqu'il peut connaître le producteur du produit. Nous sommes obligés d'aller vers une obligation de moyens et une obligation de résultats due au développement d'un élément nouveau, celui du tourisme viticole. Quand un acheteur vient dans une région viticole, il veut visiter le vignoble et savoir quels engrais ou produits ont été utilisés. Cela nous oblige souvent à aller largement au-delà de l'obligation de sécurité, l'image étant un facteur particulièrement important dans le cadre des A.O.C. Nous sommes donc contraints, en raison de la médiatisation du produit, d'aller au-delà de la réglementation.
M. le Président : La parole est à M. Roland Stalder.
M. Roland STALDER : J'aimerais vous remercier de nous avoir permis de nous exprimer au sujet de la sécurité alimentaire, un sujet vital pour notre industrie.
Je suis directeur qualité chez Nestlé France depuis le début de l'année. J'ai auparavant occupé différentes fonctions dans le domaine de l'évaluation de la sécurité et des risques alimentaires en Suisse et en Allemagne.
Suite aux différentes crises alimentaires récentes, nous nous sommes posé de nombreuses questions quant à la qualité alimentaire et aux procédures d'évaluation et de gestion du risque.
Aujourd'hui, je développerai trois points. Le premier porte sur la sécurité des produits alimentaires industriels. Le deuxième a trait aux procédures de gestion des crises. Le troisième concerne le problème des risques perçus.
Les produits alimentaires n'ont jamais été aussi sûrs. Le niveau de santé de notre population n'a jamais été aussi bon. Les progrès de la santé publique sont dus aux progrès médicaux, mais aussi à la qualité de notre alimentation. Jamais l'offre de produits alimentaires n'a été aussi diversifiée, permettant de composer des repas variés et complets sur le plan nutritionnel.
La sécurité alimentaire intéresse la santé publique et donc les politiques et les administrations. Mais elle est tout aussi importante pour l'industrie. La moindre faute, les moindres lacunes dans nos dispositifs de sécurité ont des répercussions sur la confiance des consommateurs et l'image de nos produits et de nos marques. En cas de crise, les dégâts commerciaux ne se limitent pas seulement au produit concerné. Tout un secteur ou les produits de toute une région peuvent être concernés et entraînés dans la crise.
L'industrie alimentaire a acquis un niveau de sécurité très élevé grâce aux progrès et connaissances scientifiques et technologiques qui permettent d'identifier les dangers et de les maîtriser. L'outil de cette maîtrise s'appelle le H.A.C.C.P. Les dangers liés à une matière première ou à une méthode de fabrication sont analysés et des plans de contrôle sont mis en place. Toutes nos lignes de fabrication ont été analysées avec cet outil, un outil qui nous donne satisfaction et confiance dans la sécurité de nos produits.
Le deuxième point que j'aimerais aborder concerne la gestion des crises.
Une crise telle que celle de la dioxine était un accident ; elle n'était pas prévisible et a donc échappé aux outils de prévention en place. Par contre, elle nous a montré, qu'une fois le problème connu, nous pouvions mettre rapidement en place les dispositifs de gestion de crise et que nous étions capables de réagir vite, d'identifier l'étendue du problème et de lancer les mesures nécessaires pour maîtriser cette crise.
Pour une gestion efficace des crises, en particulier de crises éclatant à la suite d'accidents, plusieurs conditions sont requises.
Les informations sur une crise, la nature du problème doivent parvenir rapidement à tous les acteurs de la chaîne alimentaire. Chaque jour gagné réduit l'étendue d'une crise. Les quatre mois qui se sont écoulés entre la détection du problème en Belgique et les premières informations données aux industriels et à tous les autres acteurs de la chaîne alimentaire ont été bien trop longs et difficiles à comprendre.
L'évaluation des risques doit être faite rapidement sur la base des éléments scientifiques. Elle doit être harmonisée au niveau supranational quand la crise touche plusieurs pays. Signalons ici le rôle important qu'a joué l'A.F.S.S.A. pendant cette crise.
L'organisation de la gestion des risques doit être coordonnée entre les administrations et tous les partenaires impliqués, lesquels doivent être intégrés dans les cellules de crise de l'administration. Seul un effort commun et coordonné permettra une prise de décision en toute connaissance de cause.
Mon troisième point concerne les risques alimentaires perçus.
En plus des problèmes réels de sécurité alimentaire, il existe un bon nombre de problèmes perçus qui, objectivement, ne posent aucune difficulté de santé pour le consommateur. C'est la peur du nouveau, de l'inconnu, de l'étranger, du non-familier qui est souvent à l'origine de ces risques perçus. Cette insécurité est parfois habilement exploitée par des médias ou des organisations diverses, qui parlent de la " mal-bouffe ", en pensant surtout à des produits alimentaires nouveaux, à des changements dans les habitudes. La " mal-bouffe " existe, certes : c'est une alimentation déséquilibrée, par exemple, avec trop de graisses, mais elle existe aussi bien avec des produits traditionnels qu'avec des produits nouveaux. Un repas dans un Mc Do, qu'on l'apprécie ou non, peut être, d'un point de vue nutritionnel, tout aussi bon, voire meilleur, qu'un repas dans un restaurant traditionnel.
La longue série de crises, perçues ou réelles, a insécurisé les consommateurs, mais cette peur est infondée. Je le répète, les produits alimentaires industriels sont sûrs, mais nous sommes confrontés à un problème de perception. Le vrai défi de la sécurité alimentaire est de savoir comment regagner la confiance des consommateurs. C'est un effort à long terme.
Ce que cherche le consommateur, c'est la confiance.
Confiance dans les autorités qui doivent évaluer les risques sur la base des connaissances scientifiques et des connaissances du marché et de la consommation. Cette évaluation doit être harmonisée pour être crédible. Une cacophonie d'avis divergents entre les différents pays ne fait qu'augmenter l'insécurité des consommateurs.
Confiance dans les autorités amenées à gérer les risques et qui ont le courage de prendre rapidement des décisions, sans se cacher derrière un principe de précaution mal compris. Les hésitations, les retards dans les prises de décision accroissent les craintes et l'incertitude du consommateur.
Confiance envers des industriels capables d'offrir des produits de qualité aux consommateurs, mais qui leur doivent la transparence, la cohérence entre les paroles et les actes pour développer ce capital si important.
M. le Président : Après ce tour de table, nous allons procéder au jeu des questions et des réponses. Je donne la parole à notre rapporteur, pour vous poser quelques questions de nature à faire avancer le débat.
M. le Rapporteur : Je vais sélectionner quelques questions parmi celles que j'aurais à poser, afin que tout le monde puisse participer au débat. Je reviendrai éventuellement, dans une deuxième intervention, sur d'autres questions.
Notre mission atteint avec vous un échelon intermédiaire de cette filière alimentaire. Après avoir entendu les producteurs, nous arrivons maintenant à la phase de la transformation. La sécurité, ainsi que cela a été souligné, est une affaire de filière. Notre propos est d'essayer d'améliorer cette sécurité tout au long de la filière. Des remarques et des propositions ont été faites. Je voudrais insister sur quelques points qui n'ont pas été abordés.
En bout de course, le consommateur dispose d'une série d'informations, parfois assez touffues et confuses, qu'il faudrait parvenir à clarifier. Par exemple, s'agissant des signes de qualité, le consommateur a du mal à se retrouver dans les différentes propositions qui lui sont faites.
A propos de sécurité, à côté des grands groupes de transformation qui obéissent à des normes précises, beaucoup d'entre vous parlaient de P.M.E. et de P.M.I. J'aimerais savoir quelles pratiques de contrôle sont utilisées dans ces P.M.E.-P.M.I. Nous avons entendu parler d'autocontrôles, mais existe-t-il un contrôle de ces autocontrôles ? Comment la sécurité est-elle prise en compte dans ces P.M.E.-P.M.I. ? Comment envisagez-vous notamment l'intervention des experts auxquels vous faites appel ? Ceux-ci sont-ils totalement indépendants ou sont-ils liés à de grands groupes ? On a vu parfois dans certains laboratoires des équipes de recherche profiter de subventions de grands groupes, équipes dont sont également issus des experts contrôlant les produits de ces groupes.
J'aimerais aussi avoir votre opinion sur un dossier dont personne n'a parlé, celui de l'embargo sur le b_uf britannique. Vous avez beaucoup parlé du principe de précaution. Ce principe a été souvent évoqué dans cette enceinte à propos des organismes génétiquement modifiés. Nous aurons un forum spécial sur le principe de précaution. Déjà, des propositions ont été faites au Gouvernement, mais si vous aviez des propositions à nous faire en tant que responsables d'industries agroalimentaires, nous serions preneurs.
Enfin, M. Mangenot a fait allusion à un montant de 20 à 40 milliards de francs utilisés dans la recherche pour la sécurité alimentaire. Pourriez-vous rapprocher ce chiffre du financement utilisé dans la publicité ?
M. le Président : La parole est à M. Le Tyrant.
M. Gérard LE TYRANT : Je répondrai à la question concernant les petites et moyennes entreprises. Le secteur de la charcuterie ne compte pratiquement que des P.M.E. La mise en place d'outils pour la sécurité est réellement un problème pour ces petites structures qui n'ont pas souvent le personnel d'encadrement nécessaire, ingénieurs ou vétérinaires, que l'on trouve dans les grandes entreprises.
Tout d'abord, nous avons mis au point des outils collectifs, que ce soient les guides de bonne pratique d'hygiène, le système H.A.C.C.P. ou les protocoles de validation des D.L.C. Mais encore faut-il ensuite faire passer ces outils sur le terrain et assurer leur mise en place dans ces petites entreprises. Pour ce faire, nous organisons des journées de formation et nous nous appuyons sur les ingénieurs, techniciens et vétérinaires du centre technique de la charcuterie et salaisons, qui aident à la mise en place de ces outils. Enfin, il convient de contrôler ces outils. Ce contrôle est effectué, d'une part, par les services vétérinaires d'hygiène alimentaire, au niveau des D.S.V., et, d'autre part, par les services achats de la grande distribution.
M. le Président : La parole est à M. Michelon.
M. Yves MICHELON : Je voudrais renchérir sur ce que vient de dire M. Le Tyrant. Le secteur de la conserve compte beaucoup de petites entreprises et nous aussi nous appuyons sur un centre technique.
On peut mettre l'accent sur l'utilité des organes collectifs en matière de recherche, de contrôle et de formation. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur notre centre technique pour développer les méthodes de contrôle, H.A.C.C.P., par exemple. Ces méthodes ont également donné lieu à des programmes de formation élaborés avec le concours du centre technique et diffusés au moyen de programmes régionaux ou européens. Dans les secteurs où il reste des petites entreprises, les organes collectifs sont un instrument à privilégier pour assurer la sécurité alimentaire.
M. Jean-Pierre TILLON : Sur l'affaire de l'embargo, je vais vous raconter une anecdote qui résume assez bien la différence entre l'analyse du risque, la gestion du risque et la décision.
Monsieur Dominique Dormont, le grand spécialiste français, confiait récemment, lors d'une interview, que, si les Anglais lui avaient demandé s'il existait un risque particulier interdisant que l'Angleterre reprenne les exportations de viandes sur le continent, il aurait probablement répondu non. Dans le cas précis, il n'existe pas de risque particulier, mais un risque général, inhérent à toute consommation alimentaire. Nous connaissons tous des personnes qui habitent à Londres, qui consomment cette viande : il n'y a pas des Européens en danger, d'un côté et des Européens qui ne sont pas en danger de l'autre. On arrive rapidement à une situation qui nécessite une vision plus globale.
M. le Rapporteur : L'incubation est de quinze à vingt ans...
M. Jean-Pierre TILLON : Le dernier cas mentionné dans la presse internationale est celui d'un homme mort à cinquante-sept ans, originaire de Papouasie Nouvelle Guinée, qui a pu consommer de la cervelle de gens décédés de la maladie de Creutzfeldt-Jacob jusqu'à l'âge de dix ans. Aujourd'hui, l'incubation théorique est donc de quarante-sept ans ! Plus on accroîtra notre connaissance, plus on risque d'accroître notre douleur, mais cela, c'est dans le livre de l'Ecclésiaste, datant du Vème siècle avant Jésus Christ !
M. Dormont rencontre notre ministre qui lui demande, s'il subsiste des risques dans la consommation de viande britannique. Dans les termes de la question - subsiste -, il est clair que l'on cherche une garantie supplémentaire. M. Dormont répond bien sûr par l'affirmative. Tant que tout n'a pas été démontré - et vous savez que la recherche sur les prions est de plus en plus complexe -, un risque subsiste.
M. Dormont répond donc négativement aux Anglais et positivement aux Français. A ce moment-là, M. Gérard Pascal, président du comité scientifique européen, lui demande à son tour, si des éléments nouveaux justifieraient que la France ne respecte plus l'engagement pris au niveau communautaire il y a un an. Il lui répond qu'il n'existe pas d'éléments nouveaux.
Ainsi, selon que l'on parle de gestion de risque, d'analyse du risque, de principe de précaution - position française - ou de règles internationales, avec en arrière plan le Codex alimentarius - position de Bruxelles -, la réponse est variable. Il devient urgent de nous doter sur toutes ces questions de règles du jeu précises. La science sera toujours là pour jeter le doute, mais il faudra bien que quelqu'un dise la loi.
M. le Président : La parole est à M. Mangenot.
M. Yves MANGENOT : Pour répondre à la dernière question de M. Chevallier portant sur les chiffres, je redis la précaution que j'avais mise sur le chiffre concernant la sécurité alimentaire. Nous engageons actuellement une étude pour avoir les chiffres précis. La fourchette allant de 20 à 40 milliards est donc une estimation. En revanche, pour les dépenses de publicité, le chiffre précis pour 1998 est de 10,6 milliards de francs.
Pour revenir sur votre première question, la sécurité des aliments est effectivement une question de filières. Nous sommes capables de faire des aliments sûrs avec une matière première de qualité, mais il est plus difficile de le faire avec une matière première qui n'est pas de bonne qualité ! Le lien entre notre approvisionnement et l'approvisionnement de notre approvisionnement est donc très fort. L'évolution de la relation entre le monde agricole et les industries alimentaires devient, par conséquent, de plus en plus " qualitative ".
A cet égard, nous sommes très attentifs à tout ce qui tourne autour du concept d'agriculture raisonnée, concept à préciser d'ailleurs. Nous pouvons en faire un argument marketing, mais ce n'est pas du tout notre position, car nous pensons que cela serait dangereux. En revanche, ce concept peut être une manière d'approcher la gestion de la production agricole de façon plus respectueuse de l'environnement et de la sécurité et nous sommes bien décidés à essayer de favoriser cette approche dans la mesure de nos moyens.
Jean-François Molle souhaite peut-être compléter sur ce sujet, en tant que grand spécialiste de l'agriculture raisonnée.
M. Jean-François MOLLE : Nous pouvons dire, en rejoignant les propos de M. Ballé sur " Agriconfiance ", qu'en général, les industriels de l'agroalimentaire ont remplacé la très ancienne méthode de contrôle à réception des matières premières qu'ils utilisent, contrôles de conformité en termes de qualité et de sécurité, par des contrôles d'audits fournisseurs pour vérifier que ceux-ci appliquent les méthodes d'assurance-qualité, qu'ils pratiquent bien les méthodes qui feront que le résultat sera là. Cela n'exonère pas des contrôles, mais cela les allège.
Sur une matière première, on peut contrôler soit par analyse - en général, malheureusement, les problèmes arrivent entre deux analyses ou sur quelque chose que l'on n'analyse pas ! -, soit en contrôlant les méthodes de production de cette matière première. Il faut bien dire que le dernier secteur fournisseur qui ne faisait pas l'objet de cette démarche pour l'industrie agroalimentaire était le secteur agricole ! Nos fournisseurs d'ingrédients, nos fournisseurs de packagings font l'objet de ces démarches assurance-qualité. " Agriconfiance " a été une grande innovation en développant cette approche de prévention de bonnes pratiques qui donne confiance dans l'obtention de résultats à l'industrie alimentaire, appliquée au niveau du secteur agricole.
M. le Rapporteur : Etes-vous en train de nous dire que tout est parfait depuis le producteur ou le transformateur et que la responsabilité est maintenant au niveau du consommateur, du panier de la ménagère au réfrigérateur, donc, jusqu'à la consommation ?
M. le Président : La parole est à Mme Rivasi.
Mme Michèle RIVASI : Sur ce problème de la sécurité alimentaire, vous avez parlé de filières, de cahiers des charges et d'approvisionnement.
J'aimerais connaître votre avis sur quelques cas concrets.
Quelle est votre position sur le cas d'une exploitation agricole située à proximité d'un incinérateur, sachant qu'un incinérateur risque de produire de la dioxine ? Même si les normes européennes sont minces, il produit quand même de la dioxine.
Deuxième cas : quelle est votre politique sur les exploitations qui utilisent les boues de stations d'épuration ? Les acceptez-vous ou pas ?
Une question plus directement destinée à Danone et Nestlé : quand vous trouvez du lait contaminé à la dioxine, comme cela s'est produit dans le nord de la France, indemnisez-vous les agriculteurs ?
Ces cas concrets permettent de voir qu'il y a un affichage et une réalité.
A l'heure actuelle, se pose le problème de la réglementation et du cahier des charges imposé pour un label, sachant que des exploitations industrielles peuvent se créer, qui changent la situation. En tant que transformateurs, quelle est votre position sur ce point ?
Je m'adresse maintenant plus particulièrement à M. Le Tyrant pour une question portant sur la qualité du porc. Je pose la question en tant que consommatrice. Vous nous dites que les élevages industriels sont très bons pour la santé des animaux, ce dont je suis moins sûre quand je vois les conditions d'élevage industriel. Pourquoi constate-t-on une telle différence de qualité de viande entre les élevages industriels et les élevages traditionnels, notamment au niveau des porcs ? Avez-vous fait des études pour savoir si c'est le pourcentage d'eau, les hormones ou d'autres produits qui font que la viande n'a ni le même goût, ni la même tenue ?
Vous dites que la sécurité sanitaire est garantie à tout le monde ; cela est peut-être vrai à partir des connaissances scientifiques actuelles ; mais la qualité gustative et la tenue des produits méritent-elles cette même appréciation ?
M. Jérôme Quiot parlait tout à l'heure de l'anticipation des problèmes, citant l'exemple de l'interdiction du sang de b_uf. Anticipez-vous certains problèmes à venir ? Ne serait-il pas intéressant d'avoir une attitude préventive plus forte vis-à-vis de la qualité de certains produits ou de ce que vous demandez à vos exploitants ?
M. le Président : La parole est à M. Angot.
M. André ANGOT : Plusieurs intervenants ont évoqué la gestion des crises alimentaires. Nous avons, il est vrai, un réel problème à ce sujet. En effet, dès qu'un problème de sécurité alimentaire survient, la presse s'en empare, avec parfois des surenchères pour prévoir les catastrophes maximales. Notre commission d'enquête devra faire des propositions. Parmi celles-ci, il serait utile de proposer la création d'une cellule de gestion des crises rassemblant des spécialistes de la sécurité alimentaire et, éventuellement, des consommateurs et des responsables de l'administration. Pensez-vous qu'une telle cellule mériterait d'être créée et qu'elle serait utile pour la gestion des crises alimentaires qui, malheureusement, se reproduiront bien un jour ou l'autre ?
M. le Président : La parole est à M. Ballé.
M. Joseph BALLE : Avant tout, j'aimerais revenir sur l'agriculture raisonnée. Je partage le point de vue de M. Mangenot. Une mission a d'ailleurs été confiée sur ce thème par M. le ministre de l'Agriculture à M. Guy Paillotin.
Un certain nombre de concepts émergent ; si l'agriculture française a besoin d'outils qui lui redonnent une meilleure image, encore faut-il que ces outils correspondent bien à une réalité et à des enregistrements.
Par ailleurs, nous disposons d'outils comme la certification de la qualité. Plusieurs intervenants ont souligné que la qualité était liée aux marques, qui sont très responsables et engagées, car elles subissent directement les conséquences.
En ce qui concerne la certification de produits, il existe aussi une certification officielle. M. Quiot vous parlera des A.O.C., mais le ministère de l'Agriculture est propriétaire du logo " label rouge ", bien connu dans le secteur de l'agriculture et présent maintenant dans la plupart des productions.
Il existe également la certification de conformité : des référentiels sont déposés, un plan de contrôle est mis en place et des organismes certificateurs interviennent. Les opérateurs, les groupements qualité ont la possibilité d'apposer la marque " atout qualité certifiée ".
Il y a aussi l'agriculture biologique, avec le logo A.B., également propriété du ministère de l'Agriculture.
Ces différents logos, marques officielles de qualité et propriété du ministère de l'Agriculture, sont des outils qui permettent de rassurer le consommateur. Un travail rigoureux est mené à ce niveau. Le chiffre d'affaires du logo " label rouge " est légèrement supérieur à 6 milliards ; celui de " atout qualité certifiée " est supérieur à 15 milliards et celui de l'agriculture biologique est évalué entre 3 et 4 milliards. Ils représentent donc déjà une partie significative de la production.
De plus, pour ces segmentations de marché, nous avons une possibilité importante d'aller beaucoup plus loin en garantie : le logo " label rouge " apporte la garantie de la qualité supérieure des produits avec une révision régulière des notices techniques, afin d'augmenter le niveau de cette qualité supérieure.
En ce qui concerne la certification de conformité, la section des référentiels qui traite les dossiers et donne un avis au ministre de l'Agriculture avant homologation, impose d'avoir deux communications qualifiables du produit par rapport au niveau du standard.
En ce qui concerne la production biologique, c'est différent, il s'agit d'un mode de production qui est garanti. J'espère avoir répondu à la question posée par M. Chevallier. Il existe des outils, mais il est nécessaire de les conforter.
Les boues de stations d'épuration posent un vrai problème. C'est surtout un problème des villes, qui devient un problème de l'agriculture. Il faut accomplir un travail sérieux à ce propos. J'ai présidé une coopérative importante d'abattoirs de viande bovine, qui traitait plus de 200 000 tonnes de viandes de porc et de volaille. Les déchets représentaient 30 000 tonnes, mais ces déchets correspondaient à des produits que l'on utilise.
Aussi, faire l'amalgame entre toutes les boues me paraît très dangereux. Et on est parti pour ça, pour refuser l'utilisation des boues partout ! Or il existe quantité de boues " de qualité " qui peuvent être utilisées. De plus, si nous décidions de brûler toutes ces boues, nous créerions d'autres pollutions.
M. Jean-François MOLLE : Je souhaite apporter des réponses très précises. En ce qui concerne la dioxine dans le Nord et l'incinérateur de Halluin, dès la parution des résultats, nous n'avons plus utilisé le lait. Nous avons continué à le prendre, à le détruire en station d'épuration de l'usine, à le payer aux agriculteurs et, bien évidemment, nous avons présenté la facture, qui a été payée, à la communauté urbaine de Lille - c'était la moindre des choses que les autorités publiques locales respectent les réglementations en vigueur.
En ce qui concerne les exploitations situées auprès d'incinérateurs, nous sommes en discussion avec la ville italienne de Corte Leone qui veut s'équiper d'un incinérateur. Nous avons une usine Galbani dans cette région. Il faut vraiment qu'un incinérateur fonctionne extraordinairement mal pour produire des quantités de dioxine significatives au plan sanitaire. N'affolons pas la population avec la dioxine, c'est un sujet " payant " mais, son impact sanitaire potentiel est extraordinairement faible. Interrogez M. Pascal à ce sujet. Les responsables de la santé publique ont en tête une claire hiérarchisation des risques alimentaires : l'obésité vient certainement en tête ; l'hygiène et les salmonelles suivent très nettement derrière ; et tout ce qui est risque chimique reste faible. Donc nous nous bagarrons surtout pour un risque d'image. Vous imaginez bien, qu'en Italie, le pays de Seveso, la dioxine a mauvaise presse.
Alors, de grâce, que la technostructure ne rajoute pas au débat médiatique ! Cela étant, il serait préférable que les incinérateurs soient aux normes.
En ce qui concerne les boues, la politique suivie par Danone est la suivante : nous n'avons pas pris la décision, à la fois facile et démagogique, d'interdire à nos fournisseurs de produits agricoles d'utiliser des boues. C'était une décision très facile à prendre. En tant que responsable de la sécurité alimentaire chez Danone, je n'avais que deux lignes à écrire : il est interdit d'acheter des matières premières agricoles ayant utilisé des boues au cours de leur processus de production. Ultra facile, ultra irresponsable !
Je rappelle qu'aujourd'hui, aux Etats-Unis, 97 % des boues sont mises en décharge, que 3 % seulement sont épandus sur les terrains agricoles et que tout le travail de l'E.P.A. consiste à montrer qu'une société moderne ferait mieux de mettre ses boues, à condition qu'elles soient contrôlées, sur les champs. Nous sommes dans la situation inverse. Là encore, attention au jeu médiatique ! Dès qu'un industriel décidera qu'il ne veut plus de boues - il y en a déjà eu un, qui a eu quelques problèmes -, nous ne pourrons que suivre, quel que soit l'état de la science. Nous ne sommes pas là, nous, producteurs de grande consommation, pour faire de la science ! Nous sommes là pour apporter du plaisir à un consommateur et le rassurer et pas pour lui montrer qu'il a tort en ayant peur des boues.
La politique de Danone est très claire : nous exigeons de nos fournisseurs qui utilisent des boues de nous en prévenir. Ils doivent tenir à notre disposition les cahiers d'épandage et faire les analyses prévues par la loi de février 1998.
Dernier point sur l'anticipation. C'est un phénomène fondamental. J'ai dit tout à l'heure que les grandes crises que nous vivons sont des crises génériques autour de risques perçus, avec un contenu scientifique assez flou. Nous les suivons de très près. C'était les O.G.M. avant que le dossier n'explose, en octobre 1996, avec l'arrivée des bateaux de soja. Mais il en est d'autres, que nous analysons en permanence.
Le point clé, c'est ce qui s'est passé dans cette salle avec la Conférence des citoyens. Si, ensemble, technostructure, industriels, politiques, administration, scientifiques, nous n'avons pas le courage d'ouvrir des débats préalables, avant que les crises n'éclatent, nous perdrons toute notre crédibilité. Aujourd'hui, sur les O.G.M., vous pouvez dire ce que vous voulez, deux plus deux égalent quatre n'intéresse personne ! En revanche, en la matière, le premier expert - et Dieu sait s'il y en a - qui affirmera que deux plus deux égalent cinq, fera de l'audience pour la simple raison que les consommateurs et les médias considèrent qu'une fois qu'une crise a éclaté, justifiée ou non, toute parole de la technostructure est discréditée, parce qu'elle est soupçonnée à juste titre de vouloir étouffer les problèmes.
Le facteur clé de la crédibilité sur les risques est l'anticipation. Si nous sommes capables de parler de ces risques - et nous les connaissons tous - avant que les crises n'éclatent, nous avons quatre-vingt dix-neuf fois sur cent l'opportunité de les désamorcer. En revanche, le même contenu scientifique d'un message donné après que la crise a éclaté ne sera absolument plus crédible, car nous sommes alors soupçonnés de vouloir tout calmer.
Mme Michèle RIVASI : Que voyez-vous comme problèmes, puisque nous parlons d'anticipation ? Vous avez parlé des O.G.M.
M. Jean-François MOLLE : Vous avez les résidus de pesticides, thème qui peut redémarrer en permanence ! Autre très beau sujet : les perturbateurs endocriniens. C'est un peu comme les O.G.M. Si ces derniers concernent la rupture de l'ordre naturel, les perturbateurs endocriniens, eux, concernent la rupture de la sexualité ! C'est un beau sujet ! De temps à autre, paraissent des articles sur les poissons anglais qui ont une sexualité douteuse, l'inversion de sexe des poissons dans la Tamise, ou encore sur les alligators de Floride.
Et nous, que pouvons-nous dire sur les perturbateurs endocriniens ? Il n'existe aucune preuve in vivo chez l'homme. Des preuves in vitro, oui, mais à des doses qui n'ont rien à voir avec les doses des perturbateurs endocriniens que l'on peut trouver dans l'alimentation, dont certains sont d'ailleurs tout à fait naturels.
Si nous avons le courage aujourd'hui, de dire aux leaders d'opinion que sont les associations de consommateurs, par exemple, que nous voudrions leur parler d'un problème que l'on estime raisonnablement sous contrôle, mais qui peut exploser, comme celui des perturbateurs endocriniens, il est probable qu'après deux ou trois réunions, ils constatent que nous avons l'air de connaître notre affaire et qu'il n'est pas besoin de s'inquiéter. En revanche, si cela explose dans la presse avant que nous en ayons parlé, nous entendrons dire : " Encore un cadavre que l'on nous cachait ! " A partir de là, vous pourrez dire tout ce que vous voulez, que les doses ne sont pas significatives, cela ne présentera plus aucun intérêt.
Perrier a perdu son indépendance avec des doses de benzène qui n'avaient aucune signification toxicologique. Donc, facteur clé ; il y a un moment opportun pour l'ouverture du débat. Il faut retrouver une qualité de débat public que l'on a perdue sur la question de la sécurité des aliments.
M. François COINDREAU : Je souhaite compléter la réponse de M. Molle à Mme Rivasi. J'ai dit que la politique de sécurité alimentaire de notre syndicat et de l'ensemble des syndicats alimentaires, me semble-t-il, est axée sur la prévention. J'ai cité un exemple concret : en 1990, avant que l'affaire de l'E.S.B. n'éclate, les fabricants de petits pots pour bébés avaient décidé de ne plus utiliser de viandes anglaises et certains abats. La crise de la " vache folle " existait déjà en Angleterre. Sa transmissibilité à l'homme n'avait pas encore été prouvée, mais elle existait. Par précaution, les fabricants d'aliments pour bébés ont décidé de ne plus utiliser ces matières premières.
Le fondement même des commissions sécurité de nos syndicats est d'examiner les risques à venir. Ces commissions regroupent des experts de grandes entreprises et des participants de plus petites entreprises. Nous publions des recommandations, recommandant la prudence sur telle ou telle chose. Il est de la responsabilité de chacun de les suivre ou pas.
Aujourd'hui, notre matière première fondamentale sont les céréales, puisque nous fabriquons des biscuits, des biscottes, des céréales de petit déjeuner. Nous menons une réflexion sur les mycotoxines, les pesticides, les métaux lourds, au sujet desquels nous posons la question de savoir quels sont ceux qui sont réellement dangereux, ceux qui ont des chances de se trouver en proportion significative dans le blé ou le maïs français. Nous nous demandons quelles mesures prendre pour surveiller l'évolution, au fil du temps, d'une contamination, quelles mesures conseiller à nos entreprises, afin d'assurer des contrôles réguliers, par sondage, qui leur permettent de savoir si leurs approvisionnements sont indemnes de contamination ou, si contamination il y a, si celle-ci se situe en deçà des seuils acceptables ?
Il s'agit d'un travail souterrain, mais qui est fait. C'est un travail qui est loin d'être parfait, parce que l'on découvre tous les jours de nouvelles sources possibles de contaminants. Certaines sont plus difficiles à cerner. Je pense, par exemple, au chocolat, qui est l'une de nos matières premières de base. Les possibilités de contamination de la fève de cacao sont considérables, d'autant plus que ces denrées sont produites loin de chez nous, dans des conditions d'hygiène qui ne sont pas toujours excellentes.
Un travail est nécessaire pour répertorier les risques les plus élevés, en danger et en fréquence car, à l'évidence, nous ne pouvons pas contrôler tous les produits, tous les arrivages, sur tous les risques ! Se pose un problème de hiérarchisation des risques. Le travail qui est fait dans ces commissions permet d'anticiper sinon la totalité, du moins un certain nombre de risques et de prendre des mesures concrètes qui se traduisent pour la plupart des producteurs par des lignes supplémentaires dans leurs spécifications matières premières et par des plans de contrôle additionnels.
Je répondrai à M. Angot sur la gestion des crises, mais sur l'anticipation des crises, peut-être d'autres personnes souhaitent-elles intervenir ?
M. Jean-Pierre TILLON : Vous demandiez des exemples concrets sur l'anticipation des crises. Lundi, s'est tenue dans mon entreprise une réunion au sujet de l'huile de palme. On peut trouver aujourd'hui, à Rotterdam, l'huile de palme à 2 francs le litre ; or le cours officiel se situe autour de 3,5 francs. J'ai fait procéder à des analyses sur ces produits, qui peuvent être achetés et utilisés en alimentation animale. Nous ne trouvons rien d'anormal. La décision qui a été prise a cependant été de nous soustraire totalement à l'utilisation de ces produits, parce que nous avons un doute. A défaut de pouvoir donner les raisons d'une telle différence de prix, nous renonçons à l'utilisation de ces produits.
Une lettre a donc été adressée à toutes les coopératives déconseillant totalement l'utilisation de ce produit, alors que nous n'avons aucune preuve qu'il puisse être mauvais ! Nous sommes dans des systèmes interactifs où l'information circulant entre nos clients et nos fournisseurs, nous amène à prendre des décisions.
Quant à l'élevage de porcs, j'apporterai quelques éléments qui relèvent peut-être du bon sens, mais qui font partie de ces thèmes dont j'aimerais discuter avec les consommateurs et les élus.
Vous représentez, je crois, Madame, une région où il y a peu d'élevages de porcs. Un fossé énorme s'est créé entre le citoyen et le producteur. Dans votre région, il y a vingt ans, les porcheries industrielles étaient utilisatrices de coproduits, notamment de dérivés d'industries agroalimentaires. La vision qu'on pouvait avoir des animaux, souvent pas très propres, surtout qu'il fait chaud dans votre région, n'était pas flatteuse. De plus, le cochon n'a pas la réputation d'être un animal particulièrement élégant et propre. Il y a donc un problème d'image.
Aujourd'hui, dans des porcheries en Bretagne - je prends cet exemple, qui me vient à l'esprit car j'y étais la semaine dernière -, vous ne voyez pas de cochons sales. L'apparence des animaux n'est plus en phase avec ce que les gens peuvent imaginer de cette production.
En ce qui concerne le goût, il faut savoir que la viande de porc s'est toujours conservée dans du sel ou traitée par la chaleur parce que c'est une viande qui ne se conserve pas bien. Le Français, en consommant plus de côtelettes sur barbecue, nous a donc amenés sur un terrain où nous n'avions pas de tradition culinaire très importante. Il nous a fallu gérer la viande fraîche de porc, ce qui n'est pas facile. Cela dit, beaucoup de progrès ont été réalisés, puisque aujourd'hui, des viandes peuvent être conservées au-delà de cinq ou six jours.
Pour revenir au goût du porc, vous avez des porcs français et des porcs d'importation. Le distributeur français s'approvisionne notamment en Espagne et il est sûr que je suis moins bien informé sur ce qui se passe en Espagne que sur ce qui se passe en France ! Je dis cela pour souligner que, tant que la France sera exportatrice de produits alimentaires, nous serons dans une situation plus confortable que les pays obligés d'importer leur nourriture. Il faut préserver à tout prix cette capacité d'exporter.
Du point de vue du goût, cette viande de porc peut, par exemple, provenir d'un mâle qui n'a pas été castré. Si nous castrons les porcs, c'est parce que nous savons que, au-delà d'un certain poids, lors de la cuisson, ils peuvent dégager des odeurs très désagréables, qui peuvent décourager le consommateur. C'est pour cela qu'est prise la mesure de castrer les animaux précocement. Cela se fait d'autant mieux, que l'on est dans un circuit intensifié où les choses sont codifiées et où cela est fait systématiquement parce que cela rentre dans le rythme de travail. Dans des systèmes plus traditionnels, des erreurs peuvent être commises. Faut-il dire, sur l'étiquette, que le porc a été castré ? Nous revenons sur des notions d'image qui ne sont pas forcément plaisantes pour un consommateur qui recherche le plaisir.
Nous voyons ici que pour la communication, l'étiquetage n'est pas une chose facile.
Les qualités que vous allez trouver à la viande de ce porc vont aussi dépendre des conditions d'abattage, autour du Ph de la viande une heure ou vingt-quatre heures après l'abattage. Sans entrer dans les détails, c'est l'illustration même du fait qu'il faut une chaîne de qualité couvrant l'ensemble de la filière. Les industriels aujourd'hui préfèrent des porcs qui viennent d'élevage dits intensifs, que je qualifierais de " rationnels ", comme nous avons " l'agriculture raisonnée ", c'est-à-dire dans lesquels toutes les opérations sont faites en temps, en heure, en lieu, de façon à avoir un animal standard au moment de l'abattage et pour lequel nous aurons une garantie de Ph, plutôt que des animaux élevés dans des conditions " moins standardisées " et qui donneront des produits plus hétérogènes au moment de la consommation.
C'est tout cela qu'il faut articuler pour répondre aux demandes des consommateurs. Cela vous explique les démarches nécessairement " intégrées ", au moins sur le plan de la qualité.
M. François COINDREAU : Sur la question de la qualité des viandes, il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt ! Quand on fait du poulet à 20 francs le kilo, il n'est pas nécessairement nourri aux grains. Le porc qui n'est pas nourri aux glands est peut-être moins bon ! Les porcs corses ont certainement une saveur différente de celle du porc industriel ! Mais la mission réussie de l'industrie alimentaire a été de rendre accessible à toute la population des produits qui, avant, étaient des produits de luxe : le poulet était le produit du dimanche. Aujourd'hui, il s'agit d'une viande assez bon marché, qui n'a probablement pas les mêmes qualités gustatives que les poulets haut de gamme, mais qui satisfait aux besoins nutritionnels de la plupart des gens.
Nous vivons dans le mythe de l'âge d'or : " Il y a cinquante ou cent ans, l'alimentation française était formidable ! Les produits avaient du goût, ils étaient sains, ils étaient frais. " Tout cela est absolument faux ! L'alimentation des Français il y a 50 ans était infiniment plus pauvre et moins saine qu'elle ne l'est aujourd'hui. Bien sûr, pour avoir des produits accessibles au plus grand nombre, nous sommes obligés d'utiliser les produits moins chers, notamment dans l'alimentation animale : on ne fait pas du poulet à 20 francs le kilo comme on fait du poulet à 50 francs. Ensuite, c'est au consommateur de choisir.
M. Gérard LE TYRANT : Aujourd'hui, nous savons très bien mesurer la qualité de la viande de porc. Dans les entreprises, nous avons un certain nombre de critères : le Ph, le pourcentage de " maigre ", la tendreté, la nature des " gras ", l'odeur, la couleur. Nous avons, bien sûr, conduit des expériences pour comparer des viandes provenant de porcs élevés dans les conditions actuelles et de porcs élevés dans des conditions plus traditionnelles, encore qu'il soit assez difficile de définir ces " conditions traditionnelles " car elles ne dépendent pas d'un seul facteur. La qualité de la viande dépend, en effet, de nombreux éléments : la race du porc, son type génétique, la nature de son alimentation - selon les natures des matières grasses introduites dans son alimentation, les " gras " seront plus ou moins durs - l'âge de l'abattage, le type d'élevage et le sexe, femelle ou mâle castré.
De toutes ces expériences, la seule différence vraiment sensible que l'on a pu faire apparaître est que le porc élevé dans des conditions plus traditionnelles est plus gras. Sur les autres facteurs, nous n'arrivons pas à mettre en évidence des variations sensibles.
Mme Michèle RIVASI : Prenons un exemple plus connu : celui du veau aux hormones. Pourquoi, quand vous achetiez ce veau - maintenant la réglementation est assez stricte - la tenue de la viande était-elle différente ? C'est une question scientifique. Si l'on arrivait à trouver dans la nature de l'alimentation donnée au bétail les éléments qui expliquent pour quelle raison la viande tient moins, est moins goûteuse, possède des fibres qui se contractent, cela pourrait peut-être permettre, à un prix relativement bas, de comprendre quelle est l'alimentation qui fait que la viande devient comme cela.
Ce n'est pas une mise en cause mais, pour le futur, il est important de savoir pourquoi, quand on donne une alimentation industrielle, on obtient un type de viande peu goûteuse et d'une tenue particulière. Vous dites que dans ma région... Mais dans ma région, il y a les deux, l'élevage industriel et l'élevage traditionnel. En tant que consommatrice, quand je vais directement chez l'éleveur, que je vois les conditions d'élevage - d'où l'intérêt de la traçabilité - et quand je les mange, je constate que je n'ai pas du tout la même viande. C'est pour cela que je vous demande si, vous, spécialistes, pouvez m'indiquer quel type de recherches il faudrait mener dans ce domaine ?
M. Gérard LE TYRANT : Je ne sais pas vous répondre sur le problème du veau aux hormones, peut-être M. Tillon le saura-t-il. Par contre, pour le porc, nous faisons tous les jours des recherches en matière d'alimentation, afin d'obtenir la viande la plus conforme. De grands centres de recherche en France y travaillent en permanence. Les résultats ne me semblent pas si mauvais que cela.
M. le Président : Quels centres ?
M. Gérard LE TYRANT : D'abord, l'I.N.R.A. ; ensuite, les producteurs d'aliments du bétail, au niveau des centres de nature coopérative ou des centres privés comme l'U.F.A.C. ou l'U.C.L.A.V. A côté de Rennes, une nouvelle station de recherche porcine y travaille également.
M. Jean-Pierre TILLON : Pourquoi observe-t-on cette évolution dans les viandes ? Vous remarquerez d'ailleurs qu'elle est à l'inverse dans la volaille. Les volailles sont généralement plus tendres quand les animaux sont de moindre prix.
En fait, la détermination des qualités organoleptiques des viandes est répartie selon deux grandes familles. La première, c'est tout ce qui concerne l'élevage, le choix de la race ainsi que la vitesse de croissance. Les progrès qui ont permis à des Français d'accéder à de la viande de volaille -aujourd'hui, on trouve du poulet de bonne qualité à 12 francs le kilo en supermarché - ont tous visé à accroître la vitesse de croissance, c'est-à-dire à faire, qu'à un poids donné, un animal soit de plus en plus jeune. Les animaux que nous mangeons aujourd'hui sont plus jeunes que ceux que l'on mangeait autrefois.
La deuxième touche à la manière de les préparer. Pour qu'une viande soit bonne, il lui faut un délai de maturation suffisant. Or, pour des raisons d'économie, les chaînes sont très courtes, afin d'assurer une meilleure conservation des viandes fraîches. Nous avons conjugué des éléments d'une viande plus jeune avec des éléments d'une viande moins rassie. Je passe sur d'autres éléments qui peuvent intervenir mais, en fait, la viande que l'on mange aujourd'hui n'est plus du tout la même que celle que nous mangions autrefois.
Elle est justiciable de modes de préparation différents. C'est sur ces points qu'il faut développer l'information du consommateur : il ne faut pas forcément acheter les morceaux les plus chers, si l'on n'est pas décidé à les cuisiner de la manière qui convient. En revanche, vous pouvez très bien acheter de la queue de b_uf, la mettre à mijoter pendant quatorze heures et vous aurez un produit très tendre ! Il existe aujourd'hui, au niveau du mode d'emploi, une déconnexion entre les qualités du produit et l'usage que les gens en font.
Mme Michèle RIVASI : Vous ne répondez pas à ma question sur la qualité de l'aliment donné au bétail. Vous me répondez techniquement sur l'âge et la consommation, mais des études ont-elles été menées sur la nature des aliments donnés aux animaux ?
M. Jean-Pierre TILLON : Si nous arrivons à avoir des animaux abattus à un poids donné de plus en plus jeunes, c'est parce que l'alimentation vise le potentiel génétique de l'animal. Un peu comme dans le sport, nous parlons par exemple de la " protéine idéale ", qui est l'équilibre à trouver entre les acides aminés dans l'alimentation animale, afin d'obtenir une croissance maximale. Si l'on ajoute des matières grasses dans l'aliment, c'est que l'on s'est rendu compte, qu'avec plus de calories, on accroît encore la vitesse de croissance.
La qualité de l'aliment est sans cesse améliorée. Mais cet aliment est fait pour un animal qui accomplira des performances de plus en plus nettes. Dans votre jugement, vous confondez l'évolution des conditions d'élevage et celle du contexte de l'alimentation, qui se veut de plus en plus économe pour arriver à un prix de revient bas. Ce n'est pas l'alimentation en elle-même, mais ce contexte qui a changé, qui fait qu'aujourd'hui - je vais rentrer dans notre jargon -, pour " faire des indices de consommation " inférieurs à 2, par exemple, en poulet, il faut réaliser des performances en alimentation qui font que le rapport entre la méthionine et la lisine est devenu notre quotidien.
M. le Président : Il y a donc deux domaines, celui de la production et celui de la transformation. Nous les avons abordés l'un et l'autre et je vous ai entendu dire qu'on faisait toujours de bons produits transformés à partir de bons produits agricoles. C'est une donnée essentielle.
Nous savons aussi qu'il existe une très grande diversité de la production. On a parlé de la production " bio ", de la production label, de la production de masse. Cette diversité existe et il faut la prendre en compte.
Nous avons abordé la question de l'agriculture raisonnée. A ce sujet, j'aimerais savoir si vous pensez qu'il s'agit là d'un label qu'il faudra donner désormais à un certain type d'agriculture. Pour ma part, je pense qu'il faut essayer d'être toujours le plus raisonnable possible en agriculture. A mon sens, l'agriculture raisonnée, c'est une agriculture productive, mais aussi plus économe en intrants et toujours plus respectueuse de l'environnement. C'est ainsi que je comprends le concept d'une agriculture raisonnée, avec une meilleure connaissance des sols, toute une série d'éléments qui font que la raison doit nous guider dans le domaine de l'agriculture.
Quand on parle de production de qualité au plan de la sécurité sanitaire, pensez-vous qu'une production standard puisse également être une production de qualité du point de vue sanitaire ? Personnellement, je le pense. Il faut être clair sur ce point car, face à la diversité des produits, il faut que les consommateurs soient sûrs d'avoir la sécurité sanitaire, quel que soit le prix du produit acheté. Ensuite, les produits auront sans doute des goûts diversifiés, mais tâchons d'éviter de créer une séparation entre ceux qui pourraient se contenter de mauvais produits, y compris du point de vue de la sécurité sanitaire pendant et d'autres qui auraient droit à des produits de qualité à tous points de vue. Certains d'entre vous pourraient-ils s'exprimer sur ce point de la sécurité sanitaire ?
A propos de la transformation, vous avez fait ressortir, les uns et les autres, que la sécurité alimentaire est aujourd'hui plus forte que jamais, mais qu'il existe aussi aujourd'hui des risques dont les conséquences sont beaucoup plus nettes que par le passé. Dans le temps, la chaîne était beaucoup plus courte entre le stade de la production et celui de la consommation. Aujourd'hui, la chaîne est plus longue et complexe : pour des produits comme le porc, il y a l'abattage, la découpe, la transformation, puis, l'entrepôt et, enfin, la distribution, toute une série de maillons qui font, qu'à chaque étape, il peut y avoir plus de dangers. Il faut que nous soyons capables de les maîtriser.
Vous faites sans doute beaucoup d'efforts au niveau de l'hygiène, mais, chaque fois que l'on passe d'un stade à l'autre, il peut y avoir contamination. Quelles mesures prenez-vous pour sélectionner la matière à l'arrivée à tel ou tel niveau de transformation ? Faites-vous le contrôle à l'arrivée et à la sortie ? S'agit-il d'autocontrôle ou d'un contrôle exercé par différents services extérieurs ? J'aimerais savoir comment tout cela s'organise entre vous.
M. le Rapporteur : Je sais bien, qu'en ce qui concerne les garanties, vous nous répondrez : " Cahier des charges ! " En effet, vous imposez généralement des contraintes par l'intermédiaire de ces cahiers des charges.
A ce propos, ces cahiers des charges nous intéressent au plus haut point et nous aimerions que vous nous communiquiez ceux que vous avez pu rédiger, mais je voudrais également connaître les sanctions applicables et appliquées, en cas de non-respect de ces cahiers des charges.
En termes de sécurité, on voit fleurir sur bon nombre de produits livrés à la consommation des dates limites de consommation. Comment ces dates sont-elles déterminées ? Quelle crédibilité peut-on leur accorder ?
Je reviens sur le principe de précaution et sur les O.G.M. Cela fait au moins quinze ans que nous parlons de ces organismes génétiquement modifiés. Les industriels ont eu une attitude insatisfaisante et nous sommes en train d'en payer les conséquences. Nous étions nombreux à essayer d'attirer l'attention, dans un rapport publié en 1989 sur l'utilisation et l'arrivée de ces O.G.M., en disant qu'il fallait essayer d'informer le plus possible les consommateurs à leur sujet. Or, le principe de précaution ne s'est pratiquement pas appliqué et " on est allé plus vite que la musique ", en mettant sur le marché, sans précaution particulière, sans études agro-environnementales, un maïs qui a déclenché un rejet de la part de la quasi-totalité des consommateurs. Maintenant, nous aurons beaucoup de mal à remonter le handicap, même si d'autres produits peuvent présenter un intérêt indéniable sur le plan de l'agroalimentaire.
Il faut tirer les leçons du passé. Parmi les scientifiques, les industriels, beaucoup peuvent battre leur coulpe. Quelle est votre attitude sur cette question ?
M. Joseph BALLE : Quelques mots sur l'agriculture raisonnée. Des transformateurs, des distributeurs sont prêts à utiliser ce concept d'agriculture raisonnée sur un plan marketing. Mais derrière ce terme, pour l'instant, chacun met ce qu'il veut. Les syndicats agricoles, ont décidé, sous l'impulsion de l'A.P.C.A., de définir un socle commun pour l'agriculture raisonnée. M. Paillotin est également chargé par le ministre de l'Agriculture d'une mission sur ce thème.
Je suis persuadé que le terme " d'agriculture raisonnée " peut être porteur pour l'ensemble de l'agriculture. Il faut donc faire en sorte que tous les agriculteurs puissent y avoir accès à partir d'un socle commun respecté par tous et que ce soit un outil de progrès. Dans la mesure où, à terme, cela s'adresse au maximum d'agriculteurs, nous avons d'autres outils qui permettent de segmenter le marché. Il y a des marques et des produits sous signes officiels de qualité. Pour qu'il y ait cette segmentation du marché et que ces signes apportent une valeur ajoutée tout au long de la filière, du producteur au consommateur en passant par le distributeur et le transformateur, il faut qu'ils correspondent aux besoins du marché et qu'ils soient forcément limités. Dès que cela dépasse 20, 30 ou 50 %, il n'y a plus de segmentation et il n'y a plus de valeur ajoutée. Il faut donc bien respecter le socle et les outils de certification de produits que nous avons déjà.
Dans le secteur de la volaille, par exemple, vous avez tout d'abord une production pour la grande exportation. Il s'agit de poulets de 35 jours, congelés dans des bacs d'eau glacée. Vous avez ensuite le poulet standard de 45 jours ; puis le poulet certifié, minimum 56 jours. Enfin, vous avez le poulet labellisé qui s'obtient dans des bâtiments de 400 mètres carrés comprenant une aire de parcours avec de l'herbe et des arbres et le minimum est de 72 jours. Certains labels vont jusqu'à 95 jours. L'alimentation est calculée en fonction de l'âge des animaux. Dans le label, généralement, la période d'engraissement se fait surtout avec des céréales, notamment du maïs. La qualité du produit correspond, d'une part, à l'alimentation et, d'autre part, à l'âge de l'animal. C'est un exemple concret en réponse aux questions posées par Mme Rivasi.
M. François COINDREAU : Il faut bien distinguer sécurité alimentaire et qualité. Quels que soient l'âge et la façon dont le poulet a été nourri, il doit être sûr. Par contre, sa qualité organoleptique peut varier et elle varie en fonction du prix. Là, le consommateur doit choisir entre un poulet à 12 francs et un poulet à 35 francs, mais nous sommes tous d'accord pour dire que tous les produits, quel que soit leur prix, doivent présenter le même degré de sécurité. Il n'y a pas de discussion sur ce point.
M. le Rapporteur : Vous venez de présenter la dernière variété de poulets où la fin de la croissance est assurée par l'apport de maïs. Etes-vous sûrs que ce n'est pas du maïs transgénique ?
M. Joseph BALLE : Ensuite, il y a le chapon et la poularde.
M. le Rapporteur : Vous pouvez avoir en bout de course une qualité de produits supérieure par rapport aux autres mais qui peut être, à un moment donné, altérée par un apport extérieur, notamment de maïs, dont on ne sait pas s'il est transgénique ou non. Je ne porte pas de jugement sur les effets de ce maïs mais, par rapport au consommateur, il peut avoir, à ce moment-là un intérêt particulier par cet apport négatif.
M.  Joseph BALLE : J'espère que l'Europe et la France vont se défendre sur ce plan, parce que les Etats-Unis refusent l'étiquetage, alors qu'au niveau français et européen, pour l'instant, l'importation d'O.G.M., notamment de soja, n'est pas interdite alors qu'il est interdit d'en produire ! C'est un problème au niveau mondial, c'est un débat entre l'Europe et les Etats-Unis.
M. Georges ROBIN : Une chose me surprend : au cours de cette discussion sur la sécurité, il a été dit que des dépenses considérables sont opérées et que le consommateur est notre raison d'être. Mais, en fait, les grands drames que je peux citer dans le domaine des huiles résultent de falsifications ou de fraudes ; elles sont donc d'une nature différente.
Le problème de l'huile d'olive en Espagne était une fraude caractérisée. Cela a entraîné un changement considérable : en Espagne, l'huile d'olive n'est plus vendue en vrac, mais sous marque, en bouteilles et capsulée. L'histoire des sardines du Maroc est aussi une histoire de fraude ! En Belgique, les huiles dites de palme pour l'alimentation sont aussi une question de fraude.
Dans tout comportement humain, la fraude doit être sanctionnée. Il ne s'agit pas de sanctionner a priori les industries agroalimentaires, qui font le maximum pour apporter toute la sécurité nécessaire dans les produits livrés aux consommateurs.
L'huile de palme qui vient d'Indonésie obéit à une règle des transports, la directive C.E.E. n° 93-43 qui régit le transport en vaisseaux, en camions, en citernes, en bidons. Les Indonésiens - qui ne sont pas le plus gros producteur puisque c'est la Malaisie - n'ont pas respecté les règles puisqu'ils ont chargé de l'huile sur un navire qui avait contenu des produits chimiques. Mais le système a fonctionné : la cargaison a été bloquée à Rotterdam. Pour l'huile de palme, la conséquence, c'est que nous allons sûrement en acheter plus en Malaisie ! L'Indonésie sera mise de côté pendant un certain temps et devra donner des garanties sur la qualité des navires.
Nous veillons à tous moments et dans tous les métiers à la sécurité en cette matière. Ce point est essentiel. Il vous faudra insister sur l'attention à porter à ces problèmes de falsification, de fraude. Je n'ai pas personnellement envie d'acheter d'huile d'olive en provenance de Turquie. Elle ne me rendra pas malade, mais je sais qu'elle est " allongée " avec de l'huile de noisette. Dans ce cas, c'est une falsification qui ne met pas en cause la sécurité. La législation n'est pas suffisamment claire dans ses termes ; certaines personnes pourront jouer sur les mots, parler par exemple d'" huile méditerranéenne ". Il faut mettre en place une législation claire, précise et européenne.
Toutes ces grandes crises... Aux Etats-Unis, on consomme tous les jours du b_uf aux hormones et les Américains n'ont rien de particulier par rapport à nous. Il est possible que ce ne soit pas un risque ou que ce soit un risque à venir. Nous verrons dans quarante ans, mais en attendant, la bourse monte et ils sont plus forts que nous. Est-ce grâce aux hormones, je n'en sais rien !
Je reviens sur les O.G.M. J'ai beaucoup travaillé sur cette matière avec M. Le Déaut. En France, peu de travaux scientifiques et biologiques ont été faits depuis aussi longtemps. Les premiers ont commencé il y a dix ans avec les commissions de biovigilance. Les O.G.M. n'ont pas été découverts du jour au lendemain ! Que les industriels s'y soient très mal pris pour communiquer, vous avez parfaitement raison, mais c'est là un autre problème. Sur le plan de la définition, de la mise en _uvre, de la sécurité et des recherches des scientifiques français, le travail a été exceptionnel !
M. le Président : Lorsque vous constatez qu'on vous fournit des produits frauduleux, portez-vous plainte ? Les sanctions prises alors vous paraissent-elles suffisantes ?
M. Georges ROBIN : Vous disiez tout à l'heure que la chaîne s'allonge, mais je puis vous assurer que toutes les entreprises réunies autour de cette table, une fois qu'elles ont vendu, contrôlent le transport de leurs produits. Nous avons des produits frais, réfrigérés ou non, avec des règles d'hygiène pour le transport.
Pour ce qui est du dépôt chez les distributeurs, si vous voulez bien faire votre travail - et nous le faisons - il faut aller prélever les produits dans les gondoles des hypermarchés. Je suis plus sensible au sujet, parce que ma profession vend des produits frais. Si nous indiquons que la margarine ou le beurre doivent être présentés à + 5 °, il ne faut pas les retrouver dans les hypermarchés à + 12 ° ! Nous faisons un contrôle régulier d'échantillons prélevés dans le réfrigérateur des ménagères qui sont analysés pour connaître l'état dans lequel se trouve le produit au stade ultime de la chaîne.
Là aussi, étant donné le travail que je fais dans d'autres domaines avec les organisations de consommateurs, je leur demande d'insister sur les règles les plus élémentaires de transport des surgelés, de transport des produits frais, de nettoyage du réfrigérateur, qui présentent aussi des risques. L'industriel est présent tout au long de la chaîne, depuis l'agriculture - qui, en cette matière a fait un travail remarquable - jusqu'au consommateur et essaie de faire le maximum, mais si les gens ne veulent pas nettoyer leur réfrigérateur, il y aura des cas de listeria. Et l'on accusera tel fromage au lait cru et on met à bas toute une profession.
M. le Président : Lorsque vous constatez de la fraude, portez-vous plainte ?
M. Georges ROBIN : Bien sûr.
M. le Président : Trouvez-vous que cela est suffisamment sanctionné ?
M. François COINDREAU : Je veux répondre à M. Chevallier sur la question des spécifications. Nous ne nous contentons pas de faire des spécifications sur le papier. Même si elles sont parfaitement bien faites, elles ne servent à rien, si l'on ne vérifie pas qu'elles sont respectées. Comme le disait Jean-François Molle, la nouveauté est que, maintenant, nous faisons des audits des fournisseurs, pour vérifier qu'ils ont bien les moyens de respecter les spécifications.
Puis, nous contrôlons leurs arrivages, par sondage. Quand un produit ne respecte pas les spécifications, il est rejeté. Le fournisseur est prévenu. Si cela se reproduit, nous changeons de fournisseur. C'est là un instrument pratique et concret de gestion de la qualité entre le fournisseur et le fabricant.
M. Jean-Pierre TILLON : J'étais hier dans la coopérative d'Echiré, qui fait le meilleur beurre du monde, Appellation d'Origine Poitou-Charentes. Sur une centaine de producteurs, trois ou quatre n'avaient pas respecté les niveaux d'hygiène. Ils ont été exclus de la coopérative. Il y a une procédure d'avertissement, une mise à part des livraisons, mais la sanction existe.
Concernant les produits les plus basiques, dans les commissions où nous nous trouvons, nous avons beaucoup de mal à dire qu'en France, la sécurité est au même niveau pour tous les produits et pour tout le monde. Ce sont des messages qui passent très mal. La plupart des gens qui achètent des produits issus de l'agriculture biologique sont persuadés - et c'est ce qui détermine souvent leur acte d'achat - que ces produits sont plus sûrs. Nous avons beaucoup de mal à faire comprendre que ce n'est pas le cas. Il faut remettre les pendules à l'heure : il n'y a pas de sécurité à deux vitesses en France. Je suis un ancien fonctionnaire de la Direction générale de l'alimentation et je peux affirmer que nous _uvrons tous dans ce sens.
En ce qui concerne la longueur de la chaîne alimentaire, il faut comprendre que nous nous surveillons les uns les autres. Nous attendons la faute de l'autre pour appliquer des pénalités, voire l'exclure et le " déréférencer ". Ce sont parfois des jeux cruels, mais que nous connaissons bien parce que, derrière, il y a la responsabilité du produit.
Le Parlement a adopté un texte sur ce point et, aujourd'hui, chacun est engagé tant qu'il n'a pas fait la preuve qu'il ne l'est pas. Dans ce jeu, où la tendance est, pardonnez-moi l'expression, de se " refiler la patate chaude ", les mauvais disparaissent. Il faut savoir rebondir et tout de suite montrer qu'on est capable de le faire. C'est un aspect que l'on sous-estime mais, même dans le secteur coopératif, j'ai des compétiteurs privés. Si je ne travaille pas bien, si je fais une erreur, non seulement j'ai les assurances sur le dos mais, en plus, je perds mon client. Cette dynamique est, à mon avis, le meilleur garant de la sécurité du consommateur aujourd'hui. Cela peut paraître paradoxal mais, venant du secteur public, je suis convaincu que c'est la meilleure garantie.
On m'a appelé hier parce que, dans un élevage, des dindons se mettaient à clopiner. Si je ne réagis pas immédiatement, je perds le client. C'est cela la filière agroalimentaire. Nous pourrions tous ici donner de nombreux exemples.
En ce qui concerne les O.G.M., nous attendons tous avec impatience les prochaines générations d'O.G.M., celles où il sera facile de faire apparaître des bénéfices pour les uns, les industriels, et pour les autres, les consommateurs. C'est vrai que le premier qui vendra du pain O.G.M. sans risque d'allergie ou d'intolérance au gluten, non seulement vendra son pain avec des O.G.M., mais il le vendra avec une plus-value. Tout cela s'équilibrera dans les années à venir et deviendra un sujet de valorisation comme les autres. Pour l'instant, nous avons l'impression de voir profiter Monsanto et d'autres, les choses sont moins attractives pour nous, qui sommes plutôt fidèles à la liberté, à l'égalité et à la fraternité.
M. Benoît MANGENOT : La question portant sur le droit que nous aurions de mettre sur le marché des produits qui ne seraient pas sûrs, apparemment anodine, me semble très importante vis-à-vis des évolutions en cours, évolutions parfois contradictoires.
Les principes sont connus. Le premier, c'est que l'on ne peut proposer aux consommateurs des produits qui ne seraient pas sains, loyaux et marchands. Il est donc impensable, qu'entre opérateurs sur le marché, nous puissions utiliser la sécurité d'un produit comme un argument de vente. Tous les produits que nous vendons doivent être sûrs, le consommateur peut avoir confiance.
Le second principe, c'est que l'Etat est chargé de vérifier que tous les produits sont sains, loyaux et marchands et donc qu'il réprime les fraudes qui pourraient avoir lieu et garantit aux consommateurs la sécurité des produits offerts.
Néanmoins, depuis quelques années, je discerne un début de dérive dans la mesure où l'on commencerait à se servir de l'étiquetage pour dire aux consommateurs : " Attention, tel produit est peut-être un peu moins sûr qu'un autre. " La démarche faite vis-à-vis de l'étiquetage des O.G.M. est ambiguë à cet égard. Elle peut dire aux consommateurs, vous souhaitez choisir et, effectivement, vous choisissez, mais elle peut aussi vouloir dire : " Attention, nous vous garantissons plus ou moins la sécurité de tel ou tel produit. "
Si nous agissons de même pour dire : " Attention, la viande anglaise qui rentre est peut-être moins sûre : vous devrez choisir ", ou si nous agissons de même pour dire : " Attention, le b_uf américain contient des hormones, il est peut-être dangereux ", cela veut dire que nous avons le droit de mettre sur le marché des produits qui ne seraient pas complètement sûrs.
Il me semble qu'il y a un risque à utiliser l'étiquetage comme un moyen d'information du consommateur en lui disant que c'est à lui de faire la police, l'Etat renonçant pour sa part à le faire. Je voulais attirer votre attention sur ce point qui me paraît une dérive grave.
En sens inverse, quand nous disons que nous ne mettons que les produits sûrs à 100 % sur le marché, c'est là une affirmation valable pour un sujet bien portant. Nous savons bien que, dans certains cas, il peut y avoir des problèmes sanitaires qui nécessitent une information complémentaire. A cet égard, notre organisation professionnelle a décidé de recommander aux entreprises d'informer les consommateurs de la présence d'allergènes, même si la loi ne nous y oblige pas. Nous avons établi une recommandation relative à l'étiquetage volontaire des allergènes que les industriels sont en train de mettre en _uvre. Ainsi, les consommateurs qui se savent allergiques seront informés de la présence de ces ingrédients, alors même que la loi ne nous y oblige pas. Nous sommes là dans une démarche plus construite, qui correspond à un progrès car, non seulement nous garantissons que tous les produits offerts sont sûrs, mais même ceux qui présentent des pathologies bénéficient d'une information supplémentaire.
M. François COINDREAU : Je souhaite répondre à la question de M. Angot sur la nécessité ou non de créer des cellules de crise.
Je pense qu'il suffit de souligner le rôle de l'A.F.S.S.A. De l'avis général, lors de la crise de la dioxine, alors qu'elle était en phase de constitution, elle a finalement permis une sortie de crise dans des conditions raisonnables. Nous avons tous intérêt à avoir une A.F.S.S.A. forte, compétente, indépendante, crédible, à la fois pour rétablir la confiance, mais aussi pour gérer les crises, car il y en aura inévitablement.
Deuxièmement, nous avons fait un " debriefing " de cette crise sous forme de " Livre blanc " pour voir quels étaient les dysfonctionnements qui avaient transformé un incident ponctuel et très éloigné de nos professions en un vrai problème pour nos professions pendant près de trois semaines. Des dysfonctionnements sont apparus, dysfonctionnements fondamentalement liés au fait que les structures normales ont continué à fonctionner, alors qu'il aurait fallu mettre en place des structures et des moyens de crise. C'est, d'ailleurs, ce qui se passe dans une entreprise : quand il y a une crise, l'organisation se met entre parenthèse et l'on met en place une organisation de crise. Dans l'administration, c'est plus difficile. Les choses sont plus lentes à gérer, il y a des conflits de compétences, de territoires.
Un certain nombre de moyens ont manqué sur des problèmes très pratiques : il y avait des gens qu'on ne pouvait joindre au téléphone parce qu'il n'y avait pas de standard de crise, pas d'information Internet...
Au-delà de ces détails pratiques, la participation des professionnels à la gestion de crise nous paraît être un élément important. Nous avons des gens qui connaissent très bien leur métier. Il est essentiel de leur demander leur avis sur la nature du risque, la hiérarchie des risques et sur la façon d'en sortir. Je pense qu'un travail est à mener avec les associations de professionnels pour que, dès l'apparition d'une crise sur un produit, un réseau d'experts soit mis à la disposition de la cellule administrative de gestion de crise pour donner son avis. Il n'est pas question de faire gérer les crises par l'industrie mais bien d'utiliser les connaissances professionnelles des industriels pour délimiter, puis gérer la crise. L'industrie est tout à fait prête à participer, à mettre ses experts à disposition et à organiser un réseau d'expertise qui permette de gérer les crises au mieux.
M. le Rapporteur : Ma dernière question fera la transition avec le forum de demain, forum où nous recevrons les représentants de la grande distribution. M. Ballé nous a signalé que pression exercée par la grande distribution tirant les prix vers le bas pouvait poser problème au niveau de la qualité sanitaire. Pourriez-vous nous en dire un mot ?
M. Joseph BALLE : Dans l'économie de marché où nous sommes, quand un déséquilibre apparaît entre la production et le marché, il y a une bagarre au niveau européen. C'est ainsi que les prix du porc, de la volaille, de la pomme de terre ou de l'endive, qui ont été très bas pendant une longue période, en dessous du prix de revient, créent des risques incontestables en matière de qualité, et même, en poussant à l'extrême, de sécurité alimentaire. On voit ce que cela a donné au moment où l'Angleterre a décidé de ne plus chauffer les farines ! Quand, dans des conditions de marchés difficiles, un petit nombre d'entreprises fait n'importe quoi, c'est toute la filière qui en subit les conséquences. Il ne s'agit pas d'accuser la grande distribution, mais il est intéressant de leur poser aussi la question.
M. le Président : La parole est à M. Stalder.
M. Roland STALDER : Je répondrai à la question concernant les dates limites de consommation. Ces dates répondent à deux facteurs : un facteur qualité, organoleptique, déterminant pour fixer ces dates et un facteur sécurité, surtout pour les produits frais, pour lequel on suit, d'un côté, l'évolution d'une flore microbienne, par exemple, sous conditions normales et même en cas d'abus encore raisonnables - par exemple, que se passe-t-il si je laisse un produit alimentaire dans le coffre de ma voiture, en plein soleil, pendant quatre heures ? - et, dans quelques cas spécifiques, nous allons plus loin en faisant des inoculations avec des pathogènes que le produit peut éventuellement contenir. Nous suivons l'évolution de ces pathogènes pour fixer les dates limites et les autres barrières, afin de limiter ou d'éviter la croissance de facteurs pathogéniques.
M. le Rapporteur : Sera-t-il possible à l'avenir d'avoir un témoin du traitement de l'aliment à partir du moment où on l'achète ? Vous avez fait allusion au séjour de deux ou trois heures dans le coffre de la voiture à 50 °C. La date de péremption sur un produit qui subit cela reste celle que vous avez indiquée, ne tenant aucun compte évidemment des événements ultérieurs. Peut-on envisager une évolution qui permette un jour de s'apercevoir qu'un aliment a subi un traitement choc, le rendant impropre à la consommation ?
M. Roland STALDER : Il existe des indicateurs de température ou d'intégration température/temps, qui peuvent éventuellement faire apparaître une déviation par rapport aux conditions de stockage préconisées. De tels indicateurs présentent encore quelques problèmes de fiabilité pour pouvoir être utilisés à grande échelle mais, à l'avenir, puisque c'est votre question, ils sont envisageables. Mais je ne puis dire quand sera cet avenir.
Par ailleurs, vous demandiez, si le fait de rallonger la longueur de la chaîne alimentaire en ajoutant encore des maillons créait un risque supplémentaire. Si une personne prépare un repas à partir de légumes du jardin ou récolte des fraises dans les bois, ses produits seront d'une grande fraîcheur. Cela ne la mettra pas pour autant totalement à l'abri de risques ; ses fraises des bois peuvent, par exemple, avoir été contaminées par des parasites de renard.
Et, dès que je stocke des produits, il existe bien évidemment un risque de détérioration durant la durée du stockage.
Cependant, dans la chaîne alimentaire, nous avons appris à déterminer les critères ou les facteurs qui nous permettent de maîtriser ces risques - ce que nous appelons souvent des " barrières ", par exemple, pour la croissance microbiologique. C'est en appliquant à chaque maillon ces principes que nous pouvons garantir la sécurité de ces produits, même issus de chaînes alimentaires relativement complexes et longues.
M. Claude GATIGNOL : A propos des produits frais, j'aimerais connaître le sentiment des producteurs sur l'ionisation, méthode qui permettrait soit d'allonger le délai, soit d'apporter au consommateur la certitude qu'il n'y a pas de germes dangereux.
M. Jean-François MOLLE : Sur l'ionisation, vingt ans après, nous n'avons pas le quart d'une première raison scientifique permettant de mettre en doute la sécurité de la technologie. Cela étant, c'est l'exemple parfait d'une technologie qui, un peu comme les O.G.M., fut introduite d'une façon telle que le consommateur fait montre à son égard d'une réticence totale.
La conséquence directe sur les sociétés de l'agroalimentaire, qui ne sont pas là pour expliquer au consommateur qu'il est un incompétent notoire en matière scientifique mais pour lui faire plaisir et faire en sorte qu'il choisisse le produit dans le rayon, est qu'elles n'utilisent pas cette technique, à part dans quelques secteurs assez limités.
C'est aussi simple que cela, pourtant il s'agit sans aucun doute d'une très belle technique qui a tout à fait sa place dans le secteur agroalimentaire. Il s'agit plus d'un problème d'image et d'acceptation par le consommateur que de science.
M. Jean-Pierre TILLON : J'ai vu que demain, vous recevez la grande distribution. Je voudrais à ce propos vous conter une anecdote qui illustre bien les problématiques que les filières de la production animale rencontrent avec la grande distribution.
Depuis quelques années, les consommateurs britanniques se penchent sur le bien-être animal, à tel point qu'ils ont obligé leurs distributeurs - Descos, Sansbury et les autres - à en tenir de plus en plus compte dans la mise en marché des produits. C'est ainsi que se sont créées en Angleterre des filières de production porcine, qui tendent à devenir majoritaires, que l'on appelle les filières happy pig. Sous le coup de la crise qui perdure, le cochon ne valant plus du tout cher en Espagne et sur le continent, la grande distribution anglaise a laissé tomber ces producteurs et est allée s'approvisionner ailleurs.
Le résultat de toute l'opération a été de mettre la production porcine anglaise totalement hors jeu. C'est bien le risque : que les distributeurs, qui sont des relais d'opinion, nous fassent faire des choses impossibles et très coûteuses et, qu'au dernier moment, pour des raisons de rentabilité au mètre carré ou au mètre linéaire, nous laissent totalement tomber. Pour ma part, je crains beaucoup qu'il en soit ainsi pour les filières de l'agriculture biologique, filières qui offrent de très faibles marges pour la distribution. Je redoute qu'on les considère comme des produits d'appel et qu'en fait, on ne les valorise pas et surtout, que l'on ne valorise pas l'engagement de ceux qui s'y engagent.
Je tenais à vous le dire parce que nous travaillons tous aujourd'hui avec des distributeurs et c'est ce que nous craignons le plus. Nous pouvons toujours répondre plus et mieux mais si, derrière, il n'y a pas d'engagement commercial, nous prendrons le bouillon.
M. le Président : C'est une observation très pertinente.
M. le Rapporteur : Ma question s'adresse à M. Michelon.
Nous avons parlé de nombreux produits naturels issus de l'agriculture mais M. Michelon indiquait dans sa présentation que la France était le premier producteur de surimi. Qu'est-ce que le surimi ? De quelle exploitation agricole ce produit est-il originaire ?
M. Yves MICHELON : Je vous remercie d'avoir noté que la France était le premier producteur en Europe de surimi. Effectivement, le surimi est devenu une spécialité française, bien que l'origine de la fabrication soit japonaise.
En fait, c'est un produit assez simple, bien qu'il ait une image un peu suspecte encore aux yeux de certains consommateurs. Il s'agit de filets de poissons, généralement des espèces très définies, comme du colin d'Alaska, prélevés dès qu'il est pêché à bord des bateaux. Ces filets sont prélevés, lavés, essorés, malaxés et surgelés. Cette pâte de chair de poisson est ensuite transformée dans des usines qui fabriquent le surimi que vous achetez. Elle est étalée et aromatisée avec des goûts naturels - en France, il s'agit souvent de crabe - et colorée avec du paprika.
Pour garantir la teneur en poisson, une norme de fabrication a été définie, une norme A.F.N.O.R., afin de rassurer sur la composition du produit. Ce sont donc bien uniquement des chairs de poissons qui sont utilisées et non des déchets de poissons, comme on veut le laisser croire parfois.
M. le Président : Nous vous remercions de votre contribution. Si certains d'entre vous ont des textes à nous remettre, nous sommes tout à fait disposés à les prendre ou les recevoir ultérieurement si vous aviez des réponses complémentaires à apporter à ce qui a été dit aujourd'hui.

Forum avec les représentants syndicaux

des industries agroalimentaires

Avec la participation de :

MM. Jean-Luc BINDEL, représentant le bureau confédéral de la C.G.T. ;

Jean-Pierre BOMPARD, chargé de mission au service analyses et recherches économiques et sociales de la C.F.D.T.

René DEPRET, Délégué général central C.F.T.C. de la société BEGHIN-SAY,

Rafaël NEDZYNSKI, Secrétaire général et Alain KERBRIAND-POSTIC, Secrétaire général adjoint de la fédération générale agroalimentaire de force ouvrière

et MM. MOYSE, MORICE-MORAND, GROSCLAUDE, BIGER, CAPP, VISSE

(extrait du procès-verbal de la séance du Mercredi 22 décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
- MM Jean-Pierre Bompard, chargé de mission au service analyses et recherches économiques et sociales de la C.F.D.T. ;
- René Depret, délégué général central C.F.T.C. de la société Beghin-Say ;
- Rafaël Nedzynski, secrétaire général de la Fédération générale agroalimentaire de Force Ouvrière, et Alain Kerbriand-Postic, secrétaire général adjoint ;
- Jean-Luc Bindel *, conseiller économique et social représentant le bureau confédéral de la C.G.T. ;
accompagnés de MM. Moyse, Morice-Morand, Grosclaude, Biger, Capp, Visse, sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les intéressés prêtent serment.
M. le Président : Mesdames et messieurs, nous abordons notre forum consacré aux fédérations syndicales de l'agroalimentaire.
Le tirage au sort a donné l'ordre suivant : M. Depret étant absent, nous allons passer au deuxième intervenant, M. Jean-Luc Bindel, ensuite M. Rafaël Nedzynski, M. André Visse et M. Jean-Pierre Bompard.
La parole est à M. Bindel.
M. Jean-Luc BINDEL : En tant que secrétaire de la Fédération de l'agroalimentaire et des forêts de la C.G.T., je vous livrerai quelques appréciations sur les problèmes que peuvent rencontrer les salariés et le rôle qu'ils peuvent jouer dans l'amélioration de la sécurité et de la qualité alimentaires.
Je suis membre du Conseil national de l'alimentation et, à ce titre, j'ai eu l'occasion de présider un groupe de travail qui a traité de ces questions et qui a produit un rapport au mois d'avril dernier. Ce rapport a été approuvé majoritairement par le Conseil national de l'alimentation, à l'exception d'une partie des employeurs, notamment ceux des industries agroalimentaires.
Quelles sont les questions qui nous préoccupent le plus ?
Premier aspect : nous sommes dans une situation où les technologies de l'industrie alimentaire évoluent de plus en plus rapidement et où les aliments sont de plus en plus composés et de plus en plus élaborés techniquement. Il y a un énorme besoin en salariés ayant des niveaux de formation suffisants. Or dans les industries alimentaires, les niveaux de formation et les investissements en formation sont considérés par les employeurs encore trop souvent comme des coûts. Il faudrait développer de façon plus importante la formation qui reste largement insuffisante.
D'autre part, la difficulté de trouver des salariés formés, qualifiés, stables, pour maîtriser les techniques mises en _uvre dans le cadre de l'alimentation y compris les aspects sanitaires, résulte d'une certaine tendance, dans les industries agroalimentaires, à la précarisation de l'emploi. Le taux de précarité dans le secteur des industries alimentaires se situe entre 25 et 30 %, ce qui est très important.
Il est nécessaire de réfléchir, afin de trouver une solution pour freiner le développement de cette précarité et renforcer l'emploi permanent, ce qui permet de fixer des qualifications, de les mettre en _uvre, ce qui aura à terme obligatoirement des conséquences sur la qualité et la maîtrise des process de production et donc, sur la sécurité alimentaire.
Dernier aspect : dans le droit du travail, les salariés n'ont aucune possibilité d'intervenir sur la qualité et la sécurité alimentaires. C'est un vrai problème. Autant un salarié a la possibilité de refuser de faire un travail, parce que sa propre sécurité est en jeu - si une machine est défectueuse, par exemple, les comités d'hygiène et de sécurité peuvent intervenir -, autant quand, manifestement, il y a des problèmes sur la sécurité alimentaire et la qualité des aliments produits, le salarié n'a aucune possibilité de dire qu'il refuse de faire un travail. Il est même contraint parfois de faire un travail dont il sait, comme son employeur, qu'il n'est pas de bonne qualité ou qu'il met en cause la sécurité ou la confiance des consommateurs.
La seule possibilité du salarié est de téléphoner au service de la répression des fraudes, autrement dit de faire de la délation. Si l'on veut que les salariés prennent toutes leurs responsabilités, il faut que ceux-ci puissent exprimer leurs craintes sur les risques que cette production leur semble faire courir au consommateur. Ils doivent avoir la possibilité de demander un droit de retrait ou de refuser d'exécuter un travail dangereux. Cela devrait être un droit reconnu dans la législation du travail.
C'est dans cette perspective que le Conseil national de l'alimentation a conduit ses réflexions et c'est la raison pour laquelle les employeurs se sont abstenus sur le rôle des salariés dans la sécurité et la qualité des aliments.
M. le Président : Merci d'avoir été bref dans votre intervention. Nous aurons l'occasion de revenir sur les questions que vous avez mises en évidence.
La parole est à M. Nedzynski.
M. Rafaël NEDZYNSKI : Je suis secrétaire général de la F.G.T.A.-Force ouvrière. Notre Fédération couvre l'ensemble de la chaîne alimentaire, puisque nous avons des adhérents dans le secteur de l'agriculture, de l'industrie alimentaire, y compris le secteur du tabac et dans les principales formes de distribution et de commerce alimentaires (artisanat alimentaire, grande distribution, hôtellerie et restauration.)
Pour ma part, je suis principalement le secteur de la restauration traditionnelle, collective ou rapide.
Concernant la formation professionnelle, nous constatons très souvent que les salariés ne reçoivent pas une formation suffisante dans le domaine de la sécurité alimentaire. Il y aurait deux volets à développer dans la formation professionnelle :
- d'une part, sur les produits utilisés. On ne parle pas uniquement des produits qui viennent de l'agriculture, mais aussi des additifs, des conservateurs et des colorants à propos desquels, trop souvent, l'information et la formation des salariés sont relativement sommaires.
- d'autre part, sur les procédures à respecter. La formation est, en ce cas, plus développée que celle sur les produits, car elle est liée à des contraintes réglementaires.
Nous sommes préoccupés par le développement insuffisant de cette formation. Si l'on examine la situation des petites entreprises et des entreprises de moins de dix salariés qui ne doivent consacrer que 0,15 % de leur masse salariale à la formation professionnelle, on voit aussitôt que ces moyens sont insuffisants pour répondre aux besoins de formation des salariés.
L'autre aspect porte sur la responsabilité qui peut peser sur les salariés en cas d'inobservation des procédures. Dans un certain nombre de cas, les procédures ne peuvent être respectées dans la pratique par les salariés. Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple dans le secteur de la restauration collective dont vous avez rencontré les représentants qui ont dû vous parler des procédures de l'H.A.C.C.P. Dans la pratique, il est très difficile de respecter ces procédures : dans les cuisines centrales où les effectifs sont suffisants et où il y a des spécialistes, les procédures sont entièrement respectées. Tant que l'on n'a pas dépassé le stade de congélation des repas et de leur livraison en camions frigorifiques, tout va encore bien.
Cela dit, une fois à destination, la situation est parfois très différente. La situation extrême sera celle d'un restaurant dont le cuisinier est aussi le gérant. Il ne travaille qu'avec une ou deux personnes. Si le restaurant se trouve au 10ème étage d'un immeuble et que la livraison se fait au rez-de-chaussée, le responsable n'aura pas le temps de prendre les mesures relatives aux températures dans le camion, de surveiller le circuit des produits, de s'occuper de la cuisson et de faire les vérifications sur les températures aux différents niveaux de la production et du service des repas.
Il existe des procédures qui ne peuvent être respectées, ce qui inquiète les salariés qui se considèrent dès lors comme vulnérables en termes de responsabilités et qui ont l'impression d'avoir un rôle de " lampistes " en cas de problème.
Voilà les deux points que je voulais évoquer.
Si vous le permettez, je voudrais passer la parole à M. Alain Kerbriand-Postic en ce qui concerne les secteurs notamment de l'alimentation qu'il suit à la Fédération.
M. Alain KERBRIAND-POSTIC : Je veux insister sur les comités d'hygiène et de sécurité. La question que l'on peut se poser est de savoir comment les organisations syndicales et les représentants du personnel dans l'entreprise peuvent aider au renforcement de la transparence et de la sécurité alimentaires. Tout le monde doit y participer, si l'on veut aboutir à de vrais résultats.
On peut remarquer, que dans un certain nombre de cas, les alertes sont déclarées par les plans de surveillance des services de l'administration qui font des contrôles de routine, par des autocontrôles des entreprises, par des études scientifiques, par des intoxications alimentaires apparues, et enfin, par ce que l'on peut appeler les rumeurs. C'est à partir de tout cela que des problèmes peuvent apparaître à la surface.
Les représentants des organisations syndicales ou les comités de sécurité et d'hygiène sont parfois un peu gênés sur la manière d'intervenir lorsqu'ils constatent des irrégularités, ou ce qu'ils pensent être des irrégularités.
En effet, les représentants du personnel dans les entreprises ne sont pas forcément des spécialistes ou des scientifiques. A tous les stades de la production, de la transformation et de la distribution, on peut être alerté sur certaines pratiques, mais on bute sur la façon dont on pourrait ou on devrait en faire état.
On ne peut pas faire une généralité de certains problèmes qui nous sont révélés. Il faut bien entendu les vérifier. Ce n'est pas forcément le rôle de l'organisation syndicale, d'où l'importance de donner les moyens nécessaires aux représentants du personnel, notamment à travers les comités d'hygiène et de sécurité, quand ils existent.
Comme le signalait M. Nedzynski  pour les petites entreprises, on peut considérer que les entreprises font des efforts importants dans le cadre des normes de qualité pour informer et former leur personnel.
Cela amène des réactions tout à fait compréhensibles de la part des salariés, à qui l'on explique mieux qu'auparavant, les risques auxquels ils peuvent être confrontés. En même temps, cela fait naître une certaine insatisfaction ou une certaine inquiétude, s'ils considèrent ne pas disposer d'une information complète.
Il faudrait pouvoir concrètement proposer des améliorations. Cette procédure existe déjà pour les accidents ou les dangers imminents constatés dans une entreprise, mais pas en matière de sécurité alimentaire. On peut arriver à être témoin de quelque chose dans une entreprise, sans qu'il y ait un danger imminent pour le salarié, mais qui peut être ensuite important dans la chaîne alimentaire, dans la distribution.
A l'heure actuelle, les représentants du personnel ont deux obligations : réunir d'urgence le comité d'hygiène et de sécurité et informer l'inspecteur du travail et l'agent des services de prévention de l'assurance maladie. En effet, ce sont eux qui sont chargés de la prévention des accidents dans les entreprises. Mais, il s'agit de situations qui concernent les salariés dans l'entreprise et non un danger ou une difficulté dans un processus qui peut être ensuite transmis à l'extérieur de l'entreprise, parce que quelque chose s'est mal passé en interne, soit au niveau du transport, soit au niveau de la vente.
On pourrait donc suggérer de compléter la législation du droit d'alerte du comité d'hygiène et de sécurité qui existe déjà pour les imminences de danger dans l'entreprise en donnant la possibilité de saisir les services compétents dans la sécurité alimentaire, à savoir la direction générale de la consommation et de la répression des fraudes, ou les services vétérinaires.
On pourrait appeler cela le principe de précaution dans l'entreprise. Parfois, on peut être informé de quelque chose qui n'est pas totalement exact. Il est aussi important de pouvoir regarder. Ce n'est pas à l'organisation syndicale de vérifier une information, mais elle doit avoir les moyens d'alerter le chef d'entreprise et les services compétents. Il est important également de charpenter la formation des membres du comité d'entreprise et des représentants du personnel face à de nouveaux produits.
La loi d'orientation agricole a prévu cette situation, mais seulement pour les O.G.M. " Toute personne qui constate une anomalie ou des effets indésirables susceptibles d'être liés à la dissémination ou à la mise sur le marché de produits mentionnés... ". De la même façon, il faudrait élargir les compétences du comité d'hygiène et de sécurité pour appliquer un principe de précaution dans l'entreprise.
M. le Président : La parole est à M. Visse.
M. André VISSE : C'est en tant que vice-président de la fédération agroalimentaire C.F.E.-C.G.C. que je ferai cette intervention. J'ai été auparavant responsable de qualité dans un grand groupe français. L'agroalimentaire couvre l'agriculture, la transformation et la grande distribution. Nous sommes présents d'un bout à l'autre de la chaîne, pour examiner les problèmes de qualité et de santé.
Notre organisation était intervenue auprès des parlementaires, en établissant une motion sur la sécurité alimentaire qui nous paraissait très importante. Nous arrivons à un stade où les produits deviennent de haute technicité. Ces produits sont souvent modifiés pour pouvoir être commercialisés et paraître attractifs au consommateur. Ils subissent des modifications très importantes, soit par des additifs soit par des colorants. On parle de modification génétique et de conservateurs.
Je ne veux pas oublier tous les transferts entre production, transformation et grande distribution qui peuvent générer quelques problèmes de santé.
C'est pourquoi, je rejoindrai ce qui a été dit précédemment, à savoir que la formation des personnes qui couvrent la sécurité alimentaire est extrêmement importante.
Malheureusement, trop peu de personnes sont formées à la sécurité alimentaire, même dans les secteurs de l'agroalimentaire. J'évoquerai plus particulièrement le problème des P.M.E. La part de la qualité est importante dans le coût d'un produit. Tout le monde n'a pas les moyens, comme les grands groupes industriels, de mettre en place une formation et des outils. La formation doit être renforcée dans le domaine professionnel. Le problème numéro un de l'an 2000 est la sécurité alimentaire. Il faut donner partout les moyens et exiger des industriels cette sécurité alimentaire par la mise en place de procédures.
Dans les entreprises, les comités d'hygiène et de sécurité ont un rôle important et délicat. Ils peuvent avoir un droit d'alerte, à la condition que leurs membres aient une formation importante sur les produits. Sinon, ils n'auront que des présomptions. C'est un système d'alerte qui n'est pas négligeable. Mais quelles seraient leurs possibilités d'intervention ?
La responsabilité incombe aux salariés, mais surtout aux industriels, surtout quand ils sont producteurs. L'utilisation des produits modifiés par des processus chimiques, doit être maîtrisée et ses conséquences doivent être connues. C'est sur ce point que doit porter notre effort.
De plus, nous devons être très vigilants sur les produits importés. Faute de moyens, on laisse trop souvent pénétrer des produits sans contrôle dans le système alimentaire.
Il faut donc renforcer ces contrôles qui coûtent. Quels moyens pouvons-nous donner, nous, organisations et vous, parlementaires ?
M. le Président : Je passe la parole à M. Jean-Pierre Bompard.
M. Jean-Pierre BOMPARD : La manière dont la confédération C.F.D.T. a lu votre mandat m'amène à quelques observations liminaires.
En premier lieu, les questions posées sont évidemment légitimes, mais nous vivons quand à une époque où une grande partie d'humains ne mangent toujours pas à leur faim. Pour nous, le droit de se nourrir fait partie des droits fondamentaux de l'Homme. Il faut aussi avoir cette perspective, notamment quand on réfléchit aux O.G.M.
Second élément, on ne peut pas nier que, dans la période récente, il y ait eu des progrès majeurs sur le plan de la qualité et de l'hygiène. Il faut se souvenir que certaines maladies étaient liées à l'alimentation.
Troisième élément, une partie des problèmes qui apparaissent est liée parfois à des pratiques frauduleuses, mais aussi, au fait que l'on progresse dans les méthodes de connaissance et dans la mesure de certains phénomènes.
Dans ce contexte, il est vrai que la confiance des consommateurs occidentaux, des pays riches, a été perdue assez rapidement ces derniers temps.
Il faut essayer de voir si tous les problèmes sont à traiter de la même manière. Il suffit de lire " Le Monde " et " Libération " de ces deux derniers jours, pour s'apercevoir que les termes deviennent parfois incertains. On peut faire une liste de termes qui apparaissent fréquemment : " prévention, vigilance, alerte, précaution. "
Nous ferons simplement la distinction entre prévention et précaution, distinction qui a un sens pratique, car il ne s'agit pas d'un débat sémantique conceptuel. Pour nous, la prévention est la caractéristique d'un secteur, où l'on maîtrise les processus. L'incertitude n'est jamais réduite totalement, mais ce sont des processus dont les tenants et aboutissants sont connus.
Il est évident que, dans ce champ-là, le droit et les droits nouveaux s'il doit y en avoir, des salariés sont considérables. On a vu apparaître certains phénomènes dits de sécurité alimentaire qui étaient liés à des pratiques douteuses. Il a même été admis que certaines étaient frauduleuses. Nous aurons l'occasion de revenir sur le droit d'alerte.
Sur le principe de précaution, le problème est plus délicat. Il semble que la doctrine ne soit pas stable sur ce sujet. Il est assez difficile de définir de manière précise où commence et où s'arrête le principe de précaution.
Nous sommes conscients que cette question est délicate, car ce principe de précaution, souvent invoqué en France, n'est pas lu de la même manière aux Etats-Unis. En France, il est très marqué par l'affaire du sang contaminé. Il y a là un phénomène indiscutable, qui fait qu'il vaut mieux se protéger au maximum, plutôt que de se voir mis en cause des années et des années après, dans des drames humains très forts.
Pour nous, la mise en _uvre du principe de précaution n'est pas une opération aussi simple. Nous sommes dans un secteur qui impose un effort de recherche. Pour nous, cela concerne aussi bien la recherche publique que la recherche privée.
Si cela implique la recherche publique, il faut indiscutablement activer ou mettre en place les comités d'éthique prévus par le ministre de l'Education nationale, de la recherche et de la technologie. Ces comités d'éthique doivent fonctionner de manière ouverte et large, sans être captés par les milieux scientifiques, afin qu'ils ne soient pas juge et partie.
Il est ensuite indispensable que l'A.F.S.S.A. continue à jouer son rôle en matière d'analyse et de jugement. Le débat est largement ouvert à l'intérieur de notre confédération sur la question de savoir s'il faut ou non une agence européenne. Nous n'avons pas tranché ce point. On peut concevoir une agence centrale ou un réseau. On voit bien les inconvénients d'une agence centrale au sens propre du terme.
Nous sommes donc attentifs à ce principe de précaution, mais aussi attentifs au fait qu'il ne peut être " mis à toutes les sauces ". On ne traite pas de la même manière l'E.S.B. (encéphalopathie spongiforme bovine) et le problème de l'époisses. L'époisses relève du principe de prévention, l'E.S.B. du principe de précaution.
Si on avait classé les affaires Coca Cola et E.S.B. sur une échelle de 1 à 5, note impliquant les précautions les plus absolues, on mettrait 1 à Coca-Cola et 5 à l'E.S.B. Il faut se garder de basculer dans un climat parfois irrationnel dans des positions qui empêcheraient de répondre à certains besoins au niveau mondial.
Sur la question des O.G.M., on est en présence d'un pari scientifique qui ne concerne pas uniquement les pays occidentaux. Le riz modifié concerne aussi les pays, où la question de la malnutrition est posée. Il faut peser le pour et le contre. Le travail accompli par l'Office parlementaire des choix technologiques, notamment l'organisation de la Conférence des citoyens, nous paraissait une bonne démarche pour avancer sur le sujet.
Si vous le permettez, je souhaiterais passer la parole à notre président de la fédération de l'agroalimentaire qui pourrait intervenir sur les droits des salariés. Les autres membres de la délégation pourront intervenir sur la recherche et la santé publique.
M. le Président : Les autres personnes pourront intervenir tout à l'heure à partir des questions qui seront posées dans le débat.
La parole est à M. Gilbert Capp.
M. Gilbert CAPP : Je suis représentant de la fédération générale de l'agroalimentaire de la C.F.D.T. et j'ai l'honneur de siéger au Conseil économique et social, section de l'agriculture et de l'alimentation.
Pour nous qui suivons les filières de l'agroalimentaire " " de la fourche à la fourchette ", de l'agriculture à la transformation, les vingt ou trente dernières années marquent un passage à une production alimentaire de masse, avec le développement de technologies de pointe pour un certain nombre d'industries.
Paradoxalement, alors que les contrôles de qualité des aliments sont de plus en plus poussés et que les accidents ou les décès pour cause alimentaire sont en forte régression, on se heurte à une crise de confiance des consommateurs, liée à des crises médiatisées.
L'analyse du rôle des salariés des filières agroalimentaires soulève deux questions : celle des produits qui évoque la traçabilité et celle des procédés de fabrication. Il y a deux grandes catégories d'incidents alimentaires : il faut bien séparer à cet égard l'accidentel de ce qui est frauduleux. On sait que les procédés frauduleux existent, mais on en exagère sans doute l'importance.
L'amélioration de la sécurité alimentaire suppose d'abord une meilleure formation des salariés. Les entreprises ont déjà fait, au moins pour les plus importantes d'entre elles, de gros efforts de formation en matière de procédés. Il s'agit de tout ce qui tourne autour des H.A.C.C.P. ou des formations à l'hygiène et à la sécurité.
En revanche, dans les petites entreprises, on observe une carence totale. Malgré les efforts menés par les pouvoirs publics au travers d'accords cadres sur la formation, on touche trop peu les petites entreprises. Les formations portent essentiellement sur les procédés ; sur les produits, en revanche, c'est un vide sidéral.
J'ajoute que la problématique est d'autant plus difficile, que l'on assiste à une précarisation de l'emploi ; il est très difficile d'assurer des formations, quand les salariés font des contrats à durée déterminée d'un à trois mois et qu'ils passent de l'industrie, à l'hôtellerie ou à la restauration, voire à d'autres secteurs. Cette précarité de l'emploi pose un vrai problème.
L'autre aspect touche au droit du travail. Sans avoir formalisé de propositions de façon précise, notre réflexion porte à la fois sur un système de protection des salariés qui auraient mis en évidence en particulier des pratiques frauduleuses, voire les accidents qui peuvent se produire.
Dans un certain nombre d'entreprises, une démarche de qualité est en place. Lorsqu'un salarié met en évidence un incident dans les process de fabrication, voire l'existence d'un produit inadapté qui risque de poser problème, il aura les félicitations de sa direction ; dans certaines autres entreprises, pour les mêmes motifs, il va se faire " mettre à la porte " immédiatement.
C'est une question fondamentale. Tous les contrôles peuvent être faits par les pouvoirs publics, mais les moyens dont disposent les organismes de contrôle sont très faibles, alors que les salariés sont présents tous les jours dans l'entreprise et qu'ils voient ce qui se passe au jour le jour.
Autre point concernant le droit du travail : il faudrait donner des prérogatives supplémentaires aux comités d'hygiène et de sécurité dans les entreprises, plutôt que de créer des instances supplémentaires. Elles pourraient porter sur un droit d'alerte.
M. le Président :   Je vous remercie. La parole est au rapporteur.
M. le Rapporteur : Merci de vos informations. Je retiendrai trois points importants, qui me permettront de vous poser trois questions.
Vous avez évoqué toute une partie qui concerne le droit du travail, et en particulier ce droit d'alerte. On pourrait espérer qu'il joue son rôle au niveau du comité d'hygiène et de sécurité, étant entendu que ce dernier n'existe que pour certaines entreprises et pas pour toutes.
Si nous devions faire des propositions en ce sens, il faudrait trouver un système qui permette de surmonter ce handicap. Avez-vous des suggestions particulières à faire en la matière ?
Si vous avez réfléchi à la question, l'argument qui nous a souvent été opposé est celui du secret de fabrication. L'entreprise demande à ses salariés d'agir avec discrétion. Un intervenant l'a dit : dans certains cas, le salarié reçoit des félicitations, parce qu'il aura amélioré le process de fabrication et, dans d'autres cas, il risque de rencontrer des problèmes et de faire l'objet d'un licenciement.
Concernant le secret de fabrication, le droit d'alerte, le problème de l'information, j'aimerais que l'on pousse plus loin la réflexion et que vous nous fassiez des propositions en la matière. Si l'on comprend fort bien que, d'un côté, le comité d'hygiène et de sécurité s'applique aux salariés par eux-mêmes au cours de leur pratique professionnelle, il est vrai que dans ce cas, la situation est différente : c'est la notification d'un dysfonctionnement au niveau de l'utilisation de certains produits.
Dans les grandes entreprises auxquelles vous faites allusion et qui ont en leur sein des comités d'hygiène et de sécurité, des demandes de vos organisations syndicales ont-elles été faites pour ces stages de formation ? Quels ont été les résultats de ces propositions ?
Par ailleurs, M. Jean-Pierre Bompard est intervenu sur le principe de précaution. Comment le voyez-vous appliqué aux O.G.M. ? J'ai bien compris qu'il fallait une proportionnalité de réponses et de réactions.
Dans votre démarche syndicale, comment êtes-vous organisés au plan européen et quelles sont les avancées des propositions franco-françaises qui peuvent avoir une application à ce niveau, ou inversement quelles sont celles que vous avez prises au plan européen qui pourraient s'appliquer en France ?
M. Jean-Luc BINDEL : Le problème de la mise en place du droit d'alerte se pose dans les petites entreprises comme dans les grandes. Ce sont quand même les grandes entreprises qui fournissent une grande partie des produits alimentaires sur le marché. En raison de l'importance des volumes, nous devons être très attentifs, même s'il faut aussi voir ailleurs.
Les grandes entreprises ont mis en place des procédures et des mesures de contrôle. En principe, il ne devrait guère y avoir de problèmes, sauf les aspects frauduleux qui sont rares.
Pourquoi les grandes entreprises vont-elles déroger ? La pression des flux tendus pratiqués par la grande distribution fait que, si une commande tombe un vendredi soir à 19 heures pour une livraison le samedi matin à 6 heures, les diverses réglementations ne sont plus appliquées. Il faut sortir la production ! Ce sont les contraintes du marché ; quand le marché est là, ses contraintes pèsent parfois plus lourd que les procédures réglementaires et on prend parfois des libertés avec les procédures.
Les salariés peuvent mettre l'accent sur le fait que le non-respect des procédures peut altérer le produit. C'est dans ce sens que les salariés doivent pouvoir intervenir. Cela réglera une série de dysfonctionnements, avant qu'ils n'apparaissent dans les rayons. C'est une question importante pour nous. Il nous faut donc reconnaître aux salariés un droit d'alerte, de retrait ou d'intervention directe pour éviter les problèmes.
Aujourd'hui, le comité d'hygiène et de sécurité dans les grandes entreprises n'a pas de compétence en la matière. Il a compétence si le salarié est mis en danger, mais non sur les produits. Ne pourrait-on élargir ses compétences pour permettre aux salariés d'intervenir sur le produit ? Je ne parle pas de la conception du produit. Encore que, lorsqu'on met du jambon un peu vert sur les pizzas... !
Dans les petites entreprises de plus de dix personnes, les délégués du personnel ont compétence en matière d'hygiène et sécurité. Si l'on prenait ces mesures avec élargissement aux délégués du personnel dans les petites entreprises, on couvrirait un champ relativement important.
Sur le secret de fabrication et sur les procédures, bien entendu, les salariés doivent rester discrets. Et, pour garder le secret de fabrication, il vaut mieux que le débat ait lieu à l'intérieur de l'entreprise entre l'employeur et le comité d'hygiène et de sécurité.
S'il y a des anomalies et que les salariés sont obligés de porter le débat à l'extérieur de l'entreprise, que devient ce secret après un appel au journal régional ou à la direction de la répression des fraudes ? La meilleure façon de diffuser un secret de polichinelle est d'interdire que l'on en parle. Il vaut mieux en parler à l'intérieur de l'entreprise dans les instances représentatives avec les garanties de discrétion inscrites dans la loi. Lorsqu'il n'y a pas de possibilité de s'exprimer dans l'entreprise, les gens s'expriment ailleurs.
M. Alain KERBRIAND-POSTIC : Pour répondre à la première question, je me reporterai à la loi d'orientation agricole, car elle comporte des exemples concrets que je reprendrai.
Concernant les petites entreprises, et notamment celles de moins de dix personnes, cette loi vient d'instituer des comités d'hygiène et de sécurité départementaux pour les salariés des exploitations agricoles qui comptent de fait souvent moins de dix salariés. Ensuite, c'est aux partenaires sociaux dans les conventions collectives départementales ou régionales de mettre en _uvre ce principe édicté par la loi.
Dans beaucoup d'autres professions, le même principe pourrait être adopté. Il suffit que la loi précise qu'un dispositif doit exister, mais que les partenaires sociaux d'une même profession peuvent aussi imaginer leur système à partir de ce principe. Dans la restauration, cela peut être fait d'une manière ; dans d'autres secteurs, cela peut être fait d'une autre. L'exemple des salariés de l'agriculture n'est peut-être pas le meilleur, mais il a le mérite d'exister et il représente un exemple pour les très petites entreprises.
Il faudra peut-être y penser dans d'autres secteurs comme celui de l'artisanat alimentaire qui compte de nombreuses petites entreprises. Il ne faut pas oublier que les délégués du personnel peuvent jouer un rôle en matière d'hygiène et de sécurité ; malheureusement, dans beaucoup d'entreprises de moins de cinquante personnes, il n'y a pas de délégué du personnel.
M. André VISSE : Je ne peux que m'associer à ce qui vient d'être dit. Ma crainte la plus forte concerne les petites entreprises. Comment arriver à une confidentialité qui permette à un salarié d'exercer un droit d'alerte ? Souvent, les grandes entreprises se donnent des moyens et sont très strictes sur les process, les procédures. J'étais responsable de qualité dans un grand groupe. Je peux assurer que ce qui a été mis en place était très surveillé et observé. Même les incidents dus à une livraison rapide étaient souvent mineurs.
Ma crainte concerne les petites entreprises. En effet, comment donner à un salarié la possibilité d'attirer l'attention des services, tout en maintenant la confidentialité nécessaire ? Si cette confidentialité n'existe pas, il peut être assuré que son entreprise, ayant été informée de son exercice du droit d'alerte, prendra les dispositions pour le chasser.
Il faut renforcer le rôle et la formation des C.H.S.C.T., mais il faut également trouver un dispositif pour assurer la sécurité alimentaire dans les petites entreprises.
M. Jean-Pierre BOMPARD : Sur la première question, on ne peut qu'être d'accord. On peut toujours créer des droits nouveaux, mais le problème résulte du fait que les petites entreprises sont un désert syndical. Si nous n'étions pas dans un désert syndical, la question ne se poserait pas de la même manière.
Dans ce cas de figure, qui dit " droits nouveaux " dit " corps de contrôle ". Ce sont des droits nouveaux dont le syndicalisme peut s'emparer dans sa capacité à syndiquer dans ces secteurs, mais cela relève de corps classiques d'inspection comme l'inspection du travail. C'est une question assez redoutable, car il faut mettre en _uvre ces droits.
L'organisation au niveau européen pose un vrai problème. La confédération C.F.D.T. siège dans la confédération européenne des syndicats (C.E.S.) où nous débattons de ces questions.
Il est vrai que l'approche des opinions publiques, comme celle des salariés, n'est pas toujours la même au niveau européen. Malgré les informations données scientifiquement, il paraît qu'il y a une ruée des consommateurs britanniques sur la viande britannique. Vous pouvez imaginer que les réunions de la C.E.S. ne sont pas simples. Un certain nombre de syndicalistes reprochent aux syndicalistes français qui soutiennent la position gouvernementale sur l'embargo d'avoir une position protectionniste. Les débats sont contradictoires. Le débat scientifique est relégué dans ce cas de figure.
Sur la question des O.G.M., il n'y a pas le même type d'approche, même si l'opinion publique britannique est en train de changer, puisqu'elle était plutôt calée sur l'opinion publique nord-américaine. Les discussions étaient un peu compliquées.
Une coordination européenne dans ce domaine est souhaitable. Il faut référencer, classer, de façon que l'opinion publique puisse croire en la parole donnée. On a peu de chances de vraiment agir au niveau européen. Il faudra donc bien qu'il y ait une instance de validation au niveau européen sur le diagnostic.
Dans tous les cas de figure, chacun doit être mis face à ses responsabilités. Il ne faut pas demander aux scientifiques de se substituer au pouvoir démocratique et aux élus. Il peut aussi y avoir une tentation qui consisterait à passer à la république des savants qui prendraient les décisions. Mais on ne peut pas fonctionner comme cela ; ce n'est pas caractéristique d'une société démocratique.
M. le Président : La manière dont les choses se sont déroulées, ces derniers temps, montre bien que l'on a besoin des experts pour donner un avis et qu'ensuite, ce sont les politiques qui choisissent.
L'A.F.S.S.A. a fonctionné de manière très claire par rapport à la levée ou non de l'embargo. On ne peut pas demander aux experts de prendre des décisions, mais ils nous informent sur l'état des connaissances à un moment donné. Ils font connaître les risques et les politiciques tranchent.
Cela dépasse les principes de précaution et de prévention qui sont les deux facettes de la prudence, mais on pourrait dire que la prévention s'attache à contrôler des risques connus et avérés, alors que le principe de précaution porte sur des risques hypothétiques que l'on ne connaît pas ; c'est là qu'intervient le point de vue des savants. A un moment donné, il faut trancher, car on est toujours dans le domaine de l'incertitude.
A la différence du dicton qui préconise " dans le doute, abstiens-toi ", le principe de précaution nous conduit à dire : " dans le doute, prends un certain nombre de mesures ". C'est comme cela que les choses se présentent. Ce sont des débats que l'on aura. Il y aura un grand débat sur le principe de précaution.
M. Gilbert CAPP : Sur la question de la prévention, nous avons tous à faire un effort de pédagogie. Je ne suis pas sûr que tous les chefs d'entreprise de l'agroalimentaire et encore moins les salariés de ce secteur, soient conscients de l'état de l'opinion publique en matière de sécurité. L'histoire récente a quand même montré qu'aujourd'hui, plus aucune entreprise ou marque ne peut se permettre le moindre incident, sauf à risquer de disparaître.
Sur la question des petites entreprises, il est vrai que des différences existent, y compris dans les procédures. On peut difficilement appliquer à de petites entreprises de type artisanal les procédures de contrôle de la qualité qui existent pour les grandes entreprises industrielles. Aujourd'hui, on peut dire, qu'à quelques incidents près, les grandes entreprises ont mis en place les contrôles nécessaires, parce qu'elles ne peuvent pas se permettre le moindre risque.
Il est toujours difficile de jeter l'opprobre sur une profession. Mais nous savons, qu'autant ces procédures sont bien respectées dans certaines branches professionnelles, autant il y a des branches qui ont beaucoup de retard et qui n'ont pas pris conscience suffisamment tôt des risques encourus. C'est plutôt dans ce cas que le rôle des C.H.S.C.T. doit être développé. Il y a des entreprises où l'on félicitera celui qui met en évidence un problème. Les branches travaillant sur le vivant avec beaucoup de travail manuel sont, sur ce point, en retard sur le social et en matière de sécurité.
Quant au rôle des C.H.S.C.T., je voudrais rappeler qu'il existe des délégués du personnel jusqu'à 10 salariés. On peut aussi imaginer, comme l'a dit Alain Kerbriand, de développer des comités d'hygiène et de sécurité au niveau interentreprises. Il faudra des démarches de qualité adaptées aux types d'entreprises. A titre d'exemple, l'artisanat alimentaire, la C.G.A.D., développe aujourd'hui des guides de bonne pratique qui sont des outils mieux adaptés au contexte artisanal que les contrôles de process industriels.
La question de la formation se pose ; elle est aussi liée à une prise de conscience. Monsieur le rapporteur, vous nous avez demandé si nous avions fait des demandes sur l'information et la formation des salariés. Oui, nous travaillons sur ces questions. Aujourd'hui, la prise de conscience est réelle.
Je parlais tout à l'heure des grands accords cadres avec financement de l'Etat sur la formation professionnelle. Cela devient une orientation essentielle : on ne met plus de certificat de qualification professionnelle de branche en place, sans un volet hygiène et sécurité. C'est une mécanique qui s'enclenche et qui n'en est qu'à ses débuts.
Au plan européen, la fédération de l'agroalimentaire travaille dans le cadre de notre fédération européenne sur les questions de sécurité alimentaire. Elle est comme nous en début de réflexion.
M. André ASCHIERI : Je suis très inquiet en vous entendant. Vous avez aussi pour mission de défendre la population et non pas seulement les employés.
Je ne peux pas m'empêcher de faire certaines corrélations avec l'amiante, où les comités paritaires n'ont pas pu prendre des décisions pendant 90 ans. On savait que l'amiante était mortelle depuis 1906 et elle n'a pu être interdite qu'en 1997. Malgré la pression des syndicats, la parité a fait que les patrons ont toujours gagné. On a eu 2 000 morts par an et on en aura 5 000 en 2020 ! Or il s'agissait directement de la santé des travailleurs.
En l'occurrence, il s'agit de la santé des personnes qui vont consommer les marchandises. Si l'on continue dans la même ligne, je crains que l'on n'avance pas. Il est important pour nous de bien connaître le problème et de trouver les moyens d'y faire face.
Pour les intoxications alimentaires, vous avez parlé des températures et des circuits qui ne sont pas toujours respectés. On oublie que, s'il y a de moins en moins d'intoxications liées aux bactéries en France, on n'a pas progressé pour les produits chimiques contenus dans les aliments, car on ne les connaît pas. Il y a des problèmes de synergie : plusieurs produits chimiques peuvent circuler dans le corps et s'y multiplier. Il y a également un problème de durée : si le corps absorbe certains produits, parfois il les rejette, parfois il les garde et les accumule. Il faut parfois plusieurs années pour développer une maladie. Si on agit aussi légèrement que vous le dites, je crains que la santé des gens ne s'en ressente dans quelques années.
Avez-vous le sentiment, qu'avec les crises de santé publique que l'on a traversées, il y ait vraiment un changement ? Y a-t-il plus de concertation chez vous, plus de motivation par rapport aux décideurs, que ce soit dans les petites ou dans les grandes entreprises ? Vous avez dit que les petites entreprises avaient du mal à appliquer les réglementations et qu'il y avait des risques de renvoi. Mais, ce risque existe aussi dans les grandes entreprises. Un chercheur a été renvoyé d'une grande entreprise, parce qu'il avait trouvé un produit dangereux - de l'éther de glycol. Un autre a été renvoyé d'E.D.F., parce qu'il avait trouvé des relations avec les ondes électromagnétiques. A tous les niveaux, on risque sa fonction, en dénonçant ce que l'on a constaté.
Je voudrais que vous alliez plus loin dans ce domaine de l'alerte. C'est une obligation. On ne peut pas laisser passer un produit qui va intoxiquer les gens, sans pouvoir alerter. Quand l'A.F.S.S.A. a été créée, elle pouvait s'autosaisir ; elle le fait. Elle peut être saisie par le ministre, mais aussi par plusieurs sources. Ne pourrait-on trouver une solution pour qu'elle puisse être saisie directement par un employé comme par les syndicats ou les C.H.S.C.T. ? Il me paraît criminel de ne pas dénoncer quelque chose qui met en danger la sécurité et la santé. Si vous laissez passer le produit, plus personne ne le contrôlera. Il est indispensable de trouver des solutions, pour protéger la population sachant que vous êtes le dernier " fusible ".
M. le Président :  Vous pouvez apprécier le rôle des commissaires qui, à travers les questions, essaient de voir les problèmes qui se posent et la façon dont vous vous trouvez confrontés à ces questions.
Mme GROSCLAUDE : Je voudrais revenir sur la question de M. le rapporteur : comment appliquer le principe de précaution aux O.G.M. ? Quelle est la possibilité de graduer les dispositions prises ?
Comme l'a dit M. le Président, on applique le principe de précaution, quand on est devant un vide de connaissance. C'est vrai qu'on a tendance à préconiser des solutions de tout ou rien auxquelles on peut faire un procès d'irrationalité, d'émotivité, de disproportion avec ce qui est constaté. Face à l'E.S.B., l'embargo est exemplaire à cet effet.
Pour en revenir aux O.G.M., notre analyse à la C.F.D.T., - je fais abstraction de ma position de scientifique en recherche agronomique - consiste à dire que, pour appliquer le principe de précaution et essayer de le calibrer, on pourrait se référer à deux critères, tout en étant toujours dans l'ignorance et dans le vide de connaissance. Le premier critère est celui de la gravité des pathologies qui pourraient être induites et de l'existence ou non d'un moyen thérapeutique. Le deuxième critère repose sur l'existence d'un moyen de contrôler l'exposition à l'agent causal et de le retirer.
Volontairement, j'écarte les conséquences environnementales ou géopolitiques, les déséquilibres économiques liés aux O.G.M. et qui sont souvent très imbriqués. Je cible simplement les problèmes de sécurité pour les aliments qui contiendraient des O.G.M. Etant donné l'actualité et les efforts des grandes entreprises, on pense plutôt à des O.G.M. végétaux. Il ne faut pas oublier qu'il y en a beaucoup d'autres, y compris dans la chaîne alimentaire. Les auxiliaires de fabrication existent, pas forcément en France, mais au niveau international et on utilise des O.G.M. comme auxiliaires de fabrication.
Si l'on pense aux O.G.M. plantes, quelle est la gravité des pathologies qui pourraient être induites ? Les personnes qui fabriquent des O.G.M. vous disent qu'elles en connaissent bien les propriétés et l'innocuité. On ne peut pas exclure que dans le cas des plantes, on bouscule le génome et qu'on aille vers des perturbations involontaires. On ne peut pas cibler l'implantation d'un gène dans une plante génétiquement modifiée. Une substance était dégradée dans la plante et elle ne l'est plus, car on a handicapé un enzyme. On a transformé une plante que l'on croyait d'usage alimentaire absolument banal et confirmé par des millénaires d'utilisation en une plante vénéneuse.
Que peut-on faire par rapport à ces pathologies hypothétiques ? On va la transformer en plante allergène. Elle va exprimer un allergène. Que peut-on demander par rapport à ces risques ? Tout simplement des essais.
Que fait-on pour l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament ? On exige une artillerie lourde d'essais pour vérifier que ce n'est pas toxique ou allergène avec une certaine durée. On peut peut-être demander à des entreprises qui en ont les moyens comme Monsanto ou autres de prendre le temps et de réaliser les investissements nécessaires en temps et en argent, pour être sûrs que ces entreprises proposent un produit inoffensif, non-allergène.
Contrôle de la présence de l'agent ou pas, c'est un produit qui est le fruit d'une technologie volontaire de l'homme ou de l'entreprise. Si l'on obtient des mesures, on peut imposer et avoir un suivi de mesures d'étiquetage, de traçage, de teneur maximum ou minimale. Selon le sens dans lequel on se place, on peut aussi avoir dans ce cas une contention parfaite de savoir où est le risque et laisser au consommateur le choix de prendre le risque ou pas.
Le contrôle des O.G.M. relève de la prévention et non plus de la précaution, car on est dans des situations que l'on peut maîtriser, sous réserve d'introduire certaines dispositions.
Voilà comment on pourrait faire la différence majeure entre la situation des O.G.M., s'il y a des gouffres d'ignorance sur les conséquences environnementales ou autres et le problème de l'E.S.B. (encéphalopathie spongiforme bovine) dont la gravité n'est pas comparable, cette maladie restant incurable actuellement et étant transmissible.
Où est l'agent causal ? Le contrôle de l'agent causal, c'est aussi le gouffre d'ignorance que nous avons actuellement. On ne sait pas, donc on prend des mesures globales pour traiter un réservoir d'" infectiosité " - le troupeau bovin anglais et ses dérivés carnés parce qu'on ne sait pas où est l'agent causal. Il ne faut pas croire que c'est la protéine prion ; l'agent causal est celui qui a déclenché toutes ces réactions en chaîne, laissant cette protéine anormale après son passage.
Pour nous, il y a une grande différence entre le principe de précaution pour les encéphalopathies et le principe de précaution pour les O.G.M. qui, à notre sens, confine presque à des mesures de prévention.
M. Alain KERBRIAND-POSTIC : Vous avez raison, il peut être, en effet, inquiétant de vous entendre, notamment sur les problèmes pouvant survenir dans les petites entreprises. Le tout est de savoir si l'on peut trouver un système du même type ou apparenté qui figure dans la loi d'orientation agricole au chapitre " surveillance biologique du territoire " concernant les O.G.M., permettant à quiconque de s'adresser à un service compétent pour l'informer d'une situation jugée anormale.
Les choses sont plus complexes, quand il s'agit de droit du travail et qu'elles se présentent dans une entreprise où il faut garantir une protection du salarié. Il est possible que la loi prévoie que toute personne, voyant une irrégularité dans un process de production, de formation, peut informer, mais il faut aussi que le système de protection du salarié soit avéré.
Cela dit, je partage votre inquiétude. Il ne s'agit pas simplement de mettre en place des structures ou de les renforcer, encore faut-il qu'elles fonctionnent bien et que cela soit efficace.
Mme Annette PEULVAST- BERGEAL : Je partage ce sentiment d'inquiétude. J'étais inquiète mais surtout mal à l'aise. Je pense que cet acte de délation dont vous parlez doit impérativement être remplacé par un droit d'alerte.
Après vous avoir entendus, il est regrettable, dans le contexte actuel où il y a une très forte exigence de transparence et de clarification que l'on fonctionne toujours sous la démarche du secret qui me paraît obsolète dans le contexte actuel qui a basculé récemment.
Maintenant, en ce qui concerne la restauration collective et notamment la restauration scolaire, primaire, maternelle et secondaire en général, les élus locaux et de terrain que nous sommes sont confrontés à l'inquiétude des parents, notamment sur la question du recours aux O.G.M.
Nous essayons d'être attentifs, nous posons des questions aux grandes entreprises qui pratiquent la liaison froide. On nous répond très gentiment qu'il n'y a pas de viande anglaise et pas d'O.G.M. ou de nitrates ; il faut prendre cela pour argent comptant. Nous ne pouvons pas vérifier et cela ne satisfait pas les parents.
Sur ce sujet, êtes-vous en état, si ce n'est d'alerte, du moins de veille ? Il y a une montée en puissance du questionnement des parents par rapport à ce que nous servons en restauration collective à leurs enfants de trois ans jusqu'après le Bac.
M. le Président :  La parole est à M. Visse.
M. André VISSE : Madame, il est vrai que nous sommes en état de veille. Dans nos organisations, nous avons des chercheurs spécialisés et nous n'avons pas de réponse - pas plus que les scientifiques qui se sont penchés sur le problème - pour affirmer que la modification par les O.G.M. va avoir des conséquences. Ce n'est qu'une présomption, ce n'est qu'une précaution que nous prenons. Ce n'est qu'à terme, après des analyses plus approfondies, que nous pourrons le dire.
En tant que parents et grands-parents, nous sommes tout aussi inquiets, car nous n'avons pas de réponse. Nous n'aurons peut-être une réponse que dans cinq ou dix ans. Nous ne pouvons qu'être très attentifs et dire qu'il n'est pas possible d'accepter directement les O.G.M. sans avoir les informations nécessaires.
Quand vous prenez les experts en toute matière, les uns et les autres ne sont pas toujours d'accord. Après avoir fait des analyses très poussées, certains disent que l'E.S.B n'a pas de conséquences, d'autres s'expriment dans l'autre sens. Ce qui conforte la précaution de notre Gouvernement, tant que nous n'aurons pas confirmation. Et si le développement de l'E.S.B., tel que je l'ai appréhendé dans mes recherches, demande 30 ans, vous imaginez les conséquences ! Ce n'est que dans trente ans, que l'on pourra dire que le prion a entraîné une maladie que l'on ne pouvait pas déceler au départ ! Toute la difficulté est là.
Je voudrais aborder la question posée par M. Aschiéri.
En matière de qualité, dans les grandes entreprises, même si on a mis des process et des cahiers de charge importants, l'incident ne pourra jamais être évité à cent pour cent. Le contrôle dans les grandes entreprises est fait par une loi mathématique inventée par les Américains qui nous donne une sécurité de 998/1 000. Si vous prenez mille articles, un seul article ou deux peuvent avoir un problème particulier. Le seul problème qui permette d'attirer l'attention est le droit d'alerte qui serait sécurisant pour celui qui y aurait recours, sur des erreurs de process, sur des erreurs de contrôle. Mais comment faire autrement ?
C'est pourquoi nous demandons, qu'il y ait une formation des C.H.S.C.T. et qu'on leur donne la possibilité d'intervenir. Mais, le secret de fabrication se résume peut-être au produit par lui-même. Il faut qu'il soit connu par certains dans l'entreprise. Mais au-delà, il est préférable qu'il y ait des process et des procédures qui puissent être examinées par tout le monde pour pouvoir réagir en cas d'erreurs.
Sur une opération d'ionisation qui s'est faite dans l'Est, en tant que spécialiste de ce domaine, j'avais vu des procédures mises en place non suivies par les personnels. Les conséquences ont été graves et dramatiques. Il faut donc des possibilités au sein de toutes les entreprises, grandes et petites, pour qu'il y ait au moins une structure de process, que l'on connaisse la méthodologie de la fabrication et un cahier des charges du produit.
A partir de là, on aura pris un certain nombre de garanties et l'on verra ce que l'on peut faire.
M. BIGER : En réponse à la question de Mme Peulvast-Bergeal sur la restauration scolaire, en tant que représentant de la Fédération des syndicats généraux de l'Education nationale de la C.F.D.T. et, en tant que représentant des professionnels de la restauration et de la gestion des établissements scolaires du second degré et de l'enseignement supérieur, nous nous posons des questions, mais nous n'avons pas plus de réponse que tout un chacun.
Les demandes des gens que je représente vont dans le même sens : quid de la traçabilité ? On veut bien acheter les produits, mais peut-on nous garantir leur provenance ?
Dans le second degré, au niveau départemental ou académique, des groupements d'achats constituant un groupe de pression assez important font pression sur les fournisseurs de marchandises alimentaires qui permettent de garantir un certain sérieux. Cela dit, on n'est pas forcément à l'abri de quoi que ce soit en matière de traçabilité...
M. le Rapporteur : Au niveau des groupements d'achat, il nous a été dit que la motivation première est une préoccupation de coût. Il faut tenir dans le budget. A ce moment-là, je ne dis pas qu'il y ait relation entre coût et qualité, mais quand même ! Les contraintes qu'imposent ces problèmes de coûts font que, souvent, on a quelques interrogations sur l'origine de tel ou tel produit qui n'est pas forcément garanti.
Au niveau du groupement d'achat, l'arrivée de certains produits peut donc poser certains problèmes ?
M. BIGER : Tout à fait. On n'a jamais une garantie à cent pour cent. A priori, la création des groupements d'achats a été faite pour réduire les coûts. Cela dit, le débat qui existe en France existe aussi parmi les gestionnaires d'établissements qui font partie de ces groupements d'achats. La question qui revient le plus souvent est celle de la sécurité alimentaire des aliments qu'ils achètent, sans parler de la sécurité alimentaire du reste de la chaîne jusqu'à l'arrivée dans l'assiette de l'élève. Mais ceci est un autre sujet.
M. Rafaël NEDZYNSKI : Sur la restauration collective, il faut rappeler la distinction qui existe entre la restauration autogérée et ce qui est concédé à de grandes entreprises.
Les salariés qui préparent des plats dans les restaurants seraient incapables de vous dire si les maïs qu'ils utilisent sont des maïs transgéniques ou non.
Seconde remarque, il y a manifestement pour le moment une différence entre le type d'informations que doivent donner à leurs clients les entreprises de la grande distribution sur l'origine des produits et l'information donnée par les entreprises de restauration collective aux consommateurs qui ne précise pas, par exemple, l'origine des principaux produits utilisés.
Pour la restauration collective, je veux attirer votre attention sur le fait que les entreprises clientes ont la faculté de poser des conditions, au moment où elles passent les contrats avec les entreprises de restauration collective. Il y a cahier des charges et appel d'offres et donc la possibilité de poser des questions aux entreprises, de leur demander des engagements quant à une information régulière du client sur l'origine des produits utilisés.
Il y a un moment décisif pour les deux parties, celui où elles sont sur le point de conclure le contrat : une série de conditions peut être posée, que ce soit en termes d'information sur l'origine des produits, ou quant aux produits utilisés. Dans un contrat passé avec une entreprise de restauration collective, on peut insister sur le fait que la prestation doit concerner des produits frais, ou des produits de quatrième ou cinquième gamme ou surgelés. Plusieurs possibilités existent au moment de la passation des marchés avec un élément de coût à prendre en compte.
Bien sûr, si une proposition vous est faite avec un coût des matières fournies à 6 ou 7 francs par repas, il n'y aura pas de viande rouge tous les jours, que ce soit dans une école ou dans un hôpital.
Il y a donc un choix à faire au niveau du client. Si l'on peut faire pression sur le prix, cela a une conséquence sur la qualité de la prestation fournie, même si la sécurité alimentaire est respectée.
Autre point sur lequel je voudrais insister : dans ce cadre de passation de marché, on parle des effectifs des restaurants. Nous constatons également qu'une pression est exercée sur les prix pratiqués en essayant de réduire les effectifs utilisés. Nous pensons qu'il y a des effectifs incompressibles. Si l'on veut réduire les effectifs en dessous d'un certain seuil, on prend le risque que les procédures de contrôle et de vérification de la qualité des produits soient difficiles à respecter.
Mme Annette PEULVAST- BERGEAL : Permettez-moi de reprendre la parole. Lorsque nous passons un contrat avec un prestataire de service, ce contrat court pour plusieurs années. Or, en ce moment, tout change très vite.
J'arrive en fin de contrat pour une prestation ; quand j'ai signé ce contrat il y a 3 ans, le cahier des charges ne prévoyait pas un certain nombre de contraintes, car ce n'était pas d'actualité, et il n'y avait pas cette inquiétude permanente. Dans ce cas de figure, ces prestations portant sur plusieurs années, peut-être faudrait-il inclure dans le cahier des charges un certain nombre d'exigences impératives - et non pas facultatives - de la part des collectivités (communes, écoles ou hôpitaux, etc.) et prévoir des clauses obligatoires et incontournables qui permettraient d'avoir davantage de transparence et de lisibilité.
M. Pierre CARASSUS : S'agissant des O.G.M., compte tenu des incertitudes sur les risques, par rapport au niveau européen ou international, existe-t-il des échanges sur les résultats des travaux engagés par les chercheurs ?
M. Gilbert CAPP : Sur les O.G.M., je renverrai à une proposition contenue dans le rapport sur les biotechnologies adopté au Conseil économique et social au mois de juillet. Le rapporteur M. Le Fur, que nous avons soutenu sur ce point, propose, avec le principe de la traçabilité, le principe de l'étiquetage positif - " avec O.G.M. " - qui répond au droit de savoir du consommateur, que ce soit dans le cadre de la restauration collective ou dans un autre cadre et qui a l'avantage de faire supporter le coût d'une filière à ceux qui en ont pris la responsabilité.
C'est une piste du point de vue législatif, mais j'imagine que cette question ne pourra pas être réglée uniquement au niveau national.
Sur la question des changements du fait des crises, les entreprises sont dans une phase de stupeur face à ce qui risque de leur " tomber sur la tête " en cas d'incident.
En tant que représentants des salariés, nous sommes conscients de la responsabilité qui est entre nos mains. Cela dit, il y a une pédagogie à développer pour que les salariés prennent conscience des risques. On sait aujourd'hui, depuis les récentes crises, que les salariés concernés ont été les premiers ou les seuls à payer l'addition, en matière d'emploi en particulier.
M. le Président :  Avec les petits producteurs bien souvent.
M. Gilbert CAPP : Il faut approfondir cette notion de droit d'alerte, mais dans notre esprit, il est plus question de régler les problèmes " en interne ", avant de dénoncer et d'entrer dans en cycle de délation. Certes, il est possible de porter les informations à la connaissance de l'A.F.S.S.A., qui est la structure pertinente dans ce droit d'alerte. Néanmoins, nous pensons qu'il vaut mieux chercher à régler les problèmes " en interne ". D'autant que par le jeu de la délation, on s'expose à certains risques de déviation de gens qui voudraient prendre une revanche ou régler des comptes au travers d'une telle procédure. Voilà pourquoi nous préférons l'alerte " en interne " et régler les problèmes dans l'entreprise, avant de passer sur la place publique.
M. le Président : A-t-on répondu à toutes les questions posées ?
Mme GROSCLAUDE : A la question de M. Carassus de savoir s'il existe des échanges véritables entre chercheurs au sujet des O.G.M. - vous pensez à la préoccupation nutritionnelle - on peut dire que la préoccupation environnementale mobilise l'essentiel des approfondissements, des recherches.
C'est vrai que la préoccupation nutritionnelle ne fait pas l'objet de recherches systématiques, simplement parce que des centaines de milliers d'animaux et d'humains ont déjà consommé des O.G.M., on peut penser que, pragmatiquement ou cyniquement, les entreprises qui en produisent considèrent que la preuve est faite en marchant. C'est peut-être là qu'il y aurait un créneau pour élucider, s'il y a risque afin de mettre en place des préventions si nécessaire, en approfondissant les exigences nutritionnelles par rapport aux O.G.M.
C'est essentiellement l'obsession environnementale aujourd'hui qui est travaillée par les faiseurs d'O.G.M.
M. André VISSE : Je voudrais revenir sur l'esprit européen dans ce domaine de la nutrition. En fait, on en est aux balbutiements. L'A.F.S.S.A. a fait un travail considérable. Le rôle qui lui appartient est surtout un rôle d'alerte et d'analyse. Ce n'est pas tout à fait un rôle de contrôle.
Le contrôle doit permettre de trouver une procédure totalement différente. En tant que confédération européenne des cadres, nous attirons l'attention de Bruxelles sur la mise en place d'un organisme européen pour que tous les produits provenant d'Europe fassent l'objet d'un consensus européen.
M. le Rapporteur : Je voulais avoir votre opinion sur la perspective que l'on voit se dessiner, à savoir une société à deux vitesses en matière de consommation. On y a fait allusion avec la filière avec ou sans O.G.M. Dans le cadre de cette commission d'enquête, on voit d'un côté des produits de qualité, labellisés, produits qui atteignent un niveau de prix conséquent, et d'autres filières où la qualité n'est pas forcément la même, mais où la sécurité est assurée.
Quelle est votre position, en tant que syndicats de l'agroalimentaire, par rapport à ce que l'on va être obligé de prendre pratiquement comme un état de fait ?
M. le Président :  J'aimerais poser une question sur la formation. Vous avez été unanimes à souligner l'importance de la formation dans le domaine de l'agroalimentaire et la difficulté à mettre en _uvre cette formation. Comment et où pourrait-on la mettre en _uvre ?
Les secteurs professionnels organisent eux-mêmes leurs formations professionnelles, mais cela reste difficile d'accès pour les petites et moyennes entreprises. Or nous savons que les régions ont compétence dans le domaine de la formation continue. Comment imaginer un développement de la formation continue au niveau des régions qui répondrait aux besoins du secteur de l'agroalimentaire ?
M. Jean-Pierre BOMPARD : Il faut faire attention. C'est un peu le sens de l'introduction que j'avais faite : il y a les défis à relever, mais une grande partie de la planète ne mange pas à sa faim. Chaque fois que l'on se pose des questions sur le principe de précaution, il faut aussi le faire en sortant de notre modèle et tenir compte des zones de pauvreté dans nos pays. C'est vrai qu'il y a donc des risques de deux, trois, quatre ou cinq systèmes.
Je me souviens avoir été confronté à des discussions sur la ration minimale à fournir aux jeunes défavorisés des banlieues. Une partie des jeunes défavorisés des banlieues ne mange pas correctement en termes d'équilibre nutritionnel.
Nous avons été interpellés par un grand groupe qui souhaitait mettre en place un système consistant à fournir un " pack " garantissant ce minimum d'équilibre afin qu'ils ne connaissent pas ce déséquilibre en termes d'alimentation avec les conséquences que cela peut avoir. Je ne parle pas de produits illicites, mais simplement de mauvaise consommation.
Il est vrai qu'existe ce risque de segmentation multiple qui est d'autant plus grand, que l'on aurait des discours qui encourageraient (d'où la position assez médiane de la C.F.D.T. sur les O.G.M.) ou cautionneraient toute une série de peurs sur le sujet. Peut-être d'ailleurs nous sommes-nous mobilisés trop tard au niveau syndical.
Quant aux grands groupes multinationaux, ils ont dévié. Si Monsanto connaît la restructuration économique que vous connaissez, c'est parce que ses dirigeants étaient persuadés de pouvoir faire tout ce qu'ils voulaient comme ils le voulaient. Quand vous parlez d'O.G.M., les gens pensent à quelque chose de terrible, qui va détruire l'individu et la planète. Ce n'est tout de même pas la réalité.
Le génie génétique n'est quand même pas le diable qui descend sur terre pour élaborer un être bizarre.
Quand il s'agit de se " soigner ", l'on accepte énormément d'innovations. Vous avez sans doute vu ce reportage sur une chaîne de télévision sur la fécondation in vitro et sur le doute qu'il y a quinze ou vingt ans après sur le sujet.
Nous disons donc qu'il faut faire attention mais qu'il ne faut pas faire des O.G.M. une machine de guerre qui sert à détruire la planète. Nous prenons nos distances avec certaines opinions qui ont pu être exprimées et qui continuent de l'être avec véhémence parfois.
M. le Rapporteur : Les conséquences de cette mauvaise présentation ou mauvaise information, c'est qu'aujourd'hui, dans le domaine de la filière alimentaire, on nous propose bien deux filières : une filière O.G.M. et une filière non-O.G.M. dont les produits seraient plus coûteux que la filière avec O.G.M. La conséquence est là.
M. Jean-Pierre BOMPARD : Je veux dire que le coup est parti. Dès le début, ma confédération était favorable à l'étiquetage. Mais l'étiquetage n'ayant pas été fait ou de manière tellement clandestine qu'il fallait être un spécialiste de ces questions, l'opinion publique a eu le sentiment d'être trompée. Il y a peut-être effectivement eu des attitudes de tromperie de la part de certains grands groupes.
Il faut remonter le courant et mettre en _uvre une contre-expertise publique. Dans ce domaine, notre confédération a pris position clairement : la destruction de parcelles expérimentales où des organismes publics procédaient à des essais de cultures n'a pas notre assentiment. Il faut savoir que cela s'est pratiqué.
S'il n'y a pas de contre expertise publique, il est évident que l'opinion publique n'aura aucun moyen de progresser concernant le secret de fabrication des grands groupes. Il faut donc que la puissance publique joue son rôle et que les organismes de recherche jouent le leur.
Cela dit, votre constat est bien réel : nous sommes aujourd'hui dans un mouvement d'opinion publique tel que même les plus défavorisés, iront spontanément vers le non-O.G.M. si l'étiquetage le précise. Peut-être direz vous qu'il est trop tard sur le sujet, mais évitons une telle situation si nous le pouvons encore.
M. Gilbert CAPP : Je voudrais apporter une autre précision. On peut observer qu'on a tendance à mélanger les questions de qualité des aliments et de sécurité qui est pour nous un droit fondamental qui ne se discute même pas.
Où est l'insécurité des O.G.M. ? On se pose à ce sujet de nombreuses questions.
Concernant votre question sur le risque d'une consommation à deux vitesses, aujourd'hui, on observe très clairement que le marché alimentaire est de plus en plus segmenté. Si vous prenez l'exemple des produits " bio ", vous en avez dans toutes les gammes de prix. Les produits sous label ou sous signe de qualité, vous en avez dans les diverses gammes de prix. La S.O.F.R.E.S. présente cela en diagramme sous forte de pagode avec une segmentation de plus en plus importante.
Nous pensons que c'est dans ce sens que l'on s'oriente et que s'orientent les entreprises, en dehors des signes officiels de qualité et d'origine des produits dont la lisibilité n'est pas suffisante.
M. le Président : Nous pourrions sans doute continuer parce que les sujets sont tels que l'on n'a jamais épuisé le sujet lui-même. Il est fort intéressant de connaître les avis des uns et des autres. Ce forum est le dernier que nous aurons tenu.
Comme je l'ai indiqué, si vous avez des éléments sur tel problème que vous souhaitez nous faire parvenir, nous sommes preneurs de tout ce qui peut intéresser la commission. Je vous remercie.

IV.- L'analyse du monde des services

L'entretien avec les représentant du négoce de gros

Audition de M. Arnaud de MORCOURT
Directeur général de la Confédération française
du Commerce de Gros et du Commerce International
(C.G.I.)
de M. Hugues POUZIN, Directeur de la fédération française des syndicats de négociants en pommes de terre et légumes en gros
et de M. Bernard STEINITZ, Secrétaire général de
l'Union du mareyage français

(extrait du procès-verbal de la séance du Lundi 10 janvier 2000)
Entretien avec M. Daniel CHEVALLIER, Rapporteur
MM.  de Morcourt, Pouzin et Steinitz sont introduits.
M. le Rapporteur leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Rapporteur, les intéressés prêtent serment.
M. le Rapporteur : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue dans ces locaux de l'Assemblée nationale. Votre audition s'inscrit dans une réflexion approfondie sur la sécurité sanitaire de la filière alimentaire, réflexion qui nous conduira à formuler un ensemble de propositions
Je vous propose, M. de Morcourt, de nous présenter la confédération que vous présidez, de nous dire quelle est sa fonction et comment elle réagit aux problèmes de sécurité qui touchent le secteur de l'agroalimentaire.
M. Arnaud de MORCOURT : La C.G.I. est l'organisation professionnelle du commerce inter entreprises. Sa particularité est de regrouper les syndicats professionnels des branches d'activité du commerce s'effectuant d'entreprise à entreprise, de telle sorte qu'elle représente le secteur du commerce qui n'est pas en contact direct avec le consommateur direct.
On peut qualifier cette activité de commerce de gros, mais également de négoce, puisqu'on la nomme de différentes façons. Sa finalité est d'intégrer les différentes fonctions qui se situent entre celle de production et celle de mise à disposition au consommateur final ; elle va donc bien au-delà du simple acte d'achat pour revendre, puisqu'elle inclut des fonctions de conditionnement, de parachèvement de produits, de marketing, allant, dans certains cas, jusqu'à la gestion de linéaires de grandes surfaces pour l'ensemble de ces fonctions économiques intermédiaires.
La C.G.I. regroupe cinquante-six fédérations professionnelles, dont les seize du commerce de gros, du négoce agricole et alimentaire qui vont du secteur des céréales à celui des viandes, dont vous avez d'ailleurs reçu les responsables il y a quelques semaines, en passant par celui des fruits et légumes, celui des produits laitiers, des surgelés, de la marée ou des vins et spiritueux, pour ne citer que quelques exemples.
A travers les fédérations professionnelles adhérentes, la C.G.I. représente l'ensemble du maillon central de la filière alimentaire et agricole, ce qui correspond à 22 000 entreprises et 180 000 personnes.
Ce maillon central est vivant et c'est, parce qu'il me semblait important de pouvoir affirmer sa vitalité, que je me suis permis de prendre l'initiative de m'adresser à votre commission d'enquête. En effet, bien souvent, on a tendance à considérer que les relations s'établissent au niveau des agriculteurs et de la grande distribution ; or la réalité statistique révèle qu'une nette majorité de produits passent par le maillon du négoce et du commerce de gros : c'est un élément important à souligner.
Compte tenu du poids de ce maillon intermédiaire, il me paraissait important que, dans le cadre de cette commission d'enquête, les représentants de ce maillon puissent être entendus, au moins pour les secteurs d'activité qui vous intéressent, en l'occurrence ceux de la marée et des fruits et légumes.
On peut mesurer l'importance de ce maillon central sur tous les problèmes de sécurité alimentaire, car, au-delà de la simple fonction de production, c'est toute la chaîne qui se trouve responsable de la sécurité alimentaire. Un certain nombre d'actions sont menées dans ce domaine en matière de traçabilité notamment ; elles seront décrites par les collègues qui m'accompagnent.
Mes collègues vont pouvoir aborder maintenant les aspects plus techniques, spécifiques de leur filière d'activité.
M. le Rapporteur : Je vous remercie.
Vous vous doutez bien que la commission est très vivement intéressée par ce " chaînon intermédiaire " - appelons-le comme cela - qui est celui du négoce placé entre l'agriculteur et la distribution. Nous avons bien ressenti, tout au long des auditions, que, " de la fourche à la fourchette " s'inscrivaient plusieurs stades, la transformation, mais aussi le transport, la mise à disposition ou le conditionnement.
Vous avez terminé votre exposé liminaire en mentionnant les initiatives qui sont prises ; nous sommes très intéressés de savoir comment les choses fonctionnent, quelles mesures vous appliquez pour faire en sorte que, par exemple, un produit sortant avec moins de cent listerias par gramme continue à préserver cette qualité jusqu'au stade du consommateur final. Quels contrôles effectuez-vous, comment gérez-vous cette phase intermédiaire ? Comptez-vous, par ailleurs, sur l'administration pour renforcer des mesures ou pensez-vous apporter à vos adhérents, à vos entreprises, des garanties complémentaires pour assurer un meilleur fonctionnement de ce maillon intermédiaire ?
M. Bernard STEINITZ : Je pense qu'il faut donner un message clair en matière de sécurité des produits alimentaires : si, aujourd'hui, on a connaissance de problèmes, c'est parce que le système d'alerte existe. Les pouvoirs publics et les professionnels ont, à cet égard, pleinement joué leur rôle : les pouvoirs publics, d'abord, en prenant les dispositions réglementaires nécessaires - tel a été le cas pour l'application des normes d'hygiène européennes transposées en ce qui concerne la marée depuis 1992 - pour les professionnels, ensuite, qui, non seulement ont appliqué cette réglementation, mais sont même allés au-delà, en s'imposant à eux-mêmes des guides de bonnes pratiques d'hygiène.
Pour ce qui concerne la marée, la démarche est en cours de finalisation : la rédaction du guide de bonnes pratiques est terminée, sa validation est en cours et sa publication au Journal officiel n'est plus qu'une affaire de semaines...
M. le Rapporteur : Les choses n'étaient pas formalisées jusqu'à maintenant ?
M. Bernard STEINITZ : Non, parce qu'il s'agit d'une démarche nouvelle et complètement innovante par rapport à la réglementation européenne. C'est une démarche à long terme qui n'est en réalité pas effectuée dans tous les secteurs d'activité. Pour les produits de la mer, il faut bien remarquer qu'il existe aujourd'hui un guide de bonnes pratiques d'hygiène dans les entreprises.
Les entreprises de marée, ont l'obligation de justifier, au moment où leur est délivré l'agrément communautaire, tout leur schéma d'autocontrôle interne, ce qui signifie que, le jour où un produit présente un problème en termes de qualité sanitaire, l'entreprise est capable de le détecter et d'y faire face. Nous estimons qu'il est important de rassurer le consommateur, car les procédures d'alerte ont fonctionné et elles sont la preuve que le système marche : c'est ainsi que je vois les choses !
M. le Rapporteur : A ceci près que le consommateur voit le résultat final et que le résultat final, ce sont malheureusement encore des décès par toxi-infection alimentaire.
Si tout le monde est conscient de la qualité de la surveillance -  si l'on peut découvrir des problèmes, c'est en définitive parce que des moyens sont mis en _uvre en ce sens ; je partage tout à fait votre point de vue - on a tendance aujourd'hui à demander à tous les laboratoires de tendre vers le " zéro défaut ".
En tant qu'élu, durant ce week-end, de retour dans ma circonscription des Hautes-Alpes, département rural, j'ai entendu, sur le marché de Gap les réflexions suivantes que je vais vous livrer brutalement pour voir quelles seraient vos réponses : " vous tolérez dix listerias par gramme, il est bien évident que ce chiffre va évoluer au cours du transport et du stockage et, puisque rien ne nous dit qu'il ne va pas dépasser les cent listerias fatidiques provoquant une toxi-infection, il faut que le produit sorte avec zéro listeria... "
M. Bernard STEINITZ : De mon point de vue, il s'agit d'une question de seuil d'acceptation et de tolérance de la société. On ignore le nombre de milliers de personnes qui mouraient autrefois de cette affection. Aujourd'hui, le seuil est descendu et on voudrait le voir descendre encore plus bas, comme pour les accidents de la route mais on pourrait multiplier les exemples à l'infini...
M. le Rapporteur : Comment réagissez-vous face à cette demande du " zéro défaut " ?
M. Bernard STEINITZ : Je crois qu'il faut demander l'avis d'un expert qui pourra vous donner une appréciation des seuils qui lui semblent être critiques ou non...
M. François FALCONNET : Avant de répondre, je souhaite me présenter : je représente la Confédération des industries de la pêche et des produits de la mer, mais j'ai aussi quelques activités dans d'autres secteurs où je m'occupe de qualité.
On ne peut évidemment pas dire que le " zéro défaut " existe mais, en revanche, il est demandé aux entreprises d'avoir un protocole d'évaluation de la durée de vie des produits qui tienne compte de la réalité de la chaîne du froid après la sortie de l'usine, afin de prévenir au maximum les risques liés aux listerias.
Si, par exemple, on considère, qu'à ce jour, la distribution respecte les quatre degrés qui doivent être observés pour la conservation des rillettes, on sait que le réfrigérateur du consommateur est réglé à huit degrés, ce qui amène les entreprises à faire des tests pour observer le vieillissement de leur produit en le mettant pendant les deux tiers de la durée de vie qu'ils ont prévue à quatre degrés et, pendant un tiers, à huit degrés ; les entreprises n'ont ensuite pas le droit de mettre sur le marché un produit qui ne " tiendrait " pas durant cette durée de vie, sauf à la réduire.
Une circulaire a d'ailleurs été édictée par les services d'hygiène alimentaire, où il est prévu que, si un produit est trouvé sur le marché avec présence de listerias, l'entreprise doit rappeler ledit produit, sauf si elle est en mesure de montrer que, compte tenu de son protocole de validation de durée de vie - au moins deux tiers à 4 ° et un tiers à 8 °, pour reprendre notre exemple - il n'existe pas de risque de dépasser cent listerias par gramme.
On sait parfaitement que, dans certains types de circuits de distribution, le protocole peut être modifié : par exemple, pour les produits expédiés en Grande-Bretagne, où la limite est fixée à 8 degrés, les tests sont effectués à cette température.
Donc, les entreprises ont, elles-mêmes, mis en place des protocoles en fonction de la chaîne du froid, sachant que les réfrigérateurs sont à huit degrés, mais qu'ils peuvent parfois monter à 10 degrés. En général, on considère que les produits sensibles sont consommés dans la semaine, et que, par conséquent, avec des durées de vie de l'ordre de vingt jours, puisqu'une semaine représente un tiers de la durée de vie ; on entre bien dans ce protocole de validation.
Les entreprises utilisent donc un système de validation, mais, si elles ne sont pas capables de le prouver aux services de contrôle et qu'on détecte la présence de listerias dans leurs produits, le rappel des produits est obligatoire.
Le problème de la listeria vient du fait qu'elle constitue un phénomène aléatoire qui, a priori ne devrait pas se produire avec des rillettes mais qui peut s'expliquer par recontamination après le conditionnement. Sans entrer dans le détail du dossier si, effectivement, il y a eu rupture de la chaîne du froid, il peut y avoir prolifération. A l'inverse, si la chaîne du froid a été respectée, les tests réalisés par les entreprises sont là pour tenir compte de ces variations potentielles, notamment chez le consommateur final.
M. le Rapporteur : Sur ce dossier important, on nous a laissé entendre qu'il existait des possibilités ou des moyens techniques pour contrôler la pérennité de la chaîne du froid pendant le transport jusqu'à l'arrivée au réfrigérateur. On a notamment fait état de témoins qui permettaient de savoir si la chaîne du froid avait été rompue : menez-vous avec vos adhérents une réflexion à ce niveau ?
M. François FALCONNET : Un certain nombre d'entreprises ont effectivement recours à des " mouchards ", qui se présentent sous la forme de petites boîtes bleues ou grises, selon les fabricants, que l'on place au milieu des paquets destinés à l'expédition et qui, une fois le produit arrivé à destination, sont reprises et connectées à un ordinateur pour retracer toute l'histoire du produit.
M. le Rapporteur : Vous avez vos " boîtes noires " ?
M. François FALCONNET : Oui, même si elles sont d'une autre couleur !
C'est une première technique, mais elle ne peut être qu'une technique de validation de la chaîne du froid au cours du transport. C'est une technique lourde, puisqu'elle suppose d'avoir du personnel en fin de course pour récupérer les boîtes, mais elle permet de valider régulièrement la qualité du transporteur.
Il existe une autre technique employée par certains distributeurs, qui met en jeu de petites pastilles dont la couleur varie en fonction de l'histoire de la température par un phénomène d'accumulation.
En réalité, pour que le système soit véritablement significatif, il faudrait en mettre plusieurs, pour savoir ce qui se passe à chaque étape et, personnellement, je suis assez sceptique sur l'intérêt de ces pastilles qui peuvent être calibrées en fonction de la durée de vie programmée, mais dont la précision est à mon sens insuffisante : pour les problèmes de listeria que nous évoquons, par exemple, elles se seraient avérées inutiles car, ne pouvant évidemment pas être calibrées en fonction de tous les microbes, elles auraient, à mon sens, été sans effet sur un risque de ce type qui naît de la combinaison de la température et de la durée.
Sans entrer dans les problèmes techniques, on sait que la listeria, par exemple, va être amenée à se développer lors d'une montée de température, puis elle va rester stagnante durant une période de latence et exploser chez le consommateur à une température de huit degrés. Compte tenu de ces éléments, je ne suis pas certain que ce que d'aucuns appellent " la pastille fraîcheur " soit très efficace : c'est un indicateur, mais ce n'est pas un indicateur qui puisse garantir le " zéro défaut ". De toute manière, on peut tendre vers le " zéro défaut ", mais on ne peut jamais le garantir.
M. le Rapporteur : D'autant qu'il semblerait que la listeria se développe aussi à basse température...
M. François FALCONNET : Oui mais la plus grande source de contamination reste le réfrigérateur du consommateur : il faudrait apprendre aux gens à laver leur réfrigérateur toutes les semaines avec un peu d'eau de Javel...
M. le Rapporteur : La commission le sait bien !
M. Arnaud de MORCOURT : Je dirai juste un mot sur le problème de la mise en conformité des entrepôts, à la suite de l'intervention d'une directive européenne. On peut dire que, globalement, dans nos filières d'activité, cette mise en conformité s'est effectuée au cours de ces dernières années et je pense, qu'aujourd'hui, elle est valable dans des secteurs comme celui des surgelés, celui des produits laitiers, autant de secteurs où sa réalisation a d'ailleurs exigé des investissements lourds pour les entreprises.`
M. François FALCONNET : Pour compléter votre information, je voudrais vous donner un chiffre : on considère, qu'en transport réfrigéré, donc en froid positif, l'écart de température entre la sortie de l'usine et la distribution est inférieur à un degré, c'est-à-dire que les usines laissent partir leurs produits, s'ils ont été conservés à quatre degrés, à deux degrés ce qui fait qu'ils arrivent, en mettant les choses au pire, à trois degrés en fin de chaîne de transport, le problème restant ensuite celui de la température des points de vente...
M. Bernard STEINITZ : Vous me permettrez d'intervenir sur le secteur de la marée. En dehors des 10 % de la production qui sont commercialisés directement par les pêcheurs, la marée en France regroupe, au sein de notre syndicat, 90 % de la production nationale sortie des eaux françaises et communautaires, ce qui représente environ 8 milliards de francs de chiffre d'affaires, 10 000 employés et surtout, pour répondre à votre préoccupation, 400 entreprises aux normes sanitaires européennes.
Je répète donc ce que j'ai dit tout à l'heure : nous pouvons garantir, pour les produits qui transitent par nos entreprises, une sécurité sanitaire car nous sommes à même de détecter un problème dans nos ateliers, compte tenu des protocoles qui existent.
M. le Rapporteur : Il est bon que cette audition ait lieu aujourd'hui puisqu'elle me permet de parler de l'actualité, notamment de la listeria et de la " marée noire " et donc d'étayer mon raisonnement sur des exemples bien précis.
Dans le cas particulier de certains élevages d'huîtres et de moules, comment les choses se passent-elles avec la " marée noire " ? Etes-vous en situation de dire, que tous ces produits issus de la côte bretonne sont aptes à la consommation et quels sont les mécanismes qui ont joué ou qui jouent actuellement pour signaler la qualité de ces produits ?
M. Bernard STEINITZ : Je bats ma coulpe, car j'aurais dû commencer par vous donner la définition du mareyeur qui n'est pas forcément évidente pour un député de l'intérieur des terres.
" Le mareyeur - et je prends la définition légale - est le premier acheteur des produits de la pêche maritime destinés à la consommation humaine en vue de leur commercialisation. " Concrètement, cela veut dire que, sauf de façon marginale, le mareyeur s'occupe de poissons, de coquillages et de crustacés, mais des coquillages est exclue précisément l'huître qui fait l'objet d'une autre interprofession : le comité national conchylicole, le C.N.C., dont vous pourriez auditionner les responsables.
Aujourd'hui, je ne me sens incapable de parler au nom des conchyliculteurs qui ont leur organisation professionnelle propre.
Cela étant, vous savez que l'huître est un mollusque bivalve qui a une capacité de filtration et que si, effectivement, des produits toxiques étaient ingérés, l'huître elle-même serait détruite... Néanmoins, je suis convaincu - et M. Falconnet pourra peut-être me le confirmer - qu'au sein de la conchyliculture, existent les mêmes guides de bonne conduite, les mêmes protocoles sanitaires. D'ailleurs, les conchyliculteurs ont pris des mesures de bon sens, lorsqu'ils ont vu du pétrole s'approcher de leurs côtes ; ils ont sorti les huîtres de claires. Je pense que la profession a fait le nécessaire et qu'elle a pris toutes les dispositions, pour qu'il n'y ait pas de risques pour le consommateur final.
M. le Rapporteur : De quel texte tirez-vous cette définition du mareyeur ?
M. Bernard STEINITZ : C'est l'article 35 de la loi d'orientation sur la pêche maritime du 18 novembre 1997 qui définit la fonction de mareyeur.
M. le Rapporteur : Votre guide de bonnes pratiques doit donc être validé incessamment ?
M. Bernard STEINITZ : Nous l'espérons ! En tout cas nous avons entrepris toutes les démarches auprès des instances concernées...
M. le Rapporteur : En attendant l'intervention de ce guide, quelle est la réglementation qui vous régit ?
M. Bernard STEINITZ : Les entreprises de marée doivent, pour obtenir leur agrément, présenter au vétérinaire local qui délivre cet agrément, un protocole de travail qui s'inspire largement du guide dont je viens de parler. Jusqu'alors, il n'y avait pas de référence nationale et c'est le vétérinaire local, qui vérifiait la justesse et la pertinence du protocole adopté par l'entreprise.
M. le Rapporteur : Depuis quand ce type de souci vous anime-t-il ?
M. Bernard STEINITZ : Depuis que nous le partageons à la fois avec le législateur et avec la Commission de Bruxelles, depuis que des textes nous imposent ce type de procédures.
M. le Rapporteur : De quand datent ces textes ?
M. Bernard STEINITZ : La directive date de 1991 pour la pêche et la réglementation française est intervenue en 1992.
M. François FALCONNET : Pour revenir sur les guides de bonne conduite, la directive générale d'hygiène n° 91-43 puis les directives vétérinaires faisaient référence à l'application du principe de l'analyse des dangers H.A.C.C.P. Il s'est, en fait, très vite avéré que, dans le cas des petites et moyennes entreprises, l'application de ce principe se faisait entreprise par entreprise et nous sommes arrivés à la conclusion - et cela s'est également traduit au niveau du Codex alimentarius aux travaux duquel je participe - que, préalablement à ces mesures très détaillées, il fallait répertorier les bonnes pratiques en vigueur dans les entreprises, dans la mesure où on les retrouve de façon constante.
C'est la raison pour laquelle, dès 1993 ou 1994, nous avons commencé à travailler sur ces guides de bonnes pratiques qui permettaient, d'une part de définir tous les éléments de fonctionnement communs aux entreprises, et, d'autre part, d'aider ces dernières à mieux identifier leur spécificité.
C'est un travail de très longue haleine, car il nécessite une forte implication des opérateurs : il ne servirait à rien d'élaborer un document purement théorique conçu par une tête bien faite, parce qu'il ne serait pas applicable. Il est préférable que les opérateurs élaborent ce dispositif par eux-mêmes, au sein de groupes de travail. Même si le document n'est pas encore formellement adopté - avec la création de l'A.F.S.S.A. et l'évolution du Conseil supérieur d'hygiène, nous avons quelques interrogations quant à la procédure à suivre pour faire adopter les documents - il y a eu, chez les opérateurs, une prise de conscience qui s'est traduite aussi sur le terrain.
M. Bernard STEINITZ : Pour reprendre et résumer les récents propos de M. Falconnet, le guide de bonnes pratiques tel que nous l'avons rédigé est " un guide d'application volontaire conçu par et pour les mareyeurs " pour les aider :
1°) à mettre en place les mesures nécessaires, en vue d'assurer la sécurité et la salubrité des produits qu'ils commercialisent - maîtrise des contaminants biologiques, chimiques et physiques ;
2°) à respecter les exigences des réglementations en matière d'hygiène - produits de la pêche - notamment en matière d'autocontrôles résultant de la directive n° 91-493 CE et de la directive n° 93-43 CE, ainsi que de leurs textes français de transcription.
En conséquence, ce guide décrit la réglementation générale à respecter et les mesures spécifiques à certaines activités du mareyeur, dont le contrôle et la maîtrise sont nécessaires pour assurer la salubrité des produits, suivant la méthode H.A.C.C.P.
Voilà dans quel esprit ces guides de bonnes pratiques sont rédigés ; nous pensons qu'ils sont de nature à offrir au consommateur final une grande sécurité : nous assumons la responsabilité des produits que nous commercialisons.
M. le Rapporteur : Vous avez fait état d'un guide d'application volontaire : s'agit-il d'un document d'adhésion qui devient obligatoire pour toutes les parties prenantes ou bien certaines d'entre elles peuvent-elles s'en affranchir ?
M. Bernard STEINITZ : Il a un caractère plus qu'incitatif ; à l'issue de sa phase de validation administrative, il sera publié au Journal Officiel : ce n'est pas un règlement mais c'est quand même, malgré tout, " la loi " de la profession et le bon professionnel applique ce guide de bonnes pratiques.
M. le Rapporteur : Je souhaiterais que vous m'expliquiez clairement la structure de la filière ; où se situe en particulier le mareyeur dans la filière de production ?
M. Bernard STEINITZ : C'est la première personne qui achète la production.
M. le Rapporteur : Donc, à partir du moment où le mareyeur entre en possession d'une production, est-ce qu'il peut exercer un contrôle ? Est-ce qu'il accepte tout ce qui est produit, au motif que des analyses ont été faites au préalable par les services vétérinaires ou ne va-t-il commercialiser que ce qu'il aura contrôlé ?
M. Bernard STEINITZ : Le processus est absolument complet : il y a effectivement un contrôle vétérinaire sous criée. Mais, une fois les produits réceptionnés, on procède par échantillons et par tests, deux, trois ou quatre fois par semaine selon l'importance de l'entreprise. On prélève un échantillonnage qui est envoyé soit auprès du service départemental, soit auprès du laboratoire privé, avec lequel l'entreprise peut avoir des accords. On exerce évidemment un contrôle constant de la qualité des produits, dans chaque entreprise.
M. François FALCONNET : En fait le propre du mareyeur n'est pas de prendre des caisses de poisson sur le port pour les renvoyer en l'état, mais de les prendre pour les confier, une à une, aux membres de l'atelier qui ont suivi une formation appropriée, à l'hygiène notamment, de telle sorte que chaque poisson qui est gardé sous glace va être repris et reconditionné.
Dans le cadre du mareyage, on réalise en fait un tri à l'unité pour un poisson, même pour un poisson sans tranchage ni filetage, car de telles opérations imposent toute une série d'autres procédures. Le mareyeur n'est pas une personne qui travaille avec son téléphone ; c'est quelqu'un qui a une activité propre sur le produit et notamment une activité de tri.
M. le Rapporteur : En matière de traçabilité, nos experts ont dit que, pour la viande bovine - cela semble loin du mareyage mais nous y ramènera - une carcasse de 400 kilos donnait quatre cents pièces au détail, d'où la difficulté d'assurer la traçabilité tout au long de la filière jusqu'au steak servi dans l'assiette : pour les gros poissons, il semblerait que l'on se retrouve confronté à la même difficulté. Qu'en est-il ?
M. Bernard STEINITZ : Effectivement, si l'un connaît précisément le poisson, qui rentre dans un atelier, une fois la commande constituée et préparée, il est très difficile de savoir d'où provient ce qui sort, sauf à expédier un lot très précis comme, par exemple, un lot de 500 kilos de soles, vendu en l'état à une grande surface, pêché par un chalutier dont on connaît le nom...
En effet, la nature des commandes fait que la production, dans l'atelier de mareyage, est éclatée selon différentes sources de production et qu'il est de ce fait très difficile de connaître son origine. On peut savoir l'origine de la production d'après les inscriptions qui figurent sur les cagettes, quand elle a été vendue et commercialisée, mais l'information ne précise pas de quel bateau provient chaque poisson ni le lieu où il a été pêché, c'est une chose matériellement impossible, sauf à vouloir mettre une puce informatique sur la queue de chaque poisson.
M. le Rapporteur : Je souhaiterais aborder un autre aspect de l'activité de mareyage, celui des poissons d'élevage, pour évoquer notamment l'éventuelle utilisation de farines animales.
M. François FALCONNET : Autant en matière de viande bovine, on peut avoir une traçabilité à l'animal, autant en matière de poissons, on ne peut avoir de traçabilité que sur un lot de pêche.
Par ailleurs, nous souhaitons améliorer cette traçabilité, le problème du poisson consistant à savoir dans quelle zone il a été pêché.
M. le Rapporteur : Si, demain, il y avait une contamination au mercure d'un certain lot de poissons, seriez-vous à même de le détecter ?
M. François FALCONNET : Les zones polluées par le mercure sont connues car l'I.F.R.E.M.E.R. - Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer - a beaucoup travaillé et je pense que si on avait un lot de poissons contaminé - certains poissons sont plus sensibles que d'autres, comme le thon par exemple - on serait capable de retrouver le lot. A mon avis, on est capable de gérer un lot contaminé par le mercure, d'abord parce que cela concerne des espèces très précises, ensuite parce que l'on connaît les niveaux de contamination, selon que l'on pêche dans l'Océan indien ou dans le golfe de Guinée. On dispose donc des informations nécessaires en la matière et on est capable de raisonner par lots.
En revanche, comme le disait M. Steinitz, quand un mareyeur va acheter son produit, il ne va certainement pas faire procéder à une analyse du mercure dans le thon qu'il va vendre, car cela demande des études très spécifiques. Les éléments d'information sont plutôt relatifs aux zones de pêche mais, en fait, les contaminations de poissons au mercure sont assez rares...
M. le Rapporteur : Nous avons pu constater que l'on était capable de trouver ce que l'on recherchait, qu'il s'agisse des métaux lourds, de la dioxine ou encore d'autres substances. Pour les poissons, est-ce que vous ciblez particulièrement vos recherches de contaminants et disposez-vous d'un tableau indiquant que, selon les types d'arrivages, il convient de rechercher plus précisément l'arsenic, le mercure, le plomb ou la radioactivité, par exemple ?
M. François FALCONNET : Aujourd'hui, les problèmes les plus importants sont ceux de parasitologie. C'est donc sur ce point que nous portons nos efforts.
Les problèmes de métaux lourds sont essentiellement corrélés aux zones de pêche et à ce jour, à ma connaissance, des suivis sont effectués par les opérateurs, sur les poissons qui sont les plus sensibles, notamment le thon, mais on ne fait pas de recherches systématiques sur les teneurs en mercure. Les recherches étant très lourdes, des études sont faites ponctuellement, des campagnes d'analyses sont conduites, pour voir les tendances qui se dégagent dans les zones de pêche ; des études portant sur les populations et l'évolution des contaminations de certaines populations sont également menées. Ces travaux sont conduits avec l'I.F.R.E.M.E.R. qui est en charge des suivis en la matière.
M. le Rapporteur: Sur les poissons qui sont les plus sensibles, notamment le thon, vous avez fait allusion à la parasitologie : y a-t-il des maladies transmissibles à l'homme ?
M. François FALCONNET : Il y a un risque qui est d'ailleurs prévu dans la réglementation communautaire : en l'occurrence, un nématode qui se met dans la chair et qui est lié à un problème d'éviscération du poisson, mais qui n'est dangereux qu'en cas d'ingestion de poisson cru, ce qui réduit les risques, mais explique que la destination du poisson pour la consommation " crue " nécessite des procédures spéciales.
Cela est d'ailleurs très bien précisé dans le guide des bonnes pratiques : si les gens désirent du poisson pour le consommer cru, ils doivent être attentifs au danger de la nisakis (?) mais, d'une part cela ne concerne pas tous les poissons, d'autre part, si vous mangez du poisson cuit, y compris rosé à l'arête, il n'y a pas de danger...
M. le Rapporteur : J'aimerais évoquer le cas des poissons d'élevage. Existe-t-il un étiquetage précis, au moment de la vente ou des achats que peuvent faire les mareyeurs ou de la mise à disposition des grandes surfaces, qui permette de distinguer la pêche traditionnelle des produits d'élevage ?
M. Bernard STEINITZ : Il y a une réglementation communautaire qui est maintenant transposée en droit français, mais qui n'est pas encore appliquée, qui oblige à distinguer, à l'étal, le poisson d'élevage du poisson sauvage. Je pense que cette disposition est une bonne chose, car le consommateur final a le droit d'être informé sur ce qu'il achète et mange. Je pourrais, si vous le souhaitez, vous donner toutes précisions sur cette toute nouvelle réglementation.
M. le Rapporteur : Il est vrai que les volailles et les poissons demeurent consommateurs de farines animales.
M. François FALCONNET : Oui, cependant, il convient de distinguer les farines animales terrestres et les farines animales poissons parce que, si je prends le cas du saumon, il a toujours mangé ses " " petits frères ", donc du poisson.
Dans le cas du saumon, selon les informations dont je dispose, il n'y a pas de farines animales terrestres. En revanche, on utilise des farines de poisson, ce qui est autre chose. Dans le cadre de l'aquaculture terrestre, je crois que les quelques rares farines animales qui entraient dans la composition de certains produits sont en train de disparaître, compte tenu des événements récents.
Il ne faut pas empêcher les poissons qui sont des " carnivores " de manger de la farine animale de poisson, sachant que se posent le problème de la qualité des farines de poisson et toute une série de questions techniques. Il n'en demeure pas moins vrai, que le raccourci que l'on a fait " farines animales terrestres ingérées par des animaux végétariens " ne se pose pas dans les mêmes termes pour l'alimentation des omnivores. J'insiste néanmoins sur le fait que la qualité de la farine demeure essentielle.
M. Arnaud de MORCOURT : Vous me permettrez d'ajouter un mot sur la qualité. Il y a aujourd'hui une généralisation des guides de bonnes pratiques et, simultanément un développement des systèmes d'autocontrôle. C'est un élément très important, dans la mesure où il est impossible de mettre un contrôleur derrière chaque produit et c'est ainsi que l'on contribue à résoudre le problème de la responsabilisation des acteurs de la filière.
Ces procédures d'autocontrôle se généralisent et je peux faire état d'un communiqué de la " Fédération des importateurs de fruits et légumes " qui signale " que les entreprises du secteur ont mis en place un système d'autocontrôle de pesticides et de produits de traitement après récolte. Une convention d'autocontrôle sera signée dans les prochains mois avec la D.G.C.C.R.F. : ce secteur est en avance sur les questions de sécurité. "
On voit se développer la responsabilisation des acteurs et, en ce qui concerne notre maillon, sans dire qu'il est irréprochable, je peux assurer qu'il essaie de l'être d'autant plus que la qualité des produits est un élément essentiel de sa politique.
On a assisté durant les trente dernières années, à une politique de pression sur les prix, qui a abouti à une pression sur la qualité et, à la suite de cette spirale infernale, on a vu mettre en cause la sécurité alimentaire. Nous pensons, au niveau du maillon négoce et du commerce de gros, qu'il faut mettre fin à cette situation et, c'est pourquoi, toute notre politique est orientée vers la qualité intrinsèque des produits. Or, qui dit " qualité des produits " dit " qualité de la chaîne de distribution " et, pour ce qui nous concerne, je crois pouvoir affirmer que la profession est très vigilante notamment sur les problèmes de transport.
Si vous auditionnez des responsables de Rungis, ils vous diront à quel point les contrôles du transport sont sérieusement effectués par les services. Ce n'est peut-être pas encore le cas dans d'autres circuits, mais, quand il s'agit de filières de professionnels qui entendent jouer la qualité, ils souhaitent jouer la qualité totale et n'admettent pas d'être mis en défaut sur des problèmes d'organisation logistique. C'est en tout cas la volonté politique qui se manifeste globalement pour l'échelon que nous représentons.
M. le Rapporteur : Vous abordez là un sujet extrêmement important et je vous remercie de le faire ; j'aimerais précisément savoir quel est votre rôle dans ce système. En effet, ainsi que vous l'avez évoqué vous-même, une pression très forte s'exerce sur les prix au niveau de la distribution par rapport aux producteurs avec, effectivement, des conséquences sur la qualité et j'ai un peu le sentiment qu'en tant que maillon intermédiaire, vous avez peu de pouvoir sur le rapport qualité-prix in fine.

Il semblerait, qu'après intervention du producteur et du distributeur, il y ait un coût incompressible ou un fonctionnement incompressible qui, malgré les soucis exprimés par tout un chacun, empêche le système d'évoluer, puisque les deux maillons déterminants se trouvent au départ et à l'arrivée de la chaîne.

Vous me dites que vous essayez par votre structure et votre réflexion d'infléchir le système, ce que je crois volontiers, mais j'aimerais savoir de quels moyens de pression vous pouvez disposer en la matière.
M. Arnaud de MORCOURT : Je crois que l'on peut, M. le Président, prendre l'exemple de la pomme de terre pour montrer le rôle du maillon central sur tous les problèmes de qualité et par conséquent de sécurité de la filière.
M. le Rapporteur : Certes, mais auparavant, j'aimerais savoir quelle est la sanction appliquée en cas de non-respect du guide de bonnes pratiques.
M. François FALCONNET : En fait, une fois le guide approuvé par les administrations, toute personne qui est capable de prouver qu'elle le respecte a une présomption de conformité - je dis bien une présomption parce qu'il faut entrer dans le détail des choses.
En revanche, une personne qui n'est pas capable d'apporter cette preuve, doit être à même démontrer qu'elle a mis en place des mesures qui sont au moins équivalentes. Cela veut dire que le guide de bonnes pratiques est un ensemble de propositions qui sont faites à des opérateurs et que, s'il les respecte, le produit est réputé conforme, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas vérifier cette conformité. Il s'agit donc bien d'une présomption de conformité.
En revanche, si l'on ne peut pas démontrer que l`on a respecté ces propositions, ce qui est un droit et ce qui est tout à fait possible, on a le devoir de démontrer que d'autres précautions équivalentes sont observées et c'est pourquoi nous avons parlé d'un guide d'application " volontaire ".
Si on respecte le guide, normalement - je dis normalement parce qu'il ne suffit pas de dire que l'on a respecté, il faut effectuer les autocontrôles et observer un certain nombre de démarches qui sont décrites dans le guide - on bénéficie d'une présomption de conformité. Dans le cas contraire et, si on se trouve dans l'impossibilité de démontrer au contrôleur que les mesures prises sont opérationnelles, on est dans l'illégalité. Il s'agit de moyens assez simples pour des P.M.E.
M. le Rapporteur : Les entreprises connaissent-elles bien les textes et les contraintes qu'ils induisent ?
Je vous pose très humblement la question car la lecture du " Lamy Dehove " ou du Journal Officiel est assez ardue pour le non-professionnel qui s'y plonge...
M. Bernard STEINITZ : Si l'entreprise ne connaît pas la réglementation, à supposer que cela puisse être le cas, les services vétérinaires sont là pour la lui rappeler et qu'au cas où elle ne la respecterait pas - et on l'a vu au moment de la date fatidique de fin de mise aux normes - l'entreprise peut être fermée. C'est ainsi qu'il y a eu des dizaines d'entreprises de marée qui ont fermé pour ne pas s'être mises aux normes.
M. Arnaud de MORCOURT : Le problème de la mise aux normes du fait de l'application des directives européennes a entraîné dans nos secteurs d'activité la disparition d'un certain nombre d'entreprises.
M. Bernard STEINITZ : Les sanctions ont été claires, nettes et précises !
M. François FALCONNET : Je tiens à préciser que l'un des rôles de ces guides est justement de rappeler les réglementations et d'en donner une lecture compréhensible qui ne soit pas celle du " Lamy Dehove " dont j'admets, même si je travaille régulièrement avec ce document, qu'il n'est pas lisible de prime abord pour un non-spécialiste.
Un document a été récemment publié par la F.A.O. - Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture - portant sur le respect des principes de l'H.A.C.C.P. dans les petites et moyennes entreprises. Or l'intérêt de cette publication était justement de faire référence aux guides de bonnes pratiques, comme représentant un moyen pour ces petites entreprises de satisfaire aux exigences de sécurité. L'objectif de ce guide est précisément de faire en sorte que l'entreprise soit capable, de respecter la réglementation, car on ne peut demander à ses dirigeants de lire tous les textes et leur mise à jour continue.
Le rôle du guide est de donner à un opérateur de terrain l'ensemble des informations réglementaires dont il a besoin au niveau sécurité, voire un peu plus, puisque l'on y traite également des problèmes d'étiquetage et de tous ceux qui sont liés à la sécurité du produit.
M. Bernard STEINITZ : J'ajoute que, la plupart du temps, les clients du mareyeur que sont les grandes surfaces, qui totalisent 60 % des achats, ont eux-mêmes des protocoles d'achat, ce qui signifie que le mareyeur doit respecter, en plus de la réglementation, telle ou telle exigence imposée par son client. Mais on parle trop du mareyage et pas assez de la pomme de terre.
M. le Rapporteur : On va y venir et, d'ailleurs, la question suivante concerne tout aussi bien le premier que la seconde : quelle est l'administration la plus pédagogue et quelle est la plus féroce ?
M. Bernard STEINITZ : Vous nous demandez de juger l'administration ? (Sourires.)
M. le Rapporteur : Plus exactement de l'apprécier.
M. François FALCONNET : J'ai juré de dire la vérité et donc je le ferai mais il me semble que ce n'est pas en ces termes que se pose le problème.
Il est certain, de manière très objective, que les services vétérinaires qui ont une tradition ancienne de travail avec les entreprises sur les problèmes d'hygiène alimentaire dans le cadre des produits de la mer jouent leur rôle d'aide, comme, d'ailleurs, on l'a vu lors de la phase de mise aux normes.
Pour répondre précisément à votre question, je dirai qu'il est plus difficile de discuter avec le personnel de la direction générale de la santé, qui n'a pas toujours la connaissance des méthodologies utilisées et qui se pose plus comme sanctionneur que comme conseilleur.
M. le Rapporteur : Je pensais, plutôt qu'à la D.S.V., à la D.G.C.C.R.F.
M. François FALCONNET : Non, je n'ai pas d'états d'âme entre les deux, d'abord parce qu'elles n'interviennent pas sur les mêmes sujets : la D.G.C.C.R.F. s'occupe beaucoup plus du secteur des fruits et légumes. Sur les aspects sécurité, elles sont toutes deux amenées, à un moment déterminé, à prendre des sanctions. Aujourd'hui, je crois qu'elles interviennent dans des domaines complémentaires, aussi je ne les mets pas en opposition...
M. le Rapporteur : La parole est donc à M. Pouzin à qui je vais demander de se présenter et qui va nous parler des fruits et légumes.
M. Hugues POUZIN : Je suis directeur de la Fédération nationale des négociants en pommes de terre appelée F.E.D.E.P.O.M.
Je vais commencer, si vous le voulez bien par définir la formule " négociant en pommes de terre ". La pomme de terre est un produit qui se cultive essentiellement dans les plaines du Nord, dans le Bassin parisien, en Champagne, en Bretagne et dans les Landes.
Le négociant a un rôle qui remonte très en amont car, la plupart du temps, il oriente le producteur, va dans certains cas jusqu'à fournir la semence qui sera plantée pour faire de la pomme de terre de consommation et il assure ensuite tout le suivi technique. Une fois la production arrachée, celle-ci est stockée, soit chez le producteur, soit chez le négociant, avant que ne s'effectuent le travail de tri, le lavage, le conditionnement et l'expédition des marchandises sur les différents lieux de commercialisation qui peuvent être la G.M.S., la restauration hors foyer, les magasins de détail ou un autre segment stratégique, à savoir les usines de transformation.
Concrètement, le négoce représente 65 % des volumes vendus mais, pour compléter votre information, je vous communiquerai un petit organigramme de distribution des flux qui illustre cette situation.
Pour répondre plus précisément à la question posée tout à l'heure concernant l'application des guides de bonnes pratiques, nous en possédons un dans notre filière, qui est commun avec le secteur des fruits et légumes et qui est également d'application volontaire. Nous avons une sanction immédiate, qui est celle du marché.
En effet, nous avons, face à nous, des acheteurs qui sont très puissants et la première question qu'ils nous posent est la suivante : êtes-vous en règle avec la législation en vigueur et, notamment, avec l`application volontaire des guides d'H.A.C.C.P. ? Toute entreprise qui n'appliquerait pas ces réglementations serait aussitôt " déréférencée " et se verrait très vite fermée, si elle ne se mettait pas très rapidement aux normes.
Par ailleurs, les relations avec l'administration, notamment la D.G.C.C.R.F., puisque nous n'entretenons, pour notre part, aucune relation avec les services vétérinaires, reposent sur deux attitudes : une attitude qui est très conciliante et qui vise à expliquer ce qu'est la législation, puis une fois un temps d'adaptation passé, une attitude répressive. Face à telle ou telle dérive qui lui apparaît devoir être sanctionnée, l'administration n'hésite pas à menacer du bâton et à condamner à des amendes qui peuvent être très élevées les entreprises qui ne jouent pas le jeu.
M. le Rapporteur : Dans quels cas ?
M. Hugues POUZIN : Pour des problèmes d'étiquetage, de non-respect du poids dans les sacs, d'utilisation de produits non homologués, de résidus de pesticides ou de produits antigerminatifs que l'on retrouve sur les tubercules et qui seraient nuisibles à l'image du produit, autant de cas où la D.G.C.C.R.F. intervient parfois, y compris sur notre demande.
M. le Rapporteur : La répartition existante résulte un peu de l'histoire : la D.G.C.C.R.F. s'occupe des produits végétaux et les D.S.V. des produits animaux...
M. Hugues POUZIN : Exactement !
Pour en revenir au rôle des négociants que j'ai essayé de décrire de façon succincte, j'ajouterai une notion qui a son importance : ce sont eux qui signent les produits qu'ils vendent.
Contrairement à ce que l'on pense, il n'y a quasiment aucune relation entre le producteur agricole et le distributeur. En revanche, le producteur agricole, à travers sa coopérative ou à travers son négociant entretient des relations avec le distributeur. Quand les groupes Leclerc ou Carrefour déclarent acheter aux producteurs français, cela est exact, mais ils n'achètent jamais directement. C'est une vision un peu démagogique des choses que de le laisser croire : en cas de crise, on voit tout de suite Edouard Leclerc affirmer à la télévision qu'il achète aux producteurs français, mais il faut bien savoir qu'il achète à travers une coopérative ou à travers un négociant.
Les négociants signent donc leur produit et, ce faisant, ils prennent la responsabilité du produit qui est vendu et effectuent un certain nombre de contrôles par rapport au taux de nitrates.
M. le Rapporteur : A ce niveau, la responsabilité de la qualité du produit relève plus du négociant que du producteur ?
M. Hugues POUZIN : Absolument !

Dans notre filière, nous travaillons, d'abord, avec les producteurs sur la base d'une politique contractuelle, ce qui signifie qu'il y a un engagement d'achat passé entre le négociant et le producteur.

Une partie de la négociation est relative aux règles de prix, puis un cahier des charges très détaillé est élaboré sur les qualités visuelles et intrinsèques du produit.
Enfin, le contrat comprend les fiches de traçabilité qui restituent tout l'historique du produit.
A partir du moment où s'effectue ce que nous appelons " un transfert de propriété " entre le producteur et le négociant qui se matérialise par un bulletin d'échantillonnage et qui est signé des deux parties, le négociant ne peut plus faire remonter la responsabilité vers le producteur. Si, en aval, un contrôle s'avère négatif, - excepté en cas de vice caché, auquel cas c'est une autre législation qui s'applique - c'est le négociant qui en assume la responsabilité.
C'est la raison pour laquelle les entreprises sont maintenant dotées de locaux, que l'on appelle un peu pompeusement " laboratoires de réception " qui s'inscrivent dans le protocole et les outils d'analyse de la qualité, dont les normes vont être définies par l`A.F.N.O.R. pour la filière pomme de terre, afin d'assurer un maximum de transparence entre le producteur et le négociant.
M. le Rapporteur : Voulez-vous dire que vous mettez en place vos propres laboratoires ?
M. Hugues POUZIN : Absolument !
Le métier de négociant consiste aujourd'hui quasiment plus à transmettre de l'information que des flux physiques ; j'ajouterai que nous avons lancé des projets de traçabilité et que le secteur de la pomme de terre est très en pointe dans ce domaine, puisque nous avons mis en place un projet intitulé TRACENET qui permet la transmission en flux continus, de façon montante et descendante, des informations entre le producteur de semences, son collecteur, le producteur de pommes de terre de consommation et le négociant qui, au final, délivrera le produit sur les lieux de consommation.
Ces différents acteurs enrichissent l'information des fiches, et d'après la sortie informatique que je mettrai à votre disposition, vous verrez le type d'informations que chacun des opérateurs est susceptible de fournir : les informations portent, au niveau du producteur, sur les parcelles, les traitements effectués, les dates d'arrachage, les lieux de stockage, au niveau du collecteur, sur les sorties de frigorifiques, les dates de vente, au niveau du négociant, sur les numéros de lots, les calibres, les dates d'entrée en stocks, les dates de sortie, les ventilations par type d'emballage et les lieux de vente du produit.
Tout cela se fait avec les moyens techniques modernes : au début nous étions sur le Minitel, mais, depuis cette année, le pilote tourne sur Internet, de telle sorte que les producteurs de plants ou de pommes de terre de consommation peuvent être connectés directement sur Internet, de même que les négociants.
Toutes ces informations ne demeurent pas dans l'entreprise, où elles seraient susceptibles d'être corrigées, falsifiées, mais elles sont transmises à une banque de données extérieure, avec une notion de " carte confiance " très proche du système bancaire, que l'on peut, en cas de difficulté, ouvrir à tout moment pour remonter au point initial, c'est-à-dire quasiment la bouture de la pomme de terre de semence, pour savoir d'où vient le problème.
M. le Rapporteur : Comment parvenez-vous à faire tout cela avec un prix de vente d'un franc le kilo ?
M. Hugues POUZIN : Grâce au tonnage. Par exemple, en pommes de terre de consommation, nous travaillons sur 4,5 millions de tonnes, ce qui est un tonnage relativement important. En outre, nous avons une organisation professionnelle qui est très forte, qui s'appelle le C.N.I.P.T. - interprofession pomme de terre de consommation - et, bénéficiant de l'appui des pouvoirs publics français, nous avons su mobiliser d'importants crédits pour mettre en place ce système.
M. le Rapporteur : Voulez-vous dire qu'un consommateur qui paie un franc le kilo de pomme de terre a toutes ces garanties ?
M. Hugues POUZIN : Il ne les a pas encore, puisque le pilote n'en est qu'à sa deuxième année, mais il va les avoir à partir de l'année prochaine.
M. le Rapporteur : Et vous pensez qu'alors, vous pourrez maintenir le prix du kilo de pommes de terre à un franc ?
M. Hugues POUZIN : D'abord, toutes les variétés ne sont pas vendues à ce prix...
M. le Rapporteur : Si je vous le dis, c'est parce que je regarde le prix des offres en grandes surfaces et que j'ai pu voir que dix kilos de pommes de terre se vendaient à dix francs soit un franc le kilo...
M. Hugues POUZIN : Certes, mais le prix peut aller jusqu'à quinze francs, si vous prenez l'exemple de la ratte du Touquet ; il y a donc une très grande hétérogénéité en termes de prix et les prix diffèrent à chaque maillon de la filière.
M. le Rapporteur : Il est essentiel pour nous de savoir si, à tout moment, la qualité est constante malgré la variation du prix.
M. Hugues POUZIN : Cela fait partie des éléments de fixation du prix : un produit tracé sera forcément plus cher qu'un produit non tracé.
M. le Rapporteur : J'entends bien mais, du point de vue de la sécurité alimentaire - il faut bien distinguer la qualité de la sécurité car j'admets que l'on paie plus cher une ratte qu'une bintje - aura-t-on la même garantie pour une pomme de terre vendue à un franc que pour une autre vendue à quinze francs ?
M. Hugues POUZIN : Oui et non : oui, dans la mesure où tous les gens ont pris la responsabilité de signer le produit, en mettant leur nom et en identifiant clairement leur entreprise ; non, car si une grande surface ou autre veut organiser une opération de promotion et importer de Pologne des pommes de terre à quarante centimes, on ne pourra pas se prononcer sur la qualité du produit qui sera vendu au consommateur.
A ce propos, je dois dire que la filière française est très en avance par rapport à ses voisins européens. C'est une de ses particularités !
M. le Rapporteur : Prévoyez-vous d'étendre ce protocole pour la pomme de terre aux autres productions maraîchères ?
M. Hugues POUZIN : La méthode TRACENET s'appuie sur des relations en termes de filière : il appartient à chaque maillon d'établir ce que doit recouvrir la notion de traçabilité ; cela signifie que le négociant ne peut pas imposer au producteur telle ou telle chose et il en va de même pour le maillon supérieur. Il est important de noter que le travail est d'abord un travail de consensus au niveau d'une filière qui suppose, pour bien fonctionner, que chaque acteur de la filière soit respecté par l'autre et l'interprofession qui est une construction purement agricole le permet. Dans une interprofession, chaque famille qu'elle soit de l'amont ou de l'aval est à parité en termes de sièges et donc de voix. Tout ce qui est décidé en interprofession peut prendre du temps, mais est, une fois décidé, fermement appliqué et respecté par les autres familles. C'est là un point important.
M. Arnaud de MORCOURT : L'interprofession fonctionne très bien dans le secteur de la pomme de terre.
M. Hugues POUZIN : Maintenant, cette méthode peut très bien inspirer d'autres secteurs, mais toujours sous réserve que cela se fasse en interprofession.
M. le Rapporteur : Jouez-vous un rôle moteur en la matière ?
M. Hugues POUZIN : Absolument, car plus la méthode sera adoptée par d'autres maillons et plus nous serons forts. Nous n'avons aucun intérêt à garder cette méthode pour nous : plus elle sera mutualisée et mieux ce sera pour nous !
M. le Rapporteur : Il est bien évident que, pour ce qui concerne les fruits et légumes, l'organisation n'atteint pas encore ce niveau-là !
M. Hugues POUZIN : C'est clair ! En revanche, les producteurs de pommes, d'endives qui sont des produits stockables ou encore les producteurs de tomates sont très intéressés par cette démarche et aimeraient, à mon avis, s'en inspirer, car ce sont des produits pour lesquels la problématique se pose un peu dans les même termes que pour la pomme de terre.
M. le Rapporteur : Pour la pomme, où en est-on ?
M. Hugues POUZIN : Les responsables ont pris contact et se sont montrés intéressés par les démonstrations du pilote, mais il leur reste à prendre la décision : je ne peux pas vouloir les choses à leur place, car c'est la filière elle-même qui doit se responsabiliser et décider d'engager des sommes importantes sur ces projets. Or les représentants de cette filière ne sont peut-être pas au même stade de réflexion stratégique que nous.
M. le Rapporteur : Quelle est votre position par rapport aux O.G.M. ?
M. Hugues POUZIN : La filière pomme de terre n'est pas favorable à leur utilisation dans les produits issus de la production française. Pourquoi ? Parce que, contrairement à des produits du type céréales qui connaissent deux ou trois transformations, nos produits sont achetés et consommés directement par le consommateur ; on observe que l'attitude du consommateur français est très différente de celle du consommateur américain qui semble moins hostile à l'apparition de produits O.G.M., encore qu'on commence à enregistrer un revirement de sa part en termes d'acceptation, notamment par rapport aux tomates transgéniques qui finissent de plus en plus dans le ketchup et qui sont de moins en moins vendues à l'état frais au consommateur.
Au niveau de la filière de la pomme de terre française, tant que la confiance n'existe pas entre le consommateur et les produits O.G.M., nous estimons que nous n'avons nullement intérêt à nous engager dans une telle démarche.
Par ailleurs, pour ce qui a trait aux avancées significatives sur la recherche variétale, nos principaux semenciers notamment G.E.R.M.I.C.O.P.A. qui est leader sur le plan national ne voit aucun intérêt à utiliser les O.G.M. dans ses recherches. Les Hollandais qui étaient leaders en matière de création variétale ont arrêté tous les plans de recherche sur les O.G.M. qu'ils avaient jusqu'alors uniquement focalisés sur les pommes de terre à destination de la fécule en tentant de mettre en évidence des gènes susceptibles d'améliorer la richesse des pommes de terre en matière sèche. Pour nous, les O.G.M. ne constituent pas du tout un plus : au contraire, j'ai l'impression, qu'en y ayant recours, on alarmerait inutilement le consommateur qui, comme vous le savez, recherche, dans les fruits et légumes et notamment dans la pomme de terre, les vertus de la terre nourricière et lui demande notamment d'être saine : si on l'affole sur des thèmes de ce genre, on risque de perdre plutôt que de gagner des parts de marché.
M. le Rapporteur : Oui, mais il était annoncé dans ces créneaux la possibilité d'obtenir des frites qui absorberaient moins d'huile et toute une série de perspectives qui ne sont pas forcément en contradiction avec le comportement du consommateur. En la matière, il faut voir ce que les O.G.M. peuvent apporter.
Lors d'une récente audition, une société est venue avec ce concentré de tomate auquel vous faisiez allusion et je m'interrogeais sur l'intérêt qu'il pouvait y avoir à utiliser des tomates transgéniques bien fermes dans un tel produit : j'avoue que je n'ai pas eu l'explication et que je ne comprends toujours pas le pourquoi de la chose. Que la tomate transgénique soit plus résistante à l'étal et plus appétissante pour le consommateur je l'admets, mais je vois mal l'intérêt d'en faire du concentré...
D'après nos informations, n'a-t-on pas ralenti les recherches sur les pommes de terre transgéniques ?
M. Hugues POUZIN : En France, de telles recherches n'ont jamais été entreprises, mais aux Pays-Bas, on est en train de faire " machine arrière " sur ce point.
En revanche, on aurait pu trouver un intérêt à utiliser des produits génétiquement modifiés, notamment pour développer des résistances à certaines maladies. Pour l'instant, on n'a pas trouvé de résistances intéressantes pour la pomme de terre, mais cela aurait pu être le cas notamment pour lutter contre le mildiou qui est une maladie qui demande des traitements phytosanitaires multiples et coûteux.
Toujours en matière de pomme de terre, nous nous sommes engagés dans une démarche un peu différente, qui est fondée sur la notion de culture raisonnée. Elle consiste à raisonner davantage nos apports pour les réduire au maximum, ce qui suppose une autre approche de l'agriculteur vis-à-vis de sa culture et donc de ses moyens de commercialisation. De même, nous avons engagé une réflexion interprofessionnelle, puisque c'est le producteur et le maillon commercial, qui entreprennent une démarche lourde en termes d'intervention humaine, mais plus soucieuse de l'environnement. Pour faire reconnaître cette pratique, nous sommes en train de rédiger une norme, dans le cadre de l'A.F.N.O.R. Une commission de rédaction doit rendre ses travaux à la fin du mois de janvier. Il s'agira d'une démarche d'application volontaire.
M. le Rapporteur : Et l'agriculture " bio " ?
M. Hugues POUZIN : C'est un autre segment. Il faut tenir compte d'un paramètre important, à savoir que l'aspect visuel de la pomme de terre joue un rôle primordial pour le consommateur qui achète d'abord avec les yeux. Or avec la culture " bio ", il est très difficile d'obtenir un aspect impeccable.
M. le Rapporteur : Dans la culture " bio ", par définition, les fruits tavelés sont les meilleurs.
M. Hugues POUZIN : Je ne suis pas persuadé que l'ensemble des consommateurs en soit convaincu.
L'objectif que nous nous sommes fixé est d'arriver à appliquer notre démarche à 70 % de la production française en trois ans.
M. le Rapporteur : Est-ce que les pratiques que vous préconisez sont compatibles avec l'épandage de boues des stations d'épuration ?
M. Hugues POUZIN : L'épandage des boues est un problème qui comporte deux volets : d'abord, l'épandage des boues de déchets urbains, ou d'autres usines alimentaires, qui sont répandues sur les terres agricoles destinées à être emblavées en pommes de terre ; ensuite, les boues qui sortent des stations de lavage des pommes de terre. Dans le premier cas, dans le cadre de relations contractuelles entre un négociant et un producteur, tous les contrats des opérateurs français interdisent l'utilisation de terres ayant reçu des boues, soit alimentaires, soit de recyclage urbain pour éviter la présence, entre autres, de métaux lourds et de produits non identifiés. Il y a donc une interdiction qui est en vigueur pour l'instant.
M. le Rapporteur : Cette audition était très intéressante et je suis très heureux de vous avoir accordé cette entrevue pour compléter nos connaissances, notamment sur les filières du mareyage et de la pomme de terre.
Souhaitez-vous ajouter un point ?
M. Arnaud de MORCOURT : Ces deux exemples illustrent le fait que, lorsque des filières sont bien organisées, avec une interprofession qui est forte, le maillon négoce dispose d'une capacité d'initiative, lui permettant d'assurer une plus grande diversité, une plus grande qualité et également une plus grande sécurité du produit. C'est en ce sens que j'ai estimé que l`exemple de la pomme de terre était un élément de réponse à la question que vous me posiez tout à l'heure.
M. le Rapporteur : C'est tout à fait exact, et si j'avais un souhait à formuler c'est qu'effectivement, ce type de démarche s'étende à d'autres secteurs et notamment à celui des fruits et légumes.
M. Arnaud de MORCOURT : Je crois que c'est également le souhait de tout le maillon négoce.
M. François FALCONNET : Un élément pose problème au niveau de l'Europe, c'est l'application des textes par les autres pays européens. Par exemple, l'Espagne n'applique pas les réglementations européennes en matière de fruits et légumes, ce qui fait que nos industries, actuellement, ont des difficultés par rapport à la réglementation sanitaire. Il y a donc un problème concernant la réalité de l'application dans les autres Etats.
Il faut mentionner aussi les carences existant en matière de contrôle des importations.
Je sais bien que c'est un sujet dont on parle beaucoup dans le cadre du comité du codex sur l'inspection des circulations - celui-ci va se réunir fin février en Australie - mais à ce jour, si on a le sentiment au niveau de l'industrie européenne, d'avoir des règles que l'on doit respecter pour garantir une sécurité, on ne voudrait pas que cette dernière soit remise en cause, soit parce que certains Etats européens ne respectent pas réellement la réglementation - j'ai quelques exemples très concrets en tête - soit parce qu'on n'a pas les mêmes exigences vis-à-vis des importations.
Quand on dit que l'on fait confiance à un organisme de contrôle d'un autre Etat, il faut savoir que certains Etats n'ont pas les moyens d'assurer ces contrôles. Je comprends fort bien que l'on ne veuille pas bloquer les importations, mais cela signifie qu'à l'arrivée, il faudrait renforcer la surveillance.
M. le Rapporteur : La réponse n'est-elle pas entre les mains de l'Office alimentaire et vétérinaire - l'O.A.V. ?
M. Arnaud de MORCOURT : Je dirai que l'on se retrouve bien souvent en situation délicate et difficile par rapport à nos concurrents européens, parce qu'il faut bien voir que les administrations, dans les autres pays, n'ont pas la même rigueur que l'administration française qui est " la meilleure du monde ". C'est ainsi que nous voyons bien souvent un certain nombre de produits arriver sur le marché français par le canal d'opérateurs étrangers, ce qui n'aurait pas été le cas, s'ils étaient arrivés directement. En la matière, le problème de la différence d'application des dispositions communautaires aboutit à des distorsions et à de réels problèmes.
M. Hugues POUZIN : Ce que nous venons de dire, M. le Président, est très important. J'en prendrai un seul exemple : pour les produits végétaux, il existe un passeport phytosanitaire européen qui est reconnu par l'ensemble des pays membres.
Dans la filière de la pomme de terre, on s'aperçoit que, pour tous les échanges, notamment entre la France et la Hollande, il y a énormément d'exceptions. Il existe le passeport phytosanitaire qui devrait être reconnu par les Français mais certaines maladies nous contraignent à réaliser des contrôles supplémentaires. Cela veut dire que l'administration phytosanitaire hollandaise, par exemple, n'applique pas les textes de la même façon que l'administration française.
Vous avez précédemment posé la question du " zéro défaut " : il faut savoir qu'il n'existe pas et que, plus les moyens le permettent, plus on découvre de millièmes après la virgule, qui font que l'on repose la question du caractère sain ou non du produit. Les Pays-Bas donnent l'impression qu'ils se satisfont du " zéro " comme valeur relative, alors que la France en est déjà à trois ou quatre chiffres après la virgule, ce qui pose de vrais problèmes. Cette année une maladie de quarantaine a été découverte, alors que l'on était à trois zéros après la virgule et la question s'est posée de savoir, s'il convenait de mettre l'exploitation en quarantaine, c'est-à-dire d'interdire la production sur l'exploitation, alors qu'il y a plus de laxisme en Hollande en la matière.
L'Europe n'est pas faite à ce niveau-là !
M. le Rapporteur : L'Office de Dublin est-il en mesure de pallier cette situation ?
M. François FALCONNET : Personnellement, je ne pense pas que ce soit forcément en mettant des contrôleurs derrière tout le monde que l'on parviendra à faire avancer les choses. En revanche, il est important que cet Office vétérinaire soit capable de vérifier comment chaque Etat membre fonctionne, de s'assurer que des réglementations sont prises afin de parvenir à une organisation communautaire cohérente.
J'en veux pour exemple le fait que nous connaissons des problèmes sur des poivrons en provenance d'Espagne, tout simplement parce qu'il existe une modification de la réglementation en Europe, qui n'a pas été appliquée par les Espagnols qui sont les plus gros fabricants de poivrons. Cela a pour conséquence, qu'à l'heure actuelle, toutes les fabrications industrielles à base de poivrons sont stoppées. Il faut réévaluer complètement les choses du seul fait qu'une réglementation n'a pas été appliquée, alors que je suis certain que le passeport phytosanitaire était irréprochable.
Ce sont des exemples très concrets.
Par conséquent, l'Office vétérinaire doit avoir pour objectif de responsabiliser les opérateurs, ce qui est essentiel ainsi que nous l'avons dit antérieurement et avoir des services ouverts à cette responsabilisation, car la meilleure manière de gérer la sécurité alimentaire, est, à mon sens, de faire en sorte que les gens se sentent concernés par la sécurité de ce qu'ils produisent et qu'on puisse vérifier qu'ils sont réellement impliqués dans l'analyse.
Je crois que l'Office vétérinaire de Dublin ne pourra pas effectuer tous les contrôles parce qu'on voit bien, déjà, qu'il ne parvient pas à contrôler ceux qui sont faits dans les Etats. En revanche, il devrait avoir pour mission principale de s'assurer que dans tous les Etats, les contrôles sont effectués et qu'ils le sont avec la même philosophie, parce que le doute ne porte pas sur leur réalisation, mais bien sur leur interprétation.
M. le Rapporteur : Je vous remercie.

Le Forum avec la distribution alimentaire

Avec la participation de :
- M. Jérôme BÉDIER, Président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (F.C.D.) ;
- M. Claude BELLOT, Président de la Confédération générale de l'alimentation d détail (C.G.A.D.) ;
- M. Yves BOISARD, Conseiller au Groupement d'achats Leclerc ;
- Mme Claudie CORVOL, Chef du service commerce-distribution de l'Assemblée des Chambres Françaises de Commerces et d'Industrie (A.F.C.I.) ;
- M. Joël DUC, Responsable du service qualité alimentaire du groupe Carrefour ;
- Mme Cécile FELZINES, Présidente de la Commission commerce intérieur de l'assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d'Industrie (A.F.C.I.), Présidente de la Chambre de Commerce de la Nièvre ;
- M. Raymond GAUDIN, Président de la chambre des métiers des Côtes d'Armor ;
- M. Paul GILLES, Président de la Chambre des Métiers du Vaucluse ;
- M. Pierre GINESTEL, Responsable qualité et produits frais du groupe Auchan ;
- M. Philippe IMBERT, Directeur qualité de la société Opéra ;
- M. Pascal KNEUSS, Président de la chambre des métiers des Vosges ;
- M. Pierre-Yvon LE MAOUT, Responsable de la qualité au groupement des Mousquetaires.
Ces personnes sont accompagnées par les collaborateurs suivants :
- M. David LE GOFF ;
- Mme Claudine QUENTEL ;
- M. Olivier TOUZE.
(extrait du procès-verbal de la séance du Mercredi 15 décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Jérôme Bédier, Claude Bellot, Yves Boisard, Mme Claudie Corvol, M. Joël Duc, Mme Cécile Felzines, MM. Raymond Gaudin, Paul Gilles, Pierre Ginestel, Philippe Imbert Pascal Kneuss, Pierre-Yvon le Maout, David le Goff, Olivier, Mme Claudine Quentel et M. Olivier Touze sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Jérôme Bédier, Claude Bellot, Yves Boisard, Mme Claudie Corvol, M. Joël Duc, Mme Cécile Felzines, MM. Raymond Gaudin, Paul Gilles, Pierre Ginestel, Philippe Imbert Pascal Kneuss, Pierre-Yvon le Maout, David le Goff, Olivier, Mme Claudine Quentel et M. Olivier Touze prêtent serment.
M. le Président : Mesdames et messieurs, j'ai le plaisir de vous saluer et de vous accueillir au nom de la commission qui a été créée pour enquêter sur tout ce qui touche à la transparence et à la sécurité dans la filière alimentaire et j'ai, aujourd'hui, l'honneur d'ouvrir notre forum consacré à la distribution.
Je rappelle que l'ordre des prises de parole a fait l'objet d'un tirage au sort qui vous a été notifié et que parleront dans l'ordre suivant : M. Bellot, Mme Felzines, M. Kneuss, M. Gilles, M. Gaudin, M. le Maout, M. Boisard, M. Bédier, M. Imbert, M. Ginestel et M. Duc.
J'ai noté que certains d'entre vous sont accompagnés de collaborateurs que j'accueille bien volontiers mais à qui je demanderai, s'ils souhaitent intervenir, de prêter également serment.
Je rappelle également, parce qu'il convient de savoir dans quelles conditions nous travaillons, que nos débats se déroulent en présence de la presse, donc que tout ce qui se dit ici peut également être entendu ailleurs et vu ailleurs puisque nos réunions sont retransmises à la télévision et que de nombreux téléspectateurs nous en parlent.
Sans plus tarder, je donne la parole à M. Bellot en précisant d'emblée, qu'étant donné votre nombre, je vous serai reconnaissant de vous en tenir à une présentation suffisamment courte pour permettre de nous livrer à un débat qu'alimenteront, je n'en doute pas, de nombreuses questions.
M. Claude BELLOT : Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d'avoir sollicité la Confédération générale de l'alimentation de détail - C.G.A.D. - pour une audition dans le cadre de la commission d'enquête sur la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France.
Je commencerai mon propos, ainsi que vous venez de le demander, par une brève présentation de la C.G.A.D.
Il s'agit d'une organisation professionnelle qui représente l'ensemble du commerce indépendant de l'artisanat de l'alimentation. Elle rassemble ainsi les professionnels du secteur des produits carnés que sont les bouchers, les charcutiers, les traiteurs, les tripiers et les bouchers hippophagiques, les professionnels du secteur de la farine et du sucre - boulangers, pâtissiers, glaciers, chocolatiers, confiseurs - mais aussi les détaillants en produits laitiers, les épiciers, les détaillants en fruits et légumes, les poissonniers, les marchés et les restaurateurs.
Ce sont ainsi dix-sept branches professionnelles représentant plus de 290 000 entreprises et 850 000 salariés qui _uvrent au sein de la C.G.A.D.
Organe de liaison et de représentation de tout un secteur, la C.G.A.D. est un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics et des différents partenaires économiques avec lesquels elle entretient des rapports constants.
La sécurité sanitaire est au centre de ses préoccupations depuis de nombreuses années.
Dans ce cadre depuis 1992, la C.G.A.D. travaille à la création d'outils spécifiques destinés aux professionnels du secteur et a entrepris, avec l'ensemble de ses confédérations membres, l'élaboration de guides de bonnes pratiques d'hygiène.
Les objectifs visés par la C.G.A.D. sont de favoriser la mise en _uvre, par les entreprises du commerce de détail, des nouvelles exigences réglementaires et de satisfaire les exigences du consommateur.
Les entreprises de son secteur qui sont en relation directe avec la clientèle souhaitent répondre à la fois au souci de transparence émis par le consommateur et aux exigences de plus en plus fortes qu'il exprime en matière d'hygiène alimentaire.
Les guides de bonnes pratiques d'hygiène sont élaborés selon une démarche de type H.A.C.C., démarche de gestion des risques préconisée par les administrations pour toute entreprise alimentaire. Ils sont réalisés au niveau national par des professionnels accompagnés d'ingénieurs et de scientifiques, puis validés par les administrations après avis du conseil supérieur d'hygiène publique de France et information des associations de consommateurs au sein du comité national de la consommation.
arallèlement à l'élaboration de ces guides, et afin d'apporter un appui concret aux entreprises sur le terrain, la C.G.A.D. a mis en place des mesures d'accompagnement en partenariat avec ses administrations de tutelle et en particulier avec la direction des entreprises du commerce de l'artisanat et des services et les administrations dites " de contrôle " dont la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la Direction générale de l'alimentation, et la Direction générale de la santé.
Ce sont les centres d'action qualité !
Leur mission essentielle est d'assurer dans les départements un véritable partenariat entre administrations et professionnels et d'apporter un appui technique direct à l'application en entreprise des guides de bonnes pratiques d'hygiène.
A ce jour, le réseau des centres d'action qualité est constitué du centre national d'action qualité et de soixante-quatre centre locaux d'action qualité répartis sur l'ensemble du territoire.
Les crises successives qu'a connues le secteur alimentaire ces dernières années - ESB, listeria, Dioxine - ont particulièrement touché les professionnels et altéré l'image du secteur auprès des consommateurs. A cette occasion, nous avons constaté qu'en tant que dernier maillon de la chaîne alimentaire, nous sommes souvent les otages des pratiques mises en _uvre en amont. Ne pouvant réellement intervenir sur les causes de ces crises, il nous est très difficile de les gérer.
Ayant examiné la note sur les travaux de la commission d'enquête qui était jointe à la convocation, j'ai pu constater que vous souhaitiez traiter, dans le cadre de votre mission, différents thèmes que je me propose d'aborder successivement.
Je commencerai par l'alimentation des animaux. La crise de l'ESB a particulièrement secoué le secteur et mis en exergue les conséquences d'une intensification excessive des pratiques agricoles ayant pour origine la recherche du moindre coût.
Face à ce constat, le secteur estime qu'il convient de rationaliser et de sécuriser la filière. Pour sa part, il a renforcé l'information et la formation des professionnels en matière d'hygiène et a fortement contribué à la mise en place, au sein de la filière bovine, de l'identification des produits. Aujourd'hui, les professionnels du secteur de la boucherie sont particulièrement impliqués dans ce dispositif qu'ils ont, par ailleurs, étendu à la filière ovine.
Ce dernier point me conduit à parler de la traçabilité des produits. Comme je viens de vous le dire, le secteur de la boucherie a joué un rôle moteur dans la mise en place du dispositif dans la filière viande, toutefois, si la traçabilité est souhaitable et nécessaire, sa mise en _uvre est beaucoup plus difficile en ce qui concerne les produits de seconde transformation. En effet, il ne faudrait pas arriver à créer de véritables usines à gaz alourdissant une fois de plus le travail des professionnels.
Sur ce point, la loi d'orientation agricole prévoit la possibilité d'adapter les moyens à mettre en _uvre en fonction de la taille de l'entreprise et il convient d'en garder l'esprit dans son application pratique.
En ce qui concerne les maillons de la production et de la transformation, j'ajouterai que les crises successives ont montré les risques de la course à la productivité et à la concentration des structures. Il convient donc aujourd'hui de s'interroger sur ces pratiques et d'en tirer les conclusions qui s'imposent.
J'en arrive au sujet du génie génétique. Sur cette question, sans être radicalement opposés à l'emploi de ces techniques, nous souhaitons que les pouvoirs publics soient particulièrement attentifs. Il convient de traiter les dossiers au cas par cas et de façon approfondie afin de bénéficier des résultats d'une véritable étude d'impact. Nous prônons donc, dans ce cas, les principes de précaution et de biovigilance.
Votre note fait également état des problèmes résultant de l'adoption de normes différentes en Europe et hors Europe : en tant que dernier maillon de la chaîne alimentaire, il est vrai que ce manque d'harmonisation nous inquiète. En effet, lors d'approvisionnements hors Europe, nous ne disposons pas de données suffisantes, et encore moins de garanties, sur les produits dont nous sommes ensuite responsables de la mise sur le marché.
Je terminerai cet exposé par une appréciation des différents textes législatifs pris en France ces dernières années sur le thème qui nous réunit aujourd'hui, à savoir la loi de 1998, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme et la loi d'orientation agricole de 1999.
La première loi a créé l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments
- AFSSA - qui réunit un conseil d'administration et un comité scientifique. A ce jour, seul le comité scientifique est consulté et émet des avis ; le conseil d'administration me semble quelque peu inactif et ses membres ne sont pas même destinataires des avis si ce n'est a posteriori... Dans ces conditions, il est permis de s'interroger sur le fonctionnement de cette instance qui se place ainsi très à l'écart des acteurs de la filière alimentaire.
Sur ce point précis, il convient d'ajouter que l'ensemble de la filière alimentaire n'est d'ailleurs pas représenté au sein du conseil d'administration. Pour ce qui nous concerne, nous disposons uniquement d'un poste au titre de la distribution qui doit être partagé entre la grande distribution qui est titulaire et le commerce de détail qui occupe le poste de suppléant. Pourtant, ces deux formes de distribution peuvent avoir des positions différentes. Pour plus d'efficacité, il conviendrait donc de revoir le fonctionnement de L'AFSSA.
Pour ce qui a trait à la loi d'orientation agricole, nous souhaitons que l'esprit qui a prévalu lors des débats parlementaires, à savoir la possibilité d'adapter les moyens à mettre en _uvre à la taille de l'entreprise, soit confirmé.
Nous poursuivrons, de notre côté, les efforts que nous menons depuis de longues années en matière d'hygiène alimentaire en démultipliant nos actions sur le terrain dans un souci de transparence et de sécurité des consommateurs.
M. le Président : La parole est à Mme Felzines.
Mme Cécile FELZINES : Permettez-moi, bien que les journaux se penchent beaucoup actuellement sur le système des chambres de commerce et d'industrie, de faire une brève présentation de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie et du réseau consulaire.
Le réseau consulaire compte aujourd'hui 161 chambres de commerce et d'industrie dont 152 en métropole et 9 dans les départements d'outre-mer, 21 chambres régionales de commerce et d'industrie et une représentation nationale, l'Assemblée des chambres françaises et d'industrie, dite plus couramment A.C.F.C.I.
Les C.C.I - Chambres de commerce et d'industrie - produits de l'histoire et du développement économique de notre pays, puisent leur fondement juridique dans la loi constitutive du 9 avril 1998 qui les régit encore. Etablissements publics administratifs de l'Etat, les chambres représentent les intérêts généraux des entreprises de leur circonscription dans les secteurs du commerce, de l'industrie et des services.
On peut, à grands traits, regrouper leurs missions en quatre pôles distincts : les missions consultatives - corps intermédiaires, les CCI représentent les entreprises dans les grands débats économiques et de société ; les missions d'appui aux entreprises qui peuvent se subdiviser en deux catégories, les missions d'information et les missions d'appui actif -nous avons dans les CCI ce que nous appelons " les maisons d'entreprise " ; les missions de formations qui, diverses et variées s'adaptent en permanence aux besoins exprimés par le monde de l'entreprise, que ce soit dans le champ de la formation initiale, de la formation continue ou de l'apprentissage ; les missions d'appui aux territoires qui se manifestent dans des actions de développement local et dans la gestion d'équipements nécessaires au développement économique - ports, aéroports, magasins généraux, parcs des expositions etc.
Emanations d'un monde des affaires fort de 1 800 000 entreprises industrielles, commerciales et de services, représentées par 4 550 membres élus, les C.C.I emploient environ 26 000 collaborateurs. Alimentées par des ressources fiscales de plus en plus réduites en pourcentage - je vous rappelle que l'impôt additionnel à la taxe professionnelle ne représente que 0,15% de l'ensemble des prélèvements obligatoires opérés sur les entreprises - et, à ce titre, soumises au contrôle de leur administration de tutelle, elles n'en disposent pas moins d'un large degré de liberté pour s'autofinancer en développant les activités les plus diverses au service des entreprises du territoire.
En ce qui concerne la transparence et la sécurité de la filière alimentaire, vous vous doutez bien que, n'étant pas expert, je ne suis pas vraiment compétente en la matière. Je me suis donc permis de vous apporter à chacun une compilation des documents que nous avons pu récolter dans les magazines scientifiques ou grand public.
Cela étant, parce qu'elles représentent tous les types d'entreprises - multinationales, PME, PMI, Grande et moyenne distribution et commerce traditionnel - et qu'elles sont soucieuses de maintenir, voire de développer une activité économique dans tous les territoires, y compris les plus défavorisés, les CCI souhaitent mettre l'accent sur la nécessaire transparence qui doit exister dans ce domaine qui peut comporter des enjeux de santé publique.
En d'autres termes, il est nécessaire de créer les conditions garantissant à tous, quel que soit le du lieu d'achat, l'accès à des produits exempts de tout risque alimentaire.
La protection du consommateur contre tout risque lié aux conditions de production des produits est donc essentielle mais il faut également, outre la sécurité stricto sensu, tenir compte de ses exigences accrues en termes de goût, de respect des traditions et de qualité.
Les signes de qualité et de sécurité des produits de cette filière sont aujourd'hui au c_ur des relations qu'entretiennent les producteurs et la grande distribution. Il existe, en la matière, un certain nombre de signes officiels de qualité - appellations d'origine contrôlée, label rouge, label agriculture biologique, certification de conformité - attribués aux seuls producteurs et qui sont, en principe, suffisants dans leur diversité pour permettre au consommateur de guider son choix même s'il l'on peut déplorer qu'ils soient encore peu connus du grand public.
A côté de ces signes officiels, ont fleuri ces dernières années de très nombreuses appellations et marques de distributeurs qui viennent brouiller l'image des signes officiels et se substituer à eux pour emporter la décision dans l'acte d'achat. Cette évolution, en France où, dans la filière agro-alimentaire, la grande distribution s'est très fortement concentrée et affiche sa puissance à travers de larges campagnes de communication, est déstructurante pour les producteurs ainsi dépossédés des signes de qualité qu'ils ont difficilement acquis. Elle place ces producteurs sous la dépendance d'un nombre restreint de distributeurs qui ont ainsi la possibilité d'imposer leurs conditions ce qui n'est pas un gage de sécurité pour le consommateur.
Enfin, en multipliant les signes de qualité, elle rend l'étiquetage plus complexe et le repérage du consommateur plus difficile.
Un rééquilibrage s'impose afin de donner une place effective aux signes de qualité fournis par les producteurs sans oublier toutefois que la qualité des produits vendus aux consommateurs dépend aussi de la qualité des prestations des distributeurs. Il existe, en effet, des signes de qualité officiels pour valoriser ces prestations : engagement de services, certification iso 9 000, marque NF.
Une réflexion associant producteurs, distributeurs, consommateurs et certificateurs est indispensable afin de parvenir à une meilleure régulation de leurs relations.
Permettez-moi, par ailleurs, de vous dire que je reviens de Bruxelles. L'Union européenne vient d'accepter les candidatures de douze nouveaux pays de l'Europe centrale et de l'Europe orientale. L'ambassadeur de Bulgarie, que j'ai rencontré hier à Bruxelles, me disait qu'une partie du territoire de son pays avait été contaminée lors de la catastrophe de Tchernobyl. Outre ce problème de la contamination locale, comment pourra-t-on assurer la sécurité alimentaire de ces pays appelés sur le marché unique à traiter, si ce n'est déjà fait, avec les centrales d'achats ? Alors que malgré tous les règlements et directives de l'Union européenne, nous avons été incapables d'empêcher la distribution de farines animales contaminées, les poulets à la Dioxine, les fromages pollués, les maïs et les sojas transgéniques dans les bases alimentaires, comment pourra-t-on contrôler les céréales ou animaux irradiés de ces pays ?
Les représentants de la Hongrie, toujours à Bruxelles, regrettent amèrement de n'avoir pu calculer les risques de l'installation de la grande distribution qui a, disent-ils, déstabilisé de façon irréversible une partie de la petite économie. Va-t-on, en plus, laisser envahir ces pays en développant, mais sans moyens de vérification alimentaire, des produits pouvant être dangereux pour la santé ? Quels seront les pouvoirs de vérification et d'intervention de l'Union européenne à vingt-sept quand, déjà à quinze, ils sont insuffisants ?
M. le Président : La parole est à M. Kneuss.
M. Pascal KNEUSS : J'interviendrai, monsieur le président, en tant qu'artisan boucher - charcutier-traiteur. Je parlerai donc pour les deux confédérations, celle de la boucherie charcuterie et celle de la charcuterie-traiteur qui dépend aussi de la C.G.A.D. nationale.
Vos travaux portent sur deux points : la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France.
Concernant la transparence de la filière alimentaire, elle ne peut être assurée que par la traçabilité à tous les échelons entre le champ et l`assiette pour les denrées végétales, entre la naissance de l'animale et la consommation de la viande pour les denrées d'origine animale. La boucherie artisanale est, dans sa grande majorité, attachée à des méthodes d'élevage traditionnelles : on peut dire qu'entre 60 % et 70 % des animaux spécialisés viande sont distribués par ce circuit.
Le consommateur, après les problèmes rencontrés, veut de plus en plus savoir ce qu'il mange : provenance, mode de culture ou d'élevage, mode de transformation, additifs incorporés... La boucherie artisanale est, elle aussi, attachée à informer le consommateur et s'est engagée dans les signes officiels de qualité. Elle commercialise 87 % de la viande en label rouge et a créé avec les éleveurs de l'élevage traditionnel des races à viande dites " troupeau allaitant " une marque spécifique, " le b_uf de tradition bouchère ", qui est une certification de conformité et qui représente actuellement le tonnage le plus important en viande de b_uf certifiée.
A ce jour, il est souhaitable que les détaillants qui sont l'interlocuteur des consommateurs puissent avoir tout renseignement et documentation utiles pour pouvoir informer leurs clients. En matière de transparence, les professionnels, dans le cadre de l'interprofession des viandes, ont toujours été très favorables à une information claire du consommateur. Cette traçabilité doit être nettement définie en termes d'exigence au niveau européen pour qu'il ne puisse y avoir différentes interprétations selon les pays. Cela a justifié la mise en place d'un accord interprofessionnel sur l'étiquetage qui est une démarche volontaire des professionnels de la viande et qui a reçu l'extension, par les pouvoirs publics, sur trois critères : l'origine, le type et la catégorie.
Concernant les produits d'élevage, il devrait aussi y avoir, avant d'autoriser l'emploi de tel ou tel autre aliment ou substance, une étude approfondie des conséquences de cet emploi. Les détaillants ne peuvent être tenus pour responsables des accidents industriels comme celui de la vache folle !
Pour ce qui a trait à la sécurité alimentaire, l'hygiène, lors des manipulations des denrées alimentaires est essentielle. Les bouchers et charcutiers-traiteurs ont mis au point des guides de bonnes pratiques d'hygiène définissant les points critiques et les moyens de les maîtriser pour garantir les conditions dans lesquelles sont préparées les denrées alimentaires. Il est nécessaire de prévoir des moyens d'assurer la maîtrise de la qualité sanitaire des viandes au niveau de l'élevage, de la découpe et du transport, pour éviter que les viandes n'arrivent contaminées chez le détaillant. C'est en assurant la traçabilité et la qualité sanitaire à tous les échelons que l'on peut garantir une alimentation de qualité.
M. le Président : La parole est à M. Gilles, président de la chambre des métiers du Vaucluse.
M. Paul GILLES : J'interviendrai, pour ce qui me concerne, au titre de la boulangerie pâtisserie et plus particulièrement la boulangerie.
Je rappellerai rapidement que la boulangerie artisanale française qui dépend, elle aussi, de la C.G.A.D, représente à ce jour 34 800 entreprises ce qui traduit, depuis 1970, une disparition de 10 000 entreprises en France. Elle représente une potentialité d'environ 98 000 salariés et un chiffre d'affaires de 54 milliards de francs qui se répartissent de la façon suivante : 54 % pour le pain, 36 % pour la pâtisserie et 10 % pour la revente. La boulangerie forme, en moyenne, 16 000 apprentis par an dans la fabrication et à peu près 3 500 à 4 000 apprentis par an dans la vente.
Ce sont 78 % des boulangeries qui emploient moins de cinq salariés, 15 % qui emploient de quatre à dix salariés et 7 % qui emploient plus de dix salariés.
Le pain se fabrique sur notre territoire national à travers un certain nombre de formules et la boulangerie artisanale représente aujourd'hui 71,3% de la production du pain, étant entendu que 20 % de cette production passe par la boulangerie industrielle qui fabrique les pâtes surgelées et qui est l'un des plus gros concurrents de la boulangerie artisanale, 8% par les laboratoires des grandes surfaces et 0,3 % par les fabrications publiques dans les collectivités.
La profession met en jeu deux éléments concurrentiels : le non-respect des fermetures hebdomadaires que nous respectons à travers des arrêtés préfectoraux et la concurrence sur des prix anormalement bas puisque la loi votée rencontre des difficultés d'application sur le terrain.
La boulangerie a tenté de prendre des mesures de protection, de traçabilité et de visibilité vis-à-vis des consommateurs à travers la loi du 25 mai 1998 sur l'appellation " boulanger ", et l'enseigne qui impose que le pétrissage de la pâte, la fermentation et la mise en forme soient effectués sur le lieu de fabrication.
Sur le plan de la sécurité sanitaire, l'interrogation que l'on entend le plus fréquemment est la suivante : le pain est-il toujours un produit naturel ? Nous pensons que c'est le cas. Il faut néanmoins rappeler que, initialement, la législation française n'autorisait qu'un seul additif dans le pain, l`acide ascorbique qui se détruit d'ailleurs à la cuisson, et uniquement des ingrédients naturels comme le malt, le gluten, et l'amylase fongique. La communauté européenne, par la directive 95-2 transcrite en droit français, a autorisé 105 additifs supplémentaires pour la fabrication du pain et d'une série d'autres produits alimentaires, additifs qui d'ailleurs ne présentent aucun intérêt, ni en matière de panification, ni en matière de technologie et qui sont donc quasiment inutilisés par la boulangerie artisanale française...
En outre, nous avons souhaité, pour mieux marquer la position de la profession sur cette notion de produit naturel, introduire la dénomination " pain de tradition française " qui impose un cahier des charges très strict dans le cadre de son application.
En amont des artisans boulangers, si l'on s'intéresse au produit de base qu'est la blé - la meunerie française approvisionne quasiment toute la boulangerie artisanale - nous avons à lutter contre d'éventuels contaminants dans le blé qui sont de trois types : les métaux lourds qui, suite par exemple à l'épandage de boues des stations d'épuration sur les champs, peuvent être assimilés par le blé et la farine issue de la mouture du blé qui peut alors contenir un teneur trop élevée en plomb, en cadmium ou encore en mercure mais nous pensons qu'à ce stade la meunerie fait preuve de vigilance puisque des analyses sont réalisées en permanence ; les résidus du traitement chimiques des blés tels que herbicides, pesticides ou fongicides qui peuvent donner lieu à certains petits dérapages mais qui sont insuffisants pour constituer un danger significatif ; les mycotoxines produites par les moisissures qui peuvent intervenir au stade du conditionnement et du stockage des blés mais, là encore, nous avons des relations permanentes avec la meunerie pour éviter ce genre de problèmes.
On peut donc penser qu'en France, le pain reste un aliment sûr, un aliment naturel.
Toute notre action s'inscrit dans le cadre d'une politique de filière que nous entretenons en permanence à travers l'agriculteur au niveau des relations avec le meunier, à travers le meunier au niveau des relations avec le boulanger ce qui permet au pain de demeurer un aliment de base de notre alimentation. Même s'il ne s'en consomme plus qu'en moyenne 160 grammes par habitant contre 700 grammes au début du siècle ce qui est un effet de l'évolution de notre société, nous pensons que, ainsi que le corps médical l'assure fréquemment, c'est un aliment qui est indispensable et que nous devons donc, les uns et les autres, veiller à le maintenir le plus naturel possible.
M. le Président : La parole est à M. Gaudin, Président de la chambre des métiers des Côtes d'Armor.
M. Raymond GAUDIN : Je ne répéterai pas ce qui viennent de dire mes collègues. Tout en souscrivant totalement à leurs propos, je tenterai de présenter les choses d'une façon un peu plus particulière en rappelant que l'artisanat breton représente presque 8 000 entreprises et 20 000 salariés, qu'à l'échelon national on compte plus de 100 000 entreprises alimentaires sachant que les restaurants ne sont pas toujours forcément inscrits au répertoire des métiers.
Tout cela pour dire que l'artisanat reste très structuré et très présent sur le territoire et qu'il remplit un rôle toujours important, voire de plus en plus important. Il est, bien sûr, créateur d'emplois et le chiffre d'affaires réalisé par un salarié dans l'artisanat tourne autour de 500 000 Francs avec des variantes selon les métiers : naturellement, un salarié dans une industrie produit un chiffre d'affaires beaucoup plus important... La spécificité artisanale est d'être créatrice d'emplois très spécifiques. Le rôle des chambres consulaires que je représente ici est donc plus particulièrement d'assurer une formation adaptée à ces métiers et toujours plus professionnalisante avec un souci constant d'assurer la qualité et, à travers les avancées récentes qui ont eu lieu avec la loi Raffarin, de garantir des compétences préalables à l'installation car pour garantir la sécurité, il convient de ne pas laisser n'importe qui faire n'importe quoi...
Pour mieux servir les entreprises artisanales qui n'ont pas toujours forcément les moyens d'analyse et d'aide techniques, il s'agit de mettre à leur disposition, en liaison avec des organisations professionnelles, des services de techniciens qui assurent l'assistance et la maîtrise technique et qui les aident à appliquer les chartes de qualité et à mettre en place, éventuellement de façon collective, des labels.
Aujourd'hui, des expériences sont menées avec l'agriculture bretonne en ce qui concerne le veau, l'import charcutier spécifique et d'autres produits. Il reste beaucoup de choses intéressantes à faire à partir de la traçabilité et bien des chemins à trouver et à explorer.
La production artisanale entre dans la modernité et la confiance qu'ont en elle les consommateurs le prouve. Si chacun a sa place sur l'échiquier économique, la sécurité est parfois mieux assurée dans la petite entreprise : encore faut-il le faire savoir, ce à quoi s'emploient les chambres de métiers. Voilà ce que je tenais à dire dans un premier temps !
M. le Président : La parole est à M. le Maout, responsable de la qualité au groupement des Mousquetaires. Nous passons de la petite à la grande distribution mais je crois qu'il est intéressant, dans un forum comme le nôtre, d'entendre les représentants de ces deux formes de distribution.
M. Pierre-Yvon le MAOUT : Mon intervention s'articulera essentiellement autour de deux points : Qui sommes-nous ? Comment procédons-nous ?
Nous sommes avant tout des indépendants. Nous sommes 2 200 chefs d'entreprise indépendants qui assurent le fonctionnement du groupement. Nous avons 80 000 collaborateurs en amont et en aval ; six enseignes alimentaires - Intermarché, Ecomarché, Procomarché, CDM, Restomarché, Relais des Mousquetaires - quatre enseignes non alimentaires et nous sommes présents dans six pays à travers 2 680 points de vente en France, 60 en Espagne, 40 en Belgique, 8 en Italie, 130 au Portugal, 20 en Pologne. Nous avons également des alliances avec Spar en Allemagne et Rona (?) au Québec.
Nos marchandises sont transportées par 1 800 camions à partir de 43 entrepôts. nous entretenons des relations commerciales suivies avec 1 800 fournisseurs dont 1 200 PME-PMI qui représentent 67 % de nos fournisseurs.
La mise en place de filières spécifiques type pêche, porc, eau a été mise en place. Nous avons également conclu des partenariats importants et suivis avec des industriels dans des domaines tels que la charcuterie, les services traiteurs, les fruits et légumes, les produits carnés.
Il me reste à dire pour terminer cette présentation que notre chiffre d'affaires consolidé en Europe est de 230 milliards de francs.
En ce qui concerne la sécurité alimentaire, depuis déjà dix ans, nous avons développé une organisation que nous avons voulue globale avec comme principe de base l'HACCP. Cette organisation globale regroupe donc la production, la logistique et les points de vente. Le budget consacré à l'action sécurité qualité est annuellement de 100 millions de francs.
Concrètement, en quoi consiste cette organisation ? Un service qualité rattaché au conseil d'administration du groupement et des structures qualité réparties au sein de chaque entité opérationnelle. Ce sont cinquante personnes qui sont dédiées à la qualité dont 30 ingénieurs spécialisés par métier - produits carnés, produits de la mer et autres - qui sont chargés et de développer nos produits à marque et de suivre régulièrement, non seulement leur niveau qualité mais le niveau de l'ensemble des fournisseurs nationaux et internationaux.
En outre, 20 ingénieurs qualité supplémentaires sont chargés de la mise en place de la démarche hygiène qualité dans nos entrepôts et nos points de vente.
Ce sont 5 000 produits qui sont prélevés et analysés par un laboratoire externe accrédité COFRAC - Comité français d'accréditation -, et 15 000 analyses qui sont réalisées au niveau microbiologique, physicochimique, analyses sensorielles. Nos méthodes sont relativement simples : à tous les maillons de la chaîne on trouve un audit, une formation, un plan d'action corrective, un plan de progrés, des vérifications et des contrôles, un service consommateur et la mise en place d'une cellule de crise...
M. le Président : La parole est à M. Boisard, conseiller au groupement d'achats Leclerc.
M. Yves BOISARD : Monsieur le Président, puisque vous nous avez demandé d'être brefs, je serai très bref ! Je suis fonctionnellement responsable qualité au niveau national du mouvement Leclerc dont je dirai, sans le décrire dans le détail, qu'il s'agit d'un mouvement d'indépendants qui compte un peu plus de 500 magasins hypermarchés et supermarchés.
Le service qualité existe depuis une dizaine d'années. Je suis moi-même vétérinaire de formation et participe à l'extérieur du mouvement aux travaux de l'AFAC - Association française pour l'assurance de la qualité - qui délivre des certifications aux entreprises. Je travaille également depuis longtemps dans le domaine de la certification des produits avec un organisme certificateur qui a beaucoup travaillé en particulier dans la filière viande et je suis également membre du COFRAC qui est l'organisme qui, en France, délivre les accréditations des laboratoires.
Je serai donc tout à fait heureux de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
M. le Président : Je vous remercie et je ne doute pas qu'elles seront nombreuses.
La parole est maintenant à M. Bédier qui est Président de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution.
M. Jérôme BEDIER : Merci, monsieur le Président.
Notre fédération regroupe les enseignes de distribution généraliste et j'en profite pour dire que nous sommes, nous aussi, détaillants et non pas grossistes. Nous sommes généralistes en comparaison des circuits plus spécialisés qui existent pour satisfaire les consommateurs.
Notre fédération représente des formats très diversifiés allant de la petite superette aux plus grands hypermarchés. Nous employons environ 500 000 salariés et nous avons comme adhérents l'ensemble des enseignes à deux exceptions près qui sont notoires et représentées ici - Intermarché et Leclerc - et nous existons sous cette forme depuis 1995.
Quelle est notre attitude devant les problèmes de sécurité et de transparence alimentaires ? Je détaillerai peu toutes les questions liées à l'activité commerçante elle-même - les problèmes d'hygiène et de fonctionnement du magasin lui-même - car je pense que les enseignes pourront fournir des éléments à ce sujet. Il est certain que toutes nos enseignes sont dotées depuis longtemps de guides de bonnes pratiques que nous sommes d'ailleurs en train d'unifier pour obtenir un guide de bonnes pratiques commun à l'ensemble de la profession et qui devrait voir le jour au premier semestre de l'année 2000.
Je parlerai plus en détail des problèmes de sécurité et de transparence liés aux produits alimentaires que nous vendons.
Nous avons, été effectivement, comme beaucoup, secoués par la crise de la vache folle et de l'ESB. A ce moment-là, nous avons pris que conscience que nous ne savions pas toujours grand-chose sur ce qui se passait en amont et sur la façon dont nos partenaires fournisseurs traitaient les questions à quelque stade de la filière que ce soit. Nous avons aussi clairement réalisé que la sécurité ne pouvait pas être une question de compétition entre les enseignes, ni même d'ailleurs entre l'ensemble des commerçants : il ne s'agit pas de donner l'impression d'être plus blanc ou plus sûr que l'autre. La sécurité est question fondamentale, d'intérêt général, dans laquelle les réflexes de compétition et de concurrence ne doivent pas jouer.
Nous avons donc jugé utile de nous doter d'une capacité d'analyse et de réflexion au niveau professionnel et c'est ainsi qu'en avril 1997, nous avons créé un service d'information alimentaire associé à un conseil scientifique présidé par le professeur Vacheron, cardiologue, membre de l'Académie de médecine, et qui est assisté de six de ses collègues de différentes spécialités qui nous conseillent sur l'ensemble des problèmes de sécurité alimentaire.
J'en profite pour préciser que le sujet est bien celui de la sécurité alimentaire et non pas de la qualité : nous pensons qu'il ne faut pas confondre les problèmes de sécurité et de qualité - je le dis en particulier à l'intention de Mme Felzines qui dit nous représenter ; je préférerais ne pas être représenté de cette façon étant donné les quelques propos qu'elle a tenus sur la distribution - car les problèmes de qualité sont d'un autre ordre.
Nous considérons que, quelle que soit la qualité, malheureusement tous les Français ne peuvent pas acheter des produits chers, qu'il y a des produits de différents niveaux de prix et de positionnement mais que, la sécurité alimentaire étant un dû pour tous, nous devons être capables de nous organiser pour l'assurer.
Nous avons donc créé le service d'information alimentaire qui répond à l'ensemble des questions de sécurité alimentaire que se posent les enseignes. L'ensemble de ces informations sont disponibles aussi bien pour les journalistes qui souhaiteraient se les procurer que pour les associations de consommateurs qui seraient intéressés à connaître les données que nous avons rassemblées et la documentation que nous détenons.
Ce service d'information alimentaire et le conseil scientifique tiennent deux réunions par an. A l'occasion de chacune d'elles, il a été décidé, dans un souci de transparence, de réunir une conférence de presse où le conseil scientifique dit, sur les sujets qui ont été discutés, quelle est sa position. La profession peut en tirer les conséquences qui lui paraissent utiles en matière de position et de recommandation.
Je vous ai apporté l'ensemble des dossiers de presse qui sont rendus publics en cette circonstance et qui traitent un grand nombre des sujets qui ont été abordés par votre commission.
Sans entrer dans l'ensemble des sujets, je voudrais vous donner quelques informations sur nos priorités et sur les problèmes d'organisation et de structure qui nous paraissent les plus importants.
La priorité est évidemment d'assurer aux clients un droit à l'information et à la transparence et un droit au choix. Deux points sont particulièrement importants : il faut pour que le système puisse jouer, d'une part que le client puisse avoir accès à l'information la plus développée - il faut qu'il puisse savoir tout ce que nous savons nous - et d'autre part, qu'il ait le droit au choix entre les différents types de produits pour lesquels se pose une éventuelle question de sécurité alimentaire.
A ce propos, j'ajoute qu'évidemment, nous pensons que le principe de précaution est un point important. Je crois que le débat ne fait que commencer et nous sommes d'ailleurs très attentifs concernant ce que les différentes instances nationales et internationales pourront dire. Je précise, à cet égard, que nous sommes très déçus de que le Codex alimentarius a finalement produit sur ce sujet puisqu'on est arrivé à une absence de décision alors que la question est à son ordre du jour depuis quelque temps, ce qui montre bien qu'il y a un blocage...
Nous estimons donc que le principe de précaution est important mais qu'il est de la responsabilité des pouvoirs publics : nous ne souhaitons pas que le principe de précaution soit délégué aux acteurs privés. Nous sommes prêts à signaler les problèmes, à mettre l'accent sur les questions qui se posent et à saisir les autorités telles que, par exemple, l'Agence de sécurité alimentaire mais il ne faut pas que les pouvoirs publics se remettent aux acteurs privés du pouvoir de précaution : c'est une prérogative régalienne de la puissance publique à laquelle tous les acteurs doivent se conformer mais le principe de précaution ne doit pas être délégué même s'il peut faire l'objet de discussions : c'est justement là l'objectif de l'AFSSA.
Par exemple, à l'occasion de " l'affaire Coca-Cola ", pendant vingt-quatre heures, il était recommandé aux commerçants de retirer cette boisson de la vente. c'était une situation dont la gestion était particulièrement compliquée et difficile mais nous avons essayé de faire en sorte que, très rapidement, une décision juridique soit prise car une simple recommandation sans décision véritablement claire sur le sujet nous semblait insuffisante.
Pour ce qui concerne l'AFSSA, je m'associerai à la remarque qui a été faite par le président Bellot : l'AFSSA est une création extrêmement positive mais où il nous semble que le fonctionnement en partenariat pourrait être plus développé. S'il faut reconnaître que le bébé vient de naître il n'en demeure pas moins vrai que, jusqu'à présent, le mode de fonctionnement a été relativement administratif, que les premiers conseils d'administration que nous avons connus n'ont pas encore permis, sinon d'aboutir à une communauté de vues, du moins d'engager des discussions sur le sujet. C'est regrettable car c'est un rôle important que l'AFSSA pourrait jouer.
Au-delà des instances nationales, nous nous sommes montrés - et vous le verrez dans les positions que nous avons prises - très attentifs aux initiatives que la communauté européenne peut être amenée à prendre car, concernant de nombreux dossiers, nous considérons que la balle est dans le camp est dans le camp de l'Europe.Cette dernière, malheureusement, se meut lentement, beaucoup trop lentement par rapport aux préoccupations de nos concitoyens et de nos clients.
Je n'en prendrai qu'un exemple qui est celui des OGM. Nous avons pris position, en novembre 1996, sur cette question pour souligner qu'un règlement existait qui prévoyait l'étiquetage de OGM mais qu'il n'était pas appliqué et que les premiers OGM, notamment le soja, étaient en train de pénétrer en Europe. Nous jugions cette situation intolérable.
A Dublin, en janvier 1997, une décision a été prise qui pouvait motiver toute une série de commentaires notamment en ce qui concerne la notion d'équivalence mais ce n'est qu'à l'automne 1999 que le seuil à partir duquel il convenait d'étiqueter a été fixé - cela sans avoir les méthodes d'analyse homologuées - et encore en précisant que les choses allaient évoluer puisque - ce qui est bon d'ailleurs - il fallait tenir compte des additifs et les arômes... Tout ce processus est donc beaucoup trop long !
Je ne veux pas être trop long moi-même, mais j'ajouterai qu'il en va ainsi pour beaucoup d'autres questions comme celle des pesticides, l'homologation des antibiotiques, la ionisation sur lesquelles toute une série de rendez-vous sont pris avec l'opinion ce qui prouve qu'il y a de vrais sujet sur la table à propos desquels tout le monde demande à être rassuré alors que, malheureusement les délais sont très longs. Il faut donc sans doute que Bruxelles puisse se doter des moyens de travailler beaucoup plus rapidement sur tous ces sujets et je pense que le plan d'action que M. Prodi a promis pour ces jours à venir constitue un point essentiel car nous ne pouvons plus continuer à accepter de tels délais.
Dans le même esprit, vous me permettrez de citer un autre exemple : nous avons pris position à l'automne 1997 sur l'ionisation. En effet, nous disposons d'une réglementation, en France, qui prévoit d'étiqueter les aliments ionisés, notamment les cacahuètes pour lesquelles ce traitement en éliminant les bactéries, peut avoir un effet positif. Pour autant, vous ne trouverez pas un seul aliment ionisé étiqueté dans les magasins car cette réglementation n'est pas appliquée. Une nouvelle directive se profile qui va prendre encore un certain temps avant d'entrer en vigueur mais si un journaliste ou un consommateur vient nous voir et nous demande d'expliquer cette absence d'aliments ionisés, nous serons incapables de lui répondre.
Pour notre part, nous avons essayé d'être transparents, de mettre tous les problèmes sur la table, y compris celui des antibiotiques dans l'alimentation animale mais il y a un véritable problème de rythme au niveau de l'Europe.
Je terminerai en disant que nous croyons beaucoup, pour mettre en place la " réassurance " en matière de sécurité alimentaire, au rôle des interprofessions des filières alimentaires et agro-alimentaires. Nous sommes d'ailleurs assez déçus de l'attitude nos collègues de l'amont qui déclarent être favorables aux interprofessions alors que nous avons du mal à les mettre en place. Néanmoins, il en est une qui a bien fonctionné comme cela a d'ailleurs été souligné par plusieurs intervenants - heureusement d'ailleurs que nous l'avions - je veux parler de celle qui concerne la viande bovine. Devant une crise majeure et réellement grave, le fait qu'au sein d'une interprofession, les acteurs se connaissent, sachent travailler ensemble a permis de mettre en place extrêmement rapidement l'étiquetage et la traçabilité qui sont certainement parmi les éléments les plus forts et les plus nécessaires pour créer cette transparence et cette information. Il n'en demeure pas moins que, dans d'autres secteurs, les interprofessions ont montré leur faiblesse : je prendrai l'exemple d'une crise beaucoup moins malaisée à expliquer et à analyser que celle de l'ESB où la communication a pourtant été très mal assurée parce que mal préparée, à savoir celle de la listeria.
Tout le monde craint, en faisant entrer l'interprofession dans la grande distribution, que cette dernière ne prenne le pouvoir mais nous disons au contraire que l'interprofession est un outil qui permet à chacun de se retrouver autour de la table à égalité de responsabilité : c'est la mission qui peut lui être confiée et qu'elle doit travailler rapidement pour mettre en situation de sécurité les aliments tels que, par exemple, les fruits et légumes par rapport aux pesticides.
A ce propos, je signale au passage qu'une nouvelle interprofession vient de se créer : celle relative aux poissons d'élevage. C'est un filière qui est une très belle filière avec un marché en fort développement mais qui comporte des risques de sécurité alimentaire très sensibles puisque l'on retrouve dans les poissons d'élevage un peu tous les facteurs générateurs de problèmes : les antibiotiques, les farines, les manipulations génétiques avec les animaux polyploïdes etc.
Nous assurons, nous, qu'il est possible de réaliser un très bon travail pour mettre cette filière en situation d'assurance qualité si tous les acteurs se retrouvent autour de la table alors que, malheureusement, cette filière ne se crée qu'avec les éleveurs et la première transformation sans intégrer l'ensemble de l'aval de la filière.
Telles sont les remarques liminaires que je souhaitais formuler et auxquelles je me tiendrai pour ne pas abuser de votre temps.
M. le Président : La parole est à M. Imbert, directeur qualité de la société Opéra.
M. Philippe IMBERT : Je serai beaucoup plus bref que M. Bédier. Puisque notre enseigne adhère à la F.C.D, et notamment au groupe qualité, nous sommes en parfaite adéquation avec les grands principes qu'il vient d'énoncer. Je me limiterai donc à vous dire que je suis biologiste de formation et à vous présenter en quelques mots ce qu'est Opéra. Il s'agit d'une nouvelle société qui a été créée en avril 1999 et qui est une société commune d'achats entre les groupes Casino et Cora.. C'est donc une société qui achète pour le compte des enseignes, aussi bien les hypermarchés Géant, les supermarchés Casino, les supermarchés Match, les petits Casino, les produits de grande consommation. Opéra va couvrir environ 70 % des achats des deux groupes, le reste des produits, notamment les produits frais traditionnels, c'est-à-dire tout ce qui est filière marée, filière viande et autres, continuant à relever de chacune des enseignes.
Opéra achète pour environ, 80 milliards de francs hors taxes et constitue une société à part entière dans laquelle a été créée une direction qualité qui gère pour le compte des enseignes, donc en fonction des spécificités qu'elles souhaitent, les produits de marque distributeur. Pour venir de chez Casino, marque qui existe depuis 1927, je peux vous dire que nous avons l'habitude d'appliquer depuis fort longtemps la démarche qualité à ces produits même si, aujourd'hui, compte tenu de l'apparition d'un certain nombre de produits nouveaux, des démarches spécifiques peuvent s'avérer nécessaires.
La direction qualité est directement attachée à la direction générale d'Opéra et regroupe 27 personnes qui sont chargées, depuis la définition du produit jusqu'à l'aval, en termes de plan de contrôle de gérer toute la qualité et la sécurité desdits produits.
Comme l'intervention de Jérôme Bédier touchait à de nombreux secteurs, je me tiens prêt à discuter par la suite au moment où interviendront vos questions et je me contenterai, dans l'immédiat, d'ajouterpour information qu'Opéra va gérer les produits pour 190 hypermarchés, un peu plus de 600 supermarchés et plus de 4 000 petits magasins de détail.
M. le Président : La parole est à M. Ginestel, responsable qualité et produits frais du groupe Auchan.
M. Pierre GINESTEL : Je suis, pour ce qui me concerne, vétérinaire de formation et je m'occupe de la qualité et de la sécurité alimentaire pour les hypermarchés Auchan depuis une dizaine d'années.
Très concrètement, Auchan compte aujourd'hui 120 magasins en France, environ 200 à travers le monde et l'organisation du système qualité se fait par pays. Pour ce qui a trait à la France, nous avons deux équipes qualité : la première qui se consacre à tout ce qui est marque distributeur et produits sensibles et qui regroupe une dizaine d'ingénieurs et une seconde que j'anime avec cinq ingénieurs et qui s'occupe de tout ce qui est marque nationale
Les deux équipes emploient donc au total une quinzaine d'ingénieurs qui s'occupent de tout ce qui est relatif aux cahiers des charges et aux plans de contrôle, en amont, au niveau achats.
Il entre également dans notre logique de pouvoir nous appuyer autant que faire se peut sur les signes de qualité et, à ce titre, nous participons à quelques comités de signes de qualité officiels ou de conformité de produits tels que l'agriculture biologique.
Nous avons pour autre mission l'animation de la qualité au niveau des magasins et, à ce titre, nous sommes organisés pour assurer tout ce qui relève de l'information, des audits, des plans de contrôle ou de prélèvement : les magasins sont audités tous les mois par des organismes extérieurs et ce sont environ 20 000 prélèvements de produits qui sont effectués à fin d'analyses sur l'ensemble de la société.
Ces contrôles de produits s'étendent naturellement au niveau du maillon intermédiaire, au niveau des plates-formes où un organisme extérieur envoie, de nuit, des agréeurs pour agréer certains de nos produits tels que le poisson, par exemple.
Le rôle du service qualité est également d'assurer la veille et de rester à l'écoute du consommateur : nous avons pour ce faire un service consommateur et la veille est assurée, notamment grâce au SIA et au comité scientifique du F.C.D.
La dernière fonction du service qualité est d'assurer l'organisation de la gestion de crise et à cette fin nous sommes destinataires de tous les messages d'alerte du réseau européen via le F.C.D ou d'autres canaux qui nous permettent de retirer des produits si la nécessité s'en fait sentir auquel cas la messagerie peut partir, sur l'ensemble des magasins, en moins d'une heure pour en informer la totalité des responsables.
Tel est, en résumé, l'ensemble des rôles et des missions de notre service qualité.
M. le Président : La parole est à M. Duc, responsable du service qualité alimentaire du groupe Carrefour.
M. Joël DUC : Je ne vous reparlerai pas du groupe Carrefour, le sujet ayant été largement repris par la presse ces derniers temps mais simplement des moyens mis en _uvre pour tendre vers la sécurité alimentaire.
Le service qualité Carrefour a une mission générale de mise en application de la politique qualité du groupe et, bien sûr, des obligations de respect de la sécurité alimentaire.
Ce service intervient dans une mission transversale de l'amont à l'aval. Il comporte douze personnes au niveau national et est organisé autour de trois pôles; d'abord un laboratoire d'analyses sensorielles qui pratique des sélections et des développements de produits, ensuite un pôle Carrefour alimentaire avec trois responsables qualité qui ont en charge le suivi des marques propres qui assistent 35 chefs de produits qui consacrent eux-mêmes 40 % à 50 % de leur temps à la gestion de la qualité, enfin un pôle produits frais avec un relais concept formation, un responsable filières et un responsable du suivi des bonnes pratiques en magasin. Un collaborateur a, en outre, une mission transversale OGM groupe.
L'externalisation de la gestion qualité est importante et nous sommes entourés, afin de permettre une veille scientifique permanente, d'un nombre important d'experts : médecins, pédiatres, nutritionnistes, biochimistes, membres d'institutions scientifiques, spécialistes de la réglementation et de la sécurité alimentaire.
Cette sécurité est donc assurée par des moyens visant à permettre la maîtrise des dangers aux différents stades de la vie du produit : magasin, plate-forme, transformation, production.
Au niveau des magasins ces moyens sont les suivants : une formation aux bonnes pratiques professionnelles, des autocontrôles journaliers, des contrôles par des laboratoires indépendants accrédités, ce qui représente un total de 200 000 autocontrôles réception et rayons, 1 600 audits externes, 27 000 analyses microbiologiques, 24 000 tests d'efficacité de nettoyage et 16 000 contrôles de température.
Au niveau des plates-formes, nous pratiquons la mise sous assurance qualité des plates-formes, les agréages, les autocontrôles, les audits internes et externes et les contrôles par des laboratoires indépendants.
Au niveau de la transformation, donc des sites industriels, interviennent des audits et des contrôles par des laboratoires indépendants.
Au niveau de la production, des élevages et des cultures, nous développons des filières françaises qualité Carrefour et multiplions les contrôles par des laboratoires indépendants étrangers et français des produits importés.
En conclusion, j'aimerais retracer les grandes dates de la mise en pratique de la politique qualité Carrefour : en 1976, création des produits libres - les critères de sécurité apparaissent au niveau de fiches techniques ; en 1977, mise en place d'un suivi des bonnes pratiques d'hygiène en magasin ; en 1985, lancement des produits à marque Carrefour - les critères sont formalisés dans des cahiers des charges rédigés avec nos fournisseurs et nos experts, le contrôle de ces critères étant assuré par des audits d'usines et des analyses ; 1991, création de la première filière qualité Carrefour, début de l'engagement tripartite fournisseur-transformateur-Carrefour sous contrôle d'organismes indépendants ; 1992, développement de la première filière viande ; 1994, certification Iso 9002 de la plate-forme logistique de Rungis ; 1995, mise en place de la démarche HACCP et formalisation des bonnes pratiques en magasin ; 1995, création de la première filière végétale ; 1997, certification iso 9002 de l'organisation du secteur produits frais du magasin de Drancy ; 1998, lancement d'une gamme Carrefour bio, adoption du principe de précaution relatif aux OGM concernant la marque Carrefour et enfin, en 1999, élimination des antibiotiques, facteurs de croissance et farines animales dans les aliments du bétail destiné à la filière qualité Carrefour et étude de mise en place d'une filière soja sans OGM pour l'alimentation animale des viandes filière.
M. le Président : Nous avons terminé ce tour de table et je vous remercie d'avoir permis en à peine plus d'une heure à tous ceux qui étaient là de s'exprimer et, sinon de dire tout ce qu'ils avaient à dire, du moins de bien cibler un certain nombre de problèmes qui nous préoccupent.
Je vais maintenant céder la parole à M. le Rapporteur qui a quelques questions à vous poser pour lancer le débat, après quoi nos collègues pourront également intervenir au cours de ces deux heures qui nous restent pour discuter.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
M. le Rapporteur : Mesdames et messieurs merci de vos interventions.
Dans le cadre de ce travail de la commission d'enquête, nous abordons le niveau de la distribution et donc de la partie aval de la filière même s'il est vrai que dans vos différents exposés, vous avez assez fréquemment fait référence à la partie amont.
Il est exact que la qualité des produits mis en vente dépend beaucoup de la filière et de son fonctionnement mais à son propos, après ce que nous avons entendu jusqu'à présent, un problème se pose immédiatement : beaucoup de producteurs disent éprouver une certaine difficulté à faire de la qualité au motif qu'ils sont " pressurés " ou tout au moins fortement incités à diminuer leur coût et cela à la demande des distributeurs. Je vois un paradoxe dans le fait de demander de la qualité tout en accompagnant cette demande d'une forte pression sur les prix. J'aimerais donc recueillir votre sentiment sur le fonctionnement de ce système.
Au niveau de votre démarche propre, j'ai beaucoup entendu parler ce matin de guides de bonnes pratiques - il y en a presque autant que de marques représentées ici - et j'aimerais savoir si nous pouvons espérer avoir un jour un guide de bonnes pratiques regroupant l'ensemble des acteurs de cette filière.
En ce qui concerne le principe de précaution, j'ai bien entendu le discours qui consiste à dire que l'application de ce principe doit relever de la compétence des pouvoirs publics mais j'aimerais savoir si vous l'appliquez vous-même au quotidien, c'est-à-dire s'il vous est arrivé d'effectuer des retraits massifs, à l'échelon national, voire européen par rapport à vos groupes, de produits qui, à vos yeux, présentaient des risques. Puisque vous êtes dotés de laboratoires d'analyses dont je pense qu'ils sont indépendants - et j'aimerais également que vous m'apportiez des garanties sur ce point -, si à un moment il arrive qu'un produit ne soit plus conforme aux règles, faites-vous jouer, de vous-mêmes, le principe de précaution ?
Enfin, les grands groupes que vous représentez ici ont mis sur le marché des produits à leur marque. Quelle est la différence ? A quel objectif répondait cette initiative ? S'agissait-il d'un objectif de qualité, de sécurité ou de rentabilité, bref qu'est-ce qui vous a conduits à vous différencier et à imposer votre marque ?
M. le Président : Voilà déjà quelques questions qui appellent certainement de votre part des observations ou des réponses susceptibles de nous éclairer.
M. Jérôme BEDIER : J'aimerais répondre sur le problème des coûts et finalement des prix pour dire que notre métier est d'acheter et de faire en sorte d'acheter au prix le plus ajusté et le plus bas possible mais que, pour nous, la sécurité alimentaire est une question qui ne doit pas entrer dans une négociation commerciale.
Si vous allez négocier avec votre concessionnaire automobile une remise sur la voiture que vous achetez, et que le concessionnaire vous l'accorde moyennant l'acceptation de freins défectueux, vous ne serez pas d'accord !
Pour ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas accepter que le débat sur la sécurité alimentaire dérive sur une notion de prix et de coûts. D'ailleurs, la rémunération sur les différents marchés dépend beaucoup plus de l'équilibre entre la production et la consommation que du problème de la négociation elle-même puisque nous voyons bien que la rémunération des producteurs se fait en fonction de l'évolution des cours.
Nous constatons depuis quelques années, notamment en raison de la politique qui a été menée par le Gouvernement, que la marché de la viande bovine se tient bien à des prix relativement élevés ! En revanche, nous avons vu que le prix du porc, après avoir été élevé, a chuté, que la filière avicole subit une surproduction très importante due au fait que tout l'export de produits surgelés est stoppé, bref, on voit bien que les prix de marché de ces grandes filières de produits frais ne dépendent pas de la négociation et encore moins de la négociation sur un sujet qui ne doit pas être négociable, à savoir la sécurité alimentaire.
D'ailleurs, les problèmes rencontrés en matière de sécurité alimentaire n'ont aucun impact sur les prix. Le pyralène introduit dans la Dioxine belge ne change en rien la négociation qui peut intervenir entre un industriel et un commerçant donc il faut bien séparer les choses et il n'est pas admissible, à notre sens, qu'un lien soit établi entre ces différents éléments.
En fait, la vraie question qui se profile derrière la négociation du prix, n'est pas celle de la sécurité alimentaire qui n'a rien à y voir mais celle de la segmentation et de la différenciation des produits. En effet, nous aurons forcément, compte tenu des consommateurs dont tous n'ont pas les moyens d'acheter des produits haut de gamme, une segmentation. Cela revient à dire qu'il faudra toujours que nous ayons de la place pour des produits fabriqués de manière plus simple ou plus industrielle et des produits à plus forte valeur ajoutée. Pour être franc, je dirai que nous, commerçants, que nous soyons grands ou petits, nous préférons vendre des produits à forte valeur ajoutée dans la mesure où ils nous permettent de faire plus de marge mais la réalité du marché et des revenus de nos concitoyens nous contraint à vendre des produits de différents types !
Tous ces produits doivent présenter le même niveau de sécurité alimentaire : c'est clair! On ne peut pas avoir pour certains produits un niveau de sécurité alimentaire plus et pour d'autres un niveau de sécurité alimentaire moins et c'est pourquoi il faut bien différencier la question de la sécurité de celle de la qualité. Par conséquent, il faut que nous parvenions, sur l'ensemble de ces gammes, à faire en sorte que non seulement la sécurité soit évidemment assurée, mais aussi que la qualité puisse s'améliorer.
J'en profite pour dire que ces différents produits sont des éléments essentiels de la valorisation des productions animales : je parle sous le contrôle du Président Bellot. Par exemple, on peut dire que si on n'a pas de bifteck haché qui est un produit peu cher, pour valoriser l'avant-train de la viande, que si tout lemonde préfère le rumsteck, la filière bovine se retrouvera vite par terre ! Cela prouve bien qu'il existe aussi des liens de valorisation entre les produits de premier prix et les produits plus onéreux. Je crois donc qu'il ne faut pas créer une fausse opposition entre eux en disant qu'il y a la grande qualité qui bénéficie de la sécurité et la qualité " plus basique " qui n'en bénéficie pas : ce sont deux paramètres qui doivent être véritablement dissociés et c'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous militons pour les interprofessions qui permettront de lever ce faux obstacle !
Il reste quand même une chose qui gêne les agriculteurs et que je tiens à dire. Nous nous souvenons que, il y a quatre ou cinq ans - ils ont changé depuis la crise de la vache folle - quand on leur demandait comment étaient élevées les bêtes, ce qu'elles mangeaient, quels traitements elles recevaient, ils nous répondaient : " non seulement vous nous assassinez par les prix - qui, je le répète, dépendent plus des cycles que de notre capacité de négociation - mais en plus vous voulez savoir comment nous nous y prenons ! "
Actuellement, les choses sont en train de bouger mais c'est une évolution qui se fait difficilement d'abord parce qu'elle oblige à une plus grande transparence, non seulement vis-à-vis du consommateur mais aussi entre nous, ensuite parce que cela créée chez les agriculteurs un vrai problème qui est celui du ciseau qui peut se créer entre des filières à cahier des charges développés dans lesquels sont anticipés un certain nombre de problèmes sur lesquels on tente d'avoir une action supplémentaire, et les cours internationaux.
On sent bien qu'aujourd'hui les agriculteurs ont du mal - et nous devons en discuter ensemble dans le cadre de l'interprofession - à la fois à monter en gamme avec des cahier sdes charges qui sont de plus en plus contraignants pour tenir compte d'un plus grand nombre de problèmes et à assumer une concurrence internationale extrêmement forte. Nous avons eu encore récemment un témoignage sur la viande de porc qui prouve que, tandis que nombre de problèmes commencent à être réglés par les cahiers des charges, des importations continuent à intervenir à des prix et des niveaux qui ne correspondent pas aux mêmes impératifs d'où l'importance d'avoir un filet, au moins européen, de règles de bonnes pratiques à respecter...
M. le Président : Avant de donner la parole à tous ceux qui se sont inscrits pour poser des questions et afin de donner un tour un peu plus vivant à notre débat, je laisserai s'exprimer tous ceux qui souhaitent réagir à cette première intervention de M. Bédier.
M. François GUILLAUME : Je ne peux pas laisser dire par M. Bédier qu'en fait les agriculteurs produisaient, il y a quelques années, n'importe quoi, n'importe comment parce que si on commence à vouloir faire figurer sur l'étiquette toutes les données concernant les techniques de production ou l'alimentation, elle deviendra tellement chargée en informations qu'elle finira par ne plus intéresser le consommateur.
M. Bédier a beaucoup parlé d'interprofession. J'en suis très heureux parce que j'ai beaucoup milité en faveur de la l'interprofession et notamment pour la loi de politique contractuelle 1975. Pour autant, si j'ai bien compris, il ne veut prendre de l'interprofession dans l'interprofession que ce qui l'arrange...
En effet, l'interprofession consiste, pour moi, à rassembler l'ensemble des agents économiques de la filière, à déterminer, certes des problèmes de sécurité alimentaire, de qualité et de quantité pour essayer d'établir un juste équilibre offre/demande grâce à une bonne politique contractuelle, mais aussi à obtenir un certain engagement sur les prix. Or, à partir du moment où l'on commence à aborder ce problème, on retrouve le comportement habituel et traditionnel que j'ai vécu, non seulement comme agriculteur mais aussi comme patron d'une entreprise agro-alimentaire et qui se traduit par la recherche de l'écrasement des prix, des négociations déséquilibrées entre une grande distribution très concentrée et qui n'est naturellement pas contrainte d'acheter en un endroit précis et des opérateurs qui sont des transformateurs, des producteurs.
De la sorte, la pression qui s'exerce à ce niveau-là remonte jusqu'à la production qui, pour pouvoir s'en sortir et obtenir, malgré tout,une rémunération recherche les moyens, les pratiques d'élevage - sans que cela remette d'ailleurs en cause la sécurité alimentaire - qui lui permettent de gagner sur le prix de revient afin, sinon de résister à la pression exercée, du moins de la prendre en compte sans avoir à en subir trop les effets néfastes.
De même, lorsque j'entends M. Duc nous dire que Carrefour est en train de prendre des engagements pour que les produits fabriqués à partir de soja, donc, puisque la production européenne est minime, de soja importé dont on sait que 60 % est génétiquement modifié, je me demande où il s'approvisionne et surtout quelles garanties il peut obtenir. Des garanties, on peut en avoir sur le papier mais la réalité est tout autre : quand, par exemple, les Etats-Unis nous proposent, aujourd'hui, des produits bovins garantis sans hormones alors que l'on sait dans quelles conditions se développe la production américaine et qu'il est notamment impossible d'élever des animaux à partir de feed lots sans chercher à les calmer par les méthodes chimiques que l'on sait, il devient parfaitement clair que l'on peut avoir toutes la garanties nécessaires mais qua la réalité ne peut pas concorder avec de telles attestations.
M. le Président : La parole est à M. Parrenin.
M. Joseph PARRENIN : Je voudrais rassurer toutes les personnes qui ont été invitées par la commission : les représentants de la production et de la transformation ont été auditionnés. Par conséquent, il n'est plus vraiment nécessaire d'en parler car ce n'est pas vraiment le sujet qui est aujourd'hui à l'ordre du jour... Je crois que vous avez été invités pour expliquer ce qui se passe dans la distribution.
Je vais vous raconter une petite anecdote qui s'est produite hier matin pour contredire votre propos laissant entendre qu'il ne faut pas mélanger qualité et sécurité : pour des raisons médicales, le sucre m'est interdit, or, ma femme ayant acheté dans un magasin d'un groupe que vous représentez une nouvelle marque de jus d'orange, je me suis aperçu, en le goûtant, qu'il n'était pas pur alors qu'il était pourtant écrit en toutes lettres sur l'emballage " jus d'orange ", et ce n'est qu'en y regardant de très près, parce que c'était inscrit en tout petits caractères, que l'on pouvait lire que la boisson ne contenait effectivement que 50 % de jus d'orange, le reste n'étant qu'eau et sucre. Cela illustre bien qu'il n'y a pas de barrières précises ente la qualité et la sécurité alimentaires. Pour ma part, j'aimerais que l'on parle de ce que vous faites au niveau de la distribution !
Mme Odette GRZEGRZULKA : Je souscris totalement aux propos de mon collègue, M. Parrenin et je voudrais dire aux distributeurs que j'ai été assez peu convaincue par les chiffres mirobolants que les uns et les autres nous ont fait connaître quant aux quantités et aux pedigrees des scientifiques qui entourent ces grands groupes de distribution et qui assureraient les contrôles et les audits. Je pose donc la question suivante : en est-il un parmi vous qui ait des dispositifs d'audit et de contrôle qui ne soient pas internes de manière à ce que les scientifiques ne soient pas juges et parties.
Pour avoir apprécié la déclaration courageuse et rigoureuse du Président Bédier j'aimerais savoir si son interprofession, comme celle de M. Bellot, ne pourrait pas, au moins, assurer ces contrôles, c'est-à-dire parvenir à une sorte de neutralité et d'objectivité ? Si chaque maison a son juge, je n'ai plus aucune confiance dans le juge...
M. Jean GAUBERT : Il y a au moins une formule sur laquelle nous sommes tous d'accord: celle de " principe de précaution ". En revanche, quand nous nous penchons sur les pratiques des uns et des autres, nous sommes amenés à nous poser des questions sur ce qu'elle recouvre.
Je ne prendrai qu'un seul exemple : celui de la viande. Actuellement, nous savons - et volontairement, je ne sortirai pas du cadre de l'Europe car il y aurait encore beaucoup de choses à dire - que suite, à la crise de la vache folle deux pays ont été particulièrement réactifs par rapport au problème des farines animales : la Grande-Bretagne et la France. Cela tendrait à dire que si, véritablement, vous appliquiez les uns et les autres, le principe de précaution, vous n'achèteriez plus de viande dans les autres pays qu'il s'agisse de la Hollande, de l'Espagne ou d'autres puisqu'on sait bien qu'aujourd'hui dans tous ces pays, l'alimentation du bétail continue de renfermer des farines dites " à hauts risques ".
Y a-t-il véritablement des risques ou pas ? Ce n'est pas le sujet de notre réunion de ce matin qui est plutôt de savoir, par rapport au principe de précaution, ce que vous faites : continuez-vous d'acheter du porc en Espagne alors que l'on sait qu'il est nourri, comme c'est le cas en Hollande ou au Danemark, avec de genre de farines de viande ?
C'est là une question très précise à laquelle vous devez répondre parce que c'est bien là que le producteur s'interroge puisqu'on lui demande, à lui, de faire des efforts.
J'ajouterai à l'intention de M. Bédier que, tout de même, s'il laisse entendre - c'est du moins ce que j'ai compris et ce qui est important dans le débat n'est pas tant ce que l'on dit que ce que le gens comprennent - que tous les efforts qui sont nécessaire en matière de traçabilité n'ont pas de conséquences financières chez les producteurs, c'est parce qu'il n'est jamais allé analyser les conditions dans lesquelles le producteur doit travailler quand on parle de traçabilité. La traçabilité qui est une bonne chose en soi représente du temps en plus et parfois des modifications de bâtiments, de pratiques d'élevage qui ont des conséquences qui sont aujourd'hui indéniables.
J'en reviens ainsi à mon propos antérieur à savoir que lorsque l'on manifeste des exigences supplémentaires par rapport à un type de production et qu'en même temps on importe des produits pour lesquels on ne prétend pas aux mêmes exigences en sachant parfois qu'ils n'y répondent pas comme le fait la production locale, il y a, pour le moins, un hiatus.
M. le Président : Il y a là quelques questions qui ont été bien ciblées et autour desquelles va pouvoir s'organiser le débat : d'abord celle concernant la pression sur les prix à l'achat et ses conséquences sur la qualité, ensuite, le principe du précaution et la nature des contrôles exercés notamment en termes d'indépendance, enfin, la question de savoir quels sont les objectifs poursuivis par les groupes quand ils cherchent à disposer de leur marque propre et si une harmonisation des guides de bonnes pratiques était envisageable.
Toutes ces questions donnent matière à débat et nous situent au c_ur même des préoccupations de notre commission.
M. Pascal KNEUSS : Pour répondre à M. le Rapporteur concernant l'utilisation des guides des bonnes pratiques, je voulais simplement dire qu'elle ne concerne en aucun cas les marques qui sont des labels, soit nationaux, soit régionaux lorsqu'il en existe et que le guide a pour mission la mise en place d'outils de prévention à l'intérieur de nos entreprises, notamment les entreprises artisanales à tous les stades de la fabrication, tant au niveau de l'hygiène que de la sécurité. Je crois qu'il fait être bien clair là-dessus ! Chaque profession a négocié son guide de bonnes pratiques que ce soit les boulangers, les pâtissiers, les bouchers ou les charcutiers...
Par ailleurs, vous avez parlé de la commercialisation et posé la question de savoir ce qui se fait dans ce cadre : en tant que responsable d'une entreprise artisanale, je peux vous dire qu'on tente de faire ce que l'on peut, du mieux qu'on peut par rapport aux produits qui se trouvent sur le marché de façon à pouvoir répondre au mieux aux attentes des consommateurs et je peux vous assurer que nos professions négocient actuellement avec les producteurs en associant les consommateurs à tous les stades de la commercialisation. Voilà ce que je tenais à ajouter.
M. Philippe IMBERT : J'interviens pour répondre au niveau du principe de précaution qui est source d'une grande confusion dans la mesure où il ne signifie pas principe d'interdiction !
Je parle au nom de Casino pour dire que c'est effectivement, puisque vous vouliez un exemple, le premier groupe, dans le cadre des OGM, à appliquer le principe de précaution au niveau de ces produits. On a ainsi décidé de bannir le maïs et le soja transgéniques tout en tentant, parallèlement à cela, de limiter les risques pour ce qui concerne tous les ingrédients dérivés : c'est une démarche qui a effectivement été appliquée au niveau du groupe Casino.
Beaucoup sont ceux qui, à l'heure actuelle, confondent principe de précaution et interdiction du produit ce qui, de mon point de vue, est totalement différent !
Pour ce qui a trait à la réflexion de Mme Grzegrzulka sur l'indépendance des laboratoires et des audits, vous me permettrez de dire que je ne suis pas du tout d'accord. Je suis désolé mais lorsque Casino a créé sa marque distributeur, c'était, au départ, plus pour s'inscrire dans une logique industrielle puisqu'on ne trouvait pas alors les industriels qui fabriquaient les produits souhaités, que pour répondre à un souci de rentabilité. C'est la raison pour laquelle Casino avait d'ailleurs, à l'époque, ses propres usines.
Depuis, nous avons effectivement développé une démarche qualité qui a intégré l'audit des fabriquants. Je peux vous dire que l'audit existe depuis des années et des années et que maintenant, sur des choses que l'on préfère aujourd'hui sous-traiter - le volume d'affaires étant très lourd, il nous est devenu impossible de tout faire - nous déléguons une certaine partie de ces audits. Les prestataires auxquels nous recourons ont d'ailleurs été très heureux de pouvoir trouver des socles et des réferentiels qu'ils ont jugés très professionnels et qui avaient été mis au point par Casino à l'époque.
J'ajoute que de nombreuses PME ont été très contentes de progresser grâce à l'apport de nos audits. Je ne comprends donc absolument pas que l'on parle d'indépendance à ce niveau.
Pour ce qui concerne les laboratoires, je crois que nous travaillons pratiquement tous avec les mêmes laboratoires qui sont accrédités sur un certain nombre de programmes. A partir du moment où ils sont accrédités, il est quand même permis de penser qu'ils sont indépendants...
Pour répondre à la question sur la rentabilité, j'ajouterai qu'effectivement, il ne faut pas se voiler la face et que la marque distributeur est source de rentabilité pour les enseignes : c'est clair et il faut le dire !
Cela étant, qui dit rentabilité ne dit pas qu'il s'autorise n'importe quoi et je crois que, lorsqu'un groupe essaie de travailler en pratiquant l'intégration au niveau de ses acheteurs, au niveau de son marketing, au niveau de sa qualité et que ses personnels étudient en équipes le phénomène rentabilité-fixation d'un niveau qualitatif, les choses marchent parfaitement. Je peux vous dire que c'est le cas pour les groupes Casino et Cora et que s'il y a lieu d'augmenter légèrement le prix d'un produit parce que c'est souhaitable en termes de qualité et de sécurité, cela ne pose pas de problème.
M. Claude BELLOT : Je ne m'attarderai pas sur la pression sur les prix, au niveau du commerce de détail...
M. le Président : Que voulez-vous dire par là ?
M. Claude BELLOT : Que la pression y est beaucoup moins forte que dans la grande distribution compte tenu de la hauteur de nos parts de marché !
Puisque je suis le président des crémiers et fromagers, je dirai que dans ce secteur, nous sommes fréquemment amenés à travailler avec des fermiers, des petites entreprises à qui nous nous efforçons de laisser une valeur ajoutée pour que le partenariat s'équilibre entre le producteur et le détaillant.
Pour ce qui est relatif aux guides des bonnes pratiques, mon ami et collègue Pascal Kneuss vous a répondu. Effectivement, nous avons une harmonisation sur les principes d'hygiène de base mais vous aurez bien compris que toutes les professions sont des professions spécifiques et que les dix-sept branches du commerce de détail que je représente ont fait un guide de bonnes pratiques approprié à chaque profession en reprenant, naturellement les grands titres, mais en les exploitant d'une manière très différente en fonction du produit.
Il est vrai qu'il y a peut-être peu de retraits des produits. Je sais que, pour ce qui a trait aux produits laitiers, nous sommes amenés à pratiquer quelques autocontrôles ce qui fait qu'en cas de problème nous retirons les fromages touchés de nos caves d'affinage de façon à ce qu'ils ne parviennent pas jusqu'au consommateur.
Pour faire vite, j'ajouterai que les exigences sanitaires ont un coût également sur les détaillants : l'adaptation de nos magasins aux nouvelles normes d'hygiène fait que, si le traçabilité pose certaines difficultés à nos amis producteurs, nous ne sommes pas non plus épargnés par des dépenses qui sont loin d'être minimes puisque, pour donner un chiffre, une simple transformation pour installer une chaîne frigorifique dans un magasin peut varier, selon les professions, entre 500 000 francs et 1 000 000 de francs. Nous avons pu obtenir quelques prêts bonifiés dont l'agriculture bénéficiait sans que nous y ayons droit et qui, accordés à l'artisanat dans un premier temps ont été reconduits pour le commerce alimentaire.
A ce propos, j'ai omis de préciser en présentant la C.G.A.D qu'elle comportait des branches artisanales mais aussi quatre branches alimentaires mais commerciales à savoir les fromagers affineurs, les épiciers de moins de dix salariés (?), les fruits et légumes détaillants et l'hôtellerie-restauration qui font partie des métiers de bouche sans avoir le statut proprement dit " d'artisan ".
Tels sont les points que je tenais à préciser.
M. Yves BOISARD : Je voudrais dire à M. Parrenin, que lorsque l'on achète du jus d`orange, il ne contient que de l'orange et que s'il ne contient que 50 % d'oranges, il s'agit de nectar d'orange : ce n'est pas un définition que nous avons inventée mais celle de la profession des fournisseurs de jus de fruits...
Je tenais à donner cette précision, juste pour vous rassurer.
Personnellement je voudrais revenir à la question de savoir si les industriels font des impasses sur la qualité sanitaire - on a bien parlé de qualité sanitaire des aliments - lorsqu'ils travaillaient pour la grande distribution pour des raisons économiques.
Depuis une dizaine d'années, j'ai pratiqué quelques dizaines, voire quelques centaines d'audits fournisseurs et je n'ai jamais constaté qu'un industriel ou son personnel qui fabrique des produits à sa marque l'après-midi et à la marque distributeur le matin a un comportement différent lorsqu'il fait des premiers prix ou de la marque distributeur. Il s'agit le plus souvent d'une culture d'entreprise et, par conséquent, ce qui est bien fait l'après-midi l'est également le matin !
M. le Président : Monsieur Boisard, si vous me permettez de vous interrompre, il me semble avoir compris que les questions posées n'étaient pas tant de savoir si les producteurs faisaient l'impasse sur la qualité sanitaire pour les produits destinés à la grande distribution que de savoir si la pression venant de la grande distribution n'entraînaient pas des conséquences au niveau de la qualité...
M. François GUILLAUME : Ce n'est pas du tout le même problème...
M. Yves BOISARD : Je reformulerai donc les choses. Votre question voudrait dire qu'un industriel qui travaille pour la grande distribution ferait l'impasse toutes marques ou toutes gammes confondues sur la qualité sanitaire des produits au motif qu'il n'aurait pas les moyens d'effectuer des contrôles ? Ai-je bien saisi votre question cette fois-ci ?
M. le Rapporteur : Je crois qu'il vous faut répondre à la question, effectivement déjà posée à plusieurs reprises, et qui est la suivante : dans les rapports que, vous distributeurs, avez avec le producteur, est-ce que la pression est telle que l'on puisse s'interroger sur la capacité d'adaptation du producteur aux contraintes que vous lui imposez et parmi ces dernières celles de qualité et de sécurité sanitaire que réclame le consommateur.
Ces contraintes, en remontant la filière arrivent bien jusqu'au niveau du producteur et le son que nous avons entendu laissait entendre qu'il arrivait, à un moment donné, un point de rupture où l'adaptation devenait difficile...
M. Yves BOISARD : Vous savez que la qualité sanitaire est assise sur une base réglementaire et qu'elle obéit à des textes de loi, à des critères microbiologiques qui sont édictés depuis vingt ans et qui sont forcément respectés d'autant qu'une administration en contrôle l'application et que des autocontrôles sont effectués dans les entreprises...
Lorsqu'on fait un audit fournisseur, il est un point que nous vérifions, celui des autocontrôles réalisés en interne par l'industriel ! Personnellement je trouve qu'il y en a beaucoup trop, et sinon qu'il y en a trop - c'est un point de vue qui m'est personnel - en tout cas qu'il y en a énormément. A aucun moment on ne constate d'impasses ; on peut parfois constater des contrôles mal orientés qui devraient être spécifiques sur certains points à risques mais, pour autant, la masse des contrôles organisés par les industriels est extrêmement importante et il n'y a pas de non-conformité majeure liée à la pression économique éventuelle du client puisque l'on se situe bien dans une relation client-fournisseur : c'est le bilan que je peux tirer d'une expérience de dix ans !
M. le Rapporteur : Monsieur Boisard, nous allons prendre un exemple concret. Lorsqu'une grande surface projette de vendre à un prix d'appel une denrée alimentaire, à un moment donné, elle décide faire un prix d'appel sur ce produit et il lui faut donc alors trouver des producteurs qui acceptent également de comprimer au maximum leurs prix. La pression est donc énorme et la grande distribution a le choix, par rapport à son approvisionnement, de ses producteurs. Le producteur, de ce fait, va se trouver dans une situation extrêmement difficile puisqu'il va bien lui falloir s'adapter aux contraintes et il est permis de se demander si cela ne se fera pas, à un moment donné, au détriment de la qualité et de la sécurité sanitaire.
M. Yves BOISARD : Ma réponse est fermement : non ! Si vous prenez un jambon premier prix et un jambon haut de gamme il n'y a pas de différences du point de vue des critères microbiologiques - puisque nous parlons de sécurité sanitaire, je fais bien, à chaque fois, repréciser le terme. Il va y avoir, forcément, des différences organoleptiques, des différences de présentation mais aucune différence au niveau sanitaire : ce n'est même pas envisageable !
M. le Président : Puisque nous sommes dans un dialogue interactif, avant de donner la parole à M. Bédier, je vais la céder à mon collègue, M. Lemasle, qui souhaite réagir à ces propos.
M. Patrick LEMASLE : Je voudrais rebondir sur les propos du Rapporteur dont l'exemple est bien choisi. J'aimerais que vous nous certifiiez qu'il n'y a aucun problème sanitaire. N'êtes-vous pas un peu en marge de la réglementation, ou à la marge ou au bord de la légalité lorsque vous gérez, par exemple, ces problèmes de jambon ?
Je reprends l'exemple : vous êtes en concurrence entre vous
- c'est incontestable - et vous positionnez sur des produits d'appel. Dans ce cadre, vous allez vous retrouver avec un industriel qui va s'engager à produire du jambon à environ dix ou douze francs le kilo ce qui signifie qu'il va rechercher le producteur qui lui fera les prix les plus bas. Vous allez me répondre que c'est le libre jeu de la concurrence. Pourtant, dans un second temps, au niveau de la transformation de ce jambon, vous allez charger au maximum le jambon en eau pour en augmenter le poids. Vous en ferez ainsi un produit que l'on ne peut pas considérer comme normal et sur lequel le consommateur ne disposera pas, à mon avis, de suffisamment d'informations.
J'aimerais vous ne voyez pas, même si vous considérez qu'au niveau des analyses, de la présence microbienne ou autre, le produit est sanitairement sain, un certain paradoxe lorsque l'on veut parler de principe de précaution ?
Mon second exemple va un peu dans le même sens. On voit bien, en effet, puisque vous gérez la concurrence également en termes de communication et d'accroche du chaland que vous avez tous, y compris certains grands distributeurs ici, un système incantatoire qui consiste à dire que vous ne voulez pas des OGM au nom du principe de précaution, alors que l'on apprend, au travers des analyses réalisées par des laboratoires privés que, par exemple, une grande chaîne de distribution qui s'était mise fortement en avant pour refuser les OGM s'est faite " accrochée "parce qu'on a détecté leur présence dans le chocolat qu'elle vendait.
Ne trouvez-vous vous pas qu'il y a un paradoxe et qu'il conviendrait de revenir sur un travail qui ne soit pas simplement un travail de présentation mais de fond ?
Mme Laurence DUMONT : Il est exact que, sur certains sujets, nous restons quelque peu sur notre faim. C'est notamment le cas du principe de précaution, par rapport notamment aux produits OGM, auquel il a été fait allusion à plusieurs reprises notamment dans l'introduction de M. Duc.
Or, on sait pertinemment et M. Guillaume le rappelait encore tout à l'heure que, de toute façon il est fort probable que les animaux ont mangé des tourteaux de soja génétiquement modifié. En conséquence, comment, dans une filière, pouvez-vous, en invoquant toujours ce principe de précaution que tout le monde a à la bouche, apporter des garanties alors que pratiquement personne, d'après ce que nous avons entendu jusqu'à ce jour, ne peut certifier que le bétail n'a pas mangé de produits, soja ou autres, génétiquement modifiés ?
Je vois un énorme décalage entre cette espèce de certitude avec laquelle vous affichez votre volonté d'appliquer ce principe de précaution en particulier en ce qui concerne vos marques propres et la réalité de ce que nous avons entendu au cours des précédentes auditions.
M. François GUILLAUME : Je crois que la question qui a été posée tout à l'heure renvoyait au problème posé actuellement entre la pression permanente exercée par la grande distribution sur les prix alimentaires et, en face, les exigences toujours croissantes avec des contrôles à l'appui pour garantir la sécurité des matières premières.
M. Boisard qui connaît parfaitement le sujet, sait bien que, par exemple, dans le domaine alimentaire, cela passe par des coûts liés à l'identification, à l'éradication des maladies qui sont maintenant une réalité - éradication très réussie en France - aux analyses permanentes car cela fait déjà de plus de vingt ans que, par exemple, les industries laitières analysent lot par lot et quotidiennement les productions des producteurs de lait pour y détecter, en autres choses, la trace d'antibiotiques qui posent d'énormes problèmes pour la fabrication des fromages. Or quand l'analyse s'avère positive l'élimination du lait incriminé s'accompagne de sanctions pécuniaires.
Parallèlement à toutes ces mesures prises pour améliorer la sécurité du consommateur, une pression de plus en plus vive s'exerce de l'aval vers l'amont qui piège le producteur qui; lui, en dépit de ses coûts incompressibles, subit indirectement - par le biais, par exemple pour un producteur de lait, de sa laiterie - la pression au niveau de son prix.
Je crois que c'est là que se situe la vraie question et je repose à nouveau le problème de l'interprofession qui, monsieur Bédier, ne doit pas simplement se limiter, aux problèmes qui vous intéressent mais couvrir l'ensemble de ceux qui sont posés à toutes les étapes de la filière, y compris la rémunération normale des producteurs et de l'ensemble des agents de la filière. Or malheureusement, du côté de la grande distribution, on s'est toujours refusé à engager ce genre de débat sur le fond.
M. le Président : La parole est à M. Bédier pour répondre à cette rafale de questions des parlementaires. Après quoi nous pourrons poursuivre ce débat passionnant qui nous plonge au c_ur des problèmes de société auxquels nous nous trouvons confrontés.
M. Jérôme BEDIER : D'abord, je voudrais dire très clairement que dans tous ces débats sur la sécurité alimentaire, nous n'avons jamais attaqué, ni les producteurs, ni les transformateurs. Dieu sait que nous sommes attaqués en permanence sur toute une série de sujets mais il n'y a jamais eu, sur aucun sujet, la moindre attaque publique de notre secteur contre l'amont : nous nous sommes expliqués en privé, nous avons eu toute une série de discussions mais jamais nous n'avons attaqué car nous considérons, encore une fois, que le sujet est trop difficile, trop sérieux, trop important, pour nous livrer à des effets d'estrade sur la question.
Maintenant, en ce qui concerne les interprofessions, nous sommes d'accord pour aller loin dans le débat. Il est clair que nous ne pouvons pas nous mettre d'accord ensemble sur des prix sans quoi cela devient des ententes et non plus des interprofessions auquel cas, nous nous trouvons dans une situation difficile vis-à-vis des pouvoirs publics qui, d'ailleurs, pour cette raison, y compris à Bruxelles, sont assez peu favorables aux interprofessions et qui pour être tout à fait franc les bloquent. Nous avons ainsi plusieurs accords interprofessionnels sur lesquels nous nous sommes mis d'accord avec nos partenaires agricoles et qui sont actuellement, à Bercy, en attente d'une validation.
En revanche, nous pouvons faire beaucoup de choses en matière de prix, indirectement. Nous pouvons travailler sur l'équilibre entre l'offre et la demande ainsi que sur la segmentation, la valorisation des marchés qui permet de créer des compartiments et d'agir indirectement sur les prix : quand on retire un certain calibre de pêche du marché, cela a un impact sur les prix... Bref, indirectement, nous pouvons travailler sur les prix et jouer un rôle qui, à notre avis, peut être tout à fait positif mais encore faut-il y pouvoir parvenir !
Je suis d'ailleurs tout à fait d'accord avec l'idée que l'interprofession en matière de sécurité alimentaire puisse être un outil d'assurance et, éventuellement diligenter des contrôles qui, du même coup, auraient une forme de neutralité !
Pourquoi parlons-nous de production et de transformation ? Parce que le fond du sujet de la sécurité alimentaire, c'est bien les relations entre les différents stades de la filière et la création d'une chaîne de qualité totale de l'amont à l'aval. Cela ne veut pas dire que nous nous abstrayons de notre travail en aval, notamment à travers tous les codes de bonne pratiques sur lesquels nous pourrons vous donner toute une série d'éléments d'information, mais qu'aujourd'hui nous ne sommes plus dans un système tronçonné où chacun se débrouille de son côté mais dans un système ouvert où la transparence doit s'exercer au sein des filières. D'ailleurs, la raison pour laquelle nous le faisons, c'est qu'il ne faut pas oublier que nous, commerçants, quels que nous soyons, quelle que soit notre taille, nous sommes coresponsables des produits que nous vendons.
La responsabilité du fait des produits nous met en situation de pouvoir être attaqués tous les jours par un client qui nous accusera de lui avoir vendu un jus d'orange frelaté...
Pour ce qui a trait aux jus d'orange la réponse qui vous a été faite est juste : il s'agit bien d'un problème de qualité puisqu'il existe plusieurs variétés qui vont de l'ultra pressé très frais à très courte durée de conservation jusqu'à des produits issus de mélanges, mais en aucun cas il n'y a un problème de sécurité alimentaire...
M. le Président : Monsieur Bédier permettez-moi de vous poser une question : recevez-vous beaucoup de plaintes de la part des consommateurs ?
M. Jérôme BEDIER : Pour être franc, nous avons des plaintes qui, aujourd'hui, portent sur des produits non alimentaires, c'est-à-dire sur le non-fonctionnement d'un certain nombre de produits qui peuvent poser des problèmes mais il est vrai que nous sommes responsables et que, de même que le Seita vient d'être condamnée, de même, nous pouvons, un jour - et c'est une des raisons pour lesquelles nous sommes en train de travailler sur ces problèmes pour nous doter d'une certain nombre de moyens - être attaqués par un client qui nous reprochera d'avoir acheter chez nous des produits dont l'aspartame ou je ne sais quoi entrant dans leur composition se sera avéré être cancérigène et qui demandera réparation...
Ce principe est inscrit dans une directive à telle enseigne qu'à un moment donné, nos amis industriels ont voulu que nous soyons les seuls responsables ce à quoi nous avons répondu que les exigences que nous allions manifester sur les modalités de fabrication des produits allaient devenir draconiennes et que nous allions exiger la transparence totale. En effet, il faut avouer que la transparence nous commençons à l'obtenir en matière de produits frais et de produits agricoles mais que, pour ce qui concerne les produits transformés, nous ignorons comment sont réalisés un très bon nombre de ceux qui garnissent nos rayons.. On nous dit de temps en temps, qu'ils ne contiennent ni ceci, ni cela, et que nous pouvons être tranquilles mais, en réalité, nous ne savons pas comment ils sont faits ! Il est vrai qu'il y a une partie de secret industriel dans laquelle nous n'avons pas vocation à intervenir mais, encore une fois, il faudra que l'on avance dans cette transparence.
Vous mesurez donc combien c'est une nouvelle mentalité qu'il va nous falloir acquérir collectivement pour être capables de parler de ces questions ensemble : il est certain que la traçabilité à un coût comme il est évident aussi qu'aujourd'hui les pressions s'exercent plus sur l'augmentation des contraintes en matière de traçabilité et de cahiers des charges que sur le niveau des prix.
Encore une fois, pour les produits frais, les prix ne dépendent pas de nous ! Cela peut paraître curieux mais nous le disons et le répétons, on l`a vu suffisamment dans les crises conjoncturelles que nous avons traversées dans les grandes productions : si le porc est à douze francs personne ne dit que c'est grâce à la grande distribution, en revanche quand il chute à cinq francs on l'explique par les pressions mais on voit bien que le problème se situe ailleurs, à savoir dans l'équilibre des marchés. Cela étant, il est vrai que la traçabilité a un coût et que ces éléments doivent être discutés.
Toujours à propos du coût de la traçabilité, nous pensons, quant à nous, qu'il devient gérable quand la traçabilité est générale, c'est-à-dire quand les obligations sont les mêmes pour tous, car alors tout le monde a le même filet, d'où notre grande déception de voir que l'étiquetage bovin est reculé de trois ans au niveau européen - cela fait partie de ces délais invraisemblables qui existent à Bruxelles - parce que la traçabilité coûte collectivement cher à la filière et qu'il faudrait que chacun adopte le même règles pour assumer les mêmes coûts.
La traçabilité est moins onéreuse quant tout le monde la partage et c'est aussi la raison pour laquelle nous sommes contre la traçabilité sur les seules filières non OGM faute de quoi le produit non OGM serait plus cher que le produit OGM ce qui n'est pas l'objectif poursuivi. Il faut que nous soyons capables d'en parler ! A mon avis, chaque fois que nous nous situerons dans une logique d'interprofession cela devra être possible et sur certains sujets, il nous faudra faire relativement vite !
Je terminerai sur le principe de précaution. Je répète que ce n'est pas à nous de le gérer. Qu'il y ait des enseignes qui prennent des décisions, soit, mais elles ne substituent pas au pouvoir réglementaire. D'ailleurs quand une enseigne fait un choix non OGM, il est davantage lié au droit au choix qu'au principe de précaution. Pourquoi beaucoup d'enseignes ont-elles fait des produits non OGM pour leurs marque distributeur ? Parce qu'on a dit aux consommateurs qu'on allait leur accorder un droit au choix ! Si les produits OGM présentaient un problème en matière de sécurité alimentaire, il appartiendrait aux pouvoirs publics de les interdire et n'aurions pas à nous nous substituer à eux au motif qu'ils " feraient mal leur boulot " notamment parce que nous n'en avons pas les moyens, parce que nous ne disposons, ni des scientifiques, ni des compétences nécessaires pour le faire : c'est une tâche suffisamment compliquée pour les autorités dont c'est le métier avec les panels très impressionnants qui se réunissent pour que nous n'ayons pas à être derrière elles en appliquant un principe de précaution supplémentaire.
En revanche, dans ce cas des OGM, nous offrons un droit au choix : puisque toutes les grandes marques nous disent qu'elles ne vont nous donner que des produits avec OGM, nous allons faire nos marques de distributeur sans OGM pour laisser le choix, dans nos rayons, au consommateur. C'est d'ailleurs à la suite de ce droit au choix qu'ont défendu d'abord nos collègues britanniques que les grandes marques internationales ont, elles aussi, décidé de faire des produits non OGM ce qui n'est d'ailleurs pas encore été décidé pour la France.
Il faut être très clair sur ce point et il en va de même pour le porc espagnol, par exemple, qui part beaucoup plus dans l'industrie de transformation que dans les rayons de porc frais...
Il y a aussi une économie globale de tous ces éléments mais, en tout cas, sur ces sujets-là, nous estimons, quant à nous, qu'il peut y avoir des décisions de marques ou d'enseignes liées à une certaine politique de l'enseigne mais qu'elles ne doivent pas, encore une fois, être mélangées avec des questions de sécurité alimentaire.
La sécurité alimentaire, elle est fondamentalement assise sur des prérogatives régaliennes et comme cela a été dit, sur du règlement et du règlement qui s'impose à tous - aussi bien aux distributeurs qu'aux transformateurs qu'aux producteurs - et qui fait que la sécurité alimentaire peut être préservée. La sécurité alimentaire ne pourra jamais être préservée que par des règlements qui s'imposent à l'ensemble des acteurs et qui les mettent tous en situation de concurrence équivalente.
Si tel n'est pas le cas, on s'achemine vers des systèmes de moins disant sanitaires, parce qu'il y aura toujours un distributeur qui fera pression ou un industriel qui, parce qu'il sortira un peu du marché et sera un peu moins compétitif que les autres, pourra céder à certaines tentations. Cela entre aussi en ligne de compte : puisqu'on parlait à l'instant du secteur du lait, on sait très bien que dans le lait UHT, il y a 25 % de surcapacité et que, de temps en temps, il n'est pas besoin d'exercer beaucoup de pressions sur certaines coopératives pour qu'elles nous fassent des propositions attractives...
Ce sont autant éléments qui se discutent à plusieurs et nous pensons qu'il ne faut pas de glissements là-dessus : le principe de précaution doit être assumé par la puissance publique dont c'est une des prérogative alors que notre métier consiste à nous adresser aux autorités publiques en cas de doute. C'est ainsi que nous venons, par exemple, d'écrire à l'AFSSA cette semaine pour savoir quelle attitude adopter face aux tests ESB. Puisque ces tests sortent, nous avons officiellement saisi l'AFSSA en lui disant que nous souhaitions qu'elle nous dise ce qu'elle pensait des ces tests, de la façon dont nous pourrions les appliquer et sur quelles bases avec quelle intensité etc.
Bref, il faut essayer de trouver un système commun pour que l'ensemble des filières puissent avoir sur ce genre de sujets une position commune !
Puisque l'on parle beaucoup de la pression des achats, j'ajouterai qu'il est exact que nous essayons de bien faire notre métier d'acheteurs mais qu'encore une fois, pour nous, il ne doit y avoir aucune interférence avec la sécurité alimentaire parce que cela voudrait dire que les fournisseurs ne respecteraient pas les règlements et qu'en conséquence, ils ne devraient plus avoir de relations commerciales avec nous. Nous disons d'ailleurs que cette pression des achats existe de toute façon et j'en prendrai un exemple qui est très sensible au niveau de la sécurité alimentaire - nous le constatons dans les conversations que nous avons avec les consommateurs - qui est celui de la restauration en foyers ! Je pense qu'il faut que les élus qui ont la responsabilité de restaurations en foyers et de cantines s'interrogent aussi sur le prix actuel d'un certain nombre de repas et les problèmes de sécurité alimentaire qu'il peut recouvrir.
Ce sont des sujets sensibles. Nous sommes tous responsables des produits que nous vendons et c'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas aller vers des solutions de moins disant sanitaire. Cela justifie que ce sujet soit un sujet d'union et de rassemblement des différentes initiatives pour satisfaire au mieux nos concitoyens.
M. le Président : Merci, Monsieur Bédier. Nous aurons peut-être l'occasion de revenir sur certains points que vous avez pu exprimer.
M. Joël DUC : J'aimerais intervenir, mais très brièvement, notamment au niveau de l'objectivité des contrôles externes. Il existe des signes de reconnaissance par les autorités telle que l'accréditation, au niveau des laboratoires. Le résultat d'analyse, en tant que tel, est labélisé ainsi qu'au niveau des contrôles externes des filières certifiées. Il y a là aussi la caution d'organismes certificateurs.
Ensuite, au niveau des audits, il s'agit d'un échange entre le distributeur et le fabricant et non d'un système de caution. C'est en fait un système de caution tiers, mais non reconnu au sens officiel.
J'aimerais parler également du prix et de la pression des prix. Je résumerai en disant que dans un magasin existent deux types de produits, des produits à marques propres et des produits de marques nationales. Quand nous développons un produit de marque propre, nous définissons un produit et son niveau de qualité et nous négocions en fait ce prix à partir d'une analyse de la valeur. Quand il s'agit d'une marque nationale, nous négocions par rapport à un produit proposé. Pour ce qui est de notre développement, il faut un juste prix pour un juste produit. Notamment au niveau des filières de viandes, il y a des plus-values lorsque nous avons des exigences concernant les farines animales ou l'absence d'antibiotiques de croissance. C'est un coût induit sur la qualité.
On confond un peu réglementation, sécurité, et qualité. Dans la notion de qualité qui doit être un système d'assurance, il y a aussi la définition du niveau de qualité. Vous parliez tout à l'heure du jambon. La réflexion qui est la nôtre est qu'un jambon de choix et un jambon supérieur sont définis réglementairement.
En revanche, cette notion de sécurité alimentaire est incompressible sur ce type de produit. On peut avoir tendance à faire l'amalgame de tous ces points.
Dernier point : les OGM. Dans les pratiques, j'aimerais que vous expliquiez comment on peut prétendre tendre vers l'absence d'OGM. La nouvelle réglementation prend bien en compte ces contaminations qui peuvent avoir lieu au cours d'une chaîne. Pour ce qui nous concerne, nous avions recensé 603 produits pouvant contenir du maïs ou du soja avec additifs ou ingrédients. Nous avons substitué 286 ingrédients ou additifs que nous avons testés à nouveau dans nos formules et que nous avons remis sur le marché. Il restait 227 produits susceptibles de contenir un additif ou un ingrédient. Nous avons établi des avenants aux cahiers des charges pour réaliser un bilan matières, assurer une traçabilité, et procéder à des tests sur des lots. Il s'agit de contrôles au cours des audits, de contrôles documentaires. Régulièrement, et de façon aléatoire, nous choisissons un lot auquel nous attribuons un numéro, nous attendons les retours d'informations dans les 48 heures suivantes, puis nous réagissons vis-à-vis de ces résultats.
M. Yves BOISARD : Beaucoup de questions ont été abordées ce matin et nous n'avons pas le temps d'aller véritablement au fond. M. Joël Duc a répondu partiellement sur un point qui me frappe. En fait, on ne semble pas tenir compte d'une réglementation de codes d'usage qui existent et des moyens de contrôle que l'administration met en _uvre. Le cas du jambon que vous avez évoqué n'est pas simplement un produit que l'on va définir à notre idée. Il existe un code des usages de la charcuterie et de la salaison avec un centre technique, dont le siège est à Maisons Alfort, qui définit précisément ce qu'est un jambon de qualité supérieure ou un jambon standard. L'étiquetage précise la catégorie du produit, sa dénomination, et le service des fraudes est là pour vérifier éventuellement si l'affirmation portée sur l'étiquette est mensongère. C'est la première chose.
Il y avait tout à l'heure une question sur le principe de précaution. Vous nous avez demandé si nous l'appliquions à nos propres produits et si nous retirions spontanément des produits jugés défectueux.
Je vais simplement vous donner deux chiffres. A ce jour, la DGAL nous a prévenus pour 39 cas de la nécessité de retirer des produits. C'était à fin novembre. A la même période, nous avions fait retirer 151 produits, y compris les 39. Dans notre démarche de maîtrise de la qualité, le service qualité de l'enseigne fait procéder à des retraits sur d'autres produits que ceux qui nous sont désignés par l'administration, que ce soit les services des fraudes ou les services vétérinaires.
Nous avons même remarqué que certaines familles de produits à risque étaient un peu négligés, si je puis dire, présentaient probablement autant de dangers et de risques que les fromages. Pour l'instant, ils ne semblent pas attirer l'attention des autorités. Nous l'avons signalé à la DGAL.
M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous préciser ce type de produits ?
M. Yves BOISARD : Tous les produits ne sont pas retirés pour des raisons de sécurité sanitaire, au sens bactériologique du terme. On peut faire retirer un produit tout simplement parce qu'il y a un morceau de verre dans un bocal. Le risque " bris de verre " est mal connu. Le risque " corps étranger " n'est pas toujours mis en avant, or il est très fréquent. Nous pouvons avoir retiré 15 ou 20 produits par palettes entières, simplement parce que nous avons trouvé un corps étranger, au moment de la mise en rayon, ou parce qu'un consommateur nous l'a signalé. Le corps étranger est la première source de réclamation des consommateurs, en particulier dans les conserves de légumes. Beaucoup de retraits sont effectués sur des produits non alimentaires. Par exemple, des articles de puériculture. La démarche de retrait est une démarche interne, spontanée. Une partie vient de l'administration, sinon ce sont nos propres informations qui nous font décider de retirer le produit et, dans certains cas, de rappeler le produit. Nous utilisons maintenant un site Internet, à la disposition des industriels, sur lequel nous pouvons communiquer afin d'avoir la plus large audience.
M. Pierre-Yvon le MAOUT : Vous avez beaucoup entendu parler du problème des filières. La filière, par définition, consiste à remonter le plus loin possible en amont. Il est clair que toutes les filières ne sont pas au même niveau.
Nous avons passé des contrats, par exemple pour le porc, avec des éleveurs dont le cahier des charges prévoit la nutrition des porcs. Lorsque le cours du porc a été au plus bas, nous avons continué à assumer, et au même prix, le cours du porc. En fait, dès l'instant où nous sommes engagés avec des gens, nous remontons le plus loin possible, et nous respectons nos accords. C'est important.
Le deuxième point que je souhaite souligner concerne les OGM. Je ne comprends pas très bien cette discussion. Il est clair que nous devons garantir le libre choix à nos consommateurs. Actuellement, la législation n'interdit pas les OGM. Il y a eu des réactions différentes. Qu'avons-nous fait ? Comme nos collègues de Carrefour, nous avons substitué autant que faire se peut les ingrédients. Ceci étant, dès l'instant qu'il y a soupçon ou trace d'OGM, l'administration nous oblige à étiqueter. Nous ne faisons qu'obéir ou suivre la législation en vigueur. Ne nous demandez pas de débattre d'un problème qui ne dépend pas de nous.
M. André ASCHIERI : Deux remarques et deux questions.
Tout d'abord, les remarques. Je voudrais préciser ici que nous ne formons pas un tribunal mais une Commission d'enquête. Si elle existe, c'est parce qu'il y a des problèmes. Nous avons plutôt envie d'entendre ce qui ne fonctionne pas tout en étant convaincus de votre bonne volonté. Il faut dire ce qui ne va pas dans l'intérêt de tous. Il y a une crise dans l'alimentation et nous avons besoin de repartir avec confiance, nous tous, aussi bien les distributeurs, les producteurs, les consommateurs que les politiques.
Mme Felzines a raison de dire qu'il faut faire attention aux nouveaux produits avec l'élargissement de l'Europe. Il y a non seulement les produits contaminés par le nucléaire, mais il y a tout le reste.
Deuxième remarque, la sécurité. Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'elle est la même pour tout le monde au niveau microbiologique. Ce qui m'inquiète le plus, c'est la sécurité beaucoup plus insidieuse, c'est-à-dire la conservation des produits, la présence de pesticides, métaux lourds ou autres. Là, il est difficile d'assurer une totale sécurité pour le consommateur parce que les dégâts sur la santé arriveront dans un certain nombre d'années. C'est un vrai problème.
Une question. Nous avons peu parlé des produits bio. J'aimerais que la grande distribution nous donne des informations là-dessus. Comment faites-vous votre choix ? Comment arrivez-vous à avoir des prix intéressants sur le bio ? Il faut en effet éviter le fait d'arriver à une alimentation à deux vitesses, une pour les riches, l'autre pour les pauvres.
Deuxième question. Remarquez-vous un changement fondamental du consommateur ? Nous sommes aujourd'hui en train d'essayer de voir si nous devons modifier la réglementation. Mais est-ce que cette réglementation ne va pas se faire toute seule par le choix des consommateurs ? Y a-t-il chez eux une attitude totalement différente qui maintenant privilégie de plus en plus la qualité par rapport au prix ? Pour vous, l'évolution est vraiment déterminée dans le sens de la qualité alors que jusqu'à présent, pour tout le monde, elle était pratiquement basée sur le prix.
M. Pierre-Yvon le MAOUT : En fait, l'agriculture en France, jusqu'à aujourd'hui, était une agriculture productive. Il a été demandé aux agriculteurs de produire.
En ce qui concerne le bio, ce ne sera jamais qu'une niche, il ne faut pas rêver, et ceci pour deux raisons. Tout d'abord pour une raison de coût. Ensuite, parce que nous manquons d'espaces agricoles en France.
Concernant le groupement Intermarché, les orientations prises dernièrement s'orientent vers une agriculture raisonnée. C'est quand même un changement fondamental. Notre souhait, au niveau des filières, est de systématiser la possibilité d'avoir accès à l'agriculture raisonnée. Cela implique un partenariat important avec les agriculteurs et les industriels.
M. Joseph PARRENIN : Je voudrais revenir sur la bagarre sur les prix, le poids énorme des cinq centrales d'achat et les risques sur la qualité. Nous avons entendu les producteurs et les transformateurs. Hors séance, un transformateur nous disait : " Si je peux perd un de mes acheteurs, ma boîte est foutue. " C'est vrai, nous l'entendons tous les jours.
Je rejoins ce que vous disiez tout à l'heure, il faut peut-être en effet commencer véritablement une politique de filières, mais la préoccupation de l'amont est énorme sur les risques économiques. Bien entendu, ils intègrent aussi les risques sur la protection de la santé. Nous sentons bien cependant que la pression sur les prix qui s'exerce depuis vingt ans, a induit des conditions de production et de transformation qui, à certains moments, ont fait courir des risques.
Ceci est vrai même à l'intérieur de vos entreprises. Je voudrais que vous me garantissiez les uns et les autres que les dindes qui ne seront pas vendues pour Noël ne vont pas être déballées pour être mises en ragoût. Cela n'existe pas ? Je vous fiche mon billet que d'ici la fin de la Commission d'enquête, je vous trouve cela.
M. Joël DUC : C'est un procès d'intention, nous ne pouvons pas répondre à cela.
M. le Président : Personne ne fait le procès de qui que ce soit.
M. Joël DUC : Si, ce sont des pratiques illégales.
M. le Président : Comme disait M. Aschieri, nous sommes une Commission d'enquête parlementaire. Notre problème est d'essayer de voir quels sont les maillons de la chaîne alimentaire où peuvent exister des dysfonctionnements, voire des fraudes, de sorte que nous puissions, en tant que parlementaires, suggérer au Gouvernement un certain nombre de dispositions nouvelles. Tel est notre rôle en tant que Commission d'enquête. Evidemment, des questions très directes sont posées. Il faut essayer d'y répondre ou de ne pas y répondre, mais en tout cas d'y répondre de manière également très directe. Nous posons des questions qui sont sans doute vécues dans la réalité.
M. Joël DUC : Je vous conseille de ne pas acheter de blanquette de dinde après les fêtes.
M. le Rapporteur : C'est une boutade ?
M. Joël DUC : Oui, c'est une boutade. La relation avec le monde industriel sera bientôt abordée avec les centrales d'achat lors des assises de la distribution. Bien évidemment, beaucoup de sujets seront repris.
Je voudrais parler de ce qui se passe au niveau des points de vente. Quand vous dites que de mauvaises pratiques peuvent être constatées, nous ne pouvons en effet assurer le zéro défaut au niveau de nos magasins. Les lignes de conduite, bien évidemment, sont définies. Elles seront d'ailleurs confirmées par des guides de bonnes pratiques qui sont des socles généraux. Toutes les enseignes possèdent ces guides depuis de très nombreuses années. Nous ne découvrons pas les bonnes pratiques d'hygiène, fort heureusement. Ce sont des pratiques en place avec des systèmes de magasins formateurs, de magasin relais, d'itinérants qui circulent, plus des principes d'audits qui ont lieu depuis une quinzaine d'années. Tout ceci nous amène à une surveillance permanente sans pouvoir néanmoins garantir le zéro défaut.
M. le Rapporteur : Sur ce point, j'imagine la difficulté de gestion qui peut être la vôtre par rapport à l'ensemble de vos points d'implantation. Il peut, comme dans tout système, apparaître des pratiques frauduleuses. Dans votre groupe, avez-vous déjà eu à sévir sur des points de distribution ? Avez-vous eu à prendre des mesures particulières sur telle ou telle unité de vente qui aurait relevé des pratiques frauduleuses ?
M. Joël DUC : Je suis relativement récent chez Carrefour, mais je suppose que des dispositions ont été prises sur des pratiques frauduleuses.
M. Pierre GINESTEL : Je voudrais compléter ce que disait M. Duc. Quand on a une entreprise qui compte 48 000 personnes aujourd'hui, à moins de mettre un contrôle contrôleur derrière chaque personne, il est clair que l'on ne peut pas être assuré de la certitude que personne ne va faire un mauvais geste, parfois par erreur, parfois par inadvertance. Les accidents sont toujours possibles et les services qualité sont là pour intervenir et organiser des systèmes de contrôle pour éviter ces facteurs d'erreurs.
Ceci étant, je voudrais revenir sur la question du guide des bonnes pratiques générales en place au niveau de la distribution.
Comme disait M. Duc, nos méthodes de contrôle, d'audit, de suivi, et de formation ne datent pas d'hier. Cela fait dix ans que je suis dans la société, mais cela fait plus de douze ans que le système qualité existe dans l'entreprise. Des systèmes s'étaient déjà mis en place et, progressivement, d'autres ont été créés. En 1985, il n'y avait quasiment aucun texte réglementaire sur la distribution. Il a fallu attendre 1993 pour avoir la directive sur l'hygiène et 1995 pour avoir l'adaptation de cette directive. Aucun distributeur digne de ce nom n'a attendu 1995 pour mettre en place des systèmes qualité.
Avant 1995, il existait aussi des contrôles officiels. Il faut insister là-dessus car c'étaient des contrôles officiels tangibles. Par exemple, un agrément sanitaire définissait un droit d'exercer à un atelier de production ou de fabrication. Depuis 1992 ou 1993, ces numéros d'agrément sanitaire ont disparu.
Nos entreprises gèrent bien de façon responsable et autonome
- c'est le sens de cette directive européenne 9343 du 9 mai 1995 - la sécurité alimentaire dans les établissements.
En cela, les systèmes sont peut-être ou apparaissent peut-être comme divergeants. Ceci étant, je crois qu'il faut être pragmatique, il n'y a pas 36 façons d'assurer la sécurité alimentaire. Cela passe par du référencement de produits, de la formation d'équipes, du contrôle, et de l'analyse. Tout le monde ici l'a évoqué autour de la table, chacun en fait. Après, on développe des niveaux de qualité derrière ce socle de base. Le métier de base, en terme de sécurité alimentaire, chacun de nous l'assure dans les enseignes de façon autonome. Bientôt, avec les guides de bonnes pratiques en cours de rédaction, nous aurons un socle commun.
Il existe encore des signes qui permettent d'avoir une valeur de ces autocontrôles qui peuvent apparaître indépendants. Il y a les systèmes de certification. Nous avons parlé de certification Iso pour Carrefour. Nous pouvons aussi parler de certification de service, régie par un décret de mars 1997. Il stipule que des organismes accrédités viennent contrôler un certain nombre d'actions. Parmi les actions que nous avons données aux organismes accrédités, nous avons inclus des actions de suivi de la sécurité alimentaire.
Il faut voir qu'il n'y a pas de différenciation énorme dans les diverses techniques. Les techniques restent les mêmes. Il est certain aujourd'hui qu'il y a peut-être un problème de signe ou d'identification de la sécurité alimentaire. On ne peut pas communiquer sur un élément réglementaire, un élément de base tel que la sécurité. C'est interdit.
Par exemple, nous recevons aujourd'hui beaucoup de courrier de consommateurs nous demandant de leur garantir que le maïs vendu en boîtes de conserves est sans OGM. Nous ne pouvons ni le garantir ni l'écrire. Ce sont des variétés différentes, ils sont donc naturellement non OGM. Ce sont des variétés spécifiques et nous ne pouvons pas l'écrire parce que c'est une discrimination. Nous nous retrouvons avec une information bloquée et une réassurance au consommateur que nous ne pouvons pas apporter.
Il existe d'autres exemples pour lesquels nous pourrions communiquer sur sécurité alimentaire, même de façon basique. Malheureusement, c'est un acquis et de ce fait, nous n'avons pas le droit de communiquer. C'est regrettable.
M. Patrick LEMASLE : J'aimerais avoir un complément d'information par rapport à ce que disait M. Bédier tout à l'heure. S'agissant de la vente de produits frais ou de produits agricoles bruts, il n'y a pas de grande difficulté à identifier le produit. Vous disiez que vous n'aviez pas de contrôle sur les produits transformés. Que voulez vous dire par là ? C'est grave. Cela paraît être un report de responsabilité. Vous demandez à vos fournisseurs d'avoir un produit qui réponde à la réglementation mais étant donné que vous les pressurez au niveau du cahier des charges qui correspond à un prix, à l'arrivée, dans vos entrepôts, ne pensez-vous pas que vous déplacez un peu la responsabilité ? Quelles garanties prenez-vous par rapport à cela ?
Autre point. Nous sommes actuellement en pleine restructuration au niveau de la grande distribution. Pensez-vous que cela va continuer ? Est-ce un facteur de sécurité pour le consommateur, à terme ?
M. Jean GAUBERT : Je n'ai pas eu de réponse très précise à la question que j'avais posée tout à l'heure sur les pratiques par rapport à l'appréciation de ce qui se passait dans un certain nombre de pays. J'ai posé la question de l'achat, en particulier au niveau des viandes dans d'autres pays de la Communauté européenne dont les pratiques d'alimentation du bétail sont différentes des nôtres. M. Bédier a partiellement répondu en disant que s'agissant des produits frais, on sait où l'on achète, mais que pour le reste, il n'y a pas vraiment de garantie. Il a même dit que la viande espagnole rentre dans le produit transformé.
Il serait intéressant que vous puissiez nous dire comment vous pratiquez par rapport à cela.
Ma deuxième question porte sur une pratique que je crois savoir
- mais peut-être certains dont d'entre vous me démentiront - c'est-à-dire le retour des produits non vendus, en particulier quand il y a des promotions. Je crois savoir - et un certain nombre de transformateurs nous l'ont dit - qu'un certain nombre de marques de distribution faisaient obligation dans leur contrat de reprendre des produits non vendus à la date de péremption. Qu'en est-il ? Et si cela existe, pourquoi n'allez-vous pas jusqu'au bout, c'est-à-dire la destruction de ces produits ? S'ils ont atteint la date de péremption, il serait plus utile qu'ils soient détruits, on serait au moins sûr qu'ils ne seront pas recyclés. Je ne sais quel est le niveau de pratique dans vos enseignes, en tous les cas, ce sont des choses qui nous ont été dites.
M. le Rapporteur : Je ferai la même remarque que M. Lemasle tout à l'heure par rapport à ce que vous avez affirmé quant à votre impuissance à contrôler la composition des produits fournis par vos fournisseurs. On parle souvent de traçabilité et cette absence de traçabilité m'inquiète beaucoup. Qui, à un moment donné, va pouvoir juger de la qualité ?
Vous avez parlé d'une certaine responsabilité lorsque vous mettiez un produit sur l'étagère et avez dit qu'éventuellement, le consommateur pouvait se retourner contre vous. C'est pratiquement de l'inconscience de faire confiance à un fournisseur incapable de vous donner la composition du produit que vous allez mettre à la vente. Cette absence de traçabilité m'inquiète beaucoup.
M. le Président : Voilà une série de questions. Elle n'est pas destinée uniquement à M. Bédier, mais vous êtes le premier intervenant.
M. Jérôme BÉDIER : Comme l'a dit tout à l'heure M. Aschieri, le début de tout est le consommateur. Il est vrai que le consommateur change. D'après nos enquêtes qualitatives, les consommateurs considèrent que la sécurité alimentaire n'est globalement pas mauvaise, mais qu'il y a des risques nouveaux qu'ils ont du mal à appréhender. Dans tous les panels que nous avons faits, nous nous sommes rendu compte que le vrai problème que nous avions avec eux, c'est quand ils ont le sentiment que nous ne sommes pas clairs. S'agissant de la vache folle, la consommation a baissé jusqu'au moment où ils ont compris - même si la situation reste préoccupante- que nous avions dit tout ce que nous savions. Quand je dis " nous " je parle collectivement des pouvoirs publics et des différents intervenants. De même sur les OGM, les gens n'ont pas accepté l'idée qu'on puisse faire rentrer des OGM sans le dire. Si on avait fait, dès le début, la traçabilité et l'étiquetage des OGM, comme on l'a fait pour les additifs, plus personne n'en parlerait. Peu de gens aujourd'hui parlent des additifs, en dehors de certains aspects de santé qui peuvent être posés.
Fondamentalement, c'est ce qui les intéresse, en dehors de ce fantastique enjeu positif de remontée en gamme qui est en train de se produire. Il y a actuellement une demande forte, liée à ces différentes crises, de produits plus segmentés et de plus grande valeur ajoutée.
Concernant les problèmes que nous avons vis-à-vis de l'amont pour connaître les produits, il y a tout ce qui est sur base de cahier des charges, notamment les marques de distributeurs qui, je le rappelle, sont produites à 70 % par des PME qui ne seraient plus sur le marché s'il n'y avait pas des marques de distributeurs. En effet, les PME ne sont plus aujourd'hui capables de se battre contre les grands groupes internationaux mondiaux dont les marketings sont puissants. Nous avons des cahiers des charges sur les marques de distributeurs et nous savons à peu près comment cela se passe : les cahiers sont établis, transparents, contrôlés, certifiés, opposables aux tiers. Il y a des agréments en matière de prix. Dès que nous sommes dans une logique de cahier des charges, nous savons à peu près ce qui se passe. Là où nous savons moins - et nous en sommes conscients que nous savons moins -, c'est pour des produits de marques et de grandes marques. Là, nous ne discutons que du prix car on offre un prix qui a ses caractéristiques. Nous posons des questions.
Pour vous donner un exemple, quant à l'automne 1996, nous avons interrogé nos fournisseurs pour savoir s'il y avait des OGM dans les produits, nous avons eu la même réponse type nous disant que nous ne pouvions pas savoir. Cela montre bien la difficulté que nous avons à savoir ce qu'il y a dans les produits que nous vendons tous les jours dans nos rayons, dès lors que ce sont des produits de marques et sur lesquels les industriels nous disent " secret industriel ". Nous faisons confiance à nos fournisseurs. Nous partons du principe selon lequel à la fois en matière de sécurité alimentaire réglementaire et d'analyse des risques futurs, ils ont suffisamment d'éléments. Il y a cependant de nombreux dossiers que nous savons exister et auxquels nous n'avons pas accès. Il existe par exemple des études aux Etats-Unis sur l'effet cancérigène de l'aspartame que nous ne connaissons pas.
C'est la raison pour laquelle nous avons constitué ce comité scientifique sur les informations alimentaires pour nous documenter et être capables de discuter avec des spécialistes de différents autres milieux professionnels.
Telle est la situation. Je pense que nous irons vers plus de transparence, mais nous ne voulons pas le faire de manière trop agressive, sinon nous aurons un lobby des industriels disant que nous voulons entrer dans le secret industriel.
S'agissant de la réorganisation de la distribution, comme tous les secteurs de l'économie, la distribution est en phase de mondialisation et tout le jeu est de savoir si la France aura deux ou trois grands acteurs mondiaux. Nous avons la chance, dans ce secteur, de pouvoir jouer au niveau mondial. Nous allons voir comment cela va se passer.
L'autre élément est que nous sommes maintenant dans le marché européen. Tous les acteurs se repositionnent par rapport au marché européen.
La contrepartie de la concentration est la contractualisation. Nous avons maintenant des distributeurs qui ne sont pas des gens qui essayent de tirer le prix le plus bas possible. Ce sont des gens qui ont des volumes importants à assurer, des images à garantir et qui construisent donc des politiques d'achat de plus en plus contractualisées afin d'avoir des produits identifiés, spécifiques, dans leurs magasins. Ils essaient de mettre en avant une image de marque spécifique. Le facteur prix est moins important, dans la mesure où l'on arrive, par le biais des cahiers des charges et de la segmentation, à avoir des qualités de produits que l'on peut vendre à des prix plus importants.
Quand les agriculteurs le font, cela se passe très bien. Je prends l'exemple des vins : c'est très bien segmenté, valorisé, contrôlé, il y a l'équilibre de l'offre et de la demande. Dans les domaines où la structuration est moins forte, nous pouvons intervenir dans le cadre de nos politiques propres et la contractualisation est la vraie réponse à la concentration.
Nous sommes tout à fait conscients que l'on ne peut pas envisager l'avenir de cette filière agro-alimentaire sans un accroissement de la contractualisation. Nous pensons que la concentration doit aboutir à donner plus de visibilité aux différents acteurs, et donc à des contractualisations avec les PME qui peuvent s'étendre sur des périodes plus longues.
Par ailleurs, nous avons tous fait de la productivité parce que c'est ce qui nous était demandé. Pendant 20 ou 30 ans, l'objectif des agriculteurs, des transformateurs, des distributeurs, était de faire de la productivité. Nous en avons tous fait pour faire en sorte que les Français soient mieux nourris. Nous sommes sortis de cette époque. Il faut aussi que les agriculteurs en sortent, sans avoir le sentiment qu'on les culpabilise du passé.
Il faut changer d'époque. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas accepter d'entendre que c'est à cause des prix, en particulier des prix sur lesquels nous n'avons aucune prise, que nous avons un problème de sécurité alimentaire. Cela aboutit à exonérer les acteurs de l'amont de leur responsabilité en matière de sécurité alimentaire. Nous sommes tous d'accord sur le fait de ne pas rendre les agriculteurs responsables de la situation. Nous sommes maintenant dans une autre époque, où tout productivisme est terminé. Il faut reconstruire des filières, refaire de la valeur ajoutée, régler les problèmes de sécurité alimentaire. Il faut le faire ensemble sans dire que c'est la faute au voisin. Nous avons tous des choses à faire, nous avons tous des éléments à améliorer, mais ce n'est pas en rejetant la responsabilité sur le voisin qu'on pourra le faire.
Sur cette histoire de prix, nous ne supportons plus qu'on nous disent que les évolutions de prix sont dues à nos pressions. Les évolutions des prix agricoles dépendent beaucoup plus des traités internationaux, des accords pris par la Politique agricole commune, que des conditions de négociations pratiquées. Encore une fois, les prix sont très variables.
C'est un point important. Je pense qu'il ne peut pas y avoir de débat si l'on reste figé sur l'idée que c'est une pression excessive. Les politiques d'achat sont pénibles pour les fournisseurs, mais tel est le fonctionnement du marché, et cela ne devrait pas être lié au problème de la sécurité alimentaire.
Je terminerai sur les pratiques différentes des nôtres pour répondre mieux à M. Gaubert. Dès lors qu'on est en sécurité alimentaire propre, c'est-à-dire des problèmes qui se posent au niveau de la sécurité alimentaire, il faut le même filet européen. Apparemment, le porc espagnol, même s'il n'est pas castré, ne pose pas de problème de sécurité alimentaire. Si c'est le cas, il faut interdire la commercialisation des porcs non castrés dans la Communauté européenne.
S'il n'y a pas de problème de sécurité alimentaire, la solution à la question que vous évoquez est l'information des consommateurs. Il faut effectivement pouvoir donner aux consommateurs une information la plus précise possible sur des caractéristiques différentes de produits. C'est là où se crée la diversification. Il y aura toujours des premiers prix avec éventuellement des produits moins chers sur le marché et des produits à plus forte valeur ajoutée.
Nous ne pouvons pas faire cette information s'il n'y a pas la réassurance de l'amont à l'aval de la filière et si nous ne trouvons pas ensemble des solutions simples pour que le consommateur qui fait son achat dans un magasin, puisse avoir l'information lui permettant de faire son choix en toute connaissance de cause.
M. Philippe IMBERT : M. Bédier vient de répondre à ce que je voulais dire quant au doute que pouvait se poser M. Chevallier concernant la transparence des différents ingrédients qui entrent au niveau des produits. Par exemple, au niveau de Casino, le produit n'est pas en magasin tant que nous ne connaissons pas réellement tous les ingrédients. Quant à savoir s'il contient des OGM, ce n'est plus un problème de sécurité alimentaire, mais un problème de connaissance. Il faut savoir qu'il y a un filtre important avec des droits de veto qui sont chez nous très précis.
Je voulais rappeler un élément important au niveau du consommateur car c'est lui qui gère les produits en terme d'achat. A notre niveau, il très est difficile de communiquer et le cas des OGM est un exemple typique. Nous avons eu beaucoup de questions de la part des consommateurs qui se demandaient si on n'allait pas les intoxiquer avec ces produits. De mon point de vue, nous avons eu une logique plus économique. Des commissions ont apparemment évalué la sécurité de ces produits, mais il n'empêche que les OGM sont arrivés subrepticement vis-à-vis du consommateur. Derrière, se sont alors déclenchées beaucoup de questions rattachées à d'autres problèmes qui finalement n'en étaient pas. Il s'est créé un certain flou au niveau du consommateur. Je ne suis pas certain qu'il faille voir la réglementation en fonction de l'évolution du consommateur. Il faut tout d'abord bien communiquer pour derrière bien rassurer, puis réglementer.
M. Pierre-Yvon le MAOUT : Nous travaillons avec 1200 PME/PMI. Ce n'est pas rien. Nous avons fait un bout de chemin ensemble. Les uns et les autres, nous avons évolué dans le bon sens.
Il est clair que sans traçabilité, on ne peut pas référencer quelqu'un. C'est une condition sine qua non. Très curieusement, dans l'affaire de la Dioxine, nous nous sommes aperçus que les PME/PMI avec lesquelles nous avions des liens étaient beaucoup plus réactives que les multinationales qui poussaient des cris horrifiés. Elles n'ont pas été capables de nous répondre. Or, les PME/P.M.I. avec lesquelles nous travaillons tous les jours, ont réagi rapidement. Ces gens-là ont été parfaits.
M. Jacques PELISSARD : Je poserai une question à la fois à M. Bédier et à M. Ginestel pour reprendre leur propos. Ils ont plaidé avec conviction sur la nécessaire contractualisation. Puis ils ont affirmé la nécessité d'une information, d'une transparence par rapport au consommateur. Nous sommes tout à fait d'accord.
M. Ginestel disait que l'on ne pouvait imposer l'étiquetage sans OGM du maïs. M. Bédier disait qu'ils n'avaient pas le pouvoir par rapport à leurs fournisseurs d'avoir l'information totale sur la composition des produits. Justement, la contractualisation, compte tenu du poids de la grande distribution par rapport aux fournisseurs, peut vous permettre facilement, à mon sens, de disposer de ces éléments d'information, d'imposer un étiquetage avec un produit garanti sans aux OGM, et de donner tous les éléments de la traçabilité.
On ne peut pas avoir deux discours, l'un selon lequel il faut la transparence et l'information avec l'outil de la contractualisation, et l'autre selon lequel on ne pas utiliser cet outil. Je souhaiterais que vous nous répondiez sur ce point.
M. le Président : Qui veut répondre rapidement ?
M. Pierre GINESTEL : Depuis janvier 1997, nous questionnons les fournisseurs, quelle que soit leur taille,, sur cette question des OGM pour le marquage. Parallèlement, nous nous retrouvons dans une problématique d'ordre réglementaire dans le sens où le cadre de définition du marquage est relativement fluctuant et toujours pas stabilisé. Par exemple, les techniques analytiques ne sont pas validées et le seuil du 1 % vient d'être évoqué au niveau de Bruxelles, mais il n'est pas encore, à ma connaissance, signé. Après, il y a le débat sur les additifs qui provoque encore de nouvelles questions.
Nous essayons de définir des positions, mais dans ces univers très mouvants, il est clair que la position est très difficile à tenir.
Je rejoins ce que disait M. Bédier tout à l'heure, si on avait marqué dès le départ tous les produits issus d'OGM, le débat serait aujourd'hui clos. On aurait des produits marqués " issus d'OGM " et des produits non marqués, et le consommateur pourrait faire clairement son choix. Dans le courrier des consommateurs, nous avons la manifestation visible de leur inquiétude qui, ne voyant pas les produits marqués, se demandent si cela veut dire qu'ils ne contiennent pas d'OGM. Dans le contexte des changements de cadre réglementaire, c'est à chaque fois une nouvelle question vis-à-vis de l'industriel qui nous livre afin de pouvoir répondre au consommateur.
Là aussi, dans les éléments à améliorer, il faut que les réglementations se coordonnent plus rapidement afin d'avoir une vision claire de ce qui est marqué et de ce qui n'est pas marqué sur les produits.
Quant à la contractualisation, c'est quelque chose que nous pratiquons. Nous faisons très régulièrement des pointages sur ce type de question et sur d'autres par rapport au marquage. Il existe d'autres questions comme celle de l'allergie, pour laquelle nous faisons des pointages. Il vaut mieux marquer l'origine, par exemple, d'une matière grasse ou d'une protéine, plutôt que d'indiquer " protéines végétales " au sens large. C'est toute cette politique que nous mettons en _uvre.
M. Paul GILLES : Mon propos vient en complémentarité avec les préoccupations évoquées par certains parlementaires par rapport au prix. Le prix en amont a été longuement évoqué, mais il y a aussi le prix mis sur le marché et qui est très déstabilisateur. Le fait de voir la baguette à un franc est très déstabilisateur et cela provient souvent de conditions particulières de l'amont.
Ne voir que le problème de l'amont n'est pas une finalité en soi. Il faut aussi voir la déstabilisation que cela créé par la disparition d'un certain nombre d'artisans et de commerçants. Il faut lier l'ensemble des problèmes sur les prix, au-delà des qualités sanitaires. Je ne mets pas en cause les produits, même quand ils sont promotionnels, sur le plan de leur qualité.
Mme Claudie CORVOL : Je voudrais revenir sur le problème de la communication et de l'information du consommateur qui me paraît essentiel. Je suis d'accord avec l'idée qu'il ne faut pas mélanger la sécurité et la qualité. La sécurité alimentaire est un dû qui doit pouvoir être assurée à tout consommateur, quel que soit le type de commerce dans lequel il s'approvisionne, que ce soit une grande surface ou un commerce indépendant, et quel que soit le lieu géographique, que ce soit dans l'Aveyron ou dans les grandes villes.
M. Bédier a dit que c'est un problème sur lequel la concurrence ne devrait pas jouer. Effectivement, il s'agit de problèmes de santé publique et la concurrence ne doit pas jouer. Cela ne doit pas être mélangé avec la qualité, nous sommes d'accord. Cependant, aujourd'hui, les systèmes de qualité, les systèmes de référentiels en terme d'appréhension des produits et des différents niveaux de qualité sont malheureusement très brouillés.
Nous constatons que la grande distribution avec les marques des distributeurs qu'elle a mises en place, les cahiers des charges qu'elle négocie avec la production, est en train de se doter de signes de qualité, de signes de sécurité qui, dans l'esprit du consommateur, sont très difficiles à démêler.
On a dit tout à l'heure qu'il ne fallait pas être juge et partie. Effectivement, avec les marques des distributeurs, on assiste à une confusion. Il faudrait pouvoir clairement distinguer tous les signes et que ni la qualité ni la sécurité devienne un avantage concurrentiel. On sait que la grande distribution communique énormément sur ces signes extérieurs de qualité, mais ces outils ne sont pas à la disposition de toutes les formes de commerces. On a vu les bouchers mettre au point un label de qualité. Ils n'avaient pas les moyens de communication suffisants pour bien les faire connaître auprès du consommateur.
Je me place sur le plan de l'égalité de chance de toutes les formes de commerces dans cet enjeu fondamental de la sécurité alimentaire.
M. le Rapporteur : pourrions-nous schématiser vos interventions sur la sécurité et la qualité en disant qu'aujourd'hui, au niveau du consommateur, il existe un socle qui constitue la sécurité identique pour tous les aliments proposés et qu'ensuite, à partir de ce socle, il y a des différences au niveau des prix ou des propositions faites au consommateur dont les hauteurs varient en fonction de la qualité proposée ? Est-ce le schéma dans lequel vous vous inscrivez ?
Mme Claudie CORVOL : Nous avons parlé tout à l'heure de l'agriculture raisonnée. Personne n'est en mesure de savoir quelles sont les garanties apportées par ce système de production agricole. Aujourd'hui, le manque de visibilité sur les différents labels, chartes, engagements, systèmes de sécurité, rend difficile le choix final du consommateur. Nous craignons que certaines formes de distribution qui ont les moyens d'expliquer, de communiquer, et de valoriser leurs signes extérieurs de qualité, créent des distorsions de concurrence avec d'autres formes de distribution qui n'ont pas les moyens de le faire.
M. Joseph PARRENIN : Je ferai un constat. Plusieurs parlementaires ont voulu parler du rôle du prix et de l'incidence éventuelle sur les problèmes de qualité. Monsieur Bédier, vous avez dit que par rapport à vos fournisseurs, vous établissiez un cahier des charges et qu'ensuite, la seule négociation portait sur le prix. En même temps, vous avez considéré que pendant un demi siècle, on avait travaillé sur la productivité partout - au niveau des agriculteurs, des transformateurs, et des distributeurs - et qu'aujourd'hui, on devait avoir une préoccupation qui était celle de la qualité. C'est ce que je retiens de ce débat que nous avons eu aujourd'hui.
Nous voyons très bien que ce problème de qualité n'a pas été une priorité, encore que malgré tout, nous sommes bien obligés de considérer que des progrès considérables ont été faits, mais qu'ils ont été davantage imposés par les législations et les contrôles que par le comportement de toute la filière voulue.
M. le Président : Je n'ai pas entendu de critique par rapport à la création de l'AFSA. En revanche, j'ai entendu quelques observations sur son fonctionnement.
Monsieur Bellot, j'aurais aimé que l'on puisse nous préciser un peu la chose. L'agence, par elle-même, personne n'en conteste l'efficacité, mais peut-être y a-t-il moyen d'améliorer les choses.
M. Claude BELLOT : M. Bédier pourra sûrement en dire plus puisqu'il fait partie du conseil d'administration et que nous n'avons qu'un rôle de suppléant. C'est un peu la critique que nous avions faite précédemment selon laquelle nous aurions souhaité qu'il y ait deux postes, un pour la grande distribution et l'autre pour le commerce de détail. Il y a un conseil d'administration et un conseil scientifique. Je crois qu'il n'y a pas tellement de coordination entre les deux. En tant que suppléant, je n'ai jamais reçu de rapport direct sur le comité scientifique. Il me semble qu'une coordination manque entre les deux.
M. le Président : C'est récent. Il faut l'affûter encore un peu.
M. Claude BELLOT : Je suis conscient du fait qu'il y a besoin de se rôder.
M. Jérôme BÉDIER : Je n'ai sans doute pas été très clair. Nous avons globalement les grandes marques nationales pour 45 % de ce que nous vendons. Il n'y a pas de cahier des charges et nous ne négocions que le prix. Dans ce cas, ce n'est pas nous qui avons le poids le plus grand. Le poids le plus grand est en général sur le marché, celui de l'amont, parce que ce sont des produits très marquetés. La négociation est très encadrée. Nous sommes obligés de vendre tous au même prix minimum.
Ensuite, il y a des marques de distributeurs qui font l'objet d'un cahier des charges où tout est négocié. L'ordre de grandeur se situe, selon les distributeurs, entre 15 et 25 % de ce que nous proposons. Le reste, ce sont les premiers prix et les autres types de produits.
Selon moi, il n'y a pas de confusion entre les marques des distributeurs et les signes de qualité. Les signes de qualité sont réglementés, il y en a quatre. La marque du distributeur est une marque comme les autres. Simplement, il peut y avoir des synergies entre les signes de qualité et les marques. Finalement, les signes de qualité marchent bien quand c'est simple. Pour le vin, c'est l'AOC, pour le jambon et le poulet, c'est le Label rouge. Il faut un système relativement simple pour mettre en valeur des signes de qualité en les reliant ou pas aux marques. Nous sommes assez ouverts à la discussion pour faire en sorte qu'il n'y ait pas de confusion. Par exemple, sur l'agriculture raisonnée, il nous paraît utile qu'il y ait un signe de qualité officiel, sinon nous aurons tout une série de certifications qui ne donneraient que peu de lisibilité au consommateur. Il n'y a pas de conflit, mais il faut organiser dans le cadre d'un dialogue interprofessionnel.
Dans le cadre d'un tel dialogue, l'ensemble des commerces peuvent avoir accès à la communication. Dans le domaine de la viande, des campagne sont financées par les interprofessions. Il y a des campagnes pour l'artisanat et des campagnes pour d'autres types de filières.
Il existe un outil très intéressant qui permet de valoriser l'ensemble de ces éléments.
M. le Président : Je pense que tout n'a pas été dit, mais je crois que nous avons pu quand même échanger très longuement. Vous avez pu voir dans quelles conditions travaille une Commission d'enquête. Nous sommes là pour poser des questions, essayer d'aller le plus loin possible, et avoir les réponses les plus précises possibles. Tout cela figurera dans ce qui sera publié. Le Rapporteur aura un rapport synthèse à faire sur l'ensemble des auditions et des investigations. Puis il aura à suggérer un certain nombre de dispositions à prendre du point de vue législatif, réglementaire.
Si en plus des éléments que vous avez pu nous communiquer aujourd'hui, vous avez des contributions écrites, nous sommes tout à fait preneurs. Nous avons parlé tout à l'heure des cahiers de bonnes pratiques et de bien d'autres choses. Merci pour tout ce que vous pourrez nous faire parvenir.
Je vous remercie de votre participation. Je remercie également les collègues qui ont contribué à animer cette discussion.

Les débats avec les représentants de la restauration

Audition de M. Damien VERDIER,
Président de la commission Qualité
du Syndicat national de la restauration collective,

de M. Bernard LEYMONIE et de M. Jean-Claude GANDRILLE,
Président et Vice-président du Comité de coordination des collectivités

(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 21 décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Damien Verdier, Bernard Leymonie et Jean-Claude Gandrille sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, MM. Damien Verdier, Bernard Leymonie et Jean-Claude Gandrille prêtent serment.
M. le Président : Mes chers collègues, la séance est ouverte.
J'ai le plaisir d'accueillir M. Damien Verdier, Président de la commission qualité du Syndicat national de la restauration collective, M. Bernard Leymonie et M. Jean-Claude Gandrille, Président et Vice-président du Comité de coordination des collectivités, représentant les collectivités assurant leur restauration en régie.
Nous avons, depuis maintenant deux mois, procédé à de nombreuses auditions et investigations. Nous sommes allés sur le terrain et avons organisé des auditions séparées ou conjointes. Nous avons étudié tous les maillons de la chaîne alimentaire depuis l'amont de la production, la production elle-même, la transformation et le conditionnement.
Nous abordons aujourd'hui le secteur de la restauration collective, grand sujet sur lequel nous souhaitons nous pencher. Tous nos travaux font l'objet d'un enregistrement et seront publiés, après vous avoir soumis le compte rendu ; ils sont par ailleurs télévisés, ouverts à la presse, symbole de la transparence que nous avons souhaitée.
Je vous propose de débuter par un bref exposé, bien qu'il ne soit pas dans notre intention de limiter le temps de parole, mais il importe de laisser un temps suffisant pour les questions et les réponses.
M. Damien VERDIER : Mesdames, messieurs les députés, je commencerai par vous présenter notre métier, puis le Syndicat national de la restauration collective.
En France, quinze millions de personnes bénéficient chaque jour d'une prestation de restauration collective. Les entreprises spécialisées en la matière représentent une part minoritaire de ce marché (25 % des repas servis en collectivité leur sont aujourd'hui confiés) mais cette part s'accroît au fil des années.
Le Syndicat national de la restauration collective regroupe vingt-deux entreprises adhérentes spécialisées en restauration collective, qui emploient plus de 65 000 salariés en France, sur environ 10 000 sites et qui exercent dans des entreprises, des administrations, des établissements d'enseignement publics ou privés, au service des collectivités locales pour les écoles primaires et maternelles, ou encore dans le secteur sanitaire et social, hôpitaux, cliniques, établissements pour personnes âgées et établissements médico-sociaux.
Notre implantation varie considérablement d'un secteur à l'autre, allant de 2 % de parts de marché pour les collèges et lycées publics, jusqu'à 85 % dans le secteur des entreprises privées. Plusieurs entreprises adhérentes au Syndicat national de la restauration collective occupent, par ailleurs, une position de " leader " sur des marchés étrangers, où les savoir-faire développés en France, font souvent référence.
Je voudrais souligner deux aspects fondamentaux de nos interventions. Qu'il s'agisse d'un établissement pour personnes âgées, d'une école ou d'une entreprise, nous évoluons dans un environnement collectif dont la dimension sociale est très importante. Par ailleurs, si nous sommes au contact quotidien de nos consommateurs, nous sommes néanmoins en relation avec un client qui établit un cahier des charges, décide et détient ainsi le pouvoir de déterminer la nature et les conditions des prestations servies ; il existe une sorte de triptyque constitué par le client-décideur-signataire du contrat, la société de restauration, et enfin le consommateur qu'il nous appartient de satisfaire.
Le Syndicat national de restauration collective a mis en place, dès sa constitution qui est relativement récente, en 1983, une commission qualité ; il comporte également une commission sûreté alimentaire, regroupant trois groupes de travail : hygiène et qualité, nutrition et hygiène alimentaire, et, plus récemment, approvisionnements et sécurité alimentaire.
Les besoins et les attentes de nos clients et convives s'ordonnent autour de cinq pôles principaux : conditions d'hygiène, nutrition, sécurité alimentaire des produits, plaisir et service, maîtrise des coûts. Ces différents domaines font l'objet dans notre pays d'une réglementation qui prévoit des exigences minimales. Toutefois, les demandes de nos clients et de nos convives ont permis un relèvement des standards qualité qui régissaient un métier en forte évolution ces vingt dernières années.
Notre syndicat conduit par ailleurs de nombreux travaux conjointement avec différents partenaires : le Groupe permanent d'étude des marchés de denrées alimentaires (G.P.E.M./D.A.), le Conseil national de l'alimentation (C.N.A.), dont il est membre à part entière. Au niveau européen, nous avons travaillé à l'élaboration d'un guide de bonnes pratiques en matière d'hygiène, dont la publication ne saurait tarder, du moins l'espérons-nous. Notre profession entretient, par ailleurs, des relations de travail avec la D.G.A.L., la D.G.C.C.R.F. et de nombreux services du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
Profession à fort taux de main-d'_uvre, nous consacrons une part importante de notre masse salariale aux actions de formation, portant en particulier sur les règles d'hygiène, de sécurité et de nutrition, avec un accent particulier sur les démarches H.A.C.C.P., mais également sur la compréhension des besoins des convives, jeunes enfants aussi bien que personnes âgées ou encore sur les savoir-faire culinaires, autant de formations devant déboucher, dans nombre de nos entreprises, sur des filières qualifiantes. Notre métier, trop souvent en retrait par rapport au métier " noble " de la restauration commerciale, est devenu, en effet, un métier à part entière, qui appelle une qualification pour être reconnu en tant que tel.
Par ailleurs, beaucoup de nos entreprises mènent des démarches d'assurance qualité, allant jusqu'à la certification ISO 9002, au niveau de leur service achats, des services de formation, de la cuisine centrale, lorsqu'il y a lieu et des certifications d'engagements de services auprès de certaines collectivités, comme les cliniques ou établissements hospitaliers, où nos clients, à côté des soins, sont engagés dans des procédures d'accréditation nécessitant d'ailleurs, pour les services hôteliers, de mener parallèlement des travaux d'amélioration de la qualité du service.
De plus, plusieurs entreprises adhérentes mènent des recherches, notamment en collaboration avec le C.N.R.S. et les universités, sur la psychologie des enfants pour construire de véritables programmes d'éducation nutritionnelle, avec le Centre Foch sur la mise en place d'outils de contrôle de l'équilibre nutritionnel, avec l'Université de Toulouse-Montmirail sur les attentes des convives en restauration collective, ou encore avec l'Institut Pasteur de Lille, où nous mesurons la consommation des enfants en milieu scolaire. S'il est vrai que nous pouvons fournir des repas équilibrés remarquables, bien conçus et faisant appel à de bons produits, encore faut-il que les enfants les mangent, d'où la complexité particulière de notre métier ! Nous avons donc engagé des travaux avec des instituts spécialisés, sur la relation entre l'élaboration d'un menu contrôlé par des services nutrition et des diététiciennes et la consommation réelle des enfants, pour en mesurer les apports nutritionnels réels et trouver le juste milieu pour que les enfants déjeunent en préservant leur équilibre alimentaire.
Nous avons engagé, par ailleurs, des négociations actives avec les acteurs de la filière agroalimentaire, dont je retiendrai deux exemples. En tant que société de restauration, nous avons mené une négociation, il y a trois ans, visant à la mise au point de fiches de spécification concernant certains produits sensibles, pour lesquels il nous semblait nécessaire d'engager notre responsabilité, tels que le jambon cuit ou les produits faisant appel à de la panure. Nous estimions qu'il revenait à la restauration collective d'exercer une responsabilité de qualité sur des produits de plus en plus consommés dans les foyers et de fixer des normes de qualité. L'année dernière, nous avons lancé une réflexion, avec I.N.T.E.R.B.E.V. et le C.I.V., qui a permis à la filière bovine de progresser dans le sens de la traçabilité ; nous avons signé une charte de transparence avec I.N.T.E.R.B.E.V. qui engage les fournisseurs des adhérents de notre syndicat à identifier le pays d'abattage, à transmettre les informations à leurs clients et à progresser vers la traçabilité complète " animal né-élevé-abattu ".
Nous étudions enfin des systèmes de veille, afin de mieux comprendre les événements actuels et futurs. Nous sous sentons particulièrement concernés, car nous sommes des restaurateurs et non des fournisseurs de produits et nos personnels sont essentiellement des cuisiniers. Nous travaillons entre autres sur les risques alimentaires émergents et sur des problèmes sociaux et de santé publique nouveaux comme les allergies. Nous avons également auditionné des spécialistes du C.R.E.D.O.C. et du C.N.R.S., pour que ceux-ci nous éclairent sur les grandes tendances actuelles de la consommation, du fait notamment de l'arrivée de nouvelles générations aux habitudes alimentaires différentes, lesquelles risquent d'ailleurs encore d'évoluer avec l'instauration de la semaine des 35 heures. L'augmentation du " grignotage " lié à l'évolution de l'organisation du travail au sein des entreprises - réduction du temps de pause notamment - est un phénomène que notre profession redoute et qui pourrait poser des problèmes de nutrition et d'alimentation en France, particulièrement pour les populations adultes, avec les risques d'obésité qui y sont liés.
Pour conclure, je voudrais préciser que nous nous sentons une responsabilité particulière en matière de santé publique. Les crises récentes ont révélé l'extrême sensibilité des questions de sécurité alimentaire et l'attente majeure de nos clients et convives en termes de maîtrise très large des risques. Si le " risque zéro " n'existe pas, il n'en demeure pas moins que nous sommes conscients que la santé publique ne souffre aucun compromis. Nous nous devons d'apporter aujourd'hui à nos clients et convives des garanties réelles et de continuer à travailler pour un " risque zéro ".
S'agissant des garanties apportées, je voudrais insister sur trois points.
Il est, en premier lieu, indispensable que soient conduites des actions de maîtrise de l'hygiène, de maîtrise des processus de fabrication et en matière de nutrition.
Il faut également renforcer le capital confiance. La restauration collective française ne doit pas avoir honte d'elle-même, car, en matière d'hygiène, elle est parvenue à une réelle maîtrise, et elle sait s'autocontrôler ; un certain nombre d'entreprises de ce secteur travaillent d'ailleurs à l'international. Il convient néanmoins de poursuivre le travail engagé depuis plusieurs années sur le capital confiance, d'informer, au-delà des simples questions d'étiquetage. Nous n'imaginons pas d'étiqueter tous les plats de nos self-services et tous les produits, mais nous devons développer la dimension information, pour apporter à nos clients et à nos convives une réponse claire sur nos filières d'approvisionnement.
Je terminerai sur un aspect non négligeable de notre métier. Nous vivons en collectivité et il importe d'y développer un certain enrichissement. J'évoquais la notion de plaisir et de service. Dans notre métier, la notion de plaisir, de service, le souci d'enrichissement culturel et social de la restauration tend à équilibrer la notion de " risque zéro ". Le consommateur doit pouvoir trouver, lorsqu'il vient déjeuner dans un restaurant d'entreprise ou en maison de retraite, des qualités de services - accueil, qualité culinaire, recettes sympathiques, goût du terroir - qui, sans éliminer la notion si exacerbée d'hygiène, l'équilibrerait. Si le déjeuner est source de plaisir, peut-être est-il plus facile de comprendre que le " risque zéro " n'existe pas !
M. Jean-Claude GANDRILLE : Monsieur le Président, mesdames, messieurs, je commencerai par vous présenter l'activité du comité de coordination des collectivités, plus exactement du secteur dit " à gestion directe " ou " autogéré ".
La restauration collective est éclatée en deux grands secteurs, le secteur concédé, qui représente environ 25 % de l'ensemble et assure un peu plus de trois milliards de repas par an et un secteur dit " à gestion directe " ou encore " en régie ", qui correspond aux 75 % restants.
A l'intérieur de ce grand secteur, le comité de coordination des collectivités joue un rôle significatif, puisqu'il possède, sur le territoire, huit associations régionales qui le relaient dans une structure nationale, le C.C.C. association France, avec autour de lui plusieurs grandes associations présentes, dans le secteur hospitalier, dans les lycées et collèges ou encore dans les établissements scolaires du premier degré.
Comme les pouvoirs publics, nous avons considéré la restauration collective comme un secteur spécifique, les consommateurs de restauration collective apparaissant comme ayant un caractère " captif ". Cette spécificité a d'ailleurs été reconnue par les pouvoirs publics, qui ont prévu un régime réglementaire spécifique. Du fait du volume considérable des consommations quotidiennes de ce secteur, il a semblé que le problème de la sécurité et donc de la santé des consommateurs, ne concernait pas que la seule hygiène, mais également des considérations nutritionnelles, au regard de la déstructuration des repas. A la lumière d'analyses réalisées par le C.R.E.D.O.C., nous mesurons l'évolution de la structure familiale et la façon dont la déstructuration du repas, dans le cadre de l'évolution de l'organisation des entreprises, a déjà atteint tous les secteurs de la société et, particulièrement, les secteurs familiaux, avec son lot de conséquences sur la culture alimentaire.
Il y a quelques années, le C.N.A. avait indiqué que le bol moyen alimentaire du Français était l'un des meilleurs au monde, parce qu'il produisait les meilleurs " effets santé " sur le consommateur. Or le C.N.A. avait appelé l'attention à l'époque, suivi en cela depuis lors par d'autres scientifiques, sur la lente dégradation de cette alimentation d'origine familiale, entraînant des risques sur la santé relativement importants.
Face à un risque de santé publique, il revient à la collectivité de jouer un rôle essentiel, notamment dans le secteur de la restauration collective, concédé ou en gestion directe, puisqu'elle représente le dernier rempart structurant, apte à maintenir la culture alimentaire et une éducation qui permettra aux consommateurs de préserver leur santé. Les collectivités ont, à ce titre, une mission en matière d'hygiène, illustrée par la mise en place de l'H.A.C.C.P. à partir d'une circulaire de 1984, mais également une mission éducative, avec le souci de s'assurer que l'équilibre alimentaire se traduit bien dans les repas.
Or ce dernier point pose plusieurs questions. Avons-nous la garantie lorsque nous élaborons un menu, que le consommateur bénéficiera en bout de chaîne de l'équilibre alimentaire ? L'enfant ou l'adulte mangera-t-il tout ce qui lui est proposé ? Au-delà de cette donnée de base, les produits alimentaires mis en circulation et disponibles dans l'assiette apporteront-ils, en moyenne, la garantie d'apports protéiques, lipidiques et glucidiques, voire vitaminiques, appelés par ledit équilibre ? Nous constatons actuellement que nous n'avons pas une vision claire du contenu des assiettes, dans la mesure où, pour l'essentiel, les grammages offerts ne sont pas formels. Il s'agit de grammages " à cru " et non " à cuit ", parce que l'on n'a pas encore déterminé de façon suffisamment explicite les pourcentages de protéines pures, eu égard aux pourcentages d'apports lipidiques et glucidiques. Il nous appartient, pour apporter cette garantie au consommateur, de mener un travail de fond, que nous avons d'ailleurs engagé dans le cadre de notre participation aux différents secteurs d'activité évoqués.
Il nous semble que la commission d'enquête doit élargir son champ d'investigations, par-delà les stricts aspects d'hygiène et de son contrôle, jusqu'à la qualité du repas et de son contenu nutritionnel.
M. le Président : Il est vrai que la restauration collective, comme vous l'avez indiqué, se développe, qu'elle soit concédée ou pratiquée en gestion directe. Jusqu'à présent, peu d'observations nous ont été faites sur les problèmes d'hygiène ou sur l'aspect nutrition, bien qu'il reste, vous le faisiez remarquer justement, à travailler cette question.
En revanche, nombre d'auditions ont mis en avant l'importance de la traçabilité des produits utilisés en restauration collective. Je suis persuadé que la traçabilité fera l'objet de questions de la part de nos collègues ; il conviendrait de faire ressortir les garanties qui existent en restauration collective sur ce point. Vous avez commencé à y répondre, mais, j'aimerais personnellement savoir de quelles assurances vous disposez quant au caractère sain de la viande.
M. Bernard LEYMONIE : Ainsi que M. Verdier l'a précisé, nous procédons par cahiers des charges, diffusés auprès des fournisseurs. Nous y indiquons plusieurs paramètres, notamment la provenance du produit que nous souhaitons acheter et la façon dont nous voulons nous assurer de la véracité de cette information.
Nous rencontrons actuellement un problème sérieux, à savoir que nous obtenons, la plupart du temps, de nos fournisseurs un numéro de lot. En fait, nous dégageons notre responsabilité en matière de traçabilité sur le fournisseur qui lui-même se dégage sur un autre intervenant, et ainsi de suite jusqu'à l'éleveur. Or, la chaîne comporte des " trous ", notamment sur le marché particulièrement sensible du poisson. Si nous pensons détenir la quasi-certitude de l'origine de la viande bovine, ne serait-ce que grâce aux démarches accomplies avec les organismes représentatifs de la filière, nous sommes relativement démunis concernant le poisson, pour lequel la réglementation actuelle demeure relativement floue.
M. le Président : Parlant du poisson, vous entendez le poisson de mer ?
M. Bernard LEYMONIE : Je ne parle que du poisson frais. Il est certain que la traçabilité est bien meilleure concernant le poisson congelé.
M. le Président : S'agit-il du poisson en provenance de l'aquaculture ou de celui de haute mer ? Nous essaierons d'approfondir ce segment, car nous savons bien que se posent également des problèmes relatifs à l'alimentation des poissons en aquaculture.
M. Bernard LEYMONIE : Nous n'avons aujourd'hui aucune garantie sur l'origine du poisson ; nous ignorons s'il s'agit de poisson d'élevage ou de poisson de haute mer.
Les problèmes de traçabilité créent de gros soucis à nos entreprises, car rien n'a été organisé à ce propos. Il n'existe aucune codification normalisée, aucune orientation donnée, ne serait-ce que sur la forme et la présentation des étiquettes. Une exploitation qui produit mille couverts compte près de trente fournisseurs différents. Des problèmes matériels, tels que le stockage, soulèvent de grandes difficultés. Nous attendions beaucoup du guide de bonnes pratiques. Nous travaillons actuellement à partir de l'arrêté du 29 septembre 1997, qui est assez succinct. Dans son article 4, cet arrêté fait référence à un guide de bonnes pratiques, devant fixer les orientations de la profession dans l'organisation de son travail, regroupant les diverses parties prenantes de la restauration, le S.N.R.C., le S.N.E.R.S. et d'autres associations du secteur autogéré ayant travaillé à sa rédaction en collaboration avec les pouvoirs publics et dont la publication devait être quasi-concommitante à celle de l'arrêté. Or ce guide n'est toujours pas paru.
Cela pose un problème, notamment d'interprétation des contrôles effectués par les services vétérinaires. Sur des points importants comme la conservation des plats témoins permettant, en cas d'infection ou même de simples contrôles, d'analyser nos produits, la règle de conservation n'est pas définie, car elle devait l'être dans ce guide de bonnes pratiques. Sur le plan du nettoyage, l'un des éléments clés de la sécurité dans nos exploitations, subsiste un flou. Nous, les professionnels, sommes " frustrés " de l'absence de ce manuel, d'autant qu'un travail considérable a été entrepris.
M. le Président : Qui doit élaborer le guide ?
M. Bernard LEYMONIE : Le guide a été réalisé par la profession et attend d'être validé par les pouvoirs publics. Il est actuellement devant le comité d'hygiène publique.
M. le Président : Quelle administration est en charge du dossier ?
M. Bernard LEYMONIE : Le ministère de l'Agriculture.
M. Jean-Claude GANDRILLE : Le guide est terminé depuis deux ans et demi. Il est passé par toutes les administrations concernées, la Santé publique, l'Agriculture, les Finances et la Défense qui, pour la première fois, étaient signataires de l'arrêté de 1997. Il est grave de faire référence, comme le rappelait M. Leymonie précédemment, depuis la sortie de l'arrêté, en son article 4, à la mise en application d'un guide de bonnes pratiques, qui n'existe pas réellement puisqu'il se " promène " et n'a pas passé le stade du comité d'hygiène publique de France. Il est dommage que la dynamique de cet arrêté, phénomène nouveau, révolutionnaire, qui mettait les collectivités en face de leurs responsabilités - l'arrêté n'était plus directif, mais incitatif et en cela constituait une nouveauté - et face à des objectifs, soit ainsi retombée, compte tenu de la non-publication du guide.
Mme Laurence DUMONT : Je reviendrai sur la traçabilité relative au poisson. Je suis quelque peu surprise, car je ne comprends pas pourquoi la restauration collective rencontrerait un problème que ne connaîtrait pas la grande distribution ! Elue d'une circonscription où se situe le plus grand port de pêche de Normandie - Port-en-Bessin -, je constate que tous les produits sortant de la criée, notamment pour les étalages de la grande distribution, sont tracés, y compris les filets sans arête. Il est possible, les achetant dans une grande enseigne, de remonter jusqu'au bateau et de trouver le nom du patron pêcheur les ayant pêchés. Je ne saisis pas la difficulté rencontrée dans le domaine de la restauration collective, alors qu'il y est apporté une réponse pour la grande distribution, même si la traçabilité n'est pas généralisée.
M. Bernard LEYMONIE : En région parisienne, nous achetons la plupart du temps du poisson travaillé sur Rungis, qui arrive entier, mais que nous achetons en filets. C'est à ce niveau que se posent des problèmes de traçabilité. Si nous achetons une caisse de plusieurs kilos de poissons, à Port-en-Bessin, auxquels personne n'apporte plus ensuite de modification, nous obtenons une traçabilité complète. Lorsqu'une valeur ajoutée est apportée au poisson à un endroit x, nous n'obtenons alors, au mieux, qu'une traçabilité du transformateur, ce qui pose problème, sauf pour tout ce qui touche au poisson surgelé, où la filière, très bien organisée, nous permet de retrouver très facilement l'origine du poisson.
M. le Président : Avez-vous, dans la restauration concédée ou dans la restauration en régie, des propositions précises à formuler qui permettraient de corriger les dysfonctionnements apparaissant ici ou là ? Vous pourriez nous les soumettre, car le rôle de la commission d'enquête ne se limite pas à comprendre le fonctionnement de la chaîne ou à repérer les mauvais fonctionnements, les fraudes, s'il en existe - malheureusement, il en existe de temps en temps ! Il lui appartient également de rédiger un rapport et de suggérer un certain nombre de pistes pour légiférer ou réglementer.
M. Jean-Claude GANDRILLE : Il conviendrait de régler la question de l'étiquetage et des indications sur le produit. Autant certains produits sont totalement normés, autant d'autres ne le sont pas et, notamment, les produits transformés, achetés en lots d'origine diverse par un fournisseur qui les retravaille, leur apporte de la valeur ajoutée et les redistribue en collectivité. Un problème identique d'étiquetage et d'identification se rencontre parfois dans le secteur des fruits et légumes ou de la pâtisserie fraîche. Il semblerait que, si certains produits sont correctement couverts et normés en matière d'étiquetage, facteur essentiel pour la conformité avec le guide de bonnes pratiques et la nouvelle législation nous obligeant à une identification claire de la durée de vie des produits, les cas précis évoqués n'offrent pas une complète couverture.
M. Damien VERDIER : La traçabilité appelle de ma part plusieurs remarques.
En premier lieu, il convient de préciser, à titre d'exemple, que l'ensemble des sociétés de restauration regroupées dans le S.N.R.C. représente l'équivalent de dix hypermarchés, poids certes non négligeable, mais non déterminant, avec des livraisons sur 10 000 sites. Bien que nous nous organisions, avec des directions des achats, pour travailler en amont sur les filières alimentaires, nous ne pesons que peu en termes d'achats. Nous sommes loin des camions de trente-cinq tonnes devant les restaurants, tous les matins à cinq heures ! Il s'agit de petits colis, d'une vingtaine de kilos, amenés par l'intermédiaire d'une succession de fournisseurs, petits ou gros, régionaux ou nationaux.
En deuxième lieu, la situation ne nous empêche pas de travailler sur la question de la traçabilité. J'ai cité l'exemple de la Charte de transparence avec la filière bovine, où figure ce terme de " traçabilité ". Nous sommes fiers de notre travail, puisque nous avons été les premiers à asseoir les protagonistes autour d'une table pour exiger une parfaite connaissance des pays d'abattage, être renseignés sur le produit et sa provenance et obtenir un engagement sur le " né-élevé-abattu ". L'ayant effectué il y a moins de huit mois, nous avons aujourd'hui listé d'autres filières pour lesquelles nous adopterons une démarche similaire, la prochaine étant la pisciculture d'élevage. Un groupe de travail de la commission Sécurité Alimentaire du S.N.R.C. regroupant plusieurs acheteurs de nos sociétés réfléchira à l'élaboration d'une charte de transparence relative au poisson d'élevage et à la pisciculture, domaine sur lequel, au-delà de l'alimentation des poissons, nous disposons de peu d'informations. La Charte de transparence constitue pour nous le début d'un travail en amont, avec des filières, où nous expliquons qui nous sommes et comment nous entendons travailler.
Troisièmement, nous avons regroupé des compétences dans des services achats, que de nombreuses entreprises adhérentes ont certifiées. Certification suppose cahier des charges, sélection et contrôle de fournisseurs, audit. Nous avons mis au point des systèmes efficaces de contrôle de fournisseurs, dont le contrôle inopiné. Il serait faux d'assurer que nous disposons d'une vision parfaite de la traçabilité de tous les produits livrés dans nos restaurants, qui outrepasse parfois un simple problème d'étiquetage. Il est essentiel de savoir si le produit est sain ou non. Cela rejoint les problèmes des O.G.M., dont nous ne savons pas encore apprécier l'intérêt. Nous traquons toutes les étiquettes et établissons des menus faisant appel à des produits étiquetés " non O.G.M. ", alors même que nous savons qu'il ne suffit pas qu'ils soient " étiquetés non O.G.M. " pour ne pas en contenir. Nous avons édité un texte clair pour la profession, expliquant à nos clients que nous ne sommes pas en mesure de leur garantir des menus sans O.G.M.
M. le Président : Disposez-vous de cahiers des charges à nous communiquer pour nous permettre de mieux connaître les problèmes que vous mettez en avant ?
M. Damien VERDIER : Tout à fait.
M. le Président : Pourriez-vous préciser, parmi toutes vos observations, quel est le maillon vous concernant sur lequel nous devrions porter un regard plus perçant encore pour repérer les " trous " ou dysfonctionnements et aller vers une meilleure traçabilité ?
M. Damien VERDIER : Je vous communiquerai des cahiers des charges sur les filières fruits et légumes ou viande qui nous permettent de mener nos consultations auprès de nos fournisseurs.
Malgré l'assez faible poids que nous représentons, nous essayons, de plus en plus, de travailler avec les industriels. Jusqu'à présent, notre profession achetait à des distributeurs, qui nous soumettaient leurs listes de produits. Il ne s'agissait pas de la grande distribution, mais d'entreprises de distributeurs régionales ou nationales, qui nous vendaient les produits de leurs catalogues. Nous développons aujourd'hui, suivis par un certain nombre de sociétés adhérentes du S.N.R.C., les relations directes avec les industriels de l'agroalimentaire, pour pouvoir choisir et désigner nos produits - d'où le travail sur les cahiers des charges - et tenter d'imposer ensuite aux distributeurs, dont la logistique nous est nécessaire du fait de notre grand éparpillement sur le territoire, de nous livrer les produits que nous avons négociés avec les industriels et non les produits de leurs catalogues.
M. le Président : La zone d'ombre se situerait-elle entre l'industriel et le distributeur ?
M. Damien VERDIER : Je ne puis l'affirmer. Nous devons peser sur l'ensemble de la filière et ne pas nous contenter d'établir des relations avec les distributeurs. Sans doute le distributeur nous faisait-il bénéficier de son catalogue produits, mais nous n'étions pas en mesure de vérifier les traçabilités. Or si nous remontons dans les filières, il nous est plus facile de rencontrer les distributeurs pour leur faire part de nos négociations avec tel ou tel industriel.
M. Bernard LEYMONIE : Nous devons tenir compte du fait que l'énorme majorité des fournisseurs de collectivités, quels que soient les produits, est constituée de P.M.E. : bouchers, distributeurs de fruits et légumes, distributeurs de beurre, _ufs, fromages... En dehors de quelques grandes entreprises fabriquant des produits industrialisés ou surgelés, nous devons 95 % de notre chiffre d'achats à ce type d'entreprises, dont la taille est adaptée à notre besoin. Un site de restauration collective fournit en moyenne 300 couverts et travaille donc, par définition, avec ce maillage de P.M.E., d'où d'importants problèmes de formation et d'information, voire de coût, car elles ne disposent pas toujours des moyens suffisants pour mettre en place la logistique lourde que nécessite la traçabilité.
Nous veillons donc, du moins en tant que secteur autogéré, à ce que la profession de la restauration collective ne se tourne pas exclusivement vers les produits industriels. La Charte du C.C.C. précise notre souci de promouvoir la culture de la restauration. C'est, en grande partie, au niveau de la collectivité qu'il est possible de transmettre la culture du goût de la restauration française. Si nous optons pour les seuls produits nous fournissant une garantie certaine de traçabilité, nous achèterons essentiellement des produits surgelés et passerons à côté de notre mission. La restauration collective, plus que le restaurateur public, a un contact quotidien avec les consommateurs, dont elle perçoit bien les besoins et interrogations. Autant le début de la crise de la " vache folle " a eu un impact relativement faible en restauration scolaire, pratiquement nul en restauration d'entreprise, autant les derniers problèmes rencontrés, notamment avec la dioxine en Belgique, ont créé un véritable électrochoc. Actuellement, nous ressentons un flou, qu'illustre le terme de " malbouffe ", phénomène inquiétant et dangereux.
M. André ASCHIERI : Quels sont les contrôles effectués aux stades de la livraison et de la distribution de la marchandise ?
M. Bernard LEYMONIE : Je vous apporterai une réponse collective, car nous procédons tous de la même façon. Nous avons mis en place, sur tous nos sites, des autocontrôles, définis dans le guide. Nous y puisons actuellement des projets " clandestins ", pour mettre en place nos propres contrôles : température dans les camions à l'arrivée, température des produits à c_ur à réception, relevés ou disques d'enregistrement des températures en chambre froide. Les contrôles s'effectuent également au niveau de la distribution. Chaque site passe un contrat avec un laboratoire qui effectue, selon un cycle à déterminer, des contrôles inopinés sur chaque exploitation. Des contrôles identiques sont effectués par les services vétérinaires lors de leur passage. Le problème du contrôle des températures, globalement bien suivi, quelle que soit l'exploitation, a fait l'objet de progrès considérables dans les deux dernières années, ce qui rend d'autant plus regrettable l'absence de publication du guide de bonnes pratiques.
M. le Président : La circulaire dite " de l'écolier ", datant des années soixante-dix est-elle inutilisée, dépassée ?
M. Jean-Claude GANDRILLE : Il s'agit de la circulaire Dienesch, modifiée par M. Jospin, lors de son passage au ministère de l'Education nationale. Par ailleurs, une nouvelle circulaire inspirée de travaux directement issus du C.N.A. est actuellement en phase de rédaction. Ces textes vont bien au-delà d'une simple rénovation.
M. Damien VERDIER : Il me semblerait souhaitable que les travaux menés au niveau de G.P.E.M./D.A. soient repris dans la nouvelle circulaire. Nous avons passé un contrat avec le G.P.E.M./D.A. pour l'établissement des recommandations et des cahiers des charges servant aux collectivités publiques pour lancer des appels d'offres. Qu'il figure à part entière dans la circulaire " de l'écolier " simplifierait la situation !
M. Jean-Claude GANDRILLE : Dernière recommandation vis-à-vis du G.P.E.M./D.A., pour qu'il aille jusqu'au bout de la logique et permette ainsi son autocontrôle. En préambule, j'ai évoqué deux notions : celle de quantité et celle de variété. Nous savons bien qu'un prix de revient est susceptible d'être profondément modifié en fonction des apports de nutriments composant le repas. La fabrication des produits farcis ou de composition, comme les feuilletés, les raviolis et, dans l'ensemble, tous les produits d'assemblage, ne permet pas de contrôler correctement la quantité réelle de protéines qu'ils contiennent.
De plus, pour les viandes, si les rapports de " gras " et de " maigre " ne sont pas clairement précisés, il ne s'avère pas possible de contrôler la quantité de protéines apportée aux enfants.
Enfin, si seuls les grammages à cru sont indiqués, sur place, ni les enseignants, ni les élus, ni les parents d'élèves n'ont la possibilité de s'assurer que le grammage indiqué se retrouve bien dans l'assiette.
Tant que le G.P.E.M./D.A. n'aura pas atteint la clarification des contenus, en termes de poids, d'analyse et de fréquence, nous resterons sans réponse, malgré toutes les circulaires possibles. A l'instar de la circulaire Dienesch, nous disposerons de circulaires, certes satisfaisantes sur un plan intellectuel, mais qui ne permettront pas d'avancer. Il est nécessaire de mettre en place, sur le terrain, dans les écoles et plus particulièrement dans les villes où le problème est plus sensible, un outil de contrôle faisant intervenir les instituteurs et les parents d'élèves.
M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Philippe LABBE,
Président du Syndicat national de l'alimentation et de la restauration rapide (S.N.A.R.R.),
Directeur général de Mc Donald's,
accompagné de M. GRAVIER

(extrait du procès-verbal de la séance du Mardi 21 décembre 1999)
Présidence de M. Félix LEYZOUR, Président
MM. Labbé et Gravier sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les intéressés prêtent serment.
M. Philippe LABBE : Monsieur le président, Mme et MM. les députés, je voudrais tout d'abord vous remercier de nous avoir invités à participer aux travaux de cette commission. Je me permettrai de resituer notre profession dans le domaine de la restauration hors foyer et en service rapide, afin de vous faire bien mesurer l'importance de ce secteur d'activité en développement.
Quelques chiffres de l'année 1998 : la restauration à service rapide représente plus de 11 000 établissements qui réalisent un chiffre d'affaires de plus de 25 milliards de francs et correspondent à 80 000 emplois. Ces statistiques ont pu être établies grâce au code d'activité APE 55.3B de l'I.N.S.E.E.
Il faut remarquer le développement de multiples acteurs dans le domaine de la restauration à service rapide, que ce soit celui de la boulangerie pour le secteur de la sandwicherie et la viennoiserie ainsi que d'autres acteurs, avec l'émergence de formes de restauration à service rapide diffusées dans des magasins d'alimentation et même des magasins en station service.
Un rappel de notre profession dont je me bornerai à reprendre le qualificatif : vente de produits alimentaires au comptoir dans des conditionnements jetables et avec une alimentation à consommer sur place ou à emporter. Voilà les caractères distinctifs de notre secteur d'activité.
Pour nous situer par rapport à nos collègues de la restauration collective ou à ceux de la restauration traditionnelle, je dirai que le poids de la restauration hors foyer doit être aujourd'hui de 280 milliards de francs, la restauration commerciale représentant 155 milliards et que notre secteur participe pour 25 milliards aux résultats de la restauration commerciale.
Je suis ici en ma qualité de président du syndicat national de l'alimentation et de la restauration à service rapide créé en 1984, syndicat professionnel qui s'est doté d'une convention collective en 1988. Ce syndicat professionnel compte 1 000 entreprises et représente une cinquantaine d'enseignes. Il a du mal à s'exprimer d'une seule voix. En effet, de grandes enseignes ont une présence nationale et bon nombre de petits établissements réalisent entre un et deux millions de chiffre d'affaires sans compter les petites entreprises familiales.
Au sein de notre syndicat professionnel, nous avons encouragé toutes les démarches positives en matière de sécurité alimentaire. Cela se concrétise dans un guide de bonnes pratiques, aujourd'hui en phase de finalisation dans la mesure où l'on a fait un retour de validation avec les services techniques concernés. Nous observons également la mise en place, pour un certain nombre d'enseignes, des plans H.A.C.C.P. qui fonctionnent dans chaque établissement.
Nous accordons beaucoup d'importance à la formation et avons une commission permanente au sein de notre syndicat professionnel qui a la responsabilité de former les personnels dans ce secteur d'activité, formation liée à l'hygiène et à la sécurité alimentaires. A ce titre, nous avons engagé pratiquement plus de 950 000 heures de formation, l'année dernière, sur tous les aspects liés à l'hygiène et la qualité.
L'une des caractéristiques de notre secteur d'activité est que nous fonctionnons généralement avec peu de références, mais avec des volumes importants. Nous pratiquons une gestion à flux tendus qui implique très peu de stockage. Voilà pour situer le domaine de notre activité.
Avec M. Gravier, directeur qualité de Mc Donald's, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. le Président :  Le sujet qui nous préoccupe est le problème de la transparence et de la sécurité, ainsi que l'hygiène et les équilibres nutritionnels. En même temps, la grande question pour nous est celle de la traçabilité des produits utilisés dans la restauration et, notamment, dans la restauration rapide. Comment est organisée la traçabilité relative aux viandes que vous recevez, quelles certitudes pouvez-vous avoir en la matière ?
M. Philippe LABBE : Nos réponses seront articulées en deux temps. Je m'exprimerai au titre du syndicat de la restauration à service rapide et M. Gravier au titre de l'une de ses enseignes, Mc Donald's.
Sur la traçabilité, notre profession est très favorable à la transparence qui permet d'avoir une connaissance de tous les éléments de traçabilité. Je laisserai à M. Gravier le soin d'expliquer, qu'en matière de traçabilité, il y a la traçabilité ascendante et la descendante. D'une façon générale, sur le plan de la traçabilité ascendante, il y a une assez bonne maîtrise qui est variable selon les filières. En revanche, sur la traçabilité descendante, de par les difficultés techniques, il y a beaucoup plus de choses à faire.
Une donnée importante, si l'on peut remonter aux premiers maillons de la chaîne, concerne la connaissance des conditions d'exploitation, que ce soit dans le domaine animal ou dans celui des cultures, pour élaborer les opérations de traçabilité possibles au niveau des exploitations agricoles. Il ne suffit pas de connaître la filière avec les étapes de transformation, il est important de connaître aussi les circonstances et les conditions dans lesquelles l'ingrédient de base a été élevé ou cultivé.
Si vous le permettez, je passe la parole à M. Gravier.
M. GRAVIER : En matière de traçabilité, vous avez mentionné le cas particulier de la viande de b_uf ; en ce qui nous concerne, il ne s'agit pas d'une fin en soi, mais d'un outil qui nous permet d'apporter à nos clients un certain nombre d'informations qu'ils sont en droit de recevoir.
La traçabilité, plus particulièrement pour Mc Donald's, est un mot que nous connaissons depuis de longues années, puisque nous avons déployé cette traçabilité dans le domaine du steak haché et de la viande de b_uf dès 1994 pour aboutir, fin 1995, à une totale traçabilité des produits composant le steak haché, c'est-à-dire des muscles composant ce produit.
Les moyens de contrôle sont opérés à chaque étape de la filière et nous pouvons dire, aujourd'hui, que nous remontons en toute clarté à l'origine des élevages. Nous sommes dans une filière relativement réduite, puisque nous n'avons qu'un seul fournisseur de steak haché qui ne produit que de la viande hachée 100 % pur b_uf dans son exploitation à Orléans. Lui-même ne travaille qu'avec un nombre restreint d'abattoirs, de manière à faire en sorte que l'entonnoir soit le plus réduit possible et que les contrôles soient les plus efficaces.
Au-delà, nous procédons et faisons procéder à des contrôles extérieurs, de services vétérinaires et à des analyses de laboratoires. Nous avons réussi à obtenir une certification produit ayant abouti au logo " Atout qualité certifiée " qui nous amène à déclarer un certain nombre d'engagements de qualité vérifiables au travers d'un document important et détaillé, mais également contrôlé par un organisme tiers agréé et approuvé, puisqu'il s'agit de la société Qualicert du groupe Société Générale de Surveillance.
M. le Président : Vous représentez la restauration rapide ; cela signifie que vous avez affaire à des consommateurs pressés. Dans la pratique, avez-vous constaté que les consommateurs vous interrogent sur la traçabilité et la qualité des produits ?
M. Philippe LABBE : L'une des particularités de notre secteur d'activité est le fait d'avoir des entreprises intervenant sous le nom de marques à forte notoriété. Il est absolument indispensable pour ces marques de prendre toutes les garanties nécessaires en ce qui concerne la qualité des produits offerts.
Au-delà de ce constat essentiel à notre survie, il est opportun d'apporter aux consommateurs des garanties. C'est ce que nous avons fait avec ces démarches sur la traçabilité pour pouvoir bénéficier du label, ou, pour l'enseigne Mc Donald's, le fait de pouvoir justifier de l'indication " viande bovine française " ou d'une technique de certification. Ce genre de label est là pour rassurer le consommateur.
M. François GUILLAUME : Monsieur le président, on sait les conditions rigoureuses dans lesquelles travaille Mc Donald's, conditions rigoureuses d'approvisionnement notamment. Néanmoins, comme il y a aussi d'autres entreprises sur l'ensemble du territoire européen, y a-t-il échange entre Mc Donald's France et Mc Donald's Allemagne et dans quelles conditions ?
Il apparaît, en effet, qu'en matière de traçabilité, la France est en avance sur d'autres pays, y compris l'Allemagne, où les problèmes d'identification des animaux sont moins bien réglés qu'en France.
Dans les autres entreprises que vous représentez, M. Labbé, les conditions d'hygiène sont peut-être bien différentes de celles que proposent les autres grandes entreprises. Comment cela se passe-t-il pour les sandwichs emballés ? Y a-t-il des dates de péremption ? Tout cela est-il respecté ? Qui les fixe et dans quelles conditions ?
M. GRAVIER : Sur la première partie de la question, il y a un échange très étroit au sein de Mc Donald's Europe. Depuis longtemps, nous considérons l'Europe, à la fois comme une zone de développement commercial, mais aussi comme une source d'approvisionnement majeur. A plus de 99 %, nos achats de produits alimentaires proviennent de l'agriculture européenne et, principalement, dans des zones de production réputées et connues ; 80 % de ces achats sont d'ailleurs effectués en France. Cela fait de certains fournisseurs français des exportateurs pour Mc Donald's vers d'autres pays d'Europe.
Nos cahiers des charges sont garants du respect des normes d'hygiène, de qualité et sécurité. Parlant de traçabilité, n'oublions pas le développement des plans H.A.C.C.P., qui fait que Mc Donald's en Europe s'est mobilisé depuis de nombreuses années, bien avant que la loi nous amène à déployer ces plans H.A.C.C.P., à la fois chez nous et chez nos fournisseurs.
Nous avons à protéger une marque avec des engagements que nous prenons tous mutuellement. Certes, nous n'avançons pas tous de la même manière. La traçabilité a toujours été un sujet sur lequel Mc Donald's, en France, a eu une attitude de précurseur.
Le fait est que nous avons une façon de travailler en groupe. S'il est un département chez Mc Donald's qui est international et qui travaille en collaboration avec ses homologues, c'est bien le département achat-qualité.
M. Philippe LABBE : Sur la seconde partie de la question de M. Guillaume, en ce qui concerne les conditions d'exploitation de la restauration à service rapide et ceux qui font des offres de sandwichs plus traditionnels, c'est à travers le guide des bonnes pratiques distribué par les chaînes organisées que nous pouvons répondre à votre question.
Par ailleurs, c'est par un étiquetage sur le produit préparé que l'on a connaissance de la réglementation relative au temps de conservation d'un produit, à sa température, à sa préparation. Cela dit, c'est un constat. Je ne sais s'il engage la totalité des acteurs de la profession.
M. André ASCHIERI : On pourrait évoquer, parlant de sécurité alimentaire, les intoxications, ou d'autres domaines comme le fait de ne pas prendre ses repas à heures régulières, ou encore l'obésité, l'hygiène, non pas dans vos établissements, où elle est très rigoureuse, mais par rapport aux clients qui ne se lavent plus les mains ou jettent les restes des repas. Pour les élus locaux que nous sommes, l'environnement de ce type de restauration rapide n'est pas toujours satisfaisant, sans compter que certains des produits alimentaires qui sont jetés peuvent être dangereux. Avez-vous réfléchi à ces désavantages assez lourds de la restauration rapide ?
M. Philippe LABBE : Sur les équilibres nutritionnels, un certain nombre de spécialistes ou d'experts se sont déjà prononcés. Dans les documents que nous vous adresserons, des analyses figurent sur les apports entre lipides, glucides, protéines des différents composants, que l'on peut avoir en restauration à service rapide, ou en formule de restauration plus traditionnelle.
Au-delà des schémas, pour prendre l'exemple du secteur " hamburgers ", les offres proposées reprennent du pain, de la viande, de la salade, du poulet et du poisson ; elles diffèrent par la béarnaise, la moutarde ou autre sauce spécifique. Voilà pour le premier élément d'appréciation.
En ce qui concerne les modes de consommation, on ne fait que répondre à un besoin lié à l'évolution de la société et des modes de consommation.
Les aspects liés à l'environnement nous préoccupent beaucoup. Même si on ne peut que déplorer le comportement de nos concitoyens quand ils sortent d'un établissement - ce genre de pratique concerne d'autres actes de la vie quotidienne - nous encourageons les acteurs de la restauration à service rapide à mettre en place des plans de nettoyage avec du personnel, de manière à pouvoir nettoyer les abords de ces établissements.
A cet égard, le plan " Vigipirate " a été particulièrement néfaste. Beaucoup de poubelles publiques sur la voie publique devenaient inaccessibles. C'est un problème sur lequel chacun des acteurs responsables se doit d'intervenir par de l'information et d'avoir des emballages dégradables, même si, sur le plan visuel, on ne peut que regretter l'effet que cela produit. En tout cas, les acteurs de la profession ne peuvent se réjouir de voir les marques figurer au milieu de la voie publique. Ce n'est pas le but recherché.
M. le Président : Je souhaiterais reprendre, sous la forme d'une question, ce qui a été indiqué tout à l'heure par l'un de vos prédécesseurs abordant l'évolution de l'alimentation dans les temps à venir, en particulier avec la mise en place des 35 heures. L'on irait vers davantage de grignotage. Partagez-vous ce point de vue ?
Vous avez été " sur la sellette " ces derniers temps, on a parlé de la " malbouffe ". Comment ressentez-vous cela et êtes-vous en mesure de nous confirmer, que la viande que vous servez ne provient en aucun cas des Etats-Unis et que votre approvisionnement se fait particulièrement en France ? Ces questions nous ont été posées publiquement ; il est normal que je vous les pose ici.
M. Philippe LABBE :  Je laisserai M. Gravier répondre sur le second point.

Concernant les évolutions des modes de consommation, je n'étais pas présent au moment où vous avez entendu les représentants de la restauration collective. Mais l'analyse qui est faite selon les professionnels de la restauration, et quelles que soient les branches d'activité, est que, très vraisemblablement, la restauration collective va être le secteur professionnel qui risque de souffrir de la mise en place des 35 heures. Pour les établissements de restauration collective - ceux qui interviennent dans les entreprises - qui trouvaient un équilibre économique avec cinq repas servis par semaine, il est évident que la mise en place des 35 heures risque d'avoir un effet négatif sur leur activité par diminution de ces repas. Nous avons eu l'occasion d'en débattre avec eux, c'est une crainte qu'ils ont.

Au-delà de ce phénomène, la question que vous posiez concerne plus l'évolution des modes de consommation avec le grignotage. Je ne suis pas persuadé que l'on en arrive à une situation analogue à celle des pays anglo-saxons car, en France, la tradition culinaire est très différente. Nous le constatons, en faisant des comparaisons entre les prises de repas et leur fréquence, selon les tranches horaires de la journée, entre des établissements français, allemands ou anglais.
De ce point de vue, il y a certainement une évolution, mais nous sommes toujours un pays ayant une très forte concentration sur les heures de repas, de déjeuner et de dîner.
Pour illustrer mon propos, une enseigne comme Mc Donald's s'est engagée sur la formule du petit déjeuner anglo-saxon, formule qui ne semble pas reconnue par la population française. Les chiffres de vente sont satisfaisants, mais pas extraordinaires par rapport aux pratiques alimentaires du petit déjeuner des pays anglo-saxons. Il y a bien, on le voit, des spécificités françaises.
Sur les attaques relatives à la " malbouffe ", d'un point de vue plus générique, il est dommage d'en arriver à de telles formulations. Aujourd'hui, le fait de servir une alimentation et des produits dans le domaine de la restauration en volumes importants et avec une forte présence ne doit pas être systématiquement comparé à de la " malbouffe "... Il y a confusion dans les termes : on peut offrir une nourriture d'excellente qualité même dans des volumes importants. Le fait d'avoir une alimentation de terroir n'est pas significatif, pour moi, d'une qualité de l'alimentation, en particulier au plan de la sécurité alimentaire.
M. GRAVIER : Je vais rebondir sur ce que vient de dire M. Labbé. Au plan de l'hygiène et de la sécurité, chez Mc'Donald's, nous sommes loin de la " malbouffe " et nous opérons depuis longtemps des contrôles et travaillons dans des filières.
Il faut rappeler que la France est un marché " de cueillette ", d'exploitations de faibles superficies et que les élevages y comptent un faible nombre d'animaux ; un élevage moyen en vaches laitières est d'environ 50 animaux, ce qui est relativement faible. On est donc loin de l'industrialisation que le nom de Mc Donald's peut évoquer.
Vous posiez la question de savoir si nos viandes de b_uf sont bien des viandes sans hormones issues de l'agriculture française. Je peux vous le confirmer. Nous sommes en mesure de vous le faire vérifier. Nous travaillons exclusivement des muscles de viande de pur b_uf. Nous nous assurons de ne jamais rien mélanger à ces muscles, qu'il s'agisse de chutes de découpe, voire de viandes séparées mécaniquement ou de graisses ajoutées. Nous utilisons des pièces de viande dans leurs proportions naturelles de matières grasses " persillées ", et, c'est en choisissant des pièces plus ou moins grasses, que nous ne dépassons pas les 20 % de matières grasses - limite que nous avons nous-mêmes fixée - ainsi que le ratio collagène/protéine de 15 %.
Je peux vous confirmer qu'il n'y a aucune importation de viandes aux hormones en provenance des Etats-Unis ou d'ailleurs.
M. le Président : Avez-vous d'autres questions ? Monsieur Labbé, avez-vous quelque chose à ajouter ?
M. Philippe LABBE :  Il y a certains points que nous souhaitions aborder dans la mesure où nous avions engagé certaines réflexions sur les thèmes abordés par votre commission. Cela concerne les conditions de transparence et de traçabilité au niveau des exploitations agricoles.
Aujourd'hui, il est important également de voir quelles sont les conditions d'alimentation et de vie observables dans les exploitations agricoles, de manière à s'assurer de la qualité à tous les niveaux. Je laisse la parole à M. Gravier sur ce point.
M. GRAVIER : Nous avions la chance d'être spectateurs de l'intervention de nos collègues de la restauration collective ; vous avez parlé des " trous ", sur lesquels nous aimerions nous exprimer. Si l'on arrive à remonter jusqu'à l'origine des produits, c'est à ce stade que se trouvent nos limites. Au-delà de l'origine, nous souhaiterions que des moyens soient mis en place pour l'analyse des risques, pour un code de bonne pratique, que la traçabilité et le contrôle soient opérés aussi au niveau des exploitations et que l'on soit en mesure de savoir ce que mangent les animaux, dans quelles conditions ils sont élevés et comment ils sont traités au plan sanitaire.
Il nous manque de nombreuses informations, en grande partie probablement parce qu'il y a aussi, à mon sens, un manque de code de bonnes pratiques au niveau de l'élevage ou de l'agriculture. Comment traite-t-on les sols ? Que met-on sur les produits de culture ? Nettoie-t-on les sols ? Somme toute, il convient d'avoir une agriculture réfléchie et intelligente. Il y a encore un travail important à réaliser sur ce point, tous ensemble.
M. le Président : Ce sont autant de questions que nous avons eu l'occasion d'aborder au cours des auditions précédentes.
La parole est à M. Guillaume.
M. François GUILLAUME :  Nous avons interrogé les producteurs sur le sujet. Il ne faudrait pas que les secteurs d'aval repoussent toujours la faute sur les secteurs d'amont. En matière de prophylaxie, d'éradication de certaines maladies dangereuses, beaucoup a déjà été fait et un certain nombre de précautions sont d'ailleurs prises. La simple conséquence est qu'il y aurait danger à empêcher la fabrication de certains produits ; je pense aux produits laitiers. Il ne faut pas non plus donner le sentiment qu'en amont, rien n'est fait.
Quand vous demandez que l'on définisse les conditions d'alimentation, notamment pour les gros bovins, il ne faut pas exagérer ; il faut laisser au producteur la possibilité d'élever comme il l'entend ses animaux. Son intérêt est d'avoir des animaux sains et bien portants, garantie de résultats et de productivité. Il ne faudrait pas non plus demander au consommateur de vérifier à la ferme la qualité du foin auquel il ne connaît rien, la qualité des ensilages, savoir si on doit nourrir à partir de pailles et uniquement de grains écrasés.
Attention, arrêtons tout cela. Il ne faut pas développer encore un sentiment qui est déjà ancré chez le consommateur.
Je me permets de le souligner, car il ne faudrait pas que l'on pense que les animaux sont élevés dans n'importe quelles conditions.
M. le Président : C'est moins une question qu'une réaction à ce que vous avez indiqué.
La parole est à M. Philippe Labbé.
M. Philippe LABBE : Je répondrai à M. Guillaume que notre propos n'avait pas de sens polémique et que nous ne cherchions pas à rejeter la faute en amont. C'est simplement le souci, à partir du moment où cela concerne un produit agricole qui se retrouve transformé dans l'assiette du consommateur, d'avoir des informations sur la totalité de la chaîne alimentaire.
Cela doit se travailler comme on l'a fait sur la traçabilité, en liaison avec les diverses instances professionnelles. C'était le seul objet de ma remarque.
M. François GUILLAUME : Vous y avez fait assez peu allusion, mais les intervenants précédents nous ont laissé le sentiment qu'ils se servent de l'inquiétude de la population par rapport aux O.G.M. pour faire du " sans O.G.M. " une véritable publicité.
Il convient de faire attention. Le problème est considéré différemment aux Etats-Unis. On reconnaîtra peut-être un jour l'intérêt des O.G.M. A ce sujet, il ne faudrait pas que l'essentiel du soja américain que nous importons - qui est sans doute brésilien aussi - soit produit avec des sojas génétiquement modifiés.
Par ailleurs, je ne sais pas comment vous vous approvisionnez en maïs doux ? Il y en a un peu en Alsace, mais la production française est-elle suffisante pour couvrir la consommation de maïs doux et d'où vient le maïs doux qui peut être génétiquement modifié ? Personnellement, cela ne me dérange pas, mais il ne faudrait pas se servir de ce contre argument pour se faire de la publicité en disant que l'on produit sans O.G.M.
M. le Président : Notre commission d'enquête porte évidemment ses réflexions et investigations sur l'ensemble de la chaîne alimentaire. En amont de la production, l'abattage, la transformation, le conditionnement, la distribution. Toute une série de maillons constituent cette chaîne et nous essayons de porter un regard objectif et critique au sens noble du terme. Et je crois que c'est dans ce sens-là que les observations ont été présentées.
Nous voulons voir l'ensemble des choses, repérer les dysfonctionnements qui peuvent apparaître et, en même temps, essayer de repérer les fraudes, s'il en existe. Malheureusement, il y en a et c'est cela qui porte préjudice à l'ensemble de la chaîne.
Que pensez-vous des contrôles que vous subissez ? Trouvez-vous qu'ils soient trop tatillons ou pas assez ?
M. GRAVIER : Je me permets de prendre la parole. Les contrôles s'opèrent dans des conditions constructives, c'est être citoyen que de les accepter et, tant mieux, si cela peut faire évoluer la profession. Quand on est " le plus gros " d'une interprofession, il est de l'intérêt de tout le monde que l'ensemble de la profession évolue dans le bon sens. Les contrôles sont donc une nécessité.
Nous sommes en bout de chaîne. Il me paraît normal, qu'en bout de chaîne, tout se passe du mieux possible, d'autant que, pour Mc Donald's, nous avons fait le choix d'ajouter des contrôles effectués par des laboratoires extérieurs, et, dans le cadre de la certification de produits, des contrôles faits par un organisme tiers comme " Qualicert ", qui vérifie aussi que, sur l'ensemble de la chaîne, nos engagements sont tenus. Nous sommes générateurs de nos propres contrôles et nous les suscitons avec des sociétés extérieures.
Audition conjointe de MM Pierre GAUTHIER et Alain FROUARD,
respectivement Président et délégué général du Syndicat national
des restaurateurs, limonadiers et hôteliers ;
André DAGUIN, Président de l'Union des métiers et industries
de l'hôtellerie (U.M.I.H.),

et Dominique CREPET, conseiller, expert auprès de la Chambre syndicale de la Haute cuisine française

MM. Pierre Gauthier, Alain Frouard, André Daguin et Dominique Crépet sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d'enquête leur ont été communiquées. A l'invitation du Président, les intéressés prêtent serment.
M. Pierre GAUTHIER : Monsieur le président, je tenais tout d'abord à vous remercier d'entendre le syndicat national des restaurateurs, limonadiers et hôteliers dans le cadre de la commission d'enquête sur la transparence et la sécurité sanitaire accréditant ainsi la nécessité d'associer les organisations professionnelles dans une large réflexion pour un meilleur contrôle de la filière alimentaire.
Le S.N.R.L.H. que je représente avec M. Frouard, délégué général, est la seule organisation professionnelle représentant depuis plus d'un siècle des professionnels C.H.R. indépendants, des plus prestigieux de France aux plus modestes, et qui s'emploie à défendre au quotidien l'entreprise tant au niveau national qu'européen.
C'est ainsi que le S.N.R.L.H. a toujours privilégié une politique responsable et de collaboration avec les pouvoirs publics, notamment la direction générale de l'alimentation et les services vétérinaires pour réduire les risques sanitaires en informant régulièrement et rapidement ses adhérents des alertes alimentaires par le biais de circulaires.
Dans un proche avenir, nos moyens de communication seront d'ailleurs améliorés, grâce à la mise en place de notre site Internet et d'un système d'envoi groupé de télécopies afin de réduire les délais dans la transmission des informations.
Hormis ses devoirs d'information, le syndicat des restaurateurs, limonadiers et hôteliers s'est attaché depuis de nombreuses années à la prise en compte quotidienne par les professionnels des risques sanitaires dans l'élaboration et la transformation des produits destinés à la consommation. C'est pourquoi, en collaboration avec la Confédération générale de l'alimentation de détail et sous le contrôle des pouvoirs publics, nous avons élaboré le guide des bonnes pratiques de l'hygiène en restauration qui a fait l'objet en décembre 1997 d'une publication au Journal Officiel après validation du Conseil supérieur de l'hygiène publique.
Cet outil pédagogique simple mais complet a été reconnu par tous comme une étape essentielle d'une nouvelle approche réglementaire en matière d'hygiène. Le guide qui s'inscrit dans une démarche de type H.A.C.C.P. répond au v_u des professionnels d'une part, en apportant une réponse appropriée aux légitimes exigences des consommateurs, d'autre part, en instituant un moyen de justification du respect des obligations reconnues par les services de contrôle.
Elle élabore une logique non plus en termes d'obligation de moyens, mais d'obligation de résultat, laissant au professionnel le soin d'apporter les réponses adaptées aux exigences hygiéniques essentielles. Elle responsabilise ainsi les restaurateurs dans leur démarche de maîtrise des risques.
Il nous est apparu que l'enjeu de la sécurité alimentaire était si important dans notre secteur d'activité que nous avons mis en place, dans notre centre de formation des modules de formation essentiellement dédiés à la mise en _uvre concrète de guides de bonnes pratiques, cette formation pouvant se dérouler in situ au sein même de l'entreprise.
Ainsi donc, la démarche initiée auprès de nos adhérents vise à répondre au souci de transparence réclamé par les consommateurs, d'une part, en réduisant la contamination initiale des produits entrant dans l'entreprise, d'autre part, en limitant l'apport de nouveaux germes et en restreignant la multiplication des germes existants.
Cependant, force est de constater que, malgré nos efforts et l'engagement des professionnels pour respecter ces principes, la situation des restaurateurs comme dernier maillon de la chaîne alimentaire ne nous met pas à l'abri d'erreurs commises en amont et dont nous sommes les premières victimes. Ainsi, sur l'utilisation des farines et graisses, nous ne pouvons qu'être très réservés, quand il s'agit de nourrir des herbivores avec des farines d'origine animale.
En conclusion, nous sommes bien évidemment conscients des nécessités économiques et des préoccupations de rentabilité qui conduisent certains producteurs à privilégier une réduction des coûts par rapport à la sécurité sanitaire. Mais nous ne pouvons que condamner avec la dernière énergie ceux qui utilisent des moyens dont chacun imagine la nocivité sur la santé, tels que l'utilisation des boues des stations d'épuration. Pour les mêmes raisons, le recours à des activateurs de croissance ou des aliments issus du génie génétique doivent être strictement contrôlés et limités en raison de l'impossibilité de connaître toutes les conséquences que peuvent avoir ces produits sur l'état de santé du consommateur.
Les restaurateurs souhaitent poursuivre et intensifier leurs efforts en faveur d'une plus grande transparence et sécuriser par une meilleure maîtrise des techniques les risques sanitaires.
Cependant, les professionnels que je représente n'accepteraient en aucun cas un transfert de responsabilités, notamment concernant les méthodes de production, d'élevage ou de transformation des produits, au motif qu'ils représentent les derniers acteurs de la filière alimentaire.
En conclusion, nous ne pouvons qu'encourager les contrôles rigoureux de la production des denrées destinées à l'alimentation humaine. Nous nous engageons à soutenir toute initiative relative à la sécurité sanitaire et ainsi satisfaire les exigences du consommateur dont nous partageons le souci de transparence.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est à M. Frouard.
M. Alain FROUARD : Pour la présentation de notre organisation professionnelle, je n'ai rien à ajouter par rapport à ce qu'a évoqué le Président Gauthier, j'interviendrai pour répondre aux questions que vous serez amenés à nous poser.
M. le Président : La parole est à M. Crépet.
M. Dominique CREPET : Suite à votre demande d'audition, j'ai sollicité la Haute cuisine et quelques partenaires et associations proches de nous, je cite les Maîtres cuisiniers de France, les jeunes Restaurateurs d'Europe et Eurotoques qui ont accepté de répondre à une série de questions que je leur ai soumises, afin de vous éclairer par rapport au vécu de notre situation dans les entreprises de restauration gastronomique artisanale.
Depuis près de dix ans, les actions que mène la Chambre syndicale de la haute cuisine sont toutes axées sur le respect de la qualité et de la sécurité des produits alimentaires. Pour tous, la matière première est essentielle à la conception des recettes traditionnelles ou créatives de notre gastronomie. Il n'y a pas de bonne cuisine sans excellente matière première. C'est ce que répètent tous nos chefs tous les jours et ce qu'ils mettent en pratique.
Les relations privilégiées entre la profession et les cultivateurs, éleveurs, pêcheurs et viticulteurs vont bien au-delà de celles de simple cahier des charges entre un fournisseur et son client. Il s'agit d'un partenariat fondé sur une relation entre hommes de terrain avec comme maître mot : la confiance.
Certains se sont délibérément engagés dans le cadre de la promotion de produits des régions et des savoir-faire, comme George Blanc à Vonnas, qui bénéficie de trois étoiles au Michelin, mais qui est en même temps, président du comité de la volaille de Bresse.
Avant même les nombreuses crises et alertes sanitaires et ce, dans un souci permanent de sécurité et de satisfaction du consommateur, cette profession de foi a été transcrite dans de très nombreux ouvrages. Je vous remettrai un document qui vous retracera tout l'historique, la manière dont on est arrivé à créer cette Chambre syndicale. Cette dernière représente l'excellence de notre gastronomie en France et à l'étranger ; elle doit défendre l'image des chefs, la conservation et la promotion de l'art culinaire traditionnel et créatif à travers des maisons de qualité. C'est son postulat.
Depuis son origine, ce syndicat professionnel s'investit pour conserver et développer des produits de qualité, évidemment soutenu par le succès médiatique de certains de nos chefs comme Paul Bocuse, ou le regretté Alain Chapel. On entend les qualificatifs de fraîcheur, de simplicité, de perfection, de légèreté. On a parlé de la vogue de la cuisine de marché. Ce n'est pas une vogue pour nous, c'est une réalité et c'est la cuisine immédiate comme le retracent certains grands chefs aujourd'hui.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas une évolution avec l'agroalimentaire. De très nombreux chefs ont participé à l'évolution des produits de l'agroalimentaire et font partager le savoir acquis dans la gastronomie pour faire évoluer ces produits. Je prends comme exemple Joël Robuchon, connu dans le monde entier et dont le succès est une simple purée de pommes de terre. Ceci pour illustrer dans un besoin de matière première et de perfection, la simplicité ; en effet, cela peut paraître simple mais c'est parfois très complexe. Son action avec Fleury Michon est l'une des plus exemplaires et illustre mon propos.
Beaucoup de chefs collaborent avec les entreprises et avec la distribution - comme Alain Senderens - avec Carrefour et beaucoup d'autres. L'ensemble de la chaîne est concerné, observé et aidé par notre système.
On a vécu dans l'effort qu'exige le travail bien fait avec le souci permanent de la sécurité et la satisfaction d'un consommateur de plus en plus exigeant.
A travers la Chambre syndicale, les chefs ont décidé de s'engager de plus en plus au côté des administrations. Depuis la création de la Chambre syndicale, l'investissement consenti pour la recherche de la qualité, la sécurité est humainement et financièrement considérable et sans aucune aide externe. Nous participons aux travaux des commissions des A.O.C., du Conseil National de l'Alimentation, des labels et des certifications de produits, avec des représentants permanents qui s'appuient aussi souvent que nécessaire sur des groupes d'experts qui sont membres de la Chambre syndicale.
Depuis 1995, l'approche des problèmes d'hygiène et de sécurité par le changement des obligations de moyens en des obligations de résultats a provoqué une transformation radicale de nos métiers. En s'appuyant sur les guides de bonnes pratiques déjà signalés et mis en _uvre sous le contrôle de l'autorité de tutelle, les professionnels mettent peu à peu en _uvre cette démarche préventive ainsi que la traçabilité nécessaire.
Au jour le jour, les contraintes sont très lourdes, mais elles permettent de réfléchir, de mettre à plat des systèmes de production, de gestion et de distribution. Ayant investi largement dans les outils de production, le chemin est moins long que pour d'autres secteurs traditionnels de la restauration. Pour une grande partie de la restauration indépendante, on parle de crise. Les restaurateurs sont néanmoins conscients des carences, des faiblesses et des inadaptations, mais ils ne peuvent aujourd'hui réagir, de crainte de donner le coup de grâce à des entreprises fortement fragilisées.
Avec la sécurité alimentaire, les alertes sanitaires et la mise en _uvre des conventions collectives, une nouvelle étape pour la réduction du temps de travail reste à franchir. C'est pour nous une nouvelle étape puisque, dans notre métier, une convention collective nationale n'est en application que depuis 1998. C'est une deuxième évolution très rapide, voire trop rapide pour beaucoup d'entre nous.
Se battre dans le secteur de la restauration pour se remettre à flot socialement, c'est parfois condamner les petites entreprises qui ne sont pas financièrement capables de mettre en place des systèmes immédiats permettant de répondre à toutes les exigences des administrations.
Personne ne conteste le besoin d'améliorer la situation actuelle, mais la restauration est un métier très consommateur de main d'_uvre : il ne peut pas se délocaliser en Asie pour amoindrir ses coûts ! Les alertes, de plus en plus fréquentes, ont conduit à la mise en place d'un comité de veille pour éviter les dérives.
Le partenariat technique établi avec le ministère de l'agriculture permet de faire un tri entre vrai risque sanitaire et " intoxication médiatique " souvent disproportionnée par rapport aux risques réellement encourus par les consommateurs.
Notre travail aujourd'hui est clairement d'expliquer encore et toujours aux consommateurs que, même avec une rigueur totale, le risque zéro en matière alimentaire n'existe pas. Des questions restent en suspens comme l'E.S.B. et les O.G.M. Nous aussi, nous avons besoin de transparence et parfois de recul pour accepter certaines évolutions de la science.
Le souci de précaution doit prévaloir sur tous les autres problèmes. Si les révélations de l'équipe de l'Académie des sciences américaine se confirment, nous risquons de nouveau d'avoir à faire face à une crise majeure avec des incidences sur l'homme. Cela pourrait conduire à une vraie psychose, que ce soit pour les produits, les sous-produits ou les ingrédients comme la gélatine.
Il nous faut agir très vite dans la transparence et en totale cohérence avec les services officiels. La leçon de la crise de la dioxine peut nous donner des pistes, mais nous nous refusons à cacher la vérité ; nous ne l'avons jamais fait et l'éthique de notre profession doit être respectée.
Tout est loin d'être parfait. Il faut se souvenir des gigantesques évolutions du métier et être conscient que, pour un bon suivi et des performances, il faut un personnel en parfaite adéquation avec notre métier.
A ce stade, je ferai le point sur la formation qui a été très largement citée par de nombreux chefs que j'ai interrogés. Elle pose un vrai problème aujourd'hui. La partie sanitaire n'est pas une priorité dans la formation des jeunes. Nous sommes persuadés qu'elle doit le devenir et que les conséquences sont lourdes à supporter par les entreprises quand la formation initiale ou les compétences initiales des jeunes formés ne sont pas acquises.
La Chambre syndicale a fourni à chaque membre le guide des bonnes pratiques. Nous avons créé des commissions d'information générale et de travail, parfois soutenues par des actions sur site pour aider les équipes à s'adapter. Les questions d'actualité sont traitées après consultation des autorités et un retour immédiat vers nos adhérents est fait, soit par fax, soit par site Internet.
Pour terminer sur une note d'optimisme, il y a 30 ans, l'avenir de la consommation alimentaire se résumait aux boulettes, pilules et aux poissons cubes. Les scénarios de science fiction étaient formels et unanimes : en l'an 2000, nous ne connaîtrions que des succédanés et des substituts d'alimentation traditionnelle. Aujourd'hui, contrairement à ces prédictions, le retour affirmé à des valeurs de terroir, de racine, de goût et de saveur authentique bouleversent la restauration et l'industrie agroalimentaire. On n'a jamais mangé aussi bien en France et avec un tel niveau de sécurité qu'à l'aube de l'an 2000, mais personne ne veut prendre de risques en mangeant.
Jamais les chefs n'ont été aussi créatifs, respectueux du bon goût et des produits. Les consommateurs sont attachés aux plaisirs de la table et, comme nous, attendent la qualité, les saveurs et la sécurité dans l'alimentation.
M. le Président : Je vous remercie. La parole est à M. Daguin.
M. André DAGUIN : Merci de vous occuper de sujets sérieux ; sans vous, avec ces restaurateurs, ces praticiens en péril, à cause d'un système fiscal qui les amène au dépôt de bilan, que feraient-ils ? Merci de le faire de la bonne façon. Je représente un syndicat présent sur tout le territoire et qui a diffusé près de 5 000 guides pratiques pour l'hygiène dans les cuisines. Nous sommes conscients de l'acuité du sujet.
Nous avons aussi, dans beaucoup d'endroits, instauré des contrôles volontaires. L'épouvantail rare - mais qui faisait très peur - du contrôle officiel sera épaulé par des contrôles fréquents et suscités... et pas pour autant à blanc, car le restaurateur ne sera pas prévenu. Et cela fonctionne ! Nous avons éveillé à l'hygiène une génération de cuisiniers en leur rappelant que le bon sens était ce qu'il y avait de plus précieux et que les pratiques étaient aussi importantes que les installations.
On a aussi essayé de leur apprendre à raison garder. Quelques chiffres vous permettront de mettre en perspective le sujet qui nous préoccupe : en 1997, en France, il y a eu  530 319 décès dont 5 imputables aux toxi-infections alimentaires et collectives. 5 sur 530 000 !
Il faut que vous sachiez aussi que les grands problèmes viennent le plus souvent du comportement aberrant des particuliers puisque la moitié des décès annuels sont le fait de mauvaises man_uvres à la maison : des champignons vénéneux, une mauvaise conservation à domicile, le fait que l'on prenne le réfrigérateur pour un endroit magique où les microbes cessent d'exister.
Bien sûr, l'amont des filières doit aussi être pris en considération. Farines animales, dioxine, boues d'épuration, " vache folle " sont des phénomènes qu'il faut analyser avec le plus de sang-froid possible. Je ne crois pas qu'il soit constructif de rejeter la responsabilité de ces crises sur certains et pas sur d'autres. Dans 30 ou 40 ans, notre opinion sur les O.G.M. sera très différente de celle que nous avons aujourd'hui.
De plus, faire croire que le " bio " est la solution me paraît une aberration, une idée dangereuse, car, sur le plan de la sécurité sanitaire des aliments, le " bio " n'apporte aucune garantie de plus.
On a donc cherché des méthodes. J'ai la chance d'être le fondateur et le président actuel du centre de recherche et d'innovation de transfert de technologie en Midi-Pyrénées pour l'alimentation et, à ce titre, je siège au conseil d'administration du C.T.C.P.A. (Centre technique pour la conservation des produits agricoles.)
A l'analyse, on s'aperçoit, en essayant de ne pas attribuer de responsabilités à certains pour s'en exonérer, que ce sont les artisans, les petites entreprises et les P.M.E. qui, du fait de leur taille et leur manque de moyens, ont le plus besoin d'aide et d'appui technique pour la maîtrise du risque sanitaire. C'est là que cela se passe.
Il faut éviter que ces crises à répétitions, souvent surmédiatisées, ne génèrent des surréactions. Il est certain que la " vache folle " est quelque chose de déplorable, mais il ne faut pas penser qu'à cela. Il en va de même pour les boues ou les farines animales. Il convient de maîtriser ces problèmes, de les connaître, mais surtout ne pas en faire un épouvantail.
Le prion est quelque chose de très curieux, qu'une température de 400 degrés n'éradique pas. On peut penser quelquefois que le mieux est l'ennemi du bien. On se souvient que les tourteaux servant à l'alimentation du bétail étaient traités par un produit chimique dont certains " Verts " ont estimé qu'il ne fallait plus les utiliser ; il a donc été décidé de les traiter par la chaleur. On n'est pas monté aux 400 degrés et le prion est resté là où il était. Certains disent qu'il est dans la terre, d'autres disent qu'il peut passer à l'homme. Nous ne pouvons pas prendre de positions très tranchées sur des données scientifiques qui nous dépassent quelque peu, mais le bon sens doit nous permettre de conserver à l'esprit le bien-être de nos clients à table et après.
Comme l'a dit un confrère célèbre, il faut que le café soit bon au restaurant, parce que c'est la prestation la plus proche de l'addition. Dans la filière alimentaire, nous devons être les plus irréprochables parce que les plus proches du repas du client.
Dominique Crépet nous a indiqué que la cuisine immédiate n'était pas tout à fait comme la cuisine différée. Là aussi, il y a sans doute des pistes à trouver. La cuisine immédiate ne laisse pas aux germes le temps de se développer contrairement à la cuisine différée.
Par ailleurs, en tant que restaurateurs, nous savons que le touriste est plus fragile que l'indigène ! Quand on est habitué à ses microbes, " on fait avec " ; si on est confronté à d'autres, on est très malade. Les touristes japonais rencontrent souvent des difficultés, du fait du changement brutal de leurs habitudes alimentaires quand ils quittent leur pays. Si cela peut faire sourire, la réalité est celle-là.
Les vétérinaires vous diront qu'une vache opérée dans son étable s'en tire sans antibiotique alors que si elle est opérée dans une clinique vétérinaire, il faut lui donner beaucoup d'antibiotiques et elle décède dans un cas sur deux ou trois.
Le bon sens doit nous permettre de garder les pieds sur terre. Il a été dit beaucoup de choses avec lesquelles je suis d'accord.
Si mon exposé a pu paraître quelque peu décousu, je crois que l'on peut en dégager plusieurs idées forces : proximité - il faut connaître les entreprises -, confiance et rapidité d'action, multi-compétences dans les produits et technologies en raison des risques sanitaires, démarche de qualité, accompagnement par un système de veille et par des experts, afin que notre effort ne soit pas le seul, mais qu'il soit lié à un effort général qui nous amènera à une véritable amélioration de l'hygiène alimentaire, en tout cas au restaurant.
M. le Président : Merci, Messieurs. Nous avons été très intéressés par tout ce que vous nous avez dit. Vous êtes les représentants de la cuisine française dont nous savons qu'elle se caractérise par sa qualité et sa diversité Celle-ci réside notamment dans ses aspects plus classiques et dans la restauration haut de gamme permettant d'offrir un large choix au consommateur.
Ce qui nous préoccupe dans notre travail de commission d'enquête est d'essayer toujours, sans provoquer d'affolement et sans faire preuve de complaisance, de bien poser le problème de la sécurité sanitaire, de voir comment il se pose dans votre secteur, sachant qu'il ne se pose pas dans les mêmes termes que dans d'autres types de transformation de restauration.
L'un d'entre vous a dit qu'il fallait de bons produits pour faire de la bonne cuisine. Il faut aussi de bons cuisiniers. Quelle traçabilité avez-vous sur tous les produits que vous recevez à l'entrée dans vos établissements ? Quels sont les éléments qui vous permettent de garantir à vos clients la qualité de tel ou tel produit ?
Il y a aussi les conditions dans lesquelles la préparation se fait. Là aussi, il y a diversité. Il arrive aussi que la " chronique " nous fasse savoir que dans quelques établissements haut de gamme, les arrière-cuisines n'étaient pas toujours au bon niveau. Mais il y a toujours des dysfonctionnements partout. L'objectif, chez vous, est d'avoir également des conditions d'hygiène excellentes.
J'ai été frappé par les propos de l'un d'entre vous indiquant que, jusqu'à présent, les questions sanitaires n'étaient pas suffisamment prises en compte au niveau de la formation. C'est un point important que j'aimerais vous voir développer.
Vous avez dit aussi qu'il fallait développer un appui technique pour les petites et moyennes entreprises qui sont aussi vos fournisseurs. J'aimerais vous entendre sur ces questions. J'ai vu également quelques réactions. Voilà quelques premières observations.
M. Alain FROUARD : Monsieur le président, nous élaborons avec l'ensemble de nos adhérents - les autres organisations professionnelles font de même - un plan de formation sur la mise en _uvre proprement dite des bonnes pratiques d'hygiène. Nous avons poussé plus loin notre démarche en accompagnant le restaurateur au sein même de son entreprise, en faisant venir nos formateurs afin qu'ils puissent, comme le disait M. André Daguin, mettre en place les gestes indispensables pour préserver la sécurité alimentaire.
M. François GUILLAUME : Nous avons entendu des propos pleins de bons sens qui me réjouissent. J'aurai quelques questions d'ordre général. Au niveau de l'Europe, on a le sentiment que subsistent deux cultures culinaires : la culture latine avec les produits des terroirs, le savoir-faire et la culture anglo-saxonne où, à chaque étape de la transformation du produit, on essaie de piéger le microbe, la bactérie ; la matière première est travaillée au point de la rendre totalement neutre. Ce qui rend le terrain propice à des invasions de bactéries qui ne sont pas des meilleures.
J'ai l'impression qu'en France, nous sommes en train de faire le jeu - avec tous ces excès auxquels faisait allusion M. Daguin - de la culture culinaire anglo-saxonne au détriment de la culture culinaire française et latine.
Concernant les bons produits, nous avons déjà eu des informations précédemment. Pour notre part, nous considérons qu'il y a deux types de qualité : la qualité de sécurité alimentaire qui doit être pour tous les produits quels qu'ils soient. Et évidemment, des produits différents parce qu'ils ont été faits dans des conditions différentes. En clair, on ne peut pas avoir du chapon de Bresse au prix du poulet produit en 45 jours qui n'est pas mauvais mais qui, gustativement est loin d'être le même, mais au niveau de la sécurité alimentaire, il a les mêmes garanties.
Je voulais poser des questions sur les installations des restaurants et de leurs cuisines. Nous sommes parfois étonnés des contraintes imposées à des artisans boulangers et charcutiers, notamment en milieu rural. Nous sommes en contact direct avec eux et ils protestent contre des exigences qui vont, à mon avis, au-delà de ce qui est nécessaire, voire du bon sens et qui les entraînent à des dépenses inconsidérées qu'ils ne peuvent pas rentabiliser.
Ils sont placés devant un choix difficile : fermer ou engager des dépenses qui ne seront jamais rentabilisées, parce que le chiffre d'affaires ne permet pas un tel investissement. De même, les exigences sont grandes dans la restauration collective. Nous sommes souvent sollicités pour obtenir des moyens financiers pour refaire des cuisines, etc. Quand on voit toutes les exigences pour le stockage des produits frais, des produits secs, les circuits aller et retour, pour les plats, tout cela entraîne des dépenses assez considérables. Paradoxalement, on a le sentiment quelquefois que les cuisines d'un certain nombre de restaurants ne présentent pas toutes les garanties voulues. Comment cela se passe-t-il ?
Je sais qu'il y a les services vétérinaires qui font des contrôles. Ces contrôles sont-ils fréquents ? Comment se passent-ils ? Et que peuvent apporter les autorités territoriales quant aux aides aux investissements - la région y pourvoit chez nous - pour améliorer des conditions qui ne sont pas toujours des plus favorables ?
M. Germain GENGENWIN : Il est certain que le consommateur a des exigences de plus en plus fines. Nous trouvons aujourd'hui sur le marché des produits qui nous viennent du monde entier.
Ma question est de savoir si vous avez la garantie que ces produits ont été produits selon nos propres normes de qualité. Est-on sûr qu'ils n'ont pas été traités avec des produits largement interdits chez nous ? A-t-on pour les fruits, les légumes et autres, les mêmes exigences que vis-à-vis de nos propres producteurs ?
M. André ASCHIERI : Je suis d'accord avec M. Daguin, lorsqu'il dit que les produits " bio " n'offrent pas forcément plus de garanties que les autres, mais vous parlez surtout du niveau bactériologique, car ils sont parfois moins contrôlés que les autres. Je suis d'accord avec vous sur le fromage, en particulier.
Vous oubliez une chose essentielle, il n'y a pas que l'intoxication alimentaire immédiate, qui a d'ailleurs pratiquement disparu ; on l'a dit, il y a beaucoup moins d'intoxications chez nous qu'aux Etats-Unis, toute proportion gardée, où certaines agences mises en place ne remplissent pas toujours leur rôle.
Les intoxications les plus graves sont, à mon sens, celles à long terme liées à l'adjonction de produits chimiques, liées aux fabrications, aux cultures intensives, à l'agroalimentaire. S'il n'y avait pas de problème, pourquoi ferions-nous une enquête parlementaire aussi importante sur l'aliment ? Néanmoins, on est tous d'accord pour dire qu'on a fait beaucoup de progrès dans le domaine bactériologique.
Ce n'est pas à vous de déterminer que tels métaux lourds induisent des risques d'intoxication. C'est à nous, législateurs, de faire en sorte que les métaux lourds n'arrivent pas dans vos cuisines et encore moins dans nos assiettes.
Sentez-vous une forte évolution chez vos consommateurs dans vos restaurants qui sont mis en concurrence avec la restauration rapide ? Ont-ils encore envie de garder le goût par rapport à la rapidité ou à la sécurité, et ont-ils aussi l'exigence au niveau de l'origine, de la traçabilité ? Ont-ils changé de comportement dans vos restaurants ?
M. le Président : La parole est à M. Crépet.
M. Dominique CREPET : Vous avez parlé de la traçabilité à l'origine des produits. On peut les partager en deux. Dans la gastronomie, on a affaire à beaucoup de produits pour faire une prestation. C'est très différent dans l'agroalimentaire où il y a une ligne de production avec des produits repérables, que l'on peut contrôler, qui sont très peu nombreux. Au bout de la chaîne, on peut faire une démarche qualité totale.
Chez nous, c'est très difficile parce que la masse de produits est considérable. On a aussi la volonté d'aller vers les petits fournisseurs locaux. Cela augmente le risque d'autant. C'est pourquoi j'évoquais le climat de confiance et de partenariat qui prédomine dans notre système.
Certes, nous faisons des demandes auprès des fournisseurs ; la démarche de beaucoup de chefs est d'aller les voir, de discuter, de prendre conscience des problèmes et d'alerter. C'est une démarche de partenariat. On découvre les risques en même temps que le producteur et l'éleveur, et on essaie de s'expliquer et d'avancer sur le dossier.
Vous avez parlé de méthodes de transformation. Je ne peux m'exprimer que pour la haute cuisine parce que, pour nous, c'est la base même d'un métier. L'une des difficultés que j'ai entendue dans l'enquête que je vous soumettrai, c'est qu'aujourd'hui, ce n'est pas un métier. Certains disent que c'est un métier. Or, aujourd'hui, pour ouvrir un restaurant, on n'a besoin de rien, on a besoin d'argent, on a parfois besoin de savoir-faire ou on le confie à quelqu'un d'autre. Faire de la sécurité sanitaire avec des gens qui ne sont pas du métier est une mission impossible.
Pour les vrais praticiens, chacun fait des efforts conséquents pour essayer de s'adapter dans ce domaine. Pour le reste, je suis très sceptique et quand on analyse parfois certains restaurants que l'on voit fleurir très vite, et qui ferment d'ailleurs parfois aussi vite, qu'ils soient saisonniers, ou de type " restauration à thème ", on est un peu outré de cette mécanique, de cette analyse et de ces comparaisons. On exige beaucoup de choses de nos entreprises. Et on se demande pourquoi on autorise ces ouvertures avec tous les risques que cela induit.
M. François GUILLAUME : C'est un point très important que soulève M. Crépet. Effectivement, on voit des restaurants s'installer, des gens qui ne maîtrisent rien, ni les aspects de gestion, ni les aspects culinaires d'ailleurs, a fortiori tous les problèmes sanitaires. Il y a véritablement quelque chose à faire dans ce domaine.
M. Germain GENGENWIN : Nous avons voté une loi où il est exigé une qualification professionnelle. Je suis intervenu à plusieurs reprises. Les décrets d'application sont sortis tellement dilués, que l'obligation professionnelle est pratiquement contournée. Je suis heureux de vous entendre dire que, dans ces métiers, il est nécessaire aussi qu'il y ait une qualification professionnelle.
M. le Président : Pour les gens qui sollicitent des prêts et qui ont bénéficié de certaines aides des collectivités, lorsqu'ils s'installent, n'y a-t-il pas non plus de qualification exigée ?
M. Dominique CREPET : Dans l'état actuel de mes connaissances, on dépose un permis, on reçoit une proposition d'un cabinet d'architecte qui nous aide dans la conception du projet, parfois, on dévie de la réalité technique et gastronomique. On va dans une démarche d'investissement contrôlé par l'administration et par les autorités, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit faite réellement pour pratiquer de la cuisine.
M. André DAGUIN : Je considère que le restaurateur met en _uvre tous les produits qui peuvent envoyer à l'hôpital la moitié de la population et, en même temps, n'importe qui peut ouvrir un restaurant. Il y a parfois des aides dans des régions qui ont pris à leur initiative de bonifier, ou super bonifier les taux d'intérêt, ou de donner quelques subventions à des gens qui veulent fonder quelque chose. Mais cela ne suffit pas, il y a tous ceux qui ne demandent rien et qui sont parfois les plus dangereux.
Je reçois parfois des gens qui approchent de la retraite et qui viennent me voir, en me disant que la restauration les amuserait beaucoup, et ils demandent conseil pour ouvrir un restaurant. Le premier conseil que je leur donne, c'est de ne pas l'ouvrir, car le plus difficile n'est pas de l'ouvrir mais d'empêcher de le fermer après.
On s'aperçoit que ce métier est d'ailleurs livré à une anarchie totale. Il faut, en effet, peut-être sous prétexte de cette enquête, aider ceux - dont nous sommes - qui veulent que ce métier soit reconnu ; cela va entraîner sans doute aussi quelques charges et quelques contraintes, mais il faudra que les gens à la devanture du restaurant sachent si celui qui fait la cuisine, sait la faire ou pas. Le principe de l'ouverture d'un commerce en France est intangible. Cela dit, il y a des commerces parfois dangereux.
M. le Président : La parole est à M. Crépet.
M. Dominique CREPET : Aujourd'hui, nous recherchons des professionnels accomplis avec une priorité dans l'hygiène. Les entreprises en cherchent ; nous avons des demandes de tous les secteurs, en France, pour accueillir des professionnels dans les entreprises. Nous en manquons et nous en cherchons.
Pour essayer de compenser une petite partie de ce manque, un travail est mené par les Maîtres cuisiniers de France, dans lequel nous avons beaucoup travaillé : il a été créé un " parcours du professionnalisme ", où nous essayons de donner des expériences, car il faut que dans la formation, les entreprises mais également l'homme, s'y retrouvent.
Dans un passage proche de l'esprit de compagnonnage, on arrive maintenant à avoir à la sortie des écoles des gens ayant vocation à continuer dans leur métier avec une vraie volonté ; on leur promet une formation complète sur les divers aspects que représente notre métier. Nous nous engageons à la fin de leur formation à les maintenir dans nos entreprises en leur donnant des postes de responsabilité.
Je voudrais citer le professeur Ogier de l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort à propos de la mise en place et de l'esprit de la méthode H.A.C.C.P. : " On s'aperçoit que ceux qui sont, par leur fonction, chargés de veiller à sa bonne observance, peuvent être parfaitement ignorants des bases scientifiques qui la gouvernent, ce qui ouvre la porte à tous les déboires. De ce fait, nos experts, par cet excès de textes, placent les entreprises européennes dans une situation d'infériorité vis-à-vis de leurs concurrents, ce qui ne peut être admis, même si de la part de certains, cela correspond à un vrai objectif. "
Il faut conserver les vrais produits du terroir avec ce qu'ils sont, ce qu'ils ont, avec la sécurité sanitaire maximum que l'on peut obtenir, mais ne perdons pas le goût et tout ce qui est autour de notre culture française. Le respect de ces produits fait la différence avec certains pays étrangers européens du Nord et fait que beaucoup de touristes mangent dans nos restaurants.
M. le Président : Nous connaissons tous la qualité de nos cuisiniers. Vous n'avez pas répondu de manière précise à la question qui a été posée : quand vous achetez vos produits, êtes-vous certains de leur traçabilité ?
M. André DAGUIN : Si vous voulez une réponse claire, la réponse est non. Nous savons comment s'appellent les petits fournisseurs près de chez nous, on sait même comment s'appelle le chevreau qu'il nous apporte, voire le nom de toutes les carottes. Mais il faut aussi mettre du sel, du poivre ; on boit le café après le repas. Nous n'avons aucun pouvoir de vérifier que le poivre en provenance de tel ou tel pays tropical ait été ionisé ou pas.
Il y a donc là un vrai problème : nous sommes d'accord pour exercer le plus de connaissance en traçabilité possible, mais il faut bien voir qu'il y a des moments où cela est impossible.
Bien sûr, les petits producteurs de nos terroirs ne produisent ni poivre, ni sel, ni chocolat, ni café. Ce n'est pas à nous de vérifier les importations. Nous considérons que, si un produit est sur le marché français, cela veut dire que l'autorité française l'a laissé entrer et, qu'en conséquence, on peut l'acheter. Si nous devons aller vérifier au-delà des frontières, la provenance exacte de nos produits et comment ils sont fabriqués, il faut vous attendre à ce que le prix du couvert au restaurant soit multiplié par huit ou dix !
M. Dominique CREPET : Nous faisons une totale confiance au ministère de l'Agriculture actuellement et, après les accords de Schengen qui ont supprimé les frontières, nous sommes obligés de faire confiance aux autorités de tutelle pour faire les contrôles à l'entrée du territoire. Nous nous posons beaucoup de questions à propos du saumon transgénique, pour nos chefs, car ils ne sentent pas un contrôle et une volonté de contrôle suffisante au Canada.
Comment faire avec ces produits qui viennent de l'étranger pour avoir une qualité qui corresponde aux mêmes exigences que celles que nous attendons de nos fournisseurs français ? Aujourd'hui, nous n'avons pas les moyens financiers de faire ces contrôles. Nous considérons, qu'avec l'aide du ministère de l'Agriculture, c'est la meilleure façon de se fier à l'autorité de tutelle qui nous représente.
M. le Président : Par rapport aux douanes, comment voyez-vous les choses ?
M. Dominique CREPET : Nous avons peu de contacts actuellement avec les services des douanes. J'ai entendu quelques professionnels parler de contrôles ponctuels de produits d'export qui ont été contrôlés chez eux ; très souvent parce qu'il y avait présomption de toxicité d'un produit et qu'ils venaient voir en jugeant de la traçabilité, de la présence ou non dans l'entreprise ; mais nous n'avons pas de collaboration actuellement avec ces services.
M. le Président : Vous avez évoqué une enquête que vous avez fait réaliser. Pourriez-vous nous en fournir les résultats ?
M. Dominique CREPET : Je vous les donnerai dès la fin des interventions.
M. le Président : Y a-t-il d'autres questions ?
M. François GUILLAUME : Sur les investissements à faire dans les cuisines, je n'ai pas eu de réponse.
M. Dominique CREPET : Je peux répondre pour la haute cuisine, et M. Daguin élargira le débat.
Pour la haute cuisine, très sincèrement, nos cuisines sont transparentes. De grands investissements ont été réalisés à ce jour. Ce sont des cuisines de référence. On fait le maximum, tout n'est pas parfait. La mise en _uvre du guide des bonnes pratiques a permis au personnel, pour la première fois peut-être, de se mettre autour d'une table et d'évoquer les vrais problèmes. On s'est aperçu de changements considérables qui ont une influence sur la productivité et sur le bien-être des techniciens qui travaillent dans nos entreprises.
M. André DAGUIN : Il faudrait en effet trouver une façon d'aider les restaurateurs à mettre leurs cuisines aux normes, mais nous serions opposés à toute aide qui ne serait pas assortie d'une obligation de formation du restaurateur. Une installation, aussi belle soit-elle, peut être dans un état catastrophique au plan de l'hygiène, si celui qui l'utilise ne sait pas comment cela marche. C'est un travail de longue haleine que nous avons entrepris, il y a en effet quelques prêts super bonifiés pour ceux qui veulent se mettre aux normes d'hygiène.
Ce que je dirai paraîtra très syndicaliste, mais le système fiscal de la restauration l'empêche de dégager des marges suffisantes, pour que l'investissement habituel les mette à l'abri de l'investissement énorme tous les 10 ans. Il faut que la restauration redevienne rentable et que les restaurateurs investissent de manière habituelle dans leurs cuisines.
Les progrès qui ont été faits depuis huit ou dix ans sont considérables. On est passé de la psychologie de la contrainte à la psychologie de " moi, je suis à jour, donc chez moi, c'est mieux qu'ailleurs ". C'est un argument commercial qu'on a essayé de leur faire utiliser.
M. François GUILLAUME : Sans dire ce que M. Daguin pourrait dire mieux que moi, il n'en reste pas moins aussi qu'il ne faudrait pas que la réglementation change trop fréquemment. C'est infernal, on va toujours plus loin ; le bon sens que vous avez manifesté était intéressant. Le mieux est l'ennemi du bien et finalement coûte très cher.
M. le Président : Nous savons tous qu'il faut un cadre législatif et réglementaire, mais ensuite, comme vous l'avez indiqué, c'est au niveau de la formation que l'on avancera, pour faire en sorte que chacun comprenne la législation et sache l'appliquer de manière satisfaisante. C'est vrai dans ce domaine comme partout ailleurs.
La parole est à M. Daguin.
M. André DAGUIN : Pour mettre le doigt sur quelques contradictions. Quand nous refaisons une cuisine, on assiste souvent à des disputes entre gens de l'hygiène et de la sécurité. Les gens de l'hygiène demandent des sols lisses parce que c'est facile à nettoyer ; les gens de la sécurité n'en veulent pas parce que cela glisse.
On négocie au coup par coup. On s'aperçoit que, pour la sécurité incendie, les blocs de sécurité qui sont dans les hôtels sont périmés au bout de trois ou quatre ans. Les professionnels comprennent mal d'être agréés, félicités quelquefois en 1990, et, en 1994, il faut tout remettre en place. Et ceux qui n'ont pas envie de le faire prennent ce prétexte pour ne pas faire.
Pour résumer, nous ne sommes pas assez européens de goût. Les Européens du nord disent que cela doit être sain. Nous devons répondre que cela doit être sain et bon. Il faut faire plus qu'eux et ne pas rester cramponné.
M. le Président : Que cela soit sain et bon à la fois me paraît être une bonne conclusion, s'agissant de tout ce qui concerne la restauration. Merci de votre participation.

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1 Les noms des participants figurent en en-tête du procès-verbal.